Compte rendu
Commission des affaires sociales
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale
– Audition de la délégation au numérique en santé : M. David Sainati, co-responsable, M. Benjamin Luciani, responsable du pôle Transformations sectorielles, en charge du Ségur, Mme Claire Vigier, responsable du pôle Plateformes numériques et usages, en charge de Mon espace santé, et Mme Diane Josselin, cheffe de mission Pilotage budgétaire et maîtrise des risques 2
Mercredi
7 Mai 2025
Séance de 8 heures 30
Compte rendu n° 08
Session ordinaire 2024-2025
Présidence de
M. Cyrille Isaac-Sibille,
co‑président
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La séance est ouverte à huit heures trente.
(Présidence de M. Cyrille Isaac-Sibille, co-président)
La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale auditionne M. David Sainati, co-responsable de la délégation au numérique en santé, M. Benjamin Luciani, responsable du pôle Transformations sectorielles, en charge du Ségur, et Mme Claire Vigier, responsable du pôle Plateformes numériques et usages, en charge de « Mon espace santé », et Mme Diane Josselin, cheffe de mission Pilotage budgétaire et maîtrise des risques.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, ainsi qu’à notre questionnaire. Je vous invite d’abord à présenter la délégation au numérique en santé (DNS) et ses relations avec l’Agence du numérique en santé (ANS) et la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam).
M. David Sainati, co-responsable de la délégation au numérique en santé. La DNS est une direction du ministère de la santé, composée d’une cinquantaine de personnes. Elle représente le ministère au conseil d’administration du groupement d’intérêt public de l’ANS, dont elle assure la tutelle. Nous collaborons étroitement avec la Cnam sur la feuille de route du numérique en santé, notamment en tant que coresponsables de traitement de « Mon espace santé ».
La DNS pilote la stratégie nationale du numérique en santé, déclinée en feuilles de route quinquennales. Nous en sommes actuellement à la deuxième feuille de route, couvrant la période 2023-2027. Cette feuille de route, coconstruite avec l’ensemble de l’écosystème public, privé et associatif, comprend une soixantaine d’actions mises en œuvre par nos partenaires, dont la Cnam, l’ANS, les agences régionales de santé et leurs groupements régionaux d’appui au développement de l’e‑santé. L’objectif de cette feuille de route est d’établir les fondements techniques et éthiques d’un numérique en santé souverain et efficient, selon un modèle d’« État plateforme », dans lequel la DNS développe avec l’ANS des référentiels d’éthique, d’interopérabilité et de sécurité, mais aussi des services socles que les acteurs publics et privés utiliseront pour créer des services à destination des professionnels et des patients.
Il s’agit ainsi de faciliter le partage sécurisé des données de santé, permettant aux patients de gérer leurs informations médicales via Mon espace santé, et aux professionnels de santé d’accéder efficacement à l’historique médical de leurs patients. Le programme Ségur du numérique finance ces objectifs dans le cadre du plan national de relance et de résilience, volet européen du plan de relance, à hauteur de 2 milliards d’euros, qui seront remboursés, ce programme ayant fait l’objet d’audits positifs par l’Inspection générale des affaires sociales et la Commission européenne.
M. Benjamin Luciani, responsable du pôle Transformations sectorielles, en charge du Ségur. Nous avons identifié quatre leviers d’action complémentaires pour faciliter la circulation des données de santé en France.
Le premier consiste en la création d’un véritable carnet de santé numérique, Mon espace santé, sécurisé et universel, pour l’ensemble des assurés sociaux.
Le deuxième levier concerne le financement de la mise à jour des logiciels des professionnels de santé pour les adapter au partage des données, sur la base d’exigences précises garantissant leur conformité.
En troisième lieu, des financements ont été conditionnés à l’atteinte de seuils d’usage numérique pour soutenir les projets de transformation des pratiques et des organisations des professionnels et des établissements de santé.
Enfin, le quatrième levier introduit des mesures plus coercitives, incluant des obligations réglementaires pour les industriels, avec des sanctions potentielles en cas de non‑respect des référentiels techniques, ainsi que des obligations de partage numérique des documents de santé pour les professionnels, inscrites dans le code de la santé publique.
Par ailleurs, pour que les professionnels contribuent au dossier médical partagé (DMP), il fallait que les usagers le remplissent. À cette fin, nous avons procédé en trois étapes. Nous avons commencé par créer automatiquement un profil Mon espace santé pour tous les assurés sociaux. La première vague du Ségur numérique visait ensuite à alimenter ces espaces en documents de santé envoyés avec un minimum d’effort par les professionnels. Enfin, la deuxième vague du Ségur numérique consiste actuellement à rendre ces informations aisément accessibles aux professionnels sur le profil Mon espace santé de leurs patients.
