Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Audition de M. Alain Espinasse, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement (Mme Émeline K/Bidi, rapporteure) 2
– Informations relatives à la Commission............... 19
Mercredi
21 mai 2025
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 68
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié, président
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La séance est ouverte à 10 heures 30.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission auditionne de M. Alain Espinasse, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement (Mme Émeline K/Bidi, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. La commission est réunie pour procéder à l’examen de la nomination, proposée par le Président de la République, de M. Alain Espinasse à la fonction de directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), en remplacement de M. Julien Boucher.
Conformément à l’article 13 de la Constitution, cette nomination ne pourra être validée si l’addition des votes négatifs de la commission des lois de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat représente plus de trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.
Ainsi qu’en dispose l’article 29-1 du règlement de l’Assemblée, la commission a désigné sur cette nomination un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d’opposition, Mme Emeline K/Bidi, du groupe GDR.
La rapporteure a adressé un questionnaire à M. Espinasse auquel ce dernier a apporté des réponses écrites. Ces réponses ont été adressées aux commissaires hier, puis mises en ligne sur le site internet de l’Assemblée, à la page consacrée à l’activité de la commission des lois.
Mme Émeline K/Bidi, rapporteure. Créé en 1952, l’Ofpra est un établissement public administratif, placé depuis 2010 sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Sa mission première est de statuer, en toute indépendance, sur les demandes d’asile et de protection subsidiaire présentées sur le territoire français.
L’Ofpra agit dans le cadre des engagements internationaux de la France, notamment de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Il assure également une mission constitutionnelle puisque le droit d’asile est profondément ancré dans notre histoire républicaine et figure dans le préambule de la Constitution de 1946, en vertu duquel « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».
L’indépendance fonctionnelle de l’Ofpra est donc une garantie essentielle : elle permet d’assurer une instruction impartiale et individualisée des demandes de protection. Cette indépendance est d’autant plus cruciale que les demandeurs d’asile sont, par définition, des personnes en situation de grande vulnérabilité, ayant connu l’exil, la violence ou la torture.
Or nous assistons depuis plusieurs années à un durcissement inquiétant des politiques migratoires, mettant à mal l’exercice effectif du droit d’asile sur le sol européen. Sous la pression des mouvements populistes et d’un repli sécuritaire croissant, l’Union européenne s’éloigne de ses engagements en matière de protection des droits humains. Le pacte européen sur la migration et l’asile en est l’illustration, favorisant l’externalisation des procédures d’asile et l’accélération des expulsions.
Aux frontières extérieures de l’Europe, des refoulements illégaux sont régulièrement documentés, en violation du principe de non-refoulement inscrit à l’article 33 de la Convention de Genève. En mer Méditerranée, où plus de 30 000 personnes sont décédées depuis 2014, des bateaux de migrants sont interceptés, repoussés vers des États tiers, sans qu’une évaluation individuelle des besoins de protection n’ait eu lieu.
Dans ce contexte, l’indépendance même de l’Ofpra apparaît parfois remise en cause, comme l’ont illustré les propos du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau en décembre dernier, appelant à suspendre l’instruction des demandes d’asile des ressortissants syriens, alors que cette décision ne peut relever que de l’Office.
C’est pourquoi, le directeur général de l’Ofpra a pour mission d’incarner, à rebours d’une logique de gestion des flux, une éthique de protection en garantissant l’impartialité des décisions et en défendant les agents de l’Office, qui exercent leur mission avec rigueur, parfois dans des conditions difficiles.
Si votre nomination est confirmée, vous serez confronté à des défis de taille, parmi lesquels l’impératif de réduction des délais de traitement des demandes d’asile, le déploiement des pôles France asile et la mise en œuvre du pacte européen sur l’asile et la migration, porteur de nombreux bouleversements juridiques et organisationnels pour l’Office.
Je vous remercie pour vos réponses écrites et j’ai souhaité, à leur lecture, revenir sur certains points.
Vous indiquez que l’Ofpra doit assurer l’accessibilité de ses procédures pour les demandeurs d’asile. Outre la dématérialisation des convocations, qui n’est pas toujours gage d’une meilleure accessibilité, quelles pistes envisagez-vous en la matière ?
Vous écrivez que le fait de statuer au fond dans le cadre de la future procédure d’asile à la frontière est une « bonne chose ». Comment entendez-vous faire en sorte que toutes les garanties associées à la procédure d’asile soient respectées alors que la privation de liberté n’offre généralement pas à la personne les conditions nécessaires pour réunir les éléments sur sa situation et exprimer ses craintes avec le niveau de détail attendu, alors même qu’il est envisagé d’exclure les associations des lieux de rétention et des zones d’attente – je fais référence ici à la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 12 mai, relative à l’information et l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente ?
M. Alain Espinasse. J’ai l’honneur de me présenter devant vous en tant que candidat aux fonctions de directeur général de l’Ofpra.
Je commencerai par vous exposer ma perception des enjeux de la demande d’asile et vous présenter les raisons de ma candidature.
La demande d’asile est le reflet, si ce n’est la traduction séculaire, des tourments de l’histoire, de la tragédie de l’histoire : depuis que le monde est monde, des milliards de personnes se sont déplacées pour fuir des situations de guerre et de crise. Le contexte international, particulièrement depuis une dizaine d’années, n’est pas de nature à provoquer une baisse des flux migratoires, ni, singulièrement au sein de ceux-ci, de la demande d’asile.
L’an dernier, le nombre de demandes d’asile enregistrées par l’Ofpra – 153 000 – a atteint un pic. Cela tient à la multiplication des foyers d’instabilité qui ont la particularité, par rapport aux années précédentes, de durer de plus en plus longtemps, de se superposer, et d’être plus fréquents. Les crises qui en découlent sont bien souvent particulièrement violentes et les populations n’ont d’autre choix que de prendre le chemin de l’exil, quelle qu’en soit la destination. En outre, même s’il ne constitue pas en l’état du droit un critère pour obtenir le statut de réfugié, le changement climatique entraîne lui aussi des mouvements migratoires.
La demande d’asile est devenue un phénomène structurel et de grande ampleur. Elle suscite dans la population des inquiétudes qui portent, d’une part, sur la capacité à gérer cette demande et, d’autre part, sur l’aptitude des pays européens à contrôler leurs frontières. Notre conception des droits de l’homme peut en être altérée. Afin de la protéger, il faut défendre un droit d’asile incontestable et irréprochable : celui qui est accordé aux personnes menacées dans leur pays, à l’exclusion des criminels, des tortionnaires et des terroristes, comme l’a prévu dès l’origine la Convention de Genève.
Le fait d’accueillir et de traiter la demande d’asile est donc à la fois une nécessité, un devoir au regard des engagements internationaux et européens ainsi que de la Constitution, et un défi. Il faut pouvoir continuer à rendre des décisions individuelles, alors que la demande n’a jamais été aussi massive – et on peut penser qu’elle ne diminuera pas. Ces enjeux imposent, à mes yeux, ce qui est le sens même de l’action publique : rigueur dans le respect des textes, exigence dans le rendu du service, sans y sacrifier la dimension humaine. Je pense là aux demandeurs d’asile – les 142 000 décisions rendues l’an dernier par l’Ofpra sont des décisions individuelles – mais aussi aux agents.
J’en viens aux raisons qui m’ont poussé à présenter ma candidature. Elles sont au nombre de quatre. D’abord la mission – l’asile –, qui fait sens. Elle revêt même un caractère de limpidité et d’évidence en comparaison de la complexité des fonctions que j’ai exercées par le passé. Il arrive que les directeurs d’administration centrale s’interrogent sur le sens de leurs missions.
