Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de Mme Laurence Vichnievsky, dont la nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel est proposée par la Présidente de l’Assemblée nationale, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement (M. Jean-François Coulomme, rapporteur)                            2

 


Mercredi
19 février 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
Président


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La séance est ouverte à 15 heures.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne Mme Laurence Vichnievsky, dont la nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel est proposée par la Présidente de l’Assemblée nationale, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement (M. Jean-François Coulomme, rapporteur).

M. le président Florent Boudié. Notre commission est réunie pour procéder à l’examen de la proposition de nomination, par la présidente de l’Assemblée nationale, de Mme Laurence Vichnievsky en tant que membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Corinne Luquiens.

En application de l’article 56, alinéa 1 de la Constitution, cette nomination suit la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution. S’agissant de la nomination proposée par la présidente de l’Assemblée nationale, elle ne pourra avoir lieu si les votes négatifs de notre seule commission représentent au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Conformément à l’article 29-1 du règlement de l’Assemblée nationale, la commission a désigné un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d’opposition : M. Jean-François Coulomme, du groupe LFI-NFP. M. le rapporteur a adressé un questionnaire à Mme Vichnievsky, auquel elle a apporté des réponses écrites, lesquelles vous ont été adressées hier et mises en ligne sur la page du site de l’Assemblée nationale consacrée à notre commission.

M. Jean-François Coulomme, rapporteur. Votre nomination, madame Vichnievsky, revêt une importance particulière, tant le Conseil constitutionnel occupe une place centrale au sein de nos institutions. Juge de la constitutionnalité des lois, juge électoral, il est, selon ses propres termes, un « organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics ». Avec l’extension progressive du bloc de constitutionnalité, il s’est par ailleurs érigé en protecteur des droits fondamentaux. C’est donc bien avec un intérêt particulier que nous examinons votre candidature.

Je vous ai adressé il y a quelques jours un questionnaire, auquel vous avez bien voulu répondre par écrit. Ces éléments ont été diffusés aux membres de la commission.

Votre parcours témoigne d’une expérience variée et d’un intérêt marqué pour les questions juridiques et les affaires publiques. Vous avez été longtemps magistrate et avez occupé diverses fonctions dans les cours et tribunaux judiciaires, au cours desquelles vous avez travaillé sur des affaires importantes, la plus connue étant sans doute l’affaire Elf. Vous avez également effectué un passage en administration centrale, ainsi qu’au cabinet de M. Pierre Arpaillange, premier garde des sceaux du gouvernement de Michel Rocard. Plus récemment, vous avez occupé des fonctions publiques au sein de différents partis : Europe Écologie Les Verts, d’abord, entre 2009 et 2015, puis le MoDem après cette date. Vous avez été successivement conseillère régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis en Auvergne-Rhône-Alpes, avant de devenir députée de la troisième circonscription du Puy-de-Dôme.

Ce parcours politique bigarré sera vu par les uns comme une forme d’opportunisme, par les autres comme le signe d’un sens aigu du compromis, tandis que votre parcours professionnel assidu plaidera plutôt comme un gage de connaissance de notre système juridique et du fonctionnement de l’État.

Votre engagement politique soulève des questions importantes, relatives à votre capacité à exercer en toute impartialité les fonctions de membre du Conseil constitutionnel, et plus largement sur la légitimité de cette institution, à l’heure où le Parlement est amené à se prononcer sur les possibles nominations de trois anciens élus de la nation.

Premièrement, vous écrivez que vos deux mandats de députée représentent « une expérience modeste au regard de la longueur de [votre] parcours judiciaire [et que] le vrai sujet réside dans l’impartialité […], l’indépendance […] [et la] capacité à observer le “devoir d’ingratitude”. » Je note toutefois que vous avez été élue pendant quatorze ans et que votre dernière campagne électorale remonte à huit mois. De plus, si votre nomination est confirmée, vous siégerez aux côtés d’une ancienne ministre issue d’un parti auquel vous avez également adhéré. Ne pensez-vous pas qu’une telle nomination aurait des effets négatifs sur la confiance des citoyens en la justice constitutionnelle, et plus généralement en notre système institutionnel ?

À cet égard, la procédure de désignation des juges constitutionnels est intrinsèquement problématique du point de vue démocratique et de ses exigences d’indépendance et d’impartialité. C’est précisément ce qui explique nos réticences vis-à-vis des présentes nominations, la vôtre comprise. La maîtrise de la nomination des membres du Conseil constitutionnel par le président de la République et les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale est une particularité française qui ne cesse de questionner. Comment croire que les membres de cette institution peuvent garder la Constitution face aux assauts dont elle fait l’objet de la part des différents pouvoirs, notamment le pouvoir législatif, quand ces mêmes membres y ont pris part eux-mêmes ? L’indépendance nécessaire à l’exercice de la justice constitutionnelle est, de notre point de vue, incompatible avec ce mode de nomination et avec la présence de personnalités politiques.

Deuxièmement, dans la mesure où votre dernier mandat s’est achevé très récemment, il est tout à fait possible que des dispositions sur lesquelles vous avez travaillé soient prochainement examinées par le Conseil constitutionnel, ce qui risque de limiter votre activité en son sein. À ce sujet, vous pensez ne pas devoir vous déporter « de manière systématique s’agissant des recours contre les textes adoptés au cours de deux précédentes législatures ». En revanche, vous estimez que ce serait « indispensable dans le cas où [vous auriez] émis une opinion, dans un sens ou dans l’autre, sur la conformité à la Constitution d’une disposition faisant l’objet d’une requête devant le Conseil constitutionnel ». Entre ces deux approches quelque peu extrêmes, il y a un large spectre. Existe-t-il d’autres situations dans lesquelles vous envisageriez de vous déporter ? Quelle ligne directrice vous fixerez-vous en la matière ?

Troisièmement, s’agissant de l’équilibre entre la préservation de l’initiative parlementaire, qui passe par l’exercice du droit d’amendement, et l’exigence d’un lien au moins indirect avec le texte initialement déposé, qui contribue à la qualité et à la clarté du débat parlementaire, vous avez indiqué qu’il vous était souvent arrivé de « considérer que les décisions du Conseil n’étaient pas parfaitement équilibrées » et que « la balance devrait davantage respecter le droit d’amendement des parlementaires ». À quelles décisions pensez-vous ? La jurisprudence devrait-elle être assouplie dans ce domaine et, si oui, selon quelles règles et quels principes ?

Au-delà de la question des cavaliers législatifs, la jurisprudence constitutionnelle mérite-t-elle d’évoluer dans un sens plus favorable au Parlement ? Je pense, entre autres, à la question des études d’impact, qui ne font l’objet que d’un contrôle assez sommaire de la part du Conseil.

Vous relevez aussi qu’une meilleure maîtrise de l’ordre du jour par l’Assemblée nationale pourrait contribuer à remédier à ce déséquilibre, grâce à l’élargissement de l’initiative parlementaire. Qu’entendez-vous par là ?

Par ailleurs, notre Ve République et sa Constitution semblent frappées d’une obsolescence irréfragable, tant le paysage politique de notre pays a changé depuis 1958. Là où nos règles s’imposaient à la dichotomie d’une répartition linéaire des sensibilités politiques et leur permettaient un arbitrage résolutif, notre société semble désormais durablement installée dans une articulation ternaire, tridimensionnelle, des forces politiques et de l’antagonisme profond induit par leurs agendas respectifs. Estimez-vous donc, comme une majorité de nos concitoyens, que le temps est venu pour le peuple français de se reconstituer en un ensemble de lois et de règles qui refonderaient notre République dans une sixième instance ?

