Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anaïs Ascaride, Mme Clotilde Martin, M. Daniel Delume, M. Sébastien Autret et M. Benjamin Lanlard, membres de l’association des directrices et directeurs de production (ADP) 2
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant : Mme Julie Larher et Mme Nathalie Tissier, membres de l’association des maquilleuses et maquilleurs de cinéma (AMC), Mme Alice Cambournac, présidente de l’association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA) et Mme Julie Miel, vice-présidente, M. Jérémie Steib, président de l’association française des assistants réalisateurs de fiction (AFAR) et Mme Thomine de Pins, secrétaire adjointe chargée des VHSS au sein de l’association, et Mme Noémie Lance, co-présidente de l’association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR) et M. Erwan Doré, co-président 12
– Présences en réunion................................31
Lundi
18 novembre 2024
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 7
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures.
La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Anaïs Ascaride, Mme Clotilde Martin, M. Daniel Delume, M. Sébastien Autret et M. Benjamin Lanlard, membres de l’association des directrices et directeurs de production (ADP).
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’ai le plaisir d’accueillir plusieurs représentants de l’Association des directrices et directeurs de production (ADP) : Mme Anaïs Ascaride, Mme Clotilde Martin, M. Daniel Delume, M. Sébastien Autret et M. Benjamin Lanlard.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. Les directeurs de production sont, sur un tournage, le bras droit du producteur : c’est à eux que revient la mission d’organiser concrètement la production en tenant compte des contraintes juridiques, logistiques et financières. Vous êtes en quelque sorte, mesdames et messieurs, les chefs d’orchestre de la production. Parce que vous avez une vision à 360 degrés des tournages, notamment de leurs aspects juridiques, vos témoignages seront très importants pour nous. Vous êtes en effet concernés au premier chef, avec le producteur, lorsque des violences sexuelles et sexistes (VSS) sont commises sur le lieu de travail. Je vous propose de nous présenter dans un premier temps vos missions avant de répondre à nos différentes questions.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Anaïs Ascaride, Mme Clotilde Martin, M. Daniel Delume, M. Sébastien Autret et M. Benjamin Lanlard prêtent successivement serment.)
Mme Anaïs Ascaride, présidente de l’ADP. L’ADP, créée en 1986, compte 118 adhérents – 32 femmes et 86 hommes. Même si toutes les directrices et directeurs de production n’en sont pas membres, elle n’en est pas moins représentative de notre métier dans le domaine de la fiction cinématographique et audiovisuelle ainsi que dans celui du film documentaire. L’ADP siège au comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) et à la commission d’agrément du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).
En tant que directrices et directeurs de production, nous sommes souvent les premiers appelés par les producteurs pour la phase de préproduction d’un film : établissement d’un budget, réalisation des premiers repérages, organisation des premiers castings le cas échéant. Une fois le projet lancé, nous nous chargeons de sa préparation ; nous élaborons le devis, assurons le suivi du plan de travail en collaboration avec le réalisateur et son premier assistant, recrutons les autres techniciens et négocions les prestations techniques et les décors. Souvent, les producteurs préfèrent négocier directement les contrats des artistes principaux : nous nous occupons quant à nous des rôles secondaires et des petits rôles.
Notre mission consiste à concilier la création artistique avec les contraintes financières, artistiques, humaines et techniques. Nous représentons le producteur mais nous sommes aussi ses salariés, comme les autres techniciens : nous avons donc avec lui un lien de subordination. En collaboration avec les autres chefs de poste, nous nous assurons du bon déroulement des journées, du respect du plan du travail ainsi que du droit et de la réglementation. Nous travaillons avec l’équipe de tournage sur le plateau et avec l’équipe de décoration en dehors. Le terme de « chef d’orchestre » correspond relativement bien à la réalité car nous aidons à arbitrer la majorité des décisions. Nous nous occupons peu de la postproduction, laquelle est désormais confiée à des coordinateurs qui en sont spécifiquement chargés.
Notre travail est souvent confondu avec celui des producteurs, alors qu’il est différent : eux s’occupent de l’écriture du film, du casting et de la recherche de financements, tandis que nous sommes des techniciens chargés de la partie opérationnelle du projet. Tout en étant leurs représentants sur les plateaux, nous conservons notre libre arbitre : c’est à nous de veiller à ce que les lois soient respectées et de faire en sorte que tout se passe bien.
En dépit des responsabilités importantes que nous assumons, il n’existe pas de formation certifiante à notre métier mais uniquement des formations non certifiantes de quelques semaines. L’apprentissage se fait donc sur le terrain. La plupart d’entre nous ont découvert le fonctionnement d’un plateau en passant au préalable par la mise en scène, la régie ou la production. Nous nous sentons parfois un peu seuls entre l’équipe technique et la production : le fait d’être membres de l’association nous permet de discuter avec nos pairs des problèmes que nous rencontrons.
Mme Clotilde Martin, membre du conseil d’administration de l’ADP. Nous constatons fréquemment, dans l’exercice de nos fonctions, des comportements inadaptés…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Fréquemment ?
Mme Clotilde Martin. Cela nous est arrivé à tous. C’est pourquoi, comme vous, nous souhaitons qu’une action soit entreprise pour lutter contre ces comportements. Ce que nous constatons, c’est que pendant les différentes phases du projet, les divers corps de métiers – techniciens, comédiens et metteurs en scène – fonctionnent en quelque sorte en circuit clos, avec une attitude un peu corporatiste. Heureusement, des prises de parole ont permis d’entamer un travail de fond, qu’il sera utile de compléter. Un avenant à la convention collective nationale de la production cinématographique, datant de mai dernier, liste ainsi de nouvelles obligations que nous mettons d’ores et déjà en œuvre et dont nous devrions mesurer les effets très vite. Y sont définis le rôle, la formation et le cadre d’action du référent harcèlement sur le plateau. Sont aussi mentionnées les règles d’encadrement des mineurs et les préconisations en matière de coordination d’intimité. Ces avancées très positives vont contribuer à sensibiliser au sujet et à sécuriser les prises de parole. Dans un métier souvent précaire, où l’on espère être embauché sur un prochain projet, les plus jeunes d’entre nous oseront davantage s’exprimer et pourront le faire en confiance, dans un cadre bienveillant. Le poids de la hiérarchie, très important dans notre secteur, s’en trouvera en effet gommé – ce qui est essentiel dans ce domaine. Assistant ou chef de département, chacun a le droit de prendre la parole.
Il reste toutefois un long chemin à parcourir et l’effort d’amélioration devra être poursuivi. À cet égard, nous vous remercions d’avoir institué cette commission d’enquête et de nous auditionner, ainsi que nos collègues des autres départements. Le cinéma étant un travail d’équipe, il est essentiel que nous soyons unis dans l’action.
M. Benjamin Lanlard, vice-président de l’ADP. Nous avons souhaité être reçus pour faire entendre notre parole, qui est sans doute légèrement dissonante par rapport à celle du milieu. Nous sommes en effet souvent laissés seuls pour traiter du sujet des violences et du harcèlement. Même s’il ne faut pas généraliser, il est tout de même fréquent que les producteurs n’évoquent pas le sujet avec nous – pour eux, ce n’en est pas un. Si nous ne sommes pas moteurs, il ne se passe donc rien. En dépit de la bonne volonté qu’ils affichent, les gens ne s’emparent pas de cette question. Il existe plusieurs raisons à cela. La diversité des profils et des expériences fait la richesse du cinéma, mais elle s’accompagne d’une contrepartie : certaines personnes ne connaissent pas le fonctionnement d’un plateau ou ne disposent pas du bagage suffisant pour s’emparer des dossiers qui leur incombent, en tant qu’employeur notamment. Il existe un gouffre béant entre la théorie – nul ne peut ignorer la loi – et la pratique.
M. Daniel Delume, membre de l’ADP. Travaillant depuis peu de temps pour des plateformes comme Netflix ou HBO, je constate qu’elles sont au contraire très exigeantes. La prévention des violences et du harcèlement est l’un de premiers sujets qu’elles abordent avec nous. Netflix, par exemple, impose l’organisation, un mois avant le tournage, d’une réunion d’information en ligne, sur l’application Zoom, à destination de l’ensemble des techniciens. Pour nous, il est facile de convaincre l’équipe de respecter cette exigence, et la plupart des personnes l’acceptent ; je suis heureux de constater que la nouvelle génération est très demandeuse. Jamais un producteur français, en revanche, ne nous appellerait pour que nous organisions une réunion de sensibilisation au harcèlement. Il est vrai que les Américains accordent une grande importance à cette question, mais ne soyons pas naïfs : c’est aussi par peur du procès. Quoi qu’il en soit, cette démarche permet d’avancer et me semble devoir être poursuivie.
M. Sébastien Autret, membre du conseil d’administration de l’ADP. Si les producteurs ne sont pas très investis dans la lutte contre les violences et le harcèlement sexuels et sexistes (VHSS), les techniciens ne le sont pas non plus. Tout le monde parle du sujet mais il est difficile de trouver des volontaires pour agir concrètement – par exemple, pour être référent. J’en ai fait l’expérience il y a peu de temps.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie pour la sincérité de vos témoignages. Le fait que vous ayez tous été confrontés à des situations de violences ou de harcèlement montre l’existence d’une récurrence, voire d’un caractère systématique. Que voulez-vous dire lorsque vous affirmez être laissés seuls ? Comment agissez-vous concrètement dans ce cas ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez bien expliqué la différence entre votre rôle et celui du producteur. Ce qui est frappant, c’est que c’est vous qui êtes sur le terrain : vous êtes les plus susceptibles de constater ou d’entendre parler de dysfonctionnements, mais aussi les plus à même de mettre en place des actions de sensibilisation et de prévention. Avez-vous suivi la formation organisée par le CNC ? Est-elle obligatoire dans votre métier ?
Mme Anaïs Ascaride. Pour le moment, elle n’est obligatoire que pour les dirigeants de société. Parmi nous cinq, présents aujourd’hui devant vous, une majorité a suivi une formation de deux ou trois jours de prévention des VHSS – je voudrais d’ailleurs, à cet égard, rappeler que le harcèlement moral est le plus fréquent dans nos métiers. Nous avons pris cette initiative de façon individuelle, ce qui signifie que nombre de nos collègues ne l’ont sans doute pas prise. Heureusement, une formation sera bientôt obligatoire pour tous les techniciens et artistes. Il est primordial en effet qu’elle touche tout le monde.
Les producteurs sont souvent de très bonne volonté mais, si nous affirmons être souvent laissés seuls, c’est parce que les plateaux de cinéma sont des microcosmes très particuliers, dans lesquels la hiérarchie a beaucoup d’importance. J’en ai fait l’expérience : si la personne qui parle mal aux autres est un « talent » ou un réalisateur, le producteur à qui j’expose la situation balaye ma requête, en m’expliquant que c’est comme ça… Dans ce cas, je me charge d’aller parler à la personne, mais ce n’est pas suffisant : il faudrait que quelqu’un au-dessus de moi se saisisse du problème.
M. Daniel Delume. Il est vrai que la situation n’est pas traitée de la même façon selon que l’auteur des faits un technicien ou un élément essentiel du tournage, comme le réalisateur ou l’un des comédiens…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les techniciens sont essentiels aussi !
M. Daniel Delume. Oui, bien sûr, mais ils sont remplaçables, contrairement au comédien sur le nom duquel le film a été financé.
M. Sébastien Autret. Même un comédien dont le rôle est secondaire devient irremplaçable dès lors qu’il a commencé à tourner. Il est très onéreux de réorganiser trois jours de tournage.
M. Daniel Delume. Selon moi, la seule solution est de considérer un fait de violence ou de harcèlement comme un sinistre, un accident du travail – même si les conséquences sont parfois plus graves sur le plan psychologique. Des discussions sont en cours à ce sujet entre les compagnies d’assurance et le CNC. Lorsqu’un acteur se blesse, le tournage est arrêté quelques jours ; s’il est victime d’un accident de voiture, il est remplacé. De la même façon, il faut trouver des solutions pour permettre d’arrêter un tournage en cas de fait grave et avéré de violence ou de harcèlement entraînant l’absence d’un réalisateur ou d’un acteur.
M. Benjamin Lanlard. Je ne voudrais pas donner l’impression que nous instruisons un dossier à charge contre les producteurs. Nous sommes tous conscients des lourdes charges qui pèsent sur eux. Les indépendants, qui sont seuls et tirent parfois le diable par la queue, doivent respecter les mêmes obligations que les grosses maisons de production. Or, ne disposant pas des mêmes moyens, ils ne peuvent y répondre de la même façon.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Le producteur est le responsable légal de tout le projet. Êtes-vous hiérarchiquement, après lui, la personne la personne la plus importante sur le plateau ?