Ensuite, il s’agit de mettre en œuvre et de préserver un droit fondamental, le droit d’asile, qui est un pilier des droits de l’homme depuis la Révolution ainsi qu’un pilier constitutionnel. Pour ce faire, l’Ofpra est doté d’une indépendance fonctionnelle – la loi ne souffre d’aucune ambiguïté en la matière – et son directeur général en est le garant.
Par ailleurs, l’Office est un établissement public, sous tutelle du ministère de l’intérieur, doté de l’autonomie de gestion. Je vous avoue que cet aspect m’intéresse puisque, plus que dans les administrations que j’ai connues, je disposerai de presque tous les leviers pour agir et pourrai voir le résultat de mes décisions. En outre, l’Office est agile et reste à taille humaine.
Enfin, ce n’est pas la moindre raison, l’Ofpra est une maison à l’identité très marquée, qui tient à sa mission, à l’histoire, à ceux qui y travaillent et y ont travaillé. Il rassemble des agents passionnés par leur mission et guidés par le souci de l’impartialité ; il peut compter sur l’expertise des officiers de protection instructeurs (OPI) et le savoir-faire des services spécialisés en matière d’état civil. Il s’agit d’un établissement moderne et performant, qui a su tirer profit des évolutions techniques pour faire face à la croissance de la demande.
En second lieu, je souhaite souligner la légitimité de ma candidature. Haut fonctionnaire depuis vingt-trois ans, j’ai occupé différents postes de responsabilité dans l’administration centrale comme sur le territoire – j’ai été aussi bien préfet que directeur d’administration dans cette belle maison qu’est le ministère de l’intérieur. Ce parcours me semble offrir quelques garanties de neutralité et de rigueur que l’on est en droit d’attendre du directeur général de l’Ofpra.
Être préfet, c’est incarner un État impartial et neutre, appliquer dans toute sa portée le droit, qu’il soit national ou international, malgré les pressions et les tensions. Je pense m’y être aguerri pendant un certain nombre d’années.
Être préfet, c’est aussi, en vertu de l’article 72 de la Constitution, représenter quotidiennement l’ensemble des membres du gouvernement, donc faire, avec pragmatisme, la synthèse entre les diverses instructions que l’on peut recevoir et essayer de trouver un équilibre.
En tant que directeur d’administration centrale, j’ai participé à la mise en œuvre du plan Préfectures nouvelle génération et de la réforme de l’administration territoriale de l’État ainsi qu’à l’organisation des élections. J’ai aussi exercé la tutelle d’un établissement public, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), dont certaines missions se rapprochent de celles de l’Ofpra, en particulier la gestion de l’état civil des bénéficiaires de la protection internationale. J’ai le sentiment que ces expériences me donnent des atouts, en tout cas, la légitimité nécessaire pour me présenter devant vous ce matin.
En réponse à vos questions, madame la rapporteure, je termine par les priorités qui seront les miennes si je suis nommé directeur général. Face à l’accroissement de la demande d’asile, la priorité est d’absorber le flux des demandes, en préservant la qualité des décisions au fond. Il faut accorder la protection internationale à ceux qui y ont droit, mais en continuant d’intégrer la dimension d’ordre public qui est attachée à l’instruction – c’est pour moi un sujet important. Il faut aussi réduire les délais de traitement, lesquels dépendent d’un élément que ne maîtrise pas l’Ofpra – le nombre de demandeurs d’asile – et d’un autre sur lequel l’Office a plus de prise – l’organisation pour rendre les décisions.
La réduction des délais de traitement participera de la maîtrise de l’évolution du stock. On parle souvent des délais de traitement, mais il faut savoir que le stock a fortement progressé aussi entre 2022 et 2024, passant de 42 000 à 77 000 dossiers. Sur quoi l’Ofpra peut-il s’appuyer pour atteindre ces objectifs ? Je l’ai dit, il s’agit d’un organisme déjà performant, voire très performant. Entre 2021 et 2024, les délais pour rendre les décisions ont quasiment été divisés par deux. Incontestablement, le doublement des effectifs en dix ans y a contribué. L’amélioration des processus et la dématérialisation ont également joué un rôle essentiel.
Je n’ignore pas les débats qu’ont suscités en interne les évolutions, notamment la fixation d’objectifs par agent auxquels le questionnaire fait référence. On ne doit pas se focaliser, me semble-t-il, sur la productivité par agent. La tutelle, comme elle est parfaitement en droit de le faire, fixe un objectif global et il appartient à l’établissement public de trouver les voies et moyens pour répondre à cette demande en actionnant différents leviers.
Je suis profondément convaincu que la direction de l’Ofpra est un projet collectif, qui doit être fondé sur une réflexion fine et partagée avec la tutelle mais aussi en interne. Tous les agents le savent, toute organisation peut ajuster des paramètres pour ne pas disperser ses ressources. Je suis certain que si l’on interrogeait les agents sur les évolutions nécessaires pour accroître le nombre de décisions, sans altérer la qualité, ni la sérénité au travail, ils auraient des propositions à faire. C’est dans cet état d’esprit que j’aborde ma mission si je devais être nommé.
La solution passe aussi par une fluidité accrue de la chaîne décisionnelle, à laquelle la territorialisation de l’accueil devrait contribuer. Avant-hier, conformément au souhait du législateur, a été inauguré le premier pôle France asile à Cergy-Pontoise, au sein duquel les agents de l’Ofpra travailleront avec les leurs collègues des préfectures et de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Il m’appartiendra de poursuivre la mise en œuvre de cette réforme et de tirer tous les enseignements de l’expérimentation.
Enfin, le dialogue social est la condition sine qua non pour atteindre les objectifs. Le métier exercé par les officiers de protection est difficile : ils entendent des récits parfois terribles et doivent prendre des décisions qui sont tout aussi terribles – ce n’est pas la même chose de dire oui ou non à une demande de protection internationale.
La sérénité du collectif de travail est essentielle pour répondre à une demande massive. Il appartient à l’équipe de direction, au premier chef au directeur général, d’y veiller. Elle peut passer par le renforcement des moyens. La loi de finances pour 2025 a créé vingt-neuf nouveaux postes. Le plafond d’emplois s’établit désormais à 1 065 équivalents temps plein. Cela montre que la tutelle a pris la mesure des moyens dont l’Office a besoin pour accomplir sa mission.
La poursuite du développement des outils informatiques est également indispensable. Madame la rapporteure, la dématérialisation, conduite sous l’empire du directeur général précédent, a permis de gagner du temps et d’améliorer l’accessibilité pour les demandeurs d’asile, qui sont beaucoup plus familiers des smartphones que des documents papier qu’il faut imprimer, remplir, etc.
Enfin, l’exigence de sérénité impose de renforcer l’attractivité des métiers. On ne devient pas OPI du jour au lendemain. Le niveau de recrutement est élevé, voire très élevé. Ensuite, il faut former les nouveaux entrants. Je serai attentif à ce que soit offert aux employés de l’Ofpra un parcours professionnel. Une fois que les agents ont été formés, l’intérêt de l’Office et de l’État, c’est de les garder. Mais pour cela, il faut veiller à leur rémunération, – un alignement des primes a été effectué –, à leur formation – par rapport notamment à leur nouvelle mission en matière d’ordre public – mais aussi à leur carrière.
