Compte rendu
Délégation aux outre-mer
– Audition de M. Manuel Valls, ancien premier ministre, ministre d’État, ministre des outre-mer 2
– Présences en réunion ............................. 17
Mardi
25 mars 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Davy Rimane,
Président
DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER
Mardi 25 mars 2025
Présidence de M. Davy Rimane, président de la délégation
Audition, ouverte à la presse, de M. Manuel Valls, ancien premier ministre, ministre d’État, ministre des outre-mer.
La séance débute à seize heures trente.
M. le président Davy Rimane. Nous accueillons aujourd'hui M. Manuel Valls pour une séquence d'ordre général portant sur l'ensemble du spectre ultramarin. Nous l'accueillerons de nouveau le mardi 6 mai pour une audition spécifiquement consacrée à la Nouvelle-Calédonie.
L’année 2024 a été jalonnée d’événements majeurs plaçant les outre-mer au cœur de l’actualité nationale : émeutes en Nouvelle-Calédonie, mouvement social contre la vie chère en Martinique ou encore passage destructeur du cyclone Chido à Mayotte. Pourtant, malgré l’adoption en février 2025 du projet de loi d’urgence pour ce territoire, les difficultés demeurent.
Monsieur le Premier ministre, quelles informations pouvez-vous nous fournir sur l’approvisionnement de la population en eau potable et sur la distribution de denrées alimentaires aux plus précaires ? Par ailleurs, à quelle échéance le rapport prévu à l’article 35 de cette loi d’urgence sera-t-il remis au Parlement ?
S’agissant de La Réunion, également durement frappée par un cyclone, envisagez-vous d’étendre le bénéfice du fonds Barnier aux habitants non assurés ? Quelles mesures entendez-vous prendre face au désengagement croissant des compagnies d’assurance dans les outre-mer ?
Pourriez-vous également faire un point sur les revendications relatives aux évolutions statutaires et institutionnelles exprimées dans les territoires du Pacifique et de l’Atlantique ? À quelle date le rapport demandé par le président de la République sur ces perspectives institutionnelles sera-t-il communiqué aux parlementaires ?
Enfin, en matière d’égalité des droits entre l’outre-mer et l’hexagone, pouvez-vous préciser les modalités envisagées pour corriger l’inapplicabilité de la Charte sociale européenne dans ces territoires, tant sur la forme que sur le calendrier de mise en œuvre ?
M. Manuel Valls, ancien premier ministre, ministre d’État, ministre des outre-mer. J’ai pleinement conscience de la richesse et de l’utilité des travaux de votre délégation, qui éclairent régulièrement l’action du gouvernement. J’ai lu avec une grande attention vos rapports, notamment celui sur l’avenir institutionnel des outre-mer et celui consacré à la démographie. Je tiens à saluer la qualité des travaux en cours, réalisés avec des moyens contraints.
Notre vision politique s’articule autour d’une question centrale, posée par Mme Emeline K/Bidi au premier ministre : qu’est-ce que la France d’outre-mer ?
Les territoires d’outre-mer sont confrontés à des urgences. La première concerne Mayotte, durement frappée par le cyclone Chido. Le rapport exhaustif sur les conséquences de cette catastrophe vous sera transmis dans les prochaines heures. Bien que la situation ait pu être stabilisée, des difficultés importantes demeurent, en particulier sur l’accès à l’eau potable et à la nourriture. Nous restons pleinement mobilisés pour garantir des livraisons régulières. L’adoption du projet de loi d’urgence constitue une deuxième étape essentielle. Après une phase de concertation, elle sera suivie par la présentation en conseil des ministres, dès la fin du mois d’avril, d’un projet de loi de programmation pour le développement économique, social et éducatif du territoire, destiné également à lutter contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal.
La deuxième urgence concerne la Nouvelle-Calédonie, où seul le dialogue permettra de reconstruire un projet commun et partagé. Après un premier déplacement qui a, je le crois, permis de poser les bases de futurs échanges, je me rends sur place dès jeudi et souhaite entamer de véritables négociations politiques. J’apporterai plus de précisions lors de mon audition de début mai.
La troisième urgence, plus structurelle, est celle du coût de la vie, car la situation est devenue insupportable pour nos compatriotes ultramarins. Elle engendre une fracture sociale qui menace la cohésion nationale et altère le lien entre ces territoires et la République. Le partage de la valeur en outre-mer n’est pas équitable et certains groupes économiques puissants étouffent l’économie locale. Lors de mon déplacement aux Antilles, j’ai évoqué la nécessité d’un plan de bataille méthodique destiné à lutter contre les multiples causes de la vie chère. Un projet de loi spécifique, s’inspirant notamment des propositions de Mme Bellay, sera ainsi présenté avant l’été en concertation avec les parlementaires. Les préfets seront mobilisés en priorité sur ce sujet, l’Autorité de la concurrence devra bénéficier de moyens renforcés et j’inviterai rapidement les acteurs de la distribution et les transporteurs pour leur demander des engagements concrets. Ce sujet est central car il cristallise la rupture de confiance entre l’outre-mer et l’hexagone et constitue l’un des leviers les plus concrets pour transformer la vie de nos concitoyens. Il touche également aux questions régaliennes car, si nous devons condamner les violences, il ne peut exister d’ordre sans justice.
La situation sécuritaire est également préoccupante. À Mayotte, l’immigration clandestine nourrit la violence et accable l’archipel. En Guyane et aux Antilles, le narcotrafic gagne du terrain. Les constats que m’ont livrés les forces de sécurité en Guadeloupe et en Martinique la semaine dernière sont alarmants. Nous devons empêcher que les Antilles deviennent un territoire d’ancrage pour les trafiquants. J’appelle à un sursaut national et européen, car ces territoires constituent des portes d’entrée vers l’hexagone et le continent européen. En Guyane, déjà confrontée à l’orpaillage illégal et à la pêche illicite, le taux d’homicide atteint 20,6 pour 100 000 habitants, soit quatorze fois la moyenne nationale. L’insécurité progresse également dans des zones autrefois épargnées telles que Saint-Martin ou Saint-Barthélemy.
L’intégrité des territoires ultramarins est en outre menacée par des ingérences étrangères, en particulier de l’Azerbaïdjan. Je demande à tous les représentants de la nation de condamner sans réserve ces manœuvres et de refuser toute complaisance envers les autorités de Bakou.
Je souhaite également agir avec la plus grande fermeté contre l’immigration clandestine qui affecte notamment Mayotte et la Guyane et suis, à ce titre, pleinement en accord avec le rapport transpartisan des sénateurs Philippe Bas et Victorin Lurel.