M. Benjamin Lanlard. Oui.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La plupart d’entre vous n’êtes pas salariés permanents des producteurs mais signez des contrats pour la durée d’un film ou d’un spectacle. Vos responsabilités, s’agissant des VHSS, sont-elles contractualisées ? Les producteurs vous fixent-ils des obligations ? Définissent-ils un cahier des charges ? Les contrats de comédiens et de techniciens que vous prenez en charge comportent-ils des clauses spécifiques, en particulier en cas de scène d’intimité ? Sinon, faudrait-il que ce soit prévu ? Enfin, faut-il qu’un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité soit systématiquement présent dans ce cas ?
M. Benjamin Lanlard. Le contenu des contrats dépend de l’état de la réflexion des maisons de production sur ces sujets. Certaines insèrent des clauses rédigées avec leur département RSE (responsabilité sociale des entreprises) ou juridique, mais c’est assez rare. La plupart du temps, les choses restent informelles et extracontractuelles. Je fais le parallèle avec les questions d’écoresponsabilité, sur lesquelles je suis très investi : lorsque j’insère des clauses à ce sujet dans les contrats, on me demande très souvent de les supprimer. Je me méfie des clauses trop contraignantes, car il y a un écart entre ce que nous aimerions mettre en place et ce que nous parvenons à contractualiser auprès des agents.
M. Daniel Delume. Les agents disposent d’un pouvoir très important et sont d’autant plus exigeants que les acteurs sont connus.
La plupart des contrats mentionnent en premier lieu que l’acteur a lu le scénario et qu’il accepte le rôle. Il y a quelques années, cela permettait d’imposer une scène de nu à une comédienne. Heureusement, nous avons avancé. Lorsque des scènes de nu sont prévues, j’appelle les comédiens concernés pour leur demander s’ils souhaitent la présence d’un coordinateur d’intimité, et j’insiste : je ne me contente pas d’une première réponse négative.
Nos responsabilités eu égard aux violences et au harcèlement, enfin, sont quasiment inscrites dans la définition que le CNC donne de notre métier : celle de représentants du producteur.
M. Sébastien Autret. Il est vrai que sur un plateau nous nous plaçons, après le producteur, au sommet de la hiérarchie. Celle-ci est néanmoins concurrencée par une autre hiérarchie, artistique celle-ci : le réalisateur et les comédiens principaux n’ont pas de pouvoir sur le papier mais ils en ont dans les faits. C’est un élément à prendre en compte. S’agissant de nos responsabilités, je rejoins Daniel : elles ne sont pas spécifiées contractuellement mais découlent de la définition de notre métier et du droit du travail, tout simplement.
Je voudrais enfin partager avec vous une anecdote récente : pour la première fois, l’agent d’une comédienne devant tourner une scène de nu m’a demandé de pouvoir en discuter avec le réalisateur, le comédien et moi. J’ai trouvé cela plutôt bien. La comédienne – sur laquelle nous nous sommes efforcés de n’exercer aucune pression – n’a pas souhaité de coordinatrice d’intimité mais, sur ce même film, nous en avons demandé une pour préparer deux adolescents qui devaient s’embrasser en gros plan pour une scène.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. À vous entendre, la façon dont vous appréhendez le sujet dépend beaucoup de votre propre sensibilité. Cela ne semble pas être le cas en revanche pour les plateformes : pourriez-vous nous indiquer précisément ce que celles-ci mettent en place ? J’imagine que cela va plus loin qu’une réunion par Zoom…
Comment gérez-vous, par ailleurs, les évolutions du scénario au cours du tournage ?
En tant qu’intermittents du spectacle, enfin, vous devez faire preuve de loyauté à l’égard des producteurs pour espérer travailler de nouveau avec eux. Vous est-il déjà arrivé néanmoins de dénoncer une infraction, en application du code de procédure pénale et en vertu de vos responsabilités ? Vous êtes-vous déjà interrogés sur l’opportunité de le faire ? Comment gérez-vous les faits répondant à une qualification pénale ?
M. Sébastien Autret. Je n’ai jamais dénoncé une situation mais j’ai préconisé à un directeur de production de le faire il y a peu de temps en faisant valoir que cela permettrait, en l’absence de plainte de la victime, de conserver une trace des faits. Je ne sais pas s’il a suivi mon conseil.
M. Daniel Delume. Netflix propose pour l’ensemble des techniciens une quasi-formation – même si elle ne dure que deux heures. On demande à tout le monde – producteur, réalisateur, etc. – d’être là. Ils nous ont dit qu’une formation à part était organisée pour les comédiens. J’aurais adoré que ceux-ci soient présents en même temps que nous pour que les techniciens les entendent s’engager, mais l’emploi du temps est un obstacle, ce qui se comprend.
Je suis souvent référent. Ma mère était une grande militante féministe : je baigne là-dedans depuis des années et le sujet me porte. J’apprécie donc de prendre en charge ce rôle même si ce n’est pas toujours facile : nous représentons la production, ce qui peut susciter des doutes. J’exerce cette fonction en binôme avec une femme, parce que les formes de harcèlement ne sont pas toujours les mêmes.
Pendant la réunion zoom de Netflix, beaucoup de gens ont pris la parole ; je place de grands espoirs dans cette nouvelle génération, très vigilante. Après, c’était formidable : de nombreuses femmes d’une trentaine d’années m’ont demandé comment suivre la formation adéquate pour devenir référentes. À la fin du tournage que je viens de terminer, quatre ou cinq jeunes femmes, de 25 à 30 ans, sont venues me dire qu’elles n’avaient pas apprécié l’attitude d’un technicien. Il ne s’était rien passé de très grave, mais son comportement était déplacé. Elles avaient hésité à en parler pendant le tournage pour ne pas créer de désordre. Un effort est encore nécessaire pour que les témoignages interviennent très tôt, afin de corriger les comportements.
La formation de Netflix est bénéfique parce qu’elle est systématique et obligatoire. L’intervenant travaille pour eux, il entend les questions. Ils ont été les premiers à instaurer ce système, dès leur arrivée en France, il y a au moins quatre ou cinq ans.
Mme Clotilde Martin. La prise en charge par les assurances fait partie des pistes de réflexion que nous entendons proposer. Nous avons évoqué l’isolement du producteur, une telle solution lui assurerait un accompagnement, y compris pour réfléchir à une réaction. Cela peut également favoriser la prise de parole. On le voit, certaines personnes hésitent à témoigner de peur de nuire au film. Disposer de solutions permet de dire à quelqu’un que son problème est plus grave que tout autre, qu’il peut parler et nous laisser gérer. C’est essentiel.
Vous nous demandez s’il faut systématiser le recours au coordonnateur d’intimité. C’est la discussion qu’il faut rendre systématique : si les talents concernés souhaitent son intervention, on pourra organiser sa venue tout de suite ; s’ils n’en ont pas besoin, l’information aura été donnée.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Le CNC doit rendre obligatoire la formation de toute l’équipe. Cela favorisera les bonnes pratiques. Quelles seront pour vous les conséquences ? Comment la rendre efficace ? Une réunion zoom suffit-elle ?
Pendant les auditions de la saison 1 de la commission d’enquête, des comédiens et des techniciens nous ont expliqué que l’existence d’un lien hiérarchique entre le référent VHSS et la production soulevait des problèmes. Une personne extérieure serait-elle plus appropriée ?
Mme Clotilde Martin. Chaque film est singulier. On aborde ce sujet en fonction de la personne qu’on est : nous sommes des techniciens, mais aussi des citoyens, qui défendons des valeurs. Il est essentiel de ne pas fermer la porte à quiconque veut participer à cette lutte. Pour avoir été formée et me sentir très concernée par le problème, je propose souvent d’être référente VHSS. Je comprends que certains techniciens s’étonnent que les directeurs de production, si proches du producteur, se portent volontaires. Mais je souhaite qu’on ne généralise pas cette réaction : nous sommes tous différents, comme le sont les équipes, chaque fois composées de personnalités différentes. Il faut garder la possibilité de constituer un binôme avec des membres de l’équipe si tout le monde s’en satisfait, comme il faut entendre les objections si d’aventure cela pose une difficulté.
S’agissant des formations, la présence physique de tous serait idéale mais dans la phase de préparation du film, quelques semaines avant le tournage, il est difficile de réunir tout le monde en même temps, y compris les talents. On pourrait organiser une réunion en présentiel et donner la priorité à la présence physique, mais valider la participation à distance pour ceux qui sont géographiquement éloignés.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je relève que rien n’est jamais systématique ni précisément défini. La gestion est artisanale. Nos recommandations tendront sans doute à élaborer un mode opératoire qui vous protégera aussi dans l’exercice de votre métier : pour le moment, tout dépend des talents, du fait que vous ayez ou non suivi une formation, de la bonne volonté du producteur et de sa situation économique. C’est un facteur de fragilisation.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Notre commission d’enquête s’intéresse à toutes les formes de violence. Vous avez souligné que le directeur de production était le supérieur hiérarchique légal du plateau. Mais on constate que le fait d’avoir du talent confère un pouvoir parallèle, comme une protection, ou l’autorisation de mal parler aux gens. Cela soulève des questions. Tout se passe comme s’il existait deux mondes : celui, officiel, des producteurs, directeurs de production, techniciens, maquilleurs – sans qui le film n’existerait pas non plus –, et celui des acteurs et des réalisateurs, des talents, qui auraient le droit de commettre des infractions à la loi, parce qu’on ne peut pas les remplacer, en particulier lorsque le tournage est commencé. Certes, il y a des talents, mais les techniciens aussi ont du talent – je ne parle pas des responsabilités, qui sont évidentes. Comment faire advenir un monde dans lequel le plateau de tournage serait un lieu d’égalité où les gens éprouvent de l’empathie ? Le cinéma américain a aussi des talents, des gens qui sont payés très cher, mais ils ne se permettent pas de se conduire ainsi, sauf à risquer de graves problèmes. Je ne parle pas ici des violences sexistes et sexuelles inadmissibles révélées par #MeToo, mais du comportement sur le plateau – même si, heureusement, il existe des acteurs gentils et polis.
Daniel Delume. Sans parler de violences sexuelles ni de harcèlement moral, je citerai un cas auquel nous avons tous été confrontés, relatif aux seules conditions de travail. L’équipe tourne une scène importante ; le comédien n’est pas très bon ce jour-là ; le réalisateur hésite : vous risquez de dépasser le nombre légal d’heures supplémentaires. Pour faire respecter la loi, et pour éviter les accidents liés à la fatigue, le directeur de production doit dire stop. Mais si la scène n’est pas terminée, le film n’existe pas, or on ne peut pas reporter le tournage de la séquence parce que le décor ne sera plus disponible par la suite. Nous sommes quotidiennement obligés de prendre des décisions de cette nature, de savoir ce qu’on peut se permettre sans castrer le réalisateur. Nous défendons un film, celui qu’on a envie de voir après avoir lu le scénario, mais en tant que créateur, le réalisateur – dans huit cas sur dix c’est un homme – peut avoir des doutes, et ces doutes ont des répercussions sur la logistique du tournage. Que devons-nous faire ?
Quand, à la trentaine, je reprochais à un réalisateur de dépasser les bornes, il m’envoyait balader, je n’avais pas de pouvoir sur lui. Aujourd’hui, j’ai le privilège d’être un homme de plus de 60 ans ; grâce à l’âge et à l’expérience, je suis davantage respecté. Avec certains réalisateurs, la discussion reste impossible ou compliquée. Néanmoins, la plupart du temps, neuf fois sur dix, il y a du dialogue ; si le film a été bien préparé – je ne parle pas du financement –, avec un délai suffisant pour estimer correctement les journées de tournage, ça se passe bien.
M. Benjamin Lanlard. Quant à l’empathie et à la politesse, on en revient malheureusement à la question de l’éducation. Les gens viennent d’horizons différents, leurs parcours sont différents. Nous sommes les chefs d’orchestre ; pour que tout fonctionne bien, nous sommes parfois obligés de faire fi des histoires personnelles pour que l’équipe avance. On se concentre beaucoup sur le cinéma et le spectacle mais, comme l’ensemble de la société, nous héritons de centaines d’années de patriarcat et de mauvaises habitudes. Sans vouloir renvoyer tout le monde dos à dos, j’estime que le respect de l’autre et de son consentement s’apprend dès l’école. Cela ne nous empêche évidemment pas de prendre des mesures, par exemple en instaurant des modules sur ces sujets dans les écoles de formation, de rappeler le cadre légal et tout ce qu’il implique concernant les VHSS. Le problème concerne toutefois plus généralement la société, et il faut s’en emparer.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. La France s’est peut-être distinguée en ce que la célébrité s’y accompagne d’irascibilité.
