Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Suite de l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) 2
– Examen des articles de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (n° 908) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) 13
Vendredi
7 mars 2025
Séance de 14 heures
Compte rendu n°50
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs)
Article 24 (suite) (art. L. 22-11-1, L. 22-11-2, L. 213-3 et L. 213-4 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure, art. 4 et 7 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989, art. L. 442-4-1 et L. 442-4-3 [nouveau] du code de la construction et de l’habitation) : Interdiction administrative de paraître sur les points de deal
Amendement CL103 de Mme Marie-France Lorho
M. Michaël Taverne (RN). Cet amendement vise à informer le maire qu’une interdiction de paraître a été prononcée dans sa commune.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’échange d’informations entre l’autorité administrative et l’autorité municipale est toujours bénéfique. Cependant, cette disposition risquerait de créer une usine à gaz. Les sénateurs sont à l’écoute des maires : ils ont auditionné leurs organisations représentatives, en particulier l’AMF (Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité), mais une telle demande ne semble pas avoir été formulée. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL309 de M. Jocelyn Dessigny
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il s’agit de supprimer des restrictions susceptibles de limiter la portée des interdictions de paraître.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Le texte qui résulterait de l’adoption de cet amendement contournerait les dispositions du code des relations entre le public et l’administration.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL585 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL453 de M. Jordan Guitton.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL586 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendements CL13 de M. Ugo Bernalicis et CL155 de Mme Cyrielle Chatelain (discussion commune)
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les alinéas 8 à 16 permettent de résilier le contrat de location de personnes soupçonnées d’avoir participé au trafic de stupéfiants. Les dispositions du texte sont si sévères qu’elles sont susceptibles de pénaliser une famille entière en raison des agissements d’un seul de ses membres. C’est scandaleux, car cela pourrait conduire à sanctionner des gens qui n’ont aucun lien avec le trafic de stupéfiants.
Mme Sandra Regol (EcoS). Les alinéas 8 à 13 sont satisfaits à droit constant. Les adopter ajouterait une couche à un millefeuille législatif déjà difficilement applicable et ne ferait que multiplier des causes de nullité susceptibles d’empêcher des condamnations. L’amendement CL155 tend donc à supprimer ces alinéas.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable à ces deux amendements. Des dispositions existent en effet, notamment dans la loi du 6 juillet 1989. Néanmoins, les auditions ont montré que les compléter pourrait aider à prendre en considération certaines réalités. Il est vrai que l’article mérite des aménagements : je défendrai dans un instant un amendement de réécriture des alinéas 8 à 13, relatif notamment aux intérêts des bailleurs, certains éléments n’ayant pas leur place dans cet article.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il s’agit ici d’exclure d’un immeuble social les personnes qui perturbent la tranquillité et le quotidien des habitants par leur participation au trafic de drogue. Il est très difficile de se loger : nous accueillons tous dans nos permanences des victimes de violences intrafamiliales ou des personnes en situation de handicap qui ont besoin d’un logement décent. Expulser des hors-la-loi au profit d’autres personnes participerait à l’édification d’une République protectrice. Nous nous opposons à ces amendements, qui protègent non les victimes mais les délinquants et les criminels.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). On exige des locataires sociaux une jouissance paisible de leur logement, ce qui est légitime. Le texte ajoute qu’ils ne doivent pas susciter de troubles dans l’espace public, lequel n’appartient pas au bailleur. Outre sa dimension subjective, cette disposition aurait pour conséquence d’expulser de leur logement, avec le concours de la force publique, des familles qui en jouissent paisiblement, en respectant les règles. Des gens se retrouveraient alors d’autant plus en difficulté qu’aucune obligation de relogement n’est prévue. Ces familles seront à la rue, alors qu’une action préventive, à même d’empêcher les plus jeunes d’entrer dans des trafics, nous permettrait d’éviter certaines situations.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL592 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Le présent amendement réécrit les alinéas 8 à 13 et tend, notamment, à supprimer la notion d’atteinte aux intérêts du bailleur.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Plusieurs problèmes se posent. M. Dessigny dit qu’il veut punir ceux qui ne respectent pas la loi, mais il n’est pas question de cela. Voici ce qui est en cause : « Lorsque [le préfet] constate que les agissements ou les activités de l’occupant habituel d’un logement troublent l’ordre public de manière grave ou répétée et que ces agissements ou ces activités, en lien avec des activités de trafics de stupéfiants, méconnaissent les obligations », etc. Comment démontre-t-on le lien avec un trafic de stupéfiants ? Seuls une enquête et un procès peuvent l’établir. Sinon, c’est l’arbitraire. Le préfet pourrait se contenter d’affirmer qu’il a vu un trafic de stupéfiants. Or on ne peut démontrer l’existence d’un trafic par des « on dit » : il faut le matérialiser. Ces dispositions sont donc attentatoires aux principes du droit.