La lutte contre les violences intrafamiliales, notamment celles faites aux femmes, doit être un autre combat quotidien. La Réunion est le deuxième département français le plus touché. Dans des territoires où l’égalité des chances demeure trop souvent un mirage, l’éducation doit être placée au premier rang de nos politiques publiques. L’enjeu du transport scolaire est également majeur et l’illettrisme touche une proportion de jeunes deux fois supérieure à celle de l’hexagone dans les Antilles et à La Réunion. Je soutiendrai pleinement le Régiment du service militaire adapté de La Réunion (RSMA), qui joue un rôle déterminant dans l’insertion des jeunes ultramarins et offre à la jeunesse les moyens de son émancipation.
La culture constitue également un levier fondamental. Je souhaite donc relancer le mécénat pour soutenir la création artistique en outre-mer et son rayonnement dans l’hexagone.
S’agissant des défis d’avenir, l’adaptation au changement climatique est une priorité. Les territoires ultramarins, placés en première ligne, doivent donc être pleinement intégrés à l’élaboration et à la mise en œuvre des stratégies.
Le vieillissement de la population, qui frappe durement les Antilles et, dans une moindre mesure, La Réunion, impose un effort d’adaptation. Il s’agit à la fois de renforcer les soins et de développer l’accueil en EHPAD mais également de bâtir un plan pour encourager la jeunesse à rester, à revenir, à construire l’avenir sur place.
Ces questions, et d’autres tout aussi structurantes telles que l’emploi, la lutte contre les précarités ou la convergence économique et sociale, seront abordées dans le cadre du futur comité interministériel des outre-mer. Je souhaite que le CIOM soit renouvelé et recentré sur quelques grands sujets transversaux, avec des actions ciblées, territoire par territoire. Ces réunions se tiendront localement et j’en assurerai le suivi à compter du mois de juin.
Depuis mon arrivée au ministère des outre-mer, j’ai à cœur de bousculer les conservatismes et les lenteurs administratives. L’élévation de ce ministère au rang de ministère d’État doit permettre un changement profond dans la manière dont nous considérons ces territoires et cela m’engage pleinement.
Sur la question de l’avenir institutionnel des outre-mer, le rapport de Philippe Gosselin et Davy Rimane fournit de précieuses pistes. Bien que je n’exclue aucune piste de réflexion, nous devons avancer de façon concertée, pragmatique, avec pour seule boussole l’efficacité des politiques publiques. L’aspiration institutionnelle ne saurait être un moyen de détourner le regard des urgences économiques et sociales.
Pour terminer, il est temps que les outre-mer rayonnent par et pour eux-mêmes au sein de leur environnement régional. C’est dans cet esprit que j’ai souhaité ouvrir le débat sur l’exploitation des hydrocarbures en Guyane, à un moment où de nombreux élus s’interrogent sur ce sujet et où plusieurs de nos voisins ont franchi le pas. Je suis déterminé à mettre fin au parisianisme administratif et à l’infantilisation des ultramarins.
Nous devons aujourd’hui rebâtir la confiance et la justice. Parmi les prochaines étapes, figure la suite à donner au rapport Egéa-Monlouis-Félicité, qui nous permettra d’avancer sur les sujets économiques et sociaux, les réformes et les questions institutionnelles. Je suis prêt à engager ce travail, pour la Guyane évidemment, mais également pour tous les territoires qui le souhaitent. Trop souvent, nos compatriotes ultramarins éprouvent le sentiment d’être des Français à part. Mon ambition est qu’ils puissent enfin se sentir Français à part entière.
Mme Béatrice Bellay (SOC). Je commencerai par saluer, malgré nos divergences politiques, le courage dont M. le ministre a fait preuve dans sa description réaliste de la situation économique, sociale et culturelle de nos territoires.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué plusieurs initiatives, dont un futur projet de loi portant sur une transformation du modèle économique, culturel et social de nos territoires. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?
Par ailleurs, nous avons, à plusieurs reprises, sollicité la transmission du rapport conjoint Inspection générale des finances (IGF) et Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la loi pour l'ouverture et le développement économique de l'outre-mer (Lodeom), initialement attendu pour octobre 2024. Pouvez-vous nous indiquer une date de communication de ce document ?
Enfin, nous souhaitons être pleinement associés aux discussions sur la révision de l’octroi de mer, qui doit évoluer afin de ne plus alimenter la cherté de la vie ni accentuer les inégalités dans nos territoires.
M. Manuel Valls, ministre. Merci, madame la députée, pour vos propos. Il est essentiel de pouvoir travailler au plus près du terrain avec les parlementaires et de s’appuyer sur leurs initiatives. Votre précieux travail sera intégré au projet de loi que j’ai évoqué.
Pour lutter contre la vie chère, nous devons renforcer la concurrence en rapprochant l’Autorité de la concurrence des réalités locales, tout en lui donnant les moyens d’agir. Il est également nécessaire d’accroître la transparence, notamment en sanctionnant les entreprises qui ne publient pas leurs comptes et en rendant les marges arrière plus visibles. Une réforme de l’octroi de mer est indispensable et devra être conduite en lien étroit avec les collectivités, dans le respect de leur autonomie. Nous devons également agir sur les frais d’approche, envisager une baisse de TVA assumée par l’État et exiger des efforts de transparence de la part des distributeurs.
D’une manière plus globale, il s’agit d’engager une transformation économique profonde en rompant avec la dépendance aux importations, en encourageant la production locale, en visant l’autonomie alimentaire et en facilitant l’insertion des jeunes. Une économie fondée uniquement sur la commande publique n’est pas viable à long terme. Chaque territoire devra bâtir son propre projet de transformation, avec notre accompagnement.
Enfin, le rapport sur la Lodeom a bien été transmis au rapporteur spécial Christian Baptiste. Je m’engage à vous le communiquer dès sa publication.
M. Olivier Serva (LIOT). Vous avez récemment annoncé un projet de loi sur la vie chère dans les outre-mer, que je salue comme un signal fort de l’engagement de l’État. Mais ce texte ne saurait se limiter à des intentions et doit inclure des mesures concrètes.
C’est pourquoi je propose que la sur-rémunération dite « vie chère », versée aux fonctionnaires ultramarins soit enfin prise en compte dans le calcul des pensions de retraite. Cette indemnité compense un surcoût réel de la vie et son exclusion actuelle de l’assiette de cotisation constitue une anomalie majeure qui conduit à un déclassement brutal des retraités, souvent précipités dans la précarité.
Les syndicats des trois versants de la fonction publique en Guadeloupe appellent avec force à une réforme. Avec plusieurs collègues, nous déposerons très prochainement une proposition de résolution pour corriger cette injustice.
Monsieur le ministre, quelle est votre position sur cette question cruciale ?