Mme Claire Vigier, responsable du pôle Plateformes numériques et usages, en charge de Mon espace santé. Presque tous les usagers disposent désormais d’un espace santé ouvert, ce qui leur permet de recevoir des documents de santé et des messages provenant des professionnels de santé. 30 % de la population a activé cet espace, c’est-à-dire s’y est connectée au moins une fois. Ces activations sont en progression depuis six mois, avec près de 750 000 activations mensuelles actuellement. Une fois l’espace santé activé, les patients l’utilisent principalement pour la consultation des documents de santé, pour 7 millions de consultations mensuelles, puis le rattrapage des historiques médicaux, pour 2,5 millions de personnes.
L’alimentation en documents de ces espaces de santé par les professionnels a ainsi pu progresser de manière spectaculaire. Près de 250 éditeurs ont à cette fin mis à jour leurs solutions, couvrant ainsi la quasi-totalité des acteurs de soins avec des logiciels techniquement compatibles. Un document de santé produit sur deux – 50 % des lettres de liaison hospitalière, 40 % des documents d’imagerie, etc. – est aujourd’hui versé dans Mon espace santé. L’objectif est d’atteindre un taux de 100 %, par l’accompagnement des professionnels d’abord, avant d’envisager la coercition. 60 000 professionnels libéraux, soit un sur deux, alimentent le DMP mensuellement, et près d’un tiers le consultent chaque mois, souvent directement depuis leurs logiciels métiers. La situation est plus complexe à l’hôpital, où l’accès au DMP nécessite l’utilisation d’un site internet distinct. La deuxième vague du Ségur numérique vise à faciliter cet accès.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Il n’existe toujours pas de carnet de vaccination électronique, alors qu’en 2019, le directeur de la Cnam m’avait assuré en audition qu’il serait mis en place avant la fin de l’année. Manquons-nous de moyens humains ou financiers à cette fin, ou n’est-il pas jugé prioritaire ? Cet outil simple et d’utilité évidente est pourtant développé dans certaines régions, et systématisé rigoureusement pour les animaux de compagnie.
De même, au regard du milliard d’actes médicaux réalisés annuellement, les 35 millions de documents mensuels que vous mentionnez semblent encore insuffisants. En tant que médecin, je sais que les premières informations que nous recherchons sur un patient concernent ses allergies, les médicaments prescrits, puis l’historique de ses pathologies. Pourquoi ces éléments n’apparaissent-ils pas systématiquement dès l’ouverture de l’espace santé d’un patient ? Pourquoi, par exemple, les données de remboursement des médicaments ne sont-elles pas automatiquement intégrées par les pharmacies ?
Mme Claire Vigier. L’historique des remboursements de médicaments est déjà accessible aux professionnels de santé, mais uniquement pour les 30 % de la population ayant activé leur espace santé. Nous discutons actuellement pour déterminer si nous devons rendre ces informations visibles pour tous les professionnels, même si les patients n’ont pas activé leur espace.
Une rubrique dédiée au carnet de vaccination existe également dans Mon espace santé. Y figurent notamment les rappels de vaccination à effectuer en fonction de l’âge de l’usager, et nous travaillons à y intégrer les recommandations de vaccination spécifiques liées à d’éventuelles pathologies à risque. Des notifications sont également mises en place pour inciter à se faire vacciner. Pour que les professionnels de santé incrémentent automatiquement ce carnet de vaccination, il faut ensuite que les logiciels qu’ils utilisent le permettent. Presque 100 % des vaccinations effectuées en pharmacie sont ainsi automatiquement intégrées au carnet de vaccination du DMP. Le logiciel de la médecine de ville devrait également prévoir cette remontée d’information automatique début 2026. Il reste maintenant à traiter les logiciels destinés aux paramédicaux, qui n’étaient pas encore concernés.
M. Benjamin Luciani. L’un des principaux obstacles à la systématisation de ce processus automatique réside dans la qualification de l’identité nationale de santé, qui nécessite, lors de la première rencontre avec le patient, une comparaison des informations de sa carte vitale avec un titre d’identité officiel, afin notamment d’éviter l’envoi de documents médicaux dans le dossier d’un autre patient. Les pharmacies et laboratoires de biologie médicale adoptent progressivement cette nouvelle pratique, mais la mettre en place dans des milliers d’établissements nécessite du temps, notamment pour la formation du personnel d’accueil.
