Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Olivennes, directeur général d’Audiens, Mme Caroline Rogard, directrice de la communication et Mme Carla Ballivian, responsable des actions sociales              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Namias, ancien directeur de l’information de TF1 14

– Présences en réunion................................27

 


Jeudi
7 novembre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Olivennes, directeur général d’Audiens, Mme Caroline Rogard, directrice de la communication et Mme Carla Ballivian, responsable des actions sociales.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous commençons la deuxième journée d’auditions depuis la reprise, le 5 novembre, de cette commission d’enquête visant à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.

Je souhaite la bienvenue à M. Frédéric Olivennes et Mmes Caroline Rogard et Carla Ballivian, respectivement directeur général, directrice de la communication et responsable des actions sociales d’Audiens, groupe de protection sociale à but non lucratif spécialisé dans les secteurs de la culture, de la communication et des médias.

En 2020, Audiens a créé, en lien avec le ministère de la culture, une cellule d’écoute gratuite et anonyme à destination des victimes et des témoins de violences sexistes et sexuelles, qui a progressivement été étendue à l’ensemble des secteurs culturels. Dans ce cadre, votre mission est d’orienter les professionnels de la culture qui vous sollicitent vers des psychologues cliniciens et, ou, vers une consultation juridique spécialisée.

D’après votre rapport annuel, vous avez pris en charge pas moins de 546 appelants en 2023, et plus de 1 000 depuis la création de votre numéro d’écoute – des chiffres qui nous interpellent. La cellule est manifestement très vite entrée dans le paysage et nous sommes évidemment très intéressés d’entendre le bilan que vous ferez de ces premières années d’existence.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Frédéric Olivennes, Mme Caroline Rogard et Mme Carla Ballivian prêtent successivement serment.)

M. Frédéric Olivennes, directeur général d’Audiens. Avant toute chose, je tiens à saluer la reprise des travaux de cette commission d’enquête, car la situation des secteurs qui nous intéressent demeure profondément insatisfaisante.

Je commencerai par présenter le groupe Audiens, puis mes collègues et moi-même décrirons le fonctionnement de la cellule d’écoute, esquisserons un premier bilan de son activité et formulerons quelques préconisations issues de notre expérience.

Vous l’avez dit, Audiens est un groupe de protection sociale – un GPS –, ce qui signifie que nous sommes régis par le code de la sécurité sociale. Parmi les organismes comparables au nôtre, les plus connus sont AG2R La Mondiale et Malakoff Humanis, des sociétés toutefois dix fois plus grandes que la nôtre.

Notre activité découle de l’histoire de la protection sociale par branches et comprend, d’une part, la retraite complémentaire dans le cadre du régime Agirc-Arrco, et, d’autre part, l’assurance santé et la prévoyance complémentaire collective – même si nous ne nous adressons pas qu’aux entreprises et couvrons aussi des indépendants. Nous gérons également la caisse des congés spectacles à destination des artistes et techniciens intermittents du spectacle, à l’image de celles qui existent, par exemple, dans le secteur du bâtiment pour les professionnels multi-employeurs.

Nos conseils d’administration sont paritaires : y siègent des personnes désignées par les organisations patronales et syndicales des secteurs que nous protégeons.

Deux spécificités font de nous un acteur à part dans le système français : notre taille, que j’ai mentionnée, et notre dimension affinitaire.

Notre groupe est composé de 600 personnes, travaillant toutes à Vanves, et notre budget de fonctionnement est inférieur à 100 millions d’euros. Nous protégeons environ 1 million de personnes en France, aussi bien les assurés principaux que leurs familles, ce qui fait de nous un acteur à taille humaine dans l’univers de la protection sociale paritaire.

De plus, nous sommes l’un des rares groupes à avoir choisi de rester affinitaire, c’est-à-dire concentré sur des professions spécifiques : en l’occurrence celles de la création, de l’information et des loisirs.

Nous couvrons des journaux – comme Le Télégramme ou Le Parisien, que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur, madame la présidente – ; des diffuseurs ; l’audiovisuel public ; des chaînes locales privées ; des producteurs de disques, de films et de télévision – petits et gros, de fiction ou de documentaire – ; l’essentiel des structures du spectacle vivant – l’Opéra de Paris, par exemple, mais aussi des troupes et des lieux indépendants, privés, associatifs ou commerciaux – ; des parcs d’attractions ; des musées ; des entreprises technologiques comme Deezer, société de streaming musical, ou Illumination, fleuron mondial de la fabrication de dessins animés qui emploie 1 000 personnes en France ; ou encore des maisons d’édition comme Gallimard ou Delcourt.

Au total, nous couvrons 45 000 structures, essentiellement de petite taille, c’est-à-dire de moins de dix salariés. La plus grande est France Télévisions, mais nous protégeons aussi les trente-huit salariés du Théâtre de Cornouailles, dans le Finistère, monsieur le rapporteur, ainsi que la dizaine de salariés du 13e Art, dans le 13e arrondissement de Paris, madame la présidente – ce clin d’œil pour illustrer la diversité des structures couvertes par Audiens.

Et outre ces professions, secteurs et entreprises, nous nous adressons aussi à deux catégories de salariés multi-employeurs : les journalistes rémunérés à la pige et les artistes et techniciens intermittents du spectacle. Ces professionnels nous font confiance – ce qui nous honore –, car nous connaissons bien leurs besoins spécifiques. À ces populations parfois très modestes et qui n’intéressent pas vraiment les grands groupes que j’ai cités plus tôt, nous sommes capables d’apporter des réponses pertinentes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pardonnez-moi de vous interrompre, mais protégez-vous aussi les scénaristes indépendants ?

M. Frédéric Olivennes. Nous ne protégeons des autrices et auteurs scénaristes que s’ils ont également une rémunération en tant qu’intermittent. Nous nous intéressons beaucoup à la protection sociale de ces professionnels et nous sommes à votre disposition pour l’aborder, mais cela susciterait une discussion assez longue.

Si vous me le permettez, je reviens sur notre spécialisation, en donnant deux exemples de notre savoir-faire.

Premièrement, pour une carrière classique dans le privé, le calcul de la retraite complémentaire demande la reconstitution d’une quarantaine de lignes, quand, pour un ou une artiste, il peut être nécessaire d’en retrouver 1 000 ! Il s’agit d’une expertise que nous sommes les seuls à posséder. Et quand, à force de temps et de savoir-faire, nous parvenons à améliorer de 30 euros par mois une retraite dont le montant est inférieur à 1 000 euros, cela fait une grande différence pour la personne concernée.

Deuxièmement, nous avons créé une mutuelle dont bénéficient les professionnels multi-employeurs tout au long de l’année, et pas seulement pendant leurs périodes d’activité. Il s’agit d’une sorte de portabilité ou de continuum de protection sociale, dont le montage technique, élaboré, est l’un des plus innovants en France.

C’est cette connaissance aiguë des métiers de la culture et de leurs besoins propres qui a conduit l’État et certaines associations à nous déléguer depuis plusieurs années l’application de certaines politiques sociales. C’est le cas du fonds de professionnalisation et de solidarité des artistes et techniciens du spectacle, qui vise à sécuriser les parcours professionnels ; de la gestion de la caisse des congés spectacles que j’ai évoquée et que le ministère du travail nous a confiée ; ou encore de la mission handicap pour le spectacle pour laquelle l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) nous a mandatés et qui consiste à aider les entreprises, notamment par le biais de job dating, à faire appel à des professionnels en situation de handicap.

À ce titre, nous gérons les cotisations des entreprises et des salariés, c’est-à-dire, l’argent de l’État, ce qui requiert bien sûr d’avoir une gestion parfaitement rigoureuse – ce dont la Cour des comptes a d’ailleurs attesté dans son rapport consacré à la caisse des congés.

Enfin, je précise que nous nous efforçons de mener une politique exemplaire vis-à-vis de nos propres équipes. Nous bénéficions du label Diversité depuis quinze ans, l’index d’égalité professionnelle nous donne la note de 97 sur 100, et nous employons 15 % de personnes en situation de handicap. Je vous épargne la longue liste des engagements du groupe à l’égard de ses équipes, mais c’est parce que nous fonctionnons ainsi depuis vingt ans et que nous sommes le tiers de confiance du secteur que les professionnels ont estimé que nous pouvions aussi être l’opérateur de la cellule d’écoute.

Cette cellule, j’y viens, repose sur trois piliers fondamentaux.

Le premier est un pilotage totalement transparent et collectif, selon un cahier des charges co-construit par les partenaires sociaux, le ministère de la culture et nous-mêmes.

Le deuxième est l’accompagnement des victimes par des partenaires tiers experts, en l’occurrence des psychologues et des avocats, conjointement choisis et contrôlés par Audiens.

Le troisième est la priorité donnée à la prévention, avec la communication massive du numéro de téléphone de la cellule.

En quatre ans d’existence, celle-ci n’a évidemment pas réglé les problèmes du secteur, dont l’ampleur demeure inacceptable. À l’évidence, ce dispositif ne peut être qu’un des leviers de réponse et doit s’inscrire dans le cadre d’une politique globale.

Nous estimons néanmoins que la cellule a prouvé son utilité et qu’elle a progressivement gagné en visibilité, au point de s’imposer désormais dans l’environnement culturel et audiovisuel. Les chiffres, que vous avez évoqués et que nous préciserons dans un instant, en témoignent.

Si les professionnels sont de plus en plus nombreux chaque année à faire appel à cette structure, c’est parce qu’ils savent qu’elle est opérée par Audiens et qu’ils ont confiance en nous – la confiance qui est un élément absolument central pour les victimes.

