Compte rendu
Délégation aux collectivités territoriales
et à la décentralisation
– Audition de M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation 2
– Présences en réunion.............................. 17
Mardi
11 mars 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 11
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Stéphane Delautrette, Président
La séance est ouverte à 17h05.
La délégation auditionne M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
M. le président Stéphane Delautrette. Nous avons le plaisir d’accueillir cet après-midi M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation
Monsieur le ministre, bien que j’aie déjà eu l’occasion de m’entretenir avec vous lors d’une réunion de travail le 13 février dernier, c’est la première fois que notre délégation vous reçoit depuis votre nomination le 23 décembre 2024. Je vous remercie de vous être rendu disponible pour échanger avec nous sur la feuille de route que vous vous êtes fixée pour les prochains mois et à plus long terme.
Vous le savez, les membres de la délégation ont à cœur de défendre les intérêts des collectivités territoriales, qui constituent les chevilles ouvrières de la République, sans lesquelles la démocratie locale ne serait qu’un vain mot. Or, pour pouvoir agir au service de nos concitoyens, les collectivités doivent pouvoir disposer des moyens adéquats. C’est donc par des questions financières que je débuterai mon propos.
Le long cycle d’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, qui s’est achevé il y a un peu plus d’un mois, a permis de mettre en lumière la situation particulièrement délicate des finances des collectivités territoriales, notamment celle des départements. Selon nos informations, près d’un département sur trois serait éligible au fonds de sauvegarde en 2025, contre quatorze seulement l’année précédente. Cela illustre la fragilité croissante des finances départementales, qui portent sur elles le poids de la crise sociale que traverse le pays.
Lors de son audition devant notre délégation le 3 décembre 2024, M. François Sauvadet, président de Départements de France, alertait la représentation nationale sur le risque d’une véritable « cessation de paiement » de certains départements. Une telle éventualité vous semble-t-elle envisageable ? Si tel est le cas, le mécanisme du fonds de sauvegarde vous paraît-il suffisamment calibré pour faire face à des situations de blocage ?
C’est dans ce contexte quelque peu difficile que vos services devraient prochainement publier la liste des collectivités éligibles au dispositif de lissage conjoncturel (Dilico), imaginé par nos collègues sénateurs en remplacement du controversé fonds de réserve proposé par le précédent gouvernement. Au travers du Dilico, les collectivités seront appelées à contribuer au redressement des finances publiques à hauteur d’un milliard d’euros en 2025. Indépendamment des doutes que l’on peut légitimement avoir quant au bien-fondé du dispositif, je souhaiterais appeler votre attention sur l’importance pour les collectivités de savoir le plus tôt possible si elles vont être contributrices et à quelle hauteur. Or les éléments circulant à ce propos dans les médias sont variables d’une source à l’autre.
La dernière estimation publiée évoque le chiffre de 2 099 collectivités et groupements concernés, dont 1 906 communes et 131 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Disposez-vous de données stabilisées ?
Par ailleurs, comme je vous l’avais dit lors de notre entretien du 13 février dernier, le relèvement progressif sur quatre ans du taux de cotisation employeur à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) représente également à mes yeux un sujet de préoccupation majeur. Les travaux menés à l’automne 2024 par nos collègues Tristan Lahais et Nicolas Ray à l’occasion d’un rapport d’information sur le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2025 ont mis en lumière le coût parfois considérable de la mesure pour les collectivités, notamment pour les départements et les petites communes.
Dès demain, notre délégation va entamer un cycle d’auditions visant à faire émerger d’autres pistes de réforme, y compris structurelles, susceptibles d’aider la CNRACL à faire face à ses échéances financières sans mettre davantage en péril les finances des collectivités employeurs. Comme je vous l’ai indiqué lors de notre échange du mois dernier, la délégation présentera à vos services une série de recommandations à l’issue de ces auditions, qui devraient s’étaler jusqu’en avril.
Abstraction faite de la conjoncture compliquée que traverse notre pays, la tension dans les discussions engagées chaque année sur les finances locales montre, selon moi, les limites du modèle actuel de financement des collectivités, articulé autour de l’attribution unilatérale de dotations d’État ou de parts de fiscalité nationale. Le principe d’autonomie financière reconnu par la Constitution en son article 72-2 ne suffit plus. Il importe de progresser vers une plus grande autonomie fiscale, c’est-à-dire vers l’attribution aux collectivités d’un pouvoir de taux ou d’assiette sur une taxe restant à déterminer.
Le 4 mars dernier, vous avez confirmé devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat votre intention de réunir dans les prochaines semaines, avec la ministre chargée des comptes publics, une conférence financière des territoires. Pouvez-vous nous apporter des éléments d’information complémentaires sur les modalités d’organisation de cette conférence et sur la façon dont les parlementaires pourraient y être associés ? Au-delà du simple diagnostic, aurait-elle, selon vous, vocation à discuter d’une éventuelle réforme du financement des collectivités territoriales ?
Le sujet de l’autonomie fiscale s’inscrit naturellement dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’approfondissement de la décentralisation, qui a fait l’objet en 2024 d’une mission conduite à la demande du gouvernement de l’époque par notre collègue Éric Woerth. Le rapport remis au président de la République à l’issue de ces travaux, le 30 mai dernier, comportait de nombreuses propositions qui, bien qu’intéressant les collectivités territoriales, avaient été reléguées au second plan par la dissolution de l’Assemblée nationale. Parmi les préconisations les plus importantes, figuraient le renforcement de la contractualisation, la consécration d’un véritable chef-de-filât, une amélioration de la répartition des compétences entre chaque strate, la simplification de l’intercommunalité ainsi que le retour, selon des modalités nouvelles, du conseiller territorial commun aux régions et aux départements envisagés en 2010. Ces propositions sont-elles toujours d’actualité pour le gouvernement ? Si tel est le cas, quels chantiers pourriez-vous ouvrir prochainement ? À trois ans des prochaines élections départementales et régionales, quelle serait selon vous la meilleure « fenêtre de tir » pour une éventuelle réforme de l’organisation territoriale de notre pays ?