M. Benjamin Lanlard. Tout à fait. Malheureusement, monsieur Balanant, nous sommes obligés de confirmer que votre description reflète la réalité des plateaux.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Cela affecte la vie ensemble. Si, étant jeune, vous êtes confronté à des gens qui vous font peur, vous ne pouvez pas réagir lorsque vous voyez commettre un délit ou un crime. C’est un vrai problème.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est la raison pour laquelle les médiations sont nécessaires sur le plateau et que le rôle des directeurs de production est essentiel. Encore faut-il qu’il soit bien identifié.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Disposez-vous de procédures spécifiques concernant les mineurs, notamment pendant les castings ?
En vous fondant à la fois sur les dispositifs existants et sur les mesures que vous adoptez de vous-mêmes, avez-vous des recommandations à émettre ? Lorsqu’une alerte est donnée, quels outils vous manquent pour encadrer les événements d’une manière compréhensible par tous ?
Mme Anaïs Ascaride. Le CNC et l’Afdas, l’opérateur de compétences des secteurs de la culture, des industries créatives et des médias notamment, sont en train d’élaborer une formation qui sera disponible incessamment.
Systématiser ces formations nous sera utile : nous avons besoin qu’on nous aide à poser un cadre, que les choses soient définies. Ainsi, j’ai découvert en formation la notion de harcèlement environnemental : par exemple, lorsque des gens parlent de sexe toute la journée, parce qu’ils trouvent ça drôle, ça peut en gêner d’autres. Récemment, l’un de mes collaborateurs me faisait des blagues que je ne comprenais pas, parce que je les entendais au premier degré. Je lui ai expliqué que je savais que ses interventions n’étaient pas méchantes, qu’il s’agissait de blagues, mais que ne les comprenant pas, je les prenais mal. Même moi, directrice de production, j’ai dû prendre mon courage à pleines mains pour aller le trouver. Il m’a présenté ses excuses, et le problème a été résolu en deux minutes. De la même manière, je prône le droit à la déconnexion : je donne la consigne de ne pas envoyer de mail après vingt heures en semaine ni le week-end. Certes, la loi le prévoit déjà, mais il est parfois nécessaire de la rappeler. Nous représentons les employeurs, donc lorsque nous donnons cette consigne, elle est suivie. Je fais beaucoup de prévention, en particulier auprès des jeunes, mais ils ont encore du mal à venir nous parler, pour plein de raisons. Dans nos métiers, on peut se dire que le problème ne durera que deux mois, que ça va passer : des gens dont le comportement est inapproprié ne font jamais l’objet d’un signalement.
La question des enfants est encore différente. La commission des enfants du spectacle de Paris et de la région Île-de-France est surchargée en raison d’effectifs et de moyens insuffisants. Nous discutons avec eux et avec les représentants d’autres métiers, comme les assistants de production, pour trouver des solutions à nos problèmes. En effet, nous ne travaillons pas selon les mêmes calendriers. La convention collective du cinéma impose désormais la présence d’un responsable des enfants, ce qui est positif, mais quid d’une présence en dehors des temps de tournage ? Les parents ne peuvent pas systématiquement être là. Il n’y a pas d’obligation ; on fait comme on peut. Quant aux mineurs de 16 ans et plus, ils ne relèvent pas de la commission des enfants du spectacle mais il faut s’interroger sur ce qu’il convient de faire lorsqu’un môme de 16 ans est en tournage loin de chez lui.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Sur ce point, vous êtes les premiers à ne pas nous parler de charte – je vous en remercie.
Comment se passent les castings et les temps hors tournage, notamment les soirées ? Quelle est votre responsabilité ? En tant que salariés, êtes-vous concernés ? Comment faites-vous si vous n’avez pas encore de contrat au moment du casting ?
M. Daniel Delume. Ma femme organise des castings, donc je connais bien le sujet. Pour les enfants, elle a toujours exigé la présence de deux personnes, dont au moins une femme, même si cela ne protège pas de tout. Il faut que la personne concernée ait un peu de bouteille pour pouvoir poser des limites, parce que le casting lui-même peut déjà être traumatisant.
En dehors du temps de tournage, il est à mon sens évident qu’un deuxième référent est nécessaire pour s’occuper des enfants. Mais on en revient au nerf de la guerre – l’argent. Il faut expliquer. Lorsque la loi prévoit des obligations, c’est beaucoup plus simple.
J’ajoute que la présence d’un responsable des enfants est obligatoire au cinéma, mais pas dans l’audiovisuel, qui relève d’une convention différente. Or le nombre de téléfilms est tel que c’est totalement anormal. Là encore, tant que la mesure ne sera pas dans la loi, elle ne sera pas appliquée.
M. Sébastien Autret. Il y a un paradoxe. La Dreets, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, impose de monter un dossier préalable à l’embauche d’un enfant. C’est une véritable usine à gaz. Il faut le renseigner un mois et demi à l’avance, parfois deux mois, et il est ensuite gravé dans le marbre, alors que le projet va encore largement évoluer. Mais une fois ce défi relevé, on nous fout la paix, alors que c’est là que ça devient dangereux : si une scène est réécrite ou un plan de travail modifié, nous n’avons plus d’interlocuteur, parce que la commission suivante se réunit un mois et demi plus tard. Nous sommes obligés soit d’empêcher le changement, soit de louvoyer. D’un autre côté, sur le plateau, des gamins de 16 ans sont libres de faire ce qu’ils veulent, alors qu’il faudrait les surveiller – ce sont des mineurs. Il faut vraiment modifier l’encadrement des mineurs en province pendant le tournage.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les feuilles de service détaillent le déroulement de la journée à venir. Lors des précédentes auditions, on nous a rapporté qu’elles étaient parfois traitées à la légère, mal remplies, quelquefois pour masquer certaines choses. Confirmez-vous que de telles pratiques existent ? C’est particulièrement gênant pour les enfants car elles servent de fondement aux contrôles.
Mme Anaïs Ascaride. Les feuilles de service sont censées être bien renseignées, cependant des écueils existent. La commission des enfants du spectacle donne des consignes en fonction de l’âge et du calendrier scolaire. Toutefois, un flou demeure : j’ai l’impression qu’on peut faire travailler les enfants plus longtemps que le temps légal. Il me semble qu’on s’améliore tout de même un peu, mais on en revient toujours à la question des moyens. J’ai fait un film dont le rôle principal était tenu par un enfant. Nous avions engagé deux enfants doublures, qui étaient présents tous les jours, mais cela n’a pas suffi. L’enfant était donc potentiellement là plus que prévu. La meilleure solution consiste à caster des jumeaux. Depuis, je l’avoue, j’essaie de ne pas faire de film avec des enfants, parce que ça me stresse trop. Maintenant, le responsable des enfants surveille, quasiment le chronomètre à la main, pour annoncer dans combien de temps il faudra les libérer. Il faudrait également prévoir de vrais temps de pause. Parfois, ils travaillent deux heures le matin et deux heures l’après-midi : pour éviter qu’entre les deux, ils attendent que ça se passe, tankés dans une loge, il faut définir des moments de lecture, de jeu, d’activités. En effet, on parle d’un truc un peu fou : faire travailler des enfants. C’est le seul secteur dans notre pays qui peut les employer.
J’ai récemment rencontré le cas d’un enfant de Grenoble. Il n’était pas reçu par le Centre médical de la Bourse à Paris, mais par un autre médecin. Celle-ci m’a envoyé trois pages de questions très précises sur le scénario, demandant par exemple quel serait le poids du cartable dans telle séquence ; dans telle autre, combien de frites il mangerait au fast-food et à quelle heure ; comment j’allais m’assurer qu’il ne se blesserait pas en jouant avec un chiot – en faisant de notre mieux ! J’ai d’abord paniqué, puis décidé de l’appeler. De notre discussion, j’ai surtout retenu qu’elle était la seule à voir l’enfant. La commission ne reçoit pas les enfants. Le scénario prévoyait que ses parents devaient divorcer ; elle me demandait si nous lui avions expliqué le mariage et le divorce – c’est très compliqué, mais on peut essayer. Je lui ai dit qu’étant la seule à voir l’enfant, il fallait à mon sens qu’elle détermine s’il était bien dans ses baskets, si sa scolarité se passait bien, si l’expérience risquait de le perturber, s’il n’était pas poussé à travailler par ses parents. Je pouvais répondre aux autres questions par mail, mais là était l’essentiel.
Les questions de la commission des enfants du spectacle consistent plutôt à connaître, par exemple, la hauteur d’un muret duquel l’enfant doit sauter. Parfois, les choses sont absurdes. Lors d’un tournage récent, un enfant était employé comme silhouette, c’est-à-dire un personnage défini mais qui ne parle pas. Pendant le tournage, on m’a prévenue que la réalisatrice voulait qu’il dise : « Bonjour monsieur. » J’ai dû m’y opposer, dire que c’est interdit. Je me suis disputée avec la réalisatrice qui me soutenait que ce n’était rien. Sur le fond, je suis d’accord avec elle, mais l’enfant étant déclaré comme silhouette, nous n’avions pas l’autorisation de la Drieets, la direction interdépartementale. C’est anecdotique, mais on voit que ce fonctionnement crée des tensions.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Pouvez-vous décider de déclencher une enquête ou devez-vous demander au producteur de le faire ?
M. Sébastien Autret. On peut lui préconiser de lancer l’enquête, mais il peut refuser de nous suivre. Si cela devait m’arriver, j’enverrais évidemment ma demande par écrit.
M. Daniel Delume. Même si le producteur refusait, je le ferais. Cela me semble normal. D’abord par conviction, ensuite parce qu’en cas de problème, c’est nous qui paierons. Avant même d’entamer une enquête, je reçois la personne et je l’écoute ; si les faits sont graves ou avérés, j’enquête.
M. Sébastien Autret. Bien évidemment, il y a de l’humain dans tout cela. C’est une chose de gérer un problème, c’en est une autre de le faire dans le cadre du travail. Il nous est tout à fait possible de sortir du cadre du travail. Je n’imagine pas qu’un producteur refuse de lancer une enquête si on la lui a demandée. Cela peut toutefois arriver : dans ce cas, on peut avancer en sortant du cadre du travail.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je ne suis pas sûre qu’on sorte du cadre du travail. C’est une vraie question.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il existe une unique clause assurantielle pour couvrir une interruption de tournage en cas de VHSS, à hauteur de 500 000 euros et de cinq jours d’arrêt. Est-elle suffisante ?
Mme Anaïs Ascaride. La question est de savoir ce que couvre l’assurance. Jusqu’ici, un signalement au procureur de la République ou une plainte étaient nécessaires pour appliquer la clause. Pourtant, on sait très bien qu’en cas d’agression, la plainte n’est pas immédiate. C’est donc un premier frein. Par ailleurs, en cas d’élargissement, les modalités et les plafonds restent à définir ; ils dépendent de nombreux paramètres. De plus, nous devons concevoir le projet comme collectif, non limiter l’assurance aux principaux comédiens, au réalisateur et au chef-opérateur : il faut élargir le champ pour que tout le monde soit concerné.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie. Vous pouvez, si vous le souhaitez, nous envoyer des compléments par écrit ou nous demander une nouvelle audition.
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La commission procède ensuite à l’audition, sous forme de table ronde, ouverte à la presse, de Mme Julie Larher et Mme Nathalie Tissier, membres de l’association des maquilleuses et maquilleurs de cinéma (AMC), Mme Alice Cambournac, présidente de l’association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA) et Mme Julie Miel, vice-présidente, M. Jérémie Steib, président de l’association française des assistants réalisateurs de fiction (AFAR) et Mme Thomine de Pins, secrétaire adjointe chargée des VHSS au sein de l’association, et de Mme Noémie Lance, co-présidente de l’association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR) et M. Erwan Doré, co-président.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Chers collègues, pour cette seconde audition de l’après-midi, je souhaite la bienvenue à Mmes Nathalie Tissier et Julie Lahrer, membres de l’Association des maquilleuses et maquilleurs du cinéma (AMC), à Mmes Alice Cambournac et Julie Miel, présidente et vice-présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (Afcca), à Mme Noémie Lance et M. Erwan Doré, coprésidents de l’Association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR), et à M. Jérémie Steib et Mme Thomine de Pins, président et secrétaire adjointe chargée des violences et du harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) de l’Association française des assistants réalisateurs de fiction (Afar).