J’en terminerai par trois suggestions. L’information des professionnels pourrait être encore meilleure grâce, par exemple, à une obligation d’affichage du numéro de téléphone de la cellule sur les lieux de travail. Ses horaires d’accueil pourraient être étendus ou revus. Et une réflexion pourrait être engagée en vue d’une meilleure prise en charge financière des procédures pour les victimes.

Mme Caroline Rogard, directrice de la communication d’Audiens. En quelques mots, je présenterai l’origine et la genèse de la cellule d’écoute.

Issue de l’affaire Weinstein et de l’émergence du mouvement #MeToo en 2017, sa création a été annoncée en 2019 par Franck Riester, alors ministre de la Culture, lors des assises du collectif 50/50, qui se déroulaient au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Elle a été fondée à l’initiative des organisations patronales et syndicales du secteur de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique et du spectacle vivant, à commencer par la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) et la CGT Spectacle, qui fut particulièrement active, mais nous pouvons aussi citer la CFE-CGC, la CFTC, la Fasap-Force ouvrière, ainsi que la CFDT. Et elle s’inscrit dans le cadre d’un plan d’action global, annoncé par la Fesac en 2020, contre les violences sexistes et sexuelles et pour l’égalité.

Lancée en pleine crise sanitaire, la cellule a mis un peu de temps à devenir opérationnelle, mais c’est aussi grâce à cette période d’accalmie professionnelle, au cours de laquelle il n’y avait ni tournages, ni tournées, que le comité de pilotage, auquel le ministère de la culture et les partenaires sociaux ont également participé, a pu réfléchir à sa structuration et à la stratégie de communication.

La cellule a été formellement créée en juin 2020, le ministère de la culture lui ayant accordé son soutien financier dès le début, tout comme la Fesac, le Centre national de la musique (CNM), ainsi que le groupe Audiens lui-même. Par la suite, d’autres partenaires se sont associés à son financement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quel est le budget de la cellule ?

Mme Carla Ballivian, responsable des actions sociales d’Audiens. En 2020, le budget de la cellule s’est élevé à 306 000 euros, le ministère de la culture contribuant à hauteur de 250 000 euros, la Fesac de 20 000 euros et Audiens de 36 000 euros. Depuis, son budget a été ajusté en fonction de l’activité constatée. Pour l’année 2024, il atteint 141 000 euros et provient pour 82 000 euros du ministère et pour 29 000 euros de la Fesac, le reste venant des autres partenaires.

Mme Caroline Rogard. Je précise que, depuis son lancement, la cellule s’adresse aux salariés permanents du spectacle vivant et enregistré, ainsi qu’aux artistes et techniciens intermittents, femmes et hommes. Depuis, le périmètre a été élargi à d’autres artistes et secteurs. En 2021, le Syndicat national du jeu vidéo a intégré la cellule, permettant à tous les salariés du secteur d’y accéder. En 2022, la cellule a été étendue aux auteurs et professionnels des arts visuels. En 2023, ce fut au tour de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) de nous rejoindre. Et cette année, le Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (Snelac) et le Syndicat national de l’édition ont également rallié notre structure.

Cette croissance montre que les parties prenantes se mobilisent progressivement pour avancer sur la question du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles. En conséquence, nous avons aussi étendu nos moyens de communication.

Mme Carla Ballivian. Pour conclure la présentation de la cellule, je précise que celle-ci est composée de trois types d’intervenants.

Les premiers sont chargés de l’accueil des victimes. Nous nous appuyons en l’occurrence sur huit conseillères en action sociale spécialisées dans le traitement des situations de fragilité et formées sur les enjeux liés aux violences sexuelles et sexistes. Travaillant chez Audiens depuis très longtemps, ces conseillères écoutent et orientent les victimes et les témoins en fonction de leurs besoins.

C’est alors que des psychologues cliniciennes – deuxième catégorie d’intervenants – peuvent prendre le relais. Elles aussi travaillent chez Audiens de longue date et savent donc exactement comment sont exercées les différentes professions.

Enfin, deux avocats, spécialisés en droit pénal et droit social et choisis par les partenaires sociaux et le ministère de la culture après un appel à la concurrence, peuvent également prendre en charge les personnes qui nous sollicitent.

La cellule elle-même est installée au sein de la direction des actions sociales et des relations avec les branches professionnelles d’Audiens – ce qui a aussi son importance.

Les professionnels qui requièrent de l’aide n’ont qu’à composer le 01 87 20 30 90 pour être directement accueillis par nos conseillères en accompagnement solidaire et social. À l’origine, la ligne était accessible de huit heures trente à dix heures trente et de dix-sept heures à vingt et une heures, mais comme 70 % des appels avaient lieu hors de ces créneaux, nous avons élargi l’accueil téléphonique dès 2021, la ligne étant désormais ouverte de neuf heures à treize heures et de quatorze heures et à dix-huit heures.

Depuis son lancement, la plateforme a reçu 2 744 appels et 211 e-mails. Entre 2020 et 2022, il y a eu 877 appels, dont 364 dans les horaires d’ouverture. Pour la seule année 2023, nous sommes passés à 812 appels, dont 546 dans les horaires d’ouverture. Et en 2024, nous comptabilisons déjà 446 appels, dont 341 dans les horaires d’ouverture. Au total, nous avons traité 1 527 appels et e-mails dans les horaires d’ouverture. Tous n’entrent pas dans le périmètre de la cellule, celle-ci étant destinée aux seules violences sexuelles et sexistes commises dans les milieux professionnels qui nous concernent. Bien entendu, nous redirigeons toutes les demandes que nous ne pouvons traiter vers les autres structures dédiées, comme la cellule externe du ministère de la culture, qui est opérée par le cabinet Concept RSE. En définitive, nous avons accompagné 462 personnes entrant dans notre champ d’action.

Pour entrer dans le détail des profils, 54 % des sollicitations que nous avons reçues émanaient de victimes, 17 % de témoins, les autres étant des demandes d’informations de la part de référents d’entreprise ou d’association sur les violences sexuelles et sexistes.

En ce qui concerne les solutions proposées, la première année, elles ont surtout pris la forme d’informations sur les formations disponibles, puis nous avons mis l’accent sur les dispositifs qui ont été progressivement créés.

Au 30 septembre 2024, 156 personnes ont été orientées vers nos psychologues et 201 vers nos avocats. Ces chiffres sont en forte augmentation, les demandes de soutien psychologique et juridique ayant progressé respectivement de 62 % et de 40 % entre 2022 et 2023. En 2024, nous avons déjà orienté 70 personnes vers nos avocats, contre 53 pour l’ensemble de l’année dernière.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je m’étonne que vous orientiez davantage de personnes vers des avocats que vers des psychologues. Quelle est la gravité des faits dont les victimes vous font part et quel est leur profil ?

Mme Carla Ballivian. Si davantage de personnes sont orientées vers un avocat que vers un psychologue, c’est parce qu’un nombre assez important de victimes bénéficient déjà d’un suivi psychologique.

Quant au profil des victimes et des témoins que nous accompagnons, sachez d’abord qu’il y a 83 % de femmes, contre 17 % d’hommes.

En ce qui concerne l’âge, dans la mesure où 50 % des personnes qui nous appellent ne souhaitent pas le communiquer et que nous ne les y obligeons aucunement, il nous est difficile d’établir une statistique fiable. S’agissant des personnes ayant donné leur âge, 1 % seulement a moins de 25 ans – ce qui signifie que nous échouons à toucher les plus jeunes victimes –, 22 % ont entre 25 et 35 ans, 16 % ont entre 35 et 45 ans et 11 % ont plus de 45 ans.

Pour ce qui est du secteur d’activité, 65 % des personnes que nous accompagnons actuellement travaillent dans le spectacle vivant. Alors qu’ils étaient majoritaires en 2020 et 2021, les professionnels du spectacle enregistré ne représentent plus qu’environ un tiers des personnes prises en charge, les auteurs et autrices comptants, eux, pour 2 % et les salariés des arts visuels pour 1 %.

S’agissant de la date de survenance des faits, dans 51 % des cas, ceux-ci ont eu lieu il y a moins d’un an, alors qu’à l’origine les appels concernaient davantage des faits commis plus de cinq ans avant. Dans 29 % des cas, les faits remontent à plus d’un an et le reste du temps, la personne n’a pas souhaité nous donner d’information à ce sujet.

Quant à la qualification juridique, 49 % des dossiers concernent des agressions physiques pouvant aller jusqu’au viol et 51 % ont trait à des comportements ou des propos sexistes et sexuels. Au total, dans 70 % des cas, les faits auraient été commis par un supérieur hiérarchique.

Je ne peux bien sûr pas donner de détails sur la nature des faits communiqués par les victimes et les témoins à nos avocats, mais il peut s’agir de remarques à connotation sexuelle ou sexiste, de plaisanteries ou propos déplacés – notamment sur la tenue vestimentaire – ou homophobes, de questions sur la vie privée, de harcèlement sexuel, de massages non consentis, de frottements, de masturbations, d’exhibition sexuelle, de tentatives d’agression, d’agression, voire de viol.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous remercie pour toutes ces informations.

Les huit personnes chargées de répondre aux appels travaillent-elles simultanément ? Demandé autrement : vos moyens sont-ils suffisants, ou bien arrive-t-il que le téléphone sonne sans que vous ne soyez en mesure de décrocher ? Je pose cette question, car certains numéros, notamment ceux dédiés au harcèlement scolaire, sont saturés.

Par ailleurs, je suis surpris du budget que vous avez indiqué, car je ne sais pas comment vous pouvez payer huit salariées avec 141 000 euros par an. De plus, outre les fonds alloués par le ministère de la culture, ne pensez-vous pas que l’écosystème de la culture devrait également contribuer au financement de la cellule ? Je mets les pieds dans le plat, mais il me semble que, de cette manière, la portée du dispositif et la qualité de l’accompagnement, qui est certes déjà élevée, s’en trouveraient renforcées.