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, la trêve hivernale sera-t-elle respectée ? Cela signifierait qu’on ne lutte contre le trafic de stupéfiants que l’été – en admettant que la mesure soit efficace.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Le rapport auquel vous avez travaillé, monsieur Léaument, ne vous a peut-être pas donné l’occasion de vous rendre à un point de deal pour observer comment les choses se passent. Il y en a un à côté de ma permanence – il a été identifié par de multiples interventions de la police, notamment. On n’éradique pas un tel problème du jour au lendemain : on a beau couper les têtes du réseau et arrêter les dealers, d’autres prennent leur place. Le site dont je vous parle est connu pour être un point de deal et les personnes qui s’y trouvent ont déjà été interpellées : on sait qu’elles vendent des stupéfiants – et le mot « stupéfiants » est bien présent dans ces dispositions. Le dispositif est parfaitement encadré. Il est placé sous l’autorité du préfet, dont l’action sera cohérente avec les rapports de police et de gendarmerie. On confère des pouvoirs aux forces de l’ordre pour qu’elles nous protègent et elles sont assermentées. Il faut leur faire confiance. Nous avons besoin d’elles et elles ont besoin de notre confiance.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous sommes certainement nombreux à avoir un point de deal à proximité de notre permanence. On peut rester inactif et laisser faire – c’est apparemment votre choix – ou agir, en discutant avec les habitants, les représentants de la préfecture, les forces de police et les membres de la municipalité.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL156 et CL157 de Mme Cyrielle Chatelain tombent.
Amendement CL158 de Mme Cyrielle Chatelain
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Les alinéas 14 à 16, que le présent amendement tend à supprimer, prévoient d’autoriser le préfet à saisir le juge, si le bailleur ne le fait pas, en vue de résilier le bail d’un locataire qui ne respecte pas l’obligation de faire un usage paisible de son logement et de ses abords.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ces dispositions ne concernent pas l’usage paisible du logement lui-même. D’ailleurs, si les bailleurs ne recourent pas aux expulsions que vous souhaitez, c’est que la loi ne le leur permet pas. Le texte oblige la famille à garantir la tranquillité de l’espace public. Il est ainsi question des « abords du logement », mais ce terme n’est pas défini : jusqu’où l’obligation ira-t-elle ? On ne peut adopter une telle évolution juridique sans savoir précisément comment s’appliquera le dispositif. Une telle mesure ne sert à rien et elle est injuste ; en outre, elle ouvre une brèche dont on ne peut admettre l’existence lorsqu’on fabrique la loi. L’USH (Union sociale pour l’habitat), qui fédère tous les bailleurs, a-t-elle été consultée sur ce sujet précis ?
Mme Sandra Regol (EcoS). Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que l’amendement CL592 permettrait de retravailler sur la question de l’intérêt des bailleurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous avons auditionné l’USH, qui s’est déclarée favorable à la mesure. L’amendement CL592 permet de supprimer la mention de l’atteinte aux intérêts du bailleur.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL308 de M. Jocelyn Dessigny
M. Jocelyn Dessigny (RN). Merci, madame Regol, d’avoir œuvré pour les habitants de votre circonscription, mais votre action n’a manifestement pas suffi et je vous invite donc à continuer vos efforts. Si vous voulez lutter contre le trafic de drogue, commencez par voter les dispositions du texte qui vont dans ce sens, ainsi que l’amendement CL308. Il tend à préciser que les agissements visés sont liés au trafic de stupéfiants « ou [relèvent] de la délinquance ou de la criminalité organisée » – on touchera ainsi non seulement le bas, mais aussi le milieu du spectre, voire le haut.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). La rédaction pose un problème : toute activité de délinquance offrirait un motif suffisant pour expulser quelqu’un de son logement. C’est liberticide.
Vous dites, monsieur Dessigny, que ni les fréquentes interventions de la police ni la décapitation des têtes de réseau n’ont suffi à supprimer le point de deal à côté de votre permanence. Avez-vous la certitude que les têtes de réseau ont été coupées et que l’approvisionnement en drogue a été empêché ?
Vous soulignez que les personnes dépositaires de l’autorité publiques sont assermentées, c’est-à-dire qu’elles ont prêté serment. J’éprouve du respect pour elles en général, mais je suis obligé de constater que certaines mentent et sont corrompues – un procès a lieu en ce moment même pour juger des policiers qui avaient participé à un trafic de stupéfiants en lien avec la Guyane. On peut toujours rompre un serment. Ceux qui s’adonnent à ces pratiques salissent l’uniforme – ce n’est pas faire insulte aux policiers que de le dire. Je condamne de telles actions et je suis bien content que, policiers ou non, ceux qui ne respectent pas la loi soient jugés.