M. Manuel Valls, ministre. J’ai déjà eu l’occasion d’aborder ces questions, qui revêtent une importance particulière. Il est exact que le coût de la vie ne disparaît pas à l’issue de la vie active et que les retraités ultramarins y demeurent confrontés. Des dispositifs spécifiques existent d’ores et déjà pour leur retraite.
Je suis convaincu que la priorité doit rester la maîtrise des prix. Le pouvoir d’achat passe par une concurrence renforcée, non par une compensation systématique fondée sur les indemnités, qui alimente une spirale inflationniste. Le projet de loi que je défends vise ainsi à traiter la vie chère à sa source, avec des mesures concrètes et efficaces.
S’agissant des retraites, la sur-rémunération contribue déjà, dans une certaine mesure, aux droits grâce au régime de retraite additionnelle, mais dans la limite d’un plafond fixé à 20 % du traitement indiciaire. Le débat est ouvert et il est légitime qu’il se poursuive.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Lors de votre déplacement à La Réunion, vous avez assuré que l’État serait pleinement mobilisé pour soutenir les sinistrés. Pourtant, depuis mon intervention du 3 mars à l’Assemblée, ni la reconnaissance élargie de l’état de catastrophe naturelle, ni la gestion de l’épidémie de chikungunya, ni la remobilisation des parcours emploi compétences (PEC) n’ont donné lieu à des mesures concrètes. Pire encore, le préfet a suspendu la validation de nouveaux contrats PEC, alors que ces emplois sont essentiels dans un contexte post-cyclonique et de crise sanitaire.
Comment expliquer cette inaction face à une épidémie ayant déjà dépassé les dix mille cas ? Faut-il y voir une volonté de l’État de la laisser se développer pour écouler son stock de vaccin ? Il est urgent de renforcer la lutte mécanique, en ciblant les vecteurs que sont les rats et les moustiques par des actions concrètes de nettoyage.
Allez-vous ordonner la reprise des embauches en PEC, augmenter leur nombre et revoir les taux de prise en charge par l’État ?
Enfin, s’agissant de l’arrêté de catastrophe naturelle, seul un nombre restreint de communes y figure. Cette réponse partielle laisse un sentiment d’impuissance administrative. À quelle date comptez-vous publier un nouvel arrêté intégrant l’ensemble des communes concernées ?
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le député, je ne peux tolérer des propos qui relèvent de l’invective et de la mise en cause injustifiée. Il est inacceptable de laisser entendre que la propagation de l’épidémie de chikungunya serait volontaire. Ce type d’accusation complotiste ne saurait avoir sa place dans un débat républicain.
Il est vrai que la situation épidémique actuelle appelle à la plus grande vigilance et que les semaines à venir seront déterminantes. Je me rendrai à La Réunion dans une quinzaine de jours. La Haute Autorité de santé a récemment rendu un avis favorable à la vaccination contre le chikungunya. Le ministère de la santé a, dans ce cadre, organisé la mise en œuvre d’une campagne ciblée dès le début du mois d’avril, à destination des personnes âgées de 65 ans et plus présentant des comorbidités. Le vaccin sera pris en charge intégralement, grâce au financement de l’agence régionale de santé (ARS) sur son fonds d’intervention régionale, avec une dotation de 40 000 doses.
La vaccination ne constitue toutefois qu’un levier parmi d’autres et les mesures de prévention demeurent essentielles. Je tiens à rappeler que le représentant de l’État sur place est pleinement mobilisé.
S’agissant de l’arrêté de catastrophe naturelle, il est désormais signé et sera publié dans les prochains jours. J’ai personnellement demandé qu’il soit complété, après un premier arrêté d’urgence insatisfaisant, afin que toutes les communes concernées soient prises en compte. Je poursuivrai ce travail en lien étroit avec les présidents d’exécutifs et les maires, afin de mettre en œuvre les engagements pris et de répondre efficacement aux conséquences de ce cyclone.
M. Matthias Renault (RN). Ma question porte sur un volet précis du futur projet de loi de programme pour Mayotte. La France, grâce aux outre-mer, dispose d’une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés. Pourtant, malgré le renouvellement de la flotte de surveillance maritime, la couverture reste insuffisante.
Dans ce contexte, la présence d’un patrouilleur outre-mer dans les eaux mahoraises serait essentielle pour lutter contre l’immigration illégale et affirmer notre souveraineté autour des îles Éparses, dans une zone stratégique. Or, Mayotte ne dispose pas des infrastructures portuaires nécessaires à l’accueil d’un tel navire.
Vous avez récemment exprimé une position favorable à la création d’une base navale. Cette mesure sera-t-elle intégrée au projet de loi de programme pour Mayotte, ou relèvera-t-elle d’un financement ultérieur ? Confirmez-vous cette orientation ? Et êtes-vous favorable, à terme, à l’envoi d’un patrouilleur outre-mer basé à Mayotte ?
M. Manuel Valls, ministre. Je suis favorable à l’ensemble des moyens que le ministère de l’intérieur ou celui de la défense décideront de mobiliser pour renforcer la lutte contre l’immigration illégale et protéger nos intérêts stratégiques. Comme je l’ai indiqué récemment en commission de la Défense, le port de Longoni fera l’objet de renforcements spécifiques. L’État entend y jouer un rôle croissant car ce port doit assumer une fonction stratégique sur le plan économique. Cela nécessitera, à l’évidence, des investissements considérables.
J’ai également confirmé le renforcement de la base navale et je réitère cet engagement devant vous aujourd’hui. Ces orientations sont bien intégrées dans le projet de loi de programme pour Mayotte. Je suis convaincu que ce territoire doit être pleinement soutenu par l’État et cela passe notamment par le renforcement de ses infrastructures portuaires, pour des raisons à la fois économiques et de souveraineté.
Mme Anchya Bamana (RN). Je souhaite attirer votre attention sur une situation profondément douloureuse pour de nombreuses familles mahoraises. Depuis le cyclone Chido, Air Austral, seule compagnie assurant le rapatriement des défunts depuis la métropole, refuse ces transports, invoquant la priorité donnée aux denrées alimentaires et aux matériaux de construction. En conséquence, des familles en deuil se retrouvent contraintes de payer entre 70 et 100 euros par jour pour conserver les corps dans des chambres mortuaires, sans aucune perspective claire de retour sur l’île. Cette détresse s’ajoute à la douleur du deuil et suscite une vive incompréhension.
Est-il acceptable que le transport des défunts passe après le fret et les matériaux ? Les Mahorais demandent simplement à pouvoir enterrer dignement leurs proches sur leur terre. Il ne s’agit pas d’un luxe, mais d’un droit fondamental.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour rétablir, sans délai, le rapatriement des corps vers Mayotte ? Et que comptez-vous dire à Air Austral, compagnie soutenue par l’État, face à cette situation inhumaine ?
