Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant : .................2
- M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture
- Mme Catherine Tsekenis, directrice générale du Centre national de la danse (CND)
- M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), et Mme Corinne Sadki, directrice chargée de l’égalité et de l’inclusion
- Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations auprès du secrétaire général du ministère de la Culture
- Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA)
– Présences en réunion................................22
Mercredi
22 janvier 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 32
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission
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La séance est ouverte à seize heures.
La commission auditionne M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture ; Mme Catherine Tsekenis, directrice générale du Centre national de la danse (CND) ; M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), Mme Corinne Sadki, directrice chargée de l’égalité et de l’inclusion ; Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations auprès du secrétaire général du ministère de la Culture ; Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA).
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous recevons aujourd’hui les représentants du ministère de la culture et de ses opérateurs. J’ai le plaisir d’accueillir Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations auprès du secrétaire général du ministère de la culture, M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique et Mme Corinne Sadki, directrice chargée de l’égalité et de l’inclusion, Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, Mme Catherine Tsekenis, directrice générale du Centre national de la danse et M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Irène Basilis, M. Jean-Philippe Thiellay, Mme Corinne Sadki, Mme Gwénola David, Mme Catherine Tsekenis et M. Christopher Miles prêtent successivement serment.)
M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture. Avant de commencer, je tiens à remercier les parlementaires pour la qualité et l’exhaustivité du travail déjà réalisé dans le cadre de la commission d’enquête, dont j’ai suivi les auditions, et de celui effectué par la mission interministérielle sur les violences sexistes et sexuelles menées sous relation d’autorité et de pouvoir, lui aussi très éclairant. Nous serons à l’écoute des propositions législatives et réglementaires que vous formulerez à l’issue des auditions.
Le ministère de la culture, et plus spécifiquement la direction générale de la création artistique (DGCA), a dépassé le stade de la prise de conscience pour passer à l’action. Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une politique plus générale d’égalité des chances, d’égalité entre les genres, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité et de l’inclusivité. Je salue le travail de la haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations – Agnès Saal d’abord, puis Irène Basilis – et de mes collaboratrices au sein de la direction générale de la création artistique, Sophie Zeller, mon adjointe, et Carole Robin, chargée de mission sur ces questions.
Plusieurs paramètres sont connus pour favoriser les violences sexuelles et sexistes (VSS) dans le secteur de la création artistique.
Le premier est le rapport spécifique au corps des danseurs, des acteurs, des musiciens et des artistes des arts visuels, aussi bien dans le cadre de la performance que de la préparation de leurs expositions. L’expression de leur art conduit à l’exposition de l’intimité et de la sensibilité dans un cadre de travail qui prête lui-même à la dispersion du fait de la multiplicité des employeurs et expose à des situations de domination plus importantes. C’est plus particulièrement le cas des 125 000 intermittents et des artistes-auteurs, souvent placés dans une situation d’infériorité manifeste. Une enquête récente a montré que les jeunes scénaristes étaient particulièrement exposés à ces violences.
Il faut aussi mentionner l’importance des réseaux dans un monde du travail qui repose beaucoup sur la cooptation, la reconnaissance et les relations de maître à disciple pour travailler et progresser dans la carrière. Les conditions de travail créent par ailleurs des situations à risque : le travail de nuit et le soir, la fréquence des déplacements pour le tournage, l’hébergement des équipes sur un même lieu loin du domicile et, pour les artistes plasticiens, le travail en résidence qui les éloigne de leur famille et d’un environnement sécurisé.
Le troisième facteur est la porosité entre la vie professionnelle et la vie personnelle, avec de nombreux événements périphériques – pots, rencontres informelles – qui sont autant de situations potentiellement génératrices de violences. Enfin, il faut tenir compte du risque d’emprise susceptible de naître dans des situations d’abus d’autorité et de pouvoir, lesquelles peuvent advenir dès la formation initiale, ce qui appelle à revoir les méthodes d’enseignement.
Comment mesurer ces violences ? Les premiers chiffres dont nous disposons sont notoirement insuffisants, mais le ministère de la culture peut désormais s’appuyer sur ceux des deux cellules d’écoute dont il dispose. La première a été sous-traitée à RSE Concept ; elle s’adresse à près de 30 000 personnes dans les établissements sous tutelle du ministère et à près de 37 000 étudiants des écoles d’art nationales et territoriales. En 2023, 232 signalements ont été reçus, 207 ont été traités. 67 % des signalements sont effectués par les victimes, 9 % par les témoins, 19 % par l’institution et 2 % par les mis en cause. La moitié des signalants sont des agents titulaires du ministère. Le harcèlement moral concerne 40 % des signalements ; la discrimination, 13 % ; les VSS, 11 % ; le harcèlement sexuel, 5 %.
La deuxième est la cellule d’écoute Audiens, créée en 2020 à l’initiative de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC) et du ministère de la culture. Étendu en 2023 au secteur des arts visuels, ce service est destiné aux victimes ou témoins spécifiquement victimes de violences et de harcèlement sexuels et sexistes. Il est gratuit, anonyme et chargé de prodiguer des conseils juridiques et psychologiques à tous les professionnels du secteur. Depuis sa création et jusqu’à fin 2023, la cellule a reçu 975 appels téléphoniques, dont 546 en 2023. Cette montée en puissance met en évidence la libération de la parole dans des situations qui n’étaient jusqu’alors pas prises en considération. 65 % des appelants viennent du spectacle vivant, 29 % du spectacle enregistré, 2 % des arts visuels et 4 % sont des artistes-auteurs. 242 accompagnements ont été proposés. 27 % des appels concernent des demandes d’information sur la cellule, 17 % sont le fait de témoins. Les victimes sont à 86 % des femmes. 52 % des signalements concernent des agressions physiques et 48 % des attitudes ou propos sexistes et sexuels. Les suites juridiques connues à ce stade ont abouti à douze procédures pénales enclenchées, une mesure prud’homale entamée, deux mesures de sanctions prises par l’employeur et deux mises en demeure adressées à des employeurs en 2022. Quinze autres employeurs ont exprimé l’intention d’intenter une action.
La décision prise par la ministre Roselyne Bachelot d’engager une politique résolue de lutte contre les VSS s’est traduite par deux plans échelonnés, le premier au début de l’année 2022 pour le spectacle vivant, le second début 2023 pour l’ensemble des arts visuels. Il s’agit d’abord d’encourager à la libération de la parole par les deux cellules d’écoute et d’accompagnement que je viens de citer. Toutefois, le pilier essentiel de notre action est la conditionnalité des aides. Je ne détaillerai pas comment elle fonctionne pour le cinéma, puisque vous avez déjà auditionné Olivier Henrard, le président par intérim du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Je m’en tiendrai donc à ce qui concerne le ministère de la culture et ma direction, ainsi que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui appliquent l’ensemble des recommandations issues du premier plan d’action.
La conditionnalité des aides fonctionne de la manière suivante. Toute structure qui reçoit une aide du ministère de la culture doit respecter cinq engagements : se mettre en conformité avec les obligations légales en matière de santé, de sécurité et de harcèlement sexuel ; former la direction, les encadrants, les responsables des ressources humaines et les personnes désignées référentes au recueil de la parole et à la gestion des situations de VHSS ; sensibiliser les équipes et organiser la prévention des risques ; créer un dispositif de signalement efficace et traiter chaque signalement reçu ; engager un suivi et une évaluation des actions en matière de VHSS.
Concrètement, dès la demande de subvention, mais aussi au moment du bilan, les demandeurs doivent remplir un formulaire qui contient des demandes d’informations précises sur les formations réalisées et les certificats de formation doivent être fournis. Si un soutien est accordé, ces engagements sont repris dans la convention de subvention. Par ailleurs, les structures non subventionnées par le ministère de la culture sont invitées à signer une charte de lutte contre les VHSS. C’est le cas du Comité des galeries d’art qui, par définition, n’est pas subventionné par le ministère.