Préalablement aux échéances électorales de 2028, il ne vous aura pas échappé qu’un important scrutin municipal est prévu l’an prochain. Or on assiste depuis plusieurs années à un découragement croissant des élus locaux, au point qu’il devient de plus en plus difficile dans certaines communes de constituer des listes de candidats. Comme vous le savez, notre délégation est particulièrement attachée à ce qu’un signal fort soit donné le plus tôt possible par le législateur afin de lever les multiples freins qui, malgré les nombreuses réformes intervenues depuis 1992, entravent toujours l’engagement dans la vie publique locale.
Lors de notre entrevue du 13 février dernier, je vous ai remis en mains propres un exemplaire du rapport produit à l’issue des deux débats organisés au sein de la délégation sur la question du statut de l’élu local. Ce rapport permet d’identifier les nombreuses mesures susceptibles d’être adoptées de manière consensuelle par l’Assemblée nationale, qu’il s’agisse de l’élargissement des droits alloués aux élus en situation de handicap, de l’amélioration des conditions d’accès à la retraite, de l’aide à la reconversion professionnelle des élus en fin de mandat ou du renforcement du dispositif de formation. Il met également en lumière la nécessité de clarifier l’ensemble des droits et obligations applicables aux élus locaux en les regroupant dans un titre unique positionné en tête du code général des collectivités territoriales.
Au cours de votre audition par la délégation sénatoriale, vous avez déclaré que la proposition de loi sur le statut de l’élu issue du Sénat serait examinée par l’Assemblée nationale au prochain trimestre. Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur le calendrier d’examen envisagé par l’exécutif ? Quelles dispositions parmi celles évoquées précédemment pourraient être reprises par le gouvernement afin d’enrichir le texte sénatorial ?
Je souhaiterais enfin évoquer le sujet des services publics en milieu rural. Quelques heures avant notre entretien du mois dernier, notre délégation avait consacré ses quatrièmes Rencontres aux politiques de soutien aux services « essentiels » dans les territoires ruraux. Les discussions intervenues dans ce cadre ont permis de rappeler le rôle désormais central joué par les espaces France services dans l’accès de nos concitoyens à un large panel de services publics. Mais il est également apparu que ce programme était en quelque sorte victime de son succès et qu’il était indispensable d’accompagner financièrement sa montée en puissance sous peine de saturation. Dans la mesure où vous avez indiqué devant les sénateurs vouloir poursuivre l’objectif des 3 000 espaces France services annoncé par les précédents gouvernements, pouvez-vous confirmer que les subventions de fonctionnement allouées par l’État seront bien portées, dès cette année, à 45 000 euros et surtout à 50 000 euros l’an prochain ?
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Il m’apparaît tout d’abord absolument indispensable, compte tenu de la pression extérieure s’exerçant sur notre pays et du contexte mondial très instable, de renforcer le partenariat entre l’État et les collectivités territoriales, qui doivent avancer main dans la main, dans le respect mutuel des rôles de chacun.
Lorsque je suis arrivé au ministère, le projet de loi de finances était en cours de négociation et avait été engagé en partie, les discussions s’étant arrêtées à l’article dit Sautarel, créant le Dilico. Je me suis attaché, avec les parlementaires ayant soutenu cette disposition, à réduire largement la facture prévue en matière de prélèvement sur les recettes réelles de fonctionnement, hors CNRACL et subventions d’investissement, faisant passer son montant de 5 milliards d’euros à 2,2 milliards.
J’ai indiqué à François Sauvadet, de façon un peu taquine, avoir été surpris de sa satisfaction à la suite de l’intervention de l’ancien premier ministre qui ponctionnait les départements à hauteur d’un milliard d’euros dans le cadre des recettes réelles de fonctionnement. Je vous rappelle que, sur le milliard d’euros restant sur les trois milliards et demi initiaux, les départements ont été prélevés à hauteur de 220 millions d’euros, les régions de 280 millions d’euros et le bloc communal de deux fois 250 millions d’euros. Je connais les arguments développés par François Sauvadet.
J’ajoute que les présidents de départements se sont par ailleurs vu octroyer la possibilité, dont ils ne manqueront pas d’user, d’augmenter de 0,5 point les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ce qui représente quelque 600 millions d’euros affectés de façon différentielle aux départements. Bien évidemment, rien n’empêche les départements disposant de davantage de DMTO de pratiquer la solidarité horizontale avec ceux bénéficiant de recettes moindres. Ma prédécesseure, Mme Vautrin, avait d’ailleurs rappelé que les aides exceptionnelles octroyées aux départements ne concernaient que ceux qui en avaient le plus besoin, à commencer par le tiers de départements identifiés comme étant en grande difficulté.
Le fonds de sauvegarde a été en partie épuisé et ne compte plus qu’une quarantaine de millions d’euros. Nous pourrons si nécessaire l’abonder d’ici à la fin de l’année budgétaire. Pour l’heure, les mesures prises doivent permettre de faire face. J’ai évoqué la question avec le président des Départements de France, dont l’argumentation me semble inexacte : il considère en effet qu’on a prélevé plus de TVA aux départements qu’aux autres collectivités. Or il s’agit de recettes potentielles, sans réelle existence. Ainsi, la TVA qui avait été prévue au niveau du budget de l’État à hauteur de 220 milliards d’euros en janvier 2024 s’élève finalement à 210 milliards. Les excès de TVA envisagés sont en réalité de – 10 milliards d’euros. Je vous annonce en revanche que la somme résiduelle disponible en fin d’année, d’un montant de 57 millions d’euros, va être reversée aux départements.
Je rappelle par ailleurs que cinquante départements sur cent n’ont pas été prélevés. Nous avons en effet établi avec la direction générale des collectivités locales (DGCL) des indices de pauvreté, de difficulté, permettant d’avancer le plus justement possible dans un environnement national contraint.
La première séquence de la conférence financière des collectivités locales organisées avec la ministre chargée des comptes publics devrait se tenir début avril 2025. Les principales associations d’élus et les parlementaires concernés y seront évidemment conviés. Il s’agira dans un premier temps de dresser ensemble un état des lieux à un an des élections municipales et d’envisager la possibilité d’une contractualisation sur trois ans. Les élus de 2026 se trouveront en effet confrontés à des problèmes que nous rencontrons chaque année et qui deviennent difficilement gérables. Amélie de Montchalin et moi souhaitons par conséquent établir ensemble une prévisibilité liée aux engagements pris par l’État au niveau européen à l’horizon 2029. Mettre en place la possibilité d’une contractualisation sur trois ans fixant avec les collectivités une trajectoire d’évolution de leurs recettes permettrait d’éviter mauvaises surprises et à-coups.
