Compte rendu
Délégation aux collectivités territoriales
et à la décentralisation
– Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics 2
– Présences en réunion.............................. 3
Mardi
1er avril 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 14
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Stéphane Delautrette, Président
La séance est ouverte à 17h00
La délégation auditionne Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
M. le président Stéphane Delautrette. Madame la ministre, c’est la première fois que notre délégation reçoit le ministre compétent sur les questions de finances publiques, depuis l’installation de l’actuelle législature.
Votre audition s’inscrit dans le cadre d’un cycle de réunions consacrées à la situation financière des collectivités territoriales. M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, était à votre place le 11 mars. Par ailleurs, la délégation mène plusieurs auditions afin d’identifier les mesures permettant d’assurer la viabilité financière de la Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Le long cycle d’examen du projet de loi de finances pour 2025, qui s’est achevé il y a environ deux mois, a permis de mettre en lumière la situation particulièrement délicate des finances locales. Confrontées à des charges difficiles à contenir et à un besoin d’investissement en augmentation, les collectivités s’efforcent de boucler leur budget dans les meilleures conditions.
À cet égard, l’entrée en vigueur tardive de la loi de finances n’a pas manqué d’inquiéter les élus locaux. Hier, après une période d’incertitude, les services de la direction générale des collectivités locales (DGCL) ont pu notifier les montants de la dotation globale de fonctionnement (DGF). C’est un soulagement pour de nombreux élus locaux. Toutefois, la liste des collectivités éligibles au dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) n’a pas encore été publiée. Or, au travers du Dilico, imaginé par nos collègues sénateurs en remplacement du controversé fonds de réserve proposé par le précédent gouvernement, les collectivités seront appelées à contribuer au redressement des finances publiques à hauteur d’un milliard d'euros. Les enjeux sont donc de taille.
Indépendamment des doutes que l’on peut légitimement nourrir quant au bien-fondé du dispositif, il est important que les collectivités sachent le plus tôt possible si elles seront contributrices et, le cas échéant, à quelque hauteur. À quelle échéance des données stabilisées seront-elles disponibles ? Pouvez-vous, par ailleurs, confirmer le nombre de 2 099 collectivités concernées, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compris, qui circule dans les médias ?
Par ailleurs, au-delà de 2025, l’exercice 2026 commence à nous préoccuper.
Le 26 mars, la porte-parole du Gouvernement, Mme Sophie Primas, a annoncé sur Public Sénat que les difficultés financières feraient de la préparation du budget pour 2026 un véritable « cauchemar ». Les finances locales n’ont pas encore été évoquées. Pour autant, elles ne sauraient être appréhendées indépendamment des comptes publics nationaux, dont elles sont l’une des composantes. Aussi ces propos inquiétants rappellent-ils ceux qui ont été tenus cet été, par le Gouvernement de l’époque, au sujet des collectivités territoriales, accusées à tort d’avoir fait déraper les dépenses publiques françaises. Certes, le discours a changé depuis lors, mais les élus locaux restent soucieux de ne pas revivre une telle mise en cause.
Début février, avec le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard, vous avez annoncé la création d’un comité d’alerte budgétaire chargé de prévenir les dérapages et de proposer des mesures correctives si nécessaire. Pouvez-vous nous en dire plus quant au fonctionnement de ce comité ? Comptera-t-il des élus locaux et si oui, à quelle hauteur ?
S’agissant de l’évolution à plus long terme de finances locales, François Rebsamen a annoncé aux parlementaires qu’il avait l’intention de réunir dans les prochaines semaines, avec vos services, une conférence financière des territoires. Lorsque nous l’avons auditionné, il a précisé qu’il s’agissait de dresser un état des lieux à un an des élections municipales et de créer les possibilités d’une contractualisation sur trois ans avec les collectivités territoriales. Si l’on ne peut que se réjouir d’une plus grande prévisibilité des concours financiers de l’État, le terme de contractualisation, associé à celui de maîtrise des finances publiques, fait inévitablement penser aux contrats dits de Cahors qui, bien qu’appliqués durant seulement deux ans, en 2018 et en 2019, n’ont pas laissé de bons souvenirs – c’est un euphémisme. Il serait regrettable que les collectivités territoriales, déjà mises à contribution au travers du Dilico, subissent potentiellement de nouvelles ponctions de leurs ressources dans le cadre d’un contrat qui, si vous me permettez l’expression, pourrait bien s’avérer léonin. Quel sera l’objet de cette conférence en préparation ? Comment les parlementaires seront-ils associés ? Disposez-vous déjà d’éléments précis de calendrier ?
J’en viens à la situation financière de la CNRACL, qui constitue un sujet majeur de préoccupation. Le 30 janvier, vous avez signé avec les autres ministres compétents un décret officialisant le relèvement progressif, sur quatre ans, du taux de cotisation employeur de la Caisse. Les travaux menés à l’automne par nos collègues Tristan Lahais et Nicolas Ray, dans le cadre du rapport d'information sur le projet de loi de finances (PLF) et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, ont permis de mettre en lumière le coût parfois considérable de la mesure pour les collectivités, notamment les départements et les petites communes.
Depuis le mois dernier, notre délégation mène un cycle d’auditions destinées à faire émerger d’autres pistes de réformes, y compris structurelles, susceptibles d’aider la Caisse à faire face à ses échéances financières sans mettre davantage en danger les finances des collectivités employeurs. Demain, la dernière de ces auditions sera consacrée aux organisations syndicales représentatives. Comme évoqué oralement avec François Rebsamen et vous-même, la délégation présentera au Gouvernement une série de recommandations à l’issue de ces travaux. Sans anticiper sur le contenu du rapport qui sera alors publié, je peux déjà confirmer que, malgré sa dureté, la hausse du taux de cotisation employeur apparaît largement insuffisante pour régler le problème du financement de la Caisse. Vos services partagent-ils ce constat ? Confirmez-vous que le Gouvernement envisage de traiter spécifiquement la situation de la CNRACL, indépendamment des résultats du « conclave » sur les retraites ?
Pour finir, je souhaite aborder le sujet des territoires ruraux, qui ont été au cœur des 4èmes Rencontres de la délégation, le 13 février dernier. Face au sentiment de relégation parfois justifié qu’éprouvent leurs habitants, les investissements effectués par les collectivités dans les infrastructures, les équipements ou les services publics sont indispensables. On ne peut donc que se féliciter du maintien des crédits de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) à leur niveau de 2024, soit un peu plus d’un milliard d’euros.
Lors des discussions sur le PLF pour 2025, le précédent gouvernement avait envisagé de fusionner la DETR et la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) dans un fonds des territoires. Le 21 novembre, au congrès de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), le premier ministre a invoqué l’avantage que constituait la facilitation de l’instruction des demandes de subventions.
Pour ma part, j’estime que ces deux dotations ne sont pas de même nature : la DETR, dont le cadre de gestion se caractérise par une relative souplesse, est orientée vers les projets de moyenne envergure envisagés dans les communes rurales, à la différence de la DSIL qui finance des actions certes moins nombreuses, mais dont les effets de levier sont plus importants. Une fusion de ces dispositifs reviendrait à faire prévaloir une de ces deux logiques sur l’autre, et je crains qu’une fois encore, les petits projets des communes rurales en sortent sacrifiés.
Par ailleurs, une telle évolution nécessiterait d’engager une réforme de la procédure d’attribution, celle-ci étant positionnée au niveau départemental pour la DETR et au niveau régional pour la DSIL.