Pour conclure, mes priorités pour l’Office sont celles-ci : réduire les délais ; augmenter le nombre des décisions prises ; préserver la qualité du travail car c’est une condition de la crédibilité du droit d’asile, crédibilité dont dépend sa préservation ; améliorer l’efficacité des procédures dans le cadre d’un dialogue social soutenu ; être attentif au bien-être des agents – c’est normal et c’est la condition de la réussite des quatre premiers objectifs.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sophie Blanc (RN). Monsieur le préfet, dans un contexte d’explosion des demandes d’asile – plus de 150 000 en 2023 –, votre mission, si vous êtes nommé, consistera à garantir leur instruction rigoureuse, rapide et impartiale, dans le strict respect du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Selon les chiffres de l’Ofpra, plus de 60 % des demandes sont rejetées en première instance. Ainsi le droit d’asile, qui doit demeurer un instrument de protection pour les personnes réellement persécutées, est-il aujourd’hui détourné par un nombre croissant de demandeurs, dont les motivations relèvent de toute évidence de la recherche d’avantages sociaux et économiques. L’ensemble du dispositif s’en trouve désorganisé au détriment des vrais réfugiés ainsi qu’au mépris de la clarté et de la fermeté que réclament nos concitoyens.
Votre expérience au ministère de l’intérieur vous donne une connaissance fine du système mais aussi de ses failles. Alors serez-vous celui qui saura enrayer les dérives et restaurer la crédibilité d’un système de protection aujourd’hui largement décrié ? Plus précisément, êtes-vous favorable à un durcissement des critères d’instruction des demandes, qui respecte les engagements internationaux de la France sans céder aux interprétations extensives et complaisantes ? Que comptez-vous faire pour réduire drastiquement les délais de traitement encore bien trop longs et éviter ainsi que l’asile ne se transforme en une filière de séjour prolongé ? Entendez-vous renforcer la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité et débusquer les demandes multiples, qui sapent l’autorité de l’Ofpra et engorgent ses services ?
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je souhaite, au nom du groupe Ensemble pour la République, saluer votre parcours et votre engagement.
En 2018, la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie prévoyait de réduire de onze à six mois, en moyenne, le délai d’instruction de la demande d’asile. Selon le rapport d’activité pour 2023, malgré une hausse des demandes d’asile, dont le nombre atteint 142 649, l’Office a rendu 136 811 décisions, en maintenant un délai moyen de traitement autour de quatre mois. Quel regard portez-vous sur cette accélération des procédures ? Comment atteindre un délai de deux mois en 2027, objectif fixé par le projet annuel de performances de la mission Immigration, asile et intégration pour 2025 ?
L’Ofpra participe activement à la lutte contre la traite des êtres humains. Comment envisagez-vous votre collaboration avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) dans la mise en œuvre du plan national de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains ?
La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration prévoit la création de pôles territoriaux dénommés France asile pour réunir en un même lieu l’enregistrement de la demande d’asile par la préfecture, l’ouverture de droits par l’Ofii et l’introduction de la demande auprès de l’Ofpra. Trois sites pilotes devaient être créés. Pouvez-vous faire un point sur la mise en œuvre de ce dispositif ?
Quels sont les moyens budgétaires et humains dont dispose l’Ofpra ? Sont-ils suffisants pour accomplir ses missions, compte tenu de l’importance et de la multitude des sujets traités ?
Enfin, je tiens à saluer le travail de tous les agents de l’Ofpra, qui œuvrent chaque jour pour que le droit d’asile soit respecté et que soit assurée l’indépendance de l’Office, dont le siège est situé à Fontenay-sous-Bois, dans ma circonscription.
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Monsieur le préfet, je ne peux commencer sans exprimer une inquiétude profonde vis-à-vis de votre nomination à la tête de l’Ofpra. Votre parcours, entièrement façonné dans les sphères régaliennes de l’appareil d’État, est empreint d’une vision sécuritaire assumée.
Votre nomination apparaît moins comme un choix dicté par la vocation de l’Ofpra, que comme une récompense pour services rendus – une habitude en Macronie –, notamment une politique stricte en matière d’ordre public et de gestion des migrations, à l’image de celle du ministre Retailleau. Je pense à vos décisions en tant que préfet, parmi lesquelles l’interdiction de manifestations de soutien au peuple palestinien. Cela ne peut qu’inquiéter quand on sait que l’Ofpra doit accueillir des réfugiés palestiniens victimes d’un traitement indigne en France. Je pense aussi aux expulsions brutales, comme celles d’une famille géorgienne avec des enfants scolarisés à Quimper.
L’Ofpra est une institution indépendante et elle doit le rester. Elle ne peut devenir un simple relais des consignes de Beauvau. Nous y serons particulièrement vigilants. N’espérant pas une réponse honnête sur ce point, ma question portera sur l’inquiétude grandissante face au déploiement de l’intelligence artificielle (IA) qu’expriment les agents de l’Ofpra, dont vous serez le supérieur hiérarchique.
Ma collègue Andrée Taurinya et moi avons récemment rencontré un syndicat de l’établissement, qui nous a fait part de cette préoccupation. L’Ofpra prévoit d’utiliser l’intelligence artificielle pour retranscrire les auditions des OPI et appuyer le travail de veille du service de documentation. Les agents peinent à comprendre cette décision, estimant que la priorité devrait aller à la remise à niveau d’un système informatique vétuste dont les pannes récurrentes compliquent fortement le traitement des demandes. Les agents craignent que l’intelligence artificielle ne remplace peu à peu les interprètes humains pour les entretiens. Cette évolution soulèverait des questions non seulement techniques mais surtout éthiques majeures. Jusqu’où cette technologique ira-t-elle ? L’intelligence artificielle rédigera-t-elle demain les décisions de l’Office ? Servira-t-elle à produire des notes de service standardisées ? Effacera-t-elle toute subjectivité dans le travail des agents ? Monsieur le préfet, quelle est votre position sur le sujet ? Pouvez-vous vous engager à ce que l’intelligence artificielle ne remplace jamais la présence humaine dans l’accueil, l’écoute et l’accompagnement des demandeurs d’asile à l’Ofpra ? Êtes-vous prêt à associer systématiquement les agents et leurs représentants à toute évolution en la matière ?
M. Paul Christophe (SOC). Votre proposition de nomination intervient dans un contexte marqué, à l’échelon international, par une grande instabilité de la situation géopolitique, qui a bien sûr des conséquences en termes de flux migratoires, et, à l’échelon national, par l’offensive sans précédent menée contre les droits des étrangers par le gouvernement, dont l’objectif affiché est de réduire l’immigration sous toutes ses formes.
Je ne reviendrai pas sur votre indépendance, préférant me concentrer sur deux questions. La première porte sur le déploiement des pôles territoriaux France asile dont le premier site pilote a été ouvert avant-hier dans la préfecture du Val-d’Oise, à Cergy-Pontoise. La simplification de l’examen des demandes d’asile implique que les agents de l’Ofpra effectuent un premier entretien au sein des locaux de la préfecture : n’est-ce pas de nature à réduire leur indépendance ? Les demandeurs disposaient jusqu’à présent d’un délai de vingt et un jours pour coucher par écrit un récit détaillé, parfois avec l’accompagnement d’avocats ou d’associations. Dans le cadre de cette expérimentation, ils devront délivrer ce premier récit dès l’enregistrement de leur demande d’asile, autrement dit dès leur entrée en France, sans forcément pouvoir être accompagnés. Quelle valeur aura ce premier récit dans l’ensemble de la procédure ? S’il n’en a aucune, quelle sera son utilité ?
