Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, ouverte à la presse, de M. Mathieu Ripka, délégué général de la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP), Mme Joyce Dardanne, déléguée générale adjointe, M. Quentin Delcourt et M. Jérôme Enrico, cinéastes de l’ARP              2

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des assureurs : Mme Barbara Rousseil, directrice associations, collectivités et entreprises à la MAIF, M. Sylvain Mortera, directeur général du groupe Aréas Assurances et M. David Sultan, directeur courtage et M. Hugo Rubini, courtier              15

– Présences en réunion................................24

 


Jeudi
14 novembre 2024

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 6

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Mathieu Ripka, délégué général de la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP), Mme Joyce Dardanne, déléguée générale adjointe, M. Quentin Delcourt et M. Jérôme Enrico, cinéastes de l’ARP.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos auditions en recevant M. Mathieu Ripka, délégué général de la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs (ARP), Mme Joyce Dardanne, déléguée générale adjointe de l’ARP, accompagnés de M. Quentin Delcourt et de M. Jérôme Enrico, cinéastes membres de l’ARP.

Notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le monde du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle. Le réalisateur, comme le producteur, occupe un rôle central dans la conduite d’un projet cinématographique. Il est donc le témoin privilégié et parfois, hélas, l’auteur des violences sexuelles et sexistes qui peuvent survenir avant, pendant ou après un tournage.

Comment vos organisations répondent-elles à l’impérieuse nécessité de prévenir ces violences et de les gérer au mieux lorsqu’elles surviennent ? Le mouvement #MeToo a-t-il fait évoluer les pratiques des réalisateurs dans la conduite d’acteurs ? Que faire d’un film qui aurait été entaché par des faits de violences sexuelles ? Quelles propositions souhaitez-vous formuler pour assurer une prévention efficace de ces violences ?

Notre audition, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jérôme Enrico, M. Quentin Delcourt, Mme Joyce Dardanne et M. Mathieu Ripka prêtent successivement serment.)

M. Jérôme Enrico, cinéaste de l’ARP. L’ARP, fondée en 1987, regroupe des réalisateurs qui sont aussi des producteurs et des auteurs. Notre singularité est donc d’avoir une vision transversale du métier.

Nous sommes très heureux que la commission d’enquête ait été recréée aussi rapidement après la dissolution de l’Assemblée nationale et sommes ravis de pouvoir apporter notre contribution à ses travaux.

Nous sommes connus parce que nous défendons depuis toujours l’indépendance et la diversité, qui se traduit dans la composition de notre organisation par la parité, centrale dans la lutte contre les violences de tous ordres. Transparence et diversité sont au cœur de nos préoccupations et de nos débats depuis toujours. Une plus grande parité au sein même de notre organisation nous semble être la base d’un équilibre qui éloigne les violences. Étant non seulement cinéaste mais également directeur d’une école de cinéma, j’ai remarqué que depuis que la parité avait été atteinte et même dépassée, nous avions de moins en moins de questions de cet ordre au sein de l’établissement scolaire que je dirige.

Parmi les multiples actions que mène l’ARP, nous avons voulu mettre en lumière le groupe Respect, que vous avez auditionné ce matin. Son travail nous a paru très intéressant car il vise à répondre aux questions que l’on se pose sur la façon de faire face à ces problèmes et sur le chemin à suivre pour rendre notre métier plus vertueux. Celui-ci étant très regardé, il a en effet souvent valeur d’exemple. La table ronde que nous avons organisée avec le député Erwan Balanant, lors de nos Rencontres cinématographiques, était un moment de débat important et nous sommes nous-mêmes en train de réfléchir à la mise en application des différentes propositions du groupe Respect.

Nous avons été les premiers à demander le retrait du président du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), Dominique Boutonnat, au moment de sa mise en examen. Nous sommes assez attentifs à ces questions et il nous semblait difficile de continuer le débat avec le CNC d’une manière sereine avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nous avons pris le problème à bras-le-corps en changeant les statuts de l’ARP il y a deux ans pour pouvoir mettre en retrait une personne qui serait impliquée dans une affaire de violences sexistes et sexuelles et même, dès lors qu’une condamnation intervient, pour pouvoir l’exclure définitivement.

M. Mathieu Ripka, directeur général de l’ARP. Je souhaite souligner la particularité de nos métiers. Ils rassemblent, sur une période limitée, des personnes qui réalisent le projet d’une vie – et cela ne concerne pas que les réalisateurs. Nous sommes parfaitement conscients que ce cadre peut générer des violences. Nous nous réjouissons donc de la constitution rapide de la commission d’enquête qui, je l’espère, trouvera des moyens pour nous permettre de continuer à exercer ces métiers de la manière la plus informée possible.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer dans l’éradication ou, du moins, dans la limitation au maximum des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma ? Depuis le début des auditions, tout le monde affirme faire beaucoup d’efforts mais des violences demeurent. Comment pensez-vous faire véritablement bouger les choses, en n’étant pas seulement ouverts à ce qui est en train de se passer mais en cherchant à modifier le paysage dans lequel vous intervenez ? Vous avez fait part de pistes intéressantes, comme le changement de statuts, mais comment pouvez-vous être vraiment proactifs pour diminuer ces violences et leur impunité ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’organisation récente d’une table ronde lors de vos Rencontres est la preuve de votre implication. Pensez-vous qu’il en va de même pour l’ensemble de vos membres ? J’ai remarqué que la salle s’est largement dégarnie au moment où notre table ronde a débuté. Je vous remercie vraiment pour votre soutien au groupe Respect : il démontre bien que vous, et sans doute la gouvernance de votre structure, souhaitez avancer sur ce sujet.

Après l’émergence de toutes ces affaires et la mise en place de cette commission d’enquête, pensez-vous qu’il faut mobiliser davantage vos adhérents ? Tous les acteurs ont-ils pris conscience de l’ampleur du fléau et des conséquences qu’il peut avoir ?

M. Quentin Delcourt, cinéaste de l’ARP. Nos métiers reposent sur des individualités qui doivent former un collectif pour créer une œuvre et la diffuser. C’est compliqué parce que chaque individualité doit suivre son propre chemin. La spécificité de l’ARP est de réunir des réalisateurs producteurs. Les producteurs étant les employeurs, ils ont la responsabilité morale du collectif. Il leur revient donc de sensibiliser à ces questions et de se montrer intransigeants sur le cadre ainsi posé. Ce mouvement, même s’il est en cours, nécessitera encore un peu de temps. Heureusement, la parole se libère. Le cinéma étant le miroir de la société, il est très important que nous soyons en avance sur ces questions ; nous constatons d’ailleurs que d’autres corps de métiers commencent à parler.

Notre rôle est de sensibiliser chaque membre de nos équipes en rappelant la nécessité de ne tolérer aucune violence, qu’elle soit morale, sexiste ou sexuelle. Des outils ont été mis en place, notamment par le CNC, pour former d’abord les producteurs, puis les techniciens et les réalisateurs. Ce travail est indispensable car un film peut représenter deux ou trois ans de la vie d’un réalisateur ; c’est différent pour les techniciens, qui peuvent faire dix ou vingt tournages dans l’année, ou encore pour les acteurs. Toutes ces singularités sont interconnectées ; le rôle du travail collectif est de ne plus tolérer les violences. À titre personnel, étant un jeune cinéaste de 33 ans, j’apprécie que le milieu du cinéma prenne conscience qu’il est avant tout un lieu de travail, soumis au code du travail, avec des droits et des devoirs. La commission d’enquête que vous menez nous aidera de ce point de vue.

Nous devons faire preuve d’exemplarité. Les débats au sein de l’ARP sur la question de l’exclusion ou de la mise en retrait de membres qui seraient mis en examen ont montré qu’il existait des différences d’appréciation entre les générations de cinéastes. Cela illustre bien les évolutions en cours dans la société. Toutefois, la majorité de nos membres s’accorde sur la question de l’exemplarité.

Nous avons aussi un rôle très important à jouer en matière d’éducation. À titre personnel, je pense qu’il faut être très sévère en cas de dérapage – il y en a encore, en dépit de la médiatisation du sujet. Certaines personnes prennent conscience des actes abusifs qu’elles ont pu commettre de façon naturelle ou, du moins, sans craindre d’être sanctionnées. Il existe une forme d’émulation quand on tourne un film, parce qu’il y a beaucoup d’argent en jeu et beaucoup de stress. Parfois, il y a des dérapages et, dans ces moments-là, se pose toujours la question de savoir ce que va devenir le film. Au sein de notre organisation, nous avons donc le devoir d’éduquer, d’encadrer et de faire entendre que l’on ne doit pas tolérer ces agissements.

Mme Joyce Dardanne, déléguée générale adjointe de l’ARP. L’auteur réalisateur a un rôle très important d’impulsion sur le tournage de son film mais aussi d’exemplarité. Au sein de l’ARP, qui est un collectif différent de celui du film, nous essayons de sensibiliser à cette question.

Concernant la modification de nos statuts, nous faisons du prosélytisme auprès d’autres organisations de producteurs, de réalisateurs et de distributeurs pour expliquer comment nous traitons ce sujet et pour faire en sorte que d’autres s’en inspirent. Nous avons mis en place, il y a deux ans et demi, une suspension automatique en cas de mise en examen pour un crime ou un délit puni d’au moins deux ans de prison, ou une suspension automatique en cas de soustraction à une autorité judiciaire étrangère pour des faits de cette nature. La procédure de suspension est encadrée pour éviter toute décision arbitraire et pour empêcher que nous ne nous transformions en tribunal.