M. Frédéric Olivennes. Alors que les psychologues et les avocats sont des prestataires extérieurs, les huit conseillères en action sociale sont des salariées d’Audiens, dont la rémunération n’est pas valorisée dans les 30 000 euros de budget qui ont été évoqués. Leur participation à la cellule d’écoute est financée sur les deniers d’Audiens, au titre de sa politique d’action sociale. Bien que ces huit conseillères ne travaillent pas toutes simultanément pour la cellule, aucune surcharge de la ligne n’a été constatée. En dehors des horaires d’ouverture, les appelants sont invités à envoyer un e-mail et sont rappelés.

Audiens pourrait augmenter les moyens consacrés à cette cellule d’écoute ; nous le ferons le moment venu. Indépendamment du budget alloué par le ministère, les professionnels du secteur contribuent déjà au financement de celle-ci ; eux aussi pourraient augmenter leur participation, mais il ne nous appartient pas de décider dans quelles proportions et dans quel but. Nous sommes un groupe paritaire : ces sujets doivent être traités de façon paritaire.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Une fois le témoignage déposé, après avoir orienté les victimes vers des psychologues et des avocats, en quoi consistent l’accompagnement et l’intervention dans le secteur ? Menez-vous une action ciblée auprès de la structure ou de la production concernée ?

Imaginons le cas d’une actrice, sur un tournage ou une pièce de théâtre : donnez-vous l’alerte à l’ensemble du secteur ou la victime demeure-t-elle maîtresse, mais aussi seule responsable, du parcours de sa plainte ?

M. Michaël Taverne (RN). Avez-vous des retours d’expérience des bénéficiaires de la cellule d’écoute ? Avez-vous identifié des axes d’amélioration ? Outre la conduite d’une campagne d’affichage, une augmentation du budget permettrait-elle d’élargir les horaires d’ouverture de la ligne et de mieux accompagner les victimes ?

M. Emeric Salmon (RN). Après les auditions du printemps dernier et celle de mardi, on a le sentiment qu’il y a un lien entre les violences sexistes et sexuelles et le régime des intermittents du spectacle. Qu’en pensez-vous ? La différence entre l’intermittence et le salariat a-t-elle de l’importance en ce domaine ?

Le milieu de la culture compte de nombreuses associations : pensez-vous que ces structures doivent faire l’objet d’une surveillance particulière ?

M. Frédéric Olivennes. Les victimes de violences sexistes et sexuelles sont-elles plus souvent des intermittents ? Oui et non.

Non, parce que les intermittents représentent 80 % des emplois de la production audiovisuelle et cinématographique. Étant proportionnellement plus nombreux, il y a un effet de nombre qui joue.

Oui, parce que par définition, ce régime est précaire : tous les matins, ou presque, un intermittent doit chercher du boulot. Cette précarité est forcément une fragilité.

Mme Carla Ballivian. Initialement, trois entretiens avec un psychologue étaient prévus, mais compte tenu des retours d’expérience, depuis 2024 ils sont au nombre de cinq. La situation psychologique de certaines victimes ou témoins, qui parlent souvent pour la première fois, justifiait cette évolution, afin de les orienter au mieux vers des dispositifs de droit commun, ce qui demeure l’objectif. La plupart des psychologues estiment qu’un accompagnement au long cours, d’un an au minimum, est nécessaire. C’est un axe d’amélioration.

L’accompagnement des avocats prend la forme de deux entretiens, qui visent à informer les victimes de leurs droits : ce qu’elles ont vécu est-il juridiquement qualifiable ? Il s’agit ensuite de leur indiquer les différents leviers, judiciaires ou non, qu’elles peuvent mobiliser. Les salariés, permanents ou intermittents, peuvent ainsi être orientés vers les syndicats, la médecine du travail ou l’inspection du travail, afin de lancer des procédures prud’homales ou pénales. Ces entretiens ont aussi pour but de fournir des informations sur les éventuelles aides financières qui peuvent être mobilisées et sur les modalités de fonctionnement de l’aide juridictionnelle. Toutefois, les avocats n’accompagnent pas les victimes tout au long de la procédure, lorsque celle-ci est lancée.

Sur ce volet, les axes d’amélioration sont avant tout financiers : les procédures coûtent cher et tout le monde n’a pas droit à l’aide juridictionnelle. Un autre axe d’amélioration concerne le dépôt de la plainte, qui est une étape essentielle pour garantir l’efficacité de la procédure. Si la loi permet l’assistance d’un avocat pour cette étape, l’aide juridictionnelle n’est pas automatique. C’est la raison pour laquelle, en 2022 et 2023, au titre de notre action sociale, nous avons financé, pour des personnes très précaires, la rédaction de signalements auprès du procureur de la République.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Menez-vous des actions auprès des employeurs ?

Mme Carla Ballivian. Non, pas du tout. Nous nous conformons au principe de confidentialité : les psychologues et les avocats sont tenus au secret professionnel, qui est encadré par la loi. Seule la victime peut lever cet obstacle.

Le comité de pilotage de la cellule d’écoute mène des réflexions, notamment sur la manière de transmettre des signalements au ministère de la culture, avec le consentement de la victime bien sûr.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La spécificité de la cellule d’écoute est d’être adossée à Audiens, organisme de protection sociale des acteurs du secteur. Avez-vous envisagé d’inclure, dans les protections que vous proposez, des aides améliorant ou complétant l’aide juridictionnelle ?

La cellule se trouve à l’interface des actions que peut lancer une victime : un accompagnement financier plus poussé, comme celui que vous venez d’évoquer, est-il envisageable ? Cela ferait véritablement d’elle la première étape de l’accompagnement des victimes, dans un parcours souvent difficile.

Enfin, disposez-vous d’un outil produisant des données anonymisées et des statistiques, sur la base des appels reçus ? Dans l’affirmative, sont-elles communiquées au ministère de la culture, au CNC, à l’inspection du travail, aux écoles supérieures, ou encore à des organismes de recherche qui pourraient en tirer des recommandations ?

M. Frédéric Olivennes. Si les moyens nous sont donnés, nous nous sentons capables de déployer plus de mécanismes d’accompagnement, tant sur le volet juridique qu’en matière de suivi des victimes. Avec les autres financeurs de la cellule et les partenaires sociaux, notre rôle consiste à identifier les prestataires, à s’assurer de leurs compétences et à les contrôler. Eu égard à notre intime connaissance des parcours, des vécus, des ressentis et des conditions de travail des professionnels du secteur, nous pourrions être un opérateur qualifié pour développer de telles actions.

Chez Audiens, la data fait l’objet d’une activité intense, qui occupe une dizaine de salariés. Nous produisons des rapports de branche et nous sommes une importante source de données pour le secteur de la culture. La cellule d’écoute fait l’objet d’un traitement statistique, qui vous a été présenté par Mme Ballivian. Toutes les données dont nous disposons, qui sont anonymisées, sont transmises au ministère et aux partenaires sociaux chaque trimestre, sous la forme de rapports écrits publics. Il nous est tout à fait possible de mobiliser nos data scientists pour aller plus loin dans le traitement statistique de ces données.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous communiquer ces rapports à la commission d’enquête ?

M. Frédéric Olivennes. Bien sûr.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Merci.

La cellule d’écoute permet de recueillir la parole et manifestement, elle le fait bien. Toutefois, je comprends qu’elle n’a aucun impact sur le secteur lui-même, à l’exception des rapports que vous venez d’évoquer. Elle ne permet donc pas de responsabiliser les employeurs ni de protéger d’autres personnes.

M. Frédéric Olivennes. Les employeurs sont représentés par leurs organisations professionnelles dans le comité de pilotage de la cellule. En revanche, j’en conviens, un employeur n’est pas informé lorsqu’un fait survenu dans son entreprise nous est rapporté.

Toutefois, si les victimes se sentent suffisamment en confiance pour solliciter la cellule d’écoute, c’est précisément en raison de son étanchéité vis-à-vis des employeurs. Il faudrait donc absolument veiller à la préserver en cas d’actions supplémentaires en direction des employeurs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’entends vos propos, mais on ne peut faire peser l’entière responsabilité sur les victimes : c’est à elles qu’il revient de témoigner, de solliciter des avocats et de trouver les financements nécessaires à la suite de la procédure. Il est étonnant que le secteur professionnel ne soit pas responsabilisé au-delà de sa participation au financement de la cellule d’écoute.

Qu’en est-il de la protection des autres victimes potentielles ? J’ai recueilli de très nombreux témoignages et je ne connais pas de cas de violeur qui n’ait violé qu’une seule fois. La protection d’autres personnes contre un danger potentiel ne relève manifestement pas du champ de votre action ; ce n’est pas du tout une mise en accusation, mais nous avons besoin de mesurer précisément celui-ci.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les écoutants ont-ils une obligation de signalement ? Prenons un exemple : en l’espace de trois mois, la cellule reçoit cinq appels témoignant d’actes commis sur un même lieu. Avez-vous les moyens de déclencher une action, par le biais de l’article 434-1 du code pénal ou en demandant une enquête à l’inspection du travail ? Si vous ne les avez pas en raison de blocages juridiques, pensez-vous que nous devrions proposer des ajustements législatifs ?

Mme Carla Ballivian. Le signalement de délits ou de crimes est très encadré par la loi. Les écoutants de la cellule n’en ont pas l’obligation ; j’ai évoqué à cet égard le secret professionnel des psychologues et des avocats. Nous ne faisons pas reposer toute la responsabilité sur les victimes : la confidentialité des échanges les protège aussi. Par exemple, après un long processus de réflexion, qui a duré un an, une victime avait donné son accord pour témoigner ouvertement ; à la dernière minute, elle a changé d’avis : il était hors de question que son nom soit rendu public.

