Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) 2
Mercredi
5 mars 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 43
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 9 heures 05.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine les articles de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, nous entamons l’examen des articles de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Hier, nous avons procédé à la discussion générale en présence de MM. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, ministres d’État.
À l’issue de l’examen des deux premiers articles du texte, nous procéderons à l’examen, dont il a été décidé qu’il serait prioritaire en raison de leur importance, des amendements CL471 du gouvernement et CL576 du rapporteur Vincent Caure, portant article additionnel respectivement à l’article 23 et à l’article 23 quater, annoncés dans les médias par le garde des sceaux. Leur teneur a été dévoilée lors d’une rencontre à la Chancellerie à laquelle étaient conviés les membres de la commission, toutes sensibilités confondues.
TITRE Ier
ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Article 1er (art. L. 121-1 [nouveau] et art. L. 822-3 du code de la sécurité intérieure) : Création d’un service chef de file en matière de lutte contre la criminalité organisée
Amendement CL94 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). C’est un amendement d’appel. La commission des lois du Sénat a tenté une rédaction ambitieuse, bien qu’imparfaite, de l’article 1er, visant à donner à l’Office français antistupéfiants (Ofast) un rôle clé de coordination de la lutte antistupéfiants. En séance publique, le gouvernement a repris la main et confié au pouvoir réglementaire le soin de décider quel service sera chef de file.
Lors de l’examen du texte en séance publique, nous formulerons des propositions de rédaction de l’article 1er. Dans l’immédiat, nous souhaitons alerter sur deux points : la nécessité, pour le Parlement, de se saisir de cette question et de ne pas la renvoyer au pouvoir réglementaire sans encadrer strictement une telle délégation ; l’importance du rôle de l’Ofast, bien que son champ de compétence ne couvre pas toute la criminalité organisée.
M. Roger Vicot, rapporteur. Le périmètre que vous proposez est plus réduit que celui de la proposition de loi, qui vise la criminalité organisée. La mission de l’Ofast est strictement limitée à la lutte contre les stupéfiants. La proposition de loi vise à créer un état-major de la lutte contre la criminalité organisée. Je perçois la finalité de l’amendement, mais j’en suggère le retrait et émets à défaut un avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement présente l’intérêt de nous ramener au cœur de la proposition de loi, annoncée comme visant à lutter contre le narcotrafic et ciblant finalement la criminalité organisée. En la matière, le chef de file est l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO). Dès lors, à quoi bon cette discussion ? Ne s’agit-il pas d’un plan de communication des ministres ?
Si l’idée est de traiter sérieusement le sujet, je rappelle qu’il est inutile de se concentrer sur la lutte contre les stupéfiants, les méthodes criminelles n’étant pas l’apanage des trafiquants de drogue, bien au contraire, surtout lorsqu’il s’agit de blanchir leurs gains. Ce volet de la lutte est confié à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). On a organisé la lutte de façon empirique en essayant de correspondre au plus près à l’organisation des criminels.
De plus, l’article 1er inscrit dans la loi des dispositions d’ordre réglementaire – dans d’autres circonstances, l’article 45 de la Constitution l’aurait empêché.
Les choses commencent mal : dès son premier article, la proposition de loi se révèle inefficace, voire dangereuse.
L’amendement est retiré.
Amendement CL268 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Il vise à insérer, à l’alinéa 3, le mot « interministériel » après le mot « service ».
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. Ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant, dans le cas d’espèce en l’écrivant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Inventons ensemble l’eau tiède en mélangeant un peu d’eau chaude et un peu d’eau froide ! Les offices centraux, notamment l’OCLCO, sont par nature interministériels. Affirmer que les choses fonctionnent comme elles fonctionnent, telle est la plus-value de l’article 1er !
Si leur fonctionnement interministériel n’est pas satisfaisant, il faut nous présenter les problèmes pour que nous nous penchions sur eux. Ceux qui l’ont fait savent que certains organes centraux émanent de la gendarmerie, d’autres de la police, d’autres encore des douanes, et que ces services y sont inégalement présents en conséquence. La dimension interministérielle n’y est donc pas aussi assurée qu’on le croit, car elle suppose de faire travailler les gens ensemble. Y remédier n’appelle aucune loi, mais de la volonté politique.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL399 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’article 1er vise à assurer la coordination opérationnelle de la lutte contre le narcotrafic en confiant son pilotage à un chef de file. C’est sans doute utile, sous réserve que chacun soit à sa place. Or l’alinéa 6 dispose, s’agissant de cet état-major : « Il organise les échanges d’informations utiles à l’accomplissement de leurs missions, y compris par l’accès à des traitements informatisés de données, dans des conditions garantissant notamment la confidentialité de leurs échanges. »
Quelles sont ces conditions ? Avec une telle rédaction, nous ignorons tout des garanties pourtant fondamentales et indispensables dans un tel texte de loi. Précaution valant sagesse, nous proposons de supprimer les mots « , y compris par l’accès à des traitements informatisés de données, dans des conditions garantissant notamment la confidentialité de leurs échanges ». Cette rédaction est trop vague. Il s’agit de cantonner l’état-major, comme il se doit et pour des raisons d’efficacité, à son rôle premier d’échange d’informations et de coordination.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je partage les interrogations de M. Amirshahi, non sans lui rappeler que le gouvernement a indiqué travailler à une nouvelle rédaction de l’alinéa 6 en vue d’y insérer les garanties nécessaires. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous remercie de votre proposition et vous en fais une autre : adoptons l’amendement et étudions ensemble la proposition de rédaction du gouvernement d’ici l’examen du texte en séance publique. Ainsi, si elle ne nous satisfait pas, nous aurons une rédaction qui nous convient.
M. Michaël Taverne (RN). L’article 1er est purement d’ordre réglementaire. Pour en débattre, il faut distinguer la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et la direction générale de la police judiciaire (DGPJ) prévue par la réforme de la police judiciaire. Dès lors que celle-ci introduit un cloisonnement départemental, faire d’un service de la DNPJ le chef de file de la lutte contre le narcotrafic ne servira strictement à rien : il n’y aura pas plus de policiers sur le terrain et les services relèveront de la direction interdépartementale de la police nationale (DIPN).
Il est plus que jamais nécessaire d’aller au-delà de la DNPJ pour créer une DGPJ, que le ministre a comparée à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), arguant qu’il faut lutter contre le narcotrafic comme nous luttons contre le terrorisme. Le directeur de l’Ofast ne dit pas autre chose. Il faut créer une DGPJ coordonnant les services de police judiciaire par-delà le cloisonnement départemental. Nous aurons l’occasion d’aborder ce sujet en séance publique.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La série « Inventons ce qui existe déjà » continue. Pour fonctionner, l’état-major envisagé devra collecter du renseignement sur le crime organisé, notamment auprès des services déconcentrés. Telle est la mission du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco), rattaché à la DNPJ. Quant à l’accès aux systèmes de traitement informatisé, les policiers ont tout ce qu’il leur faut sous la main. Je me réjouis que nous passions du temps, à l’Assemblée nationale, à inventer un service créé en 2009.
M. Sébastien Huyghe (EPR). L’article 1er vise à encadrer la rédaction d’un décret en Conseil d’État, non à le rédiger en détail. L’amendement n’a aucun intérêt.
M. Roger Vicot, rapporteur. Sensible à la force de persuasion de M. Amirshahi, qui n’est plus à démontrer, j’émets un avis favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL1 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il vise à affecter deux magistrats au sein du service qui assurera le chef de filat de la lutte contre la criminalité organisée. Il règne une certaine défiance entre l’autorité judiciaire et certains offices centraux ayant fait preuve de velléités d’émancipation. L’Ofast a notamment été créé parce que l’office central qu’il a remplacé avait pris des mesures qui n’étaient pas de nature judiciaire sans en avertir les magistrats.
Ce qui fait la force de l’Office national antifraude (Onaf) de Bercy et explique que ce service a toujours bien fonctionné, c’est la présence à sa tête d’un magistrat détaché, qui fait notamment le lien avec l’autorité judiciaire et s’assure que les techniques mises en œuvre, souvent exorbitantes du droit commun, s’inscrivent dans le cadre de la loi. L’amendement vise à s’inspirer de ce modèle, sans préjudice de l’amélioration de sa rédaction d’ici l’examen du texte en séance publique.
M. Roger Vicot, rapporteur. Le format envisagé pour le chef de file de la lutte contre la criminalité organisée est l’état-major placé auprès de la DNPJ. Il a été proposé de préciser sa vocation interministérielle. L’idée de lui associer des magistrats est tout à fait intéressante, à une réserve près, signalée par le Gouvernement : il n’est pas certain qu’il soit opportun de prévoir leur désignation par le président du tribunal judiciaire de Paris. Nous pourrons préciser ce point lors de l’examen du texte en séance publique. Avis favorable.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Nous poursuivons le détricotage du texte en le compliquant. Nous manquons de policiers et de magistrats. C’est d’ailleurs le problème que posera cette loi : si clairs que soient les objectifs affichés, nous continuerons de manquer cruellement de moyens. L’idée générale est d’être plus rapide grâce à la création d’un guichet unique interministériel. Ajouter des éléments nuira à l’efficacité du texte lorsqu’il s’agira de l’appliquer.
M. le président Florent Boudié. Factuellement, la seule difficulté que soulève l’amendement ressortit à la désignation des magistrats. Leur présence, elle, est acquise.
Mme Colette Capdevielle (SOC). À rebours des propos de notre collègue Barèges, je félicite nos collègues qui ont travaillé sur ce texte issu du Sénat, ainsi que ses rapporteurs, pour nous permettre de l’améliorer. La commission des lois de l’Assemblée nationale n’est pas une chambre d’enregistrement. Nous faisons notre travail de législateurs, n’en déplaise à ceux qui voudraient que nous avancions plus rapidement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je souscris à l’idée que la présence de deux magistrats renforcera la qualité du service. La question qui se pose est en effet de savoir qui les nommera. Toutefois, cette disposition, comme d’autres, soulève la question du caractère opérationnel de la proposition de loi, dans la mesure où elle sera appliquée à moyens constants. Je crains que les magistrats ainsi détachés ne soient soustraits à d’autres missions, faute de moyens supplémentaires.
M. le président Florent Boudié. Je ne pense pas que le texte sera appliqué à moyens constants.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’aurais aimé pouvoir décider des moyens, en votant le budget ou en le censurant, mais cela n’a hélas pas été possible. Par principe, les magistrats travaillent en étroite collaboration avec les offices centraux. La question est de savoir s’ils le feront depuis le palais de justice, où ils auront les informations que l’on voudra bien leur donner, ou sur place, assumant leur rôle. En matière judiciaire, l’autorité judiciaire prime sur le chef de la police. Ce n’est pas M. Retailleau qui décidera où aura lieu une descente de police parce qu’il aura vu un truc à la télé.
Par ailleurs, nous prévoyons deux magistrats pour assurer la continuité de leur action, si l’un d’entre eux est malade ou absent. L’idée est que tout soit fait sous le contrôle de l’autorité judiciaire, d’autant plus que nous nous situons dans le haut du spectre, particulièrement délicat à de nombreux titres.
Mme Elsa Faucillon (GDR). S’agissant des moyens, l’audition des ministres nous laisse sur notre faim. Or le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier fait état de la nécessité absolue d’abonder nos services publics face à la montée en puissance du narcotrafic. Les magistrats ne sont pas les seuls concernés : nous avons 16 000 douaniers, contre 48 000 en Allemagne.
La question des moyens est au cœur de l’affrontement que nous devons mener. Nous pouvons adopter tous les beaux amendements et articles que nous voulons – et, bien sûr, nous allons y travailler –, sans moyens significatifs, cela ne vaut pas mieux que baisser les bras.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL189 de Mme Estelle Mercier
Mme Estelle Mercier (SOC). Il vise à insérer un alinéa disposant que l’Ofast remet chaque année à la représentation nationale un rapport sur l’adéquation entre les moyens juridiques, matériels et humains qui lui ont été conférés et les missions dont il a la charge. Dans un rapport publié en novembre 2024, la Cour des comptes indique que l’Ofast travaille très bien mais manque cruellement de moyens et de personnel spécialisé. L’amendement a deux objectifs : assurer l’adéquation entre les moyens et les missions de l’Ofast, d’autant que la réforme de la police judiciaire n’a pas été totalement digérée ; renforcer la mission de contrôle des parlementaires s’agissant de la lutte contre le narcotrafic.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable, à cette réserve près qu’il faut confier la rédaction d’un tel rapport au nouvel état-major. Je suis très favorable à tout ce qui améliore notre information sur les moyens financiers, matériels et humains qui lui sont accordés, dans le cadre du bleu budgétaire ou dans un autre cadre.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le texte tend à fixer des objectifs prioritaires à la justice, notamment par la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Or les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ont d’autres missions que la lutte contre le trafic de stupéfiants. Elles sont spécialisées dans les affaires complexes, notamment la fraude fiscale. En 2021, le ministre de la justice a diffusé une circulaire visant à répartir les tâches, d’autant que certaines attributions du parquet national financier (PNF) et des Jirs se recoupaient.
Si vous dites aux Jirs de lutter prioritairement voire exclusivement contre le trafic de stupéfiants, désigné comme le grand danger, alors vous réduirez les moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale, ce qui pose problème dans la mesure où son produit finance la justice et la police. Si on ne donne pas à la justice les moyens de faire ce qu’on lui demande de faire, on a des problèmes. Cela donne des textes assez mauvais, comme celui que nous examinons, qui ont pour effet de limiter les droits au motif que la justice manque de moyens et ne travaille pas assez vite. Si l’on ne met pas les moyens en face des priorités politiques, les droits en pâtissent, ce qui pose problème pour des gens qui les défendent.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Nous pouvons discuter à l’infini des moyens, ils n’en relèveront pas moins de la loi de finances. Hors de ce cadre, en parler est sans objet.
Quant aux rapports si souvent demandés par voie d’amendement, ils me semblent présenter moins d’intérêt qu’une mission d’information menée un an après l’entrée en vigueur de la loi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous pouvons faire autant de plans Marshall que nous le souhaitons, si nous ne les dotons pas de moyens significatifs, à la hauteur des ambitions affichées par la communauté nationale tout entière, confrontée au danger majeur qu’est le narcotrafic, alors il ne s’agira que de coups de menton et d’opérations de communication sans vertu opérationnelle.
Par ailleurs, cette façon de fabriquer la loi – dont nous avons récemment fait l’expérience lors de l’examen de la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents – consistant à débattre d’une transformation de notre organisation législative et des droits fondamentaux ou des moyens de certaines de nos institutions sans avoir préalablement obtenu un rapport sérieux pour éclairer de lourdes décisions, pose problème. Je recommande à notre collègue qui déplore que l’on demande des rapports de mettre un peu moins de désinvolture dans sa critique. Les rapports ne sont pas uniquement de la paperasse. Ils permettent d’éclairer des décisions importantes. Nous délibérons au nom du peuple français, guidés non seulement par nos convictions, mais aussi par la connaissance des faits.
Enfin, je considère comme nos trois rapporteurs qu’il faudra tôt ou tard vérifier l’adéquation entre une ambition politique sérieuse et les moyens qui lui sont alloués, faute de quoi nous désespérerons les services de justice et de police ainsi que les quartiers concernés par ces lourdes difficultés.
M. le président Florent Boudié. Nous parlons longuement d’un amendement qui se contente de demander à l’Ofast, ce qui est original, d’informer directement la représentation nationale, pas même sous forme d’un rapport, mais par une simple information.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je ne peux pas laisser dire que la question des moyens nous échappe. Il n’est pas normal que, législateur, nous soyons amenés à voter des lois sans les moyens qu’elles impliquent, qui plus est sous le regard de la population.
Hier, nous avons demandé aux ministres comment les assistants spécialisés en matière économique et financière seront affectés auprès des juridictions concernées. Nous n’avons pas eu de réponse. Nous les avons également interrogés sur la programmation des moyens nécessaires, sans en obtenir davantage, pas même les grandes lignes.
Dans ma circonscription de la Sarthe, au Mans, les forces de police sont en sous-effectif de trente personnes. Comment pourront-elles assurer de nouvelles missions sans moyens supplémentaires ? Il est normal que la représentation nationale demande à être éclairée pour prendre des décisions.