L’instruction est contradictoire, avec un appel possible contre la suspension devant l’assemblée générale. De même, nous avons défini de façon très claire le début et la fin de la suspension, en fonction de nombreux critères précis et transparents. La suspension a pour effet la perte de jouissance de l’ensemble des droits attachés à la qualité de membre – droit de vote, éligibilité, etc. –, la fin du mandat exclusif confié à la société en qualité d’associée, la fin du paiement de la cotisation à l’ARP – c’est un détail mais cela fait partie des considérations très claires auxquelles nous avons réfléchi pour que, de notre côté, nous sachions comment réagir en cas de mise en cause au sein de notre collectif.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez indiqué que la suspension intervenait à partir de la mise en examen. Comment réagissez-vous en cas de rumeurs sur une personne dont les agissements peu recommandables seraient connus ? Je précise que notre commission d’enquête traite des violences sexistes et sexuelles mais aussi des violences morales, voire économiques. C’est un sujet qui nous préoccupe tous.

J’en viens au statut de producteur réalisateur. Le producteur, en tant qu’employeur, est celui qui met tout en musique, qui finance, qui est chargé de faire en sorte que le film soit mené à terme. Mais il est aussi responsable de l’application du code du travail. Avec un producteur réalisateur, la difficulté est encore plus importante car il doit gérer non seulement tous ces aspects mais également la réalisation d’un film qui se trouve être son œuvre, et l’on sait l’attachement qu’une personne peut avoir à son œuvre. Le statut particulier du producteur réalisateur pourrait, et je mets ce terme au conditionnel, l’inciter à être moins regardant sur le respect du code du travail ou des obligations légales. Portez-vous une attention particulière à cette question, par exemple en renforçant les formations ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Votre métier a un rapport au corps particulier. S’il est normal de se focaliser sur la gestion des cas lorsqu’ils surviennent, que faites-vous pour éviter qu’ils ne se produisent ? Cela me semble moins précis. Proposez-vous des formations, des temps d’échange, des débats à vos membres sur le rapport au corps, dans un casting mais aussi dans le jeu ? Les avez-vous informés de l’existence des coordinateurs et coordinatrices d’intimité ?

La difficulté de votre position est que vous êtes à la fois des artistes, des managers, des spécialistes du droit du travail, etc. Une question revient de manière récurrente : comment gérez-vous les temps hors travail sur un tournage, par exemple les soirées, les fêtes, les déplacements ? Menez-vous sur ce point une réflexion concrète avec vos membres ou est-ce simplement à l’état d’intention à ce stade ?

M. Jérôme Enrico. Doit-on écarter une personne de la lumière lorsqu’elle est mise en cause, ou bien lorsqu’elle est mise en examen ? C’est le point qui fait le plus débat : quand la suspension doit-elle intervenir si l’on veut tout à la fois préserver la présomption d’innocence et protéger la victime ? C’est assez compliqué car nous avons souvent l’impression de nous substituer à la justice, dont le cours est plus lent.

Dans nos métiers, les tournages ont une durée déterminée, pendant laquelle nous sommes obligés de prendre des décisions. Le travail des productrices du groupe Respect sur ces questions nous a intéressés. Comment agir rapidement et, question corollaire, comment gérer les rumeurs sur les réseaux sociaux ou dans la presse ? Pour ma part, cela me semble difficile. Cela plaiderait presque pour l’instauration d’une clause de confidentialité pour tous les membres d’une équipe de tournage, afin que la communication soit supervisée par quelqu’un. Dès que des rumeurs commencent à se répandre, cela devient incontrôlable. Les films dits abîmés posent un vrai problème : il faut essayer de défendre l’œuvre collective, même lorsqu’il y a eu un incident sur le tournage, parce qu’un film représente beaucoup d’énergie et de travail. Une œuvre collective doit-elle pâtir de la faute d’une personne ?

Le débat reste ouvert, notamment sur la solution à adopter lorsque la sortie d’un film est mise en difficulté par une histoire non pas contemporaine, mais liée à l’un des protagonistes, parfois vieille de vingt ans et qui réémerge aujourd’hui. La réflexion est en cours sur les meilleures façons d’y faire face, dans le métier comme au sein de l’ARP, mais nous n’avons pas encore trouvé toutes les solutions.

Mme Joyce Dardanne. Notre collectif a décidé de retenir la date de mise en examen par un juge d’instruction français ou une mesure équivalente prononcée par une juridiction européenne. La rumeur n’est donc pas le déclencheur de la suspension automatique.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ni la rumeur, ni le témoignage. La justice ne sanctionne que 0,7 % des viols et le nombre de mises en examen est à peine plus élevé, à 1,4 %. C’est vraiment très faible. Je le rappelle parce qu’on nous renvoie toujours à la justice sur ces questions, alors que celle-ci est largement défaillante.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Est-il envisageable d’auditionner la personne mise en cause au moment non pas de la mise en examen mais du dépôt de plainte, avant de prendre éventuellement une décision ? J’ai conscience que c’est compliqué car c’est un travail qui peut s’apparenter à celui d’un enquêteur.

M. Jérôme Enrico. Les statuts prévoient une démarche contradictoire à partir du moment où il y a une mise en cause, pour se forger une opinion sur ce qui se passe.

Mme Joyce Dardanne. Oui, mais c’est postérieur à la mise en examen. Nos statuts ne prévoient pas de le faire antérieurement mais ils sont évidemment perfectibles. La mise en examen n’est que la première étape, certes tardive et incertaine, et qui aboutit rarement à des condamnations – nous espérons que ce sera de moins en moins le cas. Cette réflexion sur le moment de bascule pourra évoluer en tenant compte des débats qui occupent notre profession et des commentaires que vous serez amenés à formuler.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La mise en examen ne paraît pas constituer le moment le plus adéquat car elle peut déboucher sur un non-lieu. Pourquoi vous en tenir à la mise en examen ? Pourquoi pas la plainte ?

Je vous rappelle mes questions sur le rapport au corps, sur le hors temps de travail stricto sensu et sur le métier de coordinateur et coordinatrice d’intimité.

M. Quentin Delcourt. Comme les entreprises, les films sont de taille variée – petits, moyens, gros – et chaque tournage est unique, qu’il s’agisse de l’organisation des équipes ou de la structure financière. Or il n’arrive jamais que le producteur et le réalisateur soient la même personne : sur un plateau, il est presque impossible de porter les deux casquettes. Les réalisateurs qui produisent leur propre film ont été chercher de l’argent en amont du projet puis délèguent presque systématiquement la production pendant le tournage à des coordonnateurs et délégués de production. En effet, les comédiens, techniciens et prestataires entretiennent avec le réalisateur des rapports différents de ceux qu’ils ont avec le producteur – avec qui ils peuvent aborder des questions concrètes telles que le temps de travail, l’argent, d’éventuels problèmes de respect, et ainsi de suite. Avec le metteur ou la metteuse en scène, au contraire, ils privilégient les discussions artistiques pour ne pas faire dévier le projet commun à toutes les équipes.

Pendant le tournage, en particulier lorsque les équipes sont en déplacement, il y a parfois de la porosité entre les questions professionnelles et les questions personnelles. C’est une situation très complexe. Les films se font à partir de la part intime de chacun, de son talent bien sûr mais aussi de son corps et de son engagement physique. Quand on parle du corps, on pense d’emblée aux acteurs et actrices qui, par leur profession même, exposent leur corps, mais la question englobe aussi les autres membres de l’équipe – qu’il s’agisse d’une technicienne, d’une accessoiriste, etc. Prenons l’exemple concret d’une scène tournée dans une piscine – un lieu clos où il fait chaud. Les comédiens sont en maillot de bain, mais il arrive que les autres personnes présentes soient peu vêtues. C’est une situation qu’il faut savoir encadrer.

Encore une fois, les discussions actuelles autour du corps portent surtout sur les comédiennes et comédiens, mais chacun d’entre nous a un corps et, sur un tournage, il est souvent mis à rude épreuve compte tenu de l’engagement requis. Or le corps doit être respecté, durant les heures de travail comme en dehors – lors des heures de sommeil, des moments de détente et des journées de repos, par exemple. Pendant ce temps-là, qui est souvent collectif – les équipes partagent des lieux de résidence –, le corps et l’intimité doivent être respectés.

Des mesures existent déjà. Un nombre croissant de producteurs établissent des chartes de bonne conduite – j’en ai moi-même fait l’expérience – imposant le respect de l’intimité de chacun, notamment lorsque les équipes sont hébergées dans les mêmes hôtels ou locations.

La production, quant à elle, doit être vigilante à titre préventif sur plusieurs points qui semblent évidents mais qui, pour des raisons économiques, ne le sont pas toujours. Pendant longtemps, par exemple, il était courant de loger des techniciennes et techniciens dans les mêmes chambres d’hôtel pour réduire les dépenses, compte tenu du prix des chambres individuelles dans les hôtels ; mais c’est dans ce type de situations, entre autres, qu’ont été observés des dérapages voire des viols – un viol n’étant ni un simple dérapage ni un geste anodin mais un acte criminel. Quoi qu’il en soit, c’est dès le stade de la production qu’il faut envisager un sacrifice financier afin d’individualiser autant que possible le temps personnel des employés pour assurer leur sûreté.