À la fin de l’année 2024, plus de 10 000 formulaires avaient été signés. Toutefois, des difficultés demeurent. Si les démarches de sensibilisation, de formation et de prévention sont de nature à créer un environnement plus sécurisé pour les personnes et à libérer la parole, un besoin d’accompagnement plus net se fait sentir à la fois pour les victimes, mais aussi pour les très petites entreprises caractéristiques du spectacle vivant et de la création artistique, lorsque les cas de VHSS surviennent, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Cela concerne les prestations de conseil juridique et de médiation ainsi que l’accompagnement des enquêtes, lesquelles nécessitent souvent de recourir à des intervenants extérieurs en raison de la petite taille des structures. Nous avons une réflexion à mener sur le sujet.
Je me suis entretenu, pas plus tard qu’hier, avec deux responsables du spectacle privé à l’occasion du lancement du plan Cabaret par la ministre de la Culture. L’un d’eux me disait qu’il était confronté à une situation de harcèlement dans son entreprise : il a fait appel à un cabinet externe pour diligenter l’enquête ; il lui en coûtera 14 000 euros, ce qui n’est pas négligeable pour ce type d’entreprise. L’autre, directrice d’un important théâtre privé, m’a indiqué que les éléments rassemblés au terme d’une enquête, s’ils n’étaient pas suffisamment probants pour justifier un licenciement pour faute grave, l’avaient conduite à décider de se séparer du collaborateur mis en cause ; l’affaire s’était conclue par 60 000 euros d’indemnisation aux prud’hommes. Voilà deux exemples des difficultés que cette nouvelle politique peut susciter.
Pour accompagner son déploiement, nous nous sommes rapprochés d’acteurs ressources. Nous avons ainsi encouragé l’Assurance formation des activités du spectacle (AFDAS), l’opérateur de compétences du secteur du spectacle vivant, à construire une offre de formation spécifique aux VHSS. Nous nous sommes également rapprochés d’Uniformation, l’opérateur de compétences du secteur des arts visuels, en vue d’ouvrir à ses adhérents l’accès aux formations de l’AFDAS. Nous sommes le financeur majoritaire de la cellule d’écoute Audiens, dont la compétence a été étendue aux arts visuels. Nous avons aussi encouragé les organisations professionnelles, syndicales et les têtes de réseau à mettre en place des référents et des politiques fléchées au sein de leurs structures. Deux avenants ont été signés presque simultanément sur les VHSS, l’un à la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles (CCNEAC), l’autre à la convention collective nationale du spectacle vivant privé. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), le syndicat d’employeur du secteur public, a mis en place une boîte à outils pour faciliter l’application de l’accord qui a été signé tandis que la FESAC s’était mobilisée dès 2020 sur la question.
Il nous semble important que le Conseil national des professions du spectacle (Cnps), la structure de concertation des employeurs et des salariés du spectacle vivant, dont j’assure le secrétariat du bureau, se saisisse de ces questions, particulièrement au sein de sa formation santé et sécurité au travail. Nous allons très prochainement y installer une commission chargée de travailler sur la question, dont nous confierons la responsabilité à l’administratrice générale du festival d’Avignon, Ève Lombart.
Nous avons également mis en place un dispositif d’accompagnement et de lutte contre les VHSS dans l’enseignement supérieur de la culture et nous souhaitons engager un dialogue sur l’enseignement spécialisé. En effet, c’est dès le conservatoire, dès les premiers gestes, dès les premiers contacts avec les mineurs que peuvent s’instaurer des relations toxiques promouvant un rapport au corps qui n’est plus admissible et plus admis dans nos sociétés. Nous avons donc demandé à ces établissements d’accroître les campagnes de sensibilisation au consentement et de mener des opérations de communication au sein des établissements pour donner une pleine visibilité aux dispositifs déployés – référents, cellules d’écoute, etc. Nous accompagnons l’ensemble des écoles nationales dans la déclinaison des dispositifs ministériels précédemment évoqués.
Les établissements publics sous tutelle du ministère de la culture sont régis par les mêmes dispositifs ministériels de signalement et de traitement des VHSS. Ils ont donc également accès à la cellule d’écoute de signalement du ministère gérée par RSE Concept. Il existe par ailleurs un comité interdisciplinaire de suivi des signalements, placé sous l’autorité de notre secrétaire général, qui a pour objectif de s’assurer que chaque signalement donne lieu à un traitement dans un délai raisonnable.
Si les établissements publics industriels et commerciaux (Epic) sont autonomes dans l’organisation des procédures disciplinaires à l’encontre de leurs agents, ils sont également concernés par la procédure de recensement ministériel. Un renforcement de ce suivi est prévu dans la feuille de route de la DGCA pour fluidifier les remontées d’information en provenance de ces établissements. Tous se sont dotés de référents VHSS en interne et tous ont relayé auprès de leurs équipes les informations concernant la lutte contre les VHSS et déployé des formations.
Je ne reviendrai pas sur les deux conventions collectives, mais il faudra en faire le bilan.
Le cinquième volet de la conditionnalité des aides, qui rend obligatoire un bilan annuel, nous permettra de consolider les remontées d’information que nous effectuerons en lien avec la haute fonctionnaire du ministère.
À l’issue de la première phase de déploiement de cette politique, je ne sais pas si nous pouvons estimer avoir atteint l’ensemble de nos objectifs. En ce qui concerne la sensibilisation et la formation, ils sont en passe de l’être. En ce qui concerne la prévention et le développement d’un environnement de travail sain et sécurisé, nous devons être capables de mesurer les progrès. En ce qui concerne la libération de la parole, nous voyons de premiers indices. Il reste à développer une politique d’accompagnement plus ferme auprès des institutions et à leur donner les moyens, quand elles sont trop petites, d’obtenir du soutien pour les enquêtes internes et un accompagnement juridique. Il nous faut également déployer, quand cela est possible et nécessaire, une politique d’accompagnement des victimes afin que leur parole ne soit plus un problème, comme c’est parfois encore le cas, et qu’elle soit traitée impérativement.
Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations auprès du secrétaire général du ministère de la culture. Je me joins à Christopher Miles pour vous remercier pour vos travaux éclairants, même si certains sujets sont connus.
Depuis que j’ai pris mes fonctions, au mois de septembre, je suis chargée de piloter et de définir la politique interne et externe du ministère pour promouvoir l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations chez nos opérateurs et dans l’ensemble des réseaux. Je participe aux travaux interministériels dans ces domaines ainsi qu’à l’élaboration des politiques du ministère de la culture, lequel s’est engagé dans cette voie dès 2017 à travers les labellisations Afnor Égalité professionnelle et Diversité ; ce ne sont pas des médailles, mais des engagements à renouveler qui font l’objet d’audits de mi-parcours permettant de mesurer les avancées et les points d’achoppement.
C’est un engagement collectif qui invite à la modestie. L’action en ce domaine ne peut être le fait d’un seul fonctionnaire ni d’un seul service. Nous devons travailler en coopération avec tous les services, à commencer par les services déconcentrés, qui sont au contact des opérateurs de terrain, mais aussi avec les établissements publics et l’ensemble du secteur. Je suis pour ma part en contact avec les fédérations, les syndicats et les organisations professionnelles, et même directement avec certaines personnes, car je suis moi-même un endroit d’écoute ; il est important de ne pas fermer la porte à une personne qui souhaiterait s’exprimer sur ces sujets difficiles. Je travaille également avec les associations et suis attentive aux initiatives qui rendent compte des besoins d’écoute et proposent des solutions.
Le ministère de la culture travaille à l’élaboration d’un plan d’action pour la diversité qui concernera aussi bien le ministère que les établissements publics extérieurs auxquels nous ambitionnons d’étendre la labellisation Afnor. Il prévoit notamment la constitution d’un réseau de référents pour la prévention des discriminations qui seront chargés de repérer toutes les situations problématiques dans les établissements et au sein du ministère.
