Compte rendu

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale

 Audition de la direction de la sécurité sociale sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux : M. Pierre Pribile, directeur, M. Harry Partouche, sous-directeur des études et des prévisions financières, et Mme Bénédicte Colnet, cheffe du bureau des produits de santé              2


Mercredi
19 mars 2025

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 04

Session ordinaire 2024-2025

Présidence de
M. Cyrille Isaac-Sibille,

coprésident
 


La séance est ouverte à huit heures trente-cinq.

(Présidence de M. Cyrille Isaac-Sibille, co-président)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale, M. Harry Partouche, sousdirecteur des études et des prévisions financières, et Mme Bénédicte Colnet, cheffe du bureau des produits de santé, sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments et leurs enjeux.

M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale. Je vais tenter de vous expliquer le plus clairement possible la nature de l’écart de 1,2 milliard d’euros auquel vous vous intéressez. Je m’appuierai pour cela sur les derniers chiffres issus de la clôture des comptes 2024.

Cette somme correspond aux remises produits versées par les laboratoires à l’assurance maladie conformément aux clauses négociées entre chaque laboratoire et le Comité économique des produits de santé (Ceps), médicament par médicament. Le Ceps fixe un prix pouvant inclure des clauses prévoyant des remises fondées sur divers paramètres définis au cours de négociations spécifiques. Les deux types de clauses existantes sont les remises de droit commun, qui résultent des conditions établies lors de la fixation des prix, et un mécanisme spécifique qui s’applique aux accès précoces pour des médicaments particulièrement innovants, commercialisés à un prix librement fixé par le laboratoire. En contrepartie, ce dernier verse des remises calculées selon un barème forfaitaire. Lorsque le prix du produit est négocié, une seconde série de remises, appelées remises de débouclage, est appliquée.

L’écart correspond ainsi à la différence entre le montant de remises de produits initialement intégré dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2024 et la réévaluation opérée en novembre, qui a révélé un rendement inférieur de ces dispositifs à hauteur de 1,150 milliard d’euros.

L’impact sur les comptes se traduit, en 2024, par une majoration équivalente des dépenses d’assurance maladie liées aux médicaments. Cet écart, découvert au mois de novembre, n’avait pas été intégré au moment de la présentation du projet de loi en première lecture. Dès que l’information a été vérifiée, elle a été transmise au gouvernement, puis immédiatement communiquée au parlement, entraînant une révision de la norme pour 2024 et de la prévision 2025.

Les derniers chiffres issus de la clôture des comptes 2024, qui estiment désormais l’écart à 950 millions d’euros, montrent que celui-ci reste considérable.

Les dépenses de médicaments prises en charge par l’assurance maladie ont conséquemment enregistré en 2024 une hausse de 5,7 %.

Cet écart inattendu constitue une rupture marquée dans la dynamique des remises, dont le rendement progressait jusqu’à lors annuellement d’environ 30 %. Lors de l’élaboration de l’Ondam 2024, une inflexion de cette tendance avait été anticipée, avec une croissance ramenée à 20 %. En réalité, cette progression s’avère inférieure à 10 %, traduisant ainsi un bouleversement majeur dans la dynamique des remises produits.

Les industriels ont été surpris par cette situation pour deux raisons. D’une part, la dépense nette de médicaments a progressé plus que prévu, malgré une dépense brute modérée, en raison d’un rendement des remises inférieur aux attentes. D’autre part, une asymétrie d’information persiste car la sécurité sociale dispose de toutes les clauses négociées avec le Ceps tandis que chaque laboratoire ne connaît que ses propres engagements. Afin d’affiner les prévisions, un travail de comparaison a été mené avec certains laboratoires volontaires.

Le décalage temporel dans la planification de l’Ondam, fondée sur des données parfois anciennes, complique l’exercice. De plus, le versement tardif des remises contraint à raisonner uniquement sur des projections. Ce suivi repose sur la consolidation de plus de quatre cents prévisions individuelles, intégrant les clauses existantes et diverses hypothèses. Avec un montant total de 10 milliards d’euros, toute erreur de 10 % représente un écart budgétaire d’un milliard d’euros, posant un défi majeur en matière de maîtrise des dépenses.