Sur le plateau, il faut prévoir des coordinateurs d’intimité en cas de scènes de nudité ou de scène physiques difficiles.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’entends qu’à titre individuel, vous êtes conscients du problème, mais l’ARP agit-elle en tant que telle ? En outre, le temps hors travail a été évoqué mais il faut aussi parler des castings.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Comme vous, le groupe Canal+ s’est doté d’un mécanisme de signalement pour faire en sorte que les alertes soient traitées. Je comprends la difficulté de la situation mais, lorsqu’un comportement est manifestement hors des clous, quel est votre rapport à la justice ? Lui adressez-vous des signalements ? Les règles établies en interne, en effet, ne suffisent pas toujours, et pour cause.

Ensuite, puisque vous dirigez des réseaux, envoyez-vous à vos membres des informations régulières et formelles concernant les violences sexuelles et sexistes, et les discriminations en général ? De quelle nature ?

Certains tournages impliquent des mineurs. Des mesures spécifiques sont-elles prévues ?

Enfin, monsieur Enrico, puisque vous dirigez une école de cinéma, adressez-vous des messages particuliers à vos étudiantes et étudiants ?

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Vous avez évoqué les sanctions prononcées à l’égard de membres de l’ARP. Valent-elles aussi pour les équipes de tournage ? Celles-ci appliquent-elles les mêmes règles ? Si oui, qu’advient-il du tournage d’un film au cas où une sanction est prise en cours de route, par exemple à l’encontre du réalisateur ou d’un acteur, avec le risque de mettre à mal le travail de toute une équipe et de compromettre les investissements importants qui ont été réalisés très en amont ?

Comment associez-vous les familles, en particulier les parents, à l’accompagnement des mineurs participant à un tournage ?

M. Jérôme Enrico. Il va de soi que nous devons répondre aux signalements lorsqu’ils surviennent – mais je n’ai jamais eu affaire à ce cas de figure.

En ce qui concerne le rapport à la justice, comme d’autres écoles, l’école de cinéma que je dirige a depuis très longtemps adopté des outils tels que la charte Respect et des chartes de bonne conduite signées par les élèves et par les enseignants. Les écoles, qui sont de grosses entreprises, ont donc une longueur d’avance, en quelque sorte.

Il existe en outre un fait générationnel. Ma génération a été moins sensibilisée aux violences sexistes et sexuelles que les générations suivantes. À l’Esec, nous avons non seulement atteint mais dépassé la parité parmi les élèves : les filles sont plus nombreuses que les garçons. Dans les quelques cas d’incident que nous avons connus, nous avons accompagné la plaignante dans ses démarches afin qu’elle porte plainte auprès des autorités compétentes, et nous avons convoqué le mis en cause pour l’entendre et discuter avec lui. Contrairement aux tournages où les choses se font en flux tendu, on peut plus aisément prendre des mesures étalées dans le temps dans une école – par exemple reporter la scolarité en attendant une éventuelle décision de justice.

En clair, dans les écoles, l’information sur les violences sexistes et sexuelles et sur l’exercice vertueux des métiers est déjà très développée. En outre, la génération actuelle des étudiants, qui sont les acteurs et actrices, réalisateurs et réalisatrices de demain, se sentent déjà très concernés par la question. Je vois un motif d’espoir dans le fait que les violences reculent voire disparaissent dès qu’on atteint la parité dans les effectifs d’étudiants, mais cela vaut aussi pour les équipes de tournage et le corps enseignant des écoles de cinéma.

Quant aux tournages avec des mineurs, ils sont déjà très encadrés en France. Ils sont soumis à autorisation préfectorale. Jusqu’ici, l’accompagnement par une personne dédiée n’était pas obligatoire mais va le devenir. Les règles sont très contraignantes – à juste titre : en deçà d’un certain âge, un enfant ne peut pas tourner plus de quatre heures dans la journée, par exemple. Les conditions de tournage sont très contrôlées : on ne peut évidemment pas faire n’importe quoi.

Enfin, il va de soi que nous parlons du rapport au corps avec les étudiants. En juin, nous avons justement organisé un débat sur ces questions avec une coordinatrice d’intimité ; chacun a pu exprimer son point de vue ou faire part de son expérience. Le débat est donc très vivant parmi les jeunes générations qui feront le cinéma de demain ; il mériterait peut-être d’être encouragé davantage au sein des générations plus anciennes, dont la mienne.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. À chaque audition, on nous parle d’une charte – c’est presque devenu un sujet de plaisanterie entre nous. Des chartes, il y en a partout ; apparemment, tout le monde en a adopté une. J’y vois tout à la fois le signe d’une volonté et d’une incapacité. Une charte, en effet, n’est pas contraignante ; c’est une déclaration d’intentions. Leur multiplication montre qu’il manque des choses dans la loi, sans quoi il ne serait pas nécessaire d’en rédiger autant. Selon vous, quelles sont les lacunes du droit qu’il est nécessaire de combler par des chartes ?

Autre question : vous excluez vos membres lorsqu’ils sont mis en examen, mais une procédure est-elle prévue pour un producteur-réalisateur qui aurait masqué quelque chose sur son tournage ? C’est tout de même le cas le plus courant : une personne fait tout pour dissimuler un incident afin qu’il ne s’ébruite pas. Nous en avons eu un témoignage. Or il semble qu’il serait moins coûteux de masquer un incident que de faire en sorte que les victimes soient prises en charge.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous sommes en effet preneurs de vos propositions d’amélioration du cadre législatif. Pensez-vous que la loi est suffisante ? Le code du travail, déjà très protecteur, doit-il l’être encore davantage ? Faut-il le renforcer dans vos secteurs respectifs ? Faut-il développer la culture de la contractualisation entre les parties prenantes à un tournage ? Les professionnels du cinéma sont-ils selon vous assez formés au droit existant ? Les écoles de cinéma devraient-elles dispenser une formation obligatoire en droit pénal et en droit du travail ?

Mme Joyce Dardanne. Pour répondre à la question sur l’omerta et les incidents qui seraient dissimulés, les statuts de l’ARP prévoient que l’exclusion d’un associé peut être prononcée par l’assemblée générale convoquée à la requête du conseil d’administration pour des motifs comprenant notamment une infraction grave aux règles de la probité professionnelle. Nous n’avons jamais eu à connaître de tels cas, mais cette disposition permettrait sans doute de les traiter.

M. Jérôme Enrico. L’un des axes centraux du rapport Respect consiste à permettre aux victimes de s’exprimer sans craindre de mettre en péril tout le projet dans lequel elles sont impliquées. Il est parfois très difficile pour une actrice victime de violence sur un tournage de se résoudre à menacer l’avenir du film dans son ensemble en portant plainte. S’il n’est peut-être pas nécessaire de renforcer la loi, au moins faudrait-il étoffer la réglementation pour alléger la charge qui pèse sur les victimes.

M. Quentin Delcourt. Nous utilisons de plus en plus la ligne d’écoute soutenue par le ministère de la culture et organisée par le groupe Audiens. C’est un outil utile et efficace qui permet aux victimes de parler à un tiers extérieur sans être directement confrontées à une autre partie prenante du projet auquel elles participent. Il a fallu un peu de temps pour mettre sur pied cette cellule d’écoute et pour la faire connaître, mais elle commence à porter ses fruits : elle a reçu 2 735 appels ou courriers électroniques depuis son lancement.

Il se produit une véritable prise de conscience du fait que les métiers du cinéma sont des métiers à part entière et qu’ils obéissent au code du travail. La formation que le CNC organise sur les violences sexistes et sexuelles nous oblige à nous pencher sur les droits et devoirs de chacun. Certes, l’omerta existe. Nombreux sont aussi ceux qui ont du mal à faire la distinction entre le temps du travail et le reste de la vie. Le cinéma est un métier de passion, dit-on souvent, qui se confond avec la vie. Peut-être la prise de conscience est-elle encore trop lente, mais le fait est que nombreux sont ceux qui découvrent le droit qui s’applique dans ce secteur.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Certes, et vous n’êtes pas le premier à nous le dire, mais comprenez qu’on puisse s’étonner qu’il faille encore préciser en 2024 que ces métiers relèvent du code du travail.

M. Mathieu Ripka. L’ARP intervient beaucoup dans le champ réglementaire voire politique, mais à ce stade, pas dans le champ social : elle ne prend pas part aux discussions sur les conventions collectives. Elle n’est donc pas directement compétente pour traiter de ce qui se passe sur les tournages.

En revanche, elle est un espace de discussion – et ces discussions concernent tout le monde, car il s’agit bien de réfléchir à la pratique du métier.

Dans le champ réglementaire, nous agissons pour défendre nos valeurs : indépendance, transparence et, surtout, diversité – avec son corollaire évident, la parité, car l’une ne va pas sans l’autre. C’est notre premier objectif et nous faisons tout pour l’atteindre : on constate en effet que la parité est synonyme de réduction des problèmes.