Une deuxième séquence de la conférence financière, organisée par exemple fin juin, permettrait d’entrer plus précisément dans la contractualisation.
Vous avez soulevé dans votre propos liminaire la question du statut de l’élu. Je vous informe que l’examen de la proposition de loi reprendra en mai et que le texte pourra alors être enrichi. Vous avez évoqué différentes pistes d’amélioration.
Je me suis par ailleurs entretenu avec les fédérations d’élus, parmi lesquelles l’association des maires ruraux de France (AMRF), dont le président Michel Fournier m’a indiqué souhaiter une augmentation des indemnités des maires de 500 euros – cela n’est peut‑être pas la bonne entrée mais le Parlement décidera – ainsi que l’attribution de trimestres de gratification aux membres de l’exécutif local. Ces propositions doivent bien évidemment être chiffrées. Des avancées avaient déjà été effectuées dans ce domaine, puisque les maires n’ont désormais plus besoin de voter leur plafond d’indemnités – devoir le faire pouvait être très gênant dans les petites communes.
Le texte pourrait également intégrer un volet simplifiant la procédure relative aux conflits d’intérêts, qui complique singulièrement la vie des élus locaux et a pu conduire certaines communes, dont celle de Brest, à ne pas pouvoir adopter des textes en raison d’un nombre insuffisant de votants de la majorité dû à de trop nombreux déports.
Il conviendrait en outre de veiller à une meilleure application de la loi existante, autour notamment des frais de garde et de la possibilité d’obtenir auprès des employeurs des droits réels à exercer la fonction d’élu.
La protection des élus contre les atteintes physiques dont ils sont parfois victimes constitue également un point majeur. Dans mon territoire, le maire d’une petite commune, par ailleurs vice-président de Dijon Métropole chargé des finances, a été agressé il y a six ans par des voyous qui sont toujours dans la rue. Une telle situation est insupportable, pour ce maire, sa famille et l’ensemble des élus qui l’entourent. J’ai invité à plusieurs reprises le ministre de l’intérieur à prêter attention au décalage susceptible d’exister entre les paroles très fortes prononcées lorsque de tels actes surviennent et la dureté de la réalité quand les coupables ne sont pas condamnés. Cela a indéniablement un impact négatif.
Je vous annonce par ailleurs la tenue d’un « Roquelaure de la simplification » et d’un « Roquelaure de l’assurabilité ».
Le problème de la CNRACL est connu. Il convient d’y trouver des solutions autres que l’augmentation de 12 points du prélèvement, même si cette hausse, annuelle à l’origine, avait finalement pu être étalée sur trois ans puis quatre ans afin d’être plus supportable par les collectivités. Le dispositif n’en demeure pas moins très lourd. Les élus savent parfaitement qu’ils doivent assurer cette dépense, mais l’acceptent d’autant plus difficilement qu’ils ont dû participer à un mécanisme de compensation depuis 1974, à hauteur de 80 milliards d’euros. Face au déséquilibre démographique dû au vieillissement des agents et à l’augmentation du recours aux contractuels, il faut trouver de nouvelles solutions. Nous allons nous y employer.
L’organisation territoriale du pays est également un sujet majeur, relevant selon moi de l’élection présidentielle. Aucune nouvelle organisation ne sera mise en place d’ici à 2027. Rien n’empêche toutefois d’imaginer des pistes d’amélioration. À titre personnel, je pense nécessaire de revoir l’organisation territoriale de la République et porte depuis longtemps plusieurs propositions en ce sens. Lors du vote de la loi sur l’administration territoriale de la République en 1992, j’étais commissaire du gouvernement auprès de Pierre Joxe. Il a fallu plus de vingt ans pour que ce texte soit appliqué et que les intercommunalités se créent. Je crois, toujours à titre personnel, que l’assemblée départementale devrait être composée de représentants des EPCI : cela permettrait une représentation plus juste et une vision plus large de l’intérêt départemental. Si l’objectif est de réaliser des économies, il serait également possible de supprimer cette élection et de la remplacer par une désignation au deuxième degré. Cela mérite réflexion et il appartiendra aux grands élus et aux parlementaires de formuler des propositions dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
Je porte par ailleurs deux dossiers initiés précédemment. Je pense tout d’abord au projet de réforme constitutionnelle pour la Corse, issu des entretiens de Beauvau et dont vous aurez, en tant que parlementaires, à connaître le moment venu.
Le second dossier, « Marseille en grand », fait suite à un engagement pris par le président de la République. On y fait preuve d’une grande originalité puisque l’État construit des écoles pour venir en aide aux collectivités qui ne parviennent pas à le faire – cela peut faire sourire un ancien maire mais nécessité fait loi.
Des pactes territoriaux ont également été passés au bénéfice de zones en grande difficulté, qu’il s’agisse d’anciens secteurs miniers ou autres lieux touchés par la pauvreté ou une chute de la démographie. Il convient de donner suite à ces pactes et aux engagements budgétaires associés.
La situation de Mayotte, où l’État aura tout à reconstruire, constitue un cas particulier. Cela relève du ministre d’État, ministre des outre-mer.
Je reçois régulièrement de la part des collectivités locales des propositions tout à fait intéressantes. La Bretagne, qui a des habitudes de coopération fortes, propose par exemple que l’État ne conserve que les fonctions régaliennes et que les autres missions soient déléguées à la région. Comme le soulignait Braudel, la France est diverse. Elle est si diverse qu’il est de plus en plus difficile d’imaginer des lois s’appliquant de la même manière sur l’ensemble du territoire national, à un territoire minier ou anciennement industriel comme à une zone touristique. Le fait que les règles applicables à l’activité touristique soient les mêmes en Corse et dans le nord de la France constitue sans doute, par exemple, un élément bloquant.
M. le président Stéphane Delautrette. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Violette Spillebout (EPR). Je souhaite revenir sur la question des violences auxquelles sont exposés les élus locaux, notamment les maires. La gravité de ces atteintes n’est aucunement proportionnelle à la taille de la collectivité et des événements graves peuvent survenir y compris dans de petites communes rurales.
Voilà un an, j’ai été rapporteure d’un texte venant du Sénat sur la protection des élus locaux, qui nous a permis de renforcer les sanctions pénales, d’étendre la protection fonctionnelle à des élus qui n’en bénéficiaient pas auparavant et de demander à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de prendre en charge les dépenses de sécurité engagées dans le cadre des campagnes des candidats.