Le 25 novembre dernier, la ministre de la Culture a demandé l’adoption d’un plan de lutte renforcé contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels. Comme l’a dit Christopher Miles, beaucoup a été fait. De nombreuses dispositions ont été prises, à l’initiative du ministère, par Audiens et l’AFDAS, ou des opérateurs comme le CNM et le CNC. D’autres initiatives sont venues des secteurs eux-mêmes, qu’il s’agisse des syndicats ou des fédérations de réseaux. Il est nécessaire d’aller plus loin. Il faut aussi repositionner les responsabilités : d’une part, celle de l’employeur, car le travail artistique ne justifie pas tout et l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail passe par un changement du rapport au travail ; d’autre part, la responsabilité collective, car il est souhaitable de massifier les formations. Ce plan est en cours d’élaboration. Il sera présenté à la ministre courant février afin, idéalement, d’être déployé le 8 mars.
Nous envisageons d’étendre l’accès à la cellule d’écoute et l’obligation de formation à de nouveaux secteurs. Christopher Miles a évoqué l’enseignement spécialisé, c’est-à-dire les conservatoires des villes ainsi que les conservatoires classés par le ministère et gérés par les collectivités : nous devons engager une réflexion sur les critères de classement du ministère ainsi que sur les outils dont disposent les directeurs et les collectivités territoriales pour élaborer des guides ou des chartes, proposer des formations, ce qui nécessitera un dialogue avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), et identifier des référents. Ces outils sont d’autant plus importants qu’il s’agit de mineurs et que les faits de violence et de harcèlement peuvent affecter leur vie professionnelle dans la durée.
L’enjeu est de mieux prévenir et de mieux repérer les violences, ainsi que d’encourager les signalements. En effet, dans la culture, le silence – qui existe partout ailleurs – est exacerbé par la précarité des contrats et des projets. Nous devons donc travailler à une prise en charge plus rapide et plus efficace une fois le signalement opéré. Les sanctions et l’accompagnement des victimes sont au cœur de la réflexion que nous avons engagée avec les opérateurs, à commencer par Audiens.
M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique. Le Centre national de la musique est l’opérateur du ministère pour l’ensemble du champ musical et des variétés, c’est-à-dire l’humour et les cabarets. Il est placé sous la double tutelle de la direction générale des médias et des industries culturelles et de la direction générale de la création artistique. Cet établissement public est né le 1er janvier 2020 en vertu d’une loi qui lui enjoint de veiller à l’égal accès des femmes et des hommes aux professions de la filière musicale.
Dès le premier jour, nous avons pris le sujet à bras-le-corps, avec la conviction qu’il faut rester humble vis-à-vis des capacités d’action d’un établissement public. Le milieu compte beaucoup de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), ce qui signifie peu de services des ressources humaines, des équipes restreintes, une forte autocensure par peur des représailles, des structures et des situations personnelles fragiles. Nous étions néanmoins convaincus qu’il fallait encourager un changement culturel. Si l’on excepte la parenthèse de la crise du covid-19, l’établissement a eu le champ libre pour impulser ce changement, aussi bien par une concertation permanente avec les professionnels que par les outils réglementaires et financiers dont il dispose. Le CNM était d’autant plus libre qu’il a succédé au Centre national de la variété, de la chanson et du jazz, dont le bilan en la matière était assez modeste.
Nous avons abordé la question sous tous les aspects, à commencer par celui de la gouvernance et de la concertation. Nous avons commencé par rendre paritaires toutes les instances, comme le demandait le décret, mais aussi les commissions de professionnels qui rendent leur avis sur les dossiers. Cela n’a qu’un lien indirect avec la prévention la lutte contre les violences et le harcèlement, mais participe d’un changement culturel global. On nous a découragés en disant que le milieu était masculin et misogyne, mais nous y sommes parvenus. Nous avons également créé un comité stratégique avec tous les professionnels qui souhaitaient s’engager sur le sujet. Tout cela s’est fait en parfaite intelligence avec les services du ministère de la culture – ce qui n’est pas toujours le cas –, d’abord avec Mme Agnès Saal, puis avec Mme Irène Basilis. Nous sommes allés aussi vite et aussi loin que nous le pouvions. Depuis cinq ans, nous organisons des assises pour verbaliser le sujet dont deux éditions se sont déjà tenues, la première en Seine-Saint-Denis, la deuxième à Marseille ; la troisième est prévue en février à Dijon. Ces rendez-vous permettent de mesurer les avancées.
Les mesures prises par le CNM depuis cinq ans s’articulent autour de trois axes. Le premier est la prévention et la lutte contre les VSS grâce à un protocole élaboré en concertation avec les professionnels pour faire bouger les lignes au plus près de la réalité ; c’est le protocole dont Christopher Miles a présenté les cinq points qui vise à responsabiliser les employeurs et à professionnaliser leur réaction en cas de signalement ; il prévoit notamment le recueil de la parole de la victime et la conduite systématique d’une enquête, afin que les affaires ne soient pas étouffées. Ce protocole n’est pas uniquement du droit mou. Au 1er janvier 2021, il est devenu une condition à l’octroi de toute aide au premier euro. Si les professionnels ne justifient pas de sa mise en œuvre et d’un programme de formation, aucune aide du CNM ne leur est accordée, et un mécanisme de contrôle aléatoire a été instauré pour vérifier leurs déclarations. Un deuxième pas a été franchi en exigeant le dépôt de ces justificatifs au stade de l’affiliation au CNM. L’adoption du protocole a été relativement consensuelle du fait de la volonté du conseil d’administration, qui a voté le texte, et de la pression sociale de nos organes en faveur d’un changement culturel, malgré quelques mécontentements suscités par la création d’une procédure supplémentaire non requise par la loi.
Le deuxième axe fut la multiplication par six du montant des aides allouées aux associations actives dans la prévention des VHSS et dans la promotion de l’égal accès aux professions. De 150 000 euros en 2020, il est passé à 1,25 million avant de redescendre à 1 million. Nous avons ainsi aidé plusieurs centaines de projets concrets, dont la création d’une application de signalement par l’association Safer à Marseille, laquelle est désormais utilisée dans des dizaines de festivals et d’événements sportifs et a reçu plusieurs centaines de milliers d’euros. Nous avons également aidé l’association La Petite à mener des actions de sensibilisation dans tous les domaines, ainsi que le réseau Futurs composés, dans le champ de la musique contemporaine. L’augmentation du budget permet d’inscrire l’effort dans la durée et d’éviter un saupoudrage des aides afin de mener à bien le changement culturel.
Le troisième axe consiste à encourager les producteurs de spectacles et de disques à promouvoir les femmes dans certains métiers ; là encore, le lien avec les VHSS est indirect, mais cette action nous semble tout aussi importante. En 2023, nous avons donc instauré un dispositif expérimental de majoration de 20 % des aides à la production phonographique si la direction artistique, la direction technique, le chef d’orchestre, etc. du projet est une femme. Résultat : plus de 40 % des centaines de dossiers que nous avons reçus demandaient un bonus, signe que le message est passé. En 2024, lors de la réforme des aides votée par le conseil d’administration, cette majoration est devenue transversale pour encourager les entreprises qui en font davantage, dans un contexte où le répertoire est très masculin.
Je ne crois pas que des mesures législatives supplémentaires soient nécessaires à ce stade. Le CNM dispose d’un pouvoir réglementaire en conseil d’administration. Nous pouvons sans doute aller plus loin en formant les équipes, qu’il s’agisse des équipes artistiques – compte tenu du rapport particulier au chef d’orchestre –, des équipes techniques en tournée ou de celles chargées de la sécurité. La réforme des aides de 2024 a également sécurisé un mécanisme inédit qui nous permet de demander le remboursement de certaines d’entre elles s’il était avéré qu’une structure ne respectait pas la loi.