Je rappelle que cette commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Cette table ronde est l’occasion d’entendre des acteurs absolument essentiels de cet univers et de nous intéresser de plus près à des métiers moins connus du grand public, mais qui font le caractère collectif d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle.
Si nous avons toutes et tous en tête le rôle du producteur, du réalisateur ou des comédiens, les œuvres n’en demeurent pas moins des projets artisanaux rassemblant une équipe très large, au sein de laquelle certains ou certaines peuvent être victimes ou témoins de violences, à commencer par les personnes exerçant vos métiers, mesdames, messieurs. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé opportun de vous entendre ensemble et de confronter vos points de vue.
Pour la clarté de nos échanges, je vous inviterai à exposer succinctement vos différents métiers ainsi que leurs spécificités, puis le rapporteur, Erwan Balanant, et les autres membres de la commission d’enquête poseront leurs questions.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Julie Lahrer, Nathalie Tissier, Alice Cambournac et Julie Miel, M. Jérémie Steib, Mmes Thomine de Pins et Noémie Lance et M. Erwan Doré prêtent successivement serment.)
M. Jérémie Steib, président de l’Association française des assistants réalisateurs de fiction (Afar). Je tiens d’abord à saluer la reprise des travaux de cette commission d’enquête, ainsi que la qualité et la richesse des échanges, aussi bien lors de sa saison 1 que de sa saison 2.
Je vous remercie d’avoir conjointement invité nos quatre associations qui, à l’instar de l’Association des directrices et directeurs de casting (Arda) et de l’Association des directrices et directeurs de production (ADP), dont vous venez d’auditionner les représentants, sont composées de gens « qui font », pour reprendre une formule déjà employée. Nos activités et responsabilités associatives sont bénévoles et effectuées sur notre temps libre, qui est le plus souvent très limité.
Le métier d’assistant réalisateur est méconnu, mais essentiel à l’organisation d’un tournage de fiction. Derrière ce titre, se cache d’ailleurs toute une équipe avec, à sa tête, le premier assistant réalisateur. Celui-ci est l’un des plus proches collaborateurs du réalisateur et le seconde dans les phases de préparation et de tournage d’un film. Il est lui-même assisté dans ses fonctions de plusieurs collaborateurs : un ou plusieurs deuxièmes, voire troisièmes assistants réalisateurs, ainsi qu’un ou plusieurs auxiliaires à la réalisation ou assistants réalisateurs adjoints suivant la convention collective de rattachement.
Le premier assistant réalisateur organise et coordonne les phases de préparation et de tournage, en lien avec les différents chefs de poste de tous les départements du film.
En ce qui concerne l’organisation, il travaille en étroite collaboration avec le régisseur général, dont le rôle est de coordonner et de superviser l’ensemble de la logistique d’un tournage, et avec le directeur de production, dont le métier vous a été expliqué plus tôt. Parmi ses activités principales, le premier assistant réalisateur établit le dépouillement du scénario, ce qui consiste à lister, séquence par séquence, tous les éléments importants, comme la présence des personnages, et à évaluer la durée de leur tournage. Il établit ensuite le plan de travail, qui n’est autre que le planning de tournage, en fonction des disponibilités et des impératifs des différents départements, qu’il s’agisse des comédiens, des décors ou encore des accessoires. Il doit donc comprendre les problématiques de toutes les équipes et les mettre en cohérence avec les impératifs budgétaires de la production. Enfin, il coordonne l’avancée de la préparation et les réunions, en se fondant sur les volontés artistiques du réalisateur.
Pendant le tournage, le premier assistant réalisateur coordonne les équipes, assure la gestion du plateau, la bonne avancée des prises de vues et le suivi du plan de travail. Il met en place et dirige la figuration. Avec ses collaborateurs, il élabore aussi la fameuse feuille de service, document comportant toutes les informations pratiques et essentielles de la journée du lendemain et qui est distribué à toute l’équipe en fin de journée – je pense que nous en reparlerons.
Le premier assistant réalisateur occupe donc une position centrale dans l’organisation du tournage, au croisement de l’artistique et de la production. Il n’existe pas de formation certifiante pour exercer ce métier, qui s’apprend sur le terrain, au contact de ses supérieurs hiérarchiques : d’où l’importance de prendre le temps de gravir les échelons et de progressivement apprendre les bonnes pratiques.
En ce qui concerne l’Afar, dont je suis le président, elle a été créée en 1998 afin de défendre les intérêts et les spécificités de notre profession, de promouvoir une véritable déontologie et de rompre l’isolement dans lequel peuvent se retrouver les assistants réalisateurs. En effet, même si nous sommes entourés de nos collaborateurs, des régisseurs et du directeur de production, nous sommes souvent seuls en première ligne, sur le plateau, à devoir prendre des décisions d’urgence.
L’association compte 152 membres, dont 131 en activité. Que nous soyons premiers, deuxièmes ou troisièmes assistants réalisateurs, nous sommes tous expérimentés et travaillons sur des longs métrages, des films, des séries, des publicités. Je souligne que la proportion de femmes est en progression, puisqu’elles représentent désormais 47 % des membres en activité de l’Afar. C’est la preuve que la profession se féminise, ce qui est une bonne nouvelle.
L’Afar se veut un lieu privilégié d’échanges, de partage, d’entraide et de transmission des savoirs entre assistants réalisateurs. L’association assure une veille et un suivi des règles conventionnelles, légales, sociales et de sécurité à destination de ses membres, mais aussi de l’ensemble de la profession, grâce à notre site internet. Elle échange avec différents organismes institutionnels et syndicaux quand c’est possible ou lorsque nous sommes sollicités. Enfin, nous entretenons d’étroites relations sur divers sujets avec la vingtaine d’autres associations professionnelles existantes – un réseau qui, au total, représente près de 2 500 techniciens et, partant, un formidable maillage sur le terrain pour l’échange d’informations et de bonnes pratiques.
Mme Thomine de Pins, secrétaire adjointe chargée des violences et du harcèlement sexistes et sexuels au sein de l’Afar. Je précise simplement que l’Afar s’est dotée en 2021 d’un poste de chargé des questions liées aux VHSS et que, très tôt, nous avons incité nos membres à parler de leur expérience. Nous avons ainsi souhaité constituer un espace de parole et engager nos adhérents à se former sur les VHSS ; nous leur mâchons le travail pour qu’ils n’aient que trois clics à faire pour lancer une démarche.
En prévision de cette audition, nous avons sondé nos membres sur les questions de discrimination : je pourrai vous communiquer les résultats tout à l’heure.
Mme Nathalie Tissier, membre de l’Association des maquilleuses et maquilleurs du cinéma (AMC). Julie Lahrer et moi-même sommes ravies d’être présentes cet après-midi, car nous pensons que cette commission d’enquête est très importante. Nous représentons l’AMC, une jeune association qui n’a été créée qu’en 2022. Une telle structure avait été envisagée il y a une trentaine d’années, mais sans succès : à l’époque, les chefs maquilleurs, qui étaient essentiellement des hommes, n’avaient pas dû croire qu’une association serait véritablement utile. Puis il a fallu beaucoup de temps pour remotiver les troupes.
Quoi qu’il en soit, nous avons actuellement 105 adhérents : des chefs maquilleurs et cheffes maquilleuses ainsi que des maquilleurs et maquilleuses de cinéma. Notre bureau est composé de neuf personnes et nos membres ont entre 25 et 65 ans. À l’image de notre métier, qui s’est fortement féminisé, nous comptons une très large majorité de femmes ; seuls cinq hommes sont membres de l’association.
Notre objectif premier est la valorisation et la reconnaissance des métiers de chef maquilleur et de maquilleur, car celles-ci se sont énormément dégradées avec les années. C’est en effet l’un des rares métiers où ni le mérite ni l’expérience ne comptent : que vous soyez un jeune maquilleur qui démarre ou un chef maquilleur avec trente-cinq ans de carrière et le plus beau CV du monde, le tarif est le même. Il n’y a aucune valorisation de nos qualifications, quelles qu’elles soient. Nous nous battons donc pour y remédier ; c’est beau d’être optimiste !
Nous défendons aussi les intérêts artistiques, moraux, économiques et sociaux de la profession, car notre activité ne se limite pas à mettre de la poudre sur la joue des gens ! Dès que nous recevons le scénario, nous décryptons l’œuvre et identifions le travail qui nous revient, que le film soit contemporain, d’époque, ou encore futuriste. Nous mobilisons nos connaissances, nous faisons des recherches historiques, nous créons des mood boards – des planches de tendance –, de sorte à apporter le plus de richesse artistique possible à la construction de l’œuvre commune.
Enfin, l’AMC représente notre profession auprès de l’industrie cinématographique française et internationale, des institutions, des autres associations professionnelles et de toute personne morale ou privée en lien avec notre métier.
Nous défendons des principes de solidarité et de bienveillance entre nos membres et accordons une attention particulière aux enjeux liés à l’extrême féminisation de notre métier. Nous avons subi et continuons de subir, à divers degrés, des comportements sexistes. Il peut s’agir d’un mépris général pour notre profession et nos compétences, mais un grand nombre d’entre nous ont aussi subi des remarques, des gestes déplacés, voire des agressions sexuelles caractérisées. Je pourrai faire part de différents témoignages anonymes pour illustrer le contexte dans lequel nous travaillons.
Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (Afcca). L’Afcca a été créée en 2009 et se montre particulièrement active depuis environ cinq ans, après avoir connu une période de grand ralentissement. Nos adhérents travaillent dans le cinéma et l’audiovisuel, mais pas dans le spectacle vivant, même si les ateliers sont parfois les mêmes. Les différents corps de métier sont représentés, depuis les auxiliaires – qu’on appelait autrefois les stagiaires – jusqu’aux créateurs de costumes. Nous sommes très heureux de cette diversité, qui est enrichissante et qui permet la confrontation des générations. À l’instar des autres associations ici représentées, nos membres sont des professionnels en activité qui s’impliquent bénévolement.
Notre objet est de créer un espace de parole et de réflexion pour penser le cinéma de demain et mettre en valeur les métiers du costume, qui demeurent méconnus et peu reconnus. Certes, les films d’époque font rêver, mais dès qu’il s’agit d’un film contemporain, même les professionnels du secteur ont tendance à penser que notre rôle se résume à choisir des t-shirts et des jeans.
Nous travaillons beaucoup à la diffusion des bonnes pratiques, dans un contexte de dégradation des conditions de travail, qui concerne tous les départements et qui s’accélère réellement depuis quatre ans. Nous nous intéressons bien sûr aux VHSS, mais aussi aux coresponsabilités et aux questions de formation, car il y a de graves lacunes dans ce domaine, notamment pour l’application des métiers du costume aux productions audiovisuelles. Les professionnels ne reçoivent souvent qu’une formation générique, alors que les métiers du cinéma et la vie sur un plateau sont très particuliers. Nous nous efforçons d’ailleurs d’agir de manière transversale avec les autres départements : c’est ce que fait notamment Artscenico, la Fédération européenne de la création de costumes et décors de films, qui nous permet de voir comment les choses fonctionnent dans d’autres pays.
L’un de nos principaux groupes de travail est celui que nous avons appelé « empowerment », ou « empouvoirement ». Je ne connais pas le chiffre officiel, mais les métiers du costume sont en effet exercés à une écrasante majorité par des femmes ou des personnes LGBTQI+. Quand, il y a quatre ans, nous avons demandé à 400 professionnels – donc bien au-delà des seuls membres de l’Afcca – comment ils se sentaient au travail et s’ils avaient l’impression d’être considérés, il en est ressorti un sentiment quasi unanime et humiliant de dévalorisation. Les répondants – ou plutôt, les répondantes – avaient l’impression d’exercer un sous-métier, de ne pas être prises au sérieux, d’être considérées comme des lavandières ou des chiffonnières, et de subir une misogynie latente – un peu à l’image de nos amies coiffeuses et maquilleuses, qui sont perçues par certains comme des esthéticiennes.
Ce mépris n’est pas nécessairement conscient : il s’agit certainement plus d’une mentalité qui perdure depuis des années et que, pour notre part, nous avons acceptée jusqu’à présent. Cette situation produit une vraie souffrance au travail, ainsi que le sentiment de ne pas parvenir à se défendre face à l’autorité, particulièrement au moment de parler d’argent avec les directeurs de production, qui sont souvent des hommes. C’est une difficulté partagée par l’ensemble des cheffes costumières que nous avons interrogées, alors que leurs homologues masculins, eux, ont dit n’avoir aucun problème à aborder les questions d’argent.