Mme Sandra Regol (EcoS). Pour s’assurer que la police n’aura plus du tout les moyens de fonctionner, on peut voter cet amendement. Si on applique la mesure à tous les auteurs de délinquance, par exemple ceux qui tiennent des propos racistes ou homophobes, on saturera les services de police et de justice. Il ne sera plus possible de traiter les dossiers dans l’ordre, en distinguant les têtes de réseau des petits délinquants, ni d’assurer la sécurité des personnes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement rédactionnel CL587 de M. Vincent Caure
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cet amendement prévoit de mentionner « le représentant de l’État dans le département » à l’alinéa 15, alors que l’alinéa 5 évoque « le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le préfet de police ». Quid de Paris ?
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est juste. Je redéposerai l’amendement en veillant à une harmonisation.
L’amendement est retiré.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL588, CL589, CL590 et CL591 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL159 de Mme Cyrielle Chatelain
Mme Sandra Regol (EcoS). Cet amendement, de repli, tend à éviter que des personnes se retrouvent à la rue à l’issue de la procédure. Il est question de familles, d’enfants qui n’ont probablement rien à voir avec les délits reprochés à la personne poursuivie. La mesure que nous proposons est nécessaire.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Le code de la construction et de l’habitation prévoit déjà une possibilité de relogement. Nous voulons élargir l’obligation d’usage paisible aux abords du logement, mais le reste de la procédure restera inchangé.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le préfet décide seul de virer une famille de son logement et on résilie le bail : ai-je bien compris ou une procédure contradictoire est-elle prévue ? S’il en existe une, un recours sera-t-il suspensif ? Une expulsion peut fragiliser la famille concernée, en particulier les enfants. Admettons qu’un membre d’une fratrie ait participé à un trafic de stupéfiants, ce qui n’est pas bien, toute sa famille sera expulsée, y compris son frère de 5 ans, scolarisé. Vous ajouterez de nouvelles difficultés éducatives, lesquelles précisément favorisent l’entrée dans le trafic de stupéfiants. Nous votons un peu vite ces dispositions.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous sommes en train d’examiner le dernier amendement, à l’exception de ceux tendant à obtenir des rapports. Encore une fois, vous proposez de supprimer une partie du dispositif. Nous constatons que tout au long de l’examen de ce texte la gauche et l’extrême gauche ont tenté de le détricoter, de manière à ne donner aucun nouveau moyen aux forces de l’ordre pour lutter contre le narcotrafic, voire à leur en retirer. De même, vous n’avez de cesse de dénoncer le manque de moyens, mais vous ne votez pas les budgets. Vous ne faites rien pour lutter contre le trafic de drogue. Vous avez travaillé un an et demi sur le sujet mais vous n’en avez rien tiré pour améliorer le texte. Vos amendements servent au contraire à le détruire. Certes, il est insuffisant : il ne contient pas de mesures préventives, médicales ni sociales, et aucune augmentation budgétaire n’est prévue – il faudrait voter un PLFR (projet de loi de finances rectificative) pour financer l’application de la loi.
Une fois de plus, vous vous êtes faits les défenseurs des narcotrafiquants et de tous ceux qui enfreignent la loi. Ils doivent vous remercier sincèrement d’avoir réussi à supprimer une partie du dispositif : ils pourront ce soir dormir sur leurs deux oreilles, tandis que les victimes continueront à subir le trafic de drogue et ses conséquences.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 24 modifié.
Après l’article 24
Amendements CL126 et CL226 de M. Yoann Gillet (discussion commune)
M. Yoann Gillet (RN). Les bourses, financées par la solidarité nationale, servent à ceux qui ont besoin d’une aide pour réussir leurs études et bâtir leur avenir. Elles incarnent un engagement fort de la nation envers la jeunesse ; en aucun cas, elles ne doivent être détournées au profit de ceux qui choisissent de bafouer la loi. Le trafic de drogue en milieu étudiant est une réalité préoccupante – on peut même être étudiant-dealer, devenir chroniqueur télé puis être élu député. Derrière chaque vente, des addictions se développent, des parcours se brisent et l’insécurité gangrène les campus.
L’amendement CL126 vise à préciser que les individus condamnés définitivement pour trafic de stupéfiants ne pourront plus bénéficier de bourses nationales délivrées sur critères sociaux. Il s’agit d’être dissuasif, d’affirmer fermement que l’État ne peut pas d’un côté lutter contre le trafic de drogue et de l’autre financer ses auteurs, que s’engager dans des activités criminelles entraîne des conséquences. Ceux qui font le choix du trafic ne peuvent prétendre aux mêmes droits que les autres.