Le 11 mars, François Rebsamen nous a indiqué que la fusion n’était plus envisagée par le Gouvernement. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
Vous l’avez compris, les membres de cette délégation ont à cœur de défendre le pouvoir d’agir des élus locaux, qui constituent les chevilles ouvrières de la République et sans lesquels notre pays se porterait bien plus mal.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics. C’est un plaisir d’échanger avec votre délégation, car quand on est ministre des comptes publics, on n’est pas ministre des comptes de l’État, mais de ceux de la nation. Or les collectivités et les acteurs responsables qui les gouvernent méritent échanges, considération et attention. Il faut surtout que nous puissions sortir de la logique délétère et stérile qui consiste parfois à considérer les collectivités comme des filiales de l’État pour les uns, ou, pour d’autres, comme les coupables d’une dérive des dépenses – lesquelles étant en grande partie le fruit, soit d’une décentralisation ou d’un transfert de compétences, soit d’associations partenariales au service des territoires.
Je ne suis pas devant vous pour chercher des coupables ou dans une forme de clientélisme que certains alimentent, mais pour tenir un discours de vérité. Alors que l’unité de la nation est mise en danger par certains propos et par certaines divisions, parfois un peu factices, et alors que nous faisons face à de grandes menaces géopolitiques, sociales et environnementales, nous devons refaire nation y compris sur le plan des finances publiques, et considérer que tous les acteurs de la dépense publique sont au service de nos concitoyens. À cet égard, il est important de rappeler que 83 % des Français font confiance à leurs services publics locaux et à leurs élus locaux. C’est sur cette confiance que nous devons bâtir, plutôt que l’abîmer ou la jalouser.
Quotidiennement, 30 000 élus sont engagés au cœur de nombreuses politiques publiques. Certaines sont bien connues de nos concitoyens, comme celles du grand âge, de la dépendance, du handicap ou de la petite enfance. D’autres le sont moins. Je pense aux politiques publiques de l’eau, de la gestion des déchets et de la mobilité, ou encore de l’éducation, puisqu’à peu près un tiers de la dépense éducative est assuré par les collectivités, départementales pour les collèges, régionales pour les lycées, mais aussi communales pour certaines activités périscolaires ou l’accompagnement des tout-petits. Je pense aussi à la transition écologique, pour laquelle l’investissement provient à 80 % des collectivités.
Si nous voulons des politiques publiques efficaces, il nous faut des financements efficaces et évalués dans leur globalité.
Les collectivités incarnent une singularité dans notre pacte démocratique et dans notre pacte financier. Cette singularité est à la fois celle de la proximité et celle de pouvoir épargner, à la différence de l’État qui fonctionne selon l’annualité budgétaire. Cette capacité est une chance, puisqu’elle leur procure une capacité à agir dans une perspective pluriannuelle, dans le cadre d’un mandat.
Pour 2025, un effort a été demandé pour freiner la dépense, notamment au travers du Dilico. Les modalités et les volumes de cette épargne, ou réserve de précaution, seront connus en avril, et le prélèvement qui pourrait intervenir au plus tôt le 20 mai. Cette information sera utile pour la planification de la trésorerie des collectivités. Et ce alors qu’en 2024, parce qu’elles ont une épargne – conformément aux données publiques et consensuelles désormais établies, et je remercie Jean-René Cazeneuve à cet égard –, les collectivités ont pu avoir des dépenses de fonctionnement bien supérieures à leurs recettes de fonctionnement de l’année.
Cet élément est peu connu, mais depuis quelques années, les collectivités ont désépargné ou utilisé leurs réserves, accumulées du temps des contrats dits de Cahors, pour investir, pour agir et pour payer des fonctionnaires. Les dépenses de personnel et les achats et les charges externes ont ainsi respectivement augmenté de 4,4 % et de 6,5 %, là où les recettes ont augmenté de 1,6 % pour les impôts et taxes et de 3,2 % pour les fractions de TVA. Cette réalité mérite d’être prise en compte. Regarder l’état réel des finances des collectivités n’est pas un enjeu de culpabilité, mais de lucidité collective.
Par ailleurs, il n’existe pas de collectivité modèle, mais des strates de collectivités différentes dans leurs recettes et dans leurs dépenses. On ne peut pas amalgamer les communes, dont la situation est satisfaisante et s’améliore globalement depuis 2019, avec les régions dont la situation est stable – et avec un PLF pour 2025 plutôt positif – et les départements, dont la situation se dégrade du fait d’un effet ciseau bien connu : des dépenses sociales qui continuent d’augmenter et des recettes, en particulier celles des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), en berne du fait d’une situation immobilière nationale difficile. Face à cela, l’augmentation du plafond de DMTO pose une question de péréquation, la base de ce dispositif n’étant pas exactement symétrique aux besoins de financement des aides sociales.
Se pose aussi, dans nombre de mes échanges avec les élus locaux, la question de l’imposition forfaitaire universelle d’utilisation des services publics, pour établir un lien fiscal entre tous les habitants des communes et les élus. La réforme de la taxe d’habitation, qui a décorrélé l’effort fiscal des ménages de leurs revenus, était une bonne réforme, qu’il faut assumer – je l’assume pleinement. Pour autant, il est intéressant d’étudier la façon de recréer, sans hausse de la fiscalité, ce lien consubstantiel entre le citoyen, l’habitant et la commune.
Le sujet de la CNRACL revient également dans tous mes échanges avec les élus locaux – ce matin avec Michel Fournier pour l’Association des maires ruraux de France (AMRF), la semaine dernière avec Christophe Bouillon pour l’Association des petites villes de France (APVF) et Johanna Rolland pour France urbaine.
Je rencontre les élus pour leur indiquer qu’il nous faut suivre l’exécution budgétaire d’un budget pour 2025 qui n’est pas celui du Gouvernement, mais du compromis politique. Certes, le Gouvernement doit être le garant de ce compromis. Mais nous n’en sommes pas les seuls décideurs : vous l’avez, mesdames et messieurs les parlementaires, établi en commission mixte paritaire. Nous devons le suivre collectivement, en associant les élus locaux – dont les associations seront invitées, le 15 avril, à la première réunion du comité d’alerte de suivi de la dépense –, les parlementaires des commissions des finances et des affaires sociales, les présidents des délégations aux collectivités territoriales, mais aussi les représentants de la sécurité sociale, en particulier les présidents et les directeurs de caisses.
M. le président Stéphane Delautrette. Je propose que nous suspendions l’audition, le temps du vote sur la proposition de loi contre le narcotrafic.
La réunion est suspendue de dix-sept heures vingt à dix-sept heures quarante.
M. le président Stéphane Delautrette. Nous reprenons notre audition.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Pour 2025, je le répète, notre objectif est de tenir le compromis et d’être garants de la cible de déficit, qui est une cible pour la nation, en associant les élus, la sécurité sociale et l’État au suivi précis de notre croissance, donc de nos recettes, et en prenant les décisions qui s’imposent du côté des dépenses. C’est une méthode assez simple, qui demande que nous ayons une approche collective du « quoi qu’il arrive », c’est-à-dire que nous trouvions des mécanismes de prudence pour faire face aux aléas et tenir nos engagements.
J’en viens aux perspectives pour 2026. Ma collègue et porte-parole du Gouvernement a parlé de « cauchemar ». Le cauchemar, c’est ce qu’il arrive quand on ne se réveille pas. Notre objectif collectif est donc de nous réveiller et d’avoir les yeux grands ouverts sur les risques qu’il y aurait à ne pas continuer à nous désendetter, à perdre notre souveraineté financière en nous laissant aller vers un niveau de déficit qui aggraverait la situation, à ne pas faire de choix et à ne pas établir de priorités face à un monde qui nous demande d’augmenter nos dépenses – pour la défense, mais aussi pour nous adapter plus fortement au changement climatique ou face au vieillissement. Bref, nous devons faire des choix en tant que nation, en étant capables de nous mettre d’accord sur l’essentiel. Souvenons-nous que nous sommes une grande puissance et que l’impuissance nous condamnerait davantage.