Que manque-t-il dans la loi ? Peut-être précisément, l’accès à la loi – un accès permanent. Les tournages ont lieu partout et tout le temps. Il faudrait un lieu permettant d’établir si l’on fait n’importe quoi ou pas. En tant qu’ancien producteur, je sais qu’on est parfois obligé d’inventer des solutions sans vraiment savoir si elles sont conformes à la loi. Certes, nul n’est censé ignorer la loi, mais un lieu d’accès au droit serait sans doute très utile.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Par exemple sous la forme d’une ligne téléphonique qui serait placée sous la responsabilité du CNC ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Certains métiers sont encadrés et supposent de suivre un cursus dédié. Pour être coiffeuse ou coiffeur, par exemple, il faut être titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de coiffure. Peut-on imaginer pour les métiers du cinéma un tronc commun de formation au droit, qui serait obligatoire pour tous ? Il va de soi que les producteurs, qui sont des employeurs, doivent connaître le droit ; mais les comédiennes et comédiens, s’ils connaissaient mieux leurs droits, pourraient par exemple se pencher sur leurs contrats, en lien avec leur agent, et en comprendre les détails. De même, tout témoin d’un incident survenu sur un plateau, connaissant les règles, pourrait signaler une atteinte au droit. Bref, la connaissance de la loi permettrait de faciliter les signalements.

Pensez-vous qu’il faille renforcer la dimension juridique de la formation aux métiers du cinéma ?

M. Jérôme Enrico. Ce serait sans doute utile. La plupart des écoles de cinéma font déjà de la formation – peut-être insuffisamment – dans plusieurs domaines, par exemple le droit d’auteur, la réglementation et les codes de bonne conduite.

En tant qu’auteurs-réalisateurs-producteurs, nous avons presque tous suivi la formation obligatoire de producteur du CNC, qui nous sensibilise à ces questions avant les autres. Il est question d’étendre la formation aux autres professionnels du cinéma, comme les techniciens.

Nous rencontrons – comme d’autres secteurs de la société – une autre difficulté : la vitesse de la justice dès lors qu’elle est saisie. En cas de litige relatif au droit d’auteur, il existe des mécanismes de conciliation – notamment l’Amapa, l’Association de médiation et d’arbitrage des professionnels de l’audiovisuel. Peut-être pourrait-on envisager la création d’un comité ad hoc indépendant dans le domaine des violences sexistes et sexuelles, qui n’aurait aucun lien avec les parties concernées et qui pourrait les entendre. Le temps long de la justice nous met parfois en porte-à-faux face au temps court du cinéma. Il arrive que les différentes parties du droit – droit d’auteur, droit du travail – se télescopent. Sans doute serait-il utile qu’une commission – qui serait davantage qu’une simple cellule d’écoute – puisse établir ce que dit le droit en cas de litige dans nos métiers.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Un tel outil serait différent, en effet, d’une simple ligne d’écoute. Il faut distinguer entre le droit du travail et ce qui relève de la justice. La présomption d’innocence, qui est à juste titre l’objet de toutes les passions, ne s’applique pas en droit du travail, où le principe supérieur est celui de la mise en sécurité des personnes. C’est au nom de ce principe qu’il est possible, par exemple, de suspendre une personne à titre conservatoire pour éviter qu’elle mette d’autres personnes en danger, en attendant une éventuelle instruction judiciaire.

Or l’application de ce principe me semble encore assez floue dans l’exercice de vos métiers. Vous avez pourtant une responsabilité particulière, car vous êtes le maillon central de l’existence d’un film et un acteur incontournable dans le monde du cinéma. J’entends vos intentions, qui sont louables, mais comment envisagez-vous de passer à l’action pour que les choses changent ?

M. Quentin Delcourt. L’ARP en tant que telle n’a pas d’impact sur un tournage. Elle peut en revanche sensibiliser et adopter des comportements exemplaires. Pour que les choses changent, on pourrait aussi demander qu’aucune interaction sur un tournage n’implique que deux personnes. Avec trois personnes au minimum, nul ne se retrouverait isolé, ce qui éviterait de laisser la vulnérabilité de l’un face au pouvoir de l’autre et de devoir confronter deux versions seulement. On le voit déjà : sur certains lieux de travail, les portes doivent rester ouvertes et un tiers doit toujours être présent. C’est aussi une manière pour les porteurs de projet de se protéger et de se rassurer, car ce type de situation génère du stress, dès le casting.

Multiplier les formations ne peut qu’être utile, mais il serait encore plus efficace à court terme de désigner sur les tournages une personne référente qui connaît le droit. C’est déjà le cas des coordinateurs d’intimité, ou des référents pour les questions écologiques et éthiques, qui pourraient peut-être cumuler leur champ d’intervention avec les questions juridiques. Ils pourraient faire le point sur les enjeux en début de tournage, et le refaire en cours de route – car un tournage, c’est un va-et-vient constant où de nouvelles équipes arrivent au fil de l’eau. La désignation d’un référent unique permettrait aussi de gérer les individualités.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je comprends bien que l’ARP n’est pas directement présente sur les plateaux, mais elle peut aussi être un lieu de réflexion, hors d’un cadre juridique. Votre rôle est essentiel dans la bataille culturelle, mais je sens presque en vous une difficulté à l’appréhender, comme si vous ne saviez pas par quel bout prendre la question – les enjeux économiques ou les enjeux de réputation, par exemple, qui sont considérables pour vous et sans doute bien supérieurs à beaucoup d’autres risques. Je vois un paradoxe entre l’importance du sujet pour l’ARP en tant qu’association, et la difficulté que vous semblez avoir à vous en emparer, en citant d’autres acteurs, le CNC ou le groupe Respect notamment. Ne faut-il pas utiliser l’ARP comme espace où libérer la parole, soulager l’angoisse mais aussi formuler des propositions concrètes d’évolution des métiers du cinéma ?

M. Quentin Delcourt. Je rappelle que nous avons été les premiers à demander le retrait de Dominique Boutonnat dès sa mise en examen. C’est tout de même une prise de risques, y compris dans le cadre du dialogue que nous entretenons avec les pouvoirs publics, mais nous n’avons jamais flanché – et nous ne flancherons pas.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Que sont les feuilles de service ? Sont-elles bien utilisées ? Nous avons cru comprendre lors d’autres auditions qu’elles n’étaient pas une priorité. C’est pourtant un outil qui permet à l’inspection du travail de conduire ses contrôles, en particulier lorsque des mineurs sont concernés.

M. Jérôme Enrico. En effet, les feuilles de service sont importantes, bien qu’elles ne soient pas forcément lues par tout le monde. Elles résument tous les éléments liés à une journée de tournage. Elles constituent donc un point de repère à la fois pour les assurances et pour les autorités publiques. Elles servent aussi de moyen de communication simple et quotidien entre la production et l’ensemble de l’équipe du film. Si elles ne sont pas toujours lues, c’est parce que la plupart des personnes qui travaillent sur un tournage savent déjà ce qu’elles contiennent. Elles n’en restent pas moins un témoignage important qui permet de consulter les horaires de préparation, par exemple.

M. Quentin Delcourt. Le problème des feuilles de service est qu’elles sont actualisées chaque jour en fonction de l’heure à laquelle le tournage a pris fin la veille. Or, si le tournage a pris fin à deux heures du matin et que la feuille de service du jour suivant est envoyée à quatre heures, on est naturellement en droit d’espérer que les destinataires dorment pour récupérer. Néanmoins, c’est un outil de communication et d’organisation du travail. Depuis deux ou trois ans, des indications y sont souvent ajoutées sur l’exigence de respect, la lutte contre la LGBTphobie et le racisme, etc. Comme toute nouveauté, elle a été remarquée, mais elle est désormais banalisée, de sorte que la feuille de service n’est vraiment qu’un simple outil technique destiné aux équipes. Elle peut certes servir a posteriori en cas de contrôle du respect du droit du travail, mais à mon sens, ce n’est pas une source totalement fiable.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans certains pays, les États-Unis notamment, les contrats de travail contiennent des descriptions très précises des scènes de nu ou d’intimité, et tout ce qui sera demandé au comédien ou à la comédienne est encadré en amont. Peut-être même cette pratique s’étend-elle aux techniciens et techniciennes pour détailler ce qu’ils pourraient être conduits à voir sur un tournage. Une telle évolution juridique vous semble-t-elle nécessaire ?

M. Quentin Delcourt. Totalement. Une source passée et présente de nombreux problèmes tient à l’écart important qui existe entre ce qui est écrit dans le scénario et ce qui paraît à l’écran. Au risque de me faire des ennemis, je crois qu’il faut cesser de penser que tout se crée sur le tournage grâce à la magie du moment, l’inspiration instantanée. Lors de scènes difficiles, qu’elles soient de nudité ou de violence physique ou morale, certains metteurs en scène sont très violents à l’égard de leurs acteurs dans le but de faire émerger des émotions. On peut éviter ces situations dès lors que ce qui est accepté dans un scénario se retrouve effectivement à l’écran. Ainsi, les comédiens et comédiennes qui jouent les scènes – et les techniciens et techniciennes qui y assistent – ont conscience dès qu’ils s’engagent pour un film des scènes qu’ils auront à tourner. Pour les acteurs, il s’agit aussi de diffuser une image d’eux-mêmes dans le monde entier et pour le reste de leur vie. Or il est arrivé trop souvent qu’un réalisateur décide en cours de tournage, prétendant avoir eu une illumination, qu’une actrice devait se faire violer. Cela ne doit pas être possible – ou alors en lien avec l’agent, dans le cadre d’une reprise de contrat. Tout contrat porte en effet sur une mission et un scénario précis. Il va de soi que les scénarios soient réécrits et que les versions successives soient ajustées en cours de tournage, mais à mon sens, les scènes de nudité ou de violence et celles qui impliquent des enfants doivent être beaucoup plus encadrées. On le fait très bien aux États-Unis.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je comprends donc que vous êtes favorable à ce que les contrats soient précisés pour mieux cadrer les choses, même s’il devait en résulter une contrainte supplémentaire sur les plateaux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il existe en effet une forte différence culturelle entre le cinéma d’auteur français et le cinéma américain – qui peut aussi être d’auteur, et très bon. Je m’étonne de la différence de préparation des tournages entre ces deux cultures. Les Américains font un séquençage très précis, même s’il y a aussi en France des réalisateurs qui sont très minutieux dès l’amont du tournage. Les coordinatrices d’intimité que nous avons auditionnées ont expliqué qu’elles avaient des difficultés à travailler avec certains réalisateurs, qui jugeaient intrusive leur présence et excessif le fait qu’on leur dise comment tourner la scène de manière à respecter les comédiens et les autres personnes présentes sur le plateau. Que pensez-vous de la présence de coordinatrices d’intimité ? Peut-on envisager qu’elle soit obligatoire dès lors que des scènes de nudité ou d’autres scènes gênantes sont prévues ? Les comédiennes et comédiens pourraient-ils, en lien avec leurs agents, exiger cette présence et en faire une condition de leur participation au tournage ?

