Compte rendu
Commission des affaires sociales
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale
– Audition, en visioconférence, de M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé, sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux 2
Mercredi
18 décembre 2024
Séance de 8 heures 30
Compte rendu n° 02
Session ordinaire 2024-2025
Présidence de
M. Jérôme Guedj, et de
M. Cyrille Isaac-Sibille,
co‑présidents
La séance est ouverte à huit heures trente.
(Présidence de M. Jérôme Guedj et de M. Cyrille Isaac-Sibille, co-présidents)
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne, en visioconférence, M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Je vous remercie de participer à cet exercice dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss). J’ai récemment lancé ce processus d’audition des acteurs majeurs de notre système de soins. L’audition de ce matin a tout d’abord pour objectif de recueillir votre point de vue sur les médicaments puis de vous proposer une séance de questions-réponses avec les membres de la Mecss. Cette approche nous permet d’auditionner des acteurs essentiels en dehors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), afin de mieux comprendre les différents mécanismes et d’effectuer un contrôle ainsi qu’une évaluation continue.
M. Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé (Ceps). Je souscris pleinement à cette démarche et vous remercie d’avoir sollicité le Comité économique des produits de santé. Je souhaiterais commencer par présenter brièvement le Ceps afin de clarifier notre champ de compétences. Je vous exposerai ensuite notre actualité puis j’aborderai les thèmes que vous avez identifiés dans le questionnaire. Nous pourrons vous fournir des informations chiffrées par écrit mais je me concentrerai ici sur les messages principaux en réponse à vos questions.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. En tant que président du Ceps, pouvez‑vous tout d’abord nous présenter le périmètre de votre mission ?
M. le président du Ceps. Les deux activités principales du Ceps sont la tarification et la régulation. La tarification est une approche microéconomique, produit par produit, pour les médicaments et les dispositifs médicaux entrant sur le marché. Elle s’appuie sur des critères légaux, dont le principal est la valeur thérapeutique estimée par la Haute Autorité de santé (HAS) à travers l’indicateur relatif d’amélioration du service médical rendu (ASMR). Nous valorisons ainsi le produit par rapport à des comparateurs existants.
La régulation concerne les plans de baisse annuels. Il s’agit d’un exercice macroéconomique qui débute en juillet, lorsque nous annonçons les classes thérapeutiques visées par les efforts de baisse. Les négociations se déroulent ensuite à partir du mois de septembre, avec l’objectif de conclure avant la fin de l’année civile pour une mise en œuvre rapide l’année suivante. L’objectif de cet exercice est d’examiner l’écart entre la trajectoire spontanée des dépenses et celle qui a été jugée soutenable.
La régulation peut prendre différentes formes, notamment la clause de sauvegarde légale et les baisses de prix négociées par le Ceps. L’ampleur de la régulation est ajustée globalement, puis ventilée entre ces deux leviers principaux.
Pour ces deux missions, nous appliquons la méthode de la négociation. Le Ceps est un lieu de politique conventionnelle qui opère à deux niveaux. Premièrement, nous négocions les règles de la tarification avec les industriels – Les Entreprises du médicament (Leem) pour le médicament et le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem) pour les dispositifs médicaux. De ces négociations, naissent des accords-cadres pluriannuels qui définissent les avantages conventionnels accordés selon les niveaux d’ASMR attribués par la HAS, ainsi que les économies attendues. Deuxièmement, nous menons des négociations produit par produit pour la tarification ou dans le cadre des plans de baisse. Bien que notre objectif soit d’aboutir à un accord, nous pouvons être amenés à prendre des décisions unilatérales si nécessaire, même si cela est considéré comme un échec de la négociation.
Concernant notre actualité, nous mettons actuellement en œuvre le plan de baisse annuel. Depuis juillet, nous négocions avec les laboratoires des baisses sur plus de 200 produits ciblés et avons atteint un accord ou sommes proches d’un accord pour environ 90 % d’entre eux. Notre objectif d’un milliard d’euros de baisses semble réalisable, bien que des décisions unilatérales puissent être nécessaires dans certains cas.