Ma deuxième question a trait aux changements intervenus dans le concept de pays tiers sûr. Hier, la Commission européenne a annoncé son intention de revoir sa définition afin de faciliter l’expulsion de certains demandeurs d’asile. Alors que la législation européenne de 2024 imposait aux autorités de prouver l’existence d’un lien entre le demandeur et le pays tiers sûr concerné – le fait d’y avoir vécu ou travaillé, par exemple –, il est proposé que le simple transit par un pays tiers sûr soit considéré comme un lien suffisant pour justifier le renvoi de la personne vers ce pays. Quel regard portez-vous sur cette modification ? L’estimez-vous compatible avec nos exigences constitutionnelles et les responsabilités d’un pays comme la France en matière d’asile ?
M. Patrick Hetzel (DR). Votre parcours riche et diversifié de haut fonctionnaire, dans les domaines notamment de l’administration territoriale, de la modernisation de l’État et de la politique migratoire, rend votre profil particulièrement adapté aux fonctions de directeur général de l’Ofpra et notre groupe votera en faveur de votre nomination.
Mes trois questions se focaliseront sur l’efficacité du traitement des demandes d’asile.
En 2023, le nombre de demandes d’asile a augmenté de 8 % par rapport à l’année précédente, atteignant plus de 160 000. Quelle trajectoire anticipez-vous pour les prochaines années ? Comment préparer efficacement l’Ofpra à traiter les demandes ?
Le taux global de reconnaissance, hors décisions de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), s’élève à 25 %, ce qui interroge. Quelles réformes envisagez-vous pour le faire évoluer ?
Les délais moyens de traitement sont actuellement de cinq mois alors que la loi fixe un objectif de quatre-vingt-dix jours. Quels engagements comptez-vous prendre pour atteindre cette cible dans l’année qui vient et éviter ainsi tout risque de développement des contentieux ?
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). L’Ifrap, Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, financée par Pierre-Édouard Stérin, a émis la proposition, relayée par la ministre Amélie de Montchalin, de fusionner l’Ofii et l’Ofpra. Qu’en pensez-vous ?
Quel regard portez-vous sur les possibilités pour les demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail, dès le dépôt de leur demande, enjeu auquel j’ai consacré une proposition de loi adoptée par notre commission ?
Pouvez-vous préciser votre position sur l’externalisation des demandes d’asile dans les pays tiers, en particulier sur l’accord conclu par l’Italie avec l’Albanie, décision sans précédent au sein de l’Union européenne dénoncée par les ONG défendant le droit au recours effectif des demandeurs d’asile ?
Estimez-vous nécessaire une évolution normative s’agissant des réfugiés climatiques ? Certes, ces personnes se dirigent d’abord vers des pays voisins du leur mais elles sont aussi susceptibles de venir sur le continent européen.
Enfin, considérez-vous que des restrictions dans l’accès au droit aux soins et à l’inclusion sociale sont de nature à réduire le nombre d’entrée de réfugiés en France ? Cette question est présente dans le débat public mais les chiffres montrent que, contrairement à ce que prétendent certains, notamment à l’extrême droite, il n’existe pas de corrélation entre les deux.
M. Erwan Balanant (Dem). Votre parcours et votre expérience le montrent, vous avez les capacités pour occuper ce poste. J’ai apprécié que vous ayez employé des termes comme « éthique de la protection », que vous soyez revenu sur l’indépendance de l’Ofpra et que vous ayez insisté sur les notions d’équipe et d’organisation.
J’aimerais, par ailleurs, rassurer les membres de notre commission en apportant mon témoignage puisque ma circonscription est située dans le Finistère, département dont vous étiez auparavant préfet. Vous avez pris vos fonctions juste après la tempête Ciarán, à l’origine d’un black-out total ayant menacé nos territoires d’une désorganisation mortifère. Au-delà de vos grandes qualités humaines et de la sympathie que vous inspirez à tous, j’ai vu à l’œuvre vos capacités à mobiliser les équipes des services de l’État en temps de crise et je sais que cette force constituera un atout d’une grande utilité pour l’Ofpra et ses agents.
M. Xavier Albertini (HOR). Gagner en efficacité dans l’examen des demandes d’asile est une priorité. Cette ambition concerne bien sûr les hommes et les femmes répondant aux critères d’obtention du statut de réfugié et leurs possibilités d’engager leur parcours d’intégration au plus vite, mais aussi les personnes n’y répondant pas qui déposent des demandes d’asile dans le seul but de se maintenir sur le territoire français sans en avoir le droit.
En 2022, l’Ofpra a divisé par deux ses délais de décision – passés de huit à quatre mois entre janvier et décembre – grâce au renforcement de moyens dont elle a bénéficié au même titre que la CNDA. Toutefois, ces délais moyens demeurent supérieurs à la cible ambitieuse qui a lui a été fixée. Pour permettre à l’Office d’atteindre cet objectif, comment comptez-vous ajuster son mode de travail, en particulier en ce qui concerne la programmation de son activité ? Dans le même effort d’agilité, devrez-vous engager une réforme des procédures pour les adapter aux nouveaux mécanismes européens, à la suite notamment de l’adoption du pacte sur la migration et l’asile ? Si oui, de quelle nature serait-elle ?
Mme Martine Froger (LIOT). Alors que l’immigration est plus que jamais instrumentalisée, je tiens tout d’abord à rappeler que l’accueil des réfugiés est au cœur de notre tradition républicaine et que le droit d’asile fait partie des valeurs fondamentales de notre pays.
Des ambitions sont affichées en matière de réduction des délais d’instruction : de 132 jours actuellement, ils sont censés passer à soixante jours d’ici à 2027. Or, sans moyens suffisants, de tels objectifs paraissent intenables, ce qui suscite une inquiétude légitime parmi les agents de l’Ofpra : devront-ils renoncer à assurer un travail de qualité et surtout à faire preuve d’humilité ? Jugez-vous ces objectifs réalistes ? Estimez-vous que l’Ofpra disposera de moyens adéquats pour les atteindre sans dénaturer la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile ?
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je profite de votre audition pour saluer toutes les équipes de l’Ofpra et souhaiter bon courage aux personnes qui se penchent en ce moment sur les épreuves écrites du concours d’OPI.
Vous avez mis en avant la neutralité pour nous donner des garanties en matière d’indépendance. Pourtant, il s’agit de deux concepts très différents et il me semble nécessaire de réaffirmer l’importance de cette indépendance dans un contexte où le ministère de l’intérieur, par la voix de son ministre, a tendance à émettre des injonctions. Quand M. Retailleau a enjoint à l’Ofpra de suspendre les demandes d’asile formées par des Syriens, il a bien fallu que ses agents puissent continuer à statuer de manière indépendante. Le fait que l’indépendance de cet établissement est encadrée par la loi, comme vous l’avez rappelé dans l’une de vos réponses au questionnaire, ne suffit pas à mes yeux à la garantir.
Ma deuxième question porte sur les conditions de travail des personnels. Certes, une augmentation des effectifs a eu lieu mais comment faire en sorte que les nouveaux objectifs soient atteints sans que la qualité de leur travail soit affectée ? Quelle est votre vision de la gestion des ressources humaines ? Les conséquences de la dématérialisation des démarches auprès des services d’accueil des étrangers dans les préfectures ne nous rassurent pas. Quel accompagnement prévoyez-vous pour la dématérialisation au sein de l’Ofpra ?