Plusieurs questions émergent. L’amélioration des méthodes de prévision passe par une exploitation plus fréquente des données trimestrielles des laboratoires. Par ailleurs, le poids croissant des remises, représentant désormais un quart des dépenses brutes de médicaments, interroge sur la pertinence du prix facial des médicaments. Enfin, la hausse des dépenses pharmaceutiques, deux fois plus rapide que celle de l’Ondam, soulève la question de la capacité du système à assurer une régulation efficace.

M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Pour quelle raison la clause de sauvegarde semble-t-elle mise à l’écart dans le document alors qu’elle constitue, au même titre que les autres, une remise ?

M. Pierre Pribile. L’écart porte uniquement sur les remises produits.

M. le co-président Cyrille Isaac-Sibille. Sur quels éléments vous êtes-vous appuyés pour établir votre prévision ?

M. Pierre Pribile. Cette prévision n’est pas le fruit d’une analyse statistique classique car aucun modèle ne permet d’anticiper, sur la base d’indicateurs prédéfinis, une évolution précise de la dynamique des remises. Cela résulte en réalité d’une agrégation de plusieurs centaines de prévisions établies produit par produit. L’inflexion à 20 % prévue pour 2024 constituait déjà un changement structurel majeur, représentant une réduction d’un tiers du rendement des remises.

Pour les dispositifs d’accès précoce, l’exercice est encore plus complexe. Certes, le chiffre d’affaires constitue un élément central, puisque le barème des remises repose sur son niveau, mais d’autres facteurs tels que les remises de débouclage entrent également en jeu. Bien que les négociations soient suivies de près, leur issue demeure incertaine jusqu’à leur finalisation.

M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Ne pouvons-nous pas imaginer un suivi plus fin que ces opérations biannuelles ?

M. Pierre Pribile. Une solution envisageable consisterait à effectuer ce suivi quatre fois par an en s’appuyant sur les données trimestrielles disponibles.

M. Thibault Bazin, rapporteur général. Derrière ces échanges, c’est la question de la sincérité de nos textes budgétaires qui se pose.

Tout d’abord, quelle part de l’écart est imputable aux dispositifs d’accès précoce ? Quelle est la part attribuable aux remises de rebouclage ? Dans l’hypothèse d’une réduction du nombre d’accès précoces, sur quelle période cela s’étend-il ?

Deuxièmement, quelle part de la progression des dépenses de l’assurance maladie pour les médicaments, évaluée à 5,7 %, est liée à un accroissement des volumes et quelle part découle de la mise sur le marché de nouveaux médicaments ?

Ensuite, estimez-vous qu’une projection pluriannuelle permettrait une meilleure anticipation et une plus grande stabilité ? Quelle est la position de la direction de la sécurité sociale (DSS) sur ce sujet ? Est-elle prête à évoluer vers une telle approche et y est-elle favorable ? Comment pourrions-nous concrètement instaurer cette pluriannualité pour les dépenses de médicaments ? Une telle évolution nécessiterait-elle une modification du cadre organique ? Quelles en seraient les implications concrètes ?

Une mesure visant à accélérer le paiement des remises pourrait-elle être envisagée ?

Ma dernière question porte sur les outils de souveraineté. Pour quelle raison le dispositif de soutien à la production en France est-il si peu utilisé ? Comment pourrait-il évoluer à l’avenir ? Pourrions-nous envisager d’étendre ce mécanisme aux métiers en tension ?

M. Pierre Pribile. J’estime que cette situation ne remet en rien en cause la sincérité des textes budgétaires, ceux-ci ayant été établis sur la base des meilleures prévisions disponibles au moment de leur construction. C’est au cours de l’exercice de révision et d’actualisation des prévisions que l’écart a été identifié. Dès les chiffres connus, cette information a été transmise aux ministres concernés et communiquée au Parlement.

Le fait qu’un tel écart puisse être découvert si tardivement suscite néanmoins la plus grande inquiétude car il soulève des interrogations sur la capacité globale à assurer un suivi rigoureux des comptes. C’est pourquoi l’un des premiers axes de réflexion consiste à accélérer la fréquence de ces exercices de prévision. Cette possibilité demeure toutefois limitée par la disponibilité des données. La meilleure approche consiste donc à exploiter ces informations dès leur réception. Une telle réactivité aurait sans doute permis de détecter cet écart en amont de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) à l’Assemblée nationale.