S’agissant des collectivités, le mot qui nous guide, avec le premier ministre, avec François Rebsamen et avec Éric Lombard, est celui de prévisibilité. L’objectif est de respecter le rythme pluriannuel et du mandat, alors que les collectivités ne peuvent plus supporter – je les comprends – de vivre au rythme des annonces du premier mardi d’octobre quant à l’effort et au fonctionnement financier qui devra être le leur l’année suivante.
Alors que s’ouvrira un nouveau cycle communal en 2026, nous devons bâtir de la prévisibilité dès cette année, pour offrir un cadre ou une forme de contrat – et non une contractualisation – pour au moins la moitié du mandat, jusqu’en 2028 ou même 2029. Un contrat, ce sont des droits et des devoirs mutuels, pour l’État comme pour les collectivités. Un contrat est fixe, il donne un point de référence. Ce contrat de prévisibilité devra concerner notre relation financière. Certains préféreraient qu’il porte sur les recettes, d’autres pensent que le bon indicateur serait celui de l’autofinancement, d’autres encore estiment qu’un contrat sur certaines dépenses clés, notamment celles de fonctionnement, serait une bonne idée. Nous n’avons, à ce stade, pas de certitude, au-delà de celle qu’il nous faut gagner collectivement cette prévisibilité, pour que l’État soit en mesure d’amener le pays à moins de 3 % de déficit en 2029 et pour que les collectivités et les élus, en retour, puissent construire leur mandat, leur projet pluriannuel d’investissement et leur fonctionnement, sur la base d’une visibilité à plusieurs années.
C’est le but de cette conférence de financement des territoires que le premier ministre souhaitera réunir, probablement d’ici fin avril. C’est un travail que nous souhaitons partenarial, coconstructif et lucide s’agissant du point où nous en sommes, de ce que nous avons appris des dernières années et de la manière dont les collectivités, qui sont essentielles à l’investissement dans les secteurs clés, peuvent continuer à investir tout en contribuant à la réduction du déficit.
Je rappelle que le bloc des collectivités comprend certes les collectivités, mais aussi les intercommunalités et des opérateurs de très grandes infrastructures, comme la société du Grand Paris, le projet du canal Seine-Nord ou certains grands projets routiers et ferroviaires. Ces opérateurs étant intégrés dans la dépense des collectivités, il faut en prendre la mesure, pour ne pas assimiler les milliards dont on parle sans distinguer ce qui est à faire porter par les collectivités de ce qui est à faire porter par leurs regroupements et par les grands projets, lesquels peuvent aussi contribuer à cet équilibre de la nation que nous cherchons à restaurer.
Notre méthode tient en quatre étapes. La première est le diagnostic partagé : nous devons identifier les faits qui ne devraient pas être source de contentieux ou de polémiques. La deuxième est l’association des corps intermédiaires, c’est-à-dire les associations d’élus. La troisième étape est la transparence des propositions et la quatrième, l’aboutissement à un compromis par le dialogue. Cette méthode demande du temps, qui n’est pas un gage d’immobilisme, mais d’action. Si nous ne prenons pas le temps de suivre ces étapes, le risque est que nous arrivions, à l’automne, à des débats budgétaires déconnectés de la réalité, qui seraient une confrontation plutôt qu’une construction, et qui n’aboutiraient pas au résultat visé, celui d’un pays qui reprend le contrôle de ses dépenses, qui reprend le contrôle de son destin et qui sait associer les élus locaux aux décisions et aux priorités nationales.
M. le président Stéphane Delautrette. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Jean-Michel Brard (HOR). Les sujets budgétaires concernant les collectivités territoriales, nombreux, ont été largement abordés par notre président de délégation. Ils constituent un enjeu crucial pour celles dont les finances sont exsangues.
Le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a pour mission de soutenir financièrement les actions dans ce domaine. Alors que la vidéoprotection est un axe prioritaire de la stratégie nationale de prévention de la délinquance, plusieurs communes rurales ont effectué une demande de subvention auprès de ce fonds pour s’équiper de caméras. Cela a notamment été le cas dans ma circonscription du Pays de Retz, en Loire-Atlantique. Bien préparés par les maires, ces dossiers ont reçu des avis favorables des préfets et des services de l’État, mais n’ont pu aboutir en 2024. Pourtant, la sécurité est une réelle préoccupation dans ce territoire, comme dans bien d’autres. Dans un contexte de croissance démographique sur le littoral et à proximité immédiate des grandes agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire, la gendarmerie du Pays de Retz est favorable au déploiement de la vidéoprotection, d’autant qu’elle a constaté que de multiples affaires avaient été résolues grâce aux systèmes déjà en place, en particulier dans la ville de Pornic. Dans les petites communes rurales, la situation se dégrade. L’absence de système de vidéoprotection prive les forces de l’ordre de moyens précieux d’identification et de dissuasion. Comment prévoyez-vous d’accompagner ces communes dans le déploiement de la vidéoprotection en 2025, dans le cadre du FIPD, après des accords favorables de vos services ?
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Comme vous, madame la ministre, je ne fais pas partie de ceux qui opposent l’État et les collectivités territoriales : la dépense publique est globale, de même que le service rendu à nos concitoyens. Les opposer est assez mortifère. Mais ne pas les opposer signifie que la solidarité doit s’exercer dans les deux sens. Alors que l’État a été présent au moment du covid, puis au travers du plan de relance, pour soutenir les collectivités territoriales, il est important que celles-ci participent au nécessaire effort nécessaire de maîtrise de nos dépenses publiques. À cet égard, contrairement à ce qu’indique notre collègue du groupe Horizons & indépendants, les finances des collectivités territoriales ne sont pas exsangues. Si les départements connaissent un grave problème de financement, le bloc communal et le bloc régional se portent correctement.
Concernant la limitation des dépenses, le dernier exemple que nous avons en tête est la période 2014-2017, pendant laquelle la baisse de 10 à 11 milliards des dotations avait entraîné une baisse des dépenses des collectivités. Ce n’est pas la bonne méthode, et il convient d’entrer dans la contractualisation que vous appelez de vos vœux, avec des engagements réciproques. Il est insupportable pour les collectivités, non pas d’avoir l’information en octobre, mais de recevoir la DGF fin mars ou début avril, et les dotations d’investissement plus tardivement.
Il est indispensable de renforcer la péréquation à tous les niveaux – EPCI, régions, départements. De fait, il existe de fortes inégalités entre les collectivités. Les riches sont de plus en plus riches. C’est notamment le cas de celles qui accueillent beaucoup de touristes ou qui disposent de remontées mécaniques. À l’inverse, d’autres collectivités sont de plus en plus pauvres. Or la loi n’est pas respectée, pas plus que le niveau de péréquation minimum requis.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Notre groupe estime qu’il n’est ni juste ni opportun de s’en prendre à la libre administration des collectivités locales, notamment au travers de leur épargne, fruit de l’exercice de leur souveraineté locale et de leurs arbitrages. Si l’utilisation de cette épargne est à débattre, c’est à l’aune des engagements de l’État. Localement, chaque collectivité, en particulier au sein du bloc communal, sait combien il importe de répondre aux besoins qui émergent, à l’échelon le plus proche des citoyens – tant dans les quartiers populaires que dans les communes rurales.
S’agissant de l’objectif de retour à un déficit inférieur à 3 %, je rappelle qu’en 2024, avant la censure du gouvernement Barnier, la représentation nationale a été capable de trouver en première lecture des équilibres pour 2025, en levant des recettes plutôt qu’en s’en prenant à l’épargne populaire ou à celle des collectivités locales. Dans la concertation que vous appelez de vos vœux, j’espère que les associations d’élus et de collectivités comme l’AMRF et l’AMF seront non seulement écoutées, mais aussi prises en compte dans leurs revendications.