Sans citer de nom, il pourrait être possible d’informer au sujet d’une situation, mais dans la culture, certains milieux professionnels sont des microcosmes, à tel point que des victimes sont obligées de s’éloigner géographiquement, voire de changer de métier. Vous connaissez les difficultés des victimes à aller plus loin, pour des questions de discrédit.

La question du signalement auprès du ministère a été évoquée lors de nos rencontres semestrielles avec celui-ci et les partenaires sociaux. Si la victime le souhaite, on peut l’accompagner pour procéder au signalement auprès du procureur ; elle peut également envoyer un e-mail au ministère pour raconter son histoire, mais en aucun cas nous ne pouvons nous substituer à elle.

Quant aux statistiques et aux données, nous nous attachons à les communiquer aussi largement que possible, notamment auprès d’organisations syndicales et de centres de ressources.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’entends vos propos, et pour avoir créé une cellule équivalente dans une université, j’ai été confrontée au même problème. Mais si, après avoir contacté la cellule d’écoute, une victime doit poursuivre un tournage ou une tournée, elle est mise en danger.

Vous ne procédez pas vous-même au signalement auprès du ministère, mais il est nécessaire de protéger les victimes dans un milieu où tout le monde se connaît. Quelle serait, selon vous, la voie médiane qui permettrait de protéger à la fois les victimes et les autres personnes travaillant avec un agresseur ?

Mme Caroline Rogard. La cellule garantit une étanchéité sur le plan juridique, mais en matière de communication, notre champ d’action est beaucoup plus vaste.

Grâce à sa présence à plus de 150 événements et festivals chaque année, Audiens communique largement, notamment au sujet de la cellule d’écoute. Sur ces lieux, où la cellule d’écoute est également présente, nous rencontrons de potentielles victimes, des témoins et des référents, qui viennent spontanément nous parler. Nous participons également à de nombreux colloques et webinaires consacrés à ces sujets – plus de 165 par an.

Lors de ces événements clés du secteur, nous discutons avec nos partenaires, qu’ils soient institutionnels comme le CNC ou associatifs comme MeTooMédia ou MeTooThéâtre. Nous nous informons au sujet des différents cas de violences sexistes et sexuelles et nous pouvons aider des victimes ou des témoins, en dehors du cadre juridique de la cellule d’écoute. Cette mutualisation des informations est très importante.

La communication militante concernant la cellule est primordiale ; c’est de la prévention. La montée en charge a pu avoir lieu parce que de plus en plus d’acteurs ont joué le jeu : initialement nous devions aller les chercher, mais désormais l’information circule beaucoup plus largement.

Dans les festivals, nous proposons notre cellule d’écoute anonyme et gratuite, mais les organisateurs ont aussi des cellules internes animées par les référents VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), qui sont désormais obligatoires, comme sur les tournages ou dans les tournées. Tout cela participe à un plan de lutte global.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Si vous n’intervenez pas quand vous voyez quelqu’un se noyer au milieu d’une rivière, vous vous rendez coupable de non-assistance à personne en danger. En revanche, si vous entendez parler d’une structure dans laquelle cinq cas de violences sexistes et sexuelles ont été signalés, vous ne faites rien, notamment pour conserver la confiance des victimes potentielles. Mais les victimes qui ont signalé ces violences sont en danger, comme la personne dans la rivière qui croyait savoir nager.

Quelle évolution législative imaginer pour vous donner la possibilité, parce que vous en avez l’expérience et que vous disposez d’accompagnants formés, de déclencher une action permettant de ne pas laisser des personnes en danger ?

Si des faits délictueux nous sont relatés, nous, députés, sommes tenus par l’article 40 du code de procédure pénale de les signaler au procureur. Quel mécanisme similaire imaginer pour vous permettre de mettre en sécurité des vies humaines ?

M. Frédéric Olivennes. Nous sommes favorables à une telle évolution.

Les employeurs sont mobilisés ; insuffisamment, certes, sinon cette commission d’enquête n’existerait pas. Leurs organisations représentatives, notamment, ont créé de nombreux outils ; il serait intéressant que vous leur demandiez de vous les présenter. Ainsi, les CCHSCT (comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) du secteur de la production audiovisuelle et cinématographique ont établi une charte et publié un guide recensant les différents outils existants, parmi lesquels figure notre cellule d’écoute.

Cependant, il reste beaucoup à faire et c’est votre rôle de réglementer cela.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je crois qu’il est nécessaire de vous donner les moyens d’agir davantage. Votre capacité d’action est encore trop restreinte. Outre la justice, qui est très imparfaite s’agissant des violences sexistes et sexuelles, il est possible de mobiliser l’inspection du travail ou la médecine du travail. Dans certaines situations particulièrement dangereuses, vous est-il possible de les saisir en précisant les faits, tout en respectant l’anonymat des victimes et des témoins ?

M. Michaël Taverne (RN). Monsieur le rapporteur l’a rappelé, l’article 40 du code de procédure pénale prévoit que toute autorité constituée qui acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenue d’en informer le procureur de la République. Il ne faut donc pas hésiter à y recourir, qu’il s’agisse de violences physiques, sexuelles ou psychologiques. J’ai moi-même alerté le procureur après qu’une femme victime d’une agression sexuelle est venue demander de l’aide à ma permanence.

Si l’on craint les répercussions d’une telle alerte pour la victime, il est possible d’invoquer le caractère d’urgence. Il existe une véritable complémentarité entre les services de police ou de gendarmerie et la justice pour garantir la discrétion et préserver les parties.

M. Frédéric Olivennes. Je répète que nous sommes favorables à des mécanismes qui nous permettraient d’aller plus loin, qu’il s’agisse de mobiliser la médecine du travail ou l’inspection du travail. Dans certains cas, nous avons procédé à des signalements, mais ce n’est pas institutionnalisé.

Et pour répondre à une question posée antérieurement, nous ne constatons pas de fragilité particulière dans le monde associatif par rapport aux entreprises privées ou publiques.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les CCHSCT, que vous avez cités, peuvent également être mobilisés.

Seriez-vous d’accord pour que votre cellule d’écoute ou d’autres dispositifs du même ordre soient autorisés à saisir certaines instances ? Pensez-vous que ce serait pertinent ?

M. Frédéric Olivennes. Oui, parce que nous avons une position de tiers de confiance qui nous met à l’abri de tout soupçon de distorsion des faits.

Mme Carla Ballivian. Sur le principe, nous souhaitons aller plus loin, à condition de définir à quel moment on recueille les informations et à qui elles sont transmises. Le principe de confidentialité fait partie de la déontologie des avocats et pour eux, il est hors de question d’y déroger. Pour les psychologues, la confidentialité est une garantie.

Outre l’intervention de ces professionnels, un accompagnement plus long de notre part serait utile, parce que ce n’est pas lors du premier appel, chargé en émotion et ne fournissant que des informations parcellaires, que nous recueillons suffisamment de matière pour procéder à des signalements.

Madame la présidente, je comprends tout à fait votre démarche : la responsabilité par rapport aux agresseurs doit être collective. Si le principe est pertinent, il convient d’en déterminer les modalités de manière très pratique.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cela ne pourrait sans doute se faire qu’avec l’accord des victimes. Celles-ci portent déjà un poids très lourd et pourraient vous déléguer la responsabilité de prévenir l’inspection du travail, le CCHSCT ou la médecine du travail.

Mme Carla Ballivian. Les personnes qui contactent la cellule d’écoute ne connaissent pas du tout leurs droits. Ce sont les informations que nous leur donnons qui permettent aux victimes et aux témoins de mobiliser ces acteurs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie pour la richesse de cet entretien, qui était trop court, comme c’est malheureusement souvent le cas lors des auditions.

*

*     *

La commission procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Robert Namias, ancien directeur de l’information de TF1.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous accueillons M. Robert Namias, journaliste et écrivain, directeur de la rédaction de TF1 de 1992 à 1996 puis de l’information de 1996 à 2008. Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment.

Compte tenu des faits concernant un animateur star de la chaîne, révélés par la presse à partir de 2021 et dont je rappelle qu’un grand nombre sont classés ou prescrits, ce qui nous permet de les aborder, il nous a semblé pertinent de vous donner la parole, monsieur Namias, afin de nous éclairer sur les conditions qui auraient permis à la direction de la chaîne de fermer les yeux sur des agissements hélas nombreux. Est-il réellement possible qu’elle n’en ait jamais rien su ? Certains témoignages de victimes laissent entendre que des membres de la direction de TF1, dont vous-même pour l’une de ces agressions, ont bel et bien été informés. Il ne s’agit nullement pour nous de nous substituer à la justice pénale mais de comprendre comment le silence a pu perdurer et, avec lui, les violences présumées commises par Patrick Poivre d’Arvor.

Cette audition, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Robert Namias prête serment.)

M. Robert Namias, ancien directeur de l’information de TF1. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à vous remercier parce que, depuis la première évocation de cette affaire par le journal Libération, qui livrait huit témoignages de femmes il y a exactement trois ans, je n’ai jamais été entendu par personne. On peut lire dans la presse deux phrases, reprises après le coup de téléphone de journalistes – je n’en ai vu aucun –, mais rien qui n’ait été validé soit par la police soit par la justice. Ce sont toujours des procès-verbaux qui paraissent dans la presse, et l’on sait très bien – je ne suis pas naïf et vous non plus – comment ils parviennent jusqu’aux rédactions. Je m’étonne beaucoup de n’avoir jamais été entendu par personne.