Mme Catherine Tsekenis, directrice générale du Centre national de la danse. Le Centre national de la danse (CND) est un Epic créé par le ministère de la culture en 1998. Il emploie une centaine de personnes. C’est un centre de ressources qui ne redistribue pas de subventions. Notre mission consiste essentiellement à proposer une offre en matière de formation continue, d’accompagnement de la vie professionnelle ou de création.
En application des règles applicables aux établissements publics, nous avons évidemment, en interne, une référente sur les questions de VSS. Depuis l’année dernière, nous menons une campagne de formation du personnel. À l’heure actuelle, 60 % des salariés du CND ont été formés ; nous espérons que l’ensemble d’entre eux le seront à la fin 2025. Les nouveaux arrivants suivent obligatoirement une formation sur ces questions, mais aussi sur la transition écologique et, pour les personnes concernées, sur le management.
Dans le monde de la danse, le corps est l’outil de travail, sur lequel le regard se porte en permanence. Avant de diriger le CND, j’ai exercé des fonctions d’inspectrice de la création, des enseignements artistiques et de l’action culturelle au sein du ministère de la culture. Au cours de ma carrière, j’ai eu bien davantage affaire à la violence au travail qu’aux agissements et aux agressions sexistes et sexuels. Sans doute faut-il encore travailler pour libérer la parole.
On a observé, au cours des dernières années, l’impact des demandes du ministère de la culture, dont le respect conditionne le versement des subventions. Les artistes doivent ainsi suivre une formation que beaucoup d’entre eux jugent très positivement, d’après les retours qu’ils nous font.
On pourrait penser que les danseurs, qui exercent leur métier avec passion, sont plus exposés et que leurs conditions de vie particulières – ils prennent fréquemment la route, partagent des hôtels – favorisent certains agissements. En même temps, le toucher, le contact physique font partie du métier et, à ce titre, sont travaillés : c’est quelque chose que l’on apprend à mettre à distance. Lorsqu’on mène des actions dans les écoles, en abordant le vivre-ensemble, on travaille le toucher, l’approche du corps de l’autre. Cela fait partie de la construction de soi.
Le pôle de ressources professionnelles du CND accompagne les personnes au cours de leur vie professionnelle. Nous avons créé plusieurs outils. Notre site comporte des fiches pratiques qui fournissent des informations permettant de différencier un agissement, une violence et un viol. Nous proposons des contenus personnalisés en fonction du statut juridique de la personne : selon que la victime ou la personne désireuse de témoigner relève d’un régime de droit privé – ce qui peut être le cas si elle travaille au sein d’une association ou est intermittente – ou du statut de la fonction publique territoriale, elle ne s’adressera pas aux mêmes acteurs. Nous renvoyons les professionnels vers la cellule du ministère de la culture et vers un certain nombre d’organismes, parmi lesquels on peut citer Audiens et le Snelac (syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels).
Nous offrons la possibilité de prendre rendez-vous avec nos équipes de juristes. Les remontées qui nous sont faites concernent essentiellement la violence au travail ; très peu portent sur les VHSS. Cela étant, il est certain que la figure du maître et l’emprise qu’il peut exercer sont susceptibles de conduire à des relations dysfonctionnelles.
Les écoles supérieures, qui sont au nombre de six dans le domaine de la danse, ont institué des dispositifs et sensibilisent leurs élèves. Nous intervenons dans chacune d’elles par le biais du pôle de ressources professionnelles depuis deux ans. Les conservatoires et les écoles privées se sentent beaucoup plus démunis, ce qui nous conduit à faire de la veille sur les bonnes pratiques. Cette semaine, par exemple, nous organisons un webinaire consacré à la charte que la direction des affaires culturelles de la ville de Paris a rédigée avec les conservatoires municipaux. Nous pensons que ce travail peut servir d’exemple pour les autres conservatoires et écoles.
Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre. Le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA) est une petite structure, constituée de vingt-sept personnes, née en 2016 de la fusion de deux centres de ressources – l’un dédié aux arts du cirque et aux arts de la rue, l’autre au théâtre. Nous avons absorbé tout récemment une autre structure qui offrait une ressource en ligne dans le domaine du théâtre. Notre rôle est d’accompagner les professionnels, y compris les artistes, dans l’accomplissement de leurs projets. Nous soutenons également le développement des secteurs et promouvons la création. Notre mission s’articule autour de trois axes. Le premier est le partage des connaissances lié à notre statut de centre de ressources, y compris en ligne dans lequel l’éditorialisation et l’éducation artistique et culturelle occupent une place importante. Le deuxième axe consiste en un soutien aux professionnels en matière de conseil juridique, de production, de diffusion et par le biais d’aides financières aux auteurs et aux autrices. Le dernier axe concerne le développement international, au moyen du pilotage de deux réseaux.
Nous répondons d’ores et déjà aux cinq engagements attendus par le ministère de la part des opérateurs pour les subventionner. Nous avons un référent VHSS. Dans toutes les commissions que nous organisons, nous veillons à ce que soient respectées non seulement une stricte parité mais aussi la diversité des expériences, des origines, etc. Cela n’est pas toujours simple. Au sein de la commission nationale d’aide à la création de textes dramatiques, qui soutient auteurs et autrices, les textes lus sont anonymisés. Depuis l’institution de l’anonymat, on a observé une très légère progression du nombre de femmes lauréates.
En notre qualité de centre de ressources, nous agissons en complémentarité du ministère de la culture. Nous relayons l’information sous différentes formes. Nous le faisons d’abord en ligne : notre guide du spectacle vivant traite des VSS et des bonnes pratiques. Nous publions également un précis juridique, qui présente de manière détaillée les catégories de violences et les mesures applicables. Nous organisons des ateliers – en partenariat avec Audiens et l’AFDAS – qui permettent, chaque année, de faire un point sur le cadre légal et les ressources – notre rôle étant plutôt d’orienter les artistes et les professionnels qui ont besoin de parler à une cellule d’écoute. Par ailleurs, nos juristes peuvent répondre plus précisément dans certains cas. À l’instar du CND, nous recevons assez peu de signalements ; en revanche, beaucoup de demandes nous parviennent concernant les organismes de formation. Nous relayons très régulièrement enquêtes et rapports sur notre fil de veille « vie professionnelle ». Nous avons élaboré un guide spécifique sur la parentalité – pour ne pas dire la maternité –, car c’est aussi une source importante de discrimination. Nous avons également travaillé avec des artistes de cirque pour élaborer une charte de la parentalité qui vise à améliorer l’accueil des jeunes parents lors des tournées.
Le cirque a été moteur dans la dénonciation des violences. « Balance ton cirque » a démarré au Centre national des arts du cirque (Cnac) en juillet 2021, avant d’être suivi par MeToo Théâtre. Le cirque est un art du corps, du dépassement des limites. Il partage certaines caractéristiques avec le théâtre, pour ce qui concerne, par exemple, la relation entre le maître et l’élève – les cours étant souvent individuels. Cela nécessite une vigilance particulière. La singularité du rapport au corps tient aussi à la parade, qui consiste à rattraper une personne au cours de sa chute. Ce faisant, on peut toucher, par mégarde ou volontairement, certaines parties du corps. On prête une attention particulière, dans les écoles, à cette spécificité du cirque, ce qui explique sans doute qu’elles aient été à l’origine de la dénonciation des violences.
Nous essayons également de contribuer, si ce n’est au changement culturel, du moins à l’évolution de la réflexion par l’organisation de débats – qui sont systématiquement consultables sous la forme de podcasts éditorialisés – sur les conditions de travail, en intégrant la violence et les VHSS, et sur des thèmes comme le care, ce qui nous semble une façon positive d’appréhender la question des violences.