De manière plus immédiate, avec la nomination de Richard Ferrand à une voix près, grâce aux votes nuls et blancs du Rassemblement national, Emmanuel Macron a une fois encore été sauvé par la connivence et la domestication de ce parti. Si l’inéligibilité de Mme Le Pen fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, pensez-vous que l’avis de ses membres pourra s’affranchir de la reconnaissance de son futur président pour ce sauvetage in extremis ?

Enfin, en écho aux turpitudes et abus du monarque présidentiel moderne, Montesquieu nous dit : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Votre propre rôle, en tant que membre du Conseil constitutionnel, sera-t-il celui d’un contre-pouvoir à la prévarication de notre État profond, à ses dérives autoritaires et corruptives infligées depuis trop longtemps au peuple français par un homme et ses obligés ?

Mme Laurence Vichnievsky. Tout d’abord, je tiens à dire combien je suis émue de me retrouver dans cette commission des lois, où j’ai eu tant de plaisir, d’intérêt et parfois même de passion à travailler, à défendre des amendements, quelques fois vivement, mais toujours d’une manière constructive et respectueuse des avis de tous.

Je souhaite remercier la présidente de l’Assemblée nationale, qui me fait l’honneur de proposer ma nomination pour siéger au Conseil constitutionnel. Soyez assurés que je mesure l’importance de ces fonctions, surtout à un moment où nos institutions sont critiquées de toute part, et la confiance qui m’est accordée. Je suis fière d’avoir été la vice-présidente de Yaël Braun-Pivet à la commission de lois pendant cinq ans et d’avoir siégé à ses côtés au sein du bureau de l’Assemblée pendant un peu plus de deux ans. Je reconnais être tout à fait admirative de son parcours.

L’usage voudrait maintenant que je me présente et dise quelques mots sur mon parcours. Cependant, dans la mesure où il y a eu de nombreux articles et commentaires sur le mode de désignation et les compétences requises pour les candidats aux fonctions de membres du Conseil, je voudrais sans attendre faire part de ma position. Ces questions ne sont pas nouvelles mais ont logiquement été relancées à la faveur du renouvellement de mars.

Certains considèrent que les membres devraient être désignés par un collège d’experts, issus des plus hautes juridictions ou encore des universités. J’estime pour ma part que les autorités de nomination doivent, de manière directe ou indirecte, être issues du suffrage universel, comme c’est le cas en France. Ce fonctionnement se justifie par l’office du Conseil qui, comme vous l’avez rappelé, est notamment de réguler l’activité des pouvoirs publics. Dans ces conditions, il m’apparaît absolument indispensable que les autorités de nomination ne soient pas exclusivement techniciennes.

Par ailleurs, faut-il imposer des critères pour la désignation des candidats ? Je n’en suis pas certaine, à l’exception d’une absence de condamnation inscrite au casier judiciaire. La proposition de loi constitutionnelle de Stéphane Peu est intéressante et prévoit un critère de compétence juridique et qu’au moins trois membres aient exercé au moins dix ans dans les juridictions administratives ou judiciaires. Il me semble toutefois qu’un tel fonctionnement serait complexe, étant donné que trois autorités devraient se mettre d’accord. Et, surtout, la France a, d’une manière générale, tendance à multiplier les règles et les critères, au risque d’en omettre certains et de se priver des compétences issues d’autres secteurs. Peut-être intégrerons-nous un jour de tels critères, mais je crois que les auditions par les commissions des chambres parlementaires sont préférables. Rappelons qu’elles ont précisément pour objet de permettre à la représentation nationale d’apprécier le parcours, la compétence et la légitimité des candidats.

Reste la question du vote. Il m’est délicat de m’exprimer sur ce point en un jour comme celui-ci, mais j’ai indiqué par le passé qu’il convenait selon moi d’inverser les proportions et donc le nombre de suffrages à recueillir pour être approuvé.

J’en viens à mon parcours qui, me semble-t-il, pourrait apporter un peu de fond au travail du Conseil constitutionnel.

J’ai fait l’essentiel de ma carrière dans la magistrature judiciaire. J’y suis entrée en 1977 et en suis sortie en 2017, lorsque j’ai été élue députée. Ces quarante années, même au regard de mes quatorze ans de vie politique que vous avez évoqués, sont le signe d’une très forte implication de ma part dans ma profession. J’ai passé trente-six ans dans les cours et tribunaux, trois ans à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice – où j’ai eu la chance de travailler alors que Robert Badinter était garde des sceaux – et un an au cabinet de Pierre Arpaillange, qui fut le ministre de la justice de Michel Rocard.

En juridiction, j’ai exercé des fonctions très diverses, aussi bien au civil qu’au pénal, au parquet qu’au siège. J’ai notamment présidé pendant cinq ans le tribunal de grande instance – aujourd’hui appelé tribunal judiciaire – de Chartres. Je donne ces détails car, sauf pendant les dix ans où j’ai travaillé à l’instruction financière, j’ai ainsi eu à traiter des affaires de la vie quotidienne : ces contentieux relatifs à la petite et moyenne délinquance et qui ont trait aux problèmes de nos concitoyens, qu’il s’agisse des loyers, du surendettement, des conflits de voisinage, ou encore de l’insécurité.

Cette connaissance sensible de la vie des Français me semble utile au moment d’occuper les fonctions pour lesquelles je suis candidate, particulièrement alors que nombre de nos concitoyens ont le sentiment que nos institutions sont éloignées de leurs préoccupations quotidiennes.

Ce parcours fait aussi de moi une femme habituée au débat contradictoire, respectueuse de la partie adverse et convaincue par l’idée qu’une décision n’est jamais prise avant l’audience. Je suis à cet égard très attachée à la collégialité, qui permet la confrontation des opinions et qui garantit l’impartialité. Si certains d’entre vous, je pense aux avocats ou juristes de profession, sont peut-être habitués aux audiences à juge unique, la collégialité est bien le mode unique de délibération du Conseil constitutionnel.

En outre, la démarche intellectuelle des juges judiciaires – tout comme des juges administratifs, mais je connais moins cette fonction – est très proche de celle des membres du Conseil. Quand les premiers apprécient si le comportement des justiciables entre dans les prévisions de la loi, les seconds vérifient si ces lois sont conformes à la Constitution et si elles ne sont pas contraires à certains droits ou libertés que celle-ci garantit – leur mission étant, dans tous les cas, d’apprécier et de concilier des intérêts légitimes et juridiquement protégés, mais souvent contradictoires.

De ma longue présence au sein de juridictions, j’ai également acquis la conviction que la prédictibilité était indispensable. Si les revirements sont parfois nécessaires et si la jurisprudence doit évoluer comme la société évolue elle-même, elle ne doit pas être erratique, sous peine de voir émerger un gouvernement des juges. J’y insiste : la constance et la prédictibilité de la jurisprudence contribuent – nous y reviendrons peut-être – à nous prémunir contre cette possibilité.

J’ajoute qu’au cours de mes dix années passées au pôle financier comme juge d’instruction, j’ai connu des situations extrêmement tendues. M. le rapporteur a évoqué l’affaire Elf : elle ne fut pas la seule à comporter de très lourds enjeux. J’ai fait l’expérience des pressions et des environnements hostiles ; j’ai même dû être protégée pendant plus de deux ans. Évidemment, les affaires soumises au Conseil constitutionnel ne sont pas de cette nature, mais cette expérience me permet de prétendre à une certaine capacité de résistance aux pressions, y compris, et c’est peut-être le plus difficile, lorsqu’elles sont amicales.

Enfin, j’ai pratiqué la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lorsque j’étais avocate générale à la cour d’appel de Paris et j’ai eu à me prononcer sur l’opportunité de leur transmission au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation. Je me souviens des difficultés éprouvées par tous les magistrats à la suite d’une décision rendue par le Conseil au sujet de la garde à vue. L’institution avait pris la précaution de différer d’un an l’application de la censure de certaines dispositions, ce qui a permis au Parlement de voter une loi visant à les mettre en conformité avec la Constitution, faute de quoi un grand nombre de procédures auraient été annulées ou fragilisées. Ce fut une période assez intense.