Nous préparons également la renégociation de l’accord-cadre avec le Leem. L’accord de mars 2021, prorogé jusqu’à mars 2025, devra être à nouveau prolongé pour mener à bien les négociations approfondies. Parmi les thèmes majeurs à aborder, figurent la tarification des produits innovants, l’utilisation de nouveaux outils tels que l’évaluation médico-économique et, du côté du Leem, la valorisation de l’innovation dans certains domaines longtemps délaissés car celui‑ci considère qu’on ne valorise pas à sa juste valeur une innovation qui intervient sur un produit ou une ère thérapeutique qui n’a connu aucune évolution récente avec laquelle comparer cette innovation. La question des remises, qui représentent la différence entre le prix facial et le prix net ou effectif, sera également discutée. Bien que conçues par la loi comme temporaires et exceptionnelles, elles se sont considérablement développées ces dernières années. Nous aborderons également les questions de sécurité des approvisionnements et de souveraineté sanitaire et industrielle. Des sujets stratégiques, tels que l’introduction de critères environnementaux dans la tarification, nécessiteront des orientations gouvernementales. Enfin, nous examinerons des aspects techniques pour améliorer l’efficacité de nos négociations.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Le rapport annuel provisoire que vous nous avez fourni, complet et instructif, permet de mieux appréhender la complexité de la tarification des médicaments.
M. le président du Ceps. Bien que notre rapport reflète la complexité de notre matière, nous devons améliorer sa lisibilité et son délai de publication. Un amendement, discuté lors du PLFSS au Sénat, proposait que nous adressions le rapport annuel au Parlement avant le 30 septembre. Nous vous avons transmis une version provisoire mi-décembre. Certaines données, notamment financières, ne sont pas disponibles en septembre en raison de délais légaux et de possibles contestations par les entreprises. Une grande partie des informations pourrait néanmoins être mise à disposition du Parlement bien plus tôt.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Concentrons-nous sur les médicaments remboursés en laissant de côté les autres produits de santé. Vos chiffres évoquent 26,5 milliards d’euros avec une augmentation de 7,1 %. Je m’interroge sur l’efficacité du plan de baisse, notamment face à l’augmentation de 44 % des médicaments à accès dérogatoire. Comment analysez-vous l’évolution des prix pour les années à venir, particulièrement concernant les médicaments innovants, matures, génériques et biosimilaires ? Le chiffre de 26,5 milliards est‑il net ? En y ajoutant les clauses de sauvegarde et les remises, quel serait le montant total ?
M. le président du Ceps. Je ne vous recommande pas d’effectuer cette addition.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Pouvez-vous nous indiquer le montant total des remises et de la clause de sauvegarde par rapport aux 26,5 milliards d’euros nets ?
M. le président du Ceps. Le chiffre net de 26,5 milliards d’euros correspond à un chiffre brut d’environ 34 milliards car les remises produits représentent désormais une masse considérable. Or, les économies demandées dans le cadre des plans de baisse sont calculées en net.
Concernant l’évolution des dépenses, notre rapport décompose la croissance des ventes de médicaments en ville en trois effets : prix, volume et structure. L’effet volume varie d’une année sur l’autre entre – 3 % et + 3 %. L’effet prix, résultant de nos actions de baisse, est constamment négatif, autour de – 3 à – 4 %. L’effet de structure est massif, proche de 10 points, atteignant même 12 points en 2023.
Pour les produits innovants, plusieurs facteurs influencent leur contribution à la dépense : le flux d’arrivée de nouveaux produits, leur valorisation à travers leur tarification initiale, la phase de régulation avec nos baisses de prix et enfin l’arrivée à généricité. Le Ceps peut agir sur la valorisation de l’innovation et sur le rythme de régulation, mais pas sur le flux d’entrée.