Nous appartenons à un secteur très particulier, où prévalent les microstructures – près de 95 % des associations ont moins de onze salariés – l’entre-soi, le compagnonnage au sein d’équipes qui ont souvent grandi ensemble. Il est très difficile d’y libérer la parole mais aussi, pour des raisons qui tiennent également au coût, d’y mener des enquêtes. La question financière est aussi un obstacle aux activités de formation, comme on nous le signale très régulièrement.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. La spécificité de vos métiers et la place centrale qu’y occupe le corps n’excusent pas le franchissement de la limite. Avez-vous créé des dispositifs particuliers dans les écoles, notamment à l’attention des enfants, en dehors des chartes et de la sensibilisation ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Comment pourrait-on mieux encadrer les écoles qui dépendent du ministère de la culture, ainsi que les conservatoires et les écoles placés sous la tutelle des collectivités locales et des associations ? Comment mieux protéger les enfants ?
M. Christopher Miles. Peu de mineurs fréquentent les écoles placées sous la tutelle du ministère : cela concerne essentiellement les élèves suivant une formation en danse au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et de Lyon et à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Deux incidents graves sont survenus, il y a quelques années, dans les locaux du conservatoire de Paris. Dans ces établissements, les politiques de prévention des violences ont été considérablement renforcées. Un travail très important a été conduit sur les méthodes pédagogiques, afin d’éviter les dispositifs susceptibles d’engendrer des violences sur le corps des enfants ou de favoriser des contacts physiques qui ne sont aujourd’hui plus désirés. La prise de conscience s’est généralisée parmi les enseignants. Des politiques de prévention très claires sont appliquées. Des référents sont désignés pour les mineurs ; ils sont sensibilisés et formés à ces questions.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Qu’entendez-vous par « sensibilisés » ?
M. Christopher Miles. Je veux dire qu’ils suivent des formations.
Les VSS concernent également les majeurs : elles peuvent survenir entre professionnels – cela concernait 37 % des 38 signalements remontés en 2023 –, entre enseignants et étudiants – 42 % des signalements – ou entre étudiants. J’ajoute que les établissements font souvent appel à des collaborateurs occasionnels – professionnels, artistes chargés d’ateliers, de master class – à l’égard desquels les actions de prévention et de formation sont plus difficiles à mener. En revanche, les personnels et les professeurs permanents bénéficient d’un plan de formation systématique.
Un intervenant ponctuel, un enseignant en CDD qui n’exerce plus dans un établissement où il a commis des faits répréhensibles peut être recruté par un autre établissement – éventuellement dans une autre région – qui n’aura pas connaissance des faits en question. Certaines associations demandent que le ministère prenne l’initiative d’alerter les autres établissements d’enseignement supérieur en cas de signalement ou, à tout le moins, en cas de sanction disciplinaire, mais le droit actuel ne le permet pas. C’est un réel problème. Nous incitons les établissements recruteurs à se renseigner systématiquement auprès des anciens employeurs lorsque le CV fait état d’expériences d’enseignement antérieures. J’ai toutefois conscience que ce n’est pas suffisant.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En effet, l’employeur précédent n’a pas le droit de parler de ce type de faits. On pourrait proposer une amélioration du droit sur ce point.
M. Christopher Miles. Pour ce qui est des mineurs, le ministère de la culture n’a pas accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).
Mme Irène Basilis. Si, depuis décembre.
M. Christopher Miles. Vous me l’apprenez ! Cela permettra aux DRAC de solliciter les préfets, qui y ont également accès.
Nous éprouvons beaucoup de difficultés à faire prévaloir les bonnes pratiques au sein des structures privées – associatives ou commerciales –, qui assurent une grande part de l’enseignement dans le domaine de la création artistique. Les règles doivent être bien plus contraignantes si l’on veut y appliquer les politiques d’accompagnement que l’on mène dans nos établissements.
À l’égard des établissements rattachés à des collectivités territoriales, le ministère peut s’appuyer sur le dispositif de classement : les conservatoires peuvent ainsi être à rayonnement communal, départemental ou régional, chaque catégorie emportant des obligations. Nous allons compléter et amender le schéma national d’orientation pédagogique récemment mis en place par le ministère de la culture afin qu’une politique de formation, de sensibilisation et de prévention des VSS soit menée dans l’ensemble des conservatoires classés par l’État. À l’égard des écoles municipales de musique, qui sont sous statut associatif, on ne peut agir que dans le cadre du contrôle préfectoral des associations.
Mme Irène Basilis. S’agissant des conservatoires, l’idée pourrait être de travailler à partir de nos classements. On pourrait voir dans quelle mesure il serait possible de retirer un classement si les attentes en matière de formation ne sont pas remplies. Il est important d’avoir des référents. Des collectivités se sont dotées d’outils, notamment de canaux de signalement. Il serait utile de disposer d’instances de dialogue avec ces dernières sur l’élaboration de guides. Celui de la ville de Paris a fait l’objet de longues négociations. Peut-être faut-il créer des modèles de guides, comme il y a des modèles de projets d’établissement, dont les collectivités pourraient s’emparer – je rappelle que nous n’avons pas de capacité d’intervention à leur égard.
M. Erwan Balanant, rapporteur. S’agissant des écoles associatives et privées, pourrait-on imaginer une certification dont le principe serait inscrit dans la loi et les caractéristiques fixées par décret ?
Mme Catherine Tsekenis. Vous posez là la question des formateurs de formateurs. Pour enseigner la danse, il faut obligatoirement être titulaire du diplôme d’État. Nous avons intégré la question des violences à la formation des professeurs.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La formation des formateurs doit nécessairement comprendre, dans le tronc commun, un volet consacré aux VHSS. Cela étant, les écoles, qui font appel à des intervenants extérieurs, doivent être encadrées pour garantir que la pédagogie qu’elles appliquent est respectueuse des enfants.
Mme Irène Basilis. Dans notre domaine, seule la danse est une profession réglementée : on ne peut l’enseigner – ni, à plus forte raison, ouvrir une école – si l’on n’est pas titulaire du diplôme d’État, même dans le secteur privé. Cela pose la question de la réglementation des autres professions, qui conditionnerait la possibilité d’effectuer un enseignement artistique.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il n’est pas possible d’étendre cette réglementation à tous les métiers.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. S’agissant des violences sexuelles commises sur les enfants, le taux de condamnation n’excède pas 0,6 %. C’est dû en partie au fait que l’on ne porte pas plainte systématiquement. Si, à la suite d’un signalement, une personne est sanctionnée professionnellement pour des faits de cet ordre et qu’il n’y a pas de plainte en justice, la sanction sera circonscrite à l’établissement concerné. Il y a là une véritable difficulté car la consultation de l’extrait judiciaire ne procure aucune information sur ce point. Auriez-vous des suggestions pour remédier à cela ? Serait-il envisageable de créer un fichier des sanctions professionnelles ?
Mme Irène Basilis. Peut-être pourrait-on envisager d’élargir l’inscription au FIJAIS. Toutefois, actuellement, seule une instruction en cours permet sa mobilisation.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous savons que des personnes, après avoir été évincées d’un établissement, ont pu exercer dans une autre structure : c’est ce qui peut arriver de pire.
Mme Gwénola David. La Fédération française des écoles de cirque, qui regroupe de nombreux établissements, délivre un agrément aux écoles accueillant un public amateur et semi-professionnel. Or, les VHSS ne figurent pas, nommément, au nombre des critères d’audit de ces établissements. Peut-être serait-il opportun de renforcer leur prise en compte, eu égard aux spécificités, que j’ai évoquées, de ce secteur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les propos que vous avez tenus sur la parade sont effrayants car il est très difficile de déterminer si le geste en cause est purement accidentel ou constitue une agression sexuelle. C’est d’autant plus préoccupant que de nombreux enfants pratiquent occasionnellement les arts du cirque. Cette remarque vaut aussi pour d’autres disciplines, comme la gymnastique. Il est très difficile pour un enfant de mettre des mots sur ce type d’actes, alors qu’il s’agit d’empêcher qu’il ne se blesse. Comment gérez-vous cela ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les écoles de cirque font souvent en sorte que les enfants jeunes se forment à la parade et l’effectuent eux-mêmes. Cela peut être une bonne pratique – du moins jusqu’à ce que les élèves atteignent un certain niveau.