Vous l’avez rappelé, j’ai aussi eu la chance d’être élue, deux fois comme conseillère régionale, deux fois comme députée. Mes mandats locaux m’ont familiarisée avec les problèmes relatifs à l’organisation territoriale, particulièrement lorsque j’ai assisté à la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes. Mais ce sont surtout mes mandats de députée qui me semblent constituer un atout. Je l’ai dit, j’ai eu l’honneur d’être vice-présidente de la commission des lois lors de la XVe législature. Et lors de la suivante, j’ai siégé à la commission des affaires étrangères et au sein du bureau de l’Assemblée, comme secrétaire.

Si je ne devais retenir qu’un élément, je choisirais la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, que j’ai élaborée avec Philippe Gosselin, que je salue. Ce travail parlementaire tout à fait exceptionnel – je le revendique – a commencé par une mission d’évaluation, suivie d’un rapport, puis a été concrétisé par une proposition de loi et une saisine du Conseil d’État par la présidente de l’Assemblée nationale. Le texte a été adopté en première lecture à l’unanimité des présents le 8 mars 2023 et après une mésaventure au Sénat – pour présenter les choses ainsi –, son contenu a été repris dans le cadre du projet de loi dit Ddadue (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes), adopté lundi dernier. J’ai suivi les débats, quoique de loin car je préparais cette audition, et je tenais à vous remercier d’avoir permis à ce travail de prospérer.

En définitive, mes deux mandats de députée m’ont permis de découvrir de l’intérieur les mécanismes concrets d’élaboration de la loi, ce que je considère bien sûr utile pour un membre du Conseil constitutionnel. À ce titre, je garde un souvenir ému des échanges assez vifs qui ont eu lieu dans l’hémicycle au sujet de dispositions qui me semblaient contraires à la Constitution. Je pense au fameux article 24 du projet de loi « sécurité globale », qui avait fait l’objet d’une importante médiatisation et qui prévoyait une nouvelle incrimination relative à la diffusion d’images impliquant des forces de l’ordre dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Outre que la notion d’intégrité psychique me semblait assez vague, il s’agissait selon moi d’une sorte de délit d’intention, sans spécificités.

De la même manière, je me rappelle certains échanges passionnants, lors de l’examen de la première loi de programmation et de réforme de la justice, au sujet des visioconférences, que le texte prévoyait initialement de pouvoir imposer à un détenu, au détriment d’une rencontre en personne, pour sa comparution devant le juge.

Au risque de paraître vaniteuse, j’ai été heureuse des décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans ces deux cas.

En tant que députée, j’ai entretenu des relations courtoises et respectueuses avec mes collègues de l’ensemble des groupes, sans exception. Je garderai cet état d’esprit au Conseil constitutionnel si vous approuvez la proposition qui vous est soumise.

J’ajoute que j’ai eu la chance d’être auditrice de la cinquante-deuxième session de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), ce qui, sans être directement lié aux attributions du Conseil, constitue une ouverture importante sur les enjeux de notre société. Sans être professeure, j’ai par ailleurs enseigné les fondements du droit pendant cinq ans à l’Institut d’études politiques de Paris. Cette expérience pourrait être utile à un futur membre du Conseil constitutionnel, non pas dans ses fonctions juridictionnelles mais dans sa mission d’initiation, qu’a largement développée le président sortant. Je crois en effet qu’il faut aller dans les lycées, les collèges, les universités et les juridictions pour faire connaître la Constitution – que beaucoup de nos concitoyens ignorent – et expliquer combien elle est importante dans la vie de tous les jours.

J’ai encore beaucoup à apprendre et je mesure chaque jour un peu plus la difficulté des fonctions auxquelles je postule ; je ne peux que les aborder qu’avec prudence et humilité.

M. le rapporteur m’a interrogée sur mon impartialité et ma légitimité ; je crois y avoir en partie répondu dans mon propos liminaire. De nombreux mécanismes bien connus des magistrats permettent d’assurer leur impartialité – je pense notamment au déport, que j’ai moi-même pratiqué. Lorsque j’étais avocate générale et conseillère régionale Europe Écologie, j’ai demandé à la Cour d’appel devant laquelle je requérais de renvoyer une affaire mettant en cause un collectif antipublicité – dont je ne connaissais aucun protagoniste – car il me semblait qu’en apparence au moins, mon impartialité aurait pu être contestée. Cela répond à votre question sur la théorie des apparences : il ne suffit pas que la femme de César soit innocente, il faut que chacun en soit convaincu ! Citons aussi les mécanismes de récusation ou de publicité des saisines et des audiences, garants d’impartialité. J’espère que mon parcours professionnel vous aura convaincus de ma légitimité.

Je vous ai également répondu au sujet de la désignation des membres du Conseil constitutionnel. Vous m’avez demandé si je concevais ce dernier comme un contre-pouvoir : lui-même se définit comme un régulateur de l’activité des pouvoirs publics et se juridictionnalise de plus en plus.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Sophie Blanc (RN). Le choix par la présidente de l’Assemblée nationale d’une personne politique proche de son camp pour siéger au Conseil constitutionnel ne peut satisfaire le groupe Rassemblement national. Néanmoins, par respect pour les institutions, nous nous focaliserons non sur votre passé, mais sur la manière dont vous envisagez cette fonction ô combien importante pour notre démocratie. Cela a été dit publiquement, mon groupe, fidèle à sa stratégie d’opposition constructive, attend de vous entendre pour décider de son vote.

Le Conseil constitutionnel a pris des décisions qui, pour beaucoup de Français, ont paru aller au-delà de ses compétences – vérifier la conformité des textes à la Constitution –, à tel point qu’il a pu devenir un véritable constituant. Je pense à sa décision du 6 juillet 2018 consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, dont la portée a véritablement créé du droit constitutionnel sans l’aval du peuple français ni de ses représentants. Je n’imagine pas un seul instant que lorsque le peuple français a approuvé la Constitution le 28 septembre 1958, il imaginait une telle interprétation d’un des mots de la devise républicaine. Considérez-vous que seuls le peuple et le Congrès détiennent le pouvoir constituant ?

Mme Pauline Levasseur (EPR). Je souhaite vous interroger sur la question importante de la recevabilité des amendements parlementaires, notamment lorsque des divergences apparaissent entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Le Conseil constitutionnel a pu censurer des amendements que la présidence d’une commission saisie avait déclarés recevables en application des articles 40 ou 45 de la Constitution. Les présidences des commissions saisies au fond des deux chambres peuvent aussi avoir des interprétations différentes de la recevabilité des amendements – la loi « immigration » a mis en lumière les difficultés qui pouvaient en découler. Selon vous, dans quelles circonstances le Conseil constitutionnel doit-il intervenir pour évaluer les amendements et juger de leur conformité ? La procédure législative pourrait-elle être améliorée afin de réduire les divergences d’interprétation des amendements et de prévenir les censures ? Quel rôle doit jouer le Conseil constitutionnel dans la préservation de l’équilibre institutionnel entre l’Assemblée nationale, le Sénat et l’exécutif s’agissant de la recevabilité des amendements ?

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Vous vous en doutez, La France insoumise ne voit pas d’un très bon œil toutes ces nominations qui dessinent un Conseil constitutionnel extrêmement politisé. Les questions d’indépendance et d’impartialité se posent avec acuité. Je me permets de vous dire en toute courtoisie que vos réponses au questionnaire de M. le rapporteur sont plutôt lisses, attendues et peu convaincantes quand on connaît votre parcours. Quand bien même vous donneriez des gages de bonne volonté, ces nominations politiques présentent un défaut structurel.