Le dynamisme de la dépense nous amène à nous interroger sur la nécessité d’intervenir sur ces leviers en sachant comment équilibrer la reconnaissance de l’innovation et la maîtrise des dépenses, tout en tenant compte des différentes phases du cycle de vie des produits. À mon sens, et je m’exprime ici à titre personnel et non au nom du Ceps, il est crucial de maintenir un signal fort en faveur de l’innovation. Cela passe par une valorisation initiale élevée, tant en termes de prix facial que de prix net, dans certaines limites. Le prix facial publié doit démontrer que la France reconnaît l’innovation, tandis que le prix net doit rendre le marché français attractif pour les laboratoires innovants. L’enjeu réside dans la régulation ultérieure de ces produits innovants, en étant exigeant sur leur rythme de baisse afin d’éviter le maintien d’une rente injustifiée. Notre objectif doit être de diversifier l’offre et d’accueillir la concurrence. À l’approche de la perte de brevet, la concurrence doit pouvoir s’exercer pleinement. Les remises posent alors un problème car elles masquent le prix net réel, ce qui peut constituer une barrière à l’entrée pour les génériques potentiels.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Les remises sont-elles inconnues ?
M. le président du Ceps. Il est important de distinguer le prix facial, qui est public et donc connu, du prix net, qui ne l’est pas. Le prix facial représente la reconnaissance de l’innovation et est largement déterminé par référence au prix international, notamment européen. Le calcul de la valeur basé sur l’ASMR intervient dans la négociation du prix net. Le prix facial est souvent exogène, basé sur ce que nous appelons un prix européen, qui est généralement le prix le plus bas entre ceux de plusieurs autres pays. Dans certains cas, rares et définis dans l’accord-cadre, nous pouvons accepter le prix européen le plus élevé. Le prix net est, quant à lui, censé refléter la véritable valeur du produit. La remise est simplement la différence entre le prix facial et le prix net. Nous n’incluons pas les comparaisons internationales dans le rapport annuel car elles sont extrêmement complexes en raison des différences de systèmes de remises entre pays. Dans nos échanges internationaux, nous discutons des méthodes mais pas des prix nets spécifiques, qui sont protégés par le secret des affaires.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Vous avez évoqué le flux des produits innovants qui arrivent sur le marché et qu’il faut valoriser. Pourriez-vous nous expliquer le fonctionnement des répertoires, des génériques et des différents taux de remboursement ? Dans un contexte où de nouveaux produits arrivent constamment, comment est gérée la sortie de certains produits ou leur passage au statut de générique, tout en maintenant un équilibre global ?
M. le président du Ceps. Concernant la dynamique des flux d’entrée et de sortie, nous gérons la transition des produits innovants vers des produits plus anciens jusqu’à la perte de brevet. Pour les produits innovants, nous accordons des corrélations entre le prix facial et le prix net, avec des remises réputées exceptionnelles et temporaires. Les remises doivent avoir disparu avant l’arrivée des génériqueurs sur le marché pour commercialiser le produit, c’est‑à‑dire qu’il faut faire baisser le prix facial et en même temps le prix net pour que le prix facial et le prix net convergent, ce qui permet aux concurrents d’avoir connaissance du prix réel du produit, et de construire une offre compétitive sur le marché.
Notre stratégie de régulation vise deux objectifs : faire baisser les prix nets avant le passage au générique et réduire l’opacité en rapprochant le prix facial du prix net, notamment à l’approche de la perte de brevet. Un enjeu majeur de l’accord cadre sera de rediscuter cette méthode.
Concrètement, lorsqu’un prix facial plus élevé que le prix net est accordé, une période de stabilité est souvent accordée. À la fin de cette période, nous cherchons à baisser le prix, tandis que les laboratoires souhaitent le maintenir jusqu’à la perte de brevet. Cette zone de négociation complexe sera également abordée dans l’accord cadre.
La perte de brevet est un fait que nous constatons et intégrons dans nos négociations. Nous appliquons ensuite une régulation sur les produits des groupes génériques, comprenant le princeps et les génériques. Cette régulation prend la forme à la fois de mécanismes encadrés examinant le taux de substitution et ajustant le poids relatif du princeps et des génériques et de négociations annuelles lors des comités de suivi des génériques pour faire baisser les prix au sein des groupes génériques. Dans ces discussions, nous cherchons à faire jouer la concurrence tout en tenant compte des marges d’exploitation réduites et des risques de pénurie.
Pour les baisses de prix, nous utilisons différents critères. Cette année, nous avons appliqué un critère de convergence vers les prix européens, avec certaines limites pour éviter des baisses trop importantes. Le GEnérique Même MEdicament (Gemme) nous a indiqué comprendre et accepter la logique mais nous encourage à relever le prix des produits lorsqu’ils sont inférieurs à la moyenne européenne.