M. Manuel Valls, ministre. Vous soulevez une question douloureuse, qui touche à l’intimité des familles et revêt une importance particulière pour les Mahorais, déjà confrontés à de nombreuses difficultés.
Des cas concrets ont été portés à la connaissance de mon cabinet et des solutions ont pu être apportées au cas par cas. Il est toutefois indispensable de réfléchir à un dispositif pérenne. Les compagnies aériennes concernées, Air Austral et Corsair, se sont montrées ouvertes à la recherche de solutions malgré des contraintes logistiques persistantes.
Les difficultés rencontrées tiennent en partie à la situation de l’aéroport de Mayotte, où de la piste impose des restrictions sur les vols opérés en gros porteurs. Quant aux Airbus A220 assurant les liaisons depuis La Réunion, ils ne disposent pas de capacités suffisantes pour absorber ce type de fret.
Des solutions sont envisageables entre l’hexagone et La Réunion mais la question du transfert vers Mayotte reste à traiter. J’ai saisi la cellule interministérielle de crise consacrée à Mayotte afin qu’elle identifie dans les meilleurs délais une réponse durable à cette situation, dans le respect des attentes des familles endeuillées.
M. Christian Baptiste (SOC). Les outre-mer restent des territoires de la République où l’application de la loi apparaît trop souvent inégale. L’affaire Claude Jean-Pierre, décédé après une interpellation violente en Guadeloupe, en est une illustration tragique. Quatre ans après les faits, l’enquête piétine, un non-lieu a été requis malgré des expertises accablantes et le sentiment d’injustice est profond. Trop souvent, les victimes ultramarines de violences policières se heurtent à des procédures interminables, des enquêtes partiales et un manque manifeste de considération institutionnelle.
Cette inégalité d’accès à la justice est tout aussi criante dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Les chiffres sont alarmants, les délais bien trop longs et les mesures de protection tardives ou inefficaces.
Comment expliquer qu’en 2025, un citoyen ultramarin ait un accès à la justice plus limité qu’un citoyen hexagonal ? Pourquoi les procédures y durent-elles deux fois plus longtemps ? Pourquoi les affaires impliquant les forces de l’ordre peinent-elles à déboucher sur un procès ? Pourquoi les femmes victimes de violences ne bénéficient-elles pas de mesures de protection rapides et effectives, alors même que la loi le permet ?
Quelles actions concrètes entendez-vous mettre en œuvre pour garantir une égalité réelle devant la justice, afin que les ultramarins ne soient plus traités comme des citoyens de seconde zone ?
M. Manuel Valls, ministre. Dans l’affaire que vous mentionnez, un non-lieu a été prononcé en février 2023 par le procureur de Basse-Terre, une conclusion partagée par l’IGGN. Bien que des thèses divergentes aient récemment été relayées dans la presse, je ne peux interférer dans une procédure judiciaire.
Je réaffirme mon estime pour les forces de l’ordre, dont la noble mission exige une exemplarité constante. Un gendarme incarne l’État et cette responsabilité engage.
Sur les délais de justice, vous avez raison d’affirmer qu’ils sont parfois plus longs dans les outre-mer. C’est un enjeu que je souhaite traiter avec Gérald Darmanin, notamment sur des sujets prioritaires tels que les violences faites aux femmes.
Des mesures concrètes sont engagées, à l’image de la transformation du tribunal de Saint-Martin en juridiction de plein exercice, qui permettra d’alléger la cour d’appel de Basse-Terre et d’améliorer l’accès à la justice.
M. Philippe Naillet (SOC). La filière agricole réunionnaise, déjà fragilisée par la sécheresse, a subi des pertes estimées à 165 millions d’euros à la suite du cyclone Garance. Vous avez annoncé un plan exceptionnel de 200 millions d’euros pour La Réunion, dont 15 millions spécifiquement pour l’agriculture. Ce premier pas est salué mais il reste insuffisant au regard de l’ampleur du choc subi.
Comment votre ministère entend-il soutenir durablement le monde agricole réunionnais, et de quelle manière votre action s’articulera-t-elle avec celle du ministère de l’agriculture ?
Par ailleurs, l’arrêté du 12 mars 2025, pris dans le cadre de la procédure accélérée, a été étendu à plusieurs communes supplémentaires, ce qui va dans le bon sens. Toutefois, les glissements de terrain restent encore à ce jour exclus de la liste des sinistres. Or, leur inscription dans l’arrêté de catastrophe naturelle faciliterait grandement la prise en charge par les assurances. Pouvez-vous vous engager à faire inclure rapidement les glissements de terrain ?
M. Manuel Valls, ministre. J’ai activé le fonds de secours pour les outre-mer, ce qui répond également aux préoccupations soulevées à La Réunion. Concernant les filières agricoles spécifiques, telles que la canne à sucre, pour lesquelles les indemnisations sont généralement versées après la récolte, un dispositif est mis en place avec le préfet afin d’accélérer les versements et de répondre aux urgences de trésorerie.
L’État soutiendra également les travaux de remise en état des équipements publics, avec des taux de subvention allant jusqu’à 80 %, et même 100 % pour les établissements scolaires. Un fonds de 200 millions d’euros est ainsi mobilisé pour accompagner les collectivités dans la reconstruction des bâtiments et infrastructures et pour permettre aux agriculteurs de relancer leur activité. En complément, un fonds d’urgence de 15 millions d’euros, s’ajoutant aux 15 millions du conseil départemental, soutiendra l’agriculture locale.
Comme à Mayotte, je solliciterai une mission d’évaluation des dégâts en vue d’une mobilisation du fonds de solidarité de l’Union européenne. Le commissaire Fitto, vice-président de la Commission européenne, sera présent lors de la réunion des régions ultrapériphériques à La Réunion. J’ai par ailleurs chargé le préfet d’élaborer, en lien avec les élus, un plan de développement à plus long terme.
Enfin, j’échangerai avec le préfet sur le sujet des glissements de terrain et, si le besoin est avéré, je demanderai l’ajout de ce sinistre à l’arrêté de reconnaissance de catastrophe naturelle.
M. Nicolas Metzdorf (EPR). Lors de votre venue en Nouvelle-Calédonie en février, vous avez instauré une méthode de dialogue qui, jusqu’à présent, a permis aux signataires de l’accord de Nouméa de se réunir et d’échanger dans un climat constructif. Cette approche, saluée par l’ensemble des forces politiques locales, semble porter ses premiers fruits.
Des interrogations subsistent cependant quant au fond des discussions, notamment autour du thème que vous avez placé au cœur des échanges, celui du « lien avec la France ». Ce choix sème le doute chez de nombreux Calédoniens, qui rappellent qu’en tant que citoyens français, ils ne sont pas liés à la France, ils sont la France.