M. le président Florent Boudié. Je n’en disconviens pas. En l’espèce, c’est un peu comme si nous demandions à la DNPJ d’informer elle-même la représentation nationale : je maintiens qu’une telle demande est assez baroque. En revanche, un rapport émanant de l’État sur les moyens mis à disposition de l’Ofast aurait toute sa pertinence.
M. Michaël Taverne (RN). Il est effectivement cocasse de demander des rapports sur les moyens lorsque, comme nos collègues de gauche – écologistes notamment –, on ne vote ni la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), ni la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, ni même la loi de programmation militaire, alors que ces textes accordent des moyens supplémentaires ! (Protestations parmi les députés du groupe LFI-NFP.) Est-ce qu’on pourrait se respecter les uns les autres ? Ça changerait un peu de l’extrême gauche !
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, seul M. Taverne a la parole. Nous allons passer beaucoup de temps ensemble cette semaine ; il serait préférable que ce soit dans le respect mutuel.
M. Michaël Taverne (RN). Il faut être cohérent. On peut demander des rapports sur la bonne affectation des crédits dans les services opérationnels mais, dans ce cas, la moindre des choses est de voter les budgets alloués à nos policiers, à nos gendarmes, à nos magistrats ou à nos militaires.
M. le président Florent Boudié. Je vous invite de nouveau, chers collègues, à faire preuve de courtoisie républicaine.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL507 de Mme Catherine Hervieu
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vise à garantir que les acteurs locaux – conseils départementaux, communes, intercommunalités et associations – seront informés de façon plus transparente s’agissant des politiques publiques de lutte contre le narcotrafic, notamment du déploiement des moyens alloués dans chaque territoire. La Cour des comptes a d’ailleurs souligné l’absence d’un tableau de bord montrant clairement ces éléments en ce qui concerne l’Ofast.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL269 de M. Paul Molac et CL313 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
M. Paul Molac (LIOT). La commission des lois du Sénat a voulu simplifier les transmissions de renseignements entre les services dits du premier et du second cercles ; elle a ainsi supprimé l’obligation d’obtenir une autorisation préalable du premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), lorsque la transmission se fait pour une finalité différente de celle qui avait justifié le recueil. L’article 1er fait ainsi disparaître une garantie procédurale essentielle.
Rappelons que lorsque la transmission de renseignements entre services a été étendue par la loi de 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) n’a validé le dispositif qu’en raison de fortes garanties procédurales prévues dans la loi.
Nous proposons donc de revenir sur la simplification prévue.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous proposons effectivement la suppression des alinéas 7 à 11, afin de ne pas affaiblir les garde-fous établis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je fais une analyse différente du texte. L’allégement des procédures de contrôle ne remet pas en cause les procédures d’autorisation des techniques de renseignements en elles-mêmes. Avis défavorable.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’argument de l’allégement et de la simplification a été largement utilisé au Sénat. Or l’existence de bornes est essentielle dans le renseignement, et gage de confiance. L’importance de l’autorisation du premier ministre a été rappelée dans nombre d’auditions, dont celle des services de renseignement. La supprimer, sous couvert de simplification, pourrait conduire à terme à se passer de l’avis systématique du premier ministre – en d’autres termes, à ajouter du flou au flou. Il me semble que ce n’est pas l’objectif du législateur. Il serait regrettable que de tels ajouts du Sénat, dont beaucoup sont problématiques et certains à la limite de la constitutionnalité, remettent en question la confiance accordée à un texte dont certains dispositifs, par ailleurs, sont nécessaires.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous parlons certes de la transmission de renseignements, et non de la première autorisation de mise en œuvre, mais des garde-fous successifs sont utiles s’agissant de techniques aussi intrusives. La presse a relaté des problèmes récents survenus au sein des services du premier ministre chargés de contrôler les autorisations préalables – et l’absence, parfois, d’un réel contrôle…
M. Roger Vicot, rapporteur. Ce qui est important, c’est ce qui encadre la mise en œuvre des techniques de renseignement : les autorisations initiales de mise en œuvre. Or celles-ci sont maintenues. Je reste donc défavorable à l’amendement.
M. Sacha Houlié (NI). L’inquiétude de nos collègues Molac et Faucillon peut sembler légitime. Rappelons toutefois que la procédure prévoit une autorisation par la CNCTR et, en cas de refus de celle-ci, un recours devant une chambre spéciale du Conseil d’État. Et précisons ce dont on parle : si un renseignement obtenu par la DGSI dans le cadre de la lutte contre le terrorisme permet d’établir que des réseaux de financement ont également financé le trafic de stupéfiants, il mérite d’être transmis aux douanes ou à Tracfin. Même si elles peuvent conduire les parlementaires, chargés de la garantie des libertés, à s’interroger, les mesures prévues par l’article 1er ont un caractère opérationnel et trouvent tout leur sens dans le texte.
M. Jocelyn Dessigny (RN). L’article 1er vise simplement à donner un cadre juridique à des transmissions d’information qui sont nécessaires pour que les services de renseignement puissent travailler et pour que les criminels, une fois arrêtés, puissent être poursuivis en justice. Il ne faut donc pas supprimer les alinéas 7 à 11. Ce dont il est question ici, ce ne sont pas les droits fondamentaux de chaque Français mais le recueil d’informations au sujet de criminels qui ne respectent pas la loi, qui tuent des enfants, qui mettent des femmes sur les trottoirs et qui commettent leurs méfaits partout en France !
La commission rejette les amendements.
Amendement CL270 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Cet amendement de repli propose l’ajout d’une garantie : lorsque les transmissions de renseignements collectés ont une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil, le premier ministre et la CNCTR en sont informés sans délai et par tout moyen. En outre, le premier ministre peut ordonner à tout moment qu’elles soient interrompues et que les renseignements collectés soient détruits par le service destinataire.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements CL503 et CL506 de Mme Catherine Hervieu
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous demandons que le gouvernement fournisse à la représentation nationale et à nos concitoyens, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, des éléments d’information permettant de suivre les politiques de lutte contre le narcotrafic. Le document de politique transversale (DPT) dédié à la politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives doit détailler les étapes de mise en œuvre de la Lopmi, notamment la répartition des moyens prévus ou nouveaux, afin de rendre compte de l’application du volet répressif de la lutte contre le narcotrafic et de l’activité des structures qui le pilotent.
M. Roger Vicot, rapporteur. Une plus grande transparence de l’information me semble utile. Je suis donc favorable à l’amendement CL503 et vous invite à retirer le CL506, qui est moins précis.
L’amendement CL506 est retiré.
La commission rejette l’amendement CL503.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendements CL123 et CL342 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le Parlement doit être informé des moyens de police judiciaire effectivement affectés à la lutte contre la criminalité organisée. Sans ces moyens, le renforcement de la procédure pénale et du droit pénal n’aura qu’un faible impact. Les services de police judiciaire rencontrent des difficultés que nous connaissons tous et la réforme des services territoriaux n’a pas eu l’effet escompté. En outre, la création d’un parquet national ne doit pas se traduire par une déperdition de moyens humains dans les territoires. Nous souhaitons donc une plus grande transparence. Trop souvent, quand les ministres promettent des moyens aux maires qui les demandent, on voit les renforts arriver mais, quelques années plus tard, on constate qu’en réalité les effectifs n’ont pas augmenté.
M. le président Florent Boudié. Un jour, il faudra un amendement sur la création d’un organisme central chargé de la coordination et de la rédaction des rapports que le gouvernement doit présenter au Parlement !
M. Roger Vicot, rapporteur. Je suis favorable à l’ensemble des amendements visant à renforcer la transparence concernant les moyens annoncés.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous pourrions aussi demander un rapport sur les rapports que nous avons votés mais qui ne sont jamais arrivés !
M. le président Florent Boudié. C’est ce que je voulais dire.
M. Hervé Saulignac (SOC). Sans doute devrions-nous cesser d’en demander, puisque nous ne les recevons pas…
Ces amendements ont le grand intérêt d’aborder l’affectation territoriale des moyens. J’ai une préférence pour le CL342, qui demande les effectifs par département plutôt que par territoire.
Chacun s’accorde à reconnaître que le narcotrafic est présent dans l’ensemble du territoire national, y compris en zone rurale. Cela suppose que les moyens ad hoc soient affectés aux bons endroits. Si l’on continue à les concentrer dans les agglomérations et les métropoles, on ne résoudra rien.
M. Michaël Taverne (RN). Chaque personne affectée à la lutte contre la criminalité organisée est au moins agent de police judiciaire. On peut à la rigueur vouloir faire la distinction entre les agents et les officiers, mais, pour cela, il suffit de contacter la direction des ressources humaines, des finances et des soutiens (DRHFS) du ministère de l’intérieur, ou bien d’interroger les directeurs interdépartementaux. Nul besoin d’un rapport !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La question du nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) dans les offices centraux se pose de plus en plus. Il n’y a pas si longtemps, il fallait avoir de l’expérience pour y postuler. Mais les vacances de postes ont conduit à y affecter des agents qui n’étaient pas OPJ, voire qui sortaient de l’école. Je ne dis pas que l’on n’est forcément mauvais quand on débute, mais il n’est pas plus mal d’avoir un peu d’expérience pour rejoindre un service d’élite. Pour avoir rédigé quelques rapports sur le sujet, je peux témoigner des difficultés à obtenir le nombre exact d’OPJ, ainsi que de postes d’encadrement et de commandement – ces corps étant en sous-effectif dans la filière judiciaire.
Nous ne devons donc pas lâcher à ce sujet. Une demande de rapport permet d’interpeller nos collègues et le gouvernement et de signaler que, depuis plusieurs années, nous nous faisons mener par le bout du nez.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Nous voterons contre toutes les demandes de rapport. La mission du Parlement étant de contrôler l’action du gouvernement, il sera plus intéressant de mener une mission de contrôle et d’évaluation de la loi un an après sa promulgation.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je ne suis pas de ceux qui demandent des rapports à tout bout de champ. La transparence sur les effectifs de police, fondamentale, ne devrait même pas faire l’objet d’une demande de rapport. Les élus locaux qui se battent contre la criminalité ont besoin de savoir si les promesses du ministre de l’intérieur sont tenues. Ils doivent systématiquement être informés du nombre d’OPJ, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Il me semble d’ailleurs que M. Retailleau s’est engagé récemment à faire la transparence sur les moyens. Inscrivons celle-ci dans la loi et considérons le fond du sujet plutôt que de n’y voir qu’une demande de rapport supplémentaire.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je partage l’avis de M. Saulignac : j’ai une préférence pour l’amendement CL342, qui est plus précis. J’invite donc M. Iordanoff à retirer le CL123.
Mme Naïma Moutchou (HOR). J’ai peur que cet amendement ne soit superfétatoire, tout comme les suivants. La rédaction d’un rapport va mobiliser des ressources administratives qui pourraient être employées à autre chose – par exemple, lutter contre la criminalité. Le nombre d’OPJ est une information d’intérêt limité : s’y intéresser sans parler ni de formation, ni d’équipement, ni de coopération internationale, c’est passer à côté du sujet, qui est plutôt l’adaptation de la stratégie à la lutte contre le narcotrafic.
L’amendement CL123 est retiré.
La commission rejette l’amendement CL342.
Amendement CL377 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement CL377 vise à obtenir un rapport relatif à l’Office central de lutte contre le crime organisé, composé presque exclusivement de policiers, alors qu’il devrait bénéficier du concours de différents services. La loi ne l’empêche nullement : d’autres offices centraux ont une organisation beaucoup plus interministérielle – nous en avons parlé, c’est une question de volonté politique.
S’agissant des moyens, la situation est inacceptable : régulièrement, des postes sont vacants. J’ajoute que tous les agents des offices centraux ne sont pas officiers de police judiciaire. Sans parler des créations de postes d’assistant d’enquête promis lors de l’examen de la Lopmi et qui ne sont pas au rendez-vous – les députés qui votent pour les textes de cette nature mais ne vérifient pas les suites données devraient y trouver matière à réflexion.
Plus généralement, avant d’élaborer une proposition de loi comme celle qui nous occupe, il importe de s’assurer que la situation a été bien évaluée.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. Je suis interloqué par la manière dont certains balaient les demandes de rapport comme si elles étaient excessives. La représentation nationale est chargée d’une mission de contrôle : elle peut légitimement demander des informations détaillées sur l’application de la loi.
M. Patrick Hetzel (DR). Il faut savoir raison garder. Nous devons contrôler l’action du gouvernement, mais les demandes de rapport créent un surcroît de travail pour les administrations, alors que nous-mêmes disposons de compétences. Les rapporteurs spéciaux, notamment, sont en droit d’effectuer des contrôles sur pièces et sur place. En réalité, l’obsession des rapports ne se justifie pas, surtout si l’on considère que ces derniers sont très peu consultés.
M. le président Florent Boudié. L’inflation de demandes de rapports est colossale, dans toutes les commissions. En la matière, la tradition veut que la commission des lois soit plus raisonnable que d’autres.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Certaines demandes sont intéressantes, il n’est pas question de s’y opposer par principe, mais celles que nous examinons sont inopportunes. L’amendement CL377 vise à obtenir six mois après la promulgation de la loi un rapport offrant une analyse détaillée : c’est irréaliste. Par ailleurs, l’exposé sommaire précise que la Cour des comptes a déjà publié un rapport dans ce domaine – n’en ajoutons pas.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement. Étant une proposition de loi, le texte que nous examinons, sur un sujet d’importance, est dépourvu d’étude d’impact ; et on nous explique maintenant qu’une évaluation est superflue. Pourtant, les rapports cités soulèvent des questions qui mériteraient plus ample investigation.
Dans ce domaine comme ailleurs, nous sommes nombreux à lire les rapports ; c’est bien pourquoi nous trouvons problématique d’examiner ce texte en disposant de si peu de données relatives aux conséquences de la réforme pour les services. Les défenseurs de la proposition de loi suivent une stratégie politicienne : ils veulent se donner l’image d’acteurs de la lutte contre le narcotrafic, au détriment d’une politique efficace et du travail des agents qui mènent cette bataille avec sérieux.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Vous avez défendu une proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans dont l’adoption aurait coûté au bas mot 10 milliards d’euros. Où était l’étude d’impact ?
M. le président Florent Boudié. Si nous consacrons trop de temps à chaque demande de rapport, je déciderai souverainement de faire examiner les amendements correspondant à la fin de la discussion du texte.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL379 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Puisque nous parlons de rapports, je vous invite à lire celui que M. Ludovic Mendes et moi-même avons rédigé pour évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’amendement CL379 tend à obtenir du gouvernement un rapport relatif aux logiciels de la police nationale. Il y a huit ans, on nous a promis un nouveau logiciel de rédaction des procédures pénales, première brique du NS2I, le nouveau système d’information dédié à l’investigation. Il devait par exemple servir les enquêtes de la police judiciaire. Nous demandons l’évaluation des conséquences des défaillances de ce logiciel sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. En effet, selon un article du Monde paru le 13 février, après huit ans de travail et malgré 16 à 20 millions de dépenses, ce logiciel n’existe toujours pas. En 2021, M. Darmanin, alors ministre de l’intérieur, promettait qu’il serait opérationnel en 2024. Monsieur le ministre, où en est-il ? Avez-vous des éléments susceptibles d’expliquer ce fiasco ? En juillet 2022, la Cour des comptes recommandait de repartir du logiciel de la gendarmerie nationale – libre, il fonctionne très bien.
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que la société « a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Monsieur le ministre d’État, je vous demande des comptes.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable.
M. Michaël Taverne (RN). Pour une fois, nous sommes d’accord avec l’extrême gauche. Si l’on n’a pas compris qu’il y a un problème avec le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), on n’a rien compris. Le LRPPN fonctionne très mal, tout comme le programme Scribe, désormais nommé XPN. Cela nuit à l’attractivité de l’investigation : il faut une totale transparence. Je suis entré dans les forces de sécurité intérieure il y a vingt-cinq ans, le LRP était déjà en service. Lors des vœux du syndicat Alliance, le ministre de l’intérieur a indiqué que XPN serait déployé dans six mois, mais nous avons connaissance d’éléments contraires, certains affirmant qu’il serait abandonné. Le LRPGN, le logiciel de la gendarmerie nationale, lui, fonctionne très bien.