Je vais essayer d’expliquer comment fonctionnait TF1. Comment voulez-vous comprendre cette affaire, comprendre que l’on pouvait dire – et je viens de prêter serment – que l’on ne savait rien de ce dont on parle, des agressions sexuelles d’une gravité extrême, des viols, des crimes inacceptables, sans avoir essayé de comprendre cela ? Dernier survivant de la direction de TF1, je peux affirmer aujourd’hui, ce qui j’en conviens paraît presque inaudible, que nous n’imaginions pas un instant que de tels crimes aient pu y être commis. Il faut quand même préciser que, lorsque je dis que je ne savais rien, les collaboratrices de TF1 ne représentent que cinq ou six plaintes sur les quatre-vingts déposées. L’essentiel de ce qui est reproché à Poivre d’Arvor s’est très souvent passé dans les locaux de TF1 mais ne concernait pas principalement des collaboratrices de la chaîne.

D’abord, c’est une énorme blessure qui s’est ouverte en novembre 2021, quand j’ai eu ce coup de téléphone de Jérôme Lefilliâtre, le journaliste de Libération qui a sorti l’affaire et qui est maintenant au Monde. Cela ne correspond à rien – même si ce n’est pas le problème – de ce que je suis, mais surtout à rien de TF1. J’y reviendrai. C’est une blessure parce que, quand je vous entends, madame la présidente, demander à juste titre comment la direction de TF1 et moi-même pouvions ne pas savoir, je ne peux que répondre que je ne savais pas. Et c’est terrible de me l’entendre demander à chaque fois.

Je me pose beaucoup de questions. On a forcément raté quelque chose à TF1. Moi, j’ai raté quelque chose. Mais qu’a-t-on raté ? Il faut se remettre dans le contexte. On va être obligé de répéter des choses qui se disent beaucoup depuis trois ans. Le contexte n’était absolument pas le même, ni le regard que l’on avait sur ce que l’on appelle la drague lourde ou les propos sexistes et machistes. Malgré tout, on a quand même raté quelque chose. Je me pose d’autant plus de questions sur la façon dont on a fonctionné que je suis très fier du travail qui a été fait. Dieu sait pourtant si l’on a été critiqués – la puissance méritait sans doute cette critique ; puis on a aussi fait des erreurs.

Mon encadrement, au plus haut niveau, était intégralement féminin. Ma plus proche collaboratrice, Catherine Nayl, la directrice des reportages, était au quotidien dans la rédaction, où j’ai passé ma vie – les gens venaient me voir en permanence, je bavardais avec trente ou quarante collaborateurs tous les jours sur leur travail, leur vie, y compris personnelle, quand ils voulaient bien m’en parler. Avant d’être la directrice des reportages, elle a été la rédactrice en chef du « 13h », tandis que Geneviève Galey était celle du « 20h » de Poivre d’Arvor. Les six chefs d’information, qui géraient au quotidien les commandes de reportages et leur fabrication, en fonction des choix éditoriaux que je pouvais faire, étaient toutes des femmes.

Dans une rédaction où l’on se parlait tout le temps, où je n’ai jamais dérogé à la règle selon laquelle tous les jeudis, pendant deux heures, je réunissais les trente cadres de la rédaction pour un dialogue sur la façon dont on fonctionnait, quelque chose a donc cloché. Pour l’instant, je n’ai toujours pas trouvé quoi, sinon que le mode de fonctionnement de l’époque, dont on parlera, faisait que celles qui auraient dû parler ont cru qu’elles ne le pouvaient pas ou n’en ont pas eu envie.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Namias, j’aimerais revenir sur des faits qui ont été révélés récemment par Le Monde. Selon ce journal, en 2005, il y a eu un début d’instruction. M. Patrick Poivre d’Arvor a été longuement entendu par la police et il y a même eu des perquisitions ou des rencontres avec des policiers à l’intérieur des locaux de TF1. Quand des policiers ont l’autorisation d’entrer dans une entreprise sérieuse comme TF1, on s’étonne que, visiblement, personne n’en ait été informé. Avez-vous été mis au courant à l’époque ? Si vous ne l’avez pas été, comment cela est-il possible et quels ont été, au sens propre comme au figuré, les chemins empruntés par ces policiers pour aller interroger Patrick Poivre d’Arvor à l’intérieur même du siège de TF1 ?

M. Robert Namias. Évidemment, je n’étais pas du tout au courant. Je l’ai dit et le confirme absolument. Vous avez lu comme moi Le Monde. J’ai eu très longuement au téléphone Jérôme Lefilliâtre qui m’informait de sa volonté de faire un papier après une enquête. Il m’a parlé d’un document. Lequel ? On l’ignore. Moi, je ne l’ai pas vu. Je ne sais pas si vous, vous l’avez vu ou si vous êtes en sa possession. C’est vraisemblablement un procès-verbal de la police. Quel procès-verbal ? Qu’y a-t-il de dit ? Je n’en ai aucune idée. Si vous arrivez à l’avoir, vous verrez ce qu’il dit exactement.

Je vais vous donner quelques explications et peut-être une hypothèse.

Dans le cas d’une perquisition, les policiers sont accompagnés d’un magistrat. Or, d’après ce que je lis dans la presse, il n’y avait pas de magistrat : donc ce n’était pas une perquisition. Dans ce cas également, la direction juridique de TF1, la présidence et le directeur concerné en étaient informés – il y avait deux secteurs, celui des programmes dirigé par Étienne Mougeotte et celui de l’information, par moi-même – et ce d’autant plus que la perquisition pouvait concerner nos bureaux. Il ne s’agit absolument pas de cela ici. En outre, Jérôme Lefilliâtre m’a donné au téléphone une indication qui n’apparaît pas dans le journal : cette venue – et rien d’autre – des policiers a eu lieu à treize heures.

Permettez-moi de vous décrire la disposition des locaux de TF1 – il faut que je m’explique pour répondre à ce qui est une forme d’accusation. Les locaux de la rédaction occupaient trois étages dans la tour de TF1, dont deux étaient entièrement occupés par les journalistes de la rédaction avec des plateaux qui pouvaient recevoir une centaine de personnes. Au deuxième étage, séparés par un très large couloir, il y avait le plateau de la direction, qui faisait à peu près 100 mètres de long, un bureau fermé, qui était celui de Poivre, à un bout, et, à l’autre bout, un autre bureau fermé, qui était le mien, celui de la direction de l’information. À côté de mon bureau, on trouvait un secrétariat avec trois assistantes ; Poivre avait deux assistantes contre son bureau. Il y avait également un très grand bureau inoccupé toute la semaine, qui n’était pas fermé, celui de Claire Chazal. Il y avait le bureau des chefs d’édition, qui gèrent le fonctionnement technique de la fabrication du journal. Il y avait ensuite le bureau de la rédactrice en chef, qui n’avait pas de secrétaire mais qui utilisait, le cas échéant, les assistantes de Poivre.

Dans une telle rédaction, on recevait des gens toute la journée. J’avais toujours quelqu’un dans mon bureau et, quand ce n’était pas le cas, j’étais dans la rédaction pour parler avec les journalistes. La plupart du temps, même quand il y avait des gens dans mon bureau, la porte restait ouverte. Poivre avait pour habitude de fermer la sienne. Il recevait aussi beaucoup de gens, ce qui est tout à fait naturel dans ce métier. On n’est pas obligé de faire une conférence de presse pour dire qui est dans son bureau et qui l’on reçoit.

D’après le journaliste, les policiers n’ont pas vu Poivre. Avant de venir à cette audition, j’ai fait interroger la direction juridique et la direction des relations humaines de TF1. Il n’y a absolument aucune trace de cette visite. On peut très bien imaginer que deux policiers viennent sans même se présenter comme des policiers. Ils ont pu téléphoner à Poivre pour lui dire qu’ils allaient le voir. En aucun cas, nous n’avons eu la moindre trace d’une visite de la police dans les locaux de TF1 ce jour-là. Le journaliste m’a précisé que Poivre n’avait été entendu qu’après par la police. On lit d’ailleurs dans son papier que le déplacement des policiers ne donne lieu qu’à une description du bureau de Poivre. Les assistantes elles-mêmes n’ont été convoquées qu’après la visite.

Dès lors, comment voulez-vous que l’on soit au courant, dans un espace où, avant les attentats, il y avait encore une grande liberté de circulation ? C’est une maison qui était très ouverte. Il y avait des hôtesses et une sécurité à l’entrée. Mais, pour un rendez-vous, soit une hôtesse montait accompagner la personne, soit une assistante descendait pour la recevoir. Les autres n’étaient pas forcément au courant, à partir du moment où ce n’était pas présenté comme une démarche officielle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous entends, monsieur Namias. Vous dites que les policiers se seraient présentés à une hôtesse d’accueil. Je n’imagine pas qu’elle ne relève pas à un moment ou à un autre le fait que des policiers aient demandé à voir Patrick Poivre d’Arvor.

Vous dites aussi que les femmes n’ont pas parlé et qu’il y a eu un dysfonctionnement sur ce point. Manifestement, puisqu’il y a eu au moins une plainte en 2005, elles ont parlé et elles n’ont pas parlé un peu, elles n’ont pas parlé timidement : elles ont parlé à la police pour déposer une plainte. Comprenez qu’il nous semble surréaliste que des policiers arrivent en demandant à voir Patrick Poivre d’Arvor et que personne dans l’entreprise ne soit alerté de cette affaire. Cela paraît tout à fait improbable.