M. Harry Partouche, sous-directeur des études et des prévisions financières. Aujourd’hui, nous connaissons seulement la distinction entre le marché brut avant remises et le marché net, soit + 5,7 %. Cette approche offre des indications sur l’évolution du marché brut, où un ralentissement est clairement observé par rapport aux prévisions initiales.

M. Pierre Pribile. Il ressort d’ores et déjà une dynamique des dépenses brutes plus soutenue que prévu, ce qui confère à la situation un caractère contre-intuitif. Cette tendance semble accréditer l’hypothèse d’un effet structurel sous-jacent qui alimente cette forte progression des dépenses. Ces informations feront l’objet d’un examen plus approfondi ultérieurement.

M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Cette situation ne met-elle pas en lumière un déficit de communication entre les industriels, qui suivent mensuellement les données de volumes et de tarifs, et la sécurité sociale ?

M. Pierre Pribile. La dépense brute est bien suivie mensuellement, mais les remises restent une variable difficilement prévisible, même pour les industriels qui, malgré un suivi précis, n’avaient pas anticipé l’écart. Après un travail approfondi, ce chiffre a été réajusté à 950 millions d’euros, soulignant la complexité des prévisions. Le débouclage des remises donne par ailleurs lieu à des contestations qui retardent souvent leur versement, rendant le suivi encore plus incertain.

Malgré cette complexité, le système des remises reste un outil essentiel qui offre une flexibilité dans la négociation des prix, permettant d’affiner la régulation plutôt que d’imposer un prix facial. Il permet également d’encadrer l’exploitation commerciale des médicaments, en limitant les bénéfices sur certaines indications médicales jugées moins pertinentes pour la santé publique.

Nous sommes pleinement favorables à la pluriannualité, car elle apporte visibilité et cohérence à la trajectoire budgétaire. L’objectif du PLFSS est d’ailleurs d’inscrire la résorption des écarts dans une logique pluriannuelle, comme en témoigne la résorption progressive du dépassement de 950 millions d’euros. Cette approche ne doit pas servir de prétexte pour reporter les ajustements nécessaires à court terme mais bien pour organiser une régulation efficace dans la durée.

Concernant le paiement des remises, nous partageons l’idée qu’il devrait être avancé. Des discussions sont en cours avec l’industrie pharmaceutique pour mettre en place un versement anticipé sur une base volontaire. Un tel dispositif permettrait un gain financier pour l’assurance maladie, réduisant les frais financiers d’environ 200 millions d’euros. Une disposition législative pourrait encadrer ce versement et l’introduction d’acomptes engageants de la part des laboratoires offrirait un signal précieux sur leurs anticipations de chiffre d’affaires.

Quant aux outils de souveraineté, le mécanisme des avoirs sur remise est le plus utilisé. Il permet de concilier plusieurs objectifs sans distordre les signaux de prix, notamment pour les acheteurs hospitaliers soumis à des impératifs de coût. Intégrer ces dispositifs directement dans le prix facial risquerait de brouiller ces mécanismes. En l’état, ces avoirs constituent un levier efficace pour encourager l’investissement industriel sur le territoire national.

M. le rapporteur général. La hausse continue des dépenses de médicaments, parallèlement à la diminution des remises, interroge sur un éventuel manque à gagner économique et un affaiblissement du marché. Cette situation rend nécessaire une réévaluation de ce système de régulation complexe. Pourriez-vous tout d’abord clarifier la distinction entre les dynamiques des dépenses brutes et nettes ?

En matière de prévisibilité, comment expliquer que Les Entreprises du médicament (Leem) affirment pouvoir verser des montants en continu grâce aux données agrégées des laboratoires, alors qu’un écart de 1 milliard d’euros apparaît dans vos comptes en fin d’exercice ? Cette situation remet-elle en cause la capacité de pilotage du système ? L’amélioration du suivi et des transmissions d’informations pourrait s’inspirer des mécanismes d’acompte appliqués à l’impôt sur les sociétés.

Concernant la programmation, comment passer d’un modèle de prévisions annuelles à une véritable programmation stabilisée ?

Enfin, les avoirs sur remises, qui financent des investissements en France, constituent un levier important pour le Ceps. Si les remises diminuent en raison de ces mécanismes, quel en sera l’impact sur le soutien aux projets d’investissement ?