Lors de ce débat parlementaire passionnant, il est apparu que des conventions étaient par exemple passées entre des préfectures et des associations départementales d’élus pour que l’information sur l’avancement des procédures de justice soit plus régulière. Nous avons également appris qu’un guide de la protection des élus avait été déployé. Or lorsque je m’entretiens avec des élus locaux, je m’aperçois qu’ils ont le sentiment que la situation n’a guère évolué, malgré le vote de cette loi imaginée pour protéger, voire stimuler, l’engagement de nos concitoyens dans la vie publique locale.
Dans la mesure où il ne semble pas possible, faute de place dans l’agenda de la commission des lois, de bénéficier d’une mission flash d’évaluation de la loi, je voudrais savoir si, à un an des élections municipales, vous pourriez informer précisément les parlementaires et surtout les élus locaux sur la publication des décrets d’application. Le ministère pourrait-il développer une communication spécifique sur les droits dont les élus peuvent se prévaloir s’ils sont victimes, eux ou leur famille, de violences ?
Pourriez-vous par ailleurs faire le point sur ce que la CNCCFP peut mettre en place à l’attention des futurs candidats aux élections municipales, notamment dans les petites communes de moins de 9 000 habitants où les candidats n’ont pas de comptes de campagne obligatoires mais dont les dépenses de sécurité engagées en cas de menaces pourraient être remboursées ?
Tous ces éléments permettront de répondre aux enjeux municipaux et contribueront à la vitalité démocratique sur notre territoire.
M. Pierre Cordier (DR). Conseiller départemental depuis vingt et un ans, après avoir été conseiller général, maire et vice-président d’agglomération chargée des finances, je connais bien le fonctionnement des collectivités territoriales. Aujourd’hui, je ne peux que constater l’aggravation de la situation des départements.
À titre d’exemple, le département des Ardennes, dont je suis issu, se situe dans la « diagonale du vide » et est confronté à des difficultés sociales et économiques importantes, qui pèsent énormément sur le budget de la collectivité. Le montant des dépenses sociales est en hausse, tout comme celui de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) induit par le vieillissement de la population.
Dans ce contexte, la question de la péréquation nous tient particulièrement à cœur, s’agissant des DMTO. Dans le département des Ardennes, ils sont de 90 euros par habitant, contre 600 à 700 euros dans des départements bénéficiant d’une activité touristique importante. Ne serait-il pas intéressant d’écrêter les DMTO et de favoriser l’expression d’une forme de solidarité entre les départements ? Je sais que le président Sauvadet n’y est pas forcément favorable et qu’il est soumis à la pression exercée par certains présidents de départements aisés. Je considère pour ma part que la dimension de solidarité est essentielle si nous voulons que l’échelon de proximité que constituent les départements perdure, au bénéfice des habitants. J’ajoute que la péréquation des DMTO ne coûterait rien à l’État.
Je souhaite enfin aborder la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), considérée comme relevant d’une compétence régalienne de l’État. Or dans le département des Ardennes, ce poste représente un budget de 3 millions d’euros, dont 200 000 euros seulement provenant de l’État. La situation devient extrêmement critique dans ce département modeste, qui dépasse de 3 à 4 points la moyenne nationale en matière de demandeurs d’emploi, compte un nombre croissant de bénéficiaires du RSA et souffre de l’échec de sa reconversion industrielle. L’État pourrait-il faire un effort en matière de prise en charge des MNA ?
M. François Rebsamen, ministre. Vous avez raison, monsieur Cordier : les DMTO ne répondent pas totalement à l’attente des départements. Il a toutefois fallu agir en urgence et nous avons exonéré cinquante départements, dont les Ardennes, de tout prélèvement Dilico. Il me semble par ailleurs important de rappeler que l’augmentation des DMTO peut avoir un impact négatif sur la relance du secteur du logement et ne constitue pas une solution durable. Sans péréquation entre les départements, la situation s’annonce en effet délicate. Il convient donc d’explorer les pistes envisageables pour mieux agir et assurer une forme de solidarité entre les collectivités. Il sera toujours possible, en cas de nécessité, d’intervenir en urgence dans le cadre du PLF pour 2026, avec un abondement sur la clause de sauvegarde. Peut-être serait-il également possible de réserver le reliquat de 57 millions d’euros qui vient de nous être annoncé aux départements les plus en difficulté.
J’entends par ailleurs votre demande concernant les mineurs non accompagnés. Certains départements ne peuvent plus faire face, en effet, et se retrouvent en grande difficulté. Soyez assuré que je serai particulièrement attentif à leur situation.
Il existe par exemple en Île-de-France des conventions de bonnes pratiques entre les départements. Je m’engage à évoquer le sujet avec le Bureau de Départements de France.
Madame Spillebout, un travail considérable a été effectué pour limiter les violences perpétrées à l’égard des élus. À l’issue d’un vif débat, la dotation de 3,6 millions d’euros pour la protection des élus dans le cadre de plans de lutte contre les violences a été sauvegardée. Plusieurs aspects pourraient encore être améliorés, au travers notamment du statut de l’élu. Je pense par exemple aux caméras judiciaires, à la pérennisation de l’assistance psychologique ou à l’amélioration des possibilités d’alerte. Je souhaiterais par ailleurs un renforcement du rôle d’officier de police judiciaire (OPJ) des élus, qui n’est pas toujours reconnu par la justice. J’ai à l’esprit l’exemple d’élus qui se font insulter et dont la parole n’a pas plus de valeur auprès de la justice que celle des voyous qui les ont agressés : c’est inadmissible. J’ai évoqué le sujet avec le garde des sceaux et le ministre de l’intérieur : là encore, il ne sert à rien de faire de grandes déclarations si les paroles ne se traduisent pas concrètement en actes sur le terrain. Des dispositions de la loi votée l’année dernière pourraient ainsi être utilement complétées.
La communication est effectivement essentielle alors que nombre d’élus ne connaissent pas leurs droits et les moyens de protection dont ils peuvent bénéficier. Sans vouloir dire du mal des associations d’élus, j’ai pu constater, par exemple, que les chiffres du Dilico que je leur avais communiqués n’ont pas été massivement répercutés. J’ai donc demandé aux préfets de transmettre à l’ensemble des élus de leur territoire les éléments relatifs à la situation financière, en précisant le montant correspondant pour chacune des 2 200 communes concernées.