Par ailleurs, il y avait un processus qui consistait à mettre des jeunes femmes sur le plateau du « 20h », où commençait leur drame. Assistiez-vous au « 20h », en tant que directeur de la rédaction ? D’après votre description des lieux, votre bureau semblait proche du plateau de l’enregistrement. Avez-vous vu ces femmes sur ce plateau ? Cela vous a-t-il alerté qu’il y ait toujours une femme présente lors des « 20h » de Poivre d’Arvor ?

M. Robert Namias. Madame la présidente, si vous me permettez, je vais essayer de vous répondre très précisément. Quand bien même les policiers auraient indiqué qu’ils étaient des policiers, s’ils avaient rendez-vous avec M. Poivre d’Arvor, les hôtesses n’auront rien fait d’autre que de prévenir ses assistantes. Il n’y avait pas de raison qu’elles prennent leur téléphone pour prévenir le directeur de l’information. En outre, est-ce qu’il est dit quelque part que les policiers se sont présentés comme policiers ? D’après ce que je lis, ce n’était pas une perquisition et il n’y avait personne.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pardon, monsieur Namias, mais on ne peut pas aller visiter M. Poivre d’Arvor sans avoir une véritable raison. Soit on a rendez-vous avec lui et l’assistante à l’accueil le vérifie, soit c’est la police et dans ce cas on monte. Évidemment qu’ils ont dû se présenter comme étant de la police…

M. Robert Namias. C’est évident mais je voudrais en être sûr. De toute façon, c’était une affaire privée. Ils ont peut-être même appelé le secrétariat de Poivre avant de prendre ce rendez-vous ou d’y aller. Y a-t-il une trace écrite du fait qu’un seul policier ait pris contact avec qui que ce soit à la direction de TF1 ? Y a-t-il un texte ? Non ! Pour une raison : c’est qu’ils ne l’ont jamais fait. C’étaient des affaires privées. Cela ne veut pas dire que je ne me pose pas de questions, comme je vous l’ai dit.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce n’est pas une affaire privée dans la mesure où cela concerne votre salarié dans vos locaux. Je me permets de le rappeler afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté.

M. Robert Namias. Vous avez raison.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Effectivement, on sort de l’affaire privée. Je rappelle le cadre. Cette personne, qui a déposé plainte après avoir subi le processus que vient de décrire Mme la présidente, avait écrit à M. Poivre d’Arvor, parce qu’elle estimait son travail et avait une certaine admiration pour lui. Celui-ci l’a invitée à venir assister au journal, avant de lui faire ce que les victimes ont appelé « le coup de plateau » : une fois le journal terminé, il l’a invitée dans son bureau et l’a violée. Cette femme a porté plainte et une instruction a été ouverte. Aviez-vous remarqué que, régulièrement, des femmes assistaient, assises dans un coin du plateau, aux prestations de M. Patrick Poivre d’Arvor ?

M. Robert Namias. Aussi incroyable que cela vous paraisse : non. Poivre a présenté le journal pendant vingt ans. Même s’il y en a peut-être eu d’autres, on parle de soixante-dix ou quatre-vingts femmes, ce qui est massif mais fait au maximum quatre femmes par an, étant entendu que toutes les accusations ne concernent pas le bureau de TF1. Il faut essayer de comprendre ce que je dis. Tout à l’heure, vous avez dit qu’il l’avait violée. Je respecte pour ma part la présomption d’innocence, tout en étant absolument convaincu que toutes ces femmes disent vrai. Je ne peux pas dire qu’il l’a violée, mais qu’elle dit avoir été violée. Je vais vous expliquer pourquoi je n’étais pas au courant. C’est pour une raison très simple. Je n’ai pas terminé la description des locaux de TF1. Ceux dont vous parlez ne sont pas à l’étage de la direction. Le studio du journal télévisé était au premier étage. Lorsque l’on s’y rend, on passe par l’accueil et l’on est conduit à travers des couloirs sur le plateau du journal. À aucun moment, on ne passe à proximité d’un bureau de la direction.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’étiez pas sur le plateau ?

M. Robert Namias. Jamais ! J’étais en régie, d’où l’on ne voit pas ce qui se passe sur le plateau. La prompteuse est face au journaliste. D’après ce que j’ai compris, les jeunes femmes qui étaient invitées par Poivre à venir voir le journal avant d’aller dans son bureau étaient dans un coin derrière la prompteuse, ce qui les rendait invisibles depuis la régie. Les personnes invitées par Poivre étaient vraisemblablement accueillies soit par une hôtesse soit par une assistante…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais il les emmenait ensuite dans son bureau ?

M. Robert Namias. Je pense que c’était l’assistante qui allait chercher la personne dans le studio. Il fallait monter au second étage par un couloir qui donnait directement par une porte dans le bureau de Poivre, alors que mon bureau était à l’opposé. Qui plus est, à neuf heures moins le quart, je n’étais plus là.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je voudrais vous livrer le témoignage de Cécile Thimoreau, qui est citée dans Libération. Elle a expliqué à la police qu’elle avait subi des coups de téléphone nocturnes et insistants de l’ex-présentateur du JT entre 1990 et 1991 et que ces appels avaient cessé après qu’elle vous avait prévenu. Elle dit vous avoir raconté l’agression sexuelle dont elle a été victime au domicile de Poivre d’Arvor. Vous auriez répondu : « Il fait chier, il fait chier, je m’en occupe ! » Ailleurs, elle écrit : « J’appréciais Robert Namias, directeur de la rédaction. Nous étions arrivés ensemble à l’émission du petit matin à TF1. Il voulait féminiser la rédaction et m’a promue durant ma carrière. Lui n’a jamais eu de comportement déplacé. Je lui ai parlé de ce qui s’était passé avec PPDA. Sa première réaction a été de me dire que cette affaire s’était déroulée entre adultes, à l’extérieur de TF1. Puis il s’est ravisé et engagé à s’occuper du problème. » Que répondez-vous à ce témoignage ?

M. Robert Namias. Dans cette interview donnée à Mediapart, Cécile Thimoreau ajoute qu’elle non plus n’aurait jamais imaginé que Poivre puisse être un violeur.

Je veux bien que l’on ne me croie pas… Mais j’avais des conversations très fréquentes avec la rédaction, et je ne me souviens pas que Cécile – que j’ai perdue de vue, mais que j’appréciais – m’ait dit tout cela, même si je ne mets pas un seul instant en doute le fait qu’elle ait dit tout cela. C’est la vérité. Je constate aussi que le harcèlement s’est arrêté après la conversation qu’elle rapporte, ce qui signifie que j’ai dû dire quelque chose à Poivre…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. De cela, vous ne vous souvenez pas non plus ?

M. Robert Namias. Non plus, c’est vrai, et j’assume de ne pas m’en souvenir. Ce qu’elle dit correspond vraisemblablement à la vérité, par définition, et j’ai sans doute fait ce que j’avais à faire. Mais elle le dit : ni elle ni moi, lorsque nous nous sommes parlé, n’avons envisagé que Poivre puisse être un violeur.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Muriel Reus, qui fut cadre chez TF1, dit aussi qu’elle vous aurait prévenu et que vous lui auriez répondu : « Il a osé aussi avec toi ? » Elle indique également, devant la police : « La direction de TF1 savait ce que faisait PPDA. » Ce sont donc trois femmes qui…

M. Robert Namias. Pardon mais je ne sais pas d’où vient le document que vous citez. Quoi qu’il en soit, Muriel Reus n’a jamais dit cela. Sur ce point, j’ai refusé de participer à une émission de télévision avec le journaliste auteur d’un livre, parce qu’il était odieux, mais j’ai longuement répondu huit jours plus tard dans l’émission « C’est à vous ». Muriel Reus est une personne que je respecte mais que je ne connais pas et que je n’ai recroisée qu’une fois sur un plateau de LCI. En l’occurrence ce n’est pas moi qu’elle citait, dans les propos que vous rapportez, mais Patrick Le Lay.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. D’accord, c’était Patrick Le Lay.

M. Robert Namias. C’est très important ! J’ai entendu ce journaliste dire : « Il y a des femmes. » Non, il y a Cécile Thimoreau, et je me suis expliqué !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je note que, pour la première fois, vous semblez vouloir reconnaître certaines choses – ce qui n’est pas étonnant, compte tenu du fait que vous vous expliquez pour la première fois sous serment sur ce sujet.

Je vous crois lorsque vous dites que vous n’avez pas vu certaines choses mais j’aimerais comprendre comment cela est possible. Patrick Poivre d’Arvor était salarié de TF1 : comment a-t-il pu se comporter comme un électron libre, et pourquoi les contrôles habituels que le droit du travail impose à un employeur n’ont-ils pas été mis en œuvre ?

M. Robert Namias. Il y a eu beaucoup de fantasmes mais ce qui est vrai, c’est qu’il y avait la puissance de la chaîne et de l’audience. Mais la vérité, c’est que Patrick Poivre d’Arvor n’avait pratiquement aucun moyen, et ne souhaitait manifestement pas en avoir… Il arrivait tardivement le matin puis repartait avant l’heure du déjeuner, pour revenir vers seize heures. Et la plupart du temps, une bonne partie du journal était écrite par un collaborateur ou une collaboratrice. Le présentateur est certes responsable de son journal, mais les choix éditoriaux et la sélection des reportages – qui, d’une certaine façon, peuvent influer sur l’avenir professionnel des collaborateurs – revenaient à la direction de l’information et à celle des reportages. C’est un premier point.

Vous dites que je reconnaîtrais certaines choses, comme si je faisais des aveux, mais ce ne sont pas des aveux ! Dès 2022, j’ai dit ce que je pensais de cette affaire dans des émissions grand public comme « C’est à vous » et dans l’interview matinale de France Inter. Vous ne pouvez donc pas être surpris par mes propos !