Par ailleurs, l’implication de mineurs dans le trafic de stupéfiants est dramatique : elle gangrène les quartiers et détruit des vies. Les trafiquants enrôlent des enfants toujours plus jeunes pour les envoyer en première ligne, tandis que les criminels restent dans l’ombre. Si certains parents sont en détresse et appellent à l’aide, d’autres laissent faire et profitent de l’argent ainsi rapporté. L’amendement CL226 tend donc à suspendre le versement des allocations familiales aux parents dont les enfants ont été déclarés coupables de trafic de stupéfiants. Les Français souhaitent largement l’adoption de cette mesure.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ces amendements ne sont pas très malins. Vous demandez de supprimer les bourses pour les étudiants qui ont été condamnés pour trafic de stupéfiants alors qu’il serait plus utile pour le pays que ces jeunes puissent suivre par la suite, grâce à une bourse, des études et devenir, par exemple, médecins, notamment dans les zones où il en manque. De plus, supprimer les allocations familiales pour les parents est absurde, car cela inciterait à continuer le trafic pour subvenir aux besoins de la famille. Bref, ces mesures sont ridicules et inefficaces.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL92 de Mme Pascale Bordes
M. Jocelyn Dessigny (RN). Cet amendement demande un rapport sur l’effectivité de la future loi, qui, je le rappelle, nécessitera des moyens financiers supplémentaires.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avec ces nombreux amendements de demande de rapport, nous ouvrons déjà le Printemps de l’évaluation ! J’émettrai des avis défavorables. Nous pourrons toujours mener une mission d’information une fois ces mesures mises en place.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL192 et CL193 de Mme Estelle Mercier, CL373 et CL374 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). En l’absence d’étude d’impact, nous légiférons à l’aveugle. Les amendements CL373 et CL374 proposent un rapport sur les moyens des juridictions pénales spécialisées et l’opportunité d’en créer de nouvelles.
Je rappelle que les magistrats et les magistrates de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et du parquet de Paris ont pointé devant la commission d’enquête du Sénat leur manque de moyens humains et informatiques. Ils ont relevé notamment qu’il n’y avait qu’un assistant spécialisé pour neuf cabinets d’instruction et que certains experts ne voulaient plus travailler avec la Junalco en raison des retards de paiement.
On peut améliorer sans inflation pénale le travail des agents du service public qui sont déjà à pied d’œuvre pour lutter contre la criminalité organisée. Un rapport permettrait d’établir plus précisément les besoins.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous ne légiférons pas à l’aveugle puisque nous avons tenu compte des retours de la mission de préfiguration, qui rendra bientôt ses conclusions définitives, notamment sur la coordination entre le Pnaco (parquet national anti-criminalité organisée) et les Jirs (juridictions interrégionales spécialisées) – cela nous permettra d’affiner le dispositif en séance.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’ai proposé avec M. Mendes d’augmenter les moyens des Jirs – nous étions d’accord, ce qui pourrait inciter les députés EPR à voter ces amendements. Il faudrait peut-être même démultiplier ces structures. Quelques exemples : la Jirs compétente pour la Guyane ne se trouve pas sur ce territoire et le tribunal de Cayenne est dans des locaux d’Air France, ce qui est un peu ridicule compte tenu de la situation. Il serait également utile de renforcer les moyens de la Junalco, qui doit notamment faire face à des problèmes avec les logiciels utilisés dans le cadre de la lutte contre le blanchiment.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL232 et CL233 de M. Pierrick Courbon, CL375 de M. Ugo Bernalicis et CL248 de M. Michaël Taverne (discussion commune)
M. Roger Vicot (SOC). L’amendement CL232 demande que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur les possibilités offertes par les sites de paris en ligne dans le cadre du blanchiment d’argent issu de la criminalité organisée.
L’amendement CL233 propose, quant à lui, un rapport permettant de voir les effets de la future loi sur la lutte contre le narcotrafic réalisé dans des locaux associatifs.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). On peut créer des dispositifs très sévères, mais si on n’a pas les moyens de lutter contre le crime organisé et le blanchiment, cela ne sert à rien. Nous souhaitons donc un rapport sur les moyens alloués à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc).
Il faut, par ailleurs, veiller à attribuer les moyens là où ils sont nécessaires. C’est une des raisons pour lesquelles nous ne votons pas certains budgets. Il est inutile de créer 15 000 places de prison qui seront aussitôt remplies faute de réel changement de stratégie en matière de lutte contre la criminalité.
M. Michaël Taverne (RN). Les enquêteurs de la brigade financière ne sont pas suffisamment formés aux cryptomonnaies, qui sont utilisées par les réseaux criminels à des fins de blanchiment. Ils doivent donc systématiquement solliciter l’Office anti-cybercriminalité (Ofac), qui doit déjà gérer des tonnes de dossiers.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’ai soutenu le texte qui a renforcé les moyens de l’Agrasc et je ne comprends pas – à moins d’imaginer qu’il n’y ait pas de volonté politique de lutter contre la délinquance économique et financière – qu’on ne les renforce pas encore davantage, avec ceux du parquet national financier (PNF), car ce sont des fonctionnaires qui rapportent beaucoup d’argent. L’Agrasc agit d’ailleurs contre la délinquance de haute comme de moyenne et basse intensité.