Dès lors, permettez-moi de vous poser une question directe sur votre orientation dans cette négociation. Vise-t-elle à séparer la Nouvelle-Calédonie de la République, à rebours des trois référendums déjà tenus ? Souhaitez-vous nous mener dans cette direction, ou bien l’expression « lien avec la France » renvoie-t-elle simplement à une réflexion sur la répartition des compétences entre l’État et la collectivité ? Si tel est le cas, le vocabulaire mérite d’être clarifié.
M. Manuel Valls, ministre. Je vous remercie pour la reconnaissance de ce travail, dont le mérite revient à l’ensemble des forces politiques représentées au congrès de Nouvelle-Calédonie. Vous en avez été partie prenante et je tiens à saluer cet engagement collectif.
Le lien avec la France se manifeste tout d’abord par la présence concrète de l’État. La sécurité est assurée par vingt escadrons de gendarmerie, des unités d’élite, les forces de police à Nouméa ainsi que par le travail de la justice et la présence militaire. Ces compétences régaliennes, que sont la sécurité, la justice et la défense, ont vocation à demeurer. Il s’agit là d’une première expression tangible de notre attachement à la Nouvelle-Calédonie.
Nous devons également renforcer le rayonnement de la France dans le Pacifique, en particulier face aux ingérences étrangères. L’action de notre ambassadrice dans la région en témoigne.
L’État soutient également économiquement la Nouvelle-Calédonie, dont l’économie reste fragilisée depuis les événements du 13 mai. Dans ce contexte, j’ai pris l’engagement de rebâtir un plan stratégique pour la filière nickel, secteur essentiel pour le territoire, pour la France et pour l’Europe.
Il est également fondamental de rappeler que la nationalité française et le lien à la métropole sont des éléments intangibles. Les trois référendums ont rejeté l’indépendance, même si le dernier a laissé une part d’inachevé, ce dont nous devons tenir compte.
Notre responsabilité collective est désormais de travailler à un chemin d’avenir, dans un esprit de dialogue et de respect mutuel. C’est avec cette volonté de responsabilité partagée que j’entends poursuivre ce travail et je sais pouvoir compter sur votre contribution.
M. Jean-Victor Castor (GDR). Vous avez évoqué, dans vos propos liminaires, un changement de paradigme dans la relation entre l’État et les outre-mer. Or, en tant que parlementaires, nous constatons régulièrement l’absence d’une approche spécifique aux outre-mer dans les projets de loi. Comment entendez-vous concrétiser ce changement au sein du ministère, et de quelle manière comptez-vous associer les parlementaires en amont pour garantir une meilleure prise en compte des enjeux ultramarins dans la législation nationale ?
Ma seconde question porte sur la relation avec les élus locaux. En Guyane, un projet gouvernemental sur l’inventaire des ressources minérales a récemment été validé sans consultation des collectivités, alors même qu’une zone a déjà été prédéfinie. Comment entendez-vous renforcer l’association des élus locaux à la prise de décision sur des sujets aussi structurants, eux qui sont les premiers connaisseurs du terrain ?
Enfin, les échanges avec le CIOM restent trop brefs et parcellaires. Le traitement individuel des territoires sur quelques heures ne permet pas d’aborder en profondeur les problématiques. Quelles évolutions de méthode envisagez-vous pour améliorer la concertation avec les élus locaux et les parlementaires dans ce cadre ?
M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison de souligner que les intentions doivent se traduire en actes. Les outre-mer sont encore trop peu pris en compte dans les projets de loi et je compte mettre un terme à cette situation. Je souhaite m’inspirer du rapport Egéa, qui propose des pistes intéressantes sur ce sujet.
J’envisage de lancer une réforme de l’administration visant à renforcer sa dimension interministérielle, à l’image des missions spécifiques déjà engagées pour Mayotte et la Nouvelle-Calédonie.
Le CIOM devra également évoluer vers une déclinaison par territoire, de manière décentralisée, avec des sessions de travail approfondies et non limitées à quelques heures. Un cadrage national subsistera mais chaque territoire bénéficiera d’un traitement complet, sur place autant que possible. J’ai par ailleurs obtenu que mon cabinet soit désormais associé à toutes les réunions portant sur les projets de loi et je maintiens un lien constant avec les élus. Ce mode de fonctionnement constitue le cœur de ma méthode.
Concernant l’exemple de la Guyane, le défaut de consultation des élus n’est pas acceptable. Sur ce type de dossier, leur implication est indispensable. Je vous invite à me signaler systématiquement ce type de dysfonctionnement afin que je puisse intervenir rapidement auprès des administrations concernées.
M. le président Davy Rimane. Il est inacceptable que le rapport Egéa ait été communiqué à la presse alors même qu’il demeure hors de portée des élus.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). J’aurais pu évoquer de nombreux sujets, à commencer par le foncier, qui demeure une question extrêmement sensible dans nos territoires. J’aurais également pu parler de l’hémorragie démographique, alimentée par l’obligation faite chaque année aux jeunes lauréats des concours de l’éducation nationale de quitter leur territoire sans perspectives de retour.
Je choisis aujourd’hui de me concentrer sur la question des risques majeurs, les récents séismes en Martinique ayant rappelé la vulnérabilité de nos territoires. Les Antilles dépendent actuellement d’un centre d’alerte américain, aujourd’hui menacé par des restrictions budgétaires, tandis que le Centre national d'alerte aux tsunamis (Cenalt) français ne couvre pas cette zone.
Il devient urgent de doter la France d’un dispositif indépendant visant à garantir la sécurité des populations antillaises. J’avais proposé la création d’une commission d’enquête sur la gestion des risques majeurs dans les outre-mer, qui s’est retrouvée bloquée pour des raisons politiques, ce qui révèle combien des considérations partisanes peuvent freiner des travaux pourtant essentiels aux populations.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, le rapport évoqué sera mis à disposition des parlementaires dans les prochaines heures.
S’agissant des risques climatiques, le plan national d’adaptation au changement climatique a été publié le 10 mars et une réunion est prévue avec la ministre de la transition écologique. Ce sujet doit, à mon sens, devenir une priorité absolue du CIOM, car la multiplication et l’intensification des phénomènes climatiques illustrent l’urgence de renforcer les moyens d’action de l’État, en lien avec les collectivités.