Le prix fixé par le Ceps n’est pas le prix final effectif, car il faut prendre en compte les remises commerciales accordées par les génériqueurs aux officines.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Qu’en est-il des répertoires de produits potentiellement généricables qui ne sont pas nécessairement inclus ? Pouvez-vous contrôler cela ?
M. le président du Ceps. Nous n’avons pas de contrôle direct sur les répertoires et les utilisons tels qu’ils sont établis. Le débat sur la substitution concerne à la fois la substitution au sein d’un répertoire existant et la création dynamique de nouveaux groupes dans le répertoire. C’est sur ce dernier point que la France est en retard par rapport à d’autres pays.
M. Michel Lauzzana (EPR). Une récente lettre de mission introduisait un nouveau critère industriel lié à la territorialisation. La crise sanitaire a mis en évidence le besoin d’industries implantées sur notre territoire pour éviter les pénuries. Or, les laboratoires affirment que cette territorialisation n’est pas prise en compte dans le prix du médicament. Une réflexion est par ailleurs en cours, y compris au niveau ministériel, sur la possibilité d’intégrer l’empreinte écologique du médicament dans la fixation du prix. Pouvez-vous nous éclairer sur ces deux aspects ?
M. le président du Ceps. La question des critères industriels est effectivement très importante. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a introduit, dans son article 65, de nouveaux critères s’ajoutant à ceux existants, dont le principal reste la valeur thérapeutique déduite du niveau d’ASMR. Le comité peut désormais prendre en compte la sécurité d’approvisionnement du marché français que garantit l’implantation des sites de production. Afin de bénéficier de cet article, les entreprises doivent nous fournir des informations détaillées sur leurs chaînes de valeur : fabrication du principe actif, du produit fini et conditionnement. Nous examinons où se déroulent ces étapes et si les sites sont uniques, principaux ou de backup. Ce dossier est instruit pour le Ceps par la direction générale des entreprises (DGE) à Bercy. L’éligibilité est examinée selon plusieurs critères. Les produits innovants d’ASMR 1 à 3 sont automatiquement éligibles, car leur absence pourrait entraîner une perte de chance pour les patients français. Pour les produits moins innovants, nous évaluons la situation du marché afin de déterminer s’il existe un réel enjeu de sécurité d’approvisionnement. Si le produit est éligible, nous examinons en détail sa chaîne de valeur et, selon la localisation des différentes étapes de production, nous pouvons accorder un avantage sur le prix net allant jusqu’à 15 %. Cet avantage est clairement identifié dans le contrat afin d’éviter tout impact inflationniste. Par exemple, si un produit fabriqué en France bénéficie d’un prix net de 110 au lieu de 100 grâce à sa localisation, un concurrent fabriquant entièrement en Chine ou aux États-Unis ne pourrait pas prétendre au même prix, même si son produit est considéré comme équivalent par la HAS.
Par rapport aux orientations antérieures, l’article 65 facilite donc la gestion, bien que l’exercice reste complexe. Le comité a élaboré une doctrine de mise en œuvre, rendue publique dans notre rapport annuel, qui s’applique uniquement aux nouveaux produits. La question du traitement des produits existants, qui représente un enjeu financier significatif, n’a pas encore été résolue par une doctrine précise. Ce sujet a fait l’objet de discussions techniques au sein du comité et avec différentes administrations. Les arbitrages sur ces choix ont été suspendus depuis juin, mais le sujet reste d’actualité pour le nouveau gouvernement et sera demandé par le Leem dans le cadre de la renégociation de l’accord-cadre. Je tiens à préciser que cet article constitue un critère législatif explicite, ce qui explique pourquoi nous en parlons spécifiquement. Nous disposons également d’une gamme d’instruments conventionnels prenant en compte la dimension industrielle. Dans l’accord-cadre, nous avons établi le fait que lorsqu’une entreprise investit en France pour la production d’un médicament, elle nous offre une visibilité. En contrepartie, nous lui accordons un avantage en termes de stabilité des prix.