En décembre 2022, par ailleurs, à l’occasion d’une ordonnance de transposition d’une directive européenne sur l’eau potable, le Gouvernement a pris l’engagement d’atteindre les objectifs et de respecter le calendrier fixé en matière de lutte contre la précarité dans l’accès à l’eau potable – qu’il s’agisse de la précarité sociale, de la précarité de branchement ou de celle liée à la discontinuité du service, pour des raisons de quantité ou de qualité de l’eau potable.
La délégation aux collectivités territoriales nous a confié, à Jean-Michel Brard et moi-même, une mission d’information sur ce sujet. En effet, force est de constater que les collectivités locales autorités organisatrices des services d’eau potable n’ont pas pu tenir l’engagement du 1er janvier 2025. Et pour cause, les budgets pour les exercices 2023, 2024 et 2025 n’ont, d’aucune manière, prévu des financements ou un soutien à l’élaboration des diagnostics de précarité. Sans anticiper les conclusions de notre mission d’information, quelles sont les intentions du Gouvernement pour rattraper ce retard ? À notre connaissance, les collectivités organisatrices sont très peu à avoir réalisé ces diagnostics.
À défaut d’aide de l’État, les collectivités concernées répercuteront les dépenses et les conséquences de la directive aux usagers, au travers de leur facture d’eau, ce qui serait malvenu pour le pouvoir d’achat. L’État et le budget de la nation doivent être au rendez-vous de l’engagement vis-à-vis de la directive européenne.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous m’interrogez, Monsieur Brard, au sujet du FIPD et de la vidéoprotection. L’enveloppe définie dans la loi de finances pour 2025 s’élève à 32 millions d’euros, contre 25 millions en 2024, et son attribution relève des préfets. Ce dispositif de soutien aux collectivités qui demandent un cofinancement ne permet pas de répondre à toutes les demandes même si, à l’échelle locale, chaque département dispose d’une enveloppe. Pour fixer les priorités, le préfet s’appuie sur les avis exprimés par les référents sûreté de la police et de la gendarmerie. C’est une bonne manière de faire, et il me semble que les cas que vous avez signalés pourraient bénéficier des prochaines vagues de soutien.
Le FIPD est un complément, qu’il faut assumer comme tel. Cela me permet de réaffirmer qu’un raisonnement par politiques publiques permet une complémentarité budgétaire entre l’État et les collectivités en matière de sécurité, d’éducation ou de gestion de l’eau. Il est utile de bien valoriser cette capacité à choisir et à assurer une forme de péréquation pour les collectivités qui en ont le plus besoin ou qui manquent de moyens.
En résumé, j’ignore quelle suite sera donnée aux cas que vous avez évoqués, mais, d’un point de vue national, nous avons renforcé l’accompagnement.
Monsieur Cazeneuve, je souscris à l’idée selon laquelle, dans le cadre de contractualisation – ou plutôt de prévisibilité, manière plus explicite de nous exprimer collectivement –, l’enjeu de la péréquation, donc de la solidarité nationale, est clé. Nous avons été très bons pour faire des choses très compliquées. Mais, si l’économie et les économies locales évoluent avec le temps, les critères et les éléments de péréquation évoluent peu. Or dans de nombreuses communes, la péréquation est fondée sur d’anciennes compensations sur la taxe professionnelle qui ne correspondent plus nécessairement à leur situation.
Dans le cadre de prévisibilité que nous voulons coconstruire avec les collectivités et les associations d’élus, je suis ouverte, non pas à un « big bang », mais à une actualisation de l’évaluation des inégalités liées à des formes de recettes qui ont évolué dans le temps, à des compensations croisées par l’État ou à des bases de fiscalité locales plus ou moins dynamiques. Au Sénat, par exemple, la répartition de la recette des éoliennes a donné lieu à de longs débats dans le cadre de la discussion budgétaire : certes, les éoliennes ne sont pas majoritairement implantées dans les bourgs-centres ; néanmoins, c’est une forme de ressources que certains pourraient vouloir mieux répartir à l’échelle du bassin de vie ou de l’intercommunalité. Nous devons repenser la péréquation, sur des bases fiscales nouvelles. J’y suis ouverte.
En tant que parlementaires de cette délégation, vous avez une connaissance fine du sujet. Vous serez donc associés à la construction du cadre de prévisibilité. Nous serons à l’écoute de vos propositions. Vous pouvez nous aider à naviguer, avec une vision de l’intérêt national et pas uniquement une vision par strates techniques.
La péréquation est essentielle dans le domaine de l’eau, notamment. Les agences de l’eau collectent des recettes sur des bassins versants. Mais la base de la fiscalité est dynamique dans certains bassins versants, tandis qu’elle l’est moins dans d’autres – sans que cela signifie nécessairement que les enjeux, en particulier ceux de trésorerie, sont plus simples. Dans certains cas, par exemple dans les Pyrénées orientales, les besoins de financement excèdent largement les capacités de l’agence de l’eau locale. Là où les besoins existent, l’État pourrait donc assurer une forme de péréquation, avec des compléments de subventions et d’outils.
Vous m’interrogiez aussi sur les diagnostics de précarité. La précarité est multiple : elle concerne les ménages, mais aussi l’état du réseau – lorsqu’il est ancien, lorsque les fuites sont plus nombreuses, lorsque les capacités de captage sont moindres ou lorsque les coûts de retraitement sont plus élevés, la question du prix se pose de manière différenciée. Il convient donc de croiser ces différents éléments dans chaque territoire. À cet égard, le fait que la directive impose un regard local et territorial est une bonne nouvelle. Comme vous le rappeliez, l’échéance était fixée au 1er janvier. Je n’ai pas en tête le nombre de collectivités qui ont déjà rempli leurs obligations, mais les aides pour effectuer les diagnostics sont déjà mobilisables au travers des agences de l’eau. Je comprends, à vos sourires et vos regards, qu’elles n’ont peut-être pas été complètement activées. Néanmoins, c’est un outil utile. Je vous informerai, avec mes collègues chargées de la transition écologique et des collectivités, sur la manière dont vous pourrez, dans vos travaux parlementaires, vous assurer de la bonne application de la loi. Dans le cas contraire, nous réfléchirons ensemble à la manière d’améliorer ce suivi.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP). À ce stade de nos travaux, nous savons que les services du ministère de la santé évaluent à 58 millions d’euros la seule dépense nécessaire à l’élaboration des diagnostics de précarité pour les 17 000 collectivités organisatrices de l’eau potable.
M. le président Stéphane Delautrette. Notre travail, dans cette délégation, consiste à apporter un éclairage au Gouvernement sur des sujets spécifiques, et à lui présenter des propositions. Outre le chantier de l’eau et celui de la CNRACL, d’autres viendront.
M. Nicolas Ray (DR). Madame la ministre, votre ministère joue un rôle majeur auprès des collectivités locales, tant pour le pilotage de nos finances publiques que pour les missions que le réseau de la direction générale des finances publiques (DGFIP) assure sur le terrain. Chaque sphère de la finance publique – État, collectivités, sphère sociale – devra participer à l’effort de réduction de la dépense publique et de l’endettement. Il faudra le faire dans un esprit de concertation préalable et de visibilité, pour éviter ce que nous avons vécu pour l’élaboration du budget pour 2025, avec des annonces difficiles qui ont finalement fait l’objet d’un rétropédalage, concernant par exemple le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA).
Vous indiquez que les collectivités ont vu leurs dépenses de personnel et leurs achats respectivement augmenter de 4 % et 6 %. Je rappelle qu’il s’agit de dépenses subies, du fait de l’augmentation du point d’indice, de la revalorisation du smic pour les contractuels et de la hausse de la cotisation à la CRNACL. Les coûts de l’énergie et des assurances ont également explosé. De nombreuses dépenses sont subies, et non le résultat d’une mauvaise gestion des collectivités locales.