Enfin, je n’émets aucune réserve à l’égard d’une éventuelle commission d’enquête. Quelles que soient les positions des groupes politiques, la continuité de l’État doit primer et je suis prêt à travailler avec vous sur ces enjeux majeurs.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Je souhaite réagir au projet de loi sur la vie chère que vous avez évoqué dans les médias, à la lumière de mes trente années d’engagement politique. Plutôt que des discours grandiloquents, nos concitoyens attendent des réponses concrètes. Ce texte devra donc être construit territoire par territoire, en lien étroit avec les élus locaux, dans le respect de leur légitimité démocratique et de leurs responsabilités. Trop souvent, les gouvernements commettent l’erreur de rechercher le consensus face à des enjeux complexes, ce qui conduit à l’immobilisme. Il faut oser avancer, y compris dans la diversité des positions.
Au-delà des prix du transport ou de la concentration économique, je souhaite insister sur un point immédiat d’amélioration, qui est celui de l’adaptation des normes. Aujourd’hui, celles-ci engendrent des surcoûts considérables pour les collectivités, à l’image du secteur de la construction, où l’importation de ciment européen est imposée alors que son équivalent canadien est disponible à proximité. Nous pouvons progresser rapidement sur ce type de leviers.
M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison d’affirmer que la réponse à la vie chère doit être construite territoire par territoire, en concertation étroite avec les élus et les acteurs économiques et sociaux. C’est l’approche que j’ai déjà mise en œuvre, notamment en Martinique. Plutôt que de rechercher l’unanimité, je souhaite bâtir une majorité pragmatique afin de faire aboutir ce texte.
Sur le sujet des normes, des avancées ont déjà été obtenues, notamment avec la proposition de loi adoptée au Sénat concernant les normes de construction européennes. Il est essentiel de poursuivre cette réforme tout en veillant à préserver les exigences sanitaires. Cette évolution est indispensable pour améliorer l’attractivité et réduire durablement le coût de la vie dans les outre-mer et vous pouvez compter sur ma pleine attention à vos propositions.
M. Max Mathiasin (LIOT). Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier pour le temps et l’attention que vous consacrez aux outre-mer. Lors de vos déplacements, vous avez manifestement su comprendre nos réalités et je souhaite vivement poursuivre ce travail avec vous, car il est rare de voir un ministre aussi attentif à nos enjeux.
J’aimerais toutefois exprimer une réserve sur l’expression « Français à part entière ou entièrement à part », que vous utilisez régulièrement et qui perpétue l’idée d’une séparation, d’un écart, que beaucoup d’entre nous ressentent douloureusement.
Je souhaite à présent relayer deux interrogations de mon collègue Elie Califer. Alors que le Parlement examine une proposition de loi pour sortir la France de l’engrenage du narcotrafic, la dimension caribéenne de cette lutte semble négligée. Quelle stratégie l’État entend-il déployer pour renforcer la coopération régionale, afin de répondre à un fléau qui touche durement nos populations ?
La seconde question porte sur un événement survenu le 22 mars au Zénith de Lille, où la chanteuse Ebony, ex-finaliste de la Star Academy, a été victime d’insultes et de gestes racistes. Cet acte s’inscrit dans une vague de haine que cette jeune femme subit depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux. Ce climat préoccupant, ressenti par de nombreux ultramarins, semble alimenté par des tensions politiques croissantes. Quelles actions concrètes le gouvernement entend-il engager afin de lutter contre cette banalisation inquiétante du racisme ?
M. Manuel Valls, ministre. S’agissant du narcotrafic aux Antilles, j’ai effectivement souligné l’importance de renforcer la coopération régionale. Les partenariats, qui existent déjà avec Sainte-Lucie et la Dominique, doivent être intensifiés. Cela passe notamment par des moyens aériens supplémentaires et un meilleur contrôle dans les ports. Cette coopération est indispensable, même si elle reste difficile à mettre en œuvre dans la zone.
S’agissant de la situation d’Ebony, je condamne sans réserve les propos et les gestes racistes dont elle est victime. Cette haine en ligne reflète une banalisation préoccupante de la violence verbale. Le concept de « misogynoir », qui désigne les discriminations spécifiques visant les femmes noires, mérite d’être pris au sérieux. La société de production Endemol a déposé plainte, avec le soutien des associations SOS Racisme et la Maison des Potes.
Je rappelle que le racisme n’est pas une opinion mais un délit. Le respect de la dignité, de l’égalité et de l’intégrité des personnes est au fondement de notre République. Je salue la dignité avec laquelle Ebony fait face, dans un esprit d’apaisement remarquable, à ces comportements que nous devons combattre avec la plus grande détermination.
M. le président Davy Rimane. Je souhaite formuler une observation à propos de la loi relative à la lutte contre le narcotrafic. Même si ce texte ne relève pas directement de votre portefeuille, je regrette que le gouvernement ait opté pour une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi. Ce choix empêche les parlementaires de déposer des amendements visant à renforcer les moyens alloués à nos territoires.
Je m’interroge donc sur la réelle volonté du gouvernement de doter les outre-mer, en particulier les Antilles et la Guyane, des moyens à la hauteur des enjeux pour lutter efficacement contre le narcotrafic et le crime organisé. Il est regrettable qu’un sujet d’une telle gravité ait été traité selon une méthode aussi restrictive.
Mme Karine Lebon (GDR). Je vous remercie pour le soutien que vous avez exprimé aux enfants de la Creuse, qui viennent d’arriver de La Réunion et attendent votre présence demain à l’Assemblée pour le dépôt de la proposition de loi que vous portez aux côtés de Perrine Goulet, qui pourrait ouvrir la voie à une réparation financière.
Concernant la question de la vie chère, je vous encourage à désigner un rapporteur issu des outre-mer, qui maîtrise ce dossier de l’intérieur.
J’en viens au cyclone Garance, qui a durement frappé La Réunion le 28 février dernier. Vous avez pu constater les dégâts sur place et avez annoncé la mise en place d’un fonds social exceptionnel d’urgence pour les Réunionnais non assurés, ce qui constitue un premier pas. Mais l’ampleur des dommages sur les logements, les infrastructures et l’environnement est considérable. J’espère que lors de votre prochain déplacement, vous pourrez vous rendre à la Ravine des Lataniers, où les sinistres ont été particulièrement lourds pour les habitants. Cette démarche est essentielle car l’État doit assumer ses responsabilités dans l’entretien des ravines. Le manque de curage des cours d’eau du domaine public fluvial a aggravé les conséquences du cyclone car, lorsque les écoulements naturels sont obstrués, l’eau dévie, provoquant l’inondation de nombreuses habitations.
Il existe aujourd’hui un besoin urgent de relogement et d’hébergement d’urgence. Nous faisons face à une crise sociale inédite en matière d’accès au logement et, malgré l’engagement local, les moyens restent insuffisants. Le territoire de l’ouest vous a adressé un courrier concernant le financement complémentaire d’un centre d’hébergement d’urgence. Nous demandons un soutien renforcé de l’État pour financer la création et la pérennisation de ce centre. Êtes-vous prêt à accompagner cette démarche dans le cadre du prochain budget ?