M. Michel Lauzzana (EPR). Avec l’essor de l’intelligence artificielle notamment, l’utilisation des données de santé devient un enjeu crucial pour le développement de la recherche. Or, la France semble connaître un certain recul dans ce domaine, la plupart des acteurs se plaignant des obstacles liés à la complexité réglementaire. Comment y remédier selon vous ?
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Une question à cet égard concerne la coordination entre le Système national des données de santé (SNDS), Mon espace santé, qui constitue plutôt un coffre-fort numérique, et les entrepôts de santé.
M. David Sainati. Pour qu’elles puissent servir à la recherche, les données de santé doivent d’abord avoir été renseignées dans Mon espace santé. C’est cette « utilisation primaire » des données, plutôt que leur « utilisation secondaire » à des fins de recherche, que nous cherchons à développer dans le cadre du Ségur du numérique en santé.
En moyenne, les chercheurs doivent attendre dix‑huit mois pour accéder aux données du SNDS, car il est hébergé par la Cnam, dont le système n’est pas adapté au nombre de demandes qui lui parviennent. Pour remédier à cette situation, la plateforme des données de santé a été créée en 2019, mais des contraintes techniques et d’hébergement ont empêché d’y transférer les données du SNDS.
Sans lien direct avec l’engouement récent pour l’intelligence artificielle, nous travaillons depuis plus d’un an sur une feuille de route interministérielle, qui devrait être publiée prochainement, concernant l’utilisation secondaire des données de santé. Un appel d’offres sera notamment ouvert dans les prochains mois pour permettre à la plateforme des données de santé d’intégrer la base principale du SNDS sur une solution souveraine.
À l’aide de fonds alloués à la santé numérique dans le cadre de France 2030, nous avons également financé la création d’entrepôts de données hospitaliers dans la quasi‑totalité des centres hospitaliers universitaires, ainsi que leur consolidation au sein de consortiums d’établissements. Ces entrepôts de données permettent aux chercheurs de consulter des données de santé issues directement des soins, tandis que la base principale du SNDS contient des données médico-administratives qui doivent être associées à d’autres informations pour être pleinement exploitables en recherche.
Par ailleurs, un nouveau règlement de l’espace européen des données de santé prévoit d’ici 2029 ou 2031 la mise à disposition par défaut des données de santé pour la recherche et l’innovation, dans le cadre de finalités et d’exigences de sécurité bien définies. Il faudra y adapter Mon espace santé et la réglementation française, notamment la loi « informatique et libertés ».
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Les derniers arbitrages concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 impacteront-ils significativement le numérique en santé selon vous ? Nécessiteront-ils une révision de vos plans d’investissement ?
Quelle coordination prévoyez-vous entre Mon espace santé et les multiples systèmes d’information spécifiques développés par les établissements de santé et certaines régions ? Cette question est notamment cruciale pour éviter la redondance des actes médicaux. Une bonne interconnexion avec l’Établissement français du sang (EFS) est également essentielle pour faciliter la connaissance des groupes sanguins et ainsi accélérer considérablement certaines interventions, ou éviter des traitements inutiles ou potentiellement dangereux.
Sachant par exemple que seules 50 % des femmes de 50 à 75 ans réalisent un dépistage du cancer du sein, le DMP pourrait-il servir à générer des rappels automatiques, potentiellement assistés par l’intelligence artificielle ? Pourrait-il également alerter les pharmaciens de la nécessité de renouveler les ordonnances de personnes en perte d’autonomie ?
Mon espace santé semble actuellement conçu dans une logique unidirectionnelle : le professionnel alimente, le patient consulte. Avez-vous prévu une interaction plus dynamique entre les professionnels, notamment dans le cadre des équipes de soins primaires et des maisons de santé pluriprofessionnelles ?
Plus généralement, quelle est votre stratégie pour intégrer les innovations émergentes – concernant la conciliation médicamenteuse, ou le signalement des effets indésirables des médicaments, etc. – à votre plateforme, dans un contexte de contraintes budgétaires ? L’allocation destinée au Fonds national pour l’innovation en santé (Fnis) a notamment été moindre que prévu.
M. David Sainati. Nous avons effectivement été impactés par les services votés en 2025, et par l’impossibilité de passer des commandes tant que le budget n’avait pas été voté. Cependant, le financement du Ségur numérique sera remboursé par l’Union européenne dans le cadre du plan national de relance et de résilience.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. N’avez-vous pas déjà dépensé l’intégralité de ce financement ?