Mme Sandra Regol (EcoS). Ce logiciel qui n’en finit pas de s’enliser empêche les forces de police de travailler correctement, tandis que les gendarmes s’amusent à souligner que le leur marche très bien. De plus, nous parlons de millions d’argent public. Tous ceux qui affirment vouloir améliorer les moyens de la police devraient voter cet amendement. Monsieur le ministre d’État, en tant que ministre de l’intérieur, vous étiez chargé de ce dossier. Que pouvez-vous dire sur ce fiasco ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le problème est plus global : il concerne également les logiciels de la justice ainsi que l’interopérabilité. Il est nécessaire d’augmenter les moyens humains. Vous voulez faire gagner du temps au personnel en enlevant des droits aux citoyens pour alléger les procédures. Or les problèmes de logiciels font perdre du temps. La justice est obligée de réécrire des procédures qui ont déjà été rédigées par la police ou la gendarmerie. Tout le monde s’est déjà arraché les cheveux devant un écran bleu, à cause d’un travail perdu ou de la lenteur de l’outil informatique ; cela arrive en permanence aux personnels de la police et de la justice. Nous discutons de super-moyens pour lutter contre le narcotrafic, comme l’activation à distance des téléphones, mais nous ne sommes même pas fichus de fournir aux forces de police un logiciel de procédure pénale opérationnel. Pourtant, le logiciel, libre, de la gendarmerie fonctionne très bien.
Il est essentiel de sortir du technoféodalisme, de l’asservissement aux géants du numérique, notamment à Windows. Le passage aux logiciels libres a un coût, de formation notamment, mais il améliore l’autonomie et la souveraineté, et fait gagner de l’argent. Je ne comprends pas que les députés n’interpellent pas davantage le gouvernement en ce sens.
La commission adopte l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, je vous informe que nous discuterons tous les autres amendements tendant à obtenir des rapports à la fin de l’examen du texte.
Article 2 (art. 19, 39-2, 52-1, 704-1, 705, 706-26-1 à 706-26-8 [nouveaux], 706-42, 706-74-1 à 706-74-6 [nouveaux], 706-75, 706-75-1 et 706-75-2 [abrogés], 706-77, 706-78, 706-78-1 et 706-78-2 [nouveaux], 706-79-3 [nouveau], 706-80-1, 706-106 du code de procédure pénale) : Création d’un parquet national anti-criminalité organisée
Amendements de suppression CL 85 de M. Ugo Bernalicis et CL 131 de Mme Eléonore Caroit
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 2 crée le parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco. D’après les auditions organisées dans le cadre de la mission d’information que j’ai menée avec M. Mendes, il serait plus logique d’élever la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) au rang de chef de file. Ainsi, la justice déciderait de manière indépendante des moyens d’agir, alors que l’existence d’un parquet spécialisé risque d’aller de pair avec l’émission de directives. Mieux vaudrait renforcer les juridictions interrégionales spécialisées et la Junalco.
Il faudrait également améliorer les moyens techniques. La Junalco a besoin de meilleurs logiciels pour lutter contre le blanchiment. Il serait plus utile d’acheter la licence du logiciel adapté que de dépenser les 130 millions d’euros que coûterait la création du Pnaco selon le ministre de la justice. Devant la commission d’enquête du Sénat, M. François Molins a affirmé qu’il fallait faire de la Junalco le chef de file de la lutte contre la criminalité organisée, sur le modèle du parquet national financier dans son domaine, plutôt que créer un parquet national.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Merci de m’accueillir dans votre commission.
Je suis favorable à la plus grande fermeté dans la lutte contre le narcotrafic. Je suis députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes, où le narcotrafic n’est pas un « piège », mais une dure et triste réalité qui affecte jusqu’à nos concitoyens qui y vivent.
Je le dis avec tout le respect que m’inspire le travail des sénateurs et de nos rapporteurs : la Junalco et les Jirs ont prouvé leur efficacité et mériteraient d’être renforcées. Avec le travail de coordination des services d’enquête incombant à l’Ofast, elles sont plus utiles que ne le serait un nouvel instrument – le narcotrafic, présent dans tous les territoires, est protéiforme.
Pour ces raisons, je propose de supprimer l’article 2.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. L’article 2 est essentiel.
La Junalco a 4 ans. Nous constatons qu’il faut faire un pas de plus : le Pnaco incarnera la lutte contre la criminalité organisée et renforcera la coordination. Monsieur Léaument, vous soulignez dans votre rapport qu’il faut se concentrer sur le haut du spectre ; le Pnaco y pourvoira.
Mme Elsa Faucillon (GDR). La création du Pnaco se fera par voie réglementaire ; or le rapport de la mission de préfiguration soulève des questions auxquelles le débat parlementaire devra répondre. L’instauration du parquet national financier a suscité des interrogations comparables, mais le Pnaco sera saisi de dossiers bien plus nombreux. Nous devrons débattre des moyens dont il disposera, de sa coordination avec les Jirs, de son siège. Tant que ces questions fondamentales seront en suspens, nous émettrons des réserves quant à sa création, même si nous en soutenons le principe.
J’ajoute que nous soutiendrons un amendement visant à supprimer l’alinéa 18, relatif aux mineurs – sujet absent du périmètre de la mission de préfiguration.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Hier, M. le garde des sceaux laissait entendre que confier la coordination à un parquet national tout en gardant des liens avec les Jirs, qui sont plus anciennes et connaissent mieux le terrain, n’allait pas sans difficulté. Des cosaisines seraient donc possibles, alors même que l’objectif est de centraliser : cela ressemble à une usine à gaz.
La Junalco vient encore de prouver son efficacité avec la saisie de 10 tonnes de cocaïne à Dunkerque. Évidemment, pour le plan com’, il est moins efficace de mettre en avant une structure qui existe depuis 2019 et de la doter de moyens supplémentaires que d’annoncer la création d’un parquet national anti-criminalité organisée auquel sont alloués des moyens renforcés et concentrés.
De toute façon, l’enquête reposera sur les offices centraux, sur leurs antennes et sur celles de la DNPJ – s’il en reste. On en revient à la faiblesse des moyens : vous aurez beau tout concentrer dans un parquet national, ils resteront limités. Tous les procureurs chargés de dossiers de blanchiment le disent : ils manquent d’enquêteurs ; c’est leur principal problème. Je le sais bien puisque j’avais déjà rédigé un rapport relatif à la lutte contre la délinquance financière en 2019.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes favorables à la création du Pnaco. Certes, elle mérite réflexion. Il ne faut pas remettre en cause la compétence générale de la justice. Toutefois, nonobstant la différence d’ampleur et de nature des affaires, l’instauration du PNF a montré qu’une spécialisation pouvait se révéler pertinente. Toutes les personnes auditionnées ont exprimé un intérêt manifeste pour la démarche.
Néanmoins, nous nous interrogeons sur les aspects pratiques de son déploiement, notamment sur les conditions de travail de ses agents et sur son champ de compétence. Il faut encourager la clarté : le Pnalco doit incarner la lutte contre le narcotrafic.
Je ne soutiens pas les amendements de suppression, mais Ugo Bernalicis a raison de souligner l’absence criante de moyens : ces derniers sont déterminants pour l’efficacité de la justice.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Je comprends les craintes que suscitent les risques d’une vraie centralisation et, surtout, de l’affaiblissement des juridictions interrégionales spécialisées – il suffit pour cela d’avoir connu l’avant et l’après-Jirs. Je regrette que leur action n’ait pas été évaluée. Elles rassemblent des personnels de justice ultraspécialisés qui traitent au fond les dossiers de stupéfiants et parviennent à faire remonter les enquêtes aussi haut que possible. Les juges d’instruction des petites juridictions, surchargés de dossiers, ne peuvent pas en faire autant.
Le problème principal, c’est la coordination entre les Jirs. Quelques affaires, dont une tristement célèbre survenue récemment, ont montré qu’une mauvaise coordination peut entraîner des drames. Nous devons y travailler.
Eu égard à la réalité du trafic, le Pnaco constitue un outil indispensable. Nous ne voterons donc pas ces amendements de suppression.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). La création du Pnaco ne remet nullement en cause le travail accompli par la Junalco et les Jirs. L’objectif est de nous adapter aux moyens que déploient les narcotrafiquants.
M. Olivier Marleix (DR). La création d’un parquet national satisfait des besoins essentiels. Les premiers sont techniques : la criminalité est puissante ; ce serait une blague d’affirmer que les parquets ou les Jirs sont suffisamment armés pour affronter les mafias internationalisées dont nous parlons. Ensuite, il faut prémunir la justice et la police judiciaire de toute influence. Le PNF a été créé dans cette intention ; or c’est encore plus important dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, domaine où la corruption est très forte. Au ministère de l’intérieur comme au ministère de la justice, le risque est partout – je n’ai d’ailleurs pas obtenu de réponse précise à mes questions d’hier relatives à sa cartographie. Le Pnaco constitue le seul moyen de le limiter pour protéger les enquêtes.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Le procès en centralisation ne tient pas. Si on laisse les juridictions locales seules face à des trafics qui ont muté et qui ne connaissent aucune frontière, les organisations criminelles continueront à bénéficier des failles de notre système et à gagner du terrain.
Bien que les Jirs et la Junalco accomplissent un travail remarquable, leurs capacités atteignent leurs limites. La Junalco, entité placée sous l’autorité du parquet de Paris, n’a pas la compétence d’agir au niveau national tandis que les Jirs n’ont pas les moyens de lutter contre l’ensemble du trafic ; réformer ces organismes n’aurait donc pas de sens. Dans le même esprit que le PNF en matière financière et le Pnat en matière antiterroriste, il est indispensable de créer une entité unique pour répondre à des besoins spécifiques et éviter d’avoir deux trains de retard sur le narcotrafic, qui s’adapte aux nouvelles technologies.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons contre les amendements de suppression. L’efficacité du Pnaco sera garantie par deux éléments essentiels : la coordination avec la direction générale de la police judiciaire – à l’instar du Pnat avec la DGSI – et la spécialisation. Je rappelle qu’en 2015, de nombreuses personnes étaient opposées à la création du Pnat, aujourd’hui indispensable.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Notre groupe votera contre ces amendements. Le Pnat et le PNF ont montré leur efficacité. Alors que les réseaux du trafic de drogue sont tentaculaires, le Pnaco interviendra dans de nombreux domaines de la criminalité et aura un rôle de coordination avec l’ensemble des juridictions.
M. Stéphane Mazars (EPR). Nous nous réjouissons du travail accompli par la Junalco et les Jirs. Les moyens qu’on leur a donnés leur ont permis de mener des opérations entièrement satisfaisantes. Cela étant, nous sommes submergés par des structures armées de mieux en mieux organisées et qui disposent de plus en plus de moyens. Nous devons donc trouver d’autres réponses. La proposition de loi ne remet pas en cause l’organisation actuelle ; elle l’améliorera.
La création de juridictions spécialisées en matière financière et pour lutter contre le terrorisme a porté ses fruits. La création d’un parquet spécialisé en matière de criminalité organisée pourrait ainsi améliorer le travail des Jirs, grâce à une meilleure coordination des acteurs.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. L’article 2 est la clé de voûte de ce texte. La création du Pnaco soulève des questions, notamment relatives à la spécialisation de la justice, comme ce fut le cas lors de la création du Pnat et du PNF. En effet, si nous créions un parquet spécialisé pour chaque type de contentieux, nous porterions atteinte au fonctionnement de la justice pénale.
Néanmoins, le législateur et le ministère de la justice avaient déjà constaté qu’une coordination au niveau national était nécessaire face à la criminalité organisée : c’est la démarche qui a présidé à la création des Jirs et de la Junalco. On pourrait limiter de telles instances spécialisées à la criminalité complexe. En tout cas, la création du Pnaco permettrait d’aller au bout de cette démarche.
Je remercie Mme Capdevielle de soutenir la création du Pnaco. En 2004, le groupe socialiste s’était vivement opposé à la création des Jirs dans le cadre de la loi Perben 2, la qualifiant de « jour noir pour la justice » ; aujourd’hui, chacun reconnaît leur efficacité. De même, le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, auquel j’appartenais, a eu du mal à accepter la création du PNF, dont je doute pourtant qu’il serait menacé en cas d’alternance. De même encore, si, à l’époque où une section du parquet de Paris est devenue le Pnat, certaines personnes s’opposaient au transfert de ces magistrats spécialisés dans le terrorisme, personne ne proposerait aujourd’hui – à moins de vouloir priver notre pays d’un moyen d’action contre le terrorisme – la suppression du Pnat, qui a lui aussi montré sa grande efficacité. Soyons donc prudents quant à nos prises de position en la matière.
Par ailleurs, bien que la Junalco ait obtenu des résultats, elle a montré ses limites. Cela étant, elle a disposé de moyens moins importants que prévu. Elle compte vingt magistrats, contre soixante personnes au Pnat et vingt magistrats au PNF – une vingtaine de magistrats spécialisés permet donc d’agir efficacement à condition de disposer d’enquêteurs et de moyens technologiques.
Par rapport à la Junalco, le Pnaco présentera l’avantage de coordonner l’action des Jirs, entre lesquelles l’échange d’informations n’est ni automatique ni partagé entre tous les acteurs ; d’élaborer une doctrine de renseignement criminel, à l’instar de tout grand parquet spécialisé ; d’incarner au niveau international le volet judiciaire de la lutte contre la criminalité organisée. En effet, la procureure de la République de Paris n’a pas le temps à la fois de gérer un parquet aussi important et d’aller sensibiliser, dans le cadre d’échanges internationaux, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud, l’ensemble des pays européens, les pays du Maghreb, les pays du Moyen-Orient.
Du reste, la Junalco n’a pu empêcher l’affaire Amra. M. Amra, incarcéré à la maison d’arrêt d’Évreux, était connu de la Jirs locale pour être un criminel potentiel, mais on ignorait qu’il faisait l’objet de procédures dans trois autres Jirs. En l’absence de coordination entre les Jirs, sa dangerosité n’a pas été correctement évaluée ; l’administration pénitentiaire ne lui a donc pas octroyé le statut de DPS (détenu particulièrement signalé) ni ne l’a placé dans un établissement pour peine.
Je l’ai déjà annoncé, dès le mois d’avril, 5 magistrats supplémentaires renforceront les effectifs de la Junalco. Elle sera ensuite absorbée par le Pnaco et une partie de ses moyens seront transférés à ce dernier, dont le nombre de magistrats, de vingt à quarante environ, dépendra de ses compétences exactes. Les personnes chargées de la criminalité organisée qui ne lui auront pas été affectées travailleront auprès de la procureure de la République de Paris au sein d’une sorte d’énorme Jirs. Madame Caroit, les Jirs ne seront pas supprimées, mais renforcées : non seulement elles ne perdront pas de moyens au profit du Pnaco, mais 95 magistrats supplémentaires rejoindront les Jirs et les juridictions infra Jirs.
Le système sera organisé en trois étages : les parquets de chaque ressort, compétents en matière de droit commun ; les Jirs, qui traiteront les affaires, parfois importantes, qui ne relèvent pas de la compétence des procureurs ; demain, le Pnaco, qui se saisira de certaines affaires. Les parquets locaux resteront saisis de nombreux dossiers. Le Pnaco ne remplacera pas non plus les Jirs, puisqu’à la différence de ces dernières il sera doté d’une dimension internationale, d’une compétence cyber et chargé des affaires complexes ; surtout, il permettra une connaissance partagée des dossiers. Enfin, il intégrera des juges de l’application des peines et un régime de détention également spécialisés.
Le succès du Pnat tient à ses échanges quotidiens avec la DGSI. Les chefs de file de chaque organisme travaillent ensemble, se mettent d’accord sur le renseignement administratif et criminel, sur les objectifs à atteindre, sur la coopération internationale et parlent d’une même voix. Mais la DNPJ, qui traite 80 % des affaires, et les offices, comme dit M. Bernalicis, ont des centaines d’interlocuteurs – procureurs de la République, magistrats spécialisés –, ce qui affecte leur efficacité. Le même problème se posait auparavant dans les affaires de terrorisme.
Madame Faucillon, le principe d’une tutelle du Pnaco sur les Jirs, préconisé par Jean-François Ricard dans le rapport remis à mon prédécesseur, n’a pas été retenu. Le Pnaco se coordonnera avec les Jirs, notamment s’agissant des échanges d’information, et disposera d’un pouvoir d’évocation sans avoir de compétence exclusive en matière de criminalité organisée ; il se saisira des affaires qui relèvent du haut du spectre – à l’instar du Pnat. Reste à déterminer les critères sur lesquels il fondera sa saisine. Le Pnat envoie des observateurs sur une scène de meurtre afin de décider de son éventuelle saisine.