Vous me demandez comment cela a pu se passer ainsi. Vous avez raison de souligner que l’affaire qui nous préoccupe n’est pas seulement d’ordre privé, puisqu’elle s’est déroulée dans les locaux de TF1. Mais personne ne savait, en tout cas pas moi. Je ne sais pas ce qu’il en était pour Le Lay et Mougeotte, mais il me semble qu’eux non plus ne savaient pas. Je sais bien que ce n’est pas toujours évident à croire ou à comprendre. D’abord, il faudrait comprendre le fonctionnement général de la chaîne. Mais nous n’avons pas assez de temps pour cela – même si je dois dire qu’il est déjà formidable que vous me permettiez de m’exprimer.

TF1 appartient au groupe Bouygues, une entreprise du CAC40. Et je peux témoigner des valeurs de Martin Bouygues, notre actionnaire, avec qui j’avais de longues conversations presque toutes les semaines. Comment pouvez-vous imaginer que nous aurions toléré un seul instant, si nous l’avions su, que des viols ou des agressions sexuelles puissent se dérouler dans les locaux de TF1 ?

Pour s’occuper d’un cas de cette nature, encore faut-il en être informé. Il semblerait que j’aie agi après ma conversation avec Cécile Thimoreau, parce que j’avais été informé. Mais s’agissant des viols et des agressions sexuelles, je n’ai jamais été informé de rien. Je ne peux pas parler pour les autres, sinon pour dire que ni la DRH ni la direction juridique n’ont jamais été informées de quoi que ce soit.

Je peux vous parler d’un cas dont j’ai été informé. Un journaliste de TF1, qui se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts majeur entre son activité professionnelle et ses activités d’ordre privé, a eu de surcroît un comportement inapproprié sur le plan sexuel – il mettait par exemple ses mains sur les genoux des monteuses. C’était une très grande signature de TF1. La DRH en a été informée, ce qui est la procédure habituelle, m’en a averti, et il a été licencié sur-le-champ, sous couvert d’une séparation à l’amiable.

Encore une fois, Poivre d’Arvor ou pas, si nous avions eu la moindre conviction, sur la base de propos identifiés, qu’un viol ou une agression sexuelle avait eu lieu à TF1, l’auteur des faits aurait dû quitter immédiatement l’entreprise ! Et nous aurions sans doute donné suite.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Même si le cadre juridique a changé entre 1996 et 2008, des dispositifs avaient-ils été mis en œuvre au sein de TF1, au début des années 2000, pour prévenir et poursuivre les faits de violences et harcèlement sexistes et sexuels ? Y avait-il une charte, un règlement intérieur ou encore un protocole – devenu obligatoire – de prise en charge des signalements ? Y a-t-il eu au sein de l’entreprise, durant cette période, une prise en compte de ces enjeux ?

M. Robert Namias. Non, pas à ma connaissance. La DRH aurait pu mettre en place une structure, au début des années 2000, mais il ne me semble pas qu’elle l’ait fait.

Par-delà les critiques, normales, et les insatisfactions professionnelles, toujours possibles et compréhensibles, il y avait une grande osmose au sein de la rédaction. Les collaborateurs échangeaient en permanence, tant sur les sujets professionnels que privés, et comme dans toute entreprise, des mariages et des divorces ont eu lieu. Les modes de pensée et de fonctionnement étaient ceux qui régnaient vingt ans avant #MeToo – sachant toutefois que le patron était assez intransigeant sur ces sujets.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie et vous propose de passer aux questions des députés.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Avant d’être députée, j’ai travaillé plusieurs années pour LCI, une chaîne du groupe TF1. J’avoue être stupéfaite par vos propos, qui me semblent décorrélés de la réalité. Certes, tout cela s’est déroulé bien avant #MeToo. Vous étiez cependant déjà journaliste lorsqu’a éclaté l’affaire Monica Lewinsky. Le sujet du harcèlement était donc connu en France, cette affaire ayant été largement couverte par votre rédaction et ayant eu impact dans les grands groupes comme TF1. La question des violences sexistes et sexuelles ne se résume pas aux agressions mais englobe aussi le harcèlement. Je peux en témoigner : en effet, personne n’imaginait à l’époque que PPDA pourrait violer ou agresser, mais les faits de harcèlement étaient parfaitement connus et avaient été rapportés à la rédaction, à la direction et aux ressources humaines par plusieurs salariées. PPDA les submergeait d’appels téléphoniques nocturnes, tenait des propos à connotation sexuelle et disait qu’il allait venir chez elles… Au sein de la rédaction, tout un mécanisme avait été créé pour changer les plannings afin qu’elles ne soient plus à son contact.

Au sujet de son emploi du temps, que vous évoquez de façon un peu sibylline, je rappelle que PPDA participait systématiquement à la conférence de rédaction quotidienne du « 20h ». Or l’obligation de son employeur ne consistait pas seulement à le protéger lui, mais à protéger les autres salariés : c’est l’un des sujets que nous souhaitons aborder au cours de notre audition.

J’aimerais qu’au regard de ces éléments vous revoyiez et vous précisiez votre témoignage, qui présente des incohérences – notamment avec ce que révèle Le Prince noir, le livre d’un ancien salarié de TF1, Romain Verley. Je confirme d’ailleurs, comme il le souligne dans son ouvrage, que l’on ne circulait pas librement dans les locaux de l’entreprise, dont le dispositif de sécurité était impressionnant : on n’entrait qu’avec un badge, sur autorisation, et accompagné d’une personne de la sécurité… Il est impensable que le rédacteur en chef d’une maison emplie de journalistes – une profession informée, par définition – prétende qu’il ne savait rien devant la représentation nationale, et sous serment. Les bras m’en tombent ! C’est comme si un pâtissier disait ne pas connaître la saveur du sucre…

Vous avez employé vous-même le terme d’osmose pour évoquer la rédaction, évoquant un mélange entre le privé et le professionnel, de probables coucheries, des mariages et des divorces. Tout ceci aurait été connu de tous, mais la rédaction aurait totalement ignoré la visite de policiers dans ses locaux ? Cela est d’autant plus impensable que la rédaction de TF1 était connue pour avoir des contacts réguliers avec la police et le parquet de Paris, ne serait-ce que pour être informée au sujet des affaires relevant du domaine police-justice. Encore une fois, je vous invite à revoir ou à préciser votre témoignage.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Madame Legrain, vous avez la parole.

M. Robert Namias. J’aimerais pouvoir répondre immédiatement à cette accusation !

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous propose que nous entendions d’abord les questions des autres députés mais n’ayez crainte, vous aurez le temps de répondre.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Je vous remercie de votre présence, monsieur Namias. Je comprends que vous puissiez vous sentir mis en accusation. Nous ne sommes pas dans un tribunal…

M. Robert Namias. Si !

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). …mais nous sommes tenus d’essayer de faire la lumière sur les faits et de définir ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour qu’ils ne se reproduisent pas.

Je partage l’étonnement exprimé par mes collègues. Vous dites ne pas vous souvenir d’avoir dit : « Il fait chier ! », et d’avoir ensuite agi auprès de Patrick Poivre d’Arvor, mais semblez considérer qu’il est possible que vous l’ayez fait. Vous dites aussi que vous ne pouviez imaginer qu’il était un violeur. J’essaye de comprendre le cadre de pensée dans lequel vous vous trouviez alors et quelle compréhension vous aviez des obligations fixées par le droit du travail et par la loi en général. Étiez-vous dans l’incapacité de qualifier l’envoi de messages répétés à caractère sexuel comme un fait relevant du harcèlement sexuel ? Ne pouviez-vous pas envisager à l’époque qu’une personne se comportant de la sorte puisse aussi être l’auteur de violences sexuelles plus graves ?

M. Michaël Taverne (RN). Les personnes que la précédente commission d’enquête avait auditionnées ont insisté sur l’omerta autour de ces violences. Confirmez-vous l’existence de cette culture du silence ? Quelles sont vos préconisations pour y remédier ?

M. Robert Namias. À quelle époque avez-vous travaillé pour LCI, madame Youssouffa, et qu’y faisiez-vous ?

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). J’étais journaliste.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est moi qui préside la séance et c’est à vous que je demande de répondre, monsieur Namias.

M. Robert Namias. Je voudrais d’abord préciser que la rédaction de LCI, que je ne dirigeais pas, était à l’époque très isolée de celle de TF1. Vous reprenez à votre compte les affirmations péremptoires que livre un ancien collaborateur de l’entreprise – qui ne l’est pas resté très longtemps – dans son ouvrage. Vous dites que tout le monde savait. Je vous ai dit quant à moi, sous serment, ce qu’en tant que directeur de l’information et directeur général adjoint de TF1 je savais, ou pas. Vous me considérez comme incompétent ou imbécile. Peut-être suis-je incompétent, effectivement, même si ma carrière depuis cinquante-cinq ans laisse penser que ce n’est pas tout à fait exact. Peut-être suis-je aussi imbécile mais, encore une fois, vous l’affirmez de façon très péremptoire !

J’entends parler de femmes, de témoignages et de noms. Pour ma part j’ai choisi de ne nommer personne, par respect – pas même les femmes qui ont écrit des livres et avec lesquelles je suis en contact très régulier. Or je ne pense pas que celles-ci aient jamais dit ce que vous affirmez aujourd’hui, de façon péremptoire, sur ma personne et sur le fonctionnement de TF1. Sans doute disposez-vous d’informations que je n’ai pas. S’agissant des propos de Cécile Thimoreau, enfin, j’ai déjà répondu.