M. Benjamin Luciani. Les dernières restrictions budgétaires qui ont impacté le Fnis sont intervenues alors que la grande majorité des 2 milliards d’euros alloués au Ségur numérique avaient déjà été votés, de sorte qu’elles ont surtout eu pour effet de reporter à 2026 l’engagement de certains fonds initialement prévu pour 2025, notamment une partie de la deuxième vague relative au secteur médico-social. Nous comptons donc sur le PLFSS 2026 pour finaliser la gestion de ces 2 milliards d’euros.
M. David Sainati. L’enjeu principal concerne ce qui se passera après ce programme Ségur, qui a fait de la France un leader européen en matière de numérique en santé. Le nouveau règlement de l’espace européen des données de santé, que nous avons contribué à négocier, devrait permettre de conforter durablement cette position. Cependant, ces fonds Ségur sont temporaires. Dès l’année prochaine, les budgets de fonctionnement et d’intervention de l’ANS pourraient diminuer de 30 à 40 %. Il est donc impératif de trouver un modèle de financement pérenne pour les activités du numérique en santé en France.
M. Benjamin Luciani. Concernant l’imagerie médicale, la nécessité d’un partage à l’échelle nationale s’est rapidement imposée, notamment pour anticiper le partage au niveau européen qu’imposera le règlement européen European Health Data Space (EHDS).
Pour répondre à ce besoin, nous avons lancé en 2021 le réseau national DRIM‑M de partage sécurisé des images médicales, en collaboration avec les radiologues, les médecins nucléaires et les industriels du secteur. La vague 2 du Ségur prévoit de financer l’installation, chez l’ensemble des détenteurs de données d’imagerie, de logiciels appelés DRIM‑Box, qui permettront d’interconnecter leurs lieux de stockage d’imagerie, et d’y renvoyer depuis le DMP. Les spécifications de ces dispositifs ont été publiées en février, et les industriels développent actuellement des solutions afférentes, qui seront ensuite certifiées par l’ANS avant leur déploiement, que nous prévoyons sur deux ans.
Ce partage d’images brutes, plutôt que de comptes rendus comme actuellement, permettra par exemple une deuxième lecture à distance dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
Mme Claire Vigier. Des actions de prévention personnalisée sont prévues dans le cadre de Mon espace santé, pour améliorer par exemple le taux de recours au dépistage, puisque le cadre réglementaire autorise désormais l’exploitation de données pour un ciblage plus précis. Depuis l’année dernière, il revient à la Cnam d’envoyer des invitations concernant les trois dépistages organisés, mais nous intervenons en complément, par le biais de l’agenda numérique notamment. Nous affinons actuellement nos mécanismes de ciblage et de notification pour maximiser notre impact à cet égard.
Parallèlement, nous travaillons sur la mise à disposition des résultats de tous ces dépistages pour éviter notamment la redondance des actes. Actuellement, le professionnel de santé produisant un compte rendu ou une analyse n’est généralement pas en contact direct avec le patient, ce qui pose les problèmes d’« identito-vigilance » mentionnés par M. Benjamin Luciani. Pour y répondre, nous avons instauré un système « en Y », consistant à envoyer simultanément les résultats au DMP du patient et au médecin prescripteur ou traitant, via la messagerie sécurisée de santé, qui remplace ainsi le courrier historique.
Par ailleurs, Mon espace santé permet déjà au patient d’indiquer manuellement son groupe sanguin, mais l’EFS considère que même une photographie de la carte de groupe sanguin ne permet pas de fiabiliser suffisamment cette donnée pour éviter des examens supplémentaires avant une transfusion. Nous travaillons donc sur la mise en place de flux avec l’EFS permettant de récupérer ces informations de manière sécurisée et certifiée.
M. le président Cyrille Isaac-Sibille. Face à la multiplicité des plateformes existantes, telles que le SNDS, Ameli, et Mon espace santé, une simplification n’est-elle pas nécessaire ?
Au regard des investissements considérables requis par le financement du numérique en santé, ne devrions-nous pas envisager d’imposer aux hôpitaux un budget minimal dédié au numérique ?
Une rationalisation des logiciels de santé disponibles n’est-elle pas requise également ? Aux États-Unis, le logiciel Epic s’est généralisé, et un amendement vient de conditionner les remboursements à l’interopérabilité et au partage systématique des données. Ne pourrions-nous pas également envisager de conditionner le financement d’un acte par la Cnam au versement automatique des résultats dans le DMP ?
Je vous invite à nous faire parvenir des propositions complémentaires sur ces différents points en vue du prochain PLFSS.
La séance est levée à neuf heures trente.