M. Quentin Delcourt. Il est vrai que l’agent joue un rôle essentiel lors de la contractualisation. À travers lui, les comédiens et comédiennes peuvent présenter des demandes, qui seront ensuite acceptées ou non. Quoi qu’il en soit, le contrat est la base ; une fois qu’il est conclu, il n’y a plus de retour en arrière. Je suis donc favorable à ce qu’il soit très détaillé.

En tant que metteur en scène, je ne considère pas du tout un coordinateur d’intimité comme une intrusion dans mon travail. Ce n’est pas lui qui met en scène le film, ni qui joue à la place des acteurs. Si une comédienne ou un comédien demande la présence d’un coordinateur d’intimité, c’est son droit ; ce n’est que du bon sens et il n’y a là aucune intrusion.

On tourne beaucoup de films en France ; c’est une richesse culturelle et il ne faut surtout pas que cela change. Le métier de coordinateur d’intimité étant nouveau, il faudra du temps pour former des professionnels. En attendant, ne faut-il pas insister sur les « premières fois », si importantes ? Une scène d’intimité n’a pas le même impact sur des comédiens qui jouent ensemble pour la première fois que sur des comédiens qui ont déjà tourné plusieurs fois dans les mêmes films et qui se connaissent déjà. Peut-être faudrait-il commencer par rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité sur les premiers films, ou lorsque des acteurs jouent pour la première fois des scènes difficiles ensemble. Je pense que ce serait utile.

M. Mathieu Ripka. Je signale simplement qu’il existe de gros films américains, très préparés, sur lesquels des violences se produisent. Inversement, il arrive que de tout petits tournages très mal préparés se passent très bien.

Le scénario est le seul élément concret qui rassemble les gens avant le tournage d’un film. Les contrats sont moins précis qu’un scénario, même s’ils le complètent. Or, pour diverses raisons historiques et artistiques, le scénario n’a pas toujours été traité en France comme ce lien initial qui constitue une partie du capital du film, un des éléments constitutifs, avec la capacité du réalisateur et celle du producteur, de sa force. C’est parce qu’un scénario est bon qu’on peut trouver des financements, mobiliser des acteurs connus et motiver des équipes. Il est sans doute possible d’agir sur cet élément central.

L’ARP, quant à elle, peut agir dans trois directions. D’abord, soutenir les initiatives du secteur et des victimes, en étant à l’écoute et en se faisant ensuite force de proposition – y compris en reprenant certaines des propositions formulées ici même. Ensuite, faire le lien avec les autres organisations professionnelles que nous connaissons bien – le CNC notamment – et avec vous, puisque nous avons accès à l’Assemblée, par exemple. Enfin, l’ARP conduit une action culturelle volontariste qui est à l’image de son action politique. C’est dans ce cadre qu’on peut notamment aborder le rapport au corps, à la guerre ou à l’amour – par exemple à l’occasion de soirées de la création. Des discussions existent déjà, même si je suis convaincu qu’on peut mieux faire pour informer nos membres de manière régulière et formelle des initiatives qui sont prises dans le secteur pour lutter contre les violences et, ce faisant, pour améliorer certaines pratiques. Encore une fois, nous sommes une organisation de cinéastes qui se rassemblent pour produire des propositions, des idées, des réflexions.

Enfin, pour l’avoir vécu moi-même, je sais une chose : la rumeur peut tuer.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais la non-prise en charge des victimes aussi.

M. Mathieu Ripka. Absolument.

Mme Joyce Dardanne. Parmi les actions culturelles que nous menons et qui sont indirectement liées aux violences figure la mise en valeur des femmes cinéastes. Nous les mettons en lumière depuis des années à l’occasion de master classes, lors de rencontres avec des réalisatrices à qui nous proposons de rejoindre le collectif pour qu’elles nourrissent de leur vision et de leurs idées les débats que nous avons et que nous devons continuer d’avoir.

Par ailleurs, notre action de communication autour de ce qui existe déjà se fait beaucoup à l’oral – et moins de manière formelle – pour expliquer, par exemple, l’extension de l’obligation de formation à toutes les équipes de tournage. Nous diffusons auprès de l’ensemble des professionnels – réalisateurs mais aussi producteurs, distributeurs, acteurs institutionnels – tous les supports de communication d’Audiens, qui a longtemps été le partenaire de nos rencontres. Mais il va de soi qu’on peut toujours faire mieux – sans quoi cette commission d’enquête n’existerait pas.

M. Quentin Delcourt. Un mot sur le scénario et les contrats tels qu’ils se pratiquent aux États-Unis – c’est une question à laquelle je suis particulièrement sensible car j’ai appris le cinéma en Amérique du Nord. Le scénario est un contrat passé non seulement avec les acteurs mais aussi avec les financeurs. Or il existe à cet égard une différence réelle entre les États-Unis et la France : aux États-Unis, le métier de scénariste est distinct de celui de réalisateur dans la plupart des cas. Dès lors, le réalisateur ne peut pas modifier le scénario à sa guise. Dans ces conditions, c’est sur la base contractuelle du scénario que le réalisateur, les financeurs et les acteurs s’engagent à faire un film.

En France, il faut préserver le système vertueux de financement public du cinéma, qui a permis de ne pas affaiblir trop gravement le secteur durant la pandémie. Toujours est-il que les financements sont décidés sur la base d’un scénario. Peut-être est-il possible de durcir les conditions d’obtention de financements en imposant le respect du scénario. Il est arrivé plusieurs fois que des commissions regardent le film une fois tourné et y découvrent des scènes qui ne figuraient pas dans le scénario initial, au point que des sanctions ont parfois été prises – je pense au cas inédit, l’an dernier, du film de Catherine Corsini.

Nous devons prendre conscience que le système vertueux de la France est une chance mais qu’en contrepartie, il impose des responsabilités. Il faut donner ce qui a été vendu et pas autre chose, sans quoi l’argent peut être refusé. Voilà qui pourrait aider, car la sanction financière a du poids dans l’éducation de nos métiers.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie.

*

*     *

La commission procède ensuite à l’audition de la table ronde, ouverte à la presse, réunissant des assureurs : Mme Barbara Rousseil, directrice Associations, collectivités et entreprises à la MAIF, M. Sylvain Mortera, directeur général du groupe Aréas Assurances et M. David Sultan, directeur courtage et M. Hugo Rubini, courtier.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous terminons notre journée en recevant les principaux assureurs du cinéma. La question du coût associé à la gestion d’un fait de violence sexuelle sur un tournage est en effet revenue de façon récurrente au cours de nos auditions. Nous accueillons Mme Barbara Rousseil, directrice Associations, collectivités et entreprises à la Maif, M. Sylvain Mortera, directeur général du groupe Aréas Assurances, M. David Sultan, son directeur du courtage, et M. Hugo Rubini, fondateur d’une entreprise spécialisée dans l’assurance des films, du tournage à la postproduction.

En 2020, monsieur Rubini, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) vous a confié une mission visant à trouver une solution pour couvrir dans les contrats d’assurance des tournages le risque de fait de harcèlement. Une clause figure depuis lors dans les contrats proposés par la Maif et Aréas. Le bilan nous en intéressera particulièrement, même si cette clause ne suffit pas, évidemment, à résoudre tous les problèmes. Nous serons ravis d’examiner avec vous les nécessaires évolutions à envisager.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Barbara Rousseil, M. Sylvain Mortera, M. David Sultan et M. Hugo Rubini prêtent successivement serment.)

Mme Barbara Rousseil, directrice Associations, collectivités et entreprises à la Maif. Je vous remercie de nous donner la parole. Je vais vous présenter rapidement les raisons pour lesquelles la Maif s’est engagée aux côtés d’Aréas dans l’assurance de l’arrêt de tournage en cas de violences et de harcèlement sexistes et sexuels (VHSS). La Maif est une mutuelle d’assurance membre de l’économie sociale et solidaire. Société à mission depuis 2020, nous avons inscrit dans nos statuts des objectifs sociaux et environnementaux, dont l’un visant à construire une société plus solidaire. Dans ce cadre, même si la Maif est principalement un assureur dommages auprès des particuliers, nous sommes très engagés dans toutes les questions d’évolution de la société et nous accompagnons depuis de nombreuses années le secteur de la culture.