Outre ces éléments, le nombre d’affaires que traitera le Pnaco dépendra aussi de ce que voudront les parlementaires.
Ainsi, le rapport de préfiguration commandé aux magistrats, et que je rendrai public, préconise de doter le Pnaco d’une compétence en matière de règlements de comptes et d’actes de torture et de barbarie en bande organisée – par exemple, à Marseille, les « barbecues » consistant à enfermer une personne dans un coffre de voiture et à la brûler vive – mais le Sénat n’a pas introduit cette mesure en première lecture. Si, à l’Assemblée, la compétence du Pnaco est ainsi étendue, comme je le souhaite et comme votre rapporteur ou vous-mêmes le voudrez certainement aussi – il serait incroyable que les règlements de comptes de Marseille ne soient pas de son ressort –, le nombre d’affaires dont il se saisira sera d’autant plus élevé.
De même, il s’agit de déterminer s’il traitera toute la cybercriminalité, laquelle relève en grande partie de la criminalité organisée, mais pas entièrement. Actuellement, elle incombe à la section J3 de la Junalco. Le Pnaco ne sera pas non plus compétent pour toutes les infractions pénales économiques et financières.
Au bout du compte, le nombre d’affaires dont se saisira le Pnaco devrait s’élever à quelques centaines par an. Il dépendra aussi du nombre de magistrats et de greffiers spécialisés qui lui seront affectés.
À l’issue de l’examen de ce texte, je m’engage à consulter les parlementaires sur les critères de saisine des affaires par les magistrats, qui resteront libres de leur décision. Ils seront fixés dans une circulaire de la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces) que je rendrai publique.
Les pays voisins ont instauré des parquets spécialisés qui ont mis fin à des systèmes mafieux. En Italie, le procureur national antimafia, fonction imaginée pour le juge Falcone, a incarné la politique nationale de la lutte antimafia et a coordonné l’action de tous les parquets d’Italie. Grâce à une spécialisation du régime de détention et de la justice, il a été mis fin à la série d’assassinats – une soixantaine – de magistrats, d’agents pénitentiaires, de préfets, de parlementaires, d’hommes politiques, de maires.
Le Pnaco dépendra de la procureure générale de Paris. Je suis donc favorable à l’amendement de M. Iordanoff qui prévoit la localisation du Pnaco à Paris.
En France, 17 000 personnes sont détenues pour trafic de stupéfiants. Les trafiquants du haut du spectre sont soit incarcérés, en attendant d’être jugés, soit hors de France – dans les pays du Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est – car ils fuient la justice. Le Pnaco, je le répète, aura des armes dont ne dispose pas la Junalco. Du reste, les résultats de cette dernière ne sont pas à la hauteur de ceux obtenus par les Italiens et les Belges.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL539 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à supprimer l’alinéa relatif à la désignation de référents Jirs dans les parquets locaux, qui ne relève pas du domaine législatif – au demeurant, cette pratique existe déjà dans les juridictions.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements de coordination CL540 et CL518 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL541 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à supprimer l’obligation que l’ensemble des crimes relevant de la compétence du Pnaco soient jugés par des cours criminelles professionnelles, car elle contredit l’article 13. En effet, le champ de compétence du Pnaco ne recouvre pas complètement celui des cours criminelles professionnelles.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL95 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL618 de M. Vincent Caure
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Il s’agit d’installer le Pnaco à Paris. Lors de l’examen de la proposition de loi au Sénat, certains sénateurs ont créé le doute en évoquant une domiciliation à Marseille. La création d’un nouveau parquet doit se faire de manière rationnelle : Paris rassemble l’essentiel des services et des compétences, elle est la seule ville facilement accessible depuis l’ensemble de l’Hexagone et elle n’est pas associée au narcotrafic comme Marseille.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis favorable sous réserve de l’adoption du sous-amendement, lequel vise à supprimer la référence à l’alinéa 35, en coordination avec l’amendement de suppression de l’alinéa 35 que j’ai déposé.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). La logique voudrait que l’on supprime d’abord l’alinéa 35.
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit d’une question de pure légistique : je propose de supprimer la référence à l’alinéa 35. Nous poursuivons la même fin.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
Amendement CL472 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Il vise à étendre le champ de compétences du Pnaco aux infractions mentionnées à l’article 704 du code de procédure pénale, qui relèvent de la délinquance économique et financière, laquelle a beaucoup en commun avec la sphère de la criminalité organisée.
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est l’une des recommandations de la mission de préfiguration. Néanmoins, le périmètre de l’article 704 est très vaste. Je vous invite à retirer l’amendement, en m’engageant à le retravailler avec vous en vue de la séance, afin de préciser le champ des infractions visées ; à défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendements identiques CL542 de M. Vincent Caure, CL441 de Mme Naïma Moutchou et CL473 de M. Sébastien Huyghe
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement de coordination avec les travaux du Sénat vise à réintégrer dans le champ de compétence du Pnaco certains crimes qui, dans la rédaction actuelle, en sont exclus.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet amendement de cohérence est fondamental afin que le Pnaco puisse poursuivre ces infractions et que leurs auteurs soient jugés.
J’en profite pour répondre à M. Bernalicis qui, en aparté, m’a accusée de ne pas travailler et de dire n’importe quoi. Je le répète, la Junalco exerce sa mission sous l’autorité de la procureure de la République de Paris, son champ d’action est de ce fait limité et elle n’épuise pas l’ensemble de ses compétences bien qu’elle soit une juridiction nationale.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Mon amendement vise à ajouter au champ de compétences du Pnaco les crimes de meurtre en bande organisée et d’actes de tortures et de barbarie.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). La Junalco pourrait se voir confier le rôle de chef de filat, ainsi que nous l’avons préconisé avec Ludovic Mendes dans le rapport d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
Certes, la Junalco n’a pas empêché l’affaire Amra. Néanmoins, elle a démontré son efficacité en arrêtant, en lien avec les services de l’OCLCO, M. Amra ainsi qu’une quinzaine de personnes sur le territoire de l’Union européenne.
Par ailleurs, alors que les crimes de meurtre en bande organisée relèvent de la compétence du Pnat, s’ils entrent dans le périmètre d’action du Pnaco, ces deux entités devront-elles partager cette compétence ou seront-elles en concurrence ? On ne peut modifier ainsi ce qui a été voté par le Sénat. Les crimes en bande organisée sont, en grande majorité, des crimes à caractère terroriste.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les actes de torture et de barbarie sont déjà sanctionnés dans le code pénal. Il faut préciser explicitement que les infractions inscrites dans le texte, ainsi que celles que nos collègues souhaitent ajouter, doivent être directement liées à une affaire de narcotrafic ; sans cela, une confusion est possible, comme le souligne M. Léaument.
M. Patrick Hetzel (DR). Le narcotrafic est de plus en plus lié à la cybercriminalité. Ne faudrait-il pas intégrer l’ensemble de la section J3, chargée de la cybercriminalité, au sein du Pnaco ? La scinder en deux – une partie intégrée au Pnaco, l’autre restant indépendante – risque de l’affaiblir.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’alinéa 14 dresse la liste des crimes et délits dont le Pnaco ne se saisit pas. Mon amendement vise à réintégrer dans son champ de compétence les actes de meurtre en bande organisée et les actes de torture et de barbarie en bande organisée, lesquels ont disparu de la liste à la faveur d’un sous-amendement adopté en séance publique au Sénat. C’est un amendement de coordination légistique.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Hetzel, c’est effectivement une réflexion à mener en vue de la séance et j’ai annoncé hier que je rendrais public le rapport qui me sera rendu. Il y a évidemment des avantages à intégrer la section J3 au sein du Pnaco. Les affaires internationales complexes de blanchiment relèvent de plus en plus de la cybercriminalité ; nous ne devons pas être en retard d’un train. Toutefois, cette intégration présenterait aussi des inconvénients, car la cybercriminalité n’est pas nécessairement liée au trafic de stupéfiants. La création de deux pôles distincts poserait la question de leur attractivité auprès des magistrats spécialisés.
Monsieur Léaument, je comprends votre inquiétude, mais elle ne me paraît pas justifiée. Le terrorisme et la criminalité organisée ne sont pas la même chose. Le Pnaco se saisira des affaires importantes en fonction de plusieurs critères qu’il conviendra de préciser : leur complexité, une dimension internationale, la présence d’armes, leur retentissement, leur financement ou encore un lien avec les protagonistes d’autres affaires traitées par les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ; dans ce dernier cas, le Pnaco sera en co-saisine avec la JIRS. Comme pour le PNAT ou le PNF, une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces explicitera ultérieurement les circonstances permettant au Pnaco de se saisir d’une affaire ; comme je l’ai fait dans le cadre de la Lopmi, cette circulaire, ainsi que tous les actes infralégislatifs, sera soumise à la commission des lois.
La raison pour laquelle nous avions initialement exclu les crimes économiques et financiers et les actes d’homicide, de torture ou de barbarie du champ de compétence du Pnaco tient au fait que le législateur avait d’abord imaginé un parquet national anti-stupéfiants. C’est le gouvernement qui a proposé un parquet national anti-criminalité organisée, considérant que les stupéfiants n’étaient qu’un produit pour ces organisations. Or, si l’on s’éloigne des simples saisies de stupéfiants pour traiter d’affaires complexes de blanchiment et de criminalité organisée, il faut donner au Pnaco la possibilité de se saisir des homicides commandités dans ce cadre. Bien sûr, les actes de torture et de barbarie ne relèvent pas toujours du trafic de stupéfiants, mais personne ne comprendrait que les crimes perpétrés dans la cité phocéenne ne relèvent pas du Pnaco. Les magistrats spécialisés du Pnaco, comme ceux du PNF ou du Pnat, ne se saisiront que des affaires les plus complexes.
La commission adopte les amendements identiques.
Amendements CL400 de Mme Sabrina Sebaihi et CL333 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
Mme Sandra Regol (EcoS). L'amendement de ma collègue Sabrina Sebaihi vise à supprimer la compétence du Pnaco pour les mineurs. La justice des mineurs est un circuit particulier, avec des connaissances et un terrain de travail spécifiques, qu’il serait bon de conserver. Nous avons examiné de nombreux textes dans lesquels la justice des mineurs tendait à être noyée dans la justice commune. Il est peut-être évident pour le ministère de la justice que ce n’est pas le cas pour celui-ci, mais nous préférons être précis.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Mon amendement vise, lui aussi, à exclure la justice des mineurs dans le traitement des affaires prises en charge par le futur Pnaco. C’est pour nous une ligne rouge.
De nombreux mineurs impliqués dans des affaires de narcotrafic – ou, s’agissant des filles, prises dans des réseaux de prostitution –, y compris lorsqu’ils commettent des crimes, sont à la fois victimes et coupables. Ils doivent avant tout être protégés. Je m’inquiète d’autant plus de voir le Pnaco prendre en charge ces affaires que la proposition de loi de Gabriel Attal visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents a entaché le principe de l’ordonnance de 1945 selon lequel le juge des enfants est un juge spécialisé qui prévoit des mesures à la fois répressives et éducatives. Pour éviter la répétition des violences, il faut renforcer les principes de la justice des mineurs.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je partage votre attachement au principe de la spécificité de la justice des mineurs. Toutefois, il faut aussi tenir compte de la spécificité de la nouvelle juridiction qu’est le Pnaco. Je précise que le transfert de l’instruction n’aboutit qu’à un changement de lieu. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Il faut distinguer le parquet de la juridiction : il ne s’agit pas ici de revenir sur la spécialisation du jugement des mineurs, mais de transférer l’instruction à un parquet spécialisé. Heureusement que le Pnat s’occupe aussi des mineurs ! Le Pnaco n’a pas vocation à traiter les affaires du bas du spectre, comme le dépôt de canettes ou la présence sur les points de deal, mais celles du haut du spectre. L’auteur des exécutions commandées par une organisation criminelle à Marseille a 14 ans ; c’est le plus jeune tueur à gages de l’histoire française. Il n’est pas anormal que cet individu soit poursuivi par un parquet spécialisé, même s’il est en définitive jugé par un juge des enfants et non par un juge spécialiste de la criminalité organisée.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En France, jusqu’à preuve du contraire et malgré un glissement dangereux ces dernières semaines, les mineurs ne sont pas des individus, mais des enfants. La justice des mineurs doit rester une justice spécialisée. En outre, l’articulation entre l’instruction par un parquet national situé à Paris et le jugement dans une juridiction de proximité risque d’être complexe.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous tenions à nous assurer que la spécialisation de la justice des mineurs ne serait pas remise en cause. M. le garde des sceaux nous répond que ce principe est garanti et que le jugement sera rendu par le tribunal idoine. Je prends acte de cet éclaircissement.
Néanmoins, la prise en charge du mineur lors de l’enquête doit être confiée à des professionnels formés pour éviter les erreurs. Il est évidemment nécessaire d’informer le Pnaco lorsque les intervenants de certaines affaires du haut du spectre sont mineurs, mais celui-ci doit se concentrer sur les commanditaires. Cela m’étonnerait qu’un gamin de 14 ans soit dans le haut du panier. Nous sommes donc favorables à une co-instruction ou à une co-saisine.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Nous connaissons tous la différence entre le parquet et la juridiction. La réponse du garde des sceaux nous rassure : les mineurs seront bien jugés par le tribunal pour enfants.
J’ai dit tout à l’heure que nous manquions de magistrats et de policiers, ce qui a été mal compris. Il n’en demeure pas moins nécessaire de simplifier et d’accélérer les procédures. Pour la bonne instruction du dossier, le Pnaco ne peut pas faire le distinguo entre les mineurs et les majeurs et se dessaisir au profit du parquet de la juridiction dont relève le tribunal pour enfants ; il doit mener l’enquête dans son intégralité. Je n’y vois pas de danger dans la mesure où le mineur sera jugé par le juge des enfants.
M. Michaël Taverne (RN). De plus en plus d’organisations criminelles enrôlent des mineurs. Ils représentent ainsi 95 % des interpellés dans les quartiers sensibles – à Marseille, mais aussi à Rennes, Grenoble ou Roubaix. Il est donc absolument nécessaire de permettre au Pnaco de s’occuper des mineurs, puisque c’est par eux que l’on peut remonter les filières. Nous voterons contre ces amendements.
M. Ludovic Mendes (EPR). Le rapport que j’ai rendu avec M. Léaument démontre que les mineurs sont souvent enrôlés malgré eux par les réseaux criminels, y compris de force. Comment ce jeune tueur à gages de quatorze ans a-t-il été formé au maniement des armes ? Comment s’en est-il procuré ? Comment a-t-il choisi de tuer ? En réalité, les mineurs sont violentés. Les images qui tournent sur Snapchat et sur d’autres réseaux sociaux démontrent une volonté de faire peur à ces jeunes pour leur faire croire qu’ils n’ont pas d’autre choix que de suivre un courant qu’ils n’ont jamais choisi. Il faut donner la priorité à leur protection au lieu de les traiter comme les narcotrafiquants adultes, qui sont de vulgaires délinquants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je maintiens mon amendement. Le juge des enfants ne se contente pas de juger le mineur ; il assure également un suivi et veille à la non-récidive, autrement dit la désistance, par des mesures éducatives dont il évalue l’efficacité dans la durée. Il est donc important que l’enfant soit suivi dans son territoire par un magistrat unique.
Votre réponse, monsieur le garde des sceaux, ne suffit pas à apaiser nos craintes. Le texte parle bien d’une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application du code de la justice pénale des mineurs. Par ailleurs, les lois que vous avez proposées dernièrement sont loin de nous rassurer sur votre attachement aux principes qui régissent la justice des mineurs.
Disant cela, je ne minimise absolument pas l’utilisation des mineurs dans le narcotrafic ; étant donné le territoire dans lequel je suis élue, je suis bien placée pour savoir que celui-ci s’organise pour embrigader les plus vulnérables. On peut dresser, à cet égard, un parallèle avec le système capitaliste.
Mme Naïma Moutchou (HOR). L’expérience du PNF et du Pnat, qui travaillent déjà avec d’autres juridictions spécialisées, devrait nous rassurer sur la capacité du Pnaco à travailler avec tous les acteurs de la justice des mineurs, y compris les éducateurs et les services sociaux. La logique institutionnelle exige de ne pas dissocier les matières. La justice des mineurs ne doit pas servir de bouclier aux narcotrafiquants. Je rappelle que nous parlons ici de jeunes de 14, 15 ou 16 ans, qui sont capables d’aller très loin.