Envisagez-vous de réformer la fiscalité directe locale ? Nous en avons bien besoin, après avoir hérité d’une complexification, avec des systèmes – le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP), etc. – dont on ne comprend même plus le fonctionnement.
Les élus locaux ont également besoin de liberté, en matière de fiscalité. Ils disposent de moins en moins d’outils et de levier fiscaux, qu’ils peuvent par ailleurs de moins en moins manipuler compte tenu des règles de liens contraintes. Ils assumeront leurs choix fiscaux, mais ils ont besoin de liberté, de simplification et, peut-être aussi, de spécialisation de chaque taxe ou impôt local par strate de collectivité.
Par ailleurs, après le rapport que nous avons commis avec Tristan Lahais sur les impacts de la dernière loi de finances et de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, une réforme paramétrique de la CRNACL a été engagée, au travers d’une augmentation du taux de cotisation. Nous estimons qu’elle est insuffisante, compte tenu des besoins de financement, et qu’une réforme systématique est attendue. De nombreux rapports ont été publiés, par les inspections générales et par la Cour des comptes, défendant plusieurs propositions, parmi lesquelles l’affectation d’une ressource fiscale au financement de la CNRACL comme en disposent d’autres caisses de retraite. Ces rapports soulignent aussi le sujet des contractuels, qui ne cotisent pas à la même caisse, alors que leur nombre augmente et qu’ils accomplissent les mêmes missions que les fonctionnaires territoriaux.
M. Tristan Lahais (EcoS). Notre groupe partage l’idée d’une approche globale des comptes publics. On a souvent considéré que la désignation des collectivités territoriales de manière indépendante des comptes de l’État constituait une facilité d’usage gouvernemental, pour la dernière période. Mais une approche générale des comptes publics s’avère nécessaire.
Autant nous partageons votre souci de la maîtrise de nos déficits publics, autant nous sommes perplexes quant à la possibilité de trouver une solution durable s’agissant des comptes de la nation et des recettes des collectivités territoriales avec, à horizon 2030, un coût des fiscalités locales supprimées – cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et taxe d’habitation (TH) – qui reviendra à l’équivalent de 50 milliards de recettes de TVA transférés aux collectivités territoriales. Or, si la suppression progressive de la CVAE peut s’expliquer pour des raisons de compétitivité, même si ce n’est pas notre analyse, nous considérons que la suppression de la taxe d’habitation était un pur cadeau fiscal fait aux ménages, d’autant plus dommageable que cette taxe était malgré tout progressive, puisque 50 % des ménages ne la payaient pas et 20 % en payaient la majorité – et ce, pour des raisons évidentes : on paie davantage pour un hôtel particulier que pour un deux-pièces.
Si l’on veut durablement traiter la question du déficit public et des ressources des collectivités territoriales, il faudra tôt ou tard repenser la question des recettes fiscales.
Par ailleurs, concernant la santé financière des collectivités, la situation des départements est singulière. Plusieurs études consolidées signalent que si rien n’est fait, l’épargne nette de plus de la moitié d’entre eux sera négative. S’agissant des régions et des collectivités, la situation n’est pas aussi dramatique, mais elle se détériore du fait d’une augmentation de certaines dépenses, liée à des décisions de l’État – point d’indice, Ségur, augmentation des allocations individuelles de solidarité (AIS) – que nous ne contestons pas, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une dynamique de recettes à proportion.
Les bases des taxes foncières ont certes subi l’inflation, mais elles ne représentent qu’une fraction de l’assiette de ressources des collectivités territoriales.
Se pose donc la question des moyens pour faire face à ces augmentations de dépenses et répondre aux défis que vous avez évoqués – vieillissement et transition écologique pour ce qui concerne les collectivités, celles-ci étant moins intéressées aux dépenses de défense nationale, même si des questions pourraient se poser en matière de sécurité civile.
Par ailleurs, le besoin de transparence est réel dans le débat entre les collectivités locales et l’État. Dilico, CNRACL… : des artifices sont brandis sans que leur véritable objet, qui est de demander un effort aux collectivités, soit toujours mentionné.
Il faut aussi évaluer l’effet des dispositifs de péréquation déjà en place, et ils sont nombreux. Avant de les modifier, évaluons-les.
Enfin, qu’en est-il de l’éventuelle réforme des collectivités territoriales, qui est fortement demandée ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Les assurances sont un sujet majeur. Le « quoi qu’il arrive » que j’évoquais concerne précisément la gestion des aléas dans un monde incertain, pour tenir nos objectifs, et se répercute à l’échelle locale. Face à de grands risques, la mutualisation, qui est une forme de péréquation, doit être assurée.
À ce stade, je n’ai pas de projet de réforme de la fiscalité directe locale. Si des éléments consensuels se font jour lors de la construction du cadre de prévisibilité, il sera utile que nous les travaillions. Mais, à la fin, il faudra un compromis. Le Gouvernement n’est pas en situation politique d’imposer verticalement des mesures miracle ou magiques. C’est une bonne nouvelle, car cela nous oblige à travailler collectivement. Travaillons avec les collectivités, écoutons-les. Vous me demandez si nous allons vraiment les écouter. Oui, ce sera le cas. Si des propositions qui font consensus et sont transposables dans le droit émergent, je ne vois aucune raison pour laquelle le Gouvernement les refuserait. Avec un premier ministre maire engagé – je suis moi-même conseillère régionale –, nous voyons les uns et les autres la réalité des impasses.
Plusieurs rapports ont été élaborés par votre délégation. Éric Woerth a fait des propositions, Boris Ravignon en fait d’autres. Il y a beaucoup de matière sur la table. Nous devons collectivement analyser les inconvénients et les avantages, et nous demander comment faire. En l’occurrence, pour faire, il faut que nous nous mettions d’accord.
J’en viens à la question de la réforme paramétrique ou systémique de la CNRACL. Le premier enjeu concerne le déficit de la Caisse, que la Cour des comptes évalue à 11 milliards en 2030 y compris avec les mesures actuelles. Nous devons aborder ce sujet avec lucidité. Pendant des années, avant les premiers départs en retraite, les agents publics locaux cotisaient en excédent. Quarante ans après les grandes lois de décentralisation, ils sont de plus en plus nombreux à partir à la retraite et cette situation devrait perdurer jusqu’en 2030.
Nous avons fixé une trajectoire d’augmentation de 12 points du taux de cotisation vieillesse. Je conçois que cette première réponse soit insatisfaisante. Ce point de départ est un équilibre par défaut. Néanmoins, François Rebsamen l’a dit, nous sommes ouverts à d’autres propositions. S’il est possible de faire mieux, plus efficace et plus consensuel pour rétablir une forme d’équilibre de ce régime, parlons-en. Si l’on ne trouve pas mieux ou pas plus acceptable consensuellement, cette trajectoire de montée de trois points par an pendant quatre ans sera confirmée.
La réforme systémique que vous évoquez concerne aussi la distinction entre les contractuels et les agents publics. Je suis ouverte à ce que nous étudiions ce sujet. De la même manière que la CNRACL par le passé, dans la mesure où peu de contractuels sont à la retraite, l’Ircantec est excédentaire. Mais viendra le temps où, mécaniquement, ce régime aura besoin de débourser plus qu’il ne recevra. Nous devons réfléchir dans une optique de prospective pour, demain, ne pas déséquilibrer davantage des régimes qui, aujourd’hui, ont la capacité de constituer des réserves.
Rien n’est simple. Nous n’avons aucun tabou, mais un objectif collectif : ne pas dégrader les comptes.