Très peu de policiers sont formés à la lutte contre la délinquance économique et financière et très peu en font la demande. Je plaide depuis des années pour que le ministère de l’intérieur sorte du dogmatisme du concours unique afin de procéder à des recrutements dédiés de personnes intéressées par ces missions.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL129 de M. Yoann Gillet, CL369 et CL387 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
M. Yoann Gillet (RN). La liaison aérienne Paris-Cayenne est une des principales routes d’acheminement de la cocaïne vers l’Europe. Chaque vol commercial compte des passeurs – des « mules » – qui transportent des stupéfiants dissimulés dans leurs bagages ou, plus grave encore, dans leur corps. Face au fléau que représente ce trafic, qui alimente la criminalité, finance les réseaux mafieux et gangrène nos territoires, des mesures ont été prises, notamment la mise en place du dispositif « 100 % contrôle » à l’aéroport de Cayenne, qui a pour objectifs, par un filtrage intégral des voyageurs, de dissuader les trafiquants, d’intercepter les passeurs et de perturber les circuits logistiques des cartels. J’ai pu constater son efficacité, lors d’une mission parlementaire, mais les trafiquants n’ont de cesse d’adapter leurs méthodes. C’est pourquoi nous demandons un rapport d’évaluation de ce dispositif, portant sur l’ampleur des efforts réalisés, leur efficacité sur le long terme et les effectifs.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je laisserai Mme Obono détailler l’amendement CL369, relatif à l’exploitation des mineurs par la criminalité organisée.
L’amendement CL387 demande un rapport d’évaluation sur le phénomène des mules. Outre des problèmes juridiques, le dispositif « 100 % contrôle » n’est pas un outil de lutte contre le trafic de stupéfiants en Guyane puisque sa fonction est seulement d’empêcher le transfert de drogue de la Guyane vers l’Hexagone. Par ailleurs, les mules interceptées à l’aéroport d’Orly doivent d’abord être transférées à l’Institut médico-légal, escortées de douaniers, qui ensuite doivent parfois attendre toute la nuit avant l’ouverture des bureaux de l’Ofast (Office français antistupéfiants). Nous proposons qu’un rapport évalue notamment l’opportunité de créer des unités médico-légales au sein des aéroports.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je m’étonne que le rapporteur se contente de donner un avis négatif sans explication alors qu’un des amendements demande un rapport d’évaluation sur l’exploitation des mineurs par la criminalité organisée. L’Unicef a pointé l’absence de mesures en la matière dans la proposition de loi et, plus généralement, la contribution involontaire des politiques gouvernementales de guerre contre la drogue à la perpétuation de l’exploitation des mineurs.
M. Yoann Gillet (RN). Dans les premiers jours qui ont suivi le lancement du dispositif « 100 % contrôle » à Cayenne, 80 % des places réservées dans les avions étaient vides au décollage, parce que les passagers ne se présentaient pas à l’aéroport. L’État avait mené une importante opération de communication. Quelques mois plus tard, les avions étaient à moitié vides. Je rappelle que ces vols offrent chaque jour entre 300 et 400 places : cela donne une idée de l’ampleur du phénomène. Par ailleurs, il est vrai que l’opération « 100 % contrôle » empêche des entrées de cocaïne en Europe, mais pas le trafic en Guyane.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL83 de M. Ugo Bernalicis
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). S’agissant des repentis ou collaborateurs de justice, nous trouvons que des évolutions positives ont lieu. C’est un dispositif qui ne nous paraît pas relever d’une répression tous azimuts, mais nous demandons un rapport pour évaluer l’impact de la loi en la matière. Il faudrait notamment regarder, à la suite de nos débats, quelles peines sont prononcées et comment elles se déroulent, ainsi que la façon dont se passent les exfiltrations qui seraient nécessaires.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Votre demande est déjà satisfaite compte tenu de la réécriture de l’article 14.
L’amendement est retiré.
Amendements CL436 de M. Michaël Taverne, CL376 de M. Ugo Bernalicis et CL105 de Mme Marie-France Lorho (discussion commune)
M. Michaël Taverne (RN). Mon amendement concerne l’évolution du cadre d’emploi des drones. Cela fait plus de dix ans que nous demandons leur utilisation en matière de renseignement ou de troubles à l’ordre public, à l’image de ce que font la plupart des pays.
Par ailleurs, cela fait plus de quinze ans que nous soutenons la spécialisation du recrutement des policiers. Monsieur Bernalicis, l’amendement que vous nous avez proposé en la matière était très bon.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je retire l’amendement CL376 puisque la commission a adopté un de nos amendements qui rend obligatoire la formation en matière de lutte contre la corruption – c’était l’objet de la demande de rapport.