Lorsque le CNC a exprimé le besoin de couvrir les VHSS, il était donc assez logique que nous les accompagnions, avec Aréas. La nouvelle clause a été introduite en 2021 dans l’ensemble des contrats qui couvraient l’arrêt de tournage dans le secteur du cinéma, gratuitement et sans condition. L’objectif principal était, pour nous, de contribuer à libérer la parole, en facilitant l’arrêt de tournage dans ce type de situation. En tant que co-assureur, nous supportons le risque financier, mais nous n’assurons ni la gestion des contrats, ni la gestion des sinistres.

La Maif salue la reprise des travaux de votre commission et l’avancée dans la prise de conscience des violences sexistes et sexuelles. Néanmoins le chemin reste long. En tant qu’assureurs, nous faisons montre d’humilité sur le rôle réel que nous pouvons tenir. Nous avons bien conscience que la garantie que nous avons prévue ne suffit pas à couvrir toutes les problématiques des violences sexistes et sexuelles dans le secteur de la culture.

M. Sylvain Mortera, directeur général du groupe Aréas Assurances. Aréas Assurances est une petite entreprise qui fait également partie de l’économie sociale et solidaire. En avril 2020, nous avons répondu présent avec trois autres mutualistes, dont la Maif, pour assurer le risque covid et permettre à l’activité de redémarrer dans des conditions sanitaires et économiques acceptables.

En juin 2021, à la suite de l’étude confiée par le CNC à M. Rubini, nous avons décidé de couvrir les suspensions de tournage liées à des violences et à du harcèlement sexistes et sexuels, afin d’aider à la libération de la parole des victimes – on verra que ce n’est pas si simple. Nous faisons aussi preuve de beaucoup d’humilité. Les vrais héros et les vraies héroïnes sont ceux et celles qui osent porter plainte.

Les réassureurs ayant disparu du marché de l’assurance cinéma, nous nous sommes associés afin de réunir les capitaux nécessaires pour couvrir un risque de forte intensité – il suffit du grave accident de ski d’un acteur ou de l’accident vasculaire cérébral d’une actrice pour que cela coûte très cher. Nous travaillons avec des productions plutôt modestes et assurons 30 à 40 % des films français. Nous essayons d’œuvrer de manière intelligente, parce que, pour nous, la culture et le logement sont des segments importants de la cohésion sociale. Si nous sommes fiers d’appartenir à ce secteur d’activité, nous ne restons que des appuis pour essayer de libérer la parole. Les vrais héros sont ceux qui osent porter plainte. Il faut que la peur change de camp et soit du côté des coupables plutôt que des victimes.

M. David Sultan, directeur courtage du groupe Aréas Assurances. Les souscriptions pour les assurances de tournage et de spectacles sont faites par mes équipes.

M. Hugo Rubini, courtier assurances cinéma. J’ai créé en 1995 un cabinet de courtage spécialisé dans les risques audiovisuels. Nous sommes une petite équipe indépendante de huit personnes. Nous faisons de l’intermédiation entre des producteurs de cinéma, de publicité et de télévision et des assureurs afin de trouver les meilleures conditions d’assurance pour chaque projet.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Si vous n’assurez que 30 à 40 % de la production cinématographique, qui assure le reste ?

Pourriez-vous nous rappeler quelles sont les clauses que vous avez introduites ? Comment s’appliquent-elles ? Sont-elles suffisantes ? Pourrait-on imaginer des clauses plus puissantes, en quelque sorte, qui aillent au-delà des cinq jours d’arrêt de tournage pour sécuriser les films ? Pourrait-on également imaginer une assurance réputationnelle, pour les cas où des films seraient abîmés par des faits commis pendant le tournage et se démonétiseraient, l’assureur pouvant alors se retourner au civil contre les auteurs des faits ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quels dispositifs incitatifs mettez-vous en œuvre auprès des équipes pour éviter d’en arriver à appliquer la clause ?

M. Hugo Rubini. La première assurance concerne la fabrication du film, autrement dit les semaines de tournage : on assure la présence des comédiens, celle du décor, des caméras, des costumes. Il suffit d’une personne en moins pour que le tournage s’arrête et que l’assureur engage son contrat et paie pour les retards pris. C’est le métier de base, qui existe depuis une quarantaine d’années : assurer la fabrication d’un document audiovisuel – tournage, montage, livraison et sortie.

Quant au risque réputationnel, comme vous l’appelez, cela n’a rien à voir. Il me paraît difficile d’imaginer un recours contre quelqu’un en lui reprochant d’avoir abîmé un film qui ne fera plus que 300 000 entrées au lieu des 5 millions prévues. Par ailleurs, dans un tel cas, le producteur serait moins impliqué que le distributeur. Cela relèverait donc d’un autre contrat, qui sort de notre cadre de fabrication d’un film. Votre question me rappelle toutefois un contrat que j’ai négocié il y a longtemps : une banque avait payé une prime importante pendant douze mois, le temps d’une campagne publicitaire avec un acteur connu internationalement, pour s’assurer non seulement contre le risque de décès, mais aussi contre un problème de réputation.

M. Sylvain Mortera. Il existe en Belgique un tax shelter qui offre un avantage fiscal significatif aux films qui s’assurent dans le pays, En France, le crédit d’impôt n’inclut pas la cotisation d’assurance. Cela crée une distorsion de concurrence. De ce fait, 30 à 40 % de l’activité assurantielle passent en Belgique. Il faudrait réfléchir à un système qui allie la protection contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels à un cadre fiscal permettant de relocaliser en France l’activité de l’assurance.

M. David Sultan. Nos contrats visent principalement à couvrir les impacts financiers que peuvent avoir sur un tournage divers problèmes, qui peuvent tenir aux décors par exemple, mais surtout à la santé de personnes considérées comme essentielles et spécifiquement nommées au contrat – de quelques-unes à quelques dizaines au maximum.

Dans le cadre de la clause que nous avons ajoutée en 2021, nous couvrons les atteintes faites par les personnes nommées au contrat sur l’ensemble des personnes du tournage. La limite contractuelle d’indemnité est fixée à 500 000 euros sans pouvoir dépasser cinq jours de tournage. Cela peut paraître insuffisant, mais rappelons que c’est une garantie que nous avons offerte – en bons assureurs, nous aurions dû essayer de l’équilibrer financièrement par une cotisation. Proposer une indemnité plus élevée aurait un impact financier que nous serions obligés de répercuter sur la tarification. Or, si nous étions les seuls à le faire, nous ne serions plus compétitifs. Ce serait évidemment différent si la clause était généralisée, voire rendue obligatoire, mais pour l’instant, à notre modeste niveau, nous avons essayé d’être précurseurs et d’apporter des avancées. Les sommes que nous engageons ne sont toutefois pas négligeables : des aménagements de tournage, des mises à l’écart ou des interruptions de quelques jours se sont déjà produits et 500 000 euros peuvent suffire à couvrir ce type d’événements.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons commencé à interroger des financeurs qui seraient prêts, nous disent-ils, à participer à l’amélioration de ces protections. Réfléchissez-vous à de nouvelles clauses, à une augmentation des montants ou des jours de tournage couverts par exemple ?

J’en reviens à la question réputationnelle. Nous parlons de films qui coûtent plusieurs millions d’euros, pour lesquels les producteurs et les financeurs prennent un risque. Ne peut-on imaginer qu’ils puissent se retourner contre des personnes qui commettraient des actes graves, en faisant jouer la chaîne de responsabilité, pour pouvoir récupérer leur investissement ? Cela serait-il assurable ?

M. Hugo Rubini. Après avoir accepté la mission du CNC, j’ai fait le tour de toutes les compagnies avec lesquelles je travaille depuis vingt-cinq ans. Les réponses ont été pour le moins diverses – je rappelle que les compagnies sont souveraines sur les contrats qu’elles proposent et que nous, courtiers, ne faisons qu’exécuter. Certaines ont étudié la question et m’ont proposé un taux de 1,35 % pour des contrats qui intègrent cette clause, au lieu du taux habituel de 1 %. C’est colossal. J’ai aussi essuyé plusieurs refus. Un autre assureur était d’accord pour inscrire cette clause si et seulement si la victime était blessée, ce qui m’a choqué.

J’avais rencontré Aréas et Maif au moment du covid. En mars 2020, alors que 480 tournages s’étaient arrêtés net, on m’avait chargé de trouver une solution pour envisager une reprise. Tous les assureurs que j’avais sollicités avaient refusé d’assurer ce nouveau risque – or cela restait un aléa, qu’il était possible de tarifer. Par chance, le CNC m’avait suggéré la piste d’Aréas, une compagnie mutualiste, alors que nous travaillions plutôt avec des assureurs traditionnels ou des assureurs de risques spéciaux. Sylvain Mortera, qui aime beaucoup le cinéma, m’avait alors réservé un accueil très favorable. Avec ses amis mutualistes, une solution avait été trouvée et les tournages avaient pu reprendre dès le mois de juin, avec le déblocage du reste d’un fonds public de 50 millions d’euros.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous des demandes particulières pour les tournages qui bénéficient de cette clause – des précisions dans les contrats des comédiens, la présence d’un coordinateur d’intimité, d’un référent harcèlement ? Son octroi est-il conditionné ?