Il est important de porter les informations que vous avez soulignées à la connaissance des élus, car cela peut contribuer à lever la difficulté à trouver des candidats motivés, prêts à sacrifier une partie de leur vie et de leur bien-être au bénéfice de l’intérêt général. Je suis très sensible à ce sujet, pour avoir été confronté, en tant que président d’une métropole, à plusieurs cas d’élus victimes de violences et d’incendies de locaux municipaux.
J’ajoute que sur les 3,6 millions d’euros précédemment évoqués, il est envisagé de consacrer 2 millions à l’amélioration de la sécurité des locaux des mairies, en matière notamment de vidéoprotection.
Je vais demander à mon ministère de réfléchir aux moyens de communiquer plus efficacement sur ces différents dispositifs, au travers par exemple d’une meilleure connaissance du guide des élus.
M. le président Stéphane Delautrette. Je tiens à vous informer que suite à l’interpellation de Violette Spillebout sur la nécessité d’évaluer la loi votée en 2024, j’ai saisi le président de la commission des lois de cette demande, en lui rappelant que cette évaluation procédait d’une obligation légale. Ce dernier m’a répondu qu’en l’état actuel des moyens de la commission, il serait difficile de traiter cette question au cours du premier semestre 2025, mais que l’évaluation pourrait être conduite lors du second semestre.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous avons bien entendu qu’aucune réforme structurelle de l’organisation territoriale ne serait engagée d’ici à 2027. Préalablement à toute évolution, il nous semble important, en tout état de cause, de prendre le temps d’évaluer les changements et événements intervenus depuis une dizaine d’années : je pense notamment à la contractualisation et aux conséquences de la crise des subprimes. Ce temps est nécessaire pour poser les termes du débat de la façon la plus constructive possible, afin que le résultat soit en adéquation avec les enjeux des politiques publiques, au niveau national, européen et international.
En matière de finances, les allers-retours entre l’État et les collectivités mettent en lumière la fragilité de l’autonomie fiscale de ces dernières. Cet élément devra être abordé dans le cadre d’une future réforme structurelle. Cela pose aussi la question du lien entre le citoyen et l’action publique locale, au-delà de la contractualisation. L’exemple de l’utilisation des DMTO en est une parfaite illustration au regard des besoins croissants en matière sociale et médico-sociale, et des enjeux liés au vieillissement de la population, qui affecteront fortement le prochain mandat municipal.
Les écarts de ressources entre les départements doivent également nourrir les débats. De nouvelles modalités doivent être trouvées. En attendant, la péréquation apparaît comme une possibilité intéressante.
Je souhaite encore insister sur la nécessaire prise en compte, dans nos échanges comme dans les travaux que vous conduisez, des efforts des collectivités locales dans l’adaptation et la lutte contre le changement climatique. Ce sujet est prioritaire et la nécessité d’agir fait, me semble-t-il, consensus. Au-delà des mots, il convient de prendre en considération les réalisations effectuées dans les territoires par l’intermédiaire notamment des dépenses de fonctionnement permettant l’accompagnement aux changements de comportements de la population.
J’aborderai enfin la question de la loi Paris‑Lyon‑Marseille (PLM). Si nous souscrivons totalement à l’abaissement de la « prime majoritaire » à 25 %, nous considérons que le problème de l’harmonisation avec les communes de plus de 3 500 habitants n’est pas réglé. Prévoir la disposition pour ces collectivités faciliterait l’approbation de la loi, apporterait davantage de cohérence et de lisibilité au dispositif, une simplification de l’appréhension des modes de scrutin et serait gage d’une représentation plus démocratique.
Mme Marina Ferrari (Dem). Nous nous réjouissons tout d’abord de l’élargissement du champ de votre ministère à des questions comme le logement ou le transport, qui donne une cohérence à l’action publique.
Nous évoluons dans un contexte contraint, notamment financièrement, mouvant et soumis à des risques élevés et polymorphes. Les collectivités y jouent un rôle essentiel de protection des populations et de maintien de la cohésion sociale. Elles sont des éléments moteurs de la croissance grâce à leurs politiques d’investissement et sont en première ligne dans la transition écologique.
Ma première question porte sur les risques naturels et la nécessaire adaptation au réchauffement climatique. Comment envisagez-vous de faire évoluer les dispositifs en vigueur dans ce domaine ? La péréquation horizontale pourrait-elle évoluer afin de prendre en compte non pas uniquement les différences de ressources entre les collectivités, mais bien les dangers auxquelles elles pourraient être exposées, dans une logique de partage du risque ?
Nous sommes en outre confrontés à des risques internationaux contre lesquels nous devons protéger nos infrastructures. Un texte « résilience » est à l’examen au Sénat et va être soumis à l’Assemblée nationale. L’adaptation des réseaux et la cybersécurité des collectivités coûtent cher. Une extension du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) à la thématique de la cybersécurité pourrait-elle être envisagée, afin que les collectivités puissent améliorer leurs capacités de résilience dans ce domaine ?
« La France se nomme diversité », disait Fernand Braudel. Je me réjouis que vous n’envisagiez pas de faire évoluer les compétences des collectivités territoriales d’ici à 2027. Il faudrait même aller au-delà car nous avons avant tout besoin de stabilité. Je déplore en revanche que la loi « 3DS » n’ait été que très peu appliquée.
J’ai entendu lors de votre audition au Sénat que vous étiez favorable à l’idée d’aller vers une différenciation territoriale et souhaiterais vous entendre sur ce point.
Il est régulièrement question du rôle et du coût des agences de l’État. Or ces instances sont indispensables en raison de l’ingénierie qu’elles apportent aux territoires, par exemple dans le champ du tourisme. Quel est votre position sur le sujet ?
Ma dernière question porte sur le logement en ruralité et les modifications qui pourraient être apportées à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Certaines intercommunalités aspirent à une mutualisation de l’effort sur l’intégralité du territoire. Ces pistes nous semblent devoir être explorées. Nous avons interrogé la semaine dernière la ministre déléguée chargée de la politique de la ville sur les mesures de soutien aux maires bâtisseurs. Il nous a été répondu que ces aides passaient par le Fonds vert. Or de nombreuses petites collectivités ne mobilisent pas ce dispositif. Comment, dans ce contexte, les aider à développer en ruralité du logement accessible à tous ?