Mme Béatrice Roullaud (RN). L’amendement CL105 demande un rapport sur l’incidence des téléphones portables – qui entrent avec une grande facilité dans les prisons – sur l’organisation du trafic de stupéfiants.
Nous avons malheureusement rejeté plusieurs amendements visant à renforcer les fouilles après les parloirs. Avant que Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, n’interdise les fouilles intégrales dans ce cadre, elles étaient courantes. Elles sont indéniablement dégradantes, mais il faut savoir ce que nous voulons.
Ce texte vise à lutter contre les narcotrafiquants, des individus capables de bloquer une autoroute, de porter des armes de guerre et de tuer des gens, y compris des personnes complètement innocentes et des agents pénitentiaires. À Marseille, des jeunes filles qui étudient tranquillement dans leur chambre sont victimes de balles perdues. Comment peut-on remettre en question les fouilles corporelles après les parloirs au nom de la dignité ? Le premier des droits de l’homme est la sécurité.
M. Vincent Caure, rapporteur. Défavorable.
Mme Sandra Regol (EcoS). J’ai du mal à comprendre la logique du dernier amendement. Si votre objectif est d’évaluer l’incidence des téléphones portables sur le pilotage des actions criminelles en détention, cela implique d’accepter qu’ils entrent dans les prisons et d’abandonner tout ce qui concerne le « dossier coffre », puisqu’on ne chercherait plus à protéger quoi que ce soit, voire de détricoter une grande partie du texte. Je m’interroge d’autant plus que votre groupe a déposé de nombreux amendements allant exactement en sens inverse.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est essentiel de respecter le principe de dignité de la personne humaine, qui s’applique également aux détenus incarcérés pour des faits très graves, moralement scandaleux et juridiquement réprimés. Ils sortiront un jour de prison. Or quand on maltraite un être humain, il finit lui-même par adopter un comportement violent. En tant qu’humanistes, nous croyons que s’il existe une infime chance que la personne s’améliore et ne récidive pas, il faut la saisir.
La fouille intégrale n’est pas seulement humiliante pour les détenus : certains agents pénitentiaires détestent cette pratique. Les principes de dignité de la personne humaine et de respect des droits fondamentaux emportent des effets qui doivent s’appliquer à tous sans exception.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ce rapport est inutile : la circulation des téléphones dans les prisons, qui permet aux narcotrafiquants de piloter leur réseau depuis la prison, est un secret de polichinelle. C’est une des raisons pour lesquelles le garde des sceaux, que j’ai interrogé, comme ses prédécesseurs, sur les moyens de lutter contre ce fléau, a décidé de placer les détenus dans des prisons de haute sécurité.
M. Vincent Caure, rapporteur. La circulation des téléphones en prison est déjà bien connue, et a été approfondie dans le rapport de commission d’enquête du Sénat. Quant à l’usage des drones, compte tenu des dispositions que nous avons introduites, il faudra bien sûr une évaluation, mais une mission d’information de notre commission me paraît préférable à un rapport. Défavorable.
L’amendement CL376 étant retiré, la commission rejette successivement les autres amendements.
Amendement CL75 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Puisqu’il s’agit du dernier amendement sur ce texte, je vous remercie pour tout ce débat. Nous voterons contre cette proposition de loi qui ne parviendra pas à sortir la France du piège du narcotrafic.
Cet amendement vise à demander un rapport évaluant les atteintes au droit à un procès équitable. Le rôle du législateur est de toujours trouver un équilibre entre la liberté et l’ordre public – qui sont représentés par deux statues se trouvant de part et d’autre du perchoir dans l’hémicycle. La liberté sans l’ordre public, c’est l’anarchie ; l’ordre public sans la liberté, c’est la dictature. Avec M. Bernalicis et les collègues du Nouveau Front populaire, nous nous sommes constamment efforcés de trouver cet équilibre.
Je suis très inquiet qu’avec ce texte s’ouvre en France une ère dans laquelle la primauté est donnée à la restriction des libertés publiques, à l’heure où, dans le monde entier, le respect des libertés publiques de tous les citoyens est menacé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je ne suis pas opposé par principe au mécanisme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), et nous avons refusé son extension à la criminalité organisée. Avis défavorable.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Grâce à l’alliance de divers groupes parlementaires, notre commission a réussi, à plusieurs reprises, à protéger les libertés fondamentales et à supprimer des dispositifs attentatoires aux libertés individuelles et aux droits de la défense. Même si beaucoup de choses restent perfectibles, elle a fait un beau travail, par exemple en refusant l’extension de la procédure de CRPC à la criminalité organisée.
Le groupe GDR avait abordé l’examen de ce texte avec de nombreuses réserves et craintes qui, pour partie, se sont dissipées. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons en commission, tout en restant vigilants pour que les mesures supprimées ne soient pas réintroduites en séance.