Mme Gwénola David. N’oublions pas que les violences peuvent être commises entre enfants. Dans certaines écoles, des groupes de parole sont apparus, qui permettent de témoigner anonymement de violences de ce type, constatées ou vécues. Ces groupes, qui fonctionnent très bien, sont généralement pris en charge par un enseignant ou une enseignante.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En même temps, l’anonymat constitue une limite.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’en viens aux questions relatives à l’accompagnement et à la protection. Lorsqu’Audiens recueille une parole, comment vous le signale-t-il ? Comment s’opère le suivi statistique ? Nous souhaiterions que vous nous communiquiez les statistiques.
Seriez-vous favorables au développement du rôle d’Audiens, notamment au fait qu’il offre un accompagnement juridique à certains plaignants ou certaines plaignantes et, éventuellement, propose les services d’un avocat à un tarif préférentiel ? On sait que l’accompagnement de la victime lors du dépôt de la plainte est essentiel pour la qualité de l’enquête.
Peut-on imaginer que l’accompagnement puisse concerner la médiation ? Celle-ci a en effet un rôle à jouer pour prévenir les faits de basse intensité, tels que l’outrage sexiste.
Mme Irène Basilis. Il me semble qu’il faut penser d’abord à assurer un meilleur accompagnement des victimes.
Il existe un certain nombre de toutes petites structures mais des fédérations de syndicats d’employeurs disposent d’équipes juridiques. Un certain nombre de syndicats conseillent leurs membres sur l’attitude à adopter. Les employeurs peuvent éprouver la nécessité de disposer d’une boîte à outils, de savoir quoi faire dans tel ou tel cas ou peut-être même d’être conseillé sur la personne à qui s’adresser pour effectuer une enquête interne. Le rapport sur les violences sexistes ou sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir, qui a été cité par M. Miles, a relevé, à juste raison, la nécessité d’instituer une certification des prestataires qui réalisent ces enquêtes, car on voit tout et n’importe quoi, à des prix très variables. Cela étant, il faut veiller à éviter toute confusion – qui pourrait être troublante pour les victimes – entre la cellule d’Audiens dédiée à l’écoute et à l’accompagnement de ces dernières et l’assistance apportée aux employeurs.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon propos portait sur le renforcement d’Audiens en matière d’accompagnement juridique des plaignants.
Mme Irène Basilis. Nous sommes en discussion avec Audiens sur l’assistance juridique, notamment au moment du dépôt de plainte qui requiert le concours d’un avocat ou d’une avocate. Reste à définir plus précisément l’accompagnement des victimes, en particulier sa durée et l’ampleur des moyens qui sont octroyés. La plupart des personnes qui déposent plainte ne sont pas éligibles à l’aide juridictionnelle, mais elles peuvent avoir des difficultés à financer une action en justice au long cours parce qu’elles sont parfois fragilisées sur le plan professionnel.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans ce processus où Audiens recueille la parole de la personne puis l’accompagne jusqu’au dépôt de plainte, il me semble que nous sautons une étape, celle de la structure où se sont déroulées les violences dénoncées. C’est assez typique de la gestion des VHSS. On crée une cellule d’écoute chargée de recueillir les témoignages souvent anonymes, puis on laisse à la plaignante ou au plaignant la charge d’aller en justice, sans engager la responsabilité collective de la structure. J’ai cru comprendre que vous faisiez aussi un travail sur les structures, mais je tenais à faire cette remarque à ce stade.
M. Christopher Miles. En qui concerne les entreprises, les fédérations et les regroupements de structures tels que l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN) peuvent développer des dispositifs spécifiques d’accompagnement qui permettent de remédier à la petite taille des entreprises – nous les y encourageons. Pour les entreprises privées, des mécanismes de type assurantiel pourraient se développer.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est pas le rôle de la puissance publique.
M. Christopher Miles. En effet, mais les employeurs peuvent s’entendre entre eux pour créer des dispositifs assurantiels comme ils l’ont fait lors de la pandémie de covid-19. Ils sont en train d’y réfléchir, au vu des conséquences potentielles sur le tournage d’un film ou la tournée d’une pièce de théâtre. Qu’un comédien soit défaillant dans une distribution et c’est tout le spectacle qui tombe, entraînant l’économie de la tournée dans sa chute. Nous pouvons les inciter à aller dans ce sens et les accompagner dans leur démarche.
Du côté des victimes, il faut vraiment continuer les actions de formation, prévention, sensibilisation et sécurisation de la parole car il reste malheureusement beaucoup à faire en matière de libération de la parole. On estime que seulement 20 % des victimes osent parler et, quand elles le font, elles ont du mal à porter leur parole jusqu’au bout car la preuve est très difficile à établir dans ce type de situation. Nous devons donc aider les victimes à trouver rapidement l’aide juridique qui leur convient. Pour en avoir discuté avec certaines d’entre elles, je sais qu’en pareille situation, ce n’est pas évident de trouver le bon avocat, la bonne personne qui va aider et accompagner dans les meilleures conditions. Peut-être faut-il se référer à la dernière proposition du rapport sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir ? Les membres de cette mission interministérielle proposent d’augmenter les conditions de prise en charge, par les assurances et les mutuelles, des frais liés à une action judiciaire et aux soins des victimes de VSS. Audiens, qui est chargée de la cellule d’écoute mais aussi des actions de prévoyance, pourrait nous aider à développer ce type de dispositif.
Comme dans d’autres secteurs, il est souvent fait appel à des sous-traitants qui peuvent ne pas être complètement aux normes. La coactivité et l’accueil sont aussi monnaie courante. Un centre chorégraphique national, par exemple, gère ses activités propres mais peut aussi accueillir des équipes extérieures dans l’enceinte de son établissement. Le CND met ainsi des studios à disposition d’équipes artistiques. Il faut alors veiller aux personnes accueillies, aux conditions dans lesquelles on les accueille et au respect qui sera accordé aux victimes qui viendraient à se manifester dans les structures accueillantes. En cas de difficulté avec une équipe extérieure, il faut pouvoir imaginer une action concertée.
Mme Irène Basilis. Il faut intervenir dans le cadre du droit du travail et mieux former les employeurs pour qu’ils puissent le faire. Il peut parfois y avoir une confusion au sujet des enquêtes internes : il n’est pas tant nécessaire de recueillir des preuves que de mettre en évidence des faisceaux d’indices. En outre, la responsabilité de l’employeur n’est pas seulement engagée pour le travail effectué sur le plateau pendant la journée. L’employeur est aussi responsable de faits qui se produisent dans le bar d’en face, dès lors que les personnes s’y trouvent parce qu’elles travaillent ensemble. Il y a donc des efforts à faire en matière de formation des employeurs mais aussi de qualité des enquêtes car certaines d’entre elles sont mal menées.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Absolument !
Mme Gwénola David. Dans notre secteur, la plupart des structures sont des associations, ce qui pose des difficultés particulières : les responsables moraux ne sont pas ceux qui décident d’engager telle ou telle personne, ce qui provoque une plus grande dilution des responsabilités.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour la certification des entreprises de formation, que le rapport abordera, il faudra tenir compte du fait que les structures culturelles sont souvent subventionnées par divers organismes dont l’État et les régions, qui peuvent intervenir dans la certification. Il ne faudrait pas que chacun de ces organismes exige sa propre certification.
S’agissant des signalements, on nous a donné des chiffres incroyablement variables : le nombre de personnes entendues par Audiens – 232 en un an – paraît infinitésimal comparé aux témoignages récoltés par des associations, des organismes professionnels, des syndicats et autres coordinations. Pourquoi une telle différence ? Prenons l’exemple de la Cinémathèque française – ils vont croire que je les ai en ligne de mire en permanence, ce qui n’est pas le cas. Après l’affaire de la programmation du Dernier Tango à Paris et les révélations de la presse sur les comportements du directeur, comment une personne victime pourrait-elle se sentir légitime à parler dans une telle structure ? Dans les organismes que vous représentez, le ministère en particulier, les directions ne doivent donc pas seulement être formées mais être vraiment responsables de la libération de la parole.