M. Pierre Pribile. Les capacités de prévision du Leem ne sont pas meilleures que les nôtres, comme en témoigne la découverte tardive de l’écart révisé à 950 millions d’euros. Bien qu’ils possèdent des données individuelles, cela ne leur permet pas d’anticiper plus précisément les écarts, ce qui souligne la difficulté inhérente à cet exercice. Ce ne sont pas les laboratoires qui ont permis d’affiner l’analyse, mais bien notre propre exercice de révision, qui a confirmé une convergence des prévisions. Des discussions avec le Leem sont en cours pour envisager un engagement plus structuré des laboratoires, inspiré du mécanisme d’acompte appliqué à l’impôt sur les sociétés. Une transparence accrue pourrait améliorer la qualité des prévisions et générer un gain de trésorerie pour la sécurité sociale.

En outre, les remises ne diminuent pas en valeur absolue, mais leur croissance ralentit. Elles continuent d’augmenter à un rythme de 20 %, ce qui reste conséquent, et progressent toujours plus vite que la dépense nette, accentuant l’écart entre le prix facial et la dépense réelle.

La clause de sauvegarde, initialement conçue pour absorber d’éventuels dépassements, est désormais utilisée comme un instrument de rendement, avec un objectif d’1,6 milliard d’euros en 2025. Cette évolution interroge sur la pertinence du dispositif, qui n’a pas été imaginé pour cet usage. La complexité du calcul, dépendant des interactions entre laboratoires, constitue un autre défi tant pour l’administration que pour les industriels.

Enfin, la dynamique plus modérée des remises n’affecte pas la valeur des avoirs sur remises, qui restent accordés en valeur absolue et s’imputent sur un volume global de remises toujours élevé, avoisinant les 10 milliards d’euros.

M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Quel est le montant des médicaments stratégiques achetés par Santé publique France ? Quel est son lien avec la clause de sauvegarde ?

M. Pierre Pribile. Nous vous communiquerons des chiffres précis, mais l’ordre de grandeur est de 70 à 80 millions d’euros pour 2024.

Mme Bénédicte Colnet, cheffe du bureau des produits de santé. Ces achats sont intégrés dans la clause de sauvegarde depuis 2024, à l’exception des traitements liés au covid. Dès 2025, tous les médicaments seront inclus dans l’assiette. Les achats de Santé publique France sont désormais pris en compte pour estimer le chiffre d’affaires de l’année suivante et calculer le montant M. Ces prévisions restent toutefois sujettes à des ajustements en fonction des épidémies ou d’autres besoins imprévus. Un échange régulier avec Santé publique France permet de suivre ces évolutions, avec une mise à jour réalisée en fin d’exercice pour ajuster les écarts par rapport aux prévisions initiales.

M. Michel Lauzzana (EPR). Concernant l’accès précoce, devons-nous comprendre qu’une diminution des dépenses a entraîné une moindre remise ?

M. Pierre Pribile. La situation est plus complexe. Si les remises issues du dispositif d’accès précoce ont été inférieures aux prévisions, l’écart total de 950 millions d’euros se répartit en 100 millions de moins d’avoirs sur remises accordés par rapport aux prévisions, 758 millions d’écart sur les remises conventionnelles classiques et 300 millions sur l’accès précoce. Proportionnellement, l’écart est donc bien plus marqué sur ce dernier, du fait d’un montant global plus restreint.

Cet écart ne traduit pas un dysfonctionnement du dispositif, mais la difficulté accrue à établir des prévisions fiables pour ces produits. Contrairement aux autres, il ne s’agit pas seulement d’anticiper un chiffre d’affaires, mais également de prévoir la date et l’issue des négociations, un exercice particulièrement délicat. Il ne faut donc pas en conclure que le dispositif est problématique, mais simplement reconnaître que son caractère incertain en fait un élément plus difficile à intégrer dans une trajectoire budgétaire précise. C’est le revers d’un mécanisme qui, malgré ces contraintes, conserve tout son intérêt.

M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Comment ces 950 millions d’euros de ressources en moins ont-ils été comblées ?