Je souhaite vous poser une question précise qui pourrait nous en apprendre beaucoup sur votre conception du rôle du Parlement, de sa fonction de contrôle de l’exécutif et de ses rapports avec le Conseil constitutionnel. En 2020, ce dernier a opéré un revirement important de jurisprudence en se déclarant compétent, en cas de saisine par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), sur des ordonnances non ratifiées intervenant dans le domaine de la loi, une fois le délai d’habilitation expiré. Il en résulte une incertitude quant à la nature juridique des ordonnances, qui semblent avoir valeur de loi même si elles ne sont pas ratifiées. De fait, le Parlement perd tout contrôle sur ces ordonnances, qui constituent en quelque sorte des 49.3 déguisés puisqu’elles font loi sans vote final des parlementaires.

En mars 2024, vous avez cosigné avec le groupe Démocrate un amendement à une proposition de loi constitutionnelle visant à ce que les ordonnances deviennent caduques si elles ne sont pas ratifiées sous dix-huit mois par le Parlement. Qu’en pensez-vous aujourd’hui, à l’heure où le Parlement est très maltraité par le pouvoir exécutif ?

Mme Colette Capdevielle (SOC). Vous avez mené une carrière remarquable dans la magistrature, à des postes clés – ce n’était pas évident à l’époque pour une femme –, faisant preuve d’une indépendance totale face à de redoutables justiciables qualifiés de VIP, dotés de défenses tout aussi redoutables. En cela, vous avez contribué à donner une image très positive de la haute magistrature. J’ai par ailleurs apprécié votre réflexion sur la réforme de la justice pénale, même si les vents ne soufflent malheureusement plus en ce sens.

Vous avez aussi eu un parcours d’élue et de parlementaire. Lors de votre dernier mandat, vous vous êtes opposée à la loi dite Molac sur la protection des langues régionales ; vous avez cosigné un recours devant le Conseil constitutionnel qui a abouti à la censure partielle de ce texte, lequel avait pourtant été très largement adopté par des députés de tous les bords. Il comportait de nombreuses avancées, notamment en ce qui concerne l’enseignement immersif et le financement des écoles. La France compte de multiples et magnifiques langues régionales, qui sont parlées, enseignées et diffusées – il y en a deux dans ma circonscription, le basque et le gascon. Elles font partie de notre patrimoine et risquent de disparaître, ce qui serait une véritable catastrophe. La pratique des langues régionales ne porte aucunement atteinte à la langue française. Quelle est votre position à ce sujet ? Dans votre futur poste, entendez-vous combattre les langues régionales ou plutôt les défendre ?

M. Olivier Marleix (DR). Pour remplir le devoir d’ingratitude que le doyen Vedel assignait aux membres du Conseil constitutionnel, une condition s’impose : la solidité et la fermeté des principes juridiques, un surmoi juridique, si je puis dire, qui protège du ça politique. Tout dans votre carrière de magistrate démontre votre solidité et la force de votre engagement, avec le courage dont vous avez fait preuve dans divers dossiers : l’affaire Elf, les emplois fictifs de la Ville de Paris, les frégates de Taïwan... Quant à votre engagement politique, il traduit indiscutablement une forme d’indépendance d’esprit à l’égard des différentes formations. Pour avoir siégé avec vous à la commission des lois, je peux témoigner de l’indépendance qui vous animait dans nos travaux législatifs.

Vous vous êtes engagée dans la lutte contre la corruption, la prévention des conflits d’intérêts ou encore le renforcement des obligations de transparence. À ce sujet, la loi Sapin 2 a omis, à l’article 25, de citer les membres du Conseil constitutionnel parmi les cibles possibles de lobbying. Faut-il les y inclure ? Les règles de déport et de prévention des conflits d’intérêts semblent manquer de transparence au sein du Conseil. Vous paraissent-elles suffisantes ?

Enfin, un membre du Conseil constitutionnel dont la nomination aurait été validée à une voix grâce à l’abstention massive d’un groupe parlementaire, et qui aurait à juger d’une QPC sur l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité décisive pour le chef dudit groupe, devrait-il prendre part à la délibération ?

M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je souhaite vous poser plusieurs questions de droit.

Pensez-vous que le Conseil constitutionnel doive contrôler au fond les questions soumises à référendum au titre de l’article 11 de la Constitution, ou considérez-vous, comme Richard Ferrand, que la décision Hauchemaille et Meyet du 24 mars 2005 a une portée nulle ? En d’autres termes, rechercherez-vous, comme M. Ferrand, la bienveillance du Rassemblement national ?

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel se sont dits incompétents pour statuer sur le décret de dissolution de l’Assemblée nationale. Si à l’avenir, un président procédait à une nouvelle dissolution sans respecter le délai d’un an prévu à l’article 12 de la Constitution, Conseil constitutionnel devrait-il pouvoir censurer le décret ?

Lors de la dernière réforme des retraites, le Conseil constitutionnel a confirmé que le gouvernement pouvait cumuler plusieurs procédures, comme l’article 47-1 et l’article 49.3, pour accélérer l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Vous semble-t-il opportun de conserver cette jurisprudence qui permet d’entraver et d’escamoter la procédure parlementaire ?

Ma question suivante porte sur l’interprétation des articles 5, 20 et 21 de la Constitution. Pensez-vous qu’en l’état de la pratique institutionnelle, la répartition des compétences entre le président de la République, le premier ministre et le gouvernement respecte le texte de la Constitution ?

Enfin, pensez-vous que le présent de l’indicatif employé dans la Constitution vaut impératif ?

M. Philippe Latombe (Dem). Le groupe Les Démocrates est particulièrement attentif à la hiérarchie des normes et à la capacité de la cour suprême à dire le droit sans être contestée ni livrée à la vindicte populaire. Or le législateur se dispense d’intégrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ses travaux ; il introduit au contraire des dispositions manifestement inconstitutionnelles, charge au Conseil constitutionnel de les annuler ex post en s’attirant les foudres d’une opinion populaire que les parlementaires n’ont pas voulu affronter. Quel regard portez-vous sur cette pratique ?

Par ailleurs, comment intégrerez-vous dans vos futures responsabilités la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 26 septembre 2024, dite Energotehnica, selon laquelle un juge national n’est pas tenu d’appliquer une décision de sa cour constitutionnelle si elle enfreint le droit communautaire ?

Vos réponses intéresseront particulièrement les membres de la commission des lois, qui sont fréquemment confrontés à ces sujets et qui se sentent parfois un peu seuls, en séance, lorsqu’ils tentent de rédiger des dispositions efficaces et constitutionnelles.

M. Xavier Albertini (HOR). Le Conseil constitutionnel a pour mission première de vérifier l’adéquation des lois votées par le Parlement avec la Constitution et le bloc de constitutionnalité – Richard Ferrand a rappelé ce matin qu’il devait s’en tenir à cette unique fonction. Selon la formule consacrée, le Conseil constitutionnel est la gomme, tandis que le législateur est le crayon. Or l’emploi de ladite gomme dans un certain nombre de textes a semé le trouble quant à la vocation première de l’institution. Depuis plusieurs années en effet, le Conseil constitutionnel, tout en étant le garant de la Constitution, devient un nouvel acteur en creux de la rédaction des textes : il se prononce sur la forme plutôt que sur le fond, et se réfugie derrière l’argument des cavaliers législatifs pour censurer les textes qui lui sont déférés. En tant que juriste, magistrate et ancienne députée, êtes-vous en accord avec cette pratique qui extrait en apparence le Conseil constitutionnel du débat politique, mais qui peut aussi conduire à l’accuser d’être partisan ?