M. Christopher Miles. Nous disposons d’un levier facile à actionner : le respect de la mesure n° 5 de la convention pluriannuelle de projet, intitulée « Engager un suivi et une évaluation des actions en matière de VHSS : transmission d’un bilan détaillé précisant les actions menées », conditionne les aides. Nous pourrions indiquer que le bilan présenté au moment du renouvellement de la convention de financement doit recenser les signalements ou les situations de VHSS constatés dans l’entreprise, afin que les remontées soient plus complètes que celles qui passent par le numéro d’Audiens. Nous pourrions alors établir un bilan annuel pour tous les organismes que nous aidons. Nous pourrions aussi obliger les établissements publics et ceux qui sont placés sous notre tutelle à inclure dans leur bilan social annuel, un volet sur la formation, la protection et le suivi des actions d’accompagnement en cas de signalements ou d’alertes.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans une structure où règnerait une très forte crainte de représailles – licenciement ou mise à l’écart en cas de dénonciation de faits de VHSS –, aucun dispositif ne permettra la libération de la parole. Votre bilan ne sera donc que partiel. Je ne prétends pas qu’il existe des solutions simples, mais, alors que l’on préconise un changement de méthodes pédagogiques pour les enfants, on pourrait peut-être aussi s’intéresser aux styles de management qui, à mon avis, sont révélateurs du niveau de violence dans les structures.
Mme Irène Basilis. Que recouvre la notion de signalement ? Des témoignages sont recueillis dans des associations, des syndicats et par des gens qui font figure de personnes-ressources – ce qui peut être mon cas. Nous devons cependant faire en sorte que la cellule d’Audiens soit davantage connue. J’ai eu des échanges récents avec des réseaux d’acteurs financés par le ministère sur le thème : où affiche-t-on le numéro d’Audiens ? Pas dans le bureau de l’administrateur, de toute évidence. Il faut qu’il soit dans les loges, dans les toilettes. Peut-être doit-il aussi figurer sur la feuille de route que tout le monde consulte ? Quand on part en tournée, on regarde où sont l’hôtel et le théâtre. Le numéro d’Audiens doit sauter aux yeux à ce moment-là.
Cette cellule possède en effet l’avantage de s’appuyer sur des personnes formées à l’écoute de la parole et d’offrir un accompagnement sur les plans psychologique et juridique. Les plaignants et plaignantes peuvent y mûrir leur décision d’aller plus loin dans la démarche. Quoi qu’il en soit, nous devons inciter les personnes écoutantes, même lorsqu’elles sont référentes VHSS, à orienter vers la cellule d’Audiens celles et ceux qui s’adressent à elles. Il faut en effet éviter que les témoignages ne tombent dans une boîte noire, que les gens ne livrent leur histoire à des personnes qui n’en font rien parce qu’elles ne peuvent rien en faire, faute d’être en mesure de mobiliser des psychologues, des avocats et autres.
Nous réfléchissons donc à la manière de renforcer cet outil professionnel qu’est la cellule d’Audiens en élargissant ses horaires et en intégrant de nouveaux secteurs. Outre l’amélioration des statistiques, il s’agit d’assurer une bonne prise en charge de la parole. À cet égard, le rapport de confiance joue un rôle majeur. Or les interlocuteurs d’Audiens connaissent les secteurs et les caractéristiques des métiers, tout en étant extérieurs. Ce sont des tiers de confiance auxquels il est plus facile de s’adresser qu’à un collègue.
Mme Corinne Sadki, directrice chargée de l’égalité et de l’inclusion au CNM. Ne perdons pas de vue qu’une grande partie des victimes ne sont pas dans des structures et sont assez isolées. La peur de ne plus avoir de travail si l’on porte plainte fait que les témoignages ne deviennent pas des signalements. Les personnes évoluent dans un système où il leur est difficile de se mettre en action, parfois même de se rendre compte qu’elles sont victimes. Nous voulons travailler avec la cellule d’Audiens pour aller au plus proche des intermittents et intermittentes, mais aussi de celles et ceux qui n’ont même pas ce statut : auteurs et autrices, compositeurs et compositrices. Il faut les aider à connaître leurs droits et leurs modalités d’action, ce que nous allons faire à partir de l’année prochaine. Et nous n’avons même pas parlé des bénévoles ! Il existe une zone d’ombre où évoluent des personnes qui interviennent dans des festivals, des salles, des studios, des cars pour les tournées. Il est très difficile de les sécuriser. Nous essayons de le faire sans trop savoir comment nous y prendre.
M. Jean-Philippe Thiellay. La première finalité du protocole évoqué en préambule est d’informer les employeurs que les signalements peuvent être traités dans un cadre juridique assez solide. Ce sont parfois des artistes ou des associatifs, pas nécessairement des juristes passés par le barreau. On leur donne des indications sur la manière de réagir : vous ne mettez pas le dossier sous le tapis ; vous protégez la personne ; vous recueillez la parole ; vous documentez les faits ; vous écrivez et, le cas échéant, vous aidez au dépôt de plainte. Il a vraiment une finalité très concrète.
Nous nous sommes aussi intéressés à une question quasi philosophique : les conséquences qu’un signalement peut avoir sur la survie économique d’une structure, sur son subventionnement, sur les collègues et sur son propre emploi. Quelle doit être l’attitude des pouvoirs publics lorsque le signalement concerne un fondateur ou quelqu’un dont le nom est associé à la structure ? Condamne-t-on l’intégralité de la structure, en faisant des victimes collatérales ? La réponse peut varier. Le conseil d’administration a-t-il été informé ? A-t-il été défaillant ? Autant que faire se peut, il faudrait définir une sorte de doctrine sur ce sujet délicat.
M. Erwan Balanant, rapporteur. En effet, madame Sadki, les professionnels du monde de l’art ne font généralement pas partie d’une structure. Comment des témoins peuvent-ils signaler des faits sans redouter de passer pour des mauvais coucheurs, d’être grillés et de ne plus pouvoir travailler nulle part ? Il faudra un changement culturel pour que la peur et la honte changent de camp, pour que la situation évolue vraiment sur ce point. Un jour, la honte retombera peut-être sur le gars ou la fille qui n’aura pas témoigné.
Quant à votre intervention, monsieur Thiellay, elle fait écho à ce que nous avons parfois ressenti : certaines personnes ne témoignent pas pour ne pas faire s’écrouler le film ou la compagnie de danse. La solution peut passer par la mise en place de règles et de protocoles exigeants. Dans le cas où la structure aurait respecté une obligation de moyens, elle serait alors protégée. On pourrait aussi imaginer des fonds assurantiels permettant de compenser la perte financière liée à l’interruption d’un tournage ou d’une tournée. Il est plus compliqué de pallier les effets de ce genre d’affaires sur la réputation. Avez-vous engagé des réflexions de ce type ?
Au passage, je signale que la conditionnalité des aides du CNM était plus complète que celle du CNC, mais ils sont en train de vous rattraper en incluant désormais la formation de toutes les équipes.
M. Jean-Philippe Thiellay. C’est l’avantage d’être nés soixante-dix ans après le CNC : nous avons pu aller plus vite sur certains sujets. Et le CNM ne s’arrêtera pas.
Revenons sur les conséquences d’un signalement sur une structure. Le facteur discriminant me semble être l’attitude de la gouvernance qui réagit ou pas, qui prévoit ou non un protocole. Au cours des dix-huit derniers mois, certaines fédérations ou organisations ont décidé d’exclure telle ou telle structure. Cela les regarde puisque ce sont des structures privées. Après audition des personnes concernées, je pense néanmoins que c’était une bonne méthode qu’il faudrait sans doute formaliser. L’employeur est concerné en tant que personne physique et en tant que personne morale. Qu’a-t-il été fait en matière de prévention ? Le signalement a-t-il donné lieu à des actes ou à une forme d’inertie ? On pourrait en tirer des conséquences pouvant aller jusqu’à la condamnation économique de la structure, tant pis pour les victimes collatérales. Il faudrait en venir à condamner économiquement des structures gravement défaillantes.