Mme Brigitte Barèges (UDR). Je n’ai pas le plaisir de vous connaître, monsieur Espinasse, mais deux choses m’ont déjà rassurée : votre parcours professionnel donne toutes les garanties de compétences et de rigueur nécessaires à l’exercice de vos futures missions ; les réponses que vous avez apportées à la rapporteure, sur l’indépendance fonctionnelle notamment, montrent que vous considérez que votre rôle consiste à appliquer les critères fixés par les textes nationaux et internationaux. C’est en effet tout ce qu’on vous demande, vous n’avez pas à faire la loi. Toutefois, cette application doit être accompagnée de la plus grande rigueur possible, ce qui n’était peut-être pas le cas précédemment. Le taux synthétique de protection, Ofpra et CNDA confondues, a crû jusqu’à atteindre près de 50 % : une demande sur deux est donc accordée, ce qui nous paraît beaucoup. Si nous laissons cette dérive se poursuivre, nous creuserons la tombe de l’asile tel qu’il a été pensé par notre droit.
Il s’agit de consolider votre administration, notamment face aux dérives idéologiques de la CNDA qui s’est illustrée récemment par une décision invraisemblable concernant un Algérien en situation irrégulière, grand délinquant par ailleurs. Nous vous demandons de refuser l’idéologie de l’accueil sans limite et de restaurer la souveraineté de la France en matière d’asile. Nous considérons que vous êtes à la hauteur de ces enjeux.
Que pensez-vous des dernières dispositions législatives concernant l’Ofpra ? Qu’en est-il en particulier de l’expérimentation des sites pilotes de France asile dont vous avez pris soin de préciser qu’elle se distinguait des missions foraines de l’Office ? Quelles seront les conséquences du pacte européen sur la migration et l’asile et de la révision des critères issus du règlement Dublin III ?
M. Yoann Gillet (RN). L’Ofpra est à la croisée des chemins. Il ne s’agit plus simplement d’un établissement public administratif sous tutelle du ministère de l’intérieur sous tension mais d’une institution littéralement submergée par une politique migratoire laxiste, qui affaiblit sa mission même : accorder l’asile à ceux qui en ont réellement besoin. En 2024, les demandes, passant de 142 000 à 153 000, ont augmenté de 8 % par rapport 2023, année où elles ont crû de 9 % par rapport à 2022, soit 22 000 demandes supplémentaires en deux ans. Un sommet a été atteint avec 15 103 demandes pour le seul mois de juillet 2024. Chaque semaine, chaque jour, notre pays voit affluer des demandes que ni nos services ni notre système d’accueil ne peuvent absorber, croissance continue dont les Français ne veulent plus. La moitié des demandes étant rejetées, plusieurs dizaines de milliers de personnes déboutées restent illégalement sur notre sol et c’est là le cœur du problème : notre système d’asile est devenu une filière d’immigration parallèle.
Le dévoiement du droit d’asile se fait au détriment de ceux qui ont besoin d’une protection internationale. Combien de personnes s’inventent un parcours de vie, parfois, il faut le dire, avec l’aide d’associations vivant d’argent public ? Ainsi, ce sont les Français qui paient et qui subissent.
Comment comptez-vous garantir une instruction rigoureuse des demandes dans un système à bout de souffle ? Quelles seront vos priorités concrètes pour faire face à la multiplication des récits de vie inventés ?
Mme Marie-France Lorho (RN). Selon le dernier rapport d’activité de l’Ofpra, qui porte sur l’année 2023, près de 600 000 personnes seraient les bénéficiaires directes du droit d’asile, soit 10 % de la population étrangère de notre pays. Les critères d’éligibilité à l’asile sont de plus en plus larges. Pourtant, comme le soulignait le directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), « le droit d'asile est aujourd'hui le canal d'immigration sur lequel les États ont le moins de contrôle », notamment du fait de « l’interprétation extensive faite de ces traités par des acteurs sans légitimité démocratique directe, en particulier les juges administratifs ». Selon cet organisme, « le droit d'asile n'est soumis à aucune limite quantitative, ni globale, ni par pays, ni en flux, ni en stock » et près de 580 millions de personnes au moins seraient susceptibles de bénéficier de cet asile si elles parvenaient à venir sur le territoire français.
Au regard du nombre très élevé des demandes et des recours – près de 18 500 ont été déposés sur un total de plus de 143 000 demandes en 2023 –, estimez-vous légitime que le législateur propose une redéfinition plus précise des critères d’éligibilité en vue d’améliorer le fonctionnement du système de l’asile ? Par ailleurs, est-il possible selon vous de prémunir notre droit contre le risque d’interprétations extensives de ces critères ? Comment l’Ofpra peut-elle éviter que de trop larges interprétations ne soient faites de la situation des pays d’originesûrs dont elle a pour compétence de déterminer la liste ?
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Quand le régime de Bachar al-Assad s’est effondré, le ministre de l’intérieur a déclaré qu’il travaillait « sur une suspension des dossiers d’asile en cours provenant de Syrie », ce qui remettait profondément en cause l’indépendance statutaire et fonctionnelle de l’Ofpra. Son directeur général, Julien Boucher, avait alors fermement rappelé à l’ordre M. Retailleau. Je suis curieuse d’entendre votre avis sur les déclarations tant du ministre de l’intérieur que de votre prédécesseur. Comment comptez-vous préserver l’indépendance historique de l’Office face aux projets du gouvernement ? L’indépendance ne se décrète pas, elle se pratique !
Le premier site pilote France asile a ouvert lundi à la préfecture de Cergy-Pontoise. Au sein de ces pôles territoriaux, les agents de l’Ofpra vont travailler en relation étroite avec les agents préfectoraux. Ils seront également amenés à multiplier les interactions avec les équipes de Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) et les forces de sécurité nationales dans le cadre de la mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l’asile, qui implique d’instruire des demandes d’asile dans des centres de rétention situés aux frontières extérieures de l’Union européenne. Quelles mesures allez-vous prendre pour garantir l’indépendance des services de l’Ofpra et les préserver de toutes formes de pressions exercées par ces différentes autorités ?
J’aimerais appeler votre attention sur l’état de grande souffrance du pôle protection de l’Ofpra, confronté à l’augmentation naturelle du nombre de personnes placées sous protection. Il a été trop longtemps délaissé, le choix ayant été fait de donner la priorité à la réduction des délais d’instruction dans le but de faire des économies sur l’octroi des conditions matérielles d’accueil. Le taux de rotation des agents y est de 30 %, ce qui entraîne des conséquences dramatiques pour les usagers : il n’est pas acceptable de les laisser attendre dix mois des documents d’état civil vitaux pour l’accès au travail et aux droits sociaux. Comment entendez-vous améliorer la délivrance de ces documents sans pour autant dégrader les conditions de travail des agents, que je soutiens et salue ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). J’espère, monsieur Espinasse, que vous nous répondrez clairement au sujet du recours à l’IA.
Par ailleurs, quelle est votre position sur l’accueil des personnes en situation de détresse environnementale, auxquelles j’aimerais voir élargi le cadre de la protection subsidiaire – j’ai déposé une proposition de loi en ce sens ? Ce terme désigne à la fois les personnes obligées de quitter leur pays du fait de risques climatiques mais aussi celles qui sont exposées à un pillage des ressources sur leur territoire, comme c’est le cas en Ouganda où l’installation de Total a obligé 100 000 personnes à se déplacer.
Par ailleurs, pouvez-vous nous en dire plus sur la coordination de l’action de l’Ofpra ?