M. Pierre Pribile. En 2024, le dépassement initialement estimé à 1,150 milliard d’euros a été en partie absorbé par la clause de sauvegarde, à hauteur de 300 millions d’euros, entraînant ainsi un dépassement de 850 millions d’euros de l’Ondam 2024. Finalement, l’exécution des comptes a révélé un dépassement réel de 950 millions d’euros, qui est compensé en partie par une moindre dépense brute d’environ 100 millions d’euros mais la clause de sauvegarde aura un rendement inférieur de 200 millions d’euros à celui qui était attendu, de telle sorte que le dépassement constaté est assez proche des estimations faites par la DSS.

L’objectif pour 2025 est de résorber ce dépassement. L’article 9 de la loi de financement prévoit un rendement de la clause de sauvegarde porté à 1,6 milliard d’euros. Des discussions avec les acteurs du secteur sont en cours pour identifier des mesures permettant de ramener les dépenses nettes à leur niveau prévisionnel. L’élément central reste le respect des objectifs de dépenses nettes fixés par le Parlement, indépendamment de la répartition entre dépenses brutes et remises.

Enfin, il serait préférable d’éviter un scénario où la seule clause de sauvegarde, en augmentant continuellement son rendement, absorberait systématiquement les dépassements. L’industrie pharmaceutique partage vraisemblablement cette perspective et d’autres solutions sont à explorer pour éviter cette dynamique.

M. le co-président Cyrille Isaac-Sibille. Qu’en est-il de la dynamique ? De 30 % en 2023 à 8 % en 2024, elle est aujourd’hui réévaluée à 17 % pour 2025 alors même que la tendance de l’évolution des remises est à la baisse.

M. Pierre Pribile. Il est complexe de se prononcer sur ce sujet avec certitude car l’évolution des remises ne relève pas d’une simple tendance générale mais résulte de l’agrégation de plusieurs centaines de prévisions individuelles, chacune soumise à des variables spécifiques.

La prévisibilité des remises est une tâche particulièrement complexe, comme en témoigne l’évolution irrégulière de leur dynamique au fil des années. Le tableau transmis illustre ces variations : 32 % en 2016, 45 % en 2017, 30 % en 2018, 20 % en 2019, 33 % en 2020, 40 % en 2021, puis 33 % en 2022. Ces fluctuations, d’ampleur significative, sont difficilement interprétables d’un point de vue statistique, car elles résultent d’un agrégat de plusieurs centaines de négociations indépendantes, propres à chaque produit et à chaque laboratoire.

Notre travail consiste à actualiser ces prévisions en fonction des dynamiques observées au premier semestre de l’année N, afin de clôturer l’exercice précédent et d’ajuster les prévisions de l’année en cours. À ce jour, bien que ces données ne soient pas encore disponibles, le risque semble similaire à celui de l’année précédente. Il est même légitime de s’interroger sur les raisons pour lesquelles un écart tel que celui de 2024 ne s’est pas produit plus tôt, tout comme il est possible que la tendance s’inverse. Nous ne serons fixés que dans quelques mois.

M. le co-président Cyrille Isaac-Sibille. Prévoyez-vous de réaliser dès cette année une analyse trimestrielle ?

M. Pierre Pribile. En effet. L’augmentation de la fréquence des prévisions, passant de deux à quatre fois par an, constitue aujourd’hui la meilleure amélioration possible, en s’alignant sur le rythme de production des nouvelles données. Cette évolution contribuera à affiner les estimations mais, compte tenu de la complexité des paramètres en jeu, il ne faut pas s’attendre à une amélioration spectaculaire de la fiabilité.

M. le rapporteur général. Une part importante de l’écart constaté provient du secteur accès précoce, avec un montant global de 2 milliards d’euros et un différentiel de 300 millions. Si les difficultés d’estimation sont bien comprises, quelles en sont les causes profondes ? Quelles dynamiques ont été à l’œuvre ? Les négociations sur l’accès précoce ont‑elles joué un rôle ? L’issue des discussions avec le Ceps a-t-elle influencé cette situation ? L’innovation a-t-elle été moins forte cette année, entraînant une dynamique plus faible que prévu ? L’échec de certaines négociations a-t-il conduit à une augmentation des dépenses sociales et à une diminution des remises ?