Monsieur le député Lahais, vous soulignez le besoin de transparence et d’évaluation : je suis entièrement d’accord. J’ai été parlementaire, et je sais que la prérogative d’évaluation de notre parlement est essentielle. Il est utile que des délégations se saisissent de sujets concrets, effectuent un travail précis et émettent des propositions. Vous constaterez, dans le cadre du premier comité d’alerte pour le suivi de l’exécution du budget pour 2025, qui est un budget de compromis, que nous vous devons totale transparence sur les chiffres et sur les décisions.
Je reçois de la part de plusieurs administrations, comme la DGFIP, divers panoramas, en particulier sur la situation financière des collectivités locales. Je verrai avec mon équipe comment vous transférer ces documents, pour que le diagnostic dont je dispose puisse devenir le vôtre et que, le cas échéant, vous puissiez nous faire part de vos interrogations. Car si nous n’avons pas de point de départ commun, il ne pourra pas y avoir de débat rationnel, auquel le travail que nous menons sera aussi insatisfaisant pour nous que pour les premiers concernés que sont les élus locaux.
Par ailleurs, le Dilico sera intégralement restitué. C’est une épargne forcée. Certains y voient une atteinte à la libre administration, ou une épargne forcée plus ou moins collaborative, mais ce n’est pas une confiscation. C’est un mécanisme de freinage. Je ne l’ai ni inventé ni proposé, mais je dois l’installer et le surveiller. J’en comprends les inconvénients, mais j’espère surtout qu’il atteindra son but, qui consiste à lisser certaines dépenses dans le temps. Si tel n’était pas le cas, il aurait eu beaucoup d’inconvénients et peu d’avantages. Nous devons nous assurer qu’il a au moins les avantages de ses inconvénients. En tout cas, ce n’est pas une confiscation.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Vous avez précisé d’emblée que votre portefeuille ministériel ne se limitait pas au périmètre restreint des seuls comptes de l’État. Cette précision était utile, car on a trop souvent l’impression que l’on pourrait procéder à un découpage en tranches de nos comptes publics, ce qui fausse le débat et de rendre les enjeux peu lisibles pour nos concitoyens et leurs élus, à commencer par les élus locaux – lesquels, rappelons-le, ont mal ressenti certaines déclarations mettant en cause la gestion des collectivités territoriales.
Certes, les disparités sont importantes. Mais nous n’y voyons pas toujours clair s’agissant des mécanismes et de l’impact de la péréquation, alors que nous constatons des fractures territoriales.
Nous savons que notre pays doit consentir d’importants efforts. Nous avons un PLF, ce dont nous nous sommes réjouis. Les montants de DGF viennent d’être notifiés et nous attendons les données précises relatives au Dilico. Nous avons bien compris l’esprit du dispositif. Alors que des propositions ont été formulées par des associations d’élus, avez-vous été associée aux réflexions sur ses modalités pratiques ?
Enfin, la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales, est issue de cinq réformes législatives intervenues depuis 2019. Elle vise à soutenir financièrement celles dont une partie significative du territoire comprend une aire environnementalement protégée. Pour 2025, l’enveloppe représente 110 millions, à répartir entre 9 000 communes éligibles. C’est assez complexe, mais intéressant dans l’esprit. Les critères d’éligibilité et les modalités de répartition ont été retravaillés. Quelles sont les perspectives d’évolution de cette dotation ? Êtes-vous associée aux réflexions ?
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Avec la réforme des trésoreries, de nombreuses communes rurales ont perdu un service de proximité essentiel, ce qui contraint parfois les élus à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour effectuer des démarches comptables et fiscales. Quel bilan tirez-vous de cette réorganisation ? Envisagez-vous une adaptation du dispositif, voire le retour de trésoreries pour mieux répondre aux besoins spécifiques des territoires ruraux, en particulier en montagne comme dans ma circonscription ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Votre question concerne-t-elle l’impact de la fermeture des trésoreries pour les citoyens ou pour les élus ?
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Pour les élus.
Par ailleurs, j’appelle votre attention quant à la rupture d’égalité devant l’impôt liée à l’empilement des réformes en cascade, en particulier pour les bourgs-centres. Les citoyens qui y vivent cumulent plusieurs fiscalités, pour financer les services publics essentiels de l’éducation, de la santé et de la culture au profit des communes environnantes, sans toujours bénéficier des compensations financières suffisantes. En parallèle, ceux qui habitent ces bourgs-centres et qui sont propriétaires fonciers d’une résidence secondaire ont une double, voire une triple imposition.
Enfin, la taxe Gemapi, pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, repose sur des intercommunalités parfois faiblement peuplées. Les maires sont en première ligne pour gérer les risques d’inondation, mais dénoncent le manque de moyens financiers et de coordination entre les collectivités. Envisagez-vous une réforme pour garantir un financement plus équitable et mieux structuré de la Gemapi, par exemple en renforçant le rôle des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) comme planificateurs et coordinateurs des actions de prévention des inondations ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur Mandon, la dotation pour les aménités rurales a été multipliée par huit entre 2019 et 2023 – passant de 5 millions à 42 millions –, avant d’être plus que doublée en 2024 pour atteindre 100 millions, puis d’être à nouveau augmentée à 110 millions en 2025. Historiquement dénommée dotation Natura 2000, elle est devenue la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité puis la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales. Ces changements de nom ont été accompagnés de changement de taille d’enveloppe, pour garantir une bonne prise en charge de la protection de la biodiversité dans les communes qui ont de grandes surfaces protégées ou jouxtant une aire marine protégée, en valorisant ou en rémunérant les contraintes qu’entraîne la gestion quotidienne de ces territoires, mais aussi pour inciter les collectivités à accueillir de telles aires.
J’ai rencontré ce matin Michel Fournier, le président de l’AMRF, dans la perspective d’étendre ce dispositif aux grandes surfaces, protégées ou non. De fait, des communes immenses perçoivent des dotations en fonction de leur nombre d’habitants. Or, certaines zones très rurales et de plaine ont des coûts élevés de voirie compte tenu de leur surface, mais n’ont pas d’aire Natura 2000 ou protégée. En l’occurrence, les crédits dédiés à l’aménité rurale ciblent les territoires ruraux, d’autant que la vision de la notion de bourg-centre est parfois devenue extensible et pas toujours bien ciblée. Si nous voulons aller plus loin et valoriser davantage cet élément, nous pouvons le faire en ayant un cadre de prévisibilité qui intègre des éléments nouveaux ou renforcés – sous réserve que ce cadre permette le consensus. Il ne s’agit pas d’organiser la lutte de tous contre un ou d’un contre tous. Ce ne serait pas une bonne méthode. Nous devons parvenir à améliorer le système.
Madame la députée Ricourt Vaginay, vous soulevez la question des trésoreries locales. Je travaille beaucoup sur les enjeux de qualité de service offert, tant aux particuliers qu’aux collectivités, avec la directrice générale des finances publiques, Amélie Verdier.
Le nouveau service de conseil aux décideurs publics donne satisfaction, que la DGFIP a créé pour aller au-delà d’une relation comptable et pour que les maires et les intercommunalités qui le souhaitent puissent échanger plus en détail avec des experts. Ces conseillers aux décideurs locaux ont été déployés dans tout le territoire. Ils sont au service des élus, pour du conseil budgétaire et comptable, pour du conseil en matière de dépenses et de recettes et pour du conseil économique et patrimonial. Ce service est plébiscité. Nous avons d’ailleurs un plan de montée en charge, pour sortir d’une relation purement bureaucratique et administrative.
Par ailleurs, il n’existe pas de projet de nouvelle carte des trésoreries. Néanmoins, je sais que la directrice générale des finances publiques et ses équipes sont soucieuses d’adapter les dispositifs aux besoins. Si l’un d’entre vous signale un déficit de présence ou d’écoute dans telle ou telle commune ou intercommunalité, je suis prête à y prêter attention, ponctuellement ou structurellement. Il faut qu’à la fin, les services publics nationaux régaliens que sont ceux des impôts soient disponibles. S’il existe des difficultés, je vous invite à me les faire savoir.