À quelle distance le Conseil constitutionnel doit-il se tenir vis-à-vis du débat politique ? Avez-vous des propositions concrètes à formuler pour qu’il revienne à sa mission fondamentale et prenne une hauteur suffisante face aux textes qui lui sont soumis ?

Mme Martine Froger (LIOT). La révision constitutionnelle de 2008 prévoit que tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte. Le Conseil constitutionnel a ignoré cette avancée, ce qui n’est pas anodin pour les députés : il devient difficile de proposer des mesures qui ne collent pas parfaitement à l’objet initial du texte. Cette jurisprudence est injustement restrictive et va à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Constitution. Quelle est votre position à ce sujet, et pourriez-vous défendre un revirement jurisprudentiel ?

Par ailleurs, un nombre croissant de propositions de loi sont soumises au filtre du Conseil constitutionnel. Elles y sont défendues par le gouvernement, tandis que les députés ou les sénateurs peuvent tout juste communiquer des observations par les portes étroites, sans être certains qu’elles seront prises en considération. Pourquoi ne pas permettre aux parlementaires de défendre leurs textes de vive voix devant le Conseil constitutionnel ? Cela paraît encore plus essentiel pour les textes qui ont été adoptés contre l’avis du gouvernement. Seriez-vous favorable à cette évolution ?

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Notre groupe a déposé une proposition de loi constitutionnelle, dont Stéphane Peu est le premier signataire, visant à réformer en profondeur le Conseil constitutionnel et le mode de nomination de ses membres. Nous proposons d’assurer la parité parmi ces derniers et de renforcer leurs compétences et leur expérience juridiques ; trois d’entre eux au moins devraient avoir la qualité de professeur de droit des universités ou avoir exercé au moins dix ans en tant que juges. Étant une femme et ayant été magistrate plus de dix ans, vous partagerez peut-être nos arguments.

Nous demandons également que le président du Conseil constitutionnel soit élu par ses pairs à chaque renouvellement triennal – la toute récente nomination de M. Ferrand conforte notre position. Par souci d’indépendance et de moralité, nous exigeons qu’un ancien membre du gouvernement ou du Parlement ne puisse pas intégrer le Conseil constitutionnel moins de dix ans après la fin de son mandat. Il serait par ailleurs exclu qu’un membre du Conseil ait une condamnation inscrite à son casier judiciaire.

Nous préconisons enfin que des opinions séparées puissent être jointes aux décisions. En tant que magistrate attachée à l’indépendance de la justice, vous y serez probablement sensible.

Que pensez-vous de ces propositions ?

Mme Brigitte Barèges (UDR). L’élection des membres du Conseil constitutionnel est un moment attendu et essentiel pour notre République et notre démocratie. Ce matin, nous avions tous en tête un profil type, gage de transparence : un juriste qui ait de l’expérience et qui présente des garanties déontologiques. Vos réponses au questionnaire du rapporteur et vos propos m’ont assez séduite. Il semble que nous ayons trouvé le profil idéal : une magistrate très expérimentée qui a connu les juridictions civile et pénale, jusqu’à la Cour de cassation ; une ancienne parlementaire et élue locale, qui a l’expérience de la vie. En matière de déontologie, vous aurez certainement moins l’occasion de vous déporter que le candidat précédemment auditionné, qui a accédé à la présidence après un vote extrêmement serré. Ceci me conduit à vous poser une question : accepteriez-vous le poste de présidente du Conseil constitutionnel ? Cela introduirait de la parité dans une institution qui en a bien besoin.

Mme Laurence Vichnievsky. Plusieurs d’entre vous m’ont interrogée sur des décisions que le Conseil constitutionnel a rendues récemment ou pourrait prendre à l’avenir. Je vous répondrai avec la réserve qui m’incombe. J’ai des idées et des convictions personnelles, mais si vous confirmiez la proposition de nomination de la présidente Braun-Pivet, je pourrais être amenée à statuer sur ces sujets, ce qui poserait un problème d’impartialité ou d’indépendance. Je m’exprime devant vous autant que je pense pouvoir le faire, mais je ne pourrai pas me prononcer, par exemple, sur une QPC pendante devant le Conseil constitutionnel. On me reprochait d’ailleurs souvent, lorsque j’étais députée, de ne pas critiquer les décisions de justice : « Maintenant que tu n’es plus magistrate, tu peux y aller ! » Or je suis très attachée à la séparation des pouvoirs, et j’ai gardé mes réflexes de magistrate même au Parlement. J’ai toujours été réservée dans mes critiques des jurisprudences, car j’estime que chacun a son office. On peut ne pas se satisfaire d’une décision du Conseil constitutionnel, mais comme M. Marleix a lancé un jour dans l’hémicycle : « Le constituant, c’est nous ! » C’est vrai. Si le constituant estime qu’il y a matière à réviser la Constitution, pourquoi pas, mais ce n’est pas à moi de le dire.

J’en viens au concept de fraternité, madame Blanc : il me paraît très large et difficile à manier, à tel point qu’on peut s’interroger sur le domaine qu’il recouvre et la prédictibilité des décisions qui en découlent. Je le répète, le constituant, c’est vous, dans le respect de l’article 89 de la Constitution.

Madame Levasseur, votre question sur les cavaliers législatifs et la recevabilité des amendements en rejoint beaucoup d’autres sur ces thèmes. Dans ma réponse au questionnaire adressé par M. le rapporteur, j’ai d’abord fait état de considérations statistiques : la croissance du nombre d’amendements, relatifs à des textes de plus en plus longs, induit mécaniquement une augmentation des cavaliers législatifs. À titre personnel, j’ai souffert de ce phénomène. Peut-être avez-vous jugé ma réponse un peu lisse, mais j’ai indiqué qu’il appartient au Conseil constitutionnel de préserver l’équilibre entre une certaine sobriété législative, marque de la qualité du débat, et le droit d’amendement des parlementaires. J’ai ajouté qu’il m’était souvent arrivé de considérer que, dans cette appréciation, la balance ne penchait pas suffisamment du côté du droit d’amendement. Je suis favorable à une interprétation équilibrée mais soucieuse du droit des parlementaires. En application de la réforme de 2008, l’amendement doit avoir un lien direct ou indirect avec le texte initial, tel que déposé en première lecture, ce qui s’est révélé restrictif dans la pratique, alors que la mesure avait été envisagée comme une ouverture.

Madame Élisa Martin, vous êtes revenue sur l’indépendance et l’impartialité, deux sujets sur lesquels je me suis beaucoup exprimée dans mon propos liminaire et dans mes réponses à M. le rapporteur. Vous avez évoqué Sans instructions, monsieur le rapporteur, ce livre que j’ai « commis » et qui reste un témoignage honnête sans être un chef-d’œuvre. Je crois y avoir démontré que je répondais difficilement aux instructions qui pouvaient m’être données, même si les magistrats du siège, dont je faisais partie en qualité de juge d’instruction, ne sont pas censés en recevoir puisqu’ils sont indépendants. L’indépendance et l’impartialité sont deux traits de caractère liés dont je crois avoir fait preuve dans l’exercice de ma profession de magistrat au cours de laquelle j’ai instruit des affaires de natures très diverses.

Je pense avoir aussi apporté la preuve de mon indépendance dans ma carrière politique qui a commencé aux côtés de Daniel Cohn-Bendit au sein du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV). Alors que j’étais l’un des deux porte-parole nationaux, j’avais écrit une tribune sur la nécessité de payer la dette et sur l’âge de la retraite. Cela n’avait pas du tout plu, et j’avais quitté mes fonctions de porte-parole puis la direction d’EELV quelques mois plus tard. Que j’aie eu tort ou raison, je n’ai pas renié mes convictions et j’ai pris mes distances avec ce parti. En tant que députée, je pense avoir été loyale à mon groupe, mais je n’ai jamais voté contre mes convictions – il faut dire qu’au sein du mouvement auquel j’appartiens encore, il y a un grand respect du vote et de la liberté de vote.