Le sentiment de dévalorisation est donc lié au fait d’être une femme occupant un métier de femme, ayant trait, de surcroît, aux vêtements. En somme, nous faisons un métier de bonnes femmes ! Je caricature un peu et heureusement que les choses se passent parfois très bien, mais c’est parce que ce sentiment est bien réel que nous avons décidé d’apprendre à dire non et de nous doter d’outils pour nous défendre et nous faire respecter.
Mme Noémie Lance, coprésidente de l’Association française des régisseuses et de régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR). Erwan Doré et moi-même représentons l’AFR, une association créée en 2006 qui regroupe des auxiliaires de régie, des régisseurs et régisseuses adjoints et adjointes, des régisseurs et régisseuses généraux et générales. Notre métier est aussi méconnu que celui d’assistant réalisateur et permet également une grande progression professionnelle, depuis le poste d’auxiliaire de régie, qui est un débutant, jusqu’à celui de régisseur général, qui est un cadre responsable de son équipe.
Le travail principal du régisseur général est d’obtenir les autorisations de tournage, ce qui suppose d’être en contact avec les préfectures et les municipalités, et de répondre aux demandes du réalisateur, mais aussi des départements de la décoration et de l’image pour que les prises de vues désirées puissent avoir lieu. Le régisseur général intervient donc très en amont du tournage, en collaboration avec le premier assistant réalisateur.
À l’image des autres associations, la nôtre a été créée pour rompre l’isolement dans lequel se trouve souvent le régisseur général ou le régisseur adjoint sur un plateau et pour échanger sur nos expériences et sur les collaborateurs que nous sommes susceptibles d’engager, car nous sommes maîtres de la constitution de nos équipes.
En ce qui concerne les formations, nous sommes très heureux d’avoir été récemment contactés par l’École nationale supérieure Louis-Lumière en vue de créer un premier cursus public de régie générale. Jusqu’à présent, le métier n’était abordé que dans les formations relatives à la production et souffrait donc d’un manque de reconnaissance. Nous sommes également sollicités pour intervenir dans des écoles de cinéma et pour accompagner les élèves dans la préparation de leur court métrage d’école.
Nous sommes bien sûr sensibles et à l’écoute des souffrances de nos membres, dues à l’intensité du métier ou à l’instabilité inhérente à l’intermittence du spectacle. Nous nous félicitons de l’importance croissante des démarches de prévention des VHSS. Pour l’heure, le pôle relatif au harcèlement que nous avons créé au sein de notre association ne nous a pas fait remonter d’éléments précis, mais nous sommes conscients que la libération de la parole prend du temps.
Nous nous réjouissons des avancées récentes et nous nous interrogeons sur la place des femmes dans notre métier. Ainsi, chaque 8 mars, nous communiquons la part de femmes dans notre association. Elles représentent actuellement 32,56 % de nos membres et comptent pour 15 % des régisseuses générales, 40 % des régisseuses adjointes et 68,18 % des auxiliaires de régie. Leur place tend à progresser.
Les principales sources de mal-être que nos membres expriment ont surtout trait à nos grandes amplitudes horaires et aux temps de préparation souvent trop limités, dus à l’obtention tardive des autorisations de tournage par les institutions. Le passage à un poste de régisseur général ou adjoint, qui suppose un surcroît de responsabilités, peut être source de souffrances eu égard à l’investissement demandé par la production. Il n’est pas aisé de fixer à nos employeurs des limites à notre disponibilité morale, surtout lorsqu’on est novice à son poste et que l’on se sent redevable de l’avoir obtenu. Notre association permet de mieux informer les productions et de tenter, au gré des discussions, de créer un cadre de travail serein, bienveillant et respectueux de la loi.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Tous vos métiers se situent à un niveau hiérarchique intermédiaire, avec des personnes ayant autorité sur vous et d’autres que vous dirigez : vous êtes donc au contact de beaucoup de monde. S’agissant des maquilleurs et maquilleuses ainsi que des costumiers et costumières, voire des régisseurs et régisseuses, vous avez des moments d’intimité avec les acteurs. Avez-vous souvent assisté à des moments de libération de la parole ? Je présume en effet qu’une actrice dont la dernière scène se serait mal passée pourrait avoir envie de discuter avec vous en se démaquillant ou en remettant ses habits personnels. Le cas échéant, êtes-vous suffisamment formés à l’écoute de cette parole ?
Mme Nathalie Tissier. L’exemple que vous venez de prendre est notre quotidien ! Avant qu’il n’y ait des coordinateurs d’intimité pour, justement, accompagner les acteurs et actrices dans les scènes compliquées et faire en sorte qu’elles ressemblent davantage à des chorégraphies afin de limiter l’implication personnelle et physique, c’est nous qui faisions ce travail – étant rappelé que ces coordinateurs n’existent pas depuis longtemps et qu’ils ne sont pas systématiquement présents sur les tournages. La comédienne choisissait la personne dont elle se sentait le plus proche, maquilleuse, habilleuse ou costumière, pour l’assister lors du tournage des scènes sensibles et l’aider à se sentir plus à l’aise.
Dans les loges, nous faisons autant de maquillage que de psychologie. Les gens arrivent le matin, l’esprit occupé par leur vie et leurs problèmes personnels, et nous formons comme un sas vers la vie non réelle. C’est en passant chez nous qu’ils construisent leur personnage et se transforment physiquement avant d’aller sur le plateau. Ce sas est donc essentiel pour que l’acteur se sente bien, quel que soit, d’ailleurs, sa manière de pratiquer son art, certains comédiens voulant un silence absolu et d’autres préférant communiquer avec nous.
Notre formation de base n’inclut pas cette dimension. Pour ma part, j’ai eu de la chance, car j’ai fait des études de psychologie avant de devenir maquilleuse : ce fut comme un prélude. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. À mon époque, il n’y avait pas beaucoup d’écoles et la formation était bien encadrée ; désormais, il y en a énormément. Ainsi, les jeunes femmes qui arrivent dans le métier sont livrées à elles-mêmes sans véritablement savoir ce qui les attend. On ne leur dit pas qu’un film, c’est une construction, qu’il y a un budget à respecter, du personnel à gérer. C’est pourquoi, comme cela a été dit très justement tout à l’heure, il ne faut pas brûler les étapes : c’est un métier qui s’apprend avec le temps. On ne peut pas être chef maquilleur à 20 ans ; la charge émotionnelle et psychologique est beaucoup trop lourde – même quand on est plus âgé, d’ailleurs. Sans formation, il n’est pas simple de se construire un écran pour ne pas être touché par l’état des personnes qui nous entourent ; parfois, on n’y arrive pas.
Mme Alice Cambournac. Les costumiers, après le metteur en scène, sont certainement ceux qui rencontrent les comédiens en premier, pour procéder aux essayages lors de la préparation artistique du film. Et dans notre métier, il y a un rapport évident au corps et à l’intimité. Nous voyons les acteurs et actrices le matin, fatigués, en caleçon ou en culotte, ce qui crée nécessairement une proximité, ainsi, d’ailleurs, que des situations à risque dont nous reparlerons sans doute.
Sur un tournage, l’habillage, le maquillage et les costumes sont regroupés sous le sigle HMC. Contrairement à ce que l’on pense souvent, il ne s’agit pas d’un département du film, mais d’un lieu : en l’occurrence les loges. Comme Nathalie Tissier vient de le dire, les comédiens arrivent en amont des prises de vues et passent chez nous, si bien que nous sommes le réceptacle de toutes les discussions, de toutes les angoisses.
S’agissant des scènes d’intimité, notre implication va encore plus loin que ce que Nathalie Tissier a évoqué. La situation s’est améliorée, mais il y a encore quinze ans, il y avait des situations folles. Le metteur en scène n’en parlait pas en amont avec les comédiens et comédiennes, ne savait pas forcément lui-même comment il allait tourner la scène et, à l’approche du jour J, je finissais par demander s’il fallait prévoir des cache-sexes et quelles protections étaient envisageables, c’est-à-dire des éléments purement factuels. J’apprenais alors quelles parties du corps devaient apparaître à l’image et donc quels sous-vêtements – un string, par exemple – je pouvais éventuellement fournir aux actrices et aux acteurs qui, eux, étaient dans une insécurité et une angoisse totales.
Il n’est donc pas facile d’être jeune habilleuse dans un tel contexte, car on doit tout à la fois rassurer le comédien ou la comédienne et essayer de glaner des informations auprès du réalisateur ou de la réalisatrice – informations qui, bien sûr, peuvent changer la veille pour le lendemain, avec l’obligation, dans la nuit, de fabriquer une chaussette en guise de protection parce que, finalement, les fesses de la personne doivent apparaître à l’image. Je vous laisse imaginer la séance « d’habillage » pour les interprètes ! C’était de la bidouille, car aucune entreprise, en France, ne proposait alors de véritables protections sexuelles pour le cinéma.
Il est évident que ces épisodes-là sont sources de tensions psychologiques. Il m’est ainsi arrivé que des comédiens me demandent d’être présente sur le plateau pour les scènes d’intimité, car cela les rassurait d’être accompagnés par une personne de confiance. C’est une position qui n’a rien d’évident.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous dites que les choses ont changé : que peut-on faire pour encore les améliorer ?
Par ailleurs, eu égard à ce lien d’intimité que vous évoquez, avez-vous déjà été la proie d’un éventuel agresseur ?
Enfin, avez-vous les clés pour agir de la bonne manière et vers qui vous tournez-vous si un acteur ou une actrice, un technicien ou une technicienne vient vous confier qu’il a subi quelque chose ?
Mme Alice Cambournac. La première chose à savoir est que, dans le cinéma, le poste d’habilleuse est le moins bien payé après celui d’auxiliaire. Sur une grande production, il y a toute une équipe d’habilleurs et de costumiers, mais sur un film contemporain d’un budget moyen, la cheffe costumière a vite achevé son travail, si bien qu’il ne reste sur le plateau qu’une habilleuse, éventuellement assistée d’une auxiliaire ou d’une stagiaire conventionnée. L’habilleuse occupe donc un poste vulnérable, sans pouvoir économique, tout en ayant un rapport d’intimité avec des gens qui occupent une situation inverse, et ce à des horaires où le plateau est souvent vide, que ce soit tôt le matin ou tard le soir, avant ou après le tournage.
Il nous a donc été remonté un véritable problème concernant l’isolement des loges et la nécessité de garantir qu’une habilleuse ou un habilleur ne puisse s’y retrouver seule ou seul avec quelqu’un ayant potentiellement un comportement prédateur. Il ne faut pas que les loges soient installées n’importe comment et il faut qu’il y ait une claire délimitation entre les espaces réservés aux hommes et aux femmes ; cela fait partie de nos préconisations.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Comment faites-vous lorsque vous recevez un témoignage ?
Mme Alice Cambournac. C’est très compliqué car, dans le cinéma, la frontière entre le professionnel et personnel est très floue. Nous travaillons énormément dans de courts laps de temps, avec une très grande intensité et dans un cadre de familiarité – ou de fausse familiarité. On se tutoie et pour peu que le tournage ait lieu en province, nous logeons dans les mêmes hôtels. Un nombre incalculable de fois, nous avons vu des comédiens ou des techniciens pleurer, parce qu’ils ont été maltraités par le metteur en scène, parce qu’ils sont très malheureux ou mal à l’aise. Jusqu’à présent, nous avons fait office de cellule psychologique. Nous sommes les amis, les confidents et essayons de réconforter.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais sans être ni formés ni payés pour cela !
Pourriez-vous évaluer, en vous appuyant chacune et chacun sur votre expérience, la proportion de tournages lors desquels un incident lié à une maltraitance – j’utilise à dessein ce terme vague – s’est produit ?
Mme Alice Cambournac. Nous n’en savons rien, sachant que pendant des années, nous ne nous rendions même pas compte que nous assistions à des maltraitances !
Mme Julie Miel, vice-présidente de l’Afcca. Je suis entièrement d’accord. Nous n’étions même pas conscients de la situation. Les choses changent et les formations pour devenir référents VHSS nous remettent les points sur les « i » – ce qui est heureux –, mais tout cela reste largement à perfectionner. J’ai personnellement suivi une telle formation, mais je ne me sens pas apte à assumer un tel rôle sur un tournage, en raison du manque d’indépendance du poste et de l’insuffisance des enseignements.