Mme Sandra Regol (EcoS). Monsieur le garde des sceaux, je vois que vous êtes ouvert à une clarification. Je vous propose donc de supprimer l’alinéa 18 afin de travailler sur une rédaction plus rassurante en vue de la séance publique.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Comme vous l’avez dit, monsieur Amirshahi, il est nécessaire d’employer des procureurs spécialisés dans la justice des mineurs. Ils existent au sein du Pnat, sous l’appellation de référents mineurs, où ils traitent des affaires de terrorisme impliquant des mineurs – et ils sont nombreux. Nous ferons la même chose au Pnaco. Certes, il n’est pas écrit dans le texte que les mineurs seront poursuivis par des magistrats spécialisés, ni qu’ils seront jugés par le juge des enfants, mais ce n’était pas non plus écrit dans le texte qui a créé le Pnat.
Je suis prêt à vous recevoir, madame Regol, pour travailler à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique. En attendant, je préfère conserver l’article dans sa version actuelle.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques CL543 de M. Vincent Caure et CL96 de M. Jérémie Iordanoff, amendements identiques CL133 de Mme Eléonore Caroit, CL191 de Mme Colette Capdevielle, CL271 de Mme Froger et CL343 de M. Sacha Houlié (discussion commune)
M. Vincent Caure, rapporteur. Sans me prononcer au fond sur les amendements visant à supprimer l’usage de la visioconférence, je propose d’en supprimer la mention à l’article 2. Ces dispositions n’ont pas leur place dans les articles relatifs au Pnaco.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Ce n’est pas uniquement une affaire de place. Nous souhaitons supprimer la possibilité que les débats relatifs au placement et au maintien d’une personne en détention provisoire aient lieu par un moyen de télécommunication audiovisuel. D’une part, la constitutionnalité de cette proposition est douteuse au vu des réserves d'interprétation de la décision 2023-855 DC du 16 novembre 2023 du Conseil constitutionnel. D’autre part, le placement ou le maintien en détention provisoire est une décision lourde pour les personnes concernées ; le juge des libertés et de la détention doit apprécier l’intégralité du dossier avant de décider ou non d’y déférer. La création d’un parquet national dédié ne doit pas ouvrir la voie à la banalisation de cette décision par le recours à la télécommunication audiovisuelle. Un système de délégation à un juge des libertés et de la détention exerçant sur place serait plus approprié, tant pour le territoire hexagonal qu’en outre-mer.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Je comprends la volonté de développer le recours à la visioconférence pour des questions de bonne administration de la justice et de protection du personnel pénitentiaire, mais celle-ci ne doit pas se généraliser. Pour l’avoir expérimenté à de nombreuses reprises durant la période du covid-19, je vous assure qu’assister à un procès en visioconférence est une expérience bien différente, a fortiori en matière pénale. Ce n’est pas la même chose que de comparaître devant un juge ou depuis sa cellule, derrière les barreaux. Cette possibilité doit être réservée aux cas exceptionnels pour des détenus jugés dangereux.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous devons veiller à ce que la visioconférence ne devienne pas le droit commun. Quand on l’a pratiquée, on sait combien la justice rendue de cette manière est déshumanisée. L’extension de la visioconférence est dangereuse et son utilisation doit être réservée à certains cas précis.
Un procès, c’est placer dans le même lieu un juge, un procureur, une personne mise en cause et sa défense. En audience, le corps parle et les expressions non-verbales sont essentielles. Ce face-à-face judiciaire est indispensable lorsqu’il s’agit de décider de priver de liberté une personne présumée innocente. La visioconférence nous prive de tout cela. Et que dire du conflit de loyauté dans lequel elle place les avocats, qui doivent choisir entre une présence devant le juge ou auprès de leur client ? Quand le mis en examen demande une audience publique, cela aboutit à un débat surréaliste durant lequel le concerné n’est pas présent.
Mme Martine Froger (LIOT). Nous souhaitons supprimer le recours à la visioconférence sans l’obtention du consentement de l’intéressé pour les décisions de placement ou de maintien en détention provisoire.
M. Sacha Houlié (NI). L’article 706-79-2 du code de procédure pénale, qui autorise le recours à la visioconférence, est une disposition que j’avais fait adopter dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La Jirs de Fort-de-France réclamait la possibilité de réaliser par visioconférence les audiences visant à décider du placement en détention provisoire de personnes interpellées en Guyane dont le transport vers la Martinique aurait été compliqué. Cependant, le Conseil constitutionnel a estimé que, même dans ce cas, une audience physique devait se tenir dans les quatre mois suivant le placement en détention provisoire.
L’extension de la visioconférence à toutes les personnes concernées par la criminalité organisée dans l’ensemble des Jirs de France me semble disproportionnée au regard des considérants 74 à 80 de la décision mentionnée par M. Iordanoff. Il est nécessaire de supprimer cette disposition, sans quoi le Conseil constitutionnel s’en chargera à notre place.
Toutefois, mon amendement présentant un problème de rédaction, il serait préférable d’adopter ceux de MM. Caure et Iordanoff, bien que je sois en désaccord avec la volonté de réintroduire cette possibilité après l’article 23 exprimée par M. le rapporteur.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous parlons ici des personnes qui constituent le haut du spectre de la criminalité organisée ; ce sont elles qui défraient la chronique et qui sont visées par le rapport Léaument-Mendes. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, je vous demande de retirer les amendements CL133 et identiques. Je crois en l’usage de la visioconférence, mais celle-ci n’a pas sa place à l’article 2.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. J’entends les arguments constitutionnels de M. Houlié, mais je ne pense pas qu’ils tiennent. Le Conseil constitutionnel avait censuré l’utilisation de la visioconférence pour la totalité des détenus. Or nous proposons ici de l’employer uniquement pour ceux qui relèvent de l’article 706, voire d’un régime de détention spécialisé.
Néanmoins, puisqu’il y a débat, j’ai saisi le Conseil d’État, qui se réunira en section de l’intérieur le 11 mars prochain et en assemblée générale le 14 mars. Je rendrai public son avis et je me conformerai à ce qu’il décidera. Pour que la mesure soit constitutionnelle, nous imaginons à ce stade un régime de visioconférence associé au type de détention ou à certaines incriminations, avec une position de repli qui resserrerait le dispositif sur les 800 à 1 000 personnes les plus dangereuses. Il ne s’agit pas de l’appliquer aux 82 000 détenus ou aux 17 000 personnes actuellement en détention provisoire, ni de permettre la visioconférence lors du jugement. Je précise néanmoins que les juges européens ont validé le régime de détention italien, lequel permet de réaliser en visioconférence 100 % des audiences – y compris les jugements – pour les détenus qui relèvent de l’article 41 bis de la loi anti-mafia.
Les agents pénitentiaires doivent parfois procéder à des extractions pour une présentation devant le juge qui n’excède pas trois minutes. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Amra. Le détenu a demandé à voir le juge ; ils ont fait trois heures de route ; l’audience a duré deux minutes, puisque M. Amra a refusé de répondre aux questions du juge ; c’est sur le chemin du retour, au péage d’Incarville, que le drame s’est produit. Le 31 décembre dernier, un autre détenu s’est opposé à la visioconférence pour un acte de signature que même les notaires et les avocats réalisent de manière dématérialisée ; les agents pénitentiaires de Lyon ont fait six heures de route à l’aller jusqu’à Grasse et six heures au retour. S’il y avait eu ce jour-là un drame au péage, nous aurions été bien embêtés d’expliquer aux familles des agents pénitentiaires que leur détresse avait pour cause un acte aussi informel.
Enfin, je rappelle que le magistrat peut s’opposer à la visioconférence, notamment si l’avocat le réclame.
M. le président Florent Boudié. Il est rare que le gouvernement pousse la transparence en saisissant le Conseil d’État sur un amendement qu’il dépose et en associant les parlementaires à sa démarche.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Sous la dernière législature, nous avions lancé une mission flash sur les extractions judiciaires qui n’est pas allée à son terme. Je remercie la commission des lois de l’avoir relancée. Nous ne pouvons pas nous placer uniquement du point de vue de la défense. Ce que nous faisons vivre aux surveillants pénitentiaires n’a aucun sens : il n’est pas acceptable de leur imposer des heures de circulation, dans des conditions de sécurité moyennes, quand on sait pertinemment que le prévenu ne parlera pas. Si certains actes nécessitent d’être réalisés en présentiel, d’autres peuvent avoir lieu en visioconférence. Celle-ci est largement pratiquée dans certaines juridictions, où elle a lieu dans de bonnes conditions.
Je voterai contre les amendements. Je n’ai aucun état d’âme à élargir le recours à la visioconférence pour les personnalités du haut du spectre. Toutefois, les juges et les agents pénitentiaires ont souligné qu’il était nécessaire de réaliser des travaux d’aménagement dans les prisons de haute sécurité pour que la visioconférence ait lieu dans de bonnes conditions.
M. le président Florent Boudié. Plusieurs autres orateurs ont demandé la parole. Je précise que nous aurons de nouveau ce débat sur l'amendement CL576, qui a été appelé en priorité.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le premier grand débat sur la visioconférence a eu lieu en 2019 lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, défendue par Nicole Belloubet. Nous nous y étions opposés. Le Conseil constitutionnel l’avait censuré en partie, mais pas en totalité. Depuis, une longue suite de textes vise à élargir l’emploi de la visioconférence dans de nombreux domaines de la justice
L’objectif final est que le détenu ne sorte pas de la prison. S’en prendra-t-on ensuite aux extractions médicales ? Cela arrive déjà : à Annœullin, où je me suis rendu, les services médicaux se voient opposer des refus d’extraction médicale au motif que l’administration pénitentiaire n’a pas de moyens suffisants pour emmener le détenu et en assurer la garde.
Si toutes les affaires sont à Marseille, pourquoi ne pas y installer le Pnaco ? Il serait ainsi plus simple d’amener les détenus devant le juge. En réalité, M. le garde des sceaux veut avoir un parquet sous la main en vue de faire de la communication politique. « Personne ne comprendrait que les affaires marseillaises ne soient pas traitées par le Pnaco », cela veut dire qu’il lui donnera clairement l’instruction de se saisir de ces affaires. Alors, puisque cela pose un problème du point de vue des extractions judiciaires, on propose le recours à la visioconférence.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons pour l’amendement du rapporteur, les dispositions sur la visioconférence pour les délinquants du haut du spectre ayant plutôt leur place dans l’article 23.
En tout état de cause, nous nous opposerons aux autres amendements qui écartent la visioconférence d’un revers de la main. En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas interdit de manière générale d’y recourir. Utiliser la visioconférence est une revendication de l’administration pénitentiaire, mais aussi de certains magistrats.
Je me souviens d’avoir participé à l’extraction judiciaire d’un détenu très craint. Il avait refusé de parler au juge et n’était resté dans son bureau que quinze secondes. Pourtant, l’opération avait mobilisé cinquante policiers pendant trois heures et demie. Nombre de services qui participent à ces extractions d’individus dangereux pourraient être mieux employés pour d’autres missions davantage prioritaires. Dans certains cas la visioconférence est une nécessité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je trouve gênante l’argumentation du rapporteur qui fait référence au profil des personnes concernées. Je rappelle qu’il s’agit en l’occurrence de recourir à la visioconférence pour décider du placement ou du maintien en détention provisoire. Les intéressés n’ont donc pas encore été jugés.
Le ministre a pour sa part évoqué un certain nombre de cas particuliers. Or si l’on vote la loi en se fondant sur des cas particuliers, on peut aussi aboutir à la suppression de l’ensemble des droits de la défense. Ce n’est donc pas la voie à suivre.
Je me félicite que le Conseil d’État ait été saisi. J’ignore quel sera son avis, mais je considère qu’il faut s’en tenir à un certain nombre de principes. Il est déjà possible de confier au JLD le soin de procéder à des auditions en prison. Restons-en là. La mesure proposée ne me semble pas justifiée – d’autant qu’il ne s’agit pas d’un acte anodin.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Les droits de la défense sont essentiels et placer quelqu’un en détention ou le libérer n’est pas un acte anodin. J’ai déposé l’amendement CL133 car le texte ne fait pas de différence avec les actes purement administratifs. Pour ceux-ci, cela n’a en effet aucun sens d’organiser des extractions onéreuses qui, en outre, mettent en danger les agents de l’administration pénitentiaire. La loi doit être précise et garantir les droits de la défense.
Je salue la démarche du ministre consistant à saisir le Conseil d’État.
La visioconférence doit rester une exception et celui qui décide d’une mesure de privation de liberté doit le faire en ayant l’intéressé devant lui.
Les amendements CL133, CL191, CL271 et CL343 sont retirés.
La commission adopte les amendements CL543 et CL96.
En conséquence, l’amendement CL97 de M. Jérémie Iordanoff tombe.
Amendement CL544 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de supprimer la remontée systématique d’informations des Jirs vers le Pnaco. Celle-ci serait contre-productive : elle noierait ce dernier alors qu’il a vocation à se concentrer sur les affaires du haut du spectre.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL545 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement propose d’harmoniser les dispositions relatives à la spécialisation des magistrats des Jirs et du Pnaco.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL401 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement propose de reprendre le mécanisme éprouvé de dessaisissement des juges d’instruction en faveur du parquet national antiterroriste.
Il est nécessaire d’assurer une meilleure coordination des procédures de saisine des juridictions d’instruction pour deux raisons.
D’une part, les juges d’instruction disposent d’une expertise de terrain sur les trafics dans le ressort de leur juridiction et sont capables de mener efficacement un certain nombre d’informations judiciaires.
D’autre part, les auditions ont montré que le Pnaco ne disposera pas des ressources humaines et matérielles suffisantes pour traiter l’ensemble des cas visés par le texte. Dans sa rédaction actuelle, ce dernier fait peser un risque de désorganisation en matière de répartition des dossiers et d’allongement des délais d’enquête – voire de diminution de leur qualité.
M. Vincent Caure, rapporteur. Demande de retrait au profit de mon amendement CL546, qui précise que le dessaisissement du juge d’instruction d’un tribunal se fait au bénéfice de la juridiction d’instruction de Paris, et non du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement CL546 de M. Vincent Caure.
Amendement CL547 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de garantir la bonne articulation entre l’article 2 et l’article 13, qui prévoit des dispositions spécifiques sur la spécialisation des juges de l’application des peines.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL548 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement prévoit que le procureur général près la cour d’appel anime et coordonne la conduite de la politique d’action publique, en concertation avec le procureur de la République national anti-criminalité – et non plus « en accord » avec ce dernier.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL272 de M. Paul Molac et CL466 de M. Sébastien Huyghe tombent.
Amendement CL549 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement met en cohérence les obligations d’information du Pnaco s’agissant de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, notamment en faisant figurer au sein du même article son information sur la délivrance d’une autorisation en matière de livraison surveillée.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL550 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement permet au Pnaco de représenter l’accusation publique devant l’ensemble des juridictions du premier degré en matière de criminalité organisée.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cette évolution remet-elle en cause la hiérarchie entre les procureurs ?
M. Vincent Caure, rapporteur. Non. Il s’agit d’une disposition équivalente à celle déjà prévue pour le Pnat.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL467 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Il s’agit de permettre la cosaisine entre plusieurs Jirs, ou entre une Jirs et le Pnaco, lorsque la complexité ou la gravité d’une affaire le justifie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Demande de retrait. La rédaction mérite d’être retravaillée d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Amendement CL551 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir une disposition qui concerne les Jirs. Il permet qu’en cause d’appel une même cour d’assises, dont la compétence territoriale a été étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel pour le jugement d’infractions de criminalité organisée, soit à nouveau désignée autrement composée.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL190 de Mme Estelle Mercier, CL474 de M. Sébastien Huyghe et CL552 de M. Vincent Caure (discussion commune)
Mme Estelle Mercier (SOC). La procédure de dessaisissement entre parquets prévue par cet article pose un certain nombre de difficultés en rendant notamment les choses plus complexes. Il reprend les dispositions qui concernent le PNAT, mais le nombre d’affaires concernées n’est absolument pas le même. Au lieu de fluidifier la procédure, on risque de l’emboliser.