M. le président Florent Boudié. Le pacte sur la migration et l’asile, adopté définitivement par le Parlement européen le 10 avril 2024, comporte deux règlements relatifs à l’asile : le règlement portant sur la procédure d’asile, qui instaure une procédure accélérée ; le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration qui, appelé à remplacer le règlement Dublin III, introduit un mécanisme de solidarité à la carte. Certes, ces textes sont d’applicabilité directe, puisqu’il ne s’agit pas de directives, mais les États membres disposent de marges de manœuvre. Cela nécessitera un arbitrage de la part de l’État voire un projet de loi dans les prochains mois. Quel regard portez-vous sur la transposition de ce pacte, qui doit intervenir au plus tard, sauf erreur de ma part, au mois de juin 2026 ?
M. Alain Espinasse. Certains parmi vous se sont interrogés sur la légitimité de ma candidature et j’ai bien noté, madame Faucillon, votre distinguo entre neutralité et indépendance. Je précise d’abord que je ne suis plus préfet depuis dimanche dernier à minuit, date à laquelle il a été mis fin à mes fonctions : il m’a paru normal, compte tenu du caractère sensible de la mission à laquelle je prétends, de me présenter devant vous en tant qu’administrateur de l’État. Ce choix, qui a fait l’objet d’une discussion avec le ministère de l’intérieur, m’a paru de nature à clarifier les choses. Par ailleurs, ma candidature a été proposée non seulement par le ministre de l’intérieur mais aussi par le ministre des affaires étrangères, lequel a dû considérer qu’elle présentait des garanties, puis elle a été reprise par le Premier ministre. Il me paraissait important de souligner ce processus interministériel.
J’entends les doutes émis par certains quant à l’indépendance que j’aurai vis-à-vis du ministère de l’intérieur. D’aucuns se sont demandé si citer les textes, comme je l’ai fait, était une garantie suffisante. Je pars du principe que vous ne me connaissez pas et, compte tenu de la rigueur que j’ai tenu à appliquer dans tous mes postes, il m’a paru pertinent de rappeler le cadre de droit dans lequel je compte inscrire ma mission si je suis nommé à la tête de l’Ofpra. Il s’agit de l’ensemble des textes internationaux, européens et nationaux qui affirment clairement l’indépendance fonctionnelle de l’Ofpra dans le rendu de décisions concernant l’octroi ou le refus de la protection internationale. Pour ce qui concerne le seul corpus national, je pense que nous sommes sous l’empire d’une trentaine de lois, ce qui rend extrêmement complexe l’application de ce droit, il faut bien en convenir.
Il me semble plus logique de répondre d’abord aux questions concernant l’entrée sur le territoire. Comme vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, le pacte sur la migration et l’asile nous donne désormais pour mission de statuer au fond concernant les demandeurs d’asile qui se présentent aux frontières. Ce sera un vrai défi pour les agents de l’Ofpra, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait altérer leur indépendance dans la prise de décision. De combien de dossiers parle-t-on ? Lors de l’instauration de cette nouvelle règle, je me suis moi-même demandé combien de dizaines de milliers de personnes étaient potentiellement concernées. En fait, leur nombre est assez stable, comme le montrent les contrôles aux frontières qui sont déjà effectués pour le compte du ministère de l’intérieur. L’an dernier, quelque 1 500 personnes étaient dans ce cas, ce qui représente 1 % des 150 000 demandes d’asile. La situation peut évoluer, mais, à ce stade, le volume n’est pas tel qu’il pourrait désorganiser totalement le fonctionnement de l’Ofpra.
En me présentant devant vous aujourd’hui, je n’ignore pas que les nominations à un tel poste suscitent des débats, voire des polémiques, car l’Ofpra traite d’un sujet sensible. Rappelons cependant que l’Office n’est pas responsable des flux migratoires. Quelles que soient l’importance et la noblesse de ses missions, il ne décide ni de l’arrivée des demandeurs d’asile sur le territoire national ni de la pertinence des critères figurant dans la convention de Genève. L’Ofpra applique avec une grande rigueur des textes compliqués et en fait parfois une interprétation, sous le contrôle du juge de la CNDA et, en cas de recours, du Conseil d’État.
Il est toujours difficile de qualifier le taux de protection. En 2024, l’Ofpra a examiné 153 000 demandes et pris 142 000 décisions, dont 38 % étaient favorables. Ce taux témoigne-t-il d’un laxisme ? Ce n’est pas à moi de le dire. En tout cas, ce n’est pas 100 %. Après la prise en compte des décisions de la CNDA, ce taux se situe aux alentours de 50 %, ce qui revient à dire, comme l’ont fait certains intervenants, qu’un demandeur sur deux obtient la protection.
Quoi qu’il en soit, les agents appliquent des textes avec rigueur et se posent la question suivante : ce demandeur, qui est en face de moi, court-il un risque au sens défini par la convention de Genève et le bloc de constitutionnalité qui protège les défenseurs de la liberté ? La question est aussi simple que la réponse est compliquée. Depuis dix ans, ils doivent se poser une deuxième question sur un sujet auquel vous êtes tous sensibles : le demandeur peut-il présenter un risque de trouble à l’ordre public ?
À cet égard, je salue le travail des deux précédents directeurs généraux, Pascal Brice et Julien Boucher, qui ont dû intégrer cette dimension, ce qui n’a pas été sans conséquences sur la façon de travailler des agents de l’Office : cela a nécessité un investissement énorme de leur part. Quand un agent acquiert l’intime conviction qu’il doit protéger une personne menacée dans son pays, il doit quand même se demander, au vu des informations dont il dispose, si elle ne peut pas présenter un danger. Madame la députée Faucillon, vous êtes membre du conseil d’administration de l’Ofpra et vous connaissez bien ses agents. Vous serez probablement d’accord avec moi pour penser qu’il n’y a rien de pire pour eux – j’essaie de me mettre à leur place – que de se dire qu’ils ont raté quelque chose quand une personne ayant obtenu la protection commet un acte irréparable de terrorisme ou autre.
Comment l’Ofpra pourrait-elle améliorer les délais d’instruction des dossiers ? Pour ma part, je ne suis pas un fanatique des tableurs Excel. J’ai passé l’essentiel de ma carrière dans des services déconcentrés où, en principe, quand on voit arriver de tels documents de l’administration centrale, on a surtout envie de fermer l’ordinateur. Néanmoins, si je suis nommé à la tête de l’Ofpra, il sera de mon devoir de me pencher sur la manière de remplir la mission. Vous avez, madame Froger, évoqué l’objectif de 160 000 décisions à rendre en 2025, alors que le rythme actuel est de 142 000 décisions par an. Comment réduire cet écart de 18 000 décisions ?
Il n’est pas complètement exact de dire que l’on ne met pas les moyens humains pour ce faire. Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), vingt-neuf emplois supplémentaires ont été créés. Ont-ils été tous affectés à des postes d’OPI ? Je ne sais pas. En tout cas, le doublement des effectifs de l’Ofpra en dix ans montre que la tutelle a bien conscience que l’on ne peut pas améliorer les délais d’instruction et augmenter le nombre de décisions prises sans y mettre des moyens humains. C’est incontestable. Dans un contexte où la plupart des ministères voient baisser les effectifs de leur périmètre, la création de vingt-neuf emplois supplémentaires n’est pas rien.
Faut-il raisonner en termes de taux de productivité par agent ? L’idée a suscité beaucoup d’émotion, de crispation et même un mouvement de grève au printemps dernier. La tutelle a parfaitement le droit de fixer un objectif, qui figure dans le contrat d’objectifs et de moyens (COM). Il revient alors aux équipes de direction – et singulièrement au directeur général – de trouver les voies et moyens d’atteindre les objectifs sans les individualiser. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, je pense que l’intelligence collective permet de trouver des solutions. La dématérialisation a déjà contribué à réaliser des gains sans altérer la qualité du service rendu. On peut aussi envisager une réaffectation de moyens humains – je le dis avec beaucoup de prudence parce que je n’ai pas encore mis le nez dans le moteur – sans perdre de vue que toutes les missions ont leur importance.