Un autre outil de politique industrielle est le système des avoirs sur remises, communément appelés « crédits CSIS ». Les entreprises ayant réalisé des investissements en France en 2023 ont déposé un dossier auprès de la DGE à Bercy fin 2024. Cette dernière examine ces dossiers, vérifiant la réalité et la nature de l’investissement, avec une priorité accordée aux projets d’accroissement de capacité. L’avantage accordé peut atteindre jusqu’à 15 % du montant de l’investissement, sous forme d’avoir sur remise utilisable pour s’acquitter des remises dues à l’assurance maladie, sur différents produits ou pour la clause de sauvegarde.
Nous débattons actuellement de la meilleure façon d’intégrer les politiques publiques dans l’action du Ceps, notamment concernant la souveraineté et les critères environnementaux. La question est de savoir s’il faut les intégrer dans le prix ou utiliser des outils distincts tels que les crédits CSIS. Le Ceps a par ailleurs mis en place un guichet supplémentaire à la DGE afin de traiter rapidement les projets d’investissement en cours et de soutenir les entreprises qui hésitent entre différents pays pour leurs investissements.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Je constate que la prise en compte du lieu de production par le Ceps n’est pas systématique pour des produits non innovants mais stratégiques comme le paracétamol.
Les enjeux industriels, particulièrement pour les politiques de site chimique, semblent insuffisamment considérés. Il y a un décalage entre la théorie que vous avez décrite et la pratique vécue par les entreprises de ma circonscription. Ces dernières souhaiteraient que leur production en France soit davantage valorisée face à la concurrence, notamment en étant moins impactées par la clause de sauvegarde, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.
M. le président du Ceps. Concernant les produits non innovants comme le paracétamol, nous avons des projets de relocalisation en France. Pour soutenir ces investissements, nous disposons de plusieurs leviers. Premièrement, nous accordons des avantages sous forme de stabilité de prix, indépendamment de l’article 65. Cela explique pourquoi certains produits matures n’ont pas vu leur prix baisser ces dernières années. Deuxièmement, l’article 28 de l’accord-cadre permet de répercuter les hausses de coûts de production sur le prix, notamment en cas de relocalisation. Enfin, l’article 65 s’applique spécifiquement aux enjeux de sécurité d’approvisionnement. Le Ceps évalue d’abord s’il existe un tel enjeu, puis examine si la localisation peut améliorer cette sécurité. Dans ce cas, nous appliquons l’avantage prévu.
M. Yannick Monnet (GDR). Ma question porte sur les actions que vous pouvez entreprendre pour faciliter l’accès aux médicaments matures. Aujourd’hui, pour répondre aux exigences de rentabilité des actionnaires, les industries pharmaceutiques cherchent souvent à réduire les coûts de fabrication des molécules anciennes en délocalisant ou en s’approvisionnant dans des pays à bas coûts. Cette logique de marché accentue la dépendance et le risque de pénurie, notamment pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et les médicaments essentiels. Une commission d’enquête sénatoriale a montré que les efforts se sont concentrés ces dernières années sur les spécialités innovantes au détriment des produits matures, qui subissent d’importantes baisses de prix malgré leur caractère indispensable. Qu’est-ce qui s’oppose aujourd’hui à une augmentation des prix des médicaments matures dont l’intérêt thérapeutique est avéré ?
M. le président du Ceps. Certains grands laboratoires, visant des taux de rendement élevés, cèdent leurs produits matures moins rentables. Cela peut entraîner un risque de délocalisation. Cependant, d’autres laboratoires, avec des ambitions différentes en matière d’innovation et de rentabilité, peuvent trouver ces produits intéressants même avec des marges plus faibles. Pour gérer ces situations, des dispositions ont été votées au Parlement, imposant une forme d’obligation de recherche de repreneur. Lorsque des laboratoires nous sollicitent en arguant de difficultés financières, nous privilégions l’utilisation de l’article 28 de notre accord‑cadre avec le Leem, qui permet de répercuter les éventuelles hausses de coûts de production sur le prix si le retrait du produit du marché français présente un risque pour l’accès des patients. Notre approche est la suivante : si un laboratoire nous signale un risque de retrait d’un produit important, nous lui demandons de documenter l’augmentation des coûts. Si cette augmentation est liée aux coûts de production et bien documentée, nous la répercutons sur le prix. Cependant, si un produit a de nombreux concurrents qui ne demandent pas d’augmentation, nous sommes plus réticents à accorder une hausse de prix. Le critère principal est donc l’existence d’un réel risque pour l’accès des patients. Si ce risque est avéré et que la hausse des coûts est bien documentée, nous répercutons cette hausse. Nous avons récemment négocié un avenant à l’accord-cadre avec le Leem pour permettre au comité de s’autosaisir à partir de la demande d’une entreprise dans certaines situations spécifiques.