Mme Sandra Regol (EcoS). Cette demande de rapport a le mérite de mettre l’accent sur la question que soulève l’intégralité du texte : alors que les mesures exceptionnelles s’appliquant seulement au terrorisme deviennent la norme en matière de criminalité organisée, qu’en est-il du respect des droits de la défense, et des droits en général ? On peut craindre une dérive, car il suffirait d’élargir la notion de criminalité organisée pour que l’application de ces dispositifs soit généralisée.
Nous pouvons nous réjouir de l’évolution du texte, dont certaines des pires mesures, tels les dispositifs d’écoute, ont été supprimées grâce à une union transpartisane. Néanmoins, d’autres perdurent, dont les prisons de haute sécurité si chères au garde des sceaux ou des dispositions qui pourraient donner lieu à une jurisprudence.
Nous aurons un véritable défi à relever en séance : ce texte restera-t-il un travail transpartisan, ou s’achemine-t-on vers un passage au bulldozer pour éliminer les acquis obtenus en commission ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cette question de l’extension de la CRPC à la criminalité organisée nous permet d’aborder l’équilibre d’ensemble du texte. Celui-ci comprend de nombreuses mesures cosmétiques : l’Office central de lutte contre le crime organisé remplit déjà une fonction de chef de filât, la Junalco et les Jirs, que le ministre s’est engagé à renforcer, accomplissent déjà le travail de lutte contre le narcotrafic du futur Pnaco… Toutes les autres mesures portent atteinte aux droits fondamentaux.
Les sénateurs n’ayant introduit aucune disposition de prévention, par exemple sur la consommation de stupéfiants, on fait croire que les mesures de répression ciblant le haut du spectre suffiront à régler le problème. Je pense qu’elles ne régleront rien du tout. C’est pourquoi notre opposition reste pleine et entière, bien que nous soyons très favorables à quelques mesures concernant par exemple le statut de repenti ou l’infiltration. Sur ce dernier point d’ailleurs, les modifications que nous avons adoptées sont intéressantes, mais loin d’être majeures ; ce qui compte, c’est surtout les moyens qu’on y consacre.
Nous avons cruellement besoin de mesures efficaces. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas participer à la campagne de communication de MM. Darmanin et Retailleau.=
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je salue la qualité de nos débats, malgré quelques moments de tension bien compréhensibles. Nos trois rapporteurs ont été ouverts à la discussion et ont permis des évolutions substantielles du texte, dont la suppression de dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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Puis, la Commission examine les articles de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (n° 908) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
Avant l’article unique
Amendement CL3 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Tirant les conséquences de la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), le présent amendement vise à exclure l’emploi de premier vice-procureur de la République anti-criminalité organisée des priorités d’affectation dont bénéficient les magistrats placés à l’issue de deux années d'exercice dans leurs fonctions.
La commission adopte l’amendement.
Amendement de suppression CL1 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet amendement de suppression est en cohérence avec notre opposition à la création du Pnaco, motivée par des raisons que je vais tenter de résumer.
Cette création se justifie-t-elle par l’absence de juridictions compétentes ? La réponse est non : nous pouvons déjà compter sur la Junalco, le parquet de Paris et les Jirs. Sont-elles défaillantes ? Non : nous savons que le principal problème qu’elles rencontrent, c’est le manque de moyens et la pénurie d’enquêteurs, notamment en matière économique et financière.
Quelle plus-value apporterait donc un parquet national anti-criminalité organisée ? Il est marqué par une prédominance de magistrats du parquet par rapport à ceux du siège ; or, en matière criminelle, l’inverse paraît préférable. Le parquet est déjà partie prenante dans la Junalco. Les Jirs et le parquet de Paris peuvent également suivre ces affaires.
Les principaux bénéfices résident donc dans l'affichage. Pour des raisons de communication, vous voulez focaliser l’attention médiatique sur le fait que les moyens seront centralisés autour d’un même parquet national, que les juges d’application des peines s’y montreront sévères avec les narcotrafiquants et qu’on les mettra dans les bonnes prisons – mais là, pardon, on est dans le domaine du garde des sceaux et pas dans celui des magistrats. Vous voudriez en outre faciliter les remontées d'informations relatives aux enquêtes vers le ministre, grâce à une chaîne plus directe que lorsqu’il faut aller les chercher au fin fond d’une Jirs – car les magistrats du siège, faut-il le rappeler, n’ont pas à faire remonter toutes les informations sur toutes les enquêtes, même en matière criminelle, depuis la circulaire Taubira.