À cet égard, en réponse à une question qui m’a été posée par Mme Taurinya, je ne voudrais pas donner le sentiment que la mission des services spécialisés dans la gestion de l’état civil des bénéficiaires de la protection revêtirait moins d’importance que d’autres à mes yeux. Ces services ont rendu 77 000 décisions l’an dernier, un nombre record. Les délais de délivrance des documents restent cependant élevés, aux alentours de dix mois. La procédure soulève un double problème : la délivrance du titre ; l’accès à certains droits. Sur le premier aspect, le ministère de l’intérieur a fait preuve d’ouverture d’esprit et de pragmatisme, soulignons-le. Depuis le début de l’année, il a été décidé de ne pas pénaliser le bénéficiaire d’une protection internationale et de lui délivrer une carte de résident – de trois ou dix ans, en fonction du statut accordé à la personne –, sans attendre la délivrance des documents d’état civil. La carte est donc accordée en retenant l’état civil supposé à partir duquel la décision a été rendue. Néanmoins, j’entends le message qui m’a été transmis par plusieurs d’entre vous concernant le sentiment d’insatisfaction, sinon la souffrance, que peuvent ressentir les agents de ces services.
Sur l’intelligence artificielle, monsieur le député Portes, je vais vous fournir une réponse, même si vous pensez qu’elle ne sera pas honnête. Comme vous et beaucoup d’autres, je me pose des questions sur cet outil. Soit on s’en méfie et on n’y touche pas, soit on s’en empare. Dans le premier cas, on laisse à d’autres le soin de s’en occuper, et je ne suis pas sûr que cette option nous apporte les garanties en matière de préservation des libertés auxquelles nous sommes attachés – je sors ici du cadre de l’Ofpra. Je n’ai pas de doxa en matière d’utilisation de l’IA. Elle peut aider à simplifier certaines tâches, mais il vaut mieux se fier à un homme ou une femme quand il s’agit de rendre une décision qui va influer sur un destin humain. Vous le savez très bien, vous qui faites la loi, tout n’est pas écrit dans les textes. Il y a toujours un moment où l’on en sort pour essayer de se forger une intime conviction, comme disent les juristes. L’IA peut-elle le permettre ? Tout peut sans doute se modéliser, mais je serais plutôt enclin à faire preuve d’une grande prudence en la matière. Cela étant, les agents de l’Ofpra ont expérimenté des améliorations techniques et technologiques qui leur ont simplifié la tâche. Regardons les pistes qui peuvent être empruntées. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, je n’arrive pas avec une idée toute faite sur les solutions. J’entends en discuter, d’autant plus que l’Ofpra a une grande culture maison, dont j’aurais beaucoup à apprendre comme dans tous les postes que j’ai occupés. Si je devais y être nommé, j’aurai à cœur de rencontrer les personnels et leurs représentants, sans même attendre le comité social et économique (CSE) prévu en juin.
Revenons sur la croissance du taux de protection, en faisant le lien avec le pays d’origine des demandeurs d’asile. Depuis le début de l’année, le plus grand nombre de demandes émanent des Ukrainiens, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Nous avons accueilli les premiers réfugiés ukrainiens en 2022. En tant que préfet, j’allais dans des centres d’accueil où ils étaient hébergés et je leur expliquais que la protection temporaire activée par la Commission européenne ne les empêchait pas de demander le droit d’asile. Au printemps 2022, 99,9 % d’entre eux me répondaient qu’ils n’en voulaient pas : faire une telle démarche, c’était pour eux accepter de s’inscrire dans un exil durable, chose qui leur paraissait inenvisageable. Dans le courant de 2024, et plus encore depuis le début de l’année 2025, les choses ont changé. Cette évolution a des effets concrets étant donné que les Ukrainiens bénéficient d’un taux de protection très élevé, se situant autour de 90 %. Sans aller jusqu’à retraiter les chiffres, il faut intégrer le fait que la part des Ukrainiens booste mécaniquement le taux des protections accordées. Pourquoi les Ukrainiens demandent-ils plus l’asile en France que dans les autres pays européens ? Je ne sais pas répondre à cette question. Peut-être y a-t-il un lien avec l’accès à des droits. Les sénateurs se sont emparés de la question et ont commencé à y répondre par le biais d’une proposition de loi qui vise à généraliser les droits pour les personnes titulaires de la protection temporaire. Je n’ai pas eu le temps de faire une comparaison fine afin de comprendre pourquoi ce phénomène est spécifique à la France.
J’en viens aux espaces France asile, créés par la loi de janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Une fois encore, l’Ofpra doit appliquer ce que le législateur a décidé. Trois sites pilotes sont prévus, dont le premier a été inauguré avant-hier à la préfecture de Cergy-Pontoise. Des agents de l’Ofpra iront rejoindre ceux de la préfecture et de l’Ofii qui travaillaient déjà ensemble dans des guichets uniques de demande d’asile (Guda). Distincts des missions foraines dans le cadre desquelles l’Ofpra rend des décisions sur le fond, ces espaces France asile accueillent le demandeur d’asile et traitent avec lui sa demande. L’instruction, qui doit déterminer s’il doit ou non bénéficier de la protection internationale, continuera à se faire au siège de l’Office, à Fontenay-sous-Bois.
J’ai tendance à penser qu’il vaut toujours mieux aller au-devant des usagers plutôt que de les faire venir. On s’enrichit. Pour avoir été préfet, je ne vais pas vous dire que ce n’est pas bien de travailler dans un département. Le guichet de Cergy-Pontoise représente 5 % de la demande d’asile, raison pour laquelle il a été choisi pour cette expérimentation : l’échantillon est suffisamment important pour qu’on puisse en tirer des enseignements. Après échanges avec des collègues de l’Ofpra et du ministère de l’intérieur, j’ai compris qu’il était prévu d’attendre le bilan de cette expérimentation, conformément à ce que prévoit la loi de janvier 2024, avant de l’étendre à d’autres sites.
Madame Balage El Mariky, vous m’avez posé une question sur une proposition de fusion avec l’Ofii. Le sujet revient régulièrement, mais ces deux structures exercent des missions fondamentalement différentes : d’un côté, on traite de la prise en charge de demandeurs d’asile qui sont en situation d’attente d’un autre statut ; de l’autre, on dit le droit, on dit oui ou non à une demande d’asile. Quand on cherche à rationaliser, il est tentant de regrouper différentes structures. Encore faut-il que le regroupement n’altère pas le fond des missions. Il ne me semble pas que ce projet, qui circule régulièrement, soit d’une actualité plus prégnante aujourd’hui qu’hier. Vous m’avez aussi demandé mon avis sur l’externalisation des demandes d’asile dans des pays tiers. L’Italie a signé un accord en ce sens avec l’Albanie, mais des juges italiens ont invalidé les transferts. Il faudrait traiter ce sujet de l’asile avec le plus de sérénité possible parce qu’il suscite déjà suffisamment de passion. C’est ainsi que je l’aborderais pour la part qui m’échoirait si je devais être nommé directeur général de l’Ofpra.