Pour mieux appréhender la situation, il est essentiel de comprendre ce qui s’est réellement passé au cours de l’année écoulée. L’année à venir pourrait voir des évolutions différentes avec davantage ou moins de mises sur le marché, des négociations Ceps plus abouties. Il s’agit de redonner du sens à ces évolutions pour en améliorer la maîtrise. Le système d’information repose sur quatre cents simulations mais, au-delà de ces projections, il est nécessaire d’identifier les dynamiques fondamentales. Le pilotage de la politique pharmaceutique s’inscrit dans une logique de souveraineté sanitaire et l’accumulation d’instruments de régulation complexifie l’ensemble et rend les prévisions plus incertaines.

Si ces mécanismes ne permettent ni d’atteindre les objectifs fixés, ni d’assurer une production nationale suffisante, il est impératif de repenser le système. Quelles transformations sont nécessaires ? Quels changements relèvent du législateur et quels ajustements peuvent être opérés sans intervention législative ?

M. Pierre Pribile. La réponse dépend avant tout de l’objectif poursuivi. Si la priorité est un pilotage strict des dépenses, il est alors indéniable que les dispositifs d’accès précoce et les mécanismes de remises complexifient la gestion budgétaire. Ces dispositifs ont cependant une finalité différente, puisqu’ils visent notamment à garantir un accès rapide aux innovations médicales. Il serait donc réducteur de sacrifier cet enjeu simplement pour optimiser la régulation des dépenses.

L’administration ne multiplie pas ces mécanismes par pure volonté de complexification mais parce que plusieurs objectifs doivent être conciliés simultanément. Le pilotage des dépenses doit s’articuler avec l’accélération de l’accès aux innovations, la corrélation des coûts à la qualité et à l’impact sur la santé publique, ainsi que la dynamique de souveraineté industrielle. Plus ces objectifs s’accumulent, plus les instruments se diversifient, ce qui complique la gestion budgétaire, mais demeure nécessaire. Malgré cette complexité, nous parvenons à assurer cet équilibre.

Concernant l’accès précoce, il représente une part significative du dépassement constaté puisque, sur un écart total d’un peu moins de 1 milliard d’euros, 300 millions sont liés à ce dispositif. Bien que cette proportion soit minoritaire, elle reste notable, d’autant plus que le total des remises atteint seulement 1 milliard d’euros.

L’écart observé sur l’assiette révèle une dynamique particulière, avec 300 millions sur 1 milliard pour l’accès précoce contre 750 millions pour les autres éléments, qui se rapportent à 8 milliards. Cet écart s’explique par deux raisons principales : d’une part, le dispositif reste récent et il n’est pas certain que son rythme soit stabilisé ; d’autre part, les négociations ont abouti à des conditions moins favorables que prévu.

Un rapport détaillé sur les trois premières années de fonctionnement du dispositif sera bientôt publié, permettant d’en tirer des enseignements. Il est toutefois indéniable que l’accès précoce fonctionne efficacement, assurant une mise à disposition très rapide des produits innovants. Le processus de négociation, bien qu’encadré par un équilibre entre liberté de fixation des prix et mécanisme de remises, est pleinement opérationnel. Si des améliorations sont envisageables, notamment pour accélérer certaines négociations, remettre en cause le dispositif serait une erreur. Son objectif principal n’est pas le pilotage budgétaire mais l’accès à l’innovation, un enjeu que nous devons continuer à concilier avec la maîtrise des dépenses publiques.

M. le co-président Cyrille Isaac-Sibille. Comment envisagez-vous de collaborer avec le Leem pour réduire le volume de médicaments prescrits ?

M. Pierre Pribile. Nous échangeons en effet sur les trois sujets de leur recommandation, y compris sur le chiffrage des mesures envisagées. La principale difficulté réside dans l’évitement des doubles comptes, un point central des discussions. La préoccupation de sincérité budgétaire soulevée par le rapporteur est bien comprise.

Dans le cadre du PLFSS 2025 et de la construction budgétaire globale, des objectifs chiffrés ambitieux ont déjà été intégrés. Le Leem propose des instruments complémentaires, dont l’impact est en cours d’évaluation.

L’objectif est de combiner ces mesures et d’en ajouter d’autres si nécessaire, car celles actuellement identifiées ne suffiront probablement pas à elles seules. L’ambition demeure de résorber le dérapage budgétaire constaté entre 2024 et 2025.

 

 

 

La séance est levée à neuf heures trente.

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