M. Manuel Valls, ministre. Je recevrai demain les enfants de la Creuse et je salue cette initiative car les questions mémorielles ont toute leur importance.
Mon déplacement à La Réunion des 7 et 8 avril sera l’occasion d’un échange global sur les suites du cyclone Garance. Vous avez raison d’affirmer que la question des ravines est essentielle et nécessite une mobilisation forte de l’État ainsi que des collectivités afin d’engager des opérations de nettoyage et de curage à la hauteur des enjeux. Mon cabinet travaille actuellement avec la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) et les habitants à l’identification de réponses concrètes.
Concernant l’hébergement d’urgence, les besoins sont effectivement croissants. Ce dossier sera étudié avec le ministère du logement dans le cadre du Plan logement outre-mer (Plom°3), qui doit être signé d’ici l’été prochain. Mon cabinet est à votre disposition pour avancer sur ce projet.
M. Frédéric Maillot (GDR). Je souhaite aborder le sujet des demandes de mutation. À La Réunion comme dans les autres territoires d’outre-mer, nous faisons face à une injustice criante, régulièrement dénoncée mais systématiquement ignorée par les ministres successifs. La semaine dernière, les mouvements ont été annoncés et ceux qui ont effectué leur stage dans l’académie de La Réunion sont désormais contraints à un exil forcé vers des académies délaissées par les métropolitains.
Dès l’obtention de leur diplôme, nos jeunes lauréats se voient attribuer un aller simple pour l’hexagone et sont envoyés combler les postes vacants dans des académies telles que Versailles ou Créteil. Pourquoi nos jeunes, nos frères, nos sœurs, doivent-ils pallier les carences de ces académies peu attractives ? Cette injustice flagrante provoque de réelles souffrances familiales et le ressentiment est d’autant plus fort que les postes disponibles dans nos propres académies ne sont pas proposés aux Réunionnais. À qui sont-ils donc réservés ? Nous exigeons de la transparence sur ce point.
Le cyclone Garance a par ailleurs révélé une profonde crise du logement à La Réunion, avec 49 000 demandes en attente de traitement. Conscients de l’impossibilité de construire un tel parc, nous plaidons pour une solution mixte et estimons que la captation du parc privé, accompagnée d’un soutien aux propriétaires, constitue une piste à explorer. Il est temps d’affronter avec détermination les problèmes de mutation et de logement qui s’accumulent.
M. Manuel Valls, ministre. Je comprends pleinement la force de votre engagement sur ce sujet de première importance. La situation que vous décrivez mérite une réponse sérieuse qui doit être construite en lien avec la ministre de l’éducation, même si d’autres portefeuilles sont également concernés.
Le principe de continuité territoriale, inhérent à notre République indivisible, consiste à la fois à garantir à chacun la liberté de vivre où il le souhaite sur le territoire national et à permettre à celles et ceux qui le désirent de revenir sur leur terre d’origine. Le dispositif lié au centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) a été réformé à l’issue du CIOM de 2023 pour introduire des critères irréversibles visant à assurer une priorité réelle pour les fonctionnaires ayant un ancrage authentique dans les outre-mer. Je suis tout à fait disposé à en dresser un bilan, dans un cadre respectueux du principe d’égalité.
Il me paraît en outre nécessaire d’ouvrir une réflexion sur ce que vous qualifiez d’« exil forcé ». J’entends la douleur qu’il suscite chez nos compatriotes – qui sont aussi mes frères et mes sœurs – et je pense qu’il faut remettre à plat le dispositif existant. Au-delà, il faut lutter contre la fuite des talents mais, plutôt que de multiplier les dispositifs correctifs, nous devrions concentrer nos efforts sur la formation des talents dans les territoires eux-mêmes.
Il nous faut travailler avec la ministre de l’éducation nationale et le ministre de la fonction publique. Je suis prêt à ce débat et je me propose de réunir les parlementaires concernés pour engager un échange aussi clair que constructif sur ces enjeux qui traversent plusieurs secteurs, de l’éducation à la sécurité.
M. Frédéric Maillot (GDR). La rectrice de la Guadeloupe m'a informé, lors de ma visite à la résidence préfectorale, que la ministre a pris la décision, non encore formalisée, de permettre aux stagiaires de demeurer dans nos territoires. Il est convenu qu’elle revienne prochainement vers moi sur ce sujet.
M. Philippe Gosselin (DR). Les sujets à traiter sont nombreux et ne manqueront pas de mobiliser le Parlement dans les mois à venir.
Ma première interrogation porte sur le calendrier. Comment envisagez-vous l’examen des différents textes dans les prochaines semaines, voire les prochains mois ? La Nouvelle-Calédonie fait l’objet d’un projet très spécifique qui suppose une révision de la Constitution. Ce n’est pas tant le contenu de cette révision qui importe que son caractère nécessaire, puisqu’elle conditionne le changement de statut et les lois organiques à venir. Pour Mayotte, un deuxième volet est attendu, avec un avant-projet comportant déjà 38 articles en circulation. Qu’en est-il de leur examen ? La Guyane est également concernée par un texte législatif. Parallèlement, d’autres dossiers demeurent en suspens. Dès lors, comment comptez-vous organiser nos travaux sur l’ensemble de ces fronts ?
Je souhaite également revenir sur le rapport que nous avons corédigé avec le président Rimane, consacré aux relations entre l’État et les collectivités ainsi qu’aux évolutions statutaires envisageables. Quelles suites le ministère entend-il donner à ce rapport ? Envisagez-vous de vous saisir de ce sujet, en tenant compte du fait que les territoires n’avancent pas tous au même rythme ?
M. Manuel Valls, ministre. Comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, nos axes de travail sont clairs et régulièrement réaffirmés. Il est essentiel qu’ils se traduisent concrètement en actes. S’agissant notamment de la lutte contre le narcotrafic, il n’est nul besoin d’attendre un texte législatif car les moyens supplémentaires ne requièrent pas de loi et sont déjà déployés, même s’ils doivent encore être renforcés.
Sur le calendrier, le projet de loi relatif à Mayotte sera présenté au Sénat en mai puis à l’Assemblée en juin. Il est important que ce calendrier soit respecté, en dépit de quelques désaccords avec le Sénat. En ce qui concerne la Guyane, le projet devrait être soumis d’ici l’été, après un passage en Conseil des ministres. Les échanges avec les parlementaires se poursuivront en parallèle. Pour la Nouvelle-Calédonie, le calendrier dépendra de l’accord trouvé mais je souhaite que nous puissions avancer aussi rapidement que possible.