Nous proposons donc de revenir aux procédures classiques, les parquets s’entendant de manière informelle sans qu’il soit besoin de faire intervenir la loi.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Afin de simplifier les procédures, mon amendement vise à supprimer les modalités alourdies de dessaisissement entre parquets.
M. Vincent Caure, rapporteur. Les auditions ont en effet montré que la procédure prévue par cet article serait inutilement lourde.
Demande de retrait au profit de mon amendement, dont la rédaction est plus précise.
Les amendements CL190 et CL474 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL552.
En conséquence, les amendements CL266 de Mme Estelle Mercier et CL98 et CL99 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL 553 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL554 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement supprime la nécessité d’un avis préalable du Pnaco à toute décision d’un juge d’instruction autorisant un coup d’achat en matière d’armes, de munitions ou d’explosifs.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je ne comprends pas cet amendement. Si l’on crée le Pnaco, c’est bien pour qu’il joue un rôle de coordination et fasse avancer les enquêtes en centralisant un certain nombre de décisions.
Son avis sur les coups d’achat – auquel on a de plus en plus recours – peut être éclairant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En fait, le Pnaco n’a pas pour mission d’assurer une véritable coordination. Il est au service du gouvernement pour lui permettre de mener une communication politique à partir de certaines affaires et de montrer qu’il lutte contre le crime organisé de manière volontaire – même si ce volontarisme est seulement de façade.
Dans cette perspective, des dispositions sur la manière dont est menée l’action judiciaire sont considérées comme des lourdeurs. Voilà pourquoi le rapporteur propose de supprimer l’alinéa 72.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement propose de supprimer l’avis systématique du Pnaco sur les coups d’achat, car cela alourdit toutes les enquêtes. Mais il continuera à en donner dans le cadre des affaires dont il est saisi.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL555 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement prévoit que les dispositions relatives au Pnaco entreront en vigueur le 1er juillet 2026. Cela laissera à la Junalco le temps nécessaire pour se transformer en Pnaco dans les meilleures conditions.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL556 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL101 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Cet amendement vise à rappeler l’importance de la justice restaurative pour apaiser les personnes concernées par une infraction liée à la criminalité organisée.
Le taux de récidive est particulièrement élevé s’agissant de la criminalité dont traite ce texte. Si nous voulons que les personnes qui ont été poussées dans les réseaux de trafic de stupéfiants en sortent, il faut les accompagner. La logique punitive ne peut pas résoudre le problème à elle seule.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
Nous sommes tous attachés à la justice restaurative, mais j’ai du mal à comprendre comment elle s’intègrerait dans un texte qui concerne la criminalité organisée et le Pnaco.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est précisément dans ces cas que la justice restaurative est la plus intéressante.
Nous allons bientôt examiner l’amendement du gouvernement sur les quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Il contribue à instiller l’idée selon laquelle la justice et la détention ont pour seul objet de punir. On ne réfléchit plus à la manière de faire sortir les gens de la criminalité, alors que le code pénal prévoit aussi des mesures destinées à assurer leur réinsertion dans la société.
La justice restaurative permet précisément de réaliser un travail en profondeur destiné à faire comprendre aux criminels quelles ont été les conséquences dramatiques de leurs actes sur la vie des autres. Il est utile d’y recourir autant que possible.
Pour notre part, nous suivons une double logique : prévenir les infractions, d’une part, et punir tout en réinsérant, d’autre part. On ne règle pas les problèmes si on n’aide pas les gens à sortir de leur logique criminelle, ce qui est notamment possible grâce à la justice restaurative.
Mme Eléonore Caroit (EPR). La justice restaurative est adaptée à la criminalité dont nous discutons. En Colombie, c’est d’ailleurs dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic et les FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie, que la Commission de la vérité a mis en place la justice restaurative – avec un succès relatif.
Cela étant, mentionner la justice restaurative dans un texte ne sera qu’un signe de bonne volonté. Si l’on n’en précise pas les contours si on n’y affecte pas les moyens indispensables, on n’obtiendra malheureusement pas de résultats. Un tel processus nécessite l’implication des avocats, des magistrats, des victimes et des auteurs des crimes et délits.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je soutiens cet amendement.
Nous avons tous conscience que la discussion de ce texte doit être l’occasion d’envoyer un signal de fermeté aux trafiquants. Tel est le but d’une série de dispositions pénales et de l’organisation particulière des services.
Mais souffrez à tout le moins que l’on cherche à ce que les gens s’améliorent. On ne peut pas se contenter d’une vision de la justice limitée à une punition éternelle. Or les méthodes de la justice restaurative permettent aux personnes de réfléchir à leur responsabilité et de changer, éventuellement en faisant face à leurs victimes – et ce y compris lorsqu’il s’agit d’affaires de trafic de drogue. Le nier reviendrait à croire que l’on reste toujours criminel si on l’a été une fois.
La justice des mineurs est d’ailleurs souvent une justice restaurative qui ne dit pas son nom. On demande à des jeunes de prendre conscience de la gravité de leurs actes. Il serait bon d’y confronter également les adultes. La peine qui leur a été infligée est sans doute justifiée, mais elle doit être complétée.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ce n’est pas un problème de volonté, monsieur Amirshahi.
Lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, Cécile Untermaier et moi-même avions été les premières à déposer un amendement sur la justice restaurative. Nous avons posé les premières briques de cette justice et sa mise en place se poursuit – il est vrai assez lentement car elle reste très peu développée.
Mais dans le domaine dont nous discutons – très complexe, avec des réseaux et des auteurs multiples, lesquels refusent en général de parler ou d’avouer – il est éminemment difficile d’arriver à tisser un lien entre les criminels et leurs victimes. Il faut y aller par étapes. Même si nous sommes tous favorables au développement de la justice restaurative, je ne suis pas sûre que ses procédures soient adaptées à ce type d’infractions. On risque de seulement se faire plaisir en mentionnant la justice restaurative dans ce texte.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous sommes tous partisans de la justice restaurative, déjà prévue par les textes, et convaincus de son utilité. Je donne désormais un avis favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 23 quater (examen prioritaire)
Amendement CL471 du gouvernement et sous-amendements CL659 de M. Ugo Bernalicis, CL658 de M. Antoine Léaument, CL655 de M. Ugo Bernalicis, CL651 de M. Pouria Amirshahi, CL660 de M. Ugo Bernalicis, CL652 de Mme Sandra Regol, CL656 de M. Antoine Léaument, CL653 de Mme Sandra Regol, CL654 de M. Pouria Amirshahi, CL657 de M. Ugo Bernalicis et CL662 de M. Paul-André Colombani.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Il s’agit de créer un régime de détention spécial pour les personnes particulièrement dangereuses, qui présentent un risque d’atteinte très grave au bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique.
Ce nouveau régime de détention, directement inspiré par le régime italien antimafia dit de l’article 41 bis, représente une révolution puisque l’on se préoccupera désormais de la dangerosité des individus, sans distinguer s’ils sont en détention provisoire ou en train de purger leur peine. Les premiers sont, à de très rares exceptions près, détenus dans des maisons d’arrêt – au sein desquelles il est possible de prévoir des régimes d’isolement ou des quartiers disciplinaires.
Les personnes soumises à ce nouveau régime appartiennent à des organisations criminelles qui peuvent aussi vouloir mettre un terme à leur collaboration avec la justice – le rapporteur Éric Pauget présentera un amendement sur le statut du repenti. Les services de renseignement pénitentiaire estiment que 600 à 800 personnes sont considérées comme dangereuses. Leur nombre n’est pas très élevé, mais il est tout de même important et il faut pouvoir les surveiller étroitement car elles menacent des agents pénitentiaires, des magistrats, des enquêteurs, des journalistes, des avocats et, parfois, des responsables politiques. Ces détenus continuent à commander leur organisation criminelle, préparent des évasions et placent des contrats sur la tête des uns ou des autres. Tout cela fait écho à ce qui s’est passé le 14 mai dernier.
Le nouveau régime de détention, extrêmement spécifique, est donc inspiré par le dispositif italien qui a été validé par les cours européennes. Il prévoit que les communications téléphoniques à partir d’un poste fixe seront très encadrées.
Par ailleurs, les visites se dérouleront systématiquement dans un parloir avec dispositif de séparation. Les dispositions relatives aux unités de vie familiale et aux parloirs familiaux ne s’appliqueront pas au sein des quartiers de lutte contre la criminalité organisée. L’accès à un certain nombre d’activités proposées aux autres détenus sera limité.
Enfin, le recours à la visioconférence sera privilégié – mais nous reviendrons sur ce point.
La décision de placer une personne dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée sera prise par le garde des sceaux, sur proposition de ses services, des magistrats instructeurs, de l’administration pénitentiaire ou de services enquêteurs.
Le texte ne mentionne pas des prisons de haute sécurité. Il fait référence à des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, lesquels pourront être mis en place dans différents établissements pénitentiaires sur décision du ministre de la justice.
La décision de placement dans un tel quartier sera un acte administratif motivé, susceptible d’un recours devant le juge administratif. La mesure sera prise pour une durée de quatre ans et sera renouvelable, comme c’est le cas en Italie.
Face aux questions soulevées par ce régime de détention, j’ai décidé de saisir le Conseil d’État. Je publierai son avis et, s’il proposait de modifier le dispositif, nous le ferions en séance publique.
Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur un tel régime. Je souligne encore une fois que le dispositif italien a été validé par les juridictions européennes.
Il est très important de s’assurer de la sécurité juridique de ce régime de détention, sans avoir à en passer par une modification de la Constitution. J’ai souhaité le présenter dès l’examen en commission – quitte à le modifier en séance publique pour s’assurer de sa conformité à la Constitution.
Enfin, je souligne que cet amendement a un lien direct avec plusieurs articles de la proposition de loi qui portent sur des questions pénitentiaires. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un cavalier.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement du gouvernement participe d’un beau plan de communication. Mais l’essentiel des mesures dont feront l’objet les personnes concernées dans des maisons centrales ne figure pas dans cet amendement. J’en veux pour preuve que le statut de détenu particulièrement surveillé permet de prendre des mesures encore plus restrictives. Il s’agit donc seulement d’une volonté d’affichage.
Pourquoi le JLD ou le JAP (juge d’application des peines) ne sont-ils pas compétents pour décider du placement dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée ? Au nom de quoi une telle décision devrait-elle être confiée au ministre ? Avez-vous la science infuse ? Imaginez que vous commettiez une erreur en ne plaçant pas une personne dans un tel quartier et qu’elle commette ensuite l’irréparable. Vous en seriez directement responsable.
Une telle décision ne doit pas relever du ministre. C’est la raison pour laquelle le sous-amendement CL659 propose de la confier au JLD pour les prévenus ou au JAP pour les personnes condamnées.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le sous-amendement CL658 prévoit que la présence de l’avocat soit obligatoire lors de la procédure contradictoire d’affectation.
Lorsque vous avez annoncé vouloir prendre des mesures contre le narcotrafic, vous avez dit que vous souhaitiez créer des prisons ultrasécurisées. J’étais assez critique car il me semblait que réunir les grands trafiquants au même endroit aboutirait à créer des cartels de la drogue. Je me réjouis que vous ayez abandonné cette mauvaise idée.
Le nouveau régime de détention que vous proposez n’est cependant pas meilleur. Vous concevez l’incarcération de trafiquants comme un isolement du reste de la société. Mais, sauf à rétablir la peine capitale, une telle mesure ne peut être que temporaire. Vous finirez par devoir faire sortir les gens de ces quartiers, mais sans avoir jamais procédé au travail permettant de prévenir la récidive. Cela signifie que vous estimez qu’ils resteront des trafiquants qui commanditent des assassinats et que, d’une certaine manière, on ne peut rien y faire.
Nous considérons, pour notre part, qu’il faut renforcer les moyens permettant de sortir les gens de la criminalité une fois qu’ils sont en prison.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le sous-amendement CL655 concerne la durée de la mesure de placement dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée.
Vous avez prévu une durée de quatre ans en vous inspirant de ce que font les Italiens. Vous auriez pu trouver un pays où cette durée est de dix ans. Ça aurait été encore plus simple… Ce sous-amendement de repli propose de fixer à un an la durée maximum de cette mesure de placement – sachant que nous voterons de toute manière contre votre amendement.
La durée de quatre ans que vous proposez pose clairement un problème. L’Observatoire international des prisons (OIP) nous alerte en effet sur les durées de placement à l’isolement et sur le fait que cette mesure doit faire l’objet d’un réexamen régulier.
Le comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe recommande, quant à lui, un réexamen complet de la mesure d’isolement en vue d’y mettre fin le plus rapidement possible dès lors qu’elle dépasse vingt-quatre heures, notamment au vu des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et sur le bien-être des personnes détenues qui y sont soumises.
Vous semblez penser – et j’imagine que c’est sincère – que la dureté du régime carcéral empêchera les gens de récidiver. Mais c’est méconnaître le fait que le taux de récidive de ceux qui sortent de prison est très élevé, y compris pour ceux qui ont participé à des activités criminelles organisées.
En revanche, on sait qu’un certain nombre d’actions, dont des activités ludiques, concourent à la prévention de la récidive car elles permettent aux personnes de considérer qu’elles font partie de la société et de sortir de la criminalité. Or, tout ce que vous faites va aggraver la situation.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vais m’exprimer essentiellement sur la création des quartiers de lutte contre la criminalité organisée. J’y suis contraint par la procédure, qui permet au gouvernement de déposer un amendement très tardivement, de telle sorte que nous ne pouvons pas proposer la suppression de la disposition qu’il introduit. Cela nous amène à déposer des sous-amendements, lesquels sont par nature moins critiques.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué plusieurs arguments en faveur de la création de ces quartiers ou de prisons spéciales pour les narcotrafiquants.
Le premier est que les prisons ordinaires ne sont pas en mesure de faire face aux difficultés que ces personnes détenues représentent. Certes. Mais les établissements pénitentiaires sont surpeuplés. Il faudrait donc plutôt rompre avec une politique pénale qui distribue les peines de manière industrielle – a fortiori lorsque l’on compte 20 000 personnes en détention préventive sur 80 000 prisonniers. Ce n’est pas rien, d’autant que la détention préventive, qui concerne des gens qui n’ont pas encore été jugés, est censée être une exception. Nous sommes dans une situation exorbitante du droit commun et qui ne permet pas de s’attaquer aux problèmes fondamentaux.
Votre amendement indique que la décision d’affectation au sein d’un tel quartier ne porte pas atteinte à l’exercice des droits de toute personne détenue – y compris donc à leur dignité. C’est pourtant le cas en raison de l’isolement, du recours à la visioconférence qui conduit à une déshumanisation totale des procédures et de l’interdiction d’avoir des liens avec la famille. Tout cela pose de graves problèmes.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le sous-amendement CL660 propose que le recours juridictionnel contre la décision d’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée soit suspensif. Comme dans d’autres domaines, les gens doivent pouvoir faire valoir leurs droits. Et il est sans doute plus compliqué de se défendre lorsque l’on est placé à l’isolement. En outre, comme ce dernier a des effets très lourds sur la santé mentale, vous allez faire sortir des gens de prison encore pires ou plus abîmés que lorsqu’ils y sont entrés.
Vous dites que ces quartiers permettront de lutter contre la criminalité organisée et de prévenir la commission ou la répétition d’une infraction. Mais cela aura seulement pour effet d’isoler des détenus et d’augmenter le taux de récidive.
Si vous nous dites qu’actuellement les personnes concernées continuent de trafiquer depuis leur cellule, il faut alors s’interroger sur le fonctionnement interne des prisons. Comment arrivent-ils à le faire, alors qu’un certain nombre d’entre eux sont déjà à l’isolement ?