Lorsqu’une entreprise signale des difficultés et les documente, nous considérons que des problèmes similaires pourraient affecter toute la classe de médicaments, ce qui pourrait entraîner des enjeux d’approvisionnement pour les patients. Dans ce cas, le comité peut décider d’une hausse des prix pour tout ou partie de la classe. Nous suivons toujours la logique de répercussion de la hausse des coûts. Cependant, dans certains cas d’urgence, notamment sanitaire, nous pouvons fixer le prix au niveau nécessaire, pas uniquement en répercutant les hausses de coûts des matières premières.
Concernant les remises, il existe une ambiguïté que certains laboratoires exploitent. Les remises, qui ne sont pas une ristourne commerciale, ont considérablement progressé ces dernières années. Les entreprises ont tendance à présenter ces remises comme une charge supplémentaire, au même titre que la clause de sauvegarde et les baisses de prix. Or, l’augmentation des remises est due à l’accroissement des produits innovants et aux avantages conventionnels négociés depuis 2021. Nous avons étendu ces avantages à davantage de produits et sur des durées plus longues, à la demande du Leem. Il est donc erroné de présenter ces remises comme une contribution au même titre que la clause de sauvegarde. Il s’agit d’un avantage conventionnel obtenu par les entreprises et non d’une charge.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Pouvez-vous vous exprimer sur le dérapage récent de 1,2 milliard d’euros ?
M. le président du Ceps. Le Ceps n’effectue pas de prévisions. Notre rôle se limite à décrire ce qui s’est passé, comme dans notre rapport annuel pour 2023. Les prévisions sont réalisées par l’administration en charge du PLFSS, car il s’agit par nature d’un exercice prévisionnel. Nous n’intervenons pas dans la détermination de la régulation globale pour l’année à venir, ni dans sa répartition entre clause de sauvegarde et baisse de prix. Nous nous contentons de les appliquer.
La seule interaction que nous avons eue à ce sujet concerne le rapport 2022. En janvier 2024, une fois nos chiffres 2022 consolidés, la direction de la sécurité sociale (DSS) est venue récupérer nos données afin de simuler des prévisions sur 2023. Ils ont conclu que leur outil fonctionnait bien pour ce type de prévisions.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Cela vient-il plutôt de la DSS ou de Bercy ?
M. le président du Ceps. Dans le PLFSS, la DSS est responsable. Je rappelle que la DSS a plusieurs tutelles, dépendant à la fois du ministère des comptes publics et du ministère de la Santé.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous constatons de plus en plus de thérapeutiques innovantes sans modèle économique. Avec plus de 44 % sur les médicaments en accès dérogatoire, comment envisagez-vous le modèle économique futur pour ces thérapeutiques innovantes ? Tous les patients français auront-ils accès à ces innovations ? Est‑ce soutenable pour l’assurance maladie, sachant que l’enveloppe tend plutôt à la baisse ?
M. le président du Ceps. La question du prix des médicaments innovants est complexe. Notre mission est d’assurer l’accès de tous aux traitements, conformément au principe français. Lors de la tarification initiale d’un produit, nous nous concentrons sur sa valeur réelle plutôt que sur la régulation budgétaire. Notre objectif est d’éviter de surpayer par rapport aux règles françaises, en tenant compte de l’apport relatif du produit en termes de santé publique comparé à ses alternatives.
Face à la pression croissante des laboratoires pour des prix élevés, souvent basés sur les références américaines, notre approche est double. Nous accordons un prix facial élevé pour reconnaître l’innovation, ce qui est important pour le référencement international, tout en appliquant des remises pour atteindre un prix net compétitif.