Permettez-moi de conclure en citant vos propos, monsieur le ministre, et d’affirmer avec vous que « la densification peut être heureuse ».
M. François Rebsamen, ministre. Dans un environnement effectivement très contraint, les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel en matière de croissance, puisqu’elles représentent 70 % de l’investissement public. Elles remplissent également une mission de protection et de maintien de la cohésion sociale, au travers des services publics qu’elles proposent.
Votre suggestion de péréquation du risque climatique me paraît excellente. Le renforcement des outils de solidarité nationale en vue de partager ce risque pourrait notamment passer par une réforme de la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC). Peut-être faudrait-il par ailleurs imaginer un fonds dédié aux risques climatiques, sur le modèle du « fonds émeutes ».
Les risques liés aux catastrophes naturelles et aux violences urbaines sont en outre à l’origine des difficultés d’assurabilité rencontrées par certaines collectivités. Le FNADT présente l’avantage de permettre aux préfets d’apporter des réponses. Les petites collectivités peuvent en outre bénéficier de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), que je souhaite conserver.
Cela soulève plus largement la question de la différenciation territoriale. Je vais réunir prochainement les préfets, à la demande du premier ministre, pour insister sur l’importance de mieux appliquer la loi « 3DS », qui permet une différenciation dans l’application des mesures en fonction des spécificités territoriales. L’exemple du tourisme est, de ce point de vue, particulièrement parlant.
Les agences avaient initialement vocation à être des opérateurs de l’État. Certaines d’entre elles, soucieuses de rester en activité, sont toutefois allées au-delà en reprenant et modernisant des actions portées auparavant par l’État, comme les contrats Ville d’appui devenus contrats Bourgs-centres ou le programme Villages d’avenir. Elles créent ainsi elles-mêmes des dispositifs qui, bien que souvent intelligents, ne correspondent pas à la philosophie initiale selon laquelle le gouvernement devait définir des orientations que les agences mettaient en application.
Il existe différents types d’agences. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) est par exemple une belle structure de 2 500 agents, qui effectue des missions d’ingénierie au bénéfice des collectivités locales. Il faut toutefois savoir que certains départements ou métropoles remplissent également cet office et assurent l’ingénierie des collectivités locales sur leur territoire. Il convient donc d’être vigilant et de lister les missions remplies par les uns et les autres afin d’éviter tout doublon onéreux. Chaque euro dépensé doit être utile.
Vous évoquiez la question du logement en ruralité. J’ai demandé au nouveau président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), Patrice Vergriete, de réfléchir à la situation des villes petites et moyennes rencontrant des problèmes de logement, d’insalubrité. L’Anru pourrait intervenir dans ce cadre, selon des modalités à imaginer.
Je tiens à préciser qu’à côté du milliard d’euros de la DETR, 100 millions d’euros ont été affectés spécifiquement pour effectuer davantage de différenciation au niveau local.
La contractualisation vise à apporter davantage de lisibilité et de perspectives aux collectivités locales, ce qu’elles réclament dans le cadre de leur autonomie fiscale. Il n’y aura pas de grand soir de la décentralisation avant la prochaine élection présidentielle. Nous travaillons en revanche sur les enjeux de déconcentration, de différenciation et de simplification. J’essaie à cet égard de renforcer l’État dans les territoires et de faire en sorte que le préfet soit l’interlocuteur privilégié des collectivités locales pour tout ce qui concerne ses services, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous savons ainsi que certains ministères échappent localement à tout contrôle. Des agences et des préfets sanitaires sont en outre venus compléter le dispositif et ne correspondent pas forcément au périmètre couvert par le préfet. Je pense par exemple aux agences régionales de santé (ARS) ou aux agences de l’eau qui édictent parfois des règles que les préfets découvrent. Un travail considérable reste donc à accomplir pour prendre en compte l’ensemble des éléments en présence et renforcer ainsi la lutte contre le changement climatique.
Oui, il existe des écarts de situation entre les départements, mais aussi entre les villes. La dotation globale de fonctionnement (DGF), dont personne ne veut parler, crée de profondes inégalités : deux villes de taille identique présentant les mêmes caractéristiques peuvent bénéficier d’une DGF allant du simple au double. La péréquation ne corrige pas ces disparités. Les nouvelles valeurs mises en place pour les commerces dans les centres-villes vont peut-être contribuer à améliorer la situation, mais cela restera très marginal.
S’agissant du lien localement, je pense que le système de taxe fondé exclusivement sur la propriété pour relier l’habitant à la commune, en d’autres termes sur le foncier bâti, ne peut perdurer. Il n’est en effet pas envisageable de faire supporter l’édifice par les seuls propriétaires, qui ne représentent parfois que 30 % de la population communale. Il faudrait imaginer un nouveau lien de résidence plafonné susceptible d’alimenter ces contributions, afin de ne pas pénaliser les communes à terme. Un groupe de travail pourrait être constitué sur le sujet.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Vous avez évoqué le programme Marseille en grand, dont vous êtes l’un des initiateurs. Le rapport de la Cour des comptes publié en 2024 indique que 1,3 % seulement des crédits ont été consommés, alors que 90 % des mesures ont été engagées. Dans le cadre de ce programme, l’État va construire des écoles, des logements, aménager des transports, mais rien ne concerne spécifiquement la revitalisation économique du centre-ville de Marseille. Prévoyez-vous d’établir un lien entre cet axe et le programme de politique publique Action Cœur de ville ?
Je souhaite souligner par ailleurs le décalage entre les pouvoirs réels du maire en matière de police et la qualité d’OPJ qui lui est conférée la loi, en abordant notamment la question de sa responsabilité pénale. En effet, si le maire n’a pas de réel pouvoir d’enquête, il a en revanche une responsabilité pénale s’il s’avère défaillant relativement à la constatation d’infractions relevant de la police administrative ou judiciaire. Cette injonction contradictoire irrite profondément les élus. Il me semble qu’un travail devrait être conduit sur le sujet, au niveau notamment de la police municipale.