Mme Thomine de Pins. C’est une question très intéressante, mais nous n’avons aucun chiffre. Quand, il y a trois ans et demi, j’ai été chargée de ces questions au sein de l’Afar, j’ai essayé d’obtenir des éléments auprès de nos membres, mais je n’ai reçu que deux réponses. J’en ai d’abord été heureuse, croyant que tout le monde allait bien, mais avec le temps et les affaires médiatiques, la parole s’est progressivement libérée, à tel point que le sondage anonyme que j’ai conduit il y a quelques jours en prévision de cette audition a donné lieu à beaucoup plus de réponses.
Sur les 152 membres de l’Afar, qui sont majoritairement des premiers – et non des deuxièmes ou troisièmes – assistants réalisateurs, 102 ont répondu à mes questions, soit une proportion assez exceptionnelle de 67 %. Notons d’ailleurs que 53 hommes et 49 femmes se sont exprimés, ce qui montre que tout le monde peut se sentir concerné par la question, et que, étrangement, ce sont les membres les plus âgés qui ont le plus répondu. Ainsi, même si on a l’impression que ce sont les jeunes qui font avancer les choses, les plus vieux se sentent aussi investis et sont heureux du changement.
Il ressort des témoignages que tous les postes sont exposés de manière égale. Les troisièmes assistants réalisateurs, pourtant situés à un échelon inférieur dans la hiérarchie, ne sont pas davantage touchés par des cas de VHSS. En revanche, ceux qui abusent disposent toujours d’un pouvoir ou d’une autorité sur les victimes, que l’agresseur soit un réalisateur, un producteur, un comédien, ou un technicien.
Avant de donner les chiffres, je précise que j’ai communiqué aux personnes sondées les définitions des discriminations, du harcèlement et des agissements relevant des VHSS, car si nous disposons de si peu de chiffres, c’est aussi parce que les professionnels ne savent même pas exactement de quoi on parle.
En ce qui concerne les discriminations, 56 personnes, soit 54 % des répondants, ont affirmé en avoir été victimes. Cela concerne 34 femmes et 22 hommes, comme quoi les femmes ne sont pas les seules à se sentir discriminées dans l’exercice de leurs fonctions.
Concernant les agissements sexistes, 66 personnes ont déclaré en avoir subi soit 64,7 % de nos membres, au cours de leur vie professionnelle. Je précise à cet égard que mes questions portaient sur l’ensemble du parcours professionnel et qu’on ne devient pas directement premier assistant réalisateur ; avant cela, on est second ou troisième assistant, habilleur, ou encore régisseur.
S’agissant ensuite du harcèlement sexuel, 47 personnes ont affirmé en avoir été victimes. Les circonstances dans lesquelles les faits surviennent sont d’ailleurs les mêmes que pour les agissements et les agressions sexuels. La victime débute dans le métier ou se trouve dans une position hiérarchique inférieure. Elle se trouve seule avec l’auteur des faits, que ce soit dans les loges, dans une voiture, lorsqu’elle accompagne un comédien de la loge au plateau ou lors d’un point avec le réalisateur. Souvent, aussi, les faits surviennent quand le tournage connaît une situation d’urgence ou de pression ; la victime n’a alors pas le temps de réagir : je pense à ces moments fébriles, hors de la réalité, avant que le mot « action » ou « coupez » ne résonne, lors desquels certaines personnes peuvent se permettre des choses, comme un attouchement. Et il y a bien sûr également les occasions sociales ou festives.
Quant aux agressions sexuelles, 10 femmes et 7 hommes ont déclaré en avoir subi, soit 11 % des personnes qui ont répondu – une statistique similaire à celle des victimes d’agressions sexuelles dans la société. Parmi ces femmes, deux ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentative de viol, notamment lors d’un tournage à l’étranger – mais personne n’en a parlé.
Par ailleurs, seules 50 % des personnes qui ont déclaré avoir subi une agression ou fait l’objet d’un harcèlement n’en ont pas parlé en raison de la banalité de ces agissements qui relèvent du passé. Elles ont également évoqué la peur des répercussions professionnelles, notamment la perte de leur poste, la méconnaissance des VHSS, les difficultés à identifier l’agression, et le sentiment de honte, de déni ou de solitude qu’elles ont éprouvé.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous avez mené ce sondage dans le cadre des travaux de la commission d’enquête ou est-il réalisé régulièrement ? Par ailleurs, les autres associations ici représentées ont-elles déjà mené une telle étude ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En plus de prévoir un poste dédié aux VHSS, l’Afar prend des initiatives en la matière, ce qui n’est pas toujours le cas. À cet égard, il serait intéressant de disposer de vos questionnaires et des réponses que vous avez obtenues.
Par ailleurs, quel lien faites-vous entre la précarité économique et les violences sexistes et sexuelles ? On a très souvent évoqué les comédiennes et les comédiens. Or on imagine que les professionnels moins exposés font plus facilement l’objet d’agression. Mme Cambournac a déjà donné des éléments de réponse, mais peut-être pourriez-vous les étayer ?
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Vous avez indiqué que ces actes ont longtemps été considérés comme banals. À la lumière des déclarations que vous avez recueillies, auriez-vous agi différemment afin d’éviter que des agressions sexuelles ne soient commises ?
Mme Julie Larher, membre de l’Association des maquilleuses et maquilleurs de cinéma (AMC). Ce milieu est très hiérarchisé. Les abus, qui sont fréquents, peuvent être commis par des personnes qui ont plus de pouvoir, non seulement des comédiens, mais aussi des chefs de poste, sur celles qui en ont moins : elles tissent un lien de confiance qui fait tomber les barrières.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous préciser cette idée ?
Mme Julie Larher. Sur un tournage, on vit dans un microcosme : on travaille de manière intense dans des conditions difficiles et on apprend à vivre avec des personnes qu’on ne connaît pas. Cela peut conduire à créer une illusion de proximité et à faire tomber les barrières chez certaines personnes qui exerceront une emprise sur d’autres, plus jeunes ou ayant moins de pouvoir. Elles leur feront croire qu’elles pourront grimper dans la hiérarchie ou les menaceront de les renvoyer.
Mme Alice Cambournac. L’enjeu, pour les personnes qui ont un faible pouvoir, est de dénoncer ces actes. Dans le cinéma, il existe une culture du silence, pour ne pas dire une omerta, bien que cela évolue doucement depuis quatre ans. Un professionnel est embauché par le bouche‑à‑oreille grâce à sa réputation – en vingt-cinq ans, j’ai dû transmettre six fois mon CV.
La responsabilité de faire arrêter un tournage est terrible. Jusqu’à présent, il était très difficile de parler sans risquer de se compromettre – sans parler de l’isolement, et de la honte et de la souffrance ressenties.
Mme Noémie Lance. Modifier l’intitulé des postes constituerait un progrès. Pendant très longtemps, les auxiliaires étaient qualifiés de stagiaires alors même qu’ils occupaient un vrai poste. Par conséquent, les relations avec la hiérarchie étaient différentes.
En tant que cadres, il est de notre responsabilité de protéger notre équipe. Par certains aspects, notamment les transports, les régisseurs sont soumis à une forme de servilité. Au sein de l’association, nous réfléchissons à la manière de faire évoluer le métier, notamment en recourant à des taxis ou à des prestataires bien que cela soit difficile en région. Cette solution permettrait d’instaurer une certaine distance et de modifier la relation avec les gens de pouvoir, notamment les comédiens ou les chefs de poste.
Mme Thomine de Pins. La confidentialité est un aspect essentiel de nos métiers : on sait des choses dont on n’aurait pas eu connaissance dans un cadre professionnel normal. Par exemple, nous avons les numéros de téléphone des acteurs et des réalisateurs, et, naturellement, personne ne les diffuse. Avant, il existait des bibles de tournage « parlantes », avec les adresses et les numéros de téléphone des acteurs et des techniciens, remis aux chefs de poste.
Néanmoins, le principe de confidentialité a pu conduire à couvrir des actes qui n’auraient peut-être pas dû l’être.
De plus, la parole met du temps à se libérer. Il ne faut pas croire que personne ne dit rien sur un plateau : tout le monde se parle et nous sommes tous au courant de tout. Avant, nous résolvions les problèmes entre nous pour ne pas faire de vagues. Il est encore plus compliqué de libérer la parole lorsque cette libération n’est pas suivie d’actes.
Mme Nathalie Tissier. Nous avons décidé de mettre des barrières afin de mieux protéger les personnes. En tant que cheffe de poste, la première chose que je dis à mes équipes est de venir me voir immédiatement en cas de problème ; je serai là pour les aider. Je regrette que personne ne m’ait jamais dit cela au début de ma carrière. Le fait de ne pas être isolé change les choses.
Par ailleurs, lorsque les loges sont éloignées du plateau, lorsque je sens un danger ou lorsqu’une personne me confie être mal à l’aise, je m’arrange pour que mes équipes et moi ne soyons jamais seules dans une loge avec qui que ce soit – je préfère sacrifier une personne sur le plateau. Toutes ces petites actions peuvent changer les choses ; nul besoin de déplacer des montagnes.
Lorsque j’ai commencé ce métier, la loge HMC était souvent gérée par le deuxième assistant réalisateur, qui avait déjà de l’expérience. Aujourd’hui, elles sont gérées par des auxiliaires, des personnes très jeunes qui ne peuvent protéger les maquilleurs en cas de problème avec une personne très connue. Il est nécessaire qu’une personne expérimentée soit présente dans les loges pour nous protéger. Lors de mon dernier tournage, un assistant était soit dans les loges soit à leur porte, qui restait ouverte.
Lorsque j’ai été convoquée par la commission d’enquête au mois de juin, j’avais demandé à plusieurs membres de l’AMC de témoigner ; je n’ai reçu qu’une seule réponse. Comme Thomine de Pins, je me suis réjouie que personne n’ait rencontré de problème. Or, au cours des trois derniers jours, j’ai reçu de nombreux témoignages. Une maquilleuse de 60 ans m’a ainsi expliqué qu’elle s’était toujours beaucoup couverte pour éviter les réflexions et se sentir mieux protégée. Il est vrai que lorsque j’ai commencé ce métier, il arrivait qu’il n’y ait que dix filles sur les cinquante personnes présentes sur le plateau. Heureusement, ce n’est plus le cas : les équipes de tournage sont presque à parité, ce qui nous permet de nous sentir plus à l’aise. Cette maquilleuse m’a confié qu’il y a un an et demi, le comédien qu’elle maquillait a soulevé son t-shirt, la déshabillant, ce qu’elle pensait inimaginable à son âge.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’âge ne fait rien à l’affaire.
Mme Nathalie Tissier. Elle était tellement tétanisée qu’elle n’a rien fait. Ce sont des traumatismes que chacun garde pour soi ; il a sans doute été très compliqué pour elle de me livrer ce témoignage dont je lui ai garanti l’anonymat.
Un garçon s’est également confié, alors qu’il leur est souvent plus difficile de le faire ; il m’a révélé des choses que je n’arrivais pas à croire. Lors d’un tournage, il a travaillé avec un acteur sous l’emprise de substances qui a procédé à des attouchements et qui a eu des propos violents et déplacés – je ne les répéterai pas ici. Nous n’avons pas à subir cela dans le cadre de notre travail.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est surtout interdit par la loi.
Mme Nathalie Tissier. Je m’arrange pour ne plus jamais me trouver en situation d’isolement ; c’est le premier pas.
Mme Julie Miel. Depuis quelques années, nos conditions de travail se sont dégradées en raison des fortes pressions économiques et temporelles que nous subissons. La faisabilité du projet a pris le pas sur la loi, que vous venez d’évoquer : rien ne doit arrêter la marche du film, quoi qu’il arrive. On prend donc davantage de libertés avec la loi qu’auparavant.
Mme Thomine de Pins. J’ai commencé ma carrière comme régisseuse en travaillant seize heures par jour. Nous étions payés trente-neuf heures alors que nous les accomplissions en deux jours, tout le travail n’était pas déclaré, il régnait un joyeux flou artistique – j’ai néanmoins adoré faire ce métier.
Depuis, un cadre a été fixé. Chaque technicien qui travaille sur un tournage remplit une feuille d’heures ; il suffit de les consulter pour savoir s’il travaille dans le cadre légal ou en dehors. Il existe de nombreux outils qui peuvent être améliorés ; encore faut-il les connaître et les contrôler.