La tarification des produits disruptifs reste un défi. Nous cherchons à améliorer nos méthodes, notamment par l’évaluation médico-économique. Cette approche vise à quantifier l’apport d’un produit en années de vie gagnées, pondérées par la qualité de vie, nous permettant d’évaluer le coût par année de vie gagnée en bonne santé. Cet indicateur nous aide à déterminer la valeur que nous sommes prêts à payer pour un médicament, en recherchant l’efficience. Mais nous devons également considérer la soutenabilité budgétaire. L’objectif est de développer un système qui intègre l’information de l’ASMR, les calculs d’efficience et la soutenabilité budgétaire afin de déterminer un prix juste.
Les techniques d’évaluation médico-économique et d’analyse d’impact budgétaire nous permettent d’élargir notre perspective. Nous prenons en compte non seulement le coût direct du traitement mais également les dépenses évitées ailleurs dans le système de santé, telles que la réduction des hospitalisations. Ces outils, développés par la HAS, nous aident à réaliser des évaluations plus complètes, prenant en compte l’ensemble des coûts et bénéfices associés à un nouveau traitement.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Les analyses d’impact budgétaire relèvent‑elles de votre responsabilité ou de celle de la HAS ?
M. le président du Ceps. C’est la HAS qui est responsable de ces analyses pour les produits innovants au-delà d’un certain seuil. Les laboratoires doivent soumettre une évaluation médico-économique qu’ils peuvent compléter par une analyse d’impact budgétaire. Cette dernière ne se limite pas au simple calcul du prix du médicament multiplié par les ventes prévues, mais prend en compte l’ensemble des dépenses induites et évitées.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Est-il envisageable que les Français n’aient pas accès à ces innovations dans les années à venir en raison de leur impact budgétaire ?
M. le président du Ceps. Je refuse d’envisager cette possibilité et nous faisons tout notre possible pour l’éviter. Les produits les plus coûteux sont actuellement les thérapies géniques. Certains laboratoires annoncent des traitements révolutionnaires pour des maladies chroniques, avec une seule injection coûtant jusqu’à 2,5 millions d’euros. Ces traitements promettent des effets durables mais les données de suivi à long terme sont encore limitées, ce qui soulève des incertitudes.
Pour faire face à ces défis, nous développons de nouvelles techniques de tarification, incluant l’évaluation médicale et des contrats de performance. Ces approches nous permettront d’évaluer l’efficacité réelle des traitements au fil du temps.
Il est important de noter que ces produits innovants concernent généralement des populations restreintes. La problématique est donc plus une anticipation qu’une réalité actuelle. Ce ne sont pas les thérapies géniques qui expliquent la récente augmentation des dépenses de santé. D’autres classes de produits innovants et coûteux, comme les immunothérapies, ont cependant fait l’objet de débats parlementaires ces dernières années. Ces traitements, bien qu’onéreux, montrent des résultats probants. La question de leur tarification reste un défi que nous continuons d’aborder.
Une régulation spécifique au sein de la clause de sauvegarde avait été envisagée de manière législative, mais le gouvernement avait dû la retirer au regard du message qu’elle aurait porté. Ces sujets sont déjà présents et, pour les traiter, nous envisageons notamment d’améliorer les outils et instruments de tarification. En matière de régulation, je pense personnellement que si le législateur reconnaissait explicitement au Ceps la capacité de procéder à une régulation par groupe de produits, nous pourrions davantage appeler des baisses de prix dans nos exercices de régulation. Cela rendrait plus effective la concurrence entre les produits innovants au sein d’un même groupe. Il s’agit d’une piste de réflexion parmi d’autres.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Souhaitez-vous partager d’autres recommandations avant de clore cette audition ?
M. le président du Ceps. Cette audition a été extrêmement riche. Nous allons vous retourner votre questionnaire en précisant certains points, reprenant, corrigeant ou complétant mes propos.
M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Cette discussion nous permet de réfléchir en dehors et en amont du PLFSS, ce qui est très intéressant. Il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons construire ensemble et proposer des ajustements au système.
La séance est levée à neuf heures cinquante-cinq.