Quant à vous, monsieur le président, vous m’avez interrogé sur la transposition du pacte sur la migration et l’asile de l’Union européenne. Ce n’est pas l’Ofpra qui va rédiger les textes – le ministère de l’intérieur et les différents départements ministériels concernés y contribueront. L’Ofpra est régulièrement consulté à titre d’expert, rôle que je m’attacherais à lui conserver. Quand on est gestionnaire de publics demandant l’asile, je pense que l’on peut avoir de bonnes idées sur le sujet. Quand je dis « on », je fais référence à la maison à laquelle j’ambitionne d’appartenir.
Plusieurs d’entre vous sont revenus sur la question des réfugiés climatiques, que j’avais moi-même soulevée dans mon propos introductif. Si l’on doit prendre ce sujet en compte, il faudra que les textes évoluent mais cela se fera au niveau du droit international. Les critères actuels pour l’obtention d’une protection au titre du droit d’asile, qu’ils se fondent sur le droit constitutionnel français ou la convention de Genève, ne font pas référence au changement climatique. Ce sont la certitude et l’immédiateté du risque qui sont prises en compte : la personne, qui est en face de moi, court-elle le risque d’être emprisonnée, torturée, exécutée, violentée ? Le rapport entre le risque individuel et le risque climatique va être compliqué à établir sur le plan juridique et, dans tous les cas, je le répète, les évolutions ne pourront se faire qu’au niveau international.
On m’a aussi posé une question que je pourrais résumer ainsi : le droit d’asile ne souffre-t-il pas du fait que les gens demandent désormais à en bénéficier alors qu’ils n’y ont pas droit ? Comme je l’ai indiqué, 50 % des demandeurs d’asile se sont vus reconnaître une protection internationale par l’Ofpra et la CNDA l’an dernier – les années précédentes, le taux évoluait entre 40 % et 50 %. Cela veut dire que 50 % de demandeurs n’y ont pas droit, mais on ne peut pas en conclure qu’ils n’avaient pas à le demander. On ne peut pas présupposer, avant d’avoir rendu une décision, qu’une personne n’y a pas droit. Le pourcentage de refus ne permet donc pas de déduire que l’on doit restreindre la possibilité de demander l’asile, ne serait-ce d’ailleurs que parce que ce droit est garanti par des textes internationaux et la Constitution.
En revanche, nous avons un vrai défi à relever : les délais. Si on ne rend pas une décision rapidement, on laisse mécaniquement s’installer des gens qui vont se créer assez logiquement une vie sociale, une vie familiale. La reconduite à la frontière n’en sera que plus difficile le jour où arrivera l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Croyez-en quelqu’un qui l’a fait, ce n’est jamais facile d’exécuter une OQTF. Rendre une décision plus rapidement doit aussi permettre d’éviter ce genre de situation. Cela ne signifie pas qu’il faut altérer les fondamentaux du droit d’asile ou remettre en cause les critères qui figurent dans les textes et dans la jurisprudence, cela veut dire qu’il faut s’organiser. On a su le faire par le passé : les délais ont été réduits de moitié en deux ans. Les délais d’instruction sont actuellement d’une dizaine de mois – environ cinq mois pour l’Ofpra et quatre mois pour la CNDA –, alors que l’objectif est fixé à six mois. Nous n’en sommes pas loin, mais clairement nous ne l’avons pas atteint. L’activation de divers leviers – techniques, ressources humaines, management – a déjà permis d’amorcer un mouvement de réduction qui semblait difficile à envisager. Il faut continuer en ce sens, ne serait-ce que pour relever le défi d’une demande en hausse. Il faut analyser finement cette augmentation, tirée par une forte demande ukrainienne. Y a-t-il d’autres moyens d’apporter la protection que nous devons à nos amis ukrainiens ? Sans doute, mais il faut trouver les voies et moyens d’améliorer la situation.
Mme Émeline K/Bidi, rapporteure. Je souhaitais rebondir sur une question qui vous avait été posée dans le questionnaire que je vous ai adressé, mais qui n’a pas été abordée par mes collègues : la situation en outre-mer et particulièrement à Mayotte où les missions de l’Ofpra sont entravées. Le guichet unique de Mayotte est souvent bloqué, ce qui empêche les demandes d’être déposées. Vous m’avez répondu que vous porterez une attention particulière aux délais, afin de traiter les demandes rapidement. Encore faut-il qu’elles puissent vous parvenir. Les chiffres sont à rebours de la situation nationale : les demandes d’asile ont baissé de 26 % en 2023 alors qu’elles ne cessent d’augmenter à l’échelle nationale. C’est le signe d’un véritable problème. Si vous êtes nommé la direction de l’Ofpra, j’imagine que vous vous entendrez à la perfection avec le préfet de Mayotte et que vous trouverez des solutions pour libérer les locaux. Pour contourner ces blocages, vous faites notamment référence aux missions foraines. Comptez-vous pérenniser, voire développer, ce dispositif ? Allez-vous plutôt privilégier l’application de la loi, c’est-à-dire la libération de l’accès au guichet unique, partant du principe que la liberté de manifestation ne doit pas empêcher la liberté d’accès aux services publics ?
M. Alain Espinasse. Les missions foraines et l’accès au service public ne sont pas contradictoires : on peut faire les deux. Ayant fait la preuve de leur efficacité, ces missions ont vocation à perdurer sur tous les territoires où elles sont nécessaires. Cela étant, vous soulevez un vrai problème d’accès au droit. Oui, il y a des gens qui s’opposent à ce que de potentiels demandeurs d’asile viennent déposer leur dossier au guichet. C’est totalement anormal. Ce territoire a aussi été fortement frappé par un cyclone et tout n’y est hélas pas revenu à la normale, mais je ne peux qu’abonder dans votre sens, madame la rapporteure : les demandes ont baissé de 20 % à Mayotte alors qu’elles doublaient en Guyane, autre territoire ultramarin. On ne saurait se satisfaire de cette baisse, sachant qu’elle est due à un problème d’accès au guichet, en raison d’une situation de grande tension sur le territoire mahorais. Je ne serai plus préfet – je ne le suis déjà plus. Si je suis nommé directeur général de l’Ofpra, il m’appartiendra de voir comment je peux aider à faire évoluer les choses, en lien avec le représentant de l’État sur ce territoire.
M. le président Florent Boudié. Je vous remercie pour vos réponses, monsieur Espinasse.
Puis la commission, délibérant à huis clos, procède au vote par scrutin secret, en application de l’article 29-1 du règlement, sur la proposition de nomination.
Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des lois du Sénat, à 12 heures 20 :
Nombre de votants : 50
Bulletins blancs ou nuls : 10
Suffrages exprimés : 40
Avis favorables : 29
Avis défavorables : 11
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Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné M. Philippe Vigier, rapporteur général et rapporteur du titre Ier, M. Philippe Gosselin, rapporteur des titres II et III, Mme Agnès Firmin Le Bodo, rapporteure du titre IV et Mme Estelle Youssouffa, rapporteure du titre V et du projet de loi organique , sous réserve de leur transmission par le Sénat, sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (Sénat - n° 544 - 2024-2025) et le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (Sénat - n° 545 - 2024-2025).
La séance est levée à 12 heures 25.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, Mme Léa Balage El Mariky, M. Erwan Balanant, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Blandine Brocard, M. Stéphane Buchou, Mme Gabrielle Cathala, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, Mme Marie-France Lorho, M. Sylvain Maillard, M. Olivier Marleix, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Marie-Ange Rousselot, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Philippe Vigier, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. - Mme Colette Capdevielle, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Naïma Moutchou, M. Julien Rancoule, M. Jiovanny William
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, M. Vincent Caure, M. Fabien Di Filippo, M. Sacha Houlié, M. Paul Molac