Sur le plan institutionnel, je répète que nous avancerons sans tabou. Le débat devra être large et se baser sur des travaux tels que le rapport Egéa ou le vôtre. Selon moi, la distinction entre les articles 73 et 74 de la Constitution a perdu en pertinence. Ce sujet mérite toutefois une discussion approfondie. Bien que la question d’une révision constitutionnelle puisse être posée, nous devrions d’abord utiliser les outils disponibles, tels que les habilitations ou les mécanismes d’adaptation. Si un approfondissement s’avère nécessaire, le président de la République disposera alors des éléments pour engager cette réflexion. Vous avez raison de souligner que les dynamiques institutionnelles varient d’un territoire à l’autre et que les attentes ne sont ni homogènes ni synchrones. Nous devrons toutefois construire une adhésion aussi étendue que possible afin de traduire ces aspirations de manière stable et efficace.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Avant tout, je souhaite exprimer mon indignation face au ton de votre réponse précédente, qui constitue à mon sens un dérapage inacceptable.
Je m’exprime ici au nom de M. Perceval Gaillard qui, dans un courrier en date du 19 décembre, vous a interrogé sur l’activation du fonds de secours pour les outre-mer à la suite du cyclone Garance et de ses terribles conséquences. Ce dispositif, qui vise à soutenir financièrement les victimes et petites entreprises mises en grande précarité par la catastrophe, comprend une aide limitée mais immédiate d’extrême urgence aux sinistrés et un soutien plus large aux particuliers et entreprises dont les biens non assurés ont été lourdement endommagés. À La Réunion, plus d’un tiers des entreprises et de nombreux particuliers ne sont pas assurés, faute de moyens ou de couverture possible. Aussi, comment comptez-vous activer ce fonds pour leur venir en aide ?
M. Manuel Valls, ministre. Juste après le passage du cyclone Garance, je me suis rendu sur place pour annoncer une aide de 15 millions d’euros pour l’agriculture et de 200 millions pour les bâtiments et les filières économiques, industrielles et agricoles. En attendant mon retour dans quelques semaines, les actions sont conduites par le préfet. Le fonds de secours pour les outre-mer a bien été activé. Comme à Mayotte, une inspection a été diligentée afin d’évaluer précisément les coûts et d’agir en conséquence. Pleinement conscient de l’urgence, j’ai réuni les acteurs économiques sur le terrain et je les rencontrerai à nouveau, notamment ceux de la filière agricole.
Nous poursuivons également un dialogue étroit avec les compagnies d’assurances, bien que la situation diffère selon les territoires. J’écarte ici la question spécifique des assurances émeutes, notamment en Martinique et en Nouvelle-Calédonie, où des retraits de couverture ont été constatés, même si un travail est en cours avec le ministère des finances. Bien que je souligne la mobilisation réelle des assurances et des banques à La Réunion, elle doit toutefois être suivie avec rigueur.
Je précise également qu’au-delà du fonds de solidarité des outre-mer, je signerai très prochainement la circulaire autorisant l’utilisation du fonds de secours d’extrême urgence de la sécurité civile, qui donnera au préfet les moyens d’intervenir directement auprès des familles sinistrées.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Lorsque j’ai alerté la ministre de l’éducation sur le manque d’accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à La Réunion, elle m’a informée de la mise en place d’un nouveau dispositif reposant sur des pôles d’appui à la scolarité. Malgré cela, seuls 21 postes sont prévus pour 217 000 élèves, avec un appel à candidatures lancé le 21 mars pour une clôture le 30, un délai très court pour un recrutement de cette nature. Cette dotation me semble insuffisante et ce sous-investissement chronique se retrouve dans l’ensemble des services publics. À chaque comparaison avec l’hexagone, les écarts sont manifestes, qu’il s’agisse du ratio entre population et services ou du nombre d’administrés par agent.
Les importantes coupes budgétaires annoncées risquent-elles de compromettre les rattrapages, indispensables dans nos territoires ? Nous avons besoin d’un état des lieux précis de ce sous-investissement structurel et d’un plan pluriannuel pour atteindre enfin un niveau de moyens équivalent à celui des autres régions.
Au-delà de l’éducation, cette pénurie de moyens impacte l’ensemble des politiques publiques dans l’ensemble de nos territoires, y compris la lutte contre le narcotrafic. Lorsque le nouveau parquet national anticriminalité sollicitera des ressources à La Réunion, il se heurtera à une absence de capacité opérationnelle, faute de personnels et de moyens adaptés.
M. Manuel Valls, ministre. L’idée d’un état des lieux précis me paraît pertinente, en particulier dans le champ éducatif, où il est nécessaire d’évaluer les taux d’encadrement et les résultats scolaires à l’aune des réalités démographiques.
Je suis pleinement conscient des attentes fortes en matière de services publics dans les outre-mer. J’ai évoqué la coordination entre les parquets de Guadeloupe, de Martinique et le nouveau parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic, sujet que j’ai également abordé avec le ministre de la justice.
Nous devrons également inclure dans notre réflexion les taux de pauvreté, les inégalités et les besoins en encadrement. Le rattrapage est indispensable et nous devons progresser sur ces sujets sans tarder.
M. le président Davy Rimane. Monsieur le ministre, avant votre départ, je souhaite attirer votre attention sur une incohérence majeure. Mayotte et la Guyane, qui sont les deux territoires français les plus confrontés à l’habitat spontané, sont paradoxalement exclus du plan national de résorption des bidonvilles. Je vous demande de vous saisir de cette question car cette exclusion d’un dispositif qui se veut national est incompréhensible au regard de l’ampleur du phénomène.
M. Manuel Valls, ministre. Je m’engage à examiner cette question et à vous apporter rapidement une réponse.
M. le président Davy Rimane. Nous prenons bonne note de votre proposition d'organiser des réunions avec les ministres de l'éducation et de la fonction publique. Nous avions déjà initié une démarche avec la délégation pour les auditionner sur ces problématiques mais une réunion regroupant les parlementaires ultramarins de la délégation et les ministres concernés permettrait d'avancer plus rapidement.
La séance s’achève à dix-huit heures dix-sept
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Présents. - Mme Anchya Bamana, M. Christian Baptiste, Mme Béatrice Bellay, M. Hervé Berville, M. Jean-Victor Castor, M. Peio Dufau, M. Philippe Gosselin, Mme Émeline K/Bidi, Mme Karine Lebon, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Metzdorf, M. Philippe Naillet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Stéphane Peu, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Matthias Renault, M. Davy Rimane, M. Olivier Serva, M. Jiovanny William.
Excusés. - M. Yoann Gillet, Mme Florence Goulet, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Estelle Youssouffa.