Je rappelle aussi que, si TF1 et LCI se sont rapprochées et partagent aujourd’hui la même direction générale, ce n’était pas le cas à l’époque : la seconde vivait totalement isolée de la première. Des rencontres ponctuelles pouvaient avoir lieu dans les couloirs ou à la cantine, mais elles n’étaient pas fréquentes. Je pourrais vous donner les noms de dizaines de collaborateurs que je n’ai pas vus depuis quinze ou vingt ans et qui, eux aussi, contrediraient l’idée selon laquelle « tout le monde savait ».

Ce qui est vrai, c’est qu’il y a eu une omerta : personne n’en a parlé. Un journaliste, en particulier s’il est jeune, n’aspire qu’à une chose : que son sujet soit choisi, dans le flot des reportages du jour, pour passer dans le journal télévisé. Il ne fait donc rien contre le présentateur – d’autant plus que l’aura de PPDA, en l’occurrence, dépassait largement le cadre de la chaîne. Dans les années 2000, la quasi-totalité des journalistes étaient persuadés qu’il fallait forcément passer par TF1, ce qui n’était pas nécessairement vrai…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons entendu que vous ne saviez rien. Je vous propose de répondre aux autres questions.

M. Robert Namias. Voudriez-vous s’il vous plaît reposer votre question, madame Legrain ?

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Que vous a-t-il manqué, à l’époque, pour caractériser les messages répétés à caractère sexuel comme des faits – condamnables – de harcèlement sexuel et pour imaginer que leur auteur puisse commettre d’autres types de violences ?

M. Robert Namias. Encore une fois, je ne doute pas un seul instant que tout se soit passé comme le dit Cécile Thimoreau. Mais il faut s’interroger sur la façon dont elle m’a alerté. Vous me demandez à partir de quel moment j’aurais pu considérer le harcèlement sexuel comme étant caractérisé, voire comme s’apparentant à une agression ou à un viol, et à partir de quand j’aurais pu intervenir. Or m’a-t-elle simplement dit : « Il m’emmerde sans arrêt au téléphone, la nuit, il faut que cela s’arrête », ou a-t-elle été plus précise ? Il faut s’interroger, en toute honnêteté, sur la façon dont les choses sont dites. Il m’est arrivé d’intervenir dans des situations de harcèlement d’une autre nature, au sujet desquelles les choses avaient été dites clairement. Je ne sais pas si ce que m’a dit Cécile Thimoreau, en l’occurrence, était clair. Ce qui est certain, c’est que nous avons manqué de moyens.

Je ne comprends pas que vous refusiez l’idée que, dans les années 1980, 1990 voire 2000, l’approche de ces questions de harcèlement sexuel était très différente – au niveau collectif, du moins – de ce qu’elle est aujourd’hui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous vous entendons sur ce point.

M. Robert Namias. L’affaire Clinton, qu’a évoquée Mme Youssouffa, a-t-elle révélé des faits de harcèlement sexuel ou l’existence de rapports sexuels entre le président des États-Unis et l’une de ses collaboratrices, dans son bureau ? Cela n’a rien à voir ! Ces relations étaient peut-être consenties ! Mme la députée m’explique sur un ton péremptoire que moi qui ai traité l’affaire Clinton, je savais forcément… Mais la façon dont elle présente cette affaire ne correspond pas à la réalité !

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce qu’a dit Mme Youssouffa, c’est que M. Poivre d’Arvor inondait les salariées de messages et que les ressources humaines avaient réorganisé les plannings de telle sorte que ces dernières ne le croisent pas… Ils avaient donc fait quelque chose, ce qui contredit votre affirmation selon laquelle ils n’étaient pas du tout au courant des faits.

M. Robert Namias. Les RH ne se sont jamais occupés des plannings de la rédaction !

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Effectivement, c’est la rédaction qui est intervenue.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Des instructions sont en cours, et de nouveaux éléments pourront apparaître. En tant que rapporteur, je ne tiens pas à jouer au juge d’instruction ou au procureur.

M. Robert Namias. C’est ce que vous faites !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Non, pas moi. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre le système et le fonctionnement de la chaîne à ce moment-là. Je vous donne acte de deux choses : la vision que porte la société sur ces faits a changé, et le code du travail comme le code pénal ont évolué.

Il y a quelque chose de troublant au sujet de l’omerta. Comment peut-on imaginer que des viols – ces faits sont documentés, et personne ne remet en cause la parole des victimes – aient pu se produire de nuit dans les locaux de TF1, sans que personne n’entende rien ? L’enquête précisera l’ampleur des faits, mais ils sont massifs : au moins soixante-dix signalements ont été rapportés. Comment se fait-il que jamais une assistante de M. Poivre d’Arvor ou un journaliste traînant à ce moment-là dans la rédaction n’ait entendu quelque chose ? Voilà ce que je voudrais savoir. Ensuite, nous laisserons la justice faire son travail.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Notre commission s’interroge en effet sur les responsabilités, afin de trouver les bonnes réponses législatives.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). Vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur Namias, que vous n’aviez rien vu, que vous n’aviez pas été informé et qu’il n’existait aucune trace de la perquisition des bureaux par des policiers. Permettez-moi de dire que je trouve cela très inquiétant, s’agissant d’une grande entreprise du CAC40. Pourriez-vous décrire l’atmosphère au sein de TF1 à l’époque ? La culture du viol – c’est-à-dire l’ensemble des comportements banalisant, excusant et justifiant les agressions sexuelles – y régnait-elle ?

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je vous rappelle que vous êtes sous serment, monsieur Namias, et que vous avez le devoir d’être précis. Contrairement à ce que vous avez affirmé, les rédactions de LCI et de TF1 avaient des services en commun, notamment ceux en charge de l’infographie et de la supervision des échanges internationaux. Les locaux étaient partagés, en partie dans la tour de TF1. Vous ne pouvez donc pas affirmer qu’il n’y avait pas de contacts entre les deux rédactions : c’est faux. Vous dites enfin que M. Verley n’a travaillé que brièvement pour TF1. Sachez qu’il y est tout de même resté trois ans – six ans, même, au sein du groupe.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je rappelle que M. Taverne vous avait aussi interrogé sur les préconisations que vous pourriez faire à la représentation nationale pour améliorer les choses.

M. Robert Namias. L’existence d’une culture du viol au sein de TF1 n’est même pas imaginable. Comment peut-on dire qu’une entreprise ou que des collaborateurs auraient cette culture ? C’est l’un d’eux qui est en cause, individuellement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je voudrais préciser que la culture du viol désigne le fait de ne pas percevoir les signaux faibles lorsque des violences sont perpétrées contre les femmes – sachant que ces violences s’inscrivent dans un continuum.

M. Robert Namias. Il me semble – peut-être faudrait-il s’appuyer sur des documents pour le prouver – que l’usage de ce terme est récent. Or nous parlons de faits qui se sont déroulés il y a vingt ou trente ans, à une époque où les signaux faibles n’étaient pas associés à la culture du viol. Je crois vraiment qu’il faut remettre les choses dans leur contexte.

Je voudrais aussi préciser à Mme Youssouffa qu’il n’y avait pas de services journalistiques en commun entre LCI et TF1 : il s’agissait de services d’appui rédactionnel. Quant à Romain Verley, je ne sais pas à quelle époque il a travaillé pour TF1 mais, pour ma part, il ne me semble pas l’avoir croisé plus de quelques fois.

J’en viens aux préconisations que l’on pourrait faire. Il en est une évidente : même si le dispositif ne peut être totalement anonyme en cas de saisie de la DRH, il faut trouver le moyen que l’ensemble des collaboratrices se sentent en sécurité pour parler. J’ai longuement échangé avec certaines des femmes qui ont témoigné…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Après la révélation des faits ?

M. Robert Namias. Oui, après la révélation des faits. Et la première chose que je leur ai dite, c’est qu’elles ne m’en avaient jamais parlé, quand bien même nous étions proches ! Elles m’ont répondu qu’à l’époque c’était impossible, au-delà même de la puissance de Poivre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est peut-être cela, le sujet.

M. Robert Namias. Oui, c’est le sujet. C’était il y a vingt ans, et cela ne peut plus se passer ainsi. Il faudrait faire en sorte que la direction des ressources humaines soit la première informée – à moins que les faits ne se déroulent en son sein –, et non le patron. Il faut mettre en place un circuit qui, tout en protégeant celle qui a l’intention de porter plainte, permette d’agir. Quelle que soit l’entreprise, quel que soit le service, le patron reste le patron, et il est souvent fantasmé. Je ne sais pas ce qu’il en est pour les viols, mais il est évident que le harcèlement sexuel continue d’exister dans de nombreuses entreprises, accompagné de pressions et d’un phénomène d’omerta. C’est une évidence. Des dispositions – non législatives et sans doute insuffisantes – ont été prises dans l’audiovisuel : ce n’est plus dans ce secteur qu’il continue de de passer des choses inacceptables.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Regardez ce qui se passe dans d’autres chaînes, vous verrez ! Je voudrais vous poser une ultime question : si un membre de la direction avait eu connaissance des faits, Patrick Poivre d’Arvor aurait-il pu être licencié ?

M. Robert Namias. Oui, absolument.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’imagine que cette audition n’a pas été pour vous un moment agréable…

M. Robert Namias. Je m’excuse de m’être parfois un peu emporté.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. …mais elle fait partie de notre mission, et nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions. Nous mènerons d’autres auditions, y compris sur l’affaire touchant TF1.

 

La séance s’achève à onze heures cinquante.


 

Membres présents ou excusés

Présents.  M. Erwan Balanant, Mme Soumya Bourouaha, Mme Eléonore Caroit, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Sarah Legrain, Mme Graziella Melchior, Mme Sandrine Rousseau, M. Emeric Salmon, M. Michaël Taverne, Mme Estelle Youssouffa

Excusée.  Mme Claire Lejeune