S’agissant des difficultés en matière de déconcentration, il apparaît en effet que le gouvernement et le Parlement n’ont aucun contrôle sur certains services et agences de l’État, qui appliquent des doctrines différentes d’un territoire, d’un département, d’une commune à l’autre. Je pense par exemple aux ARS, aux directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou aux directions départementales des territoires (DDT). Cela constitue une réelle difficulté pour les élus, dont l’action ne connaît pas ces frontières administratives. Il peut ainsi arriver qu’un même problème posé à deux endroits distants de quelques kilomètres relève de deux doctrines différentes, créant ainsi des situations juridiquement inéquitables.
Vous avez enfin indiqué qu’aucune grande réforme de l’organisation territoriale n’aurait lieu prochainement. Vous avez en revanche appelé de vos vœux une réforme de la fiscalité communale, qui repose aujourd’hui exclusivement sur les propriétaires fonciers. La réflexion doit concerner également la fiscalité dynamique des départements, qui a quasiment disparu, à l’exception des DMTO. Ces derniers constituent toutefois une part marginale dans la mesure où les communes, touristiques notamment, qui en bénéficient le plus les récupèrent en général directement. Les départements ont pourtant de vraies compétences de proximité dans les zones rurales, en matière notamment de voirie, de collèges, de services d’incendie et de secours.
M. François Rebsamen, ministre. Le programme Marseille en grand a été initié avant mon arrivée au ministère par le président de la République. Il m’appartient désormais de faire fructifier cet engagement de 5 milliards d’euros. La Cour des comptes avait en effet estimé dans son rapport il y a un an et demi que la consommation des crédits n’était pas à la hauteur des attentes et qualifié l’action du préfet d’indigente. Je considère qu’un magistrat ne devrait pas dire ça. Ce genre de propos est déplacé s’agissant en outre d’un excellent préfet.
Je précise que 30 % des crédits ont désormais été consommés. Il a fallu du temps pour créer les établissements publics nécessaires et les doter des ressources financières suffisantes, sachant que la collectivité locale dispose de moyens limités et doit emprunter pour fournir sa part de capital social. Je vous informe que 180 chantiers d’écoles seront lancés dans le cadre de ce programme d’ici à la fin de l’année, que 6 ont été achevés en 2024 et 18 le seront en 2025. La machine est donc lancée, malgré quelques vicissitudes. L’établissement public que nous souhaitions créer a en effet été considéré comme un cavalier budgétaire, ce qui nous a obligés à recommencer et fait perdre un peu de temps.
Un journaliste m’a demandé pourquoi nous n’investissions pas 100 millions d’euros pour revitaliser le centre-ville et conserver les Galeries Lafayette. La réponse est simple : l’État n’a pas vocation à assurer la rentabilité des grands groupes. D’autres projets sont en cours et concernent par exemple une possible implantation de la cité judiciaire en centre-ville. Cela procède du choix des élus.
S’agissant des pouvoirs d’OPJ des maires, ceux-ci sont consacrés par les textes. L’article 40 du code de procédure pénale les oblige à informer sans délai le procureur de la République des délits et crimes dont ils auraient connaissance. Pour autant, leur parole n’est pas toujours reconnue au niveau juridique.
Je souhaite par conséquent interpeler le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux afin que des consignes de politique pénale soient données pour rappeler aux procureurs généraux qu’ils ont le devoir de défendre les élus en leur qualité d’OPJ lorsque ces derniers sont amenés à témoigner.
Le Beauvau des polices municipales a été lancé et les maires qui le souhaitent peuvent désormais autoriser l’émission d’amendes forfaitaires délictuelles. Je porte depuis longtemps l’idée selon laquelle la police municipale doit remplacer la police de proximité supprimée en 2003 par la volonté du président de la République de l’époque et contribuer à créer du lien social avec les jeunes dans les quartiers, en complément de la prévention spécialisée mise en place dans ces zones. S’il n’y a plus de police de proximité, il n’y a plus qu’une police d’ordre.
Il est exact que certains services de l’État développent des initiatives et des doctrines différentes d’un département ou d’une commune à l’autre. Si une possibilité de différenciation est souhaitable, il importe d’agir avec discernement afin de ne pas créer de situation ubuesque. J’incite pour ma part au développement de politiques susceptibles d’acter la différenciation plus clairement que ne le prévoit la loi « 3DS », tout en veillant à assurer la meilleure cohérence possible.
M. le président Stéphane Delautrette. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Didier Le Gac (EPR). J’accueille favorablement l’idée de contractualisation des finances locales sur trois ans. Cela apporterait de la lisibilité et de la visibilité aux communes, qui en manquent cruellement. Pour information, nous sommes le 15 mars et les communes n’ont toujours pas reçu leur notification en matière de DGF. Cette situation est évidemment liée au retard pris par le vote du budget, mais elle engendre de réelles difficultés. Je devais participer vendredi prochain dans mon département à une commission DETR : or le préfet m’a informé de son annulation en raison de l’absence de notification. La contractualisation résoudrait ce type de problème. L’idée pourrait être reprise dans le domaine de l’éducation : disposer d’une carte solaire sur trois ans faciliterait grandement la vie des communes.
S’il est exact que la situation financière des départements et des régions est extrêmement délicate, je tiens à souligner que la DGF de toutes les communes de ma circonscription est stable depuis 2017. Ayant été maire sous le quinquennat du précédent président, je puis vous affirmer que la situation était alors très différente, puisque nous avions subi une baisse de DGF d’environ 25 % sur quatre ans. Cela mérite d’être mentionné.
Vous avez annoncé un colloque sur l’assurabilité des communes. Le sujet est loin d’être anecdotique. Le Finistère, où je suis élu, a beaucoup souffert des conséquences du passage de la tempête Ciarán en 2023 et certaines communes n’ont plus d’assureur. Je vous félicite donc pour cette initiative.
M. Pierre Cordier (DR). Dans la mesure où vous avez critiqué certaines décisions prises par la droite républicaine, je me permets de rappeler que le président François Hollande, dont vous partagiez alors les idées politiques, avait diminué de 11 milliards d’euros les dotations en direction des collectivités. J’étais alors président d’un service départemental d’incendie et de secours, maire et vice-président de département et je puis vous assurer que cette décision avait été très difficile à accepter.
Quel est votre avis sur le cumul des mandats ? Il semble que nos compatriotes n’y soient pas favorables. Je trouve pour ma part que la différence est flagrante entre les députés et sénateurs qui n’ont pas occupé de mandats d’élus locaux et n’ont donc pas été confrontés sur le terrain aux difficultés des petites communes, et les autres. Nous savons que le Premier ministre veut remettre cette question sur le métier.