L’indépendance n’est pas une compétence mais un état d’esprit qui ne rend pas toujours la vie facile sur le plan personnel, qui peut être source de mauvaises surprises et de désagréments. Le statut peut aider à garder cet état d’esprit. S’agissant des membres du Conseil constitutionnel, j’observe qu’ils sont nommés pour un long mandat unique. À part être membre du Conseil constitutionnel, ils ne peuvent rien faire d’autre que d’éventuelles études universitaires, ce qui est très bien. À cet égard, la situation me serait très familière puisqu’elle s’apparente à celle que j’ai connue en tant que magistrat. À mon avis, le devoir de réserve est une obligation majeure à respecter. Je revendique de l’avoir fait lorsque j’étais magistrat, et, si vous me faites confiance, je le respecterai en tant que membre du Conseil constitutionnel car c’est aussi une manière de répondre aux critiques d’appartenance partisane.

S’agissant de l’amendement du groupe Dem sur la caducité des ordonnances non ratifiées par le Parlement, je reste fidèle à la position qui était la nôtre.

Madame Colette Capdevielle, je ne peux qu’être sensible à vos propos flatteurs : même si l’on peut entendre les critiques, cela fait du bien de recevoir un peu d’appréciations positives. Vous m’avez néanmoins reproché d’avoir signé un recours avec saisine du Conseil constitutionnel qui avait abouti à la censure partielle de la loi sur les langues régionales. D’emblée, je tiens à vous assurer que je considère les langues régionales comme une richesse de notre patrimoine, inscrites comme telles dans notre Constitution, qui dit aussi que la langue de la République est le français. Or j’observe que le français est en perte de vitesse dans tous les domaines, y compris celui du droit. Dans les instances internationales, les juridictions européennes et même à l’ONU, le français n’est plus vraiment une langue de travail : on n’y parle plus que l’anglais, comme nous avons pu le constater, Jean-Paul Lecoq et moi-même, lorsque nous avons effectué notre mission d’information sur la crise de l’ONU et les perspectives de réformes, en juin 2024. Je suis surtout très attachée à la défense du français, ce qui n’est pas contradictoire avec l’enseignement des langues régionales.

Le recours portait sur un point précis de la loi Molac : l’obligation pour une commune dépourvue d’établissement dispensant un enseignement de langue régionale de prendre en charge le coût des cours pris par les enfants de ses administrés dans une commune limitrophe. Nous nous étions fondés sur la circonstance que l’enseignement des langues régionales n’est pas obligatoire, et nous nous étions trompés : notre recours n’avait pas été validé par le Conseil constitutionnel. Dont acte. Cette démarche ne signifie pas que je suis défavorable à l’enseignement des langues régionales et à leur subventionnement, au contraire. À titre personnel, je souhaite cependant que cela ne se fasse pas au détriment de l’enseignement du français, langue dont l’usage est hélas de plus en plus réduit. Dans le domaine du droit, cette régression est très préjudiciable à nos concepts qui méritent d’être défendus : ils nous éviteraient des contrats de 350 pages qui oublient malgré tout une circonstance imprévisible – le bon père de famille sait bien qu’il ne faut pas mettre le chat dans le micro-ondes. Fermons la parenthèse, mais n’oublions pas que la perte de vitesse du français nous fait perdre aussi une influence dans le domaine du droit.

Monsieur Olivier Marleix, je vous remercie pour vos propos introductifs et je vous félicite pour votre excellente formule sur le surmoi juridique qui protégerait du ça politique. Faut-il étendre les règles concernant le lobbying aux membres du Conseil constitutionnel ? J’y suis favorable, de même que je suis favorable à ce que ses membres remplissent le même type de déclarations que les parlementaires à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Aucune raison ne justifie cette exclusion, le Conseil constitutionnel n’ayant écarté cette obligation de déclaration que pour une raison de forme et non de fond. Les règles de déport et de prévention des conflits d’intérêts vous semblent manquer de transparence et de clarté au sein du Conseil constitutionnel. Elles sont les mêmes dans toutes les juridictions. À défaut de fixer des critères positifs, on peut prévoir un critère négatif comme le fait d’ailleurs le règlement du Conseil constitutionnel puisqu’il dit que la seule circonstance d’avoir participé à l’élaboration d’une loi n’impose pas le déport systématique du membre concerné. En réponse à votre questionnaire, monsieur le rapporteur, j’avais indiqué que l’appréciation devait se faire in concreto, de préférence dans le cadre d’une discussion avec le président et, le cas échéant, avec les autres membres du conseil – on peut manquer d’objectivité quand on décide seul.

Monsieur Jérémie Iordanoff, vous m’avez posé tant de questions que je n’ai pas pu les noter toutes, l’une portant sur le contrôle au fond des questions soumises à référendum au titre de l’article 11. On pourrait en effet déduire de la jurisprudence Hauchemaille qu’un contrôle est possible – ce n’est que mon interprétation et je ne suis pas membre du Conseil constitutionnel. Si vous me faites confiance et si je suis nommée, nous aurons à statuer sur ce point. Il me semble y avoir matière à contrôle, sinon le vide créé pourrait permettre des consultations très critiquées comme les deux référendums du général de Gaulle.

Monsieur Philippe Latombe, vos deux questions portent sur la hiérarchie des normes. Dans la première, vous faites état d’une pratique qui se serait instaurée au sein de l’Assemblée : déposer des amendements manifestement inconstitutionnels en laissant au Conseil constitutionnel la tâche ingrate de les repousser et de s’attirer ainsi les critiques de l’opinion publique. Comment empêcher cette manière de faire que, comme vous, je trouve critiquable ? Je ne vois pas. Il faut définir la notion de manifestement inconstitutionnel, ce qui suppose une appréciation. Quand il y a seulement un risque d’inconstitutionnalité, le député a tendance à déposer son amendement et à attendre la réaction. Quoi qu’il en soit, il n’est pas sain d’instaurer une sorte de bras de fer entre l’Assemblée et le Conseil constitutionnel. Comme toutes nos institutions, ce dernier doit être protégé. La pratique que vous décrivez est à proscrire et il faut maintenir le lien entre le peuple et le Conseil constitutionnel.

Votre deuxième question a trait à la hiérarchie entre le droit européen et le droit national. Il y a toujours eu un hiatus entre la manière dont les cours constitutionnelles des différents pays d’Europe et les juridictions européennes apprécient la hiérarchie des normes. De manière consubstantielle, le droit international ne peut que se penser au-dessus des droits nationaux. Kelsen plaçait la Constitution tout en haut de sa pyramide, mais il n’avait pas connu le développement des normes européennes.

En ce qui concerne la France, cette problématique n’a heureusement que peu d’incidence pratique : depuis 1992, les articles 88 et suivants de notre Constitution énoncent que le traité est supérieur à la loi. La réponse est assez claire. Qu’a dit le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à l’identité constitutionnelle de la France ? Il a dit qu’il ne contrôlait pas les lois de transposition des directives car ce serait indirectement contrôler le droit européen, ce qui ne lui appartient pas. Il a dit aussi que s’il constatait une violation d’un principe de l’identité constitutionnelle de la France et qu’il n’y avait pas de garanties équivalentes dans le droit européen – cela fait beaucoup de conditions –, il se réservait la possibilité de censurer. Le domaine d’application est assez restreint parce que nous avons une certaine communauté d’esprit juridique en Europe, beaucoup de principes communs. Il se réduit au principe de laïcité, qui n’est pas reconnu dans les autres pays européens, et à la délégation de certaines prérogatives régaliennes que je ne vais pas détailler – je fais référence, par exemple, à la décision Air France. Les inquiétudes des juristes français doivent être apaisées.