Mme Julie Miel. Les chefs de poste formulent des demandes, notamment relatives au nombre de personnes nécessaires ou à la mise à disposition de locaux décents, mais ont rarement gain de cause pour des raisons économiques.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Peut-être que la loi viendra vous aider.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre milieu subit à la fois une pression très forte, et le poids de la hiérarchie entre le réalisateur, la production, l’assistant réalisateur et les chefs de poste.
Tout le monde se parle-t-il vraiment ? Sur le tournage, qui est la personne chargée de la bonne vie du plateau, c’est-à-dire de la réussite aussi bien artistique, technique que logistique du projet, ce qui comprend par exemple la distribution des repas à l’heure ou encore le recueil de la parole en cas de malaise ? Il me semble que c’est le directeur de la production. Mais n’est-ce pas trop compliqué pour lui dans la mesure où il est dans un rapport hiérarchique avec la production ? Face à cette double pression, est-il envisageable que le référent VHSS soit un membre de l’équipe ?
M. Jérémie Steib. Un film est un maillage de chefs de poste ; chaque grain de sable est essentiel à la réussite du film et personne n’est responsable de tout. Le directeur de production est le chef d’orchestre de la préparation et du tournage quand le premier assistant réalisateur gère l’organisation du plateau. La pression est permanente pour éviter que le tournage prenne du retard, dont chaque corps de métier peut être responsable, qu’il s’agisse d’un problème de cantine, de costume ou de transport. Nous avançons tous ensemble dans un univers mouvant, en nous tenant le bras pour atteindre nos objectifs à la fin de la journée, peu importe le temps de travail accompli – un décor ou un comédien peuvent ne plus être disponibles le lendemain, le tournage peut changer de lieu, etc. Et à la fin d’un tournage, la majorité des personnes, qui tiennent sous la pression et grâce à l’adrénaline, tombent d’ailleurs malades.
Le cadre du référent VHSS est défini avec précision ; il n’est pas un Superman des VHSS sur le plateau. Nous encourageons nos membres à suivre les formations que nous organisons. L’avenant du 17 mai 2024 à la convention collective nationale de la production cinématographique, qui s’applique à toutes les sociétés de production à partir du 1er septembre, prévoit la désignation d’un référent VHSS et rend obligatoire l’organisation de formations sur ces questions.
Le référent est formé pour recueillir la parole des victimes et pour les conseiller sur les démarches à effectuer. Il transmet les signalements à l’employeur ; c’est un passeur d’informations.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vu la pression artistique, temporelle et économique que vous subissez, dans quelle mesure un référent VHSS, qui occupe également un poste, peut-il exercer correctement sa fonction ? Ne faudrait-il pas désigner une personne qui disposerait de temps pour accomplir cette mission, comme c’est le cas pour certaines fonctions au sein des entreprises ?
M. Erwan Doré, coprésident de l’Association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR). Je salue la création du référent VHSS. Néanmoins, la question de son indépendance se pose. Il est compliqué que cette fonction soit exercée par un salarié de la société de production : en cas de harcèlement ou de violences sexuelles, il mettra en danger son travail puisque le tournage risquerait de s’arrêter. Une personne indépendante devrait être désignée, sous le contrôle du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT), et rémunérée par la société de production.
Mme Thomine de Pins. De nouveaux métiers de ce type ont été créés, à l’instar du référent covid, qui vérifiait sur les tournages le respect du port du masque et des distances entre les personnes, et le référent écologie, qui s’assure du respect des normes environnementales.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cela fera l’objet d’une autre commission d’enquête !
M. Pouria Amirshahi (EcoS). La grande précarité des conditions de travail et le travail effectué à marche forcée, qui s’ajoutent au silence sur des pratiques anciennes résultant de la domination masculine, ne nuisent-ils pas à la libération de la parole ?
M. Jérémie Steib. Le monde évolue, et celui du cinéma aussi, petit à petit. Nous partons de loin : nous avons grandi dans un monde où les agressions et le harcèlement étaient presque banals et où chacun devait se débrouiller. La durée d’un tournage est courte et connue ; si une personne était victime d’une agression à la moitié du tournage, elle avait le choix entre prendre des risques pour l’équipe et sa carrière ou faire le dos rond et se taire, en se disant qu’elle ne verra plus son agresseur dans peu de temps. Voilà le monde qu’on nous présentait au début de notre carrière. Chacun essayait de passer entre les gouttes ; si quelque chose arrivait à quelqu’un, il en parlait – voire en plaisantait – avec un collègue car c’était normal.
Désormais, le contexte a changé : la prise de conscience a précédé la libération de la parole. En suivant des formations pour devenir référent VHSS, en mettant des mots sur des actes, en apprenant des définitions, en utilisant des harcélomètres ou des violentomètres, nous sommes nombreux à découvrir que des situations banales, qui semblaient présenter peu de risque, étaient en fait anormales et n’auraient pas dû se produire. C’est pourquoi nous militons en faveur de la formation des professionnels aux VHSS, qui dure deux jours ; les retours d’expérience sont très positifs. Elles permettent également à chacun de prendre du recul sur sa carrière et de prendre conscience de ce qu’il a fait subir ou de ce qu’il a subi et qu’il aurait banalisé.
Il est donc nécessaire d’instaurer un maillage de personnes qui savent et qui ont conscience de ces enjeux, et ce dans deux dimensions : dans une perspective horizontale – entre chefs de poste – et dans une perspective verticale – entre les chefs de poste, les seconds postes et les petits postes. Du reste, désormais, je demande fréquemment au plus petit poste de mon corps de métier si tout va bien. Nous sommes tous plus sensibles à ces situations dont nous parlons beaucoup plus qu’avant. Cela étant, nous partons de tellement loin que cela prend du temps. Bien que des progrès restent à accomplir, nous allons dans la bonne direction.
Mme Julie Miel. Je n’ai pas dit que la situation s’aggravait. Néanmoins, les conditions actuelles dans lesquelles nous exerçons nos métiers sont un frein à l’utilisation de tous ces outils, dont l’efficacité ne pourra être évaluée qu’après un certain temps.
Vous avez également auditionné les assureurs. La notion de personne « essentielle » et « non essentielle » pose un problème. Il faut peut-être modifier la culture globale du milieu. Cette nuit, je me disais que la commission d’enquête souhaitait que nous réglions les problèmes d’abus de pouvoir en une audition ; c’est vertigineux !
M. Erwan Balanant, rapporteur. Cela fait six mois !
Mme Julie Miel. Merci d’exister. Certes, c’est la fin de l’impunité, mais à défaut de ne plus voir ces personnes comme irremplaçables, car cela me semble utopiste, nous aimerions, nous, être moins remplaçables et mieux protégés, notamment par les clauses des contrats d’assurance. Une potentielle victime devrait pouvoir quitter un tournage tout en conservant son salaire et les heures de travail nécessaires pour bénéficier du statut d’intermittent du spectacle.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Compte tenu de votre statut d’intermittent ou d’intermittente, qui est très particulier, et de votre recrutement par le bouche-à-oreille, une personne qui parle risque de perdre son réseau et met en danger sa survie professionnelle. Ainsi, je m’interroge sur le statut de lanceur d’alerte. Comment protéger une personne qui est témoin d’agissements ou à qui on confie une parole qui tombe sous le coup de la loi ? Je ne parviens pas à trouver une solution. Or tant qu’on ne protège pas votre statut, la parole ne pourra pas se libérer massivement ni être appréciée à sa juste valeur.
Par ailleurs, dans les zones à défendre (ZAD), il existe des structures de soins, qui sont des sortes de zones tampons, où des bénévoles recueillent la parole et gèrent les conflits avant qu’ils ne dégénèrent. Les personnes violentes constatent ainsi qu’elles sont surveillées par les autres membres de l’équipe. Que pensez-vous de ces dispositifs ?
Mme Julie Larher. Cela viendra avec le temps, à mesure que la prise de conscience grandira et que l’on osera briser le silence pour faire corps, avec force, contre le harcèlement et les violences. Chacun peut se retrouver confronté, en tant que témoin ou victime, à une situation qui exige de lancer l’alerte, même si cela peut nuire à sa carrière. Si tous les professionnels étaient formés aux droits et devoirs de chacun lors d’un tournage, une conscience collective viendrait protéger les victimes et pointer du doigt les responsables.
Mme Alice Cambournac. Il faut changer les mentalités et les perceptions, mettre des mots et des définitions sur les actes. Étant actifs dans des associations professionnelles, nous sommes sensibilisés à la question ; ce n’est pas le cas de la plupart des techniciens, qui n’ont écho que d’initiatives disparates : le Collectif 50/50, les kits de formation VHSS… Il est nécessaire de faire œuvre de pédagogie dès la préparation du tournage, d’organiser des réunions en présence du référent harcèlement, s’il existe. Les formations pourraient devenir obligatoires. Tout doit être fait pour que les professionnels acquièrent des outils et apprennent à penser différemment.
Pour que la parole s’exprime en cas de violence ou de harcèlement, il faut créer un cadre de confiance. Celui qui parle doit savoir comment fonctionne le dispositif, être assuré qu’on le protégera, qu’on ne le montrera pas du doigt et qu’on donnera suite à sa plainte. J’ai été témoin de procédures pour harcèlement qui se sont parfaitement déroulées, mais une question est demeurée : que s’est-il passé ensuite ? Le tournage s’est arrêté, la victime a porté plainte, mais quelles ont été les conséquences ? L’arrêt d’un tournage a un impact psychologique sur l’ensemble de l’équipe ; c’est un choc. Or personne n’est informé des suites données à l’affaire. L’auteur des faits a-t-il repris le travail comme si de rien n’était ? La procédure doit être claire et transparente, pour que chacun sache que le dispositif fonctionne de A à Z et lui fasse confiance.
Mme Noémie Lance. De nombreuses personnes se taisent pour ne pas s’enfermer dans le drame qu’elles ont vécu, car un dépôt de plainte donne lieu à une procédure longue et difficile. À la fin du tournage, elles veulent tourner la page.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous constatons un besoin de formation et d’acculturation de l’ensemble de la profession. Comment y répondre, sachant qu’une grande partie d’entre vous êtes des autodidactes ? Les écoles de maquilleurs ne préparent pas à travailler spécifiquement dans le milieu du cinéma, par exemple. Faut-il introduire des modules dans les formations initiales ? Des sensibilisations devraient-elles être prévues avant chaque film, et sous quelle forme : réunion avec l’ensemble de l’équipe, diffusion de brochures, information sur la possibilité de contacter Audiens… ? Faut-il désigner un référent harcèlement pour chaque tournage ? Si oui, est-ce un métier spécifique, ou cette fonction peut-elle être exercée par un technicien – un opérateur, par exemple – qui serait embauché pour exercer cela, pourquoi pas avec le statut d’intermittent ?
Mme Julie Miel. Les professionnels qui travaillent sur un plateau ont suivi des parcours tellement divers qu’il serait difficile de miser sur la formation initiale. Quant à la formation continue, elle est au bon vouloir de chacun. Chez nous, il n’y a pas, comme dans les entreprises, des parcours de carrière dans lesquels vous êtes accompagné et formé à chaque étape ; chacun avance de son côté.
Il existait jadis des cartes professionnelles pour les chefs de poste ; leur attribution était l’occasion de vérifier que le postulant possédait les compétences exigées. Si un tel dispositif était réintroduit, la formation aux VHSS pourrait être un prérequis. J’en profite pour signaler que les chefs de poste sont bombardés à cette fonction sans la moindre formation au management, à la direction d’équipe et à la prévention du harcèlement moral. C’est un sujet auquel l’Afcca réfléchit.
Mme Nathalie Tissier. Je regrette vivement la disparition de la carte professionnelle, qui nous permettait de travailler en sécurité, avec des formations. Officiellement, la France l’a supprimée pour harmoniser ses pratiques avec ses voisins européens. C’est omettre que dans la plupart des pays – en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis… –, il faut faire partie d’une union professionnelle pour pouvoir travailler.
La plupart des maquilleurs sont passés par une école ; c’est là que la formation à la lutte contre les VHSS doit commencer. Des intervenants doivent expliquer aux élèves leurs futurs droits et les procédures. Certes, tous ne travailleront pas dans le cinéma, mais beaucoup en ont l’espoir – la preuve en est que je reçois cinquante CV par semaine.