M. le président Stéphane Delautrette. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir pris la défense de la DETR, dont chacun s’accorde ici à reconnaître qu’elle est un outil essentiel d’accompagnement pour les communs rurales.
Il semblerait que d’aucuns envisagent de fusionner les enveloppes de la DETR, de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et du Fonds vert, avec le risque d’en voir les montants décroître dans les années à venir, ce qui serait très insécurisant pour le financement des communes rurales. Quelle est votre position sur le sujet ?
M. François Rebsamen, ministre. Je trouverais absolument dommageable de fusionner la DETR avec le Fonds vert et la DSIL et je m’y opposerais. Sachez en tout cas que cela ne figure pas dans les projets du Premier ministre.
J’étais maire en 2013 lorsque François Hollande a décidé de réduire le montant de la DGF et j’ai moi aussi subi de plein fouet cette mesure. Depuis 2017 en revanche, la dotation a non seulement été stabilisée, mais a augmenté. Cette année, j’avais prévu d’augmenter la DGF de 290 millions d’euros et de diminuer la DSIL d’autant. Sachez par ailleurs que 150 millions d’euros devaient être alloués au titre de la DETR et 140 millions d’euros dans le cadre de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). Or la commission mixte paritaire a décidé d’ôter 150 millions d’euros de la DGF et d’ajouter 140 millions d’euros à la DSIL. Je considère pour ma part qu’il est toujours préférable d’alimenter directement les finances des collectivités locales en fonctionnement plutôt qu’en investissement, où les dotations risquent d’être gelées.
Je tiens à préciser, pour que le tableau soit complet, que François Hollande a créé à la fin de son mandat, pour compenser la baisse de la DGF, un dispositif, devenu ensuite la DSIL, doté d’un milliard d’euros. À la différence des contrats de Cahors, ce mécanisme n’était pas assorti de pénalités mais faisait l’objet, en cas de manquement, d’un prélèvement à la source ; libre aux élus d’utiliser le reliquat comme ils le souhaitaient. Au bout de quatre années, il ne restait plus grand chose, si bien qu’il a fallu, au congrès des maires de novembre 2016, permettre qu’un milliard d’euros d’investissement soit destiné aux collectivités locales.
Je suis favorable au cumul d’un mandat dans un exécutif local avec un mandat national. Cela a fonctionné par le passé et je déplore que des parlementaires aient été élus sans disposer de la connaissance concrète du fonctionnement des 36 000 communes qui font la richesse de ce pays.
Il serait intéressant de bénéficier d’une contractualisation de la carte scolaire sur trois ans. Cela aiderait grandement les collectivités locales et éviterait que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ne conduise à grands frais des études sur l’évolution prévisionnelle de la démographie des communes. Il est en effet arrivé que l’ANCT finance 80 000 euros d’études pour déterminer s’il était nécessaire d’entreprendre la rénovation de classes dans des zones où elles risquaient d’être fermées à moyen terme. Je pense pour ma part que les maires détiennent cette connaissance et savent précisément, quartier par quartier, comment va évoluer la démographie de leur commune. Je serais par conséquent favorable à une contractualisation sur trois ans qui, en plus de donner de la visibilité aux communes, permettrait de réaliser des économies.
Je partage en outre votre sentiment sur l’évolution de la DGF : qui a connu la période 2013-2017 ne peut que se réjouir de la situation qui prévaut depuis lors. Je vous informe que les notifications seront adressées aux communes avant le 31 mars et que j’ai demandé aux préfets de communiquer sur le Dilico auprès de l’ensemble des élus, par l’intermédiaire notamment de leurs associations locales.
La question de l’assurabilité est un point majeur. Le sujet m’est familier puisque certaines communes au sein de la métropole que je préside ne parvenaient pas à trouver d’assurance. De graves incidents liés à des trafics de drogue ont notamment eu lieu à Mâcon, où quatre bâtiments ont été incendiés : le maire se voit désormais réclamer un million d’euros d’assurance par bâtiment. Le rapport rédigé par Alain Chrétien est très instructif. De nouveaux risques devront être pris en compte, parmi lesquels les aléas climatiques, les violences urbaines et les cyberattaques. À titre d’exemple, nous sommes parvenus, dans la métropole de Dijon, à trouver grâce à la mutualisation des contrats d’assurance de gré à gré pour dix communes qui n’étaient plus assurées. Ce cas n’est pas nécessairement reproductible, mais nous allons chercher à créer un dispositif d’accompagnement spécifique, à mieux garantir les outils de solidarité nationale qui fonctionnent bien à titre privé lorsque l’état de catastrophe naturelle est reconnu et à consolider et dynamiser le marché de l’assurance. J’aurai donc besoin, lors des assises de l’assurabilité, d’avoir à mes côtés le ministre de l’économie et des finances pour convaincre les grandes compagnies d’assurance.
M. le président Stéphane Delautrette. Je conclurai cet échange en rappelant que si la DGF a connu une stabilité, voire une légère augmentation depuis 2017, nous avons vécu durant la même période la suppression de la fiscalité locale, certes accompagnée en principe d’une compensation à l’euro près, mais non sans conséquence sur le lien de confiance entre le citoyen et le territoire.
Ainsi, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) avait été assortie d’un engagement de l’État visant à faire en sorte que la dynamique de la TVA profite aux collectivités bénéficiant auparavant de cette cotisation. Or cet engagement n’est pas tenu dans le PLF pour 2025. Compte tenu de la situation budgétaire du pays, il semble de mêmes légitime de se demander si l’engagement de remboursement prévu dans le Dilico sera tenu dans les années à venir. Il conviendra d’être vigilant.
Ces éléments doivent nous conduire à travailler sur le sujet de l’autonomie financières des collectivités. Comment ne plus subir les aléas de l’évolution des financements au gré des PLF ? Monsieur le ministre, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est disposée à prêter son concours à cette réflexion et à contribuer par ses travaux à toute initiative en ce sens portée par votre ministère.
La séance est levée à 18h45.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pierre Cordier, M. Stéphane Delautrette, Mme Marina Ferrari, Mme Catherine Hervieu, M. Didier Le Gac, Mme Sophie Ricourt Vaginay, M. Nicolas Sansu, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout.
Excusés. – M. Gabriel Amard, M. Jean-Michel Brard, M. Yoann Gillet, Mme Sophie Pantel.