Monsieur Xavier Albertini, vous avez rappelé une célèbre formule : le Conseil constitutionnel est la gomme ; le législateur est le crayon. Il est certain que depuis 1971 et l’apparition du bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel dispose d’une importante marge de manœuvre. Les principes inscrits dans les lois de la République, antérieurs au préambule de la Constitution de 1946, sont à peu près tous identifiés. Mais les principes à valeur constitutionnelle pourraient s’étoffer car nous vivons dans une société qui reconnaît de plus en plus de droits – reste à savoir s’ils sont ou non opposables. Il faut aussi mentionner les objectifs à valeur constitutionnelle, même s’ils ne peuvent donner lieu à une QPC. Et n’oublions pas les réserves d’interprétation, dont on peut penser qu’elles permettent au Conseil constitutionnel d’empiéter quelque peu sur les prérogatives du Parlement. La décision interprétée aurait peut-être été évacuée par le Parlement si elle lui avait été renvoyée. À titre personnel, je pense qu’il faut manier cette marge d’interprétation avec prudence. Mais le Conseil constitutionnel n’est-il pas prudent par nature ? À mon avis, la formule de la gomme et du crayon ne s’applique tout de même pas complètement.

À quelle distance le Conseil constitutionnel doit-il se tenir des débats politiques ? Comme déjà indiqué, j’estime que l’obligation de réserve est le meilleur moyen d’établir cette distance. Si vous confirmez cette proposition de nomination, il est évident que je quitterai mes amis du Modem et les fonctions que j’exerce au bureau exécutif. Si je ne l’ai pas encore fait, c’est que je ne veux pas préjuger de votre décision. En ce qui concerne le réseau X, je pourrais évoquer d’autres raisons. J’ai toujours fait un usage très modéré de ce réseau, et il y a longtemps que je ne m’y suis pas exprimée. Si cette proposition se concrétisait, je ne m’exprimerais plus sur les réseaux sociaux et je m’astreindrais à un silence médiatique total. Pour moi, c’est une évidence.

Madame Martine Froger, vous avez évoqué la possibilité de permettre aux parlementaires de défendre leurs textes devant le Conseil constitutionnel. Pourquoi pas ? Reste à savoir qui le fera et de quelle manière. On a beaucoup critiqué le Conseil constitutionnel pour le caractère opaque de sa procédure de contrôle a priori. En ce qui concerne la QPC, la procédure est très réglementée et il y a chaque semaine des audiences publiques avec avocats. En revanche, le contrôle a priori s’est longtemps effectué dans un cadre plus confidentiel. Le règlement de procédure, établi récemment, est une avancée qui mérite d’être soulignée. Et surtout, le Conseil entend beaucoup d’intervenants, notamment des parlementaires. Nous sommes passés des portes étroites à des contributions beaucoup plus élargies et publiques. Votre idée est très séduisante et elle mériterait d’être creusée, notamment en ce qui concerne sa mise en œuvre et le choix des parlementaires qui iraient défendre un texte.

Madame K/Bidi, la proposition de loi constitutionnelle de M. Peu est assez prudente puisqu’il s’agit, selon ses termes, de « s’efforcer de respecter la parité entre les femmes et les hommes ». Cela étant, je partage complètement l’objectif de la parité.

Les critères de compétence et d’expérience que vous proposez de retenir pour trois des membres du Conseil constitutionnel me paraissent difficiles à appliquer puisque les propositions de nomination émanent de trois autorités distinctes.

Il ne me paraît pas imaginable, eu égard à la répartition des pouvoirs, que la Cour de cassation se voie reconnaître la compétence d’examiner un recours formé contre la nomination d’un membre du Conseil constitutionnel.

Je ne suis pas opposée par principe à l’élection du président du Conseil constitutionnel par ses pairs mais cette procédure n’appartient pas à notre tradition juridique. Elle a cours dans les juridictions internationales car c’est la seule manière possible d’en désigner le président parmi les candidats présentés par les États.

Vous proposez que l’on ne puisse pas être nommé membre du Conseil constitutionnel lorsqu’on a exercé une fonction ministérielle ou un mandat parlementaire au cours des dix dernières années. Pourquoi retenir une période de dix ans, et non de cinq ou de trois ans ? Il me semble préférable de s’en remettre à l’appréciation des commissions parlementaires, en modifiant peut-être la proportion de suffrages favorables requise.

Je suis d’accord avec vous quant à la nécessité de ne pas avoir fait l’objet de condamnation.

Quant à la possibilité d’exprimer des opinions dissidentes, j’ai un point de vue un peu différent de celui de la majorité des membres actuels et anciens du Conseil constitutionnel, ainsi que, sans doute, de la majorité de la doctrine. En ma qualité d’ancien juge, j’estime qu’il n’est pas possible de publier des opinions dissidentes au sein des juridictions françaises – en dehors du Conseil constitutionnel – car les décisions rendues concernent des personnes. Les décisions du juge constitutionnel portent, quant à elles, sur des principes, même si, du fait de la QPC, elles concernent aussi, de manière croissante, des personnes – ma position est donc susceptible d’évoluer.

L’argument de la confidentialité ne me paraît pas pertinent. La publication d’une opinion dissidente présenterait à mes yeux l’intérêt de favoriser la transparence du délibéré, de permettre des évolutions jurisprudentielles – car cela susciterait un débat, notamment au sein de la doctrine – et, surtout, de montrer que le Conseil constitutionnel statue en droit et non en fonction de considérations politiques – ce qui mettrait un terme à beaucoup de critiques dirigées contre l’institution. En même temps, j’entends la position de ceux qui estiment que la collégialité et le secret du délibéré vont ensemble et que cela protège les juges. On entend dire aussi que, dans le cadre du contrôle a priori, l’expression d’opinions dissidentes s’apparenterait à une troisième chambre de discussion, ce qui n’est pas possible. La réflexion sur le sujet n’est pas mûre. Il faut être prudent et continuer à en discuter.

M. Jean-François Coulomme, rapporteur. En vertu de la Charte de l’environnement, qui appartient au bloc de constitutionnalité, « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Or de nombreuses dispositions de projets et de propositions de loi en discussion enfreignent manifestement cette disposition. C’est le cas, par exemple, du projet de loi agricole, qui autorise l’épandage de produits chimiques sur des parcelles voisines. Ce texte met en opposition plusieurs droits fondamentaux : le droit d’entreprendre, le droit de propriété, le droit de l’environnement, le droit à la libre expression, le droit de manifester, le droit à vivre dans un environnement sain. Si vous deviez vous pencher sur ce texte, à quels principes donneriez-vous la priorité ?

Lorsque vous avez été interrogée sur la question de l’impartialité et de l’indépendance, vous avez affirmé que vous ne vous étiez jamais départie de vos convictions. Comment pouvez-vous affirmer que votre mission ne sera pas éminemment politique puisqu’elle vous conduira à articuler des convictions et des valeurs ?

M. Jonathan Gery (RN). Si l’article 24 de notre Constitution dispose que « Le Parlement vote la loi », il arrive fréquemment que le Conseil constitutionnel se substitue au législateur. Ainsi, ces dernières années, le Conseil a interprété très restrictivement la notion de « lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », qui conditionne la recevabilité des amendements en vertu de l’article 45 de la Constitution. Ce faisant, il a restreint passablement le droit d’amendement des parlementaires. Autre illustration : par la décision du 28 mai 2024, qui inclut les étrangers en situation irrégulière dans le champ des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, le Conseil constitutionnel s’est octroyé un pouvoir législatif que les parlementaires n’auraient pu exercer du fait de l’article 40 de la Constitution. Considérez-vous que le Parlement a le monopole du vote et donc de la modification de la loi ?