En tant que maquilleur débutant, vous pouvez travailler dans la mode, la publicité, les clips, le cinéma… Par le passé, quand vous aviez fait vos preuves et qu’une équipe de production ou un metteur en scène vous proposait d’être chef maquilleur pour la première fois, vous déposiez une demande de dérogation au CNC – le Centre national du cinéma et de l’image animée –, CV et lettres de recommandation à l’appui. Elle n’était pas systématiquement accordée. Lorsqu’on vous proposait le même poste pour un deuxième film, vous deviez renouveler votre demande ; c’était le signe que vous vous engagiez dans une carrière dans le cinéma. Si votre travail avait été apprécié la première fois, la dérogation était généralement accordée. Lorsqu’un troisième film se présentait, vous faisiez à nouveau une demande de dérogation, suivie d’un entretien avec le CNC lors duquel vous expliquiez vos motivations et le sens que vous vouliez donner à votre carrière. Vous obteniez alors votre carte professionnelle – c’était comme décrocher un Oscar ! Votre travail était récompensé.
Depuis que la carte professionnelle a été supprimée, des débutantes, qui découvrent tout du milieu, ne connaissent pas la mécanique complexe d’un tournage et ignorent leurs droits sont catapultées cheffes maquilleuses. Elles sont livrées en pâture. Ce métier demande un apprentissage de terrain et de la maturité. On ne peut pas être chef maquilleur à 18 ans !
Je travaille souvent pour des films américains. Après le mouvement #MeToo, les États-Unis ont adopté une position radicale qui frôle certes la surveillance généralisée, mais qui présente des aspects positifs : non seulement des référents harcèlement sont présents sur le plateau, mais il existe aussi un référent extérieur – et cela change la donne. Il peut être compliqué de traiter un problème en interne ; le recours à un référent extérieur lève de nombreux freins. Sa présence est nécessaire, en complément des référents internes. J’ajoute que pour les Américains, il n’est pas question de se demander si le harceleur est indispensable ou non à la poursuite du tournage ; il peut être licencié du jour au lendemain, y compris le metteur en scène. En France, c’est inenvisageable.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Qu’il faille justifier de compétences pour exercer un métier, cela relève du bon sens ; mais en 1972, lors du tournage du Dernier tango à Paris, la carte professionnelle n’a pas empêché que Marlon Brando viole Maria Schneider sous le regard de la caméra. La carte professionnelle n’est pas la solution ultime, même si j’en comprends l’intérêt. Sachant qu’elle est délivrée par des professionnels du milieu, on peut craindre qu’elle soit refusée à ceux qui ont osé dénoncer des faits de harcèlement. Cela plaide, une fois de plus, pour l’existence d’un référent extérieur.
Depuis septembre, l’attribution des aides du CNC est conditionnée à l’organisation de formations collectives contre les VHSS pour les équipes de tournage dès la préparation du film. Quelles modalités doivent prendre ces formations pour être efficaces ? Les rendre obligatoires, avec un format précis, pourrait faciliter l’acculturation et remédier au flou artistique qui prévaut pour le moment.
Mme Julie Larher. Bien que j’aie travaillé depuis l’entrée en vigueur de cette mesure, on ne m’a jamais proposé cette formation. Il serait souhaitable qu’elle soit obligatoire et systématique pour tous les intermittents, au même titre que l’obtention de la carte d’aptitude médicale, dite CMB. Le sujet pourrait faire l’objet d’une clause dans le contrat, et servir de motif de rupture si un acte de violence ou de harcèlement se produit. Le dispositif doit faire en sorte que toute VHSS soit suivie d’une réaction efficace. Dès lors que l’ensemble d’une équipe a été formée aux VHSS et connaît ses droits et devoirs, elle est responsabilisée collectivement ; cela l’engage à suivre les prescriptions et libère la parole.
Mme Alice Cambournac. Un e-mail envoyé par la production avant le tournage, informant des mesures de prévention des VHSS, ne saurait suffire – même si c’est déjà un grand pas. Rien ne vaut la participation à une formation pendant deux ou trois jours, en présence d’autres professionnels.
Mme Thomine de Pins. J’ai suivi deux de ces formations, l’une il y a trois ans et demi, l’autre cette année. Avoir été formé une fois n’est pas un gage pour l’ensemble de votre vie professionnelle ; il faut des piqûres de rappel. L’idée d’associer la formation obligatoire à l’attestation d’aptitude – la carte CMB – est intéressante, car la consultation avec la médecine du travail est le seul rendez-vous obligatoire des techniciens. Cela étant, ces visites sont désormais programmées tous les cinq ans, et non plus tous les deux ans ; on peut d’ailleurs se demander si cette fréquence est suffisante pour évaluer les risques professionnels de nos métiers.
M. Jérémie Steib. L’avenant à la convention collective de la production cinématographique signé à Cannes prévoit d’ajouter des clauses relatives aux VHSS dans les contrats. Mais on aura beau ajouter toutes les dispositions possibles, le problème est que les gens ne lisent pas leur contrat, en dehors des mentions relatives au salaire et aux dates de tournage.
La formation est par conséquent capitale. Le positionnement de l’employeur – et donc, du producteur – l’est tout autant. Or tous les producteurs ne sont pas conscients de leur rôle d’employeur et de leurs responsabilités à l’égard des équipes. Si, le premier jour du tournage, le producteur annonçait haut et fort devant toute l’équipe qu’il ne tolérerait aucun fait de harcèlement ou de violence et qu’il mettrait dehors tout auteur d’un tel acte, cela changerait la donne : les potentiels harceleurs seraient prévenus, et les victimes se sentiraient soutenues.
Mme Julie Larher. Je souscris à l’idée que les formations aux VHSS doivent être renouvelées régulièrement. Il est également essentiel d’organiser une réunion avant le tournage avec au moins un représentant de chaque service pour rappeler les règles.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans ce milieu où l’omerta et l’impunité sont la règle, toute personne qui brise le silence prend un risque inouï pour le projet collectif et pour sa propre carrière. Dans ce contexte, il est héroïque de prendre la parole. La profession pourrait-elle faire un virage à 180 degrés et créer des réseaux de solidarité pour ceux qui parlent ? Est-ce envisageable, et à quelle échéance ?
Mme Noémie Lance. Cela prendra du temps, d’autant que les premières dénonciations sont assez récentes. Ceux qui ont une certaine ancienneté le savent : on nous a toujours appris à nous taire. Or on ne change pas de culture professionnelle du jour au lendemain. Il est donc difficile de répondre à votre question.
M. Erwan Doré. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour savoir où en est la profession et à quel point elle évoluera ; je crois cependant qu’elle prend la bonne direction – il reste à savoir combien de temps cela prendra. L’existence même de votre commission d’enquête et nos réflexions sur les pistes d’amélioration prouvent qu’une évolution est en marche ; une brèche s’est ouverte dans la chape de silence.
Mme Alice Cambournac. La jeune génération est beaucoup plus politisée et syndiquée que ses aînés, et connaît mieux ses droits. Les jeunes ont bien plus confiance en eux que nous à leur âge et sont attachés à la dimension collective du métier ; ils multiplient les initiatives et autres groupes de réflexion. J’ai d’ailleurs remarqué que quand l’équipe de techniciens était jeune, entre 25 et 35 ou 40 ans, les prises de parole étaient plus faciles. Il faut s’appuyer sur cette dynamique positive.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le niveau de tolérance a baissé.
Mme Alice Cambournac. En effet.
Mme Nathalie Tissier. Je perçois la même évolution. La solidarité est plus forte et l’on veille davantage à ne pas laisser les victimes seules. C’est le pouvoir des associations : si une maquilleuse nous fait savoir qu’elle a été mise à l’écart pour avoir trop parlé, nous mettons un point d’honneur à ce qu’elle retravaille.
J’aimerais aborder un sujet qui me tient à cœur : la protection des mineurs. Les équipes de production considèrent souvent qu’un jeune de 16 ans n’est plus vraiment un mineur et qu’il n’a pas besoin de chaperon. Or c’est souvent entre 16 et 18 ans que les atteintes sexuelles ont lieu. La présence d’un chaperon devrait être obligatoire ; la loi le prévoit peut-être, mais elle n’est pas appliquée. Un enfant ne peut pas affronter un tournage seul – je le dis en tant que mère. Il se trouve que mon fils a été repéré lors d’un casting sauvage à la sortie de l’école. J’ai d’abord refusé, prétextant qu’il ne savait pas jouer, mais on m’a répondu que c’était justement ce qui était recherché : on pourrait en faire ce qu’on voudrait. Il a été retenu. Le scénario était difficile : il devait incarner un enfant isolé et maltraité. Quand je m’en suis inquiétée, on m’a expliqué qu’il découvrirait ces émotions sur le tas – en d’autres termes, l’équipe était prête à le maltraiter pendant trois mois pour obtenir des réactions réalistes. Elle m’a appris que le film serait tourné à l’étranger et que les parents avaient l’interdiction d’accompagner leurs enfants. C’est inimaginable ! Inutile de dire que j’ai opposé une fin de non-recevoir ; et rassurez-vous, le film n’a pas pu se faire.
On m’a rapporté le cas d’un enfant de 4 ans qui tournait dans un film sans que personne ne lui ait expliqué quoi que ce soit. L’équipe n’avait pas prévu d’accompagnateur. Tout fiers que leur rejeton fasse du cinéma, ses parents n’assistaient pas aux prises et prenaient un café dans le couloir. Au nom du réalisme et de la spontanéité, ce petit a été filmé alors qu’il était caché sous une table, dissimulé par une nappe, et que les acteurs interprétaient une violente querelle, avec moult coups sur le mobilier. Il était terrorisé, en état de sidération, au point qu’une partie de l’équipe a demandé qu’on arrête la scène. Un technicien a prévenu les parents : « Ce n’est pas si grave, ont-ils répondu, nous lui expliquerons quand il sera plus grand. » C’est l’occasion de dénoncer la défaillance des parents dans bien des cas qui ont défrayé la chronique.
On ne livre pas un jeune sur un tournage sans accompagnement ni préparation. J’ai travaillé sur un film qui traitait de l’inceste. Les parents, une psychologue et tout un entourage étaient présents aux côtés de la jeune fille de 13 ans et du garçon de 5 ans qui incarnaient les victimes. Le scénario ne comportait pas de scène d’agression physique. Tout était fait pour expliquer les situations aux enfants et les rassurer. Le tournage s’est merveilleusement déroulé. Je me permets d’insister : sans accompagnant, on ne doit pas faire tourner un mineur. On voit parfois des jeunes filles ou des jeunes hommes de 16 ans tourner loin de chez eux, livrés à eux-mêmes ; ils résident à l’hôtel avec l’équipe qui organise des soirées arrosées… Ce n’est pas acceptable.
Mme Thomine de Pins. Nous vous transmettrons les conclusions des groupes de travail que nous avons consacrés aux mineurs. Il faudrait notamment encadrer les castings des enfants, pourquoi pas en tenant des feuilles d’heures : à quelle heure ils ont commencé à être maquillés, ont été libérés, etc. Des outils simples permettraient de sortir du flou artistique. Nous devons aussi nous interroger sur le nombre de castings que peut réaliser un enfant par an. Certains parents leur font enchaîner les bouts d’essai les mercredis après-midi et les week-ends. Est-ce souhaitable ?
Je tenais enfin à vous remercier d’auditionner les associations professionnelles ; nous sommes rarement sollicités, alors que nous connaissons parfaitement les problèmes qui se présentent sur le terrain.
M. Jérémie Steib. Avec l’Association des directeurs et directrices de production et la commission des enfants du spectacle de la Drieets – la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités –, l’Afar a commencé à recenser les innombrables problèmes que pose le travail des enfants. En la matière, les règles sont floues et donnent lieu à des interprétations aussi diverses que les acteurs : comptabilisation des heures, durée et fréquence des pauses, intégration ou non des pauses dans le temps de travail... Nous élargissons la démarche aux syndicats, au CCHSCT cinéma et au CNC, en faisant remonter les constats de terrain. Lors des tournages, en effet, c’est nous qui devons savoir si un enfant a atteint sa durée maximale de travail, si l’on peut faire de nouvelles prises, etc.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons auditionné la Drieets et la recevrons probablement de nouveau ; nous sommes donc intéressés par vos travaux sur le sujet. Nous avons jugé bon d’ouvrir le champ de la commission d’enquête au-delà des enfants, considérant que tous les professionnels devaient être protégés, mais notre attention aux conditions de travail des plus jeunes reste intacte.
La séance s’achève à dix-sept heures cinq.
Présents. – M. Pouria Amirshahi, M. Erwan Balanant, Mme Claire Lejeune, Mme Claire Marais-Beuil, Mme Sandrine Rousseau