Peut-être pensez-vous que les magistrats ne sont pas compétents, et que vous seul disposez de la liste des cent personnes qu’il faudrait mettre ensemble à l’isolement – ce qui est un peu contradictoire, car comment peut-on croire que le régime de détention sera complètement hermétique ? J’espère en tout cas que des conditions particulièrement favorables seront prévues pour les surveillants qui seront affectés dans les prisons concernées, afin d’éviter qu’ils ne soient vulnérables à la corruption. En effet, il n’y a pas de trafic en prison sans qu’au moins des gens ferment les yeux. Telle est bien la cruelle réalité du fonctionnement actuel de l’administration pénitentiaire.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement CL652 vise à supprimer une mention superflue. En effet, la jurisprudence reconnaît déjà que des impératifs de sécurité peuvent être invoqués pour limiter les droits de personnes détenues, ce que l’article L. 6 du code pénitentiaire prévoit d’ailleurs explicitement. Il n’est donc pas nécessaire d’en rajouter une couche, d’autant que l’amendement du gouvernement vise à rendre ces limitations de droits automatiques, alors que l’administration pénitentiaire n’y recourt actuellement que dans certaines situations spécifiques. Cette automaticité est contraire aux droits humains, comme l’atteste une jurisprudence fournie. Je ne dis pas que les personnes détenues méritent de se voir appliquer un régime favorable, mais que les droits humains doivent être un tant soit peu respectés. Alors que nous avons de nombreux outils à notre disposition, vos choix nous éloignent des valeurs du pays des droits humains et des principes que la Cour européenne des droits de l’homme nous rappelle incessamment.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Le sous-amendement CL656 vise à remettre en cause le caractère systématique du recours aux fouilles intégrales. Ces dernières peuvent déjà être décidées, au cas par cas et à tout moment, par le directeur de la prison.
Les quartiers de haute sécurité ont été supprimés, à la suite d’une mobilisation des détenus et parce que la République a eu la lucidité de considérer que ces conditions très particulières de détention créaient davantage de troubles qu’elles ne présentaient d’intérêts. La peine de prison n’obéissait pas à une logique de réparation, bien au contraire ! Du reste, ce régime d’incarcération n’était pas compatible avec les droits basiques dont doit jouir tout être humain.
Si un détenu est placé à l’isolement de manière permanente, cela signifie qu’il n’a pas accès au travail, à l’éducation ni à la culture – certains établissements disposent de bibliothèques. Ainsi, sous prétexte de protéger la société, on détient des personnes dans des conditions qui ne pourront que renforcer leur violence, et qui ne sont de toute façon pas acceptables dans un pays comme le nôtre.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement CL653 porte également sur le recours aux fouilles systématiques.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit au respect de la vie privée et de la dignité humaine, y compris en détention.
Il y a quelques mois à peine, notre assemblée, le gouvernement et l’État tout entier rendaient hommage à Robert Badinter, l’un des plus vibrants défenseurs des droits humains, y compris en détention, et y compris pour les personnes les plus mauvaises. Pour lui, ce combat reflétait la grandeur d’une nation et l’humanité des principes qui guident son action. Aujourd’hui, vous voulez mettre à terre tout cet héritage, que vous nous appeliez pourtant à respecter il y a encore quelques mois.
Il existe d’autres moyens de détection que la fouille au corps – interne, externe, à nu –, extrêmement humiliante. Je pense aux portiques détecteurs de métaux, aux scanners, aux fouilles de cellule et à de nombreux autres outils dont l’utilisation est encadrée par la loi.
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a statué plusieurs fois sur cette pratique. Dans des décisions de 2007, 2009 et 2011, pour ne citer que les trois plus importantes, elle a rappelé que ces fouilles devaient être proportionnées, qu’elles ne devaient pas engendrer un degré de souffrance ou d’humiliation excessif, et surtout qu’elles ne pouvaient en aucun cas être automatiques.
En somme, cet article additionnel, rédigé dans la précipitation, comporte beaucoup trop d’imprécisions et de dispositions susceptibles d’entraîner des condamnations répétées de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous invite à réfléchir à ce que je considère – pardon si l’expression vous heurte – comme une vision un peu sadique de la peine.
Vous avez déjà dit, monsieur le ministre d’État, qu’il fallait interdire tous les moments de loisir en prison, comme si c’était une partie de plaisir que d’être incarcéré. Vous alignez désormais toute une série de mesures qui ne sont pas du tout en phase avec notre préoccupation première, à savoir la définition d’une politique pénale ferme à l’encontre des narcotrafiquants, comme nous en avons discuté hier lors de la discussion générale et ce matin à l’occasion de l’examen des articles 1er et 2. Nous pourrions travailler ensemble en vue d’atteindre cet objectif, mais vous nous proposez ici tout autre chose : vous considérez que plus on porte atteinte à la dignité de la personne détenue, mieux on règle le problème.
Or, Mme Regol et M. Bernalicis l’ont expliqué, la prison est l’école de la récidive, notamment parce que les conditions d’exécution de la peine sont humiliantes. En empêchant de façon répétée et durable un détenu de voir sa famille, quel que soit le crime qu’il ait commis, vous en faites une « bête humaine », pour reprendre une expression littéraire. Vous considérez notamment qu’il faut, à un moment donné, interdire les rencontres familiales sans dispositif de séparation, de peur, sans doute, que circulent un certain nombre d’objets – sauf à considérer que c’est vraiment par sadisme que l’on veut absolument empêcher tout contact physique. D’autres solutions sont possibles, tels que les scanners, même si je ne suis pas forcément favorable à leur systématisation. Il faut éviter tout dispositif humiliant, qui commence par l’interdiction de rencontrer sa famille et qui finit par des fouilles dans des parties intimes.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer la troisième phrase de l’alinéa 18, et non la deuxième comme l’indique par erreur notre sous-amendement CL657 – la précipitation dans laquelle le gouvernement a déposé son amendement nous a fait faire une coquille. Il convient de garantir le respect du droit des personnes détenues à une vie familiale normale.
La détention ou la culpabilité d’une personne ne la prive pas de l’intégralité de ses droits fondamentaux, quel que soit le crime qu’elle ait commis, et sauf décision contraire du juge. Le droit à une vie familiale normale en fait partie. Nous nous interrogeons sur cette volonté de faire absolument souffrir ou de violenter des personnes qui sont déjà en train de purger une peine. Quel objectif visez-vous, alors même que vous prétendez vouloir prévenir la récidive ? En quoi le fait d’empêcher des détenus d’avoir un contact avec leur famille ou leurs proches, qui constituent leur premier cercle de sociabilité, va-t-il les aider à se réinsérer une fois sortis de prison ?
Ainsi, monsieur le ministre d’État, vous faites votre communication sur le dos des droits fondamentaux des personnes. C’est particulièrement lamentable.
M. Paul-André Colombani (LIOT). Le sous-amendement CL662 vise à exclure des quartiers de lutte contre la criminalité organisée les repentis ou « collaborateurs de justice », afin de garantir leur sécurité et l’attractivité de leur statut, à l’instar de ce qui se fait en Italie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je donne un avis favorable à l’amendement du gouvernement. En permettant la création d’un régime carcéral qui empêche les détenus les plus dangereux de poursuivre depuis leur prison l’animation de leur réseau, ce dispositif répond à un problème réel et offre à l’État une arme supplémentaire dans la lutte contre le narcotrafic. Il est adapté à la dangerosité des personnes détenues concernées, au regard des infractions, délits ou crimes pour lesquels elles ont été condamnées.
Aux termes de l’amendement du gouvernement, l’affectation d’un détenu à un quartier spécialisé relève d’une décision du garde des sceaux. En effet, le placement dans un régime particulier de détention relève d’une décision de l’autorité administrative, ce qui n’enlève rien au caractère contradictoire de la procédure. Je donne donc au sous‑amendement CL659 un avis défavorable.
Alors que le sous-amendement CL658 vise à rendre obligatoire la présence d’un avocat lors de la procédure d’affectation, je propose, pour ma part, de nous en tenir aux dispositions actuelles du code pénitentiaire, qui évoque le fait d’être assisté par un avocat comme une possibilité. De toute manière, les détenus concernés y ont recours.
Je suis tout aussi défavorable aux sous-amendements CL655 et CL651, assez similaires, qui ramènent de quatre ans à trois ou quatre mois la durée de l’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée. Cela reviendrait à vider l’article additionnel de sa substance, car une durée aussi réduite ne permettrait pas d’atteindre les objectifs fixés.
Je donne également un avis défavorable au sous-amendement CL660, qui vise à conférer à tout recours juridictionnel contre la décision de placement un effet suspensif. Cette décision du garde des sceaux est en effet motivée, au regard d’éléments objectifs, tels que le quantum de peine, et subjectifs, tels que des informations transmises par le renseignement pénitentiaire. Elle fait également l’objet d’une procédure contradictoire.
Le sous-amendement CL652 consiste quasiment à supprimer l’article additionnel ; en tout cas, il le viderait de son sens. Le but de ces nouveaux quartiers sécurisés est justement de prévoir des conditions de détention dérogatoires qui garantissent une prise en charge plus adaptée de ces profils spécifiques.
Il convient d’empêcher les détenus liés à la très grande criminalité organisée de poursuivre, grâce à des objets introduits en prison, l’animation de leurs réseaux. On ne peut donc pas faire l’économie de dispositions spécifiques relatives aux fouilles, allant dans le sens d’un renforcement des mesures existantes. Vous avez cependant mis en avant des questions qui demeurent. Peut-être faut-il avancer sur ce sujet avec prudence. Tout en étant défavorable aux sous-amendements CL656 et CL653, je m’en remets donc à l’avis de M. le ministre d’État, qui précisera comment nous pourrons trouver le meilleur équilibre.
J’en viens au sous-amendement CL654, qui refuse l’utilisation d’hygiaphones et appelle au maintien des parloirs classiques. Là encore, si nous n’avons pas le même avis sur la philosophie générale de l’amendement du gouvernement, nous aurons du mal à nous retrouver sur ses déclinaisons opérationnelles. À mon sens, vous continuez à refuser de tenir compte de la dangerosité des profils évoqués ; or, il s’agit d’un élément spécifique qui permet d’appliquer à ces détenus un régime de détention particulier et de les affecter dans les quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Encore une fois, mon avis est donc défavorable.
S’agissant du sous-amendement CL657, là encore, le fait pour un détenu de passer plusieurs heures sans surveillance avec des proches ou des membres de sa famille dans une unité de vie familiale (UVF) est incompatible avec l’objectif que nous visons. Avis défavorable, donc.
Enfin, je comprends l’intention des auteurs du sous-amendement CL662 relatif aux collaborateurs de justice, statut dont nous débattrons lors de l’examen de l’article 14. Il ne me semble pas de bon aloi d’intégrer une telle dérogation générale dans la loi, car les situations de ce genre ont vocation à être réglées au cas par cas. Mais M. le ministre d’État aura l’occasion de préciser cela.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Amirshahi, je comprends très bien que vous évoquiez notre opposition politique, mais que vous fassiez croire que l’action d’un ministre serait mue par des sentiments sadiques est une autre chose… Pour ma part, je ne dis pas que, parce que vous refusez d’adopter ces dispositions, vous adorez que des criminels comme M. Amra passent à l’acte ! Je ne pense pas que vous souhaitez que les agents pénitentiaires continuent de se faire tirer dessus à la kalachnikov et que nous allions voir ensemble des veuves et des orphelins. Faites donc preuve d’un peu de retenue dans vos propos !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Et sur les plateaux télé !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Ce n’est pas très drôle, monsieur Bernalicis. Vous n’êtes pas allé voir les veuves et les veufs d’Incarville.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je parlais de votre comportement, monsieur le ministre d’État ! Sur les plateaux télé, vous nous accusez des pires maux !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Oui, pour ce qui vous concerne, monsieur Bernalicis. Mais je parlais à un autre député, dont je respecte jusqu’à présent le discours et la pensée.
Je pense, monsieur Amirshahi, que vous devriez retirer vos propos. Il n’y a pas de sentiment sadique dans l’action que mène un homme ou une femme politique qui se respecte, qui aime son pays et la démocratie. Vous me connaissez depuis un certain temps : nous pouvons nous opposer politiquement sans nous jeter des anathèmes à la figure, faute de quoi la discussion d’un texte aussi difficile risque de nous amener assez loin en séance publique… Je ne pense pas que vous le souhaitiez, car d’autres formations politiques tireraient profit d’un tel débat. Retirez-vous donc vos propos ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Très franchement, mon objectif n’était pas de vous blesser, ni dans votre fonction, ni dans votre personne. Je relirai mes propos et j’y apporterai, le cas échéant, les corrections nécessaires, mais je ne crois pas avoir dit que vous étiez un sadique. Je ne le pense pas une seule seconde. C’est votre conception de la peine que j’ai qualifiée de sadique, ce qui n’est pas la même chose. Ce mot n’est pas une insulte. Du reste, je ne m’autoriserais pas à vous décrire comme un sadique, parce que nous nous connaissons et que je sais que cela ne correspond pas à votre intention. Vous avez une vision très répressive de la peine – c’est votre droit –, que je ne partage pas. C’est là que se situe notre désaccord.
Si d’aventure, en relisant mon intervention, j’y trouve une attaque ad hominem, je la retirerai, parce que ce genre de propos est toujours inadmissible. Cela étant, je le répète, ce n’est pas vous que je visais, mais seulement votre conception de la peine.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Je vous remercie pour ces précisions, monsieur Amirshahi. J’en viens maintenant aux sous-amendements.
Monsieur Léaument, vous n’avez pas dû suivre totalement les discussions que nous avons eues hier et ce matin. Vous avez dit que j’avais abandonné les prisons de haute sécurité. Je vous rassure : ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas besoin d’une loi pour créer de tels établissements ; nous en avons besoin, en revanche, pour instaurer le régime de détention spécifique que nous souhaitons voir appliquer dans certains quartiers. Ce régime pourrait concerner tous les quartiers des prisons de haute sécurité, mais également des quartiers d’autres établissements pénitentiaires.
Imaginons que nous créions une, deux ou trois prisons de haute sécurité mais que, confronté à un événement exceptionnel, de très grande ampleur – cinq fois l’affaire Amra, par exemple –, le garde des sceaux n’ait plus assez de places dans ces établissements et doive créer, dans d’autres prisons, des quartiers où s’appliquerait un régime de détention spécifique. Déjà aujourd’hui, d’ailleurs, plusieurs régimes de détention différents – classique, disciplinaire, d’isolement – peuvent coexister au sein d’une même prison. Certains établissements accueillent à la fois des détenus condamnés pour terrorisme et d’autres pour narcotrafic : à Vendin-le-Vieil se trouvent M. Abdeslam et M. Faïd, qui n’ont pas été emprisonnés pour les mêmes raisons. Il convient donc de bien distinguer le régime et le lieu de détention.
Vous prétendez, monsieur Bernalicis, que ce nouveau régime de détention encouragerait la récidive. Cette accusation, qui concerne les détenus les plus dangereux, me laisse pantois. Il y a des gens qui ne peuvent pas être réinsérés, parce qu’ils ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité et ne sortiront sans doute jamais de prison.
L’administration pénitentiaire doit faire des distinctions entre les personnes incarcérées en fonction non seulement du risque de récidive – il s’agit d’un travail essentiel, qui concerne la quasi-totalité des détenus –, mais aussi de leur dangerosité, pour en empêcher certaines de sévir à l’extérieur. Du reste, le gouvernement ne propose pas d’appliquer le nouveau régime de détention à vie, mais seulement pendant les périodes où le détenu concerné est jugé particulièrement dangereux. Pour ce faire, nous devons faire confiance aux services spécialisés que sont le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), de même qu’aux agents pénitentiaires, aux magistrats instructeurs et, plus généralement, aux juges, qui sont indépendants et dont c’est le métier.
Au moment où je vous parle, il n’est pas évident que certains grands assassins, condamnés comme tels mais ayant désormais atteint un âge très avancé, soient encore dangereux : il n’y a donc aucune raison de leur appliquer ce régime de détention. En revanche, certains individus non condamnés, placés en détention provisoire, s’avèrent très dangereux. Or, puisqu’il a été question de sadisme – c’est peut-être ainsi que vous concevez le monde carcéral –, il n’est pas normal que les premiers soient encore soumis à des régimes d’isolement ou à des régimes très durs, alors que les seconds, placés en détention provisoire pour des faits supposés beaucoup moins graves mais capables de commanditer un assassinat ou une évasion – je pense à celle qu’aurait commanditée M. Amra à Incarville –, se voient appliquer le régime classique. Pour prendre d’autres exemples, je ne suis pas sûr que M. Carlos soit encore dangereux pour la société – ce qui n’atténue en rien la gravité des crimes qu’il a commis –, au contraire d’un individu incarcéré hier ou avant-hier dans une maison d’arrêt et soumis à un régime beaucoup moins strict.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). C’est un sophisme.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Non, c’est la réalité. Certains détenus sont à l’isolement, du fait de leur statut, alors qu’ils ne le méritent sans doute pas ; d’autres individus, en détention provisoire, échappent à ce régime, en dépit de leur grande dangerosité, parce que nous ne connaissons pas totalement leur profil et manquons de renseignements criminels – d’où l’utilité du Pnaco. Ce n’est pas toujours une question de mauvaise organisation de l’administration pénitentiaire ou d’insuffisance de la loi !