Mme Béatrice Roullaud (RN). Si la Constitution ne l’affirme pas explicitement, le peuple français considère que les membres du Conseil constitutionnel doivent, comme tout juge, donner l’apparence de la neutralité. Le Conseil constitutionnel est garant de la conformité de la loi à la Constitution : il assume une tâche technique, juridique, qui devrait exclure toute appréciation politique. Une partie des Français considèrent qu’il n’est pas normal de conférer autant de pouvoir à une personne qui, comme vous, n’est pas élue. La manière dont vous pourriez exercer vos fonctions déterminera en partie notre vote. Par le passé, des membres du Conseil constitutionnel ont pris publiquement des positions politiques, y compris pendant les campagnes électorales, ce qui a contribué à accroître la défiance d’une partie des Français envers l’institution. Envisagez-vous de respecter, dans le cadre de vos prises de parole publiques, cette apparence de neutralité ?

M. Stéphane Mazars (EPR). Pour avoir travaillé avec vous au sein de la commission des lois entre 2017 et 2022, je peux témoigner de votre expertise juridique et de votre indépendance, qualité que vous avez notamment manifestée à l’occasion de la défense de grands principes de notre État de droit, auxquels je vous sais très attachée. Comment concilier ces grands principes avec les évolutions légitimes de la société ? Quel avis portez-vous sur la présence de droit des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Vous n’avez pas vraiment répondu à Mme Martin au sujet des ordonnances non ratifiées par le Parlement, auxquelles le Conseil constitutionnel a reconnu valeur législative. Depuis cette décision, on ne nous soumet plus aucune ratification. Êtes-vous prête à soutenir un changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel et à revenir sur cette décision ? Pour nous prononcer sur votre nomination, nous avons besoin de connaître les grandes directions que vous comptez suivre. Lors du débat sur la réforme des retraites, les parlementaires ont été empêchés de discuter et de voter par l’usage concomitant et abusif de plusieurs articles de la Constitution. Ne pensez-vous pas que le Conseil constitutionnel devrait s’opposer à cet ordre public parlementaire au nom des principes de sincérité et de clarté des débats ?

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). En 2020, vous aviez soutenu, si ma mémoire est bonne, la proposition de loi de Mme Braun-Pivet qui visait à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes, laquelle a été intégralement censurée par le Conseil constitutionnel. Comment peut-on prétendre être juge constitutionnel lorsqu’on a soutenu des dispositions ouvertement inconstitutionnelles ?

En 2023, vous aviez voté la loi immigration, dont l’article 81 supprimait le droit du sol en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte. À l’époque, vous aviez écrit le tweet suivant : « Avec nombre de parlementaires de la majorité présidentielle, je souhaite que la commission mixte paritaire soit conclusive. Parce que c’est l’intérêt du pays que le Parlement légifère sur un sujet aussi important quand la voie du référendum a été écartée ». Si vous êtes nommée, vous allez être amenée à vous prononcer sur la loi qui met fin au droit du sol à Mayotte. Vous déporterez-vous de cette affaire ? Si, par malheur, l’extrême droite arrivait au pouvoir en 2027, valideriez-vous un référendum sur l’immigration ? Vous déporteriez-vous également ?

Lors de l’élection du président de l’Assemblée, vous avez écrit : « La personnalité d’André Chassaigne n’est pas en cause mais Mme Braun-Pivet est désormais la mieux placée pour faire barrage à l’extrême gauche. » Lorsqu’on est magistrat, ne devrait-on pas lire les décisions du Conseil d’État ?

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Le 19 décembre 2023, vous avez voté la loi immigration, alors que près de 40 % des membres de votre groupe, MODEM et indépendants, se sont abstenus ou ont voté contre. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait assumé, devant l’Assemblée, le fait que cette loi était manifestement inconstitutionnelle. Quelques mois plus tard, le Conseil constitutionnel a logiquement censuré trente-cinq des quatre-vingt-six articles de la loi. Comme vous l’avez rappelé, vous votez toujours conformément à vos convictions. Or vous vous êtes prononcée en faveur d’un texte que vous saviez inconstitutionnel. Pourquoi devrions-nous aujourd’hui faire confiance à votre capacité à défendre les droits et libertés, ainsi que les principes de notre Constitution ?

Mme Laurence Vichnievsky. Monsieur le rapporteur, je crois avoir déjà répondu à votre question relative à l’impartialité et aux convictions. Le droit de l’environnement exigerait des développements trop longs eu égard au temps que M. le président m’a imparti. La tâche du juge, qu’il s’agisse du juge judiciaire ou du juge constitutionnel, consiste souvent à concilier des intérêts légitimes, juridiquement protégés mais souvent opposés. Le Conseil constitutionnel, à l’instar du Conseil d’État, prend ses décisions en respectant trois principes : la nécessité, la proportionnalité et l’adéquation.

Monsieur Gery, il me semble aussi avoir déjà répondu à votre question.

Madame Roullaud, j’ai déjà apporté des réponses au sujet de l’apparence de neutralité. J’ai pris pour exemple la pratique du déport que j’ai respectée lorsque j’étais magistrat judiciaire. Ce sont des questions qui s’apprécient in concreto. Les mécanismes juridiques existants ainsi que le statut des membres du Conseil constitutionnel permettent de répondre à ces difficultés.

Monsieur Mazars, le questionnement des grands principes par la société exigerait des développements dans lesquels je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer. Un projet de révision constitutionnelle devait mettre fin à la présence de droit des anciens présidents au sein du Conseil constitutionnel. Si cette présence peut apporter beaucoup, force est de reconnaître qu’elle est le fruit de circonstances historiques et qu’on ne la trouve pas dans les autres grandes démocraties. Peut-être faudra-t-il y mettre un terme.

Monsieur Bernalicis, je ne peux que vous inviter à légiférer. Par le passé, il est arrivé au constituant de réviser la Constitution pour modifier une jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je n’élude aucune question mais j’estime qu’il y a une limite à ce que je peux affirmer aujourd’hui. Pour ce qui concerne l’ordre public parlementaire, chacun exerce son office.

Madame Cathala, je n’étais pas favorable à la proposition de loi visant à appliquer des mesures de sûreté à l’issue de l’exécution de la première peine : je me suis exprimée à plusieurs reprises à ce sujet. Je vous renvoie aux débats. Quant à la loi sur l’immigration, je ne pense pas – mais c’est là une interprétation personnelle – qu’elle mette fin au droit du sol : elle impose des adaptations qui sont prévues par la Constitution. Enfin, je ne peux pas répondre à la question relative à la validation d’un référendum sur l’immigration, pour les raisons que j’ai indiquées.

Monsieur Duplessy, je suis désolée mais j’ai omis de noter votre question.

M. le président Florent Boudié. Je vous remercie pour vos réponses. Je vous invite, ainsi que le public, à quitter la salle afin que la commission puisse statuer.

La réunion est suspendue de seize heures cinquante-cinq à dix-sept heures quinze.

À l’issue de cette audition, délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du Règlement, sur cette proposition de nomination.

 Nombre de votants : 65

 Blancs, nuls: 15

 Suffrages exprimés : 50

 Avis favorables : 28

 Avis défavorables : 22

La commission donne donc un avis favorable à cette proposition de nomination.

 

La séance est levée à 17 heures 20.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Ugo Bernalicis, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, M. Manuel Bompard, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, M. Emmanuel Duplessy, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Marc de Fleurian, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Harold Huwart, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Kasbarian, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Vincent Ledoux, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, Mme Christine Loir, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Sylvain Maillard, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Louise Morel, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Sandrine Nosbé, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Sébastien Peytavie, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, M. Jiovanny William

Assistaient également à la réunion. - Mme Anne Bergantz, M. Moerani Frébault, M. Steevy Gustave, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, M. Olivier Serva