Non seulement, nous n’avons pas l’intention de participer aux opérations de communication du ministère de l'intérieur, mais nous redoutons que cette nouvelle juridiction ne conduise à dévoyer les enquêtes, en les faisant aller dans telle direction plutôt que dans telle autre.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je comprends bien que vous êtes opposés à la création du Pnaco. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’aimerais également vous alerter sur la désorganisation de la lutte contre la fraude fiscale que risque de provoquer la création du Pnaco. Dans la circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale, le ministre de la justice indiquait en effet : « Dans les champs de compétence concurrente du PNF et de la Junalco, la compétence de la Junalco pourra être privilégiée dans les dossiers portant sur des agissements résultant de l’action planifiée et concertée d’une organisation ou d’un groupe criminel structuré ».
Nous savons que le parquet national financier est confronté à une embolie, compte tenu du nombre des dossiers à sa charge. Or il ressort des auditions que nous avons menées avec Ludovic Mendes dans le cadre de notre mission d’information que les acteurs participant au blanchiment pouvaient être les mêmes que ceux qui étaient impliqués dans la fraude fiscale – y compris au profit de gens du 16e arrondissement, nous a-t-on dit ! Dans ces circonstances, la création du Pnaco peut susciter des doutes.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL4 de M. Vincent Caure, rapporteur.
La commission adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement CL2 de M. Pouria Amirshahi
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Cet amendement porte sur un enjeu mineur : l’indépendance de la justice. Nous ne sommes pas opposés au Pnaco, mais il nous semble nécessaire de soumettre la nomination du futur procureur à un avis conforme de la commission compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il importe de s’assurer qu’elle n’est pas soumise aux aléas de l’exécutif et qu’elle répond aux objectifs d’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable : cette rédaction est contraire à l’article 65 de la Constitution.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’avis conforme du CSM n’est effectivement pas requis pour la nomination des magistrats du parquet. Il faudrait une réforme constitutionnelle pour qu’il le soit : c’était au menu de la révision de 2018, qui a été interrompue pour une raison bien connue. Bref, tout cela est encore la faute d’Alexandre Benalla !
Toujours est-il que non, en France, le parquet n’est pas indépendant. La justification en est que le ministre de la justice doit pouvoir rendre compte de la politique pénale devant l’Assemblée nationale : cela signifie bien que le parquet est à sa main. Mais est-ce bien le rôle du politique d’être autant impliqué dans le parquet national financier, le parquet national anti-terroriste et maintenant le Pnaco ? La lutte que mènent ces juridictions doit se faire, à mon sens, sur le temps long, avec des magistrats mis en confiance. Il faut laisser la justice faire son travail en lui donnant toutes les garanties d’indépendance pour qu’il n’y ait aucune suspicion possible. Le risque, sinon, et qu’on finisse par ne confier au Pnaco que les affaires médiatiques, et tant pis pour les autres, même si elles sont importantes.
Bref, je pense que cet amendement n’est pas conforme à la Constitution mais je promets aux collègues du groupe Écologiste que s’il est adopté, il ne sera pas dans le champ de la saisine que nous adresserons au Conseil constitutionnel !
Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet amendement pose une très bonne question, et l’indépendance de la justice est un débat récurrent. La réforme constitutionnelle de 2013 qui abordait ce sujet n’a pas pu aller à son terme. Il suffirait de réunir les deux chambres en Congrès pour la valider mais il est peu probable que la configuration actuelle le permette. Ce serait pourtant une belle avancée, même si elle n’aurait qu’un caractère symbolique puisque les avis du CSM sont suivis par l’exécutif, du moins jusqu’ici.
M. le président Florent Boudié. Je crois avoir entendu le garde des sceaux indiquer qu’il était prêt à reprendre le projet de loi constitutionnelle défendu par l’ancien président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL5 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’entrée en vigueur des dispositions créant le Pnaco ayant été différée, le présent amendement modifie la date d’entrée en vigueur des dispositions fixant le statut du procureur de la République anti-criminalité organisée.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La date a été reportée au 1er juillet 2026 car on s’est rendu compte qu’il faudrait du temps pour mettre en place le Pnaco. Tout le monde doit être bien conscient du fait que son installation sera précédée d’une période de désorganisation, que nous espérons la plus courte possible. Le temps que les gens prennent leurs marques, que les nominations et les mutations soient faites, que les équipes soient constituées, la lutte contre le trafic et la criminalité organisée connaîtra un certain flottement. C’est tout le problème lorsque l’on crée une nouvelle structure alors que les structures existantes fonctionnent, en l’occurrence les Jirs et la Junalco. La création du Pnaco n’est pas motivée par l’échec de ces juridictions, installées depuis 2019 seulement : elle obéit purement et simplement à des objectifs de communication, comme tout le monde aura fini par le comprendre.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi organique modifiée.
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La séance est levée à 15 heures 25.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Anne Bergantz, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Emmanuel Duplessy, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, M. Roger Vicot
Excusé. - Mme Andrée Taurinya