Concernant les bourgs-centres, je ne partage pas l’idée d’une rupture d’égalité devant l’impôt. Pour autant, dans le cadre de la contractualisation avec les autres ministres, je suis prête à regarder si des évolutions doivent être apportées. Ainsi, je ne pense pas que la taxe d’habitation était un bon impôt. À surface égale, par exemple, on payait trois fois plus de taxe d’habitation à Évry, dans l’Essonne, qu’à Paris. La situation en région Île-de-France était étonnante et difficile à totalement justifier.
Je ne pense pas que l’on puisse parler de rupture d’égalité, parce que les habitants des bourgs-centres bénéficient de plus nombreux services publics que ceux des communes périphériques. La question est davantage celle du lien entre les habitants et les collectivités. Il est vrai que dans un certain nombre de communes, les propriétaires, notamment ceux de résidence secondaire, supportent des coûts plus élevés que les locataires permanents. Je suis prête à étudier ce sujet en détail, mais l’on voit bien pourquoi les propriétaires supportent une part de la charge fiscale, et pourquoi il doit en être de même pour les résidences secondaires. Leurs habitants ne sont certes pas nécessairement présents toute l’année, mais les communes concernées, souvent touristiques, doivent avoir des infrastructures surdimensionnées par rapport à la population permanente. Il existe donc une forme de logique.
Enfin, je n’ai pas de projet de réforme de la taxe Gemapi. Si votre délégation a des propositions d’aménagement, je les étudierai. L’enjeu de l’eau est essentiel, tout comme celui de l’adaptation aux risques climatiques. C’est d’ailleurs un élément du fonds Vert. Ces enjeux d’adaptation sont pour moi prioritaires : si nous réduisions nos émissions avant de nous protéger contre les conséquences déjà présentes du changement climatique, nos concitoyens y verraient une forme d’inversion des priorités.
M. le président Stéphane Delautrette. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Je commencerai en revenant sur le sujet de la CNRACL. Vous indiquez être ouverte à la réflexion. On ne peut pas faire fi des 80 à 100 milliards de prélèvements qui ont été opérés dans les réserves de la Caisse pour assurer le financement et l’équilibre d’autres régimes de retraite. Ce sujet, qui est ressorti de nos auditions, pose la question de la dette. Alors que les rapports de l’Inspection des affaires sociales (Igas), de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des finances (IGF) formulaient plusieurs recommandations, seule l’augmentation des cotisations a été retenue. Que pensez-vous des propositions qui avaient été formulées par les inspecteurs ? Pourquoi n’ont-elles pas été suivies ? Seriez-vous prête à le faire ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sujet a fait l’objet de nombreuses discussions avec les parlementaires, en particulier les sénateurs. Je n’y étais pas quand les propositions ont été transmises puis intégrées dans le PLF, mais je puis vous indiquer que je serais d’accord avec les considérations concernant le transfert des 85 milliards si nous avions des régimes par capitalisation. Or nous sommes un régime par répartition : une génération d’actifs paie pour les inactifs, à un instant donné. Les agents publics actifs contribuent aussi aux retraites du pays. En effet, il existe de nombreux transferts croisés entre régimes, car la démographie d’un régime peut être ponctuellement déficitaire ou excédentaire, et inversement pour d’autres – cette vision se dégageait, en creux, des travaux de François Bayrou quand il était au Haut-commissariat au plan. Si l’on croit à la répartition entre générations, c’est moins le régime auquel on cotise qui compte que la démographie générale du pays.
Ex-post, les inactifs peuvent considérer que c’était leur argent. Mais tel aurait été le cas dans un régime par capitalisation. Dans les régimes par répartition, l’argent en réserve n’est pas investi comme un fonds de capitalisation, mais comme un fonds de trésorerie accumulée.
En résumé, je suis ouverte à ce que nous travaillions plus en détail, pour que le dispositif soit plus acceptable et ne dégrade pas les fonds publics.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Vous m’avez renvoyé vers une péréquation financière, à propos du financement des diagnostics de précarité. Il serait plus juste de prévoir de revoir les conditions du financement des agences de l’eau quand il s’agit d’engager ces dépenses. Ou alors, il faut revoir leurs programmes, car pour l’instant, elles ne répondent pas favorablement aux quelques sollicitations.
Par ailleurs, le syndicat des eaux d’Alsace et France Eau Publique appellent l’attention de notre délégation quant au fait que les diagnostics effectués en interne n’ouvrent pas droit à des financements, lesquels sont autorisés pour les interventions des bureaux d’étude.
Enfin, je précise que la directive européenne vise aussi à endiguer les polluants éternels que sont les substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS). Les agences organisatrices chargées de l’eau potable, de l’assainissement et du traitement des déchets se trouveront face à un « mur d’investissement », car nous n’avons pas de solution de régénération des charbons actifs qui captent ces polluants, ni de solution de destruction des PFAS accumulés dans les macérâts ou dans les déchets ultimes, y compris de l’incinération, puisque nous ne faisons pas d’incinération à 1 400 degrés en France. De la dépense publique sera nécessaire pour accompagner les collectivités. Les seuls usagers ou les seuls contribuables ne pourront pas faire face à ces besoins d’investissements, d’autant que la pollution provient à 90 % de l’activité professionnelle et non domestique.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je suis pleinement engagée dans les enjeux de financement. Par ailleurs, la piste d’une intégration de l’application d’une directive dans les programmes des agences de l’eau est intéressante à explorer. Je le dis avec toutes les précautions qui conviennent, puisque je ne suis pas la ministre de l’eau. Nous relaierons votre point d’attention à Agnès Pannier-Runacher.
Être plus aidé quand on fait faire par d’autres que lorsqu’on fait soi-même est un peu absurde, même s’il peut y avoir différentes clés de financement. C’est une incitation à la mauvaise dépense, et à être un État qui distribue plus qu’il ne s’arme pour faire lui-même. Ce que vous relatez est le signe d’une forme de dépense publique qui doit être mieux pilotée, dans un but d’efficience et de compétences acquises et utiles.
Répondre à la question plus générale du « mur d’investissement » nécessaire nous entraînerait bien au-delà de cette séance.
Vous avez parlé de fusion des fonds d’investissement. En France, on a parfois la « passion » du fonds dédié, répondant à des critères spécifiques, qui empêche parfois les actions prioritaires des collectivités de bénéficier du Fonds vert ou d’un autre fonds d’aide à l’investissement local. C’est dommage. Mieux vaut avoir des fonds plus larges, laisser plus de flexibilité aux préfets pour attribuer les aides et éviter de segmenter les enveloppes budgétaires, afin de limiter les reliquats en fin d’année. Nous pouvons faire plus efficacement plus de choses, selon les priorités définies localement ou en assurant une bonne application de la loi.
M. Pierre Cordier (DR). Les départements se trouvent dans une situation particulièrement difficile. J’ai noté, à l’occasion d’un échange avec vous dans l’hémicycle, que la péréquation ne pouvait pas aller plus loin, du fait d’une forme de réticence de la part du président de Départements de France. Je le regrette.
Vous allez me parler du relèvement de 0,5 point du plafond de DMTO ou d’autres sujets que l’on connaît bien. Mais quand des décisions sont prises, par exemple pour augmenter le revenu de solidarité active (RSA) ou le point d’indice, il n’y a pas de compensation par l’État en direction des collectivités. Cela devient compliqué pour les départements modestes ou pauvres, comme celui des Ardennes d’où je viens. La spirale et le cercle vicieux liés à cette pauvreté pèsent toujours davantage sur les départements qui n’ont plus la capacité de lever l’impôt.