Je souhaite affecter les détenus dans tel ou tel régime non pas en fonction de ce qu’ils ont fait, ou de leur statut – condamnés ou placés en détention provisoire –, mais en fonction de leur dangerosité, c’est-à-dire de ce qu’ils pourraient encore faire à l’extérieur. Commandent-ils toujours des points de deal ? Commanditent-ils des assassinats ou des évasions ? Menacent-ils les agents pénitentiaires ? Je pense notamment à un individu placé en détention provisoire, que nous devons gérer quasiment tous les jours car il menace expressément une magistrate et un directeur de prison en précisant les horaires de sortie d’école ou de crèche de leurs enfants. Malgré son régime d’isolement, il obtient des renseignements qui lui permettent d’empêcher des magistrats indépendants ou des directeurs de prison d’accomplir correctement leur travail. M. Bernalicis a raison de dire qu’il peut y avoir, derrière tout cela, des menaces ou de la corruption d’agents pénitentiaires ; c’est une éventualité que je n’ai jamais négligée.
Mme Martin et Mme Obono ont prétendu que ce nouveau régime d’isolement priverait les détenus de tous leurs droits, qu’ils ne pourraient pas aller à la bibliothèque ni prendre des cours… C’est totalement faux ! Où avez-vous trouvé cela ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je ne sais pas, cela n’est pas écrit.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Mais vous l’avez dit de façon affirmative. Ces détenus pourront évidemment accéder, comme ceux qui sont aujourd’hui placés à l’isolement, à une bibliothèque, à des cours et à un certain nombre d’activités éducatives et sportives.
Vous avez parlé d’activités ludiques, monsieur Bernalicis. Voulez-vous me faire dire que, dans une maison d’arrêt française, des détenus radicalisés n’ont pas à bénéficier de séances de massages ou de maquillage ? Je l’assume. En revanche, des femmes à quelques mois de la réinsertion doivent-elles réapprendre à se maquiller ? La réponse est oui. Ne caricaturez pas mes propos : ce ne sont pas des cours de français, des activités sportives ou des promenades que j’ai interdits, mais l’organisation, dans une maison d’arrêt, d’ateliers de massage – pour des hommes – et de maquillage destinés à des détenus radicalisés. Une grande partie de nos concitoyens, y compris des électeurs de La France insoumise, sont plutôt d’accord avec ce que je viens de dire.
S’agissant de la durée du nouveau régime de détention, j’aimerais savoir si le sous‑amendement défendu par le groupe Écologiste et social est un sous-amendement d’appel. Vous me dites que quatre ans, c’est trop ; je le comprends bien, d’autant qu’une partie des personnes concernées seraient en détention provisoire et non condamnées pour peine. Je pense cependant que quatre mois, ce n’est pas assez. Peut-être pourrions-nous travailler ensemble pour trouver une solution de compromis, une durée qui respecte les droits de la défense et corresponde à la dangerosité des détenus, car le narcobanditisme français n’est pas la mafia italienne. Peut-être pourrions-nous aussi distinguer le régime applicable à la détention provisoire de celui applicable aux condamnés pour peine. Attendons l’avis du Conseil d’État pour y réfléchir. Sur ces deux questions, je suis ouvert à un compromis. J’essaie de trouver un chemin qui nous permettrait de recueillir le plus grand nombre de voix sur un sujet aussi important. Quant à vous, vous ne pouvez pas méconnaître que seul un isolement strict permettra de couper les liens d’un certain nombre de personnes extrêmement dangereuses avec le narcobanditisme.
M. Léaument et M. Bernalicis ont caricaturé l’amendement du gouvernement en expliquant qu’il permettrait de mettre 100 personnes à l’isolement ensemble. C’est tout le contraire ! Allez visiter les prisons de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe : sur le modèle des prisons italiennes, elles comportent huit à dix ailes de dix à douze détenus disposant chacune d’une cour de promenade spécifique, où peuvent sortir trois à quatre individus n’ayant évidemment aucun lien entre eux, ou, pendant une heure, une seule personne placée à l’isolement. On peut donc être dans la même prison sans jamais se croiser. L’idée selon laquelle l’isolement serait cassé par le regroupement de 100 personnes est donc un peu saugrenue. C’est mal connaître nos établissements pour peine !
Mme Elsa Faucillon (GDR). Mais il va falloir 200 agents pénitentiaires !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Oui, il faudra prévoir deux à trois agents pour chaque mouvement, et anonymiser leur travail – en Italie, ils changent de prison tous les six mois. Ce sujet n’est pas drôle, mais au contraire très important : certains agents sont tués, d’autres menacés…
Plus généralement, ce nouveau régime de détention nécessitera une réforme du fonctionnement de l’administration pénitentiaire. Ainsi, les maisons d’arrêt se caractérisent aujourd’hui par une mixité des détenus qui est effectivement indigne : des individus radicalisés, des condamnés pour narcobanditisme, des délinquants routiers, des auteurs de violences conjugales et des personnes coupables de délits financiers ne devraient pas se trouver dans la même cellule. Cette promiscuité favorise les mauvaises fréquentations et présente des risques de contamination pour les uns et les autres. La concentration des moyens sur les prisons de haute sécurité et les régimes de détention spécifiques permettra par ailleurs d’alléger les contraintes pesant sur les maisons d’arrêt classiques, la détention à domicile et le placement à l’extérieur, ainsi que d’envisager l’affectation d’individus condamnés à de courtes peines dans des petites maisons d’arrêt, par exemple.
Je donne donc un avis défavorable à tous les sous-amendements, sauf peut-être au sous-amendement CL662, car M. Colombani a raison de s’interroger sur l’opportunité d’appliquer aux repentis ce régime de détention spécifique : les personnes qui parlent et coopèrent avec la justice ne doivent pas être soumises au même régime que celles qui ne parlent pas. C’est, me semble-t-il, ce qui se fait en Italie. Je propose donc à M. Colombani de retravailler son sous-amendement, en lien avec le rapporteur, pour que nous puissions l’adopter en séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le respect de la dignité humaine est une exigence cardinale pour le groupe GDR – pour les autres aussi, je l’espère. Ce principe à valeur constitutionnelle s’applique aussi à ceux qui ont bafoué la dignité des autres, et c’est ce qui fait l’honneur de notre société.
Pour que les personnes aujourd’hui incarcérées ne sortent pas de prison plus dangereuses qu’elles n’y sont entrées, il est indispensable de s’intéresser aux conditions de détention. Je m’étonne, monsieur le ministre, de vous entendre annoncer d’importants moyens pour des quartiers de haute sécurité alors que vous êtes si peu regardant vis-à-vis des conditions de détention actuelles, qui pourtant favorisent la récidive et entravent le travail des agents pénitentiaires, autorisant ainsi les criminels à continuer à agir pendant leur détention.
Qui peut croire à votre solution démagogique ? Non seulement elle est attentatoire à la dignité humaine, mais elle requiert des moyens colossaux pour empêcher toute interaction entre les détenus. Je n’ose penser aux agents pénitentiaires, qui sont parfois seuls pour s’occuper de soixante détenus, et qui entendent parler d’un ratio d’un pour cinq dans les quartiers de haute sécurité.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Des désaccords fondamentaux demeurent entre nous, monsieur le ministre, malgré votre ouverture sur la durée de détention préventive.
Pour le reste, vos réponses confirment l’analyse de Mme Faucillon. Il y a une confusion entre ce que doit être une politique pénale intraitable dans la lutte contre le narcotrafic et ce que doit être la peine elle-même.
Je suis opposé à l’amendement gouvernemental qui déroge de façon exorbitante aux principes fondamentaux de notre droit.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Votre amendement et vos propos sont dangereux, monsieur le ministre, parce qu’en rassemblant les narcotrafiquants dans des prisons spécialisées, vous créez un cartel ; vous concentrez en un même lieu des moyens de corruption car ces gens possèdent des sommes considérables. Or, puisque vous refusez de doter la Junalco (juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée) des logiciels appropriés, vous ne pourrez pas les frapper au portefeuille efficacement.
Vous avez intérêt à très bien payer les agents pénitentiaires, sinon vous allez au‑devant de problèmes : les narcotrafiquants communiqueront entre eux par le biais d’agents qu’ils auront réussi à corrompre grâce aux moyens financiers exceptionnels dont ils disposent.
Ce régime est dangereux ensuite car il contrevient à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 66 de la Constitution.
M. Romain Baubry (RN). Enfin, les choses commencent à aller dans le bon sens !
Nous sommes bien sûr favorables à un régime carcéral particulier, nécessaire pour essayer de mettre hors d’état de nuire les narcotrafiquants, sous réserve que leurs conditions de détention soient extrêmement strictes.
Nos prisons ont besoin d’un rétablissement de l’ordre, toutes nos prisons, monsieur le ministre. Les personnels pénitentiaires réclament des moyens pour sécuriser les établissements et pour être protégés.
Nous voyons d’un bon œil le retour des fouilles. J’ai proposé deux amendements sur le sujet : l’un pour rétablir les fouilles après tout contact physique dans toutes les prisons, l’autre pour les seules prisons de haute sécurité. Je le rappelle, lorsque la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’était pas dotée d’une législation encadrant les fouilles. Ce n’est plus le cas désormais.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le choix, au détour d’un amendement déposé la veille, de recréer les quartiers de haute sécurité qui ont été supprimés en 1984 par Robert Badinter – il doit se retourner dans sa tombe – est vraiment détestable sur le fond et sur la forme.
Il aurait été judicieux d’attendre l’avis du Conseil d’État avant de présenter un amendement visant à créer un nouveau régime carcéral aussi attentatoire aux droits humains. Même en matière de terrorisme, personne n’a osé présenter de telles dispositions. Pourquoi n’avez-vous pas déposé cet amendement au Sénat ? Avez-vous recueilli l’avis de la Contrôleure générale des lieux privatifs de liberté (CGLPL) ?
L’isolement carcéral doit être évidemment le plus court possible pour être efficace.
Je me demande vraiment ce que vous cherchez, monsieur le garde des sceaux, si ce n’est, à la manière de Sarkozy, de l’affichage, toujours de l’affichage, comme vous savez si bien le faire.
Quant à la décision de la CEDH, elle ne se prononce pas sur la disposition légale.
M. Sacha Houlié (NI). D’abord, je partage la circonspection de mes collègues sur le régime et sur son principe : si les quartiers de haute sécurité avaient été efficaces, on le saurait depuis les années 1980. Or, François Besse et Jacques Mesrine ont réussi à s’en évader à plusieurs reprises ; si le régime que vous voulez instaurer était efficace, on le saurait puisqu’il est aujourd’hui appliqué à Rédoine Faïd ; s’il était efficace, on le saurait puisque la porosité que nous connaissons dans les quartiers radicalisés n’existerait pas.
Ensuite, plusieurs éléments de fond empêchent d’adopter l’amendement : la durée de détention, cela a été dit ; la décision de placement qui vous incombe sera une décision administrative, qui devra être contestée devant un tribunal administratif. Or, le juge des libertés et de la détention est un juge judiciaire. Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles votre amendement ne peut être voté en l’état.
M. le président Florent Boudié. Le 11 mars à 16 heures, les trois rapporteurs et moi-même avons rendez-vous, en présence de M. le ministre, au Conseil d’État ; le 14 mars, celui-ci rendra son avis ; M. le ministre le rendra public immédiatement – ce n’est pas si commun. Nous en disposerons donc pour le début de l’examen en séance le 17 mars.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je comprends que l’on déroge au droit commun pour certains criminels avec des profils très particuliers.
Le régime carcéral que propose l’amendement est dur – il faut le reconnaître –, très dur. La mise à l’isolement en est l’illustration.
La durée de quatre ans est beaucoup trop longue. Vous avez ouvert la porte à une discussion, je le salue.
Par ailleurs, je souhaite que la présence de l’avocat soit de droit tout au long de la procédure contradictoire préalable à l’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée. Pour l’instant, il est écrit que la personne « peut être assistée de son avocat ».
Mme Eléonore Caroit (EPR). J’irai dans le même sens. Il s’agit, en effet, d’un régime très dur.
Comment les motifs indiqués dans le nouvel article L. 224-5 du code pénitentiaire – « à titre exceptionnel, afin de prévenir la commission ou la répétition d’une infraction d’une particulière gravité ou lorsqu’il apparaît qu’elles présentent un risque d’atteinte très grave au bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique » – seront-ils appréciés sachant qu’il s’agit d’une décision du garde de sceaux, donc administrative ? Il est important que les débats parlementaires apportent des précisions sur ce point, voire confient à un juge le soin de décider.
Par ailleurs, la durée de quatre ans est extrême longue, connaissant les conditions de détention et celles dans lesquelles la décision a été prise.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La gauche a l’habitude de se préoccuper davantage des droits des coupables que de ceux des victimes.
Il n’est pas question ici de petits délinquants mais de têtes de réseaux criminels, qui réorganisent leur trafic depuis leurs cellules, donnent des ordres, orchestrent des règlements de compte, commanditent des crimes, autrement dit poursuivent leurs activités en toute impunité.
L’isolement carcéral n’est pas une punition arbitraire comme certains veulent nous le faire croire, mais un outil stratégique pour démanteler des réseaux de drogue, qui pourrissent la vie de nos concitoyens. L’objectif du texte est d’empêcher les criminels de continuer de nuire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des prisons.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je rejoins M. le ministre sur le principe. Il est néanmoins possible d’en améliorer les modalités d’application.
Le régime carcéral est ferme, sévère même, mais cela ne l’empêche pas d’être juste dans le cas qui nous intéresse, celui des narcotrafiquants parmi les plus dangereux du pays. On parle d’individus qui sont capables aujourd’hui, depuis leur prison, de continuer à organiser leurs petits trafics, de transformer leur cellule en bureau pour contrôler des réseaux, intimider, menacer voire commanditer d’autres crimes.
L’idée d’un établissement pénitentiaire spécialisé est essentielle. Nous sommes plutôt d’accord au sein de la commission des lois pour estimer que les petites peines ne doivent pas côtoyer des longues peines et que les terroristes doivent être isolés. De la même manière, nous devons nous préoccuper des narcotrafiquants. Dans les prisons, on trouve des téléphones clandestins, des parloirs servent à relayer des menaces, on ne peut pas l’accepter.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Mazars, je suis favorable à ce que soit précisée, dans le texte si nécessaire, la présence de l’avocat dès la première minute. Je suis ouvert à une révision de la durée de la détention.
Madame Capdevielle, votre référence au ministre Badinter me paraît un peu politicienne, d’autant que le narcobanditisme des années 2020 n’est pas celui des années 1980.
Si je n’avais pas présenté l’amendement en commission, vous m’auriez reproché de le faire en séance publique. En réalité, vous n’avez malheureusement pas envie de discuter du fond. Je le regrette car le sujet est très important.
Monsieur Houlié, le régime n’est pas efficace parce qu’il n’existe pas en France. Existe-t-il ailleurs ? Oui, en Italie. A-t-il fait la preuve de son efficacité ? Oui, demandez à nos amis italiens. Il a été instauré par un gouvernement socialiste parce qu’il était en phase avec les réalités.
Enfin, ce régime de détention est très important pour que le statut de repenti soit utilisé efficacement dans la lutte contre la criminalité organisée. C’est par la négociation, en faisant miroiter à certains la possibilité d’échapper à un tel régime, que l’on obtiendra d’eux qu’ils parlent et que l’on pourra mettre fin aux activités criminelles très nombreuses, comme en Italie.
Le sous-amendement CL662 est retiré.
La commission rejette successivement l’ensemble des autres sous-amendements.
Elle adopte l’amendement.
La séance est levée à 13 heures 15.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Paul-André Colombani, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, M. Jocelyn Dessigny, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Martine Froger, Mme Camille Galliard-Minier, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot
Excusés. - M. Moerani Frébault, Mme Andrée Taurinya, M. Jiovanny William
Assistaient également à la réunion. - Mme Bénédicte Auzanot, Mme Eléonore Caroit, M. Pierrick Courbon, M. Fabien Di Filippo, Mme Céline Hervieu, M. Sacha Houlié, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Gisèle Lelouis, M. Matthias Renault