M. David Sultan. Nous sommes dans du financier pur, nous assurons des pertes pécuniaires. Nous n’avons pas de lien direct avec les équipes de tournage ou les acteurs. Notre point d’entrée, ce sont les producteurs. Ce sont eux qui mettent la pression, du fait d’une part de la responsabilité qui leur incombe en tant qu’employeurs, d’autre part de l’action générale du CNC, qui conditionne ses aides au respect d’obligations en matière de prévention et de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels.

Pour notre part, poser des conditions nous ferait sortir de notre champ d’activité. N’oublions pas non plus que notre domaine est concurrentiel : nous n’avons pas intérêt à rendre la souscription chez Aréas-Maif plus compliquée ou plus chère que chez nos confrères. Depuis que nous avons lancé le mouvement, nous avons été suivis : en l’état, à peu près la moitié du marché doit proposer ce type de clause. Pour améliorer la situation maintenant, il faudrait que le niveau général des contrats monte, afin qu’il n’y ait pas une distorsion trop importante entre ceux qui font et ceux qui ne font pas.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cela signifie qu’une moitié à peu près des films sont assurés sans cette clause, ce qui fait beaucoup. Combien de fois a-t-elle été utilisée ? Fonctionne-t-elle pour des faits de violences qui ont lieu entre deux personnes qui ne sont pas nommées au contrat ?

Proposez-vous une assistance juridique quand des violences ont eu lieu ? Qui sont vos experts sur ces questions ?

M. Sylvain Mortera. Je vais revenir plus en détail sur cette fameuse clause.

Tout d’abord, nous avons décidé de l’offrir à tous les contrats, même à ceux qui étaient en cours, ce qui se fait très rarement dans le monde de l’assurance. C’est un geste mutualiste et solidaire dont nous sommes fiers.

Nous avons souhaité l’offrir afin de coresponsabiliser le producteur. En effet, notre but n’est pas d’indemniser, mais de voir disparaître les violences et le harcèlement sexistes et sexuels. Surtarifer serait, d’une certaine manière, de l’antisélection – la philosophie serait qu’on peut engager quelqu’un de dangereux puisqu’on est assuré, même si je ne crois pas qu’aucun producteur en France pense comme cela.

Par ailleurs, nous avons voulu limiter le montant à 500 000 euros parce que nous considérons que le producteur doit être engagé financièrement : en tant qu’employeur et chef d’entreprise, il a une coresponsabilité pour éviter ces violences.

Enfin, nous exigeons que la victime porte plainte et que le producteur fasse un signalement auprès du procureur de la République, parce que c’est sa responsabilité pleine et entière de chef d’entreprise. Nous considérons que la personne coupable n’est pas celle qui porte plainte mais le délinquant responsable des violences et du harcèlement. Nous œuvrons pour libérer la parole : on subit une violence, on porte plainte. Malheureusement, nous constatons dans les faits que cette clause ne travaille pas, parce qu’il n’y a pas de plainte. Le silence est un vrai problème dans le milieu particulièrement précaire du spectacle. La vraie question est donc de savoir comment protéger les intermittents pour qu’ils osent porter plainte. Des jeunes qui touchent un faible cachet et tournent peu pourraient ne pas porter plainte de peur de nuire à leur carrière.

Pour répondre à cette question, nous travaillons sur deux axes, dont nous allons vous faire part malgré la concurrence. Il s’agit d’abord d’apporter une protection juridique et une protection psychologique. Ainsi, nos contrats offrent un numéro d’appel. David Sultan va vous en dire quelques mots.

M. David Sultan. Nous réfléchissons en effet à un mécanisme qui permettrait aux victimes, d’une part, de joindre par téléphone une personne qui évaluerait la situation et lui prodiguerait des conseils – s’extraire de la situation dangereuse, porter plainte… – et d’autre part de bénéficier d’un soutien juridique et psychologique, le tout étant pris en charge financièrement. Un tel mécanisme peut s’apparenter à une assurance pour compte : l’assurance serait souscrite par le producteur, qui en acquitterait le prix, mais bénéficierait à la victime. Si, au-delà de la question des conséquences financières des VHSS sur une production, on veut améliorer la situation de la victime et lui apporter un soutien approprié, ce sont des pistes de réflexion que l’on peut explorer.

M. Sylvain Mortera. L’enjeu est de concevoir un dispositif qui concilierait responsabilisation et financement.

Aréas et la Maif ont été des précurseurs en matière de couverture du risque lié aux violences et harcèlement sexuels et sexistes, mais nous n’avons pas été suivis par tous les autres assureurs. Actuellement, la moitié d’entre eux – nous ne les citerons pas pour ne pas faire de délation – ne couvrent pas ce risque. La question se pose donc de savoir s’il faut rendre cette couverture obligatoire. Pour notre part, nous avons décidé de l’offrir. D’autres ne le souhaitent pas ; peut-être jugent-ils le risque trop élevé, lorsqu’ils s’inscrivent dans une logique plus capitaliste que la nôtre, qui relève de l’économie sociale et solidaire. Toujours est-il que des assureurs continuent d’être choisis alors qu’ils ne proposent pas cette couverture, et nous ne pouvons que le déplorer.

Nous ne souhaitons pas revenir sur la condition du dépôt de plainte. Non seulement c’est un élément factuel qui permet d’éviter les discussions sur le déclenchement de la garantie, mais cela peut également contribuer à banaliser le dépôt de plainte dans ce type de circonstances. La victime n’est pas coupable, la peur doit changer de camp – sauf que ce n’est pas si simple. C’est pourquoi nous devons lui assurer une protection juridique et psychologique, même si nous ne recevons pas de prime pour cela : cela fait partie de notre mission.

Par ailleurs, il pourrait être intéressant de créer un fonds de garantie, peut-être sous une forme associative, éventuellement ouvert aux assureurs et géré de manière paritaire avec les producteurs. Ce fonds pourrait être alimenté par des cotisations et assurerait une indemnisation après décision d’un comité ad hoc. Il faut cependant veiller à ce que ce dispositif ne déresponsabilise pas le producteur, qui saurait qu’à la fin, il sera de toute façon indemnisé : l’objectif final est bien de mettre fin aux VHSS sur les tournages. En tout état de cause, nous devons proposer une solution assurantielle qui permette de couvrir ce risque au-delà des 500 000 euros que nous offrons actuellement, qui sont considérables pour nous, mais pas forcément suffisants.

Enfin, nous avons du mal à nous positionner sur le problème du film abîmé, qui est très complexe. La question de fond est de savoir si le producteur a tout mis en œuvre pour que le film ne soit pas abîmé. C’est ce que, dans le monde des assurances, on appelle l’antisélection. Or notre but n’est pas d’être antisélectifs, mais d’œuvrer à la disparition des VHSS et à la condamnation des coupables. C’est la mission qu’avec la Maif, nous nous sommes assignée – mais peut-être est-ce plus facile pour des entreprises de l’économie sociale et solidaire comme les nôtres.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Comment couvrez-vous le risque qui pèse sur la diffusion du film, si celle-ci est empêchée par le dépôt d’une plainte qui intervient après le tournage ?

M. David Sultan. Nous couvrons uniquement la production du film. Une fois que celle-ci est allée à son terme – préproduction, tournage et postproduction sont achevés – et que le produit fini existe, notre rôle cesse. La diffusion du film en salle, son succès ou son insuccès n’entrent pas dans notre champ d’action.

Mme Aurore Bergé (EPR). Ne faudrait-il pas, dans ce cas, qu’une assurance couvre les distributeurs, qui peuvent pâtir d’une situation dont ils ne sont en rien responsables ?

M. Hugo Rubini. C’est possible, mais il s’agirait d’une autre police. Il est arrivé, hélas, qu’un comédien décède avant la sortie du film, ce qui pose un problème commercial au moment de son lancement. Sur cette base-là – la notion d’accident, qui est au fondement de l’assurance –, on pourrait imaginer une extension de la couverture du décès d’un acteur à la situation où un film serait abîmé par l’implication d’un des comédiens ou d’une des comédiennes dans une triste histoire.

M. Sylvain Mortera. Par ailleurs, notre but est que les VHSS prennent fin : nous ne voulons pas, en couvrant un risque, faire en sorte qu’elles ne soient pas découragées. Que la personne qui n’a pas tout mis en œuvre pour éviter la commission de VHSS soit sanctionnée économiquement et financièrement...

Mme Aurore Bergé (EPR). Le distributeur n’en est pas responsable.

M. Sylvain Mortera. Il est lié au producteur, car il préfinance le film. Il faut que l’ensemble des parties prenantes soient d’accord pour œuvrer à la disparition des VHSS et, le cas échéant, pour encourager le dépôt d’une plainte. Telle est notre position de principe, quasi philosophique. Il ne faut pas mettre le problème sous le tapis. L’assurance ne doit en aucune manière inciter à ce qu’à la fin, les bons se retrouvent à payer pour les mauvais.

M. Stéphane Mazars (EPR). Je pense à l’hypothèse où un acteur contesterait les faits qui lui sont reprochés et se verrait, au bout du compte, donner raison par la justice. Dans un tel cas, vous retourneriez-vous contre le producteur pour lui demander le remboursement de l’indemnisation de la suspension du tournage ?

Qu’en est-il du cas où un producteur qui aurait mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger la victime et recueillir sa parole aurait fait jouer sa garantie responsabilité civile, et où l’acteur, auquel la justice aurait donné raison, se retournerait contre lui ?