J’ai compris que vous n’avez pas les marges de manœuvres politiques suffisantes pour imposer des mesures. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra se poser les bonnes questions, d’autant que nous sommes passés de dix ou quinze départements en difficulté à une cinquantaine.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Que l’on se comprenne bien : je ne dis pas que le président de Départements de France est personnellement opposé à plus de péréquation. Je constate qu’il n’existe pas de consensus, entre les départements, quant à la manière de l’organiser. L’assiette dynamique de DMTO n’est pas localisée à l’endroit où se trouvent les dépenses dynamiques liées aux politiques publiques que financent les départements. Dans votre département, malheureusement, les 300 000 euros que représente le relèvement de 0,5 point plafond de DMTO ne changeront pas fondamentalement l’équation.
Partout, des départements font face à une population très vieillissante, à une dynamique immobilière faible et à des enjeux liés au handicap et à la grande dépendance. Je rencontre leurs présidents. Je relève l’idée selon laquelle d’autres ont sans doute plus d’argent – c’est sûrement vrai. Mais je constate aussi, et François Sauvadet me le relate, que si tout le monde imagine que la péréquation résoudra tout, il n’existe pas de consensus sur la manière de l’organiser. En tant que ministre, je ne dispose pas d’outil législatif pour le faire. Je ne suis pas arrivée en fonction au moment où le paquet « collectivités » a été discuté au Sénat. Par ailleurs, la péréquation ne peut s’instaurer que de manière volontaire. La solution n’est une organisation verticale par l’État, contre les départements. Nous devons collectivement identifier les bons paramètres.
Qui plus est, il n’est pas certain qu’une péréquation soit viable à l’échelle macroéconomique. Cela signifie que dans le cadre de prévisibilité, le sujet des dépenses que financent les collectivités doit être abordé différemment selon qu’il s’agit des départements ou des communes.
M. Pierre Cordier (DR). Ce sont des dépenses que les collectivités financent au nom de l’État.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Elles les financent dans le cadre d’une décentralisation. Certaines collectivités ont d’ailleurs demandé que ce dispositif soit repris.
M. Tristan Lahais (EcoS). Avant toute réforme, il faut commencer par une évaluation rigoureuse des effets de réduction des inégalités des mécanismes de péréquation actifs – dotation de solidarité rurale (DSR), dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), fonds de compensation de la taxe professionnelle, plan d’investissement dans les compétences (PIC).
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je suis d’accord. Dans le cadre de prévisibilité que nous voulons construire, c’est un élément essentiel et préalable.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Vous avez évoqué un cadre de prévisibilité sur trois ans, qui intéresserait les collectivités, mais aussi la sécurité sociale. En 2026 et en 2028, se tiendront respectivement les élections municipales et les élections départementales. Par ailleurs, nous devrons prendre à bras le corps le sujet du vieillissement, qui est déjà à l’ordre du jour de l’État et des collectivités. Vous êtes certes ministre des comptes publics. Mais, derrière les comptes publics, il y a des politiques publiques. Quelles structures budgétaires envisagez-vous, dans votre approche de prévisibilité et de visibilité sur trois ans, pour faire face aux besoins liés au vieillissement de la population, compte tenu des échéances électorales qui arrivent ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Gouverner, c’est prévoir. Or la démographie est la base de l’économie. Ce sont aussi des effets de nombre et des enjeux d’accompagnement et de qualité. L’économie n’est pas la même si les citoyens sont en grande invalidité car ils ont été épuisés et en mauvaise santé, ou s’ils sont protégés. Si la population est malade et fatiguée, elle ne produit pas la même richesse collective que si elle est en bonne santé.
Pourtant, la démographie est souvent un élément oublié. Compte tenu de la courte durée des mandats, de nombreuses politiques publiques oublient le temps long de la démographie.
Il faut aussi tenir compte des mouvements de population à l’intérieur du pays, de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), des besoins de création de logements et de la vacance des logements. Tout cela dessine une cartographie des enjeux d’aménagement du territoire où se percutent des éléments économiques et des éléments démographiques.
Oui, il faut absolument prendre en compte la démographie dans la politique publique et dans les comptes publics. Du même coup, il est utile que nous ayons des projections pluriannuelles, voire d’assez long terme, concernant la dynamique des dépenses publiques, en lien avec le vieillissement. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons sollicité France Stratégie et la Cour des comptes, dans le plan que nous avons proposé avec Éric Lombard le 3 mars. L’objectif est d’avoir une visibilité des changements produits par nos grands équilibres démographiques sur nos comptes publics à horizon 2050, c’est-à-dire sur une génération.
Par ailleurs, il sera intéressant de prendre en compte les éléments de coûts supplémentaires liés aux enjeux démographiques dans la manière de construire le cadre de prévisibilité. Je pense qu’il faut instaurer une incitation à la population, dans les finances. Si les maires n’ont pas un retour sur investissement quand ils accueillent des populations, en particulier en proposant du logement, je ne vois pas comment on incitera à la construction de logements.
La démographie, c’est aussi la baisse de la natalité. Outre le débat sur les fermetures de classes, il faut s’interroger avec lucidité sur le sens de cette dénatalité pour notre pays. Il y a vingt-cinq ans, 800 000 enfants naissaient chaque année. Aujourd’hui, ils sont 600 000. Cela change fondamentalement la répartition des enfants entre les zones rurales et les zones urbaines, mais aussi les dépenses associées.
Vous demandez comment donner de la prévisibilité aux élus, pour qu’ils puissent établir des programmes électoraux. C’est la clé. Compte tenu des échéances électorales, la construction d’un cadre pluriannuel est de salubrité démocratique. Il faut que chacun s’engage sur des programmes qu’il pourra financer. À défaut, on organise la défiance démocratique et le sentiment que les promesses n’engagent personne, faute de pouvoir les financer.
Je le répète, la prévisibilité est de salubrité démocratique. Elle doit être le fruit d’un compromis et nous permettre de nous mettre d’accord sur les essentiels et les priorités de notre pays – l’eau, le vieillissement, la transition, le logement. Si nous faisons déjà cela, nous aurons bien progressé collectivement. Vous sentez mon engagement, et celui du Gouvernement, à ce que nous le fassions ensemble.
Votre délégation, comme celle du Sénat, a un grand rôle à jouer dans la manière de construire ce cadre, avec de l’évaluation, avec des faits et avec un discours moins politicien et plus ancré dans la réalité des élus. C’est à l’honneur de votre délégation d’être à la fois transpartisane et précise.
Comme nous n’avons pas de majorité absolue, nous avons peut-être encore plus qu’avant le devoir de travailler pour l’intérêt général. Cette contrainte est salutaire.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Il faudra être vigilant à ne pas opposer les générations.
M. le président Stéphane Delautrette. Merci, madame la ministre, pour votre clarté dans nos échanges.
Je réaffirme la volonté de cette délégation d’évaluer et de produire des propositions. J’ai entendu votre volonté de diagnostic partagé. Nous recevrons avec intérêt les documents que vous avez évoqués, qui nous permettront de commencer à voir la façon dont vous envisagez les choses, pour croiser les regards.
Au-delà de la CNRACL, la question de la ressource locale est l’un des axes de travail de notre délégation. Nous serons au rendez-vous pour vous faire des propositions.
La séance est levée à 18h50.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Gabriel Amard, M. Jean-Didier Berger, M. Jean-Michel Brard, M. Jean-René Cazeneuve, M. Pierre Cordier, M. Stéphane Delautrette, M. Emmanuel Duplessy, Mme Catherine Hervieu, M. Tristan Lahais, M. Emmanuel Mandon, M. Nicolas Ray, Mme Sophie Ricourt Vaginay.
Excusés. – M. Yoann Gillet, M. Didier Le Gac, Mme Sophie Pantel.