Mme Graziella Melchior (EPR). Ma question porte sur le périmètre de la couverture assurantielle. La clause, avez-vous dit, vise à couvrir les conséquences pécuniaires d’un arrêt du tournage dû à des VHSS. Que se passe-t-il si celles-ci ont eu lieu à un moment off, ou lors d’un événement festif, par exemple ?

M. David Sultan. Il peut arriver que la plainte se révèle in fine infondée, mais cela ne change rien au fait que le tournage ait été interrompu. Nous couvrons les conséquences pécuniaires de cette interruption, quand bien même les personnes impliquées seraient lavées de toute mise en cause deux ou trois ans plus tard. Notre rôle n’est pas d’apprécier la gravité des faits ou de les sanctionner ; il se limite aux conséquences de ces faits sur le tournage. Dans un tel cas, nous ne serions donc pas en mesure de demander le remboursement des sommes versées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Imaginons qu’après un signalement, un tournage soit interrompu et que le producteur mène une enquête interne qui aboutit à une sorte de règlement « à l’amiable » entre la victime et l’auteur. La victime ne porte donc pas plainte. C’est son droit, et l’on peut comprendre ce choix car le cinéma est un milieu où la réputation est très importante. Que faites-vous dans un tel cas de figure ?

M. David Sultan. Un accord peut en effet être trouvé à l’amiable et de bonne foi, mais nous savons tous que des pressions importantes peuvent aussi s’exercer à cette fin. Je crains donc, si nous nous engagions dans cette voie, que les mauvais côtés ne l’emportent sur les bons. Par ailleurs, il existerait un risque, sinon de fraude, du moins d’abus. De fait, un tournage peut prendre du retard et le budget n’est pas toujours suffisant pour assumer l’impact financier d’un dépassement. La tentation pourrait exister alors d’évoquer une situation plus ou moins réelle pour obtenir une rallonge budgétaire. C’est la raison pour laquelle nous exigeons un dépôt de plainte : que celle-ci soit fondée ou non, c’est un acte sérieux.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais les victimes déposent rarement plainte, en réalité. Une victime sur dix seulement le fait, et on peut imaginer qu’elles soient très peu nombreuses dans le milieu du cinéma. L’instruction dure plusieurs années, pendant lesquelles la victime va être considérée comme une brebis galeuse, comme quelqu’un qui raconte des histoires, sans parler de tous les éléments qui seront rendus publics… Le risque est donc très important pour elle. Je comprends votre exigence mais, dans un monde où la réputation est aussi importante, il me paraît très difficile de faire du dépôt de plainte une condition sine qua non. En outre, c’est faire endosser à la victime la responsabilité de permettre ou non la couverture du collectif. Je n’ai pas de solution à vous proposer, mais avez-vous mené une réflexion à ce sujet ?

M. Sylvain Mortera. Bien entendu, nous avons réfléchi à la question. Elle est complexe, car les objectifs sont en partie contradictoires. Nous souhaitons aider à libérer la parole de la victime, mais nous sommes bien conscients que la précarité de sa situation, l’enjeu de réputation peuvent l’inciter à garder le silence. Pour nous, la question n’est pas tant celle de l’assurance du producteur que celle de la défense des intermittents du spectacle et de l’accompagnement, humain et financier, de la victime. C’est pourquoi nous souhaitons instaurer un système de protection juridique et psychologique, que nous financerions hors de toute prime, par un potentiel excédent. C’est une garantie que nous pouvons offrir en tant qu’entreprise de l’économie sociale et solidaire, même si c’est compliqué. Mais, et c’est tout le paradoxe, nous ne souhaitons pas que cette garantie fonctionne.

Encore une fois, s’il s’agit de libérer la parole des victimes de VHSS, l’enjeu est davantage leur protection sociale, financière et réputationnelle que l’assurance de la perte pécuniaire du producteur. C’est pourquoi j’évoquais l’hypothèse d’un fonds de garantie, sachant que la responsabilité civile du coupable est difficile à mettre en œuvre car, au-delà des problèmes de couverture et de solvabilité, elle ne peut pas, légalement, couvrir un risque pénal.

Nous sommes heureux de pouvoir discuter de cette question avec vous, car elle nous semble importante. Nous sommes mécontents que la moitié seulement du marché nous ait suivis dans notre démarche. Peut-être un fonds de garantie, assorti d’une assistance aux victimes, serait-il une solution intelligente. Mais nous butons sur divers écueils : dépôt de plainte, risque réputationnel, précarité des victimes, temps de l’instruction, silence imposé par certains pour que le film se termine… Nous nous efforçons d’éviter une solution qui serait économiquement efficace mais humainement déloyale, et c’est difficile.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Madame Rousseil, cette clause est-elle connue des personnes qui travaillent sur un tournage ?

Mme Barbara Rousseil. Le contrat d’arrêt de tournage couvre le producteur et le tournage, et non les victimes. Le CNC a imposé une obligation de formation et la couverture assurantielle est mentionnée sur son site internet. Mais elle n’est pas obligatoire pour le producteur et, s’il souscrit un contrat de ce type, il n’est pas tenu d’informer les salariés de son existence et encore moins de son contenu.

M. Sylvain Mortera. Nous ne faisons pas de publicité sur cette clause. Nous avons une vocation humaniste, solidaire : nous ne cherchons pas un avantage concurrentiel. Notre vœu le plus cher est que tous les assureurs offrent une garantie de ce type.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le fait qu’une actrice, par exemple, ne soit pas au courant de l’existence de cette couverture peut être problématique.

M. Sylvain Mortera. Certes, mais faire la publicité de cette clause reviendrait à pervertir notre volonté de défendre les victimes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous entends.

M. Erwan Balanant, rapporteur. On dit parfois qu’un comédien peut assurer son nez, par exemple. Offrez-vous des assurances particulières de ce type aux comédiens ou aux réalisateurs ? Leur proposez-vous une assistance juridique ?

Existe-t-il des clauses assurantielles particulières lorsqu’un mineur joue dans un film ?

Enfin, avez-vous des exemples de condamnations pénales qui donnent lieu au versement de dommages et intérêts à la production ou à l’assureur ?

M. David Sultan. Le visage des acteurs peut en effet être assuré, mais ce n’est pas un marché dans lequel nous intervenons.

En ce qui concerne les comédiens mineurs, c’est le droit du travail qui régit leurs conditions d’emploi. Dans le cadre de nos contrats, nous nous renseignons sur l’âge des acteurs, mais pour évaluer le risque. Employer un comédien de 80 ans qui a une santé fragile, par exemple, représente un risque. Ce risque peut exister également avec un mineur, mais il est de nature différente. Je pense notamment à un tournage qui avait été interrompu pour des raisons purement techniques : comme les enfants ne peuvent pas travailler n’importe quel jour de la semaine et à n’importe quelle heure, le tournage, qui aurait pu reprendre au bout de deux jours, avait en fait été retardé d’une semaine. Quant à leur protection dans le cadre des VHSS, elle relève du code du travail. Nous n’allons pas inclure dans nos contrats une clause qui interdirait de commettre un délit : c’est une évidence.

S’agissant des dommages et intérêts, je n’ai pas d’exemple en tête, mais cela ne relève pas de notre contrat : c’est une décision judiciaire. En tout cas, nous ne pouvons pas en bénéficier au titre du remboursement des indemnisations que nous aurions versées.

M. Stéphane Mazars (EPR). On peut imaginer que, pour être remboursé des sommes qu’il a engagées, l’assureur est subrogé dans les droits de l’assuré si celui-ci est indemnisé par la personne coupable d’un délit.

M. Sylvain Mortera. L’assureur ne peut pas bénéficier d’une indemnisation d’ordre pénal ; c’est interdit.

M. Stéphane Mazars (EPR). Je pensais aux conséquences civiles.

M. Sylvain Mortera. C’est la même chose. On peut faire jouer la responsabilité civile, donc l’assureur de l’auteur, lorsqu’un dommage a été causé et qu’il existe un lien de causalité entre l’acte et le dommage. Mais nous ne pouvons ni assurer le risque pénal ni percevoir une indemnisation au titre d’une sorte de pré-avance que nous aurions faite.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est une hypothèse, car cela ne s’est jamais produit.

M. Stéphane Mazars (EPR). Mais nous réfléchissons, madame la présidente, à ce qui pourrait se passer dans les années qui viennent.

Imaginons qu’un acteur commette un acte qui entraîne la mise en œuvre de votre garantie. Il va répondre de ses actes sur le plan pénal, mais aussi sur le plan civil au titre des dommages qu’il a causés. On pourrait donc imaginer que le producteur se constitue partie civile pour obtenir l’indemnisation du dommage qu’il a subi et que l’assureur obtienne le remboursement des sommes qu’il a versées dans le cadre de sa garantie.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est déjà prévu dans tout contrat d’assurance : l’assureur peut être indemnisé au même titre qu’une partie civile. Pour conclure, on peut dire que les auteurs d’infraction risquent de payer – financièrement, s’entend !

Madame, messieurs, je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré et pour la démarche que vous avez adoptée, même si la question demeure de savoir que faire lorsqu’il apparaît que votre dispositif n’est pas efficace.

 

La séance s’achève à seize heures trente.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Pouria Amirshahi, M. Erwan Balanant, Mme Aurore Bergé, Mme Claire Marais-Beuil, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Sandrine Rousseau, M. Emeric Salmon.