La structure doit être claire sur le rôle du conseil d’administration et sur celui du comité social et économique quand il existe, ce qui est rare. Les représentants syndicaux, dont nous avons peu parlé, peuvent jouer un rôle dans un contexte de peur tel que décrit par la présidente. Rappelons que les représentants syndicaux sont des salariés protégés. Quand il y en a, ils ont une vraie responsabilité. À l’Opéra de Paris, où j’ai servi précédemment, il y avait un vrai dialogue avec les représentants syndicaux. À l’évidence, un climat de peur y aurait été dénoncé.
M. Erwan Balanant, rapporteur. L’Opéra de Paris est une grosse structure. Prenons le cas d’une petite compagnie de théâtre où le dirigeant de bonne foi apprend qu’un technicien s’est très mal conduit. Il va se dire que le lancement d’une enquête risque de lui faire perdre la subvention annuelle de la ville et lui coûter cher en matière de réputation. Quant à l’intermittent, il peut craindre de perdre la possibilité de continuer à travailler avec cette compagnie ou avec une autre. La tentation peut alors être grande de mettre les choses sous le boisseau ou de se taire, selon les cas. C’est ce que nous voulons éviter. Comment faire pour y parvenir ?
M. Jean-Philippe Thiellay. L’externalisation de l’enquête ne me semble pas absolument impérative : l’employeur a la responsabilité de recevoir, de documenter ; il détient le pouvoir disciplinaire. Dans certains contextes compliqués, l’externalisation peut permettre de décentrer et de dépassionner les échanges. Dans une grosse structure, il est arrivé de ne pas externaliser l’enquête.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En ouvrant les deux possibilités, nous avons plus de chances de couvrir les besoins qui varient selon les configurations.
Mme Gwénola David. Dans le spectacle vivant, les employeurs sont le plus souvent de petites structures associatives ou des microentreprises de moins de onze salariés. On ne peut pas les traiter de la même façon qu’un opéra ou un ensemble très structuré où les relations professionnelles et personnelles sont peut-être plus séparées. Dans ce secteur, il existe de nombreux collectifs dotés d’un statut associatif où chacun fait un peu de tout, où la présidence est assurée par le copain ou la copine de service, et dans lesquels les compétences peuvent manquer. C’est pourquoi la sensibilisation et la formation me semblent essentielles si nous voulons atteindre l’immense majorité silencieuse qui vit ces VHSS. Le cœur battant de la création se situe aussi dans les compagnies.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour ma part, j’aimerais revenir sur des cas particuliers, tels que ceux de Yassine Belattar et de Philippe Caubère, qui ont été abordés dans le cadre de cette commission. En aviez-vous connaissance au ministère ? Avez-vous notifié au ministre en exercice les témoignages que vous auriez reçus ? Sur ces cas, l’information circule‑t‑elle ?
Mme Irène Basilis. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu d’information sur ces cas précis. En revanche, nous avons reçu récemment le témoignage de plusieurs femmes. Nous en avons informé le procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, notamment pour signifier à la structure employeuse que nous avions pris ces témoignages très au sérieux et pour l’inciter à mettre en œuvre les moyens d’enquêtes nécessaires. Face à un fait grave, la cellule d’Audiens prévient le ministère de la culture. Nous agissons de concert avec la cellule et en accord avec les victimes qui doivent être informées de ce qu’implique le recours à l’article 40, y compris la sortie de l’anonymat.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Même dans ce cadre, on peut préserver l’anonymat des victimes. Cela m’est déjà arrivé.
Mme Irène Basilis. Bien sûr, mais, à un moment donné, le procureur ne va pas y porter la même attention.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Faites-vous remonter l’information jusqu’au ministre en exercice ?
Mme Irène Basilis. Dans le cas d’espèce, qui date de l’automne dernier, la ministre a été prévenue. Elle a même souhaité que l’ensemble du dossier lui soit transmis.
M. Christopher Miles. Quand nous avons eu à connaître de situations de VHSS dans les établissements sous ma responsabilité et qu’il a été établi qu’une enquête devait être déclenchée, la ministre en a été informée. Dans tous les cas où nous avons eu recours à l’article 40, la ministre a été informée. Quand nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de recourir à l’article 40, le cabinet de la ministre a été informé. Mme Bachelot et Mme Dati ont toujours demandé de mettre en place les procédures et d’aller aussi loin que nécessaire, avec l’accord des victimes.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La cellule d’Audiens reçoit des témoignages qui peuvent être anonymes, ce qui est gênant quand il s’agit de faits graves. Que faire dans ce genre de situation ? Cette cellule peut aussi capter des signaux de dysfonctionnements quand un même lieu fait l’objet de plusieurs appels. Quelle est alors votre attitude ? J’aimerais aussi revenir sur votre manière de gérer la volonté ou non de la plaignante d’engager une éventuelle action en justice.
Mme Irène Basilis. Rappelons que les psychologues cliniciens et les avocats sont soumis au respect du secret professionnel. Il n’est pas question d’obliger quiconque, que ce soit la victime directe ou un témoin, à sortir de l’anonymat. Il faut d’abord l’aider à prendre conscience des faits et à les nommer avant d’envisager une sortie de l’anonymat et des démarches qui peuvent ne pas prendre d’emblée la forme d’une plainte. Quand la victime ou le témoin ne veut pas que son nom apparaisse, il est difficile d’agir. Cela étant, quand la cellule d’Audiens reçoit plusieurs témoignages à propos d’un même établissement sous tutelle du ministère de la culture, elle prévient le ministère.
C’est un peu compliqué pour Audiens de savoir à quel moment s’autoriser ce genre de démarche, compte tenu du discours tenu aux personnes qui appellent : on leur explique qu’elles sont totalement libres, qu’elles peuvent rester anonymes, que leurs propos ne sortiront pas de la cellule. Quoi qu’il en soit, il faut pouvoir agir quand les témoignages sont nombreux ou quand les faits sont gravissimes. Quand les faits sont nombreux, il y a tout un travail pour inciter les personnes à se regrouper pour déposer plainte. Quand ils sont graves, on incite les victimes à sortir de l’anonymat car le danger est réel, y compris pour les autres personnes de la structure.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Lorsque j’ai eu à monter des cellules à l’université, notamment à l’université de Lille, je me suis heurtée au même dilemme : lever l’anonymat limite la parole ; l’anonymat empêche la sanction. Nous avions donc mis en place deux structures parallèles, l’une d’accompagnement et l’autre d’investigation. La première assurait l’anonymat des victimes tout en signalant le nombre de cas et leur typologie. Elle proposait aussi de manière régulière à la victime, y compris quand celle-ci allait mieux, d’aller témoigner devant la cellule d’investigation pour qu’il puisse y avoir des sanctions. Rappelons que la responsabilité des établissements est engagée, y compris sur le plan pénal. On se repose d’ailleurs beaucoup sur les victimes et leur capacité à conserver des preuves ou des indices. Or la plupart des agresseurs ont un mode opératoire constant qu’il suffit d’identifier pour trouver d’autres victimes potentielles.
Mme Irène Basilis. Les associations jouent un peu le même rôle que les cellules d’accompagnement dont vous parlez. Elles gardent le lien avec la personne dont elles ont reçu le témoignage, l’aident à prendre conscience des faits subis et de la nécessité d’en parler, ce qui est très important pour leur résilience.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans le cadre du renforcement de la cellule d’Audiens, ne pourrait-on pas imaginer un soutien psychologique en plus de l’assistance juridique ?
Mme Irène Basilis. Cela existe déjà : les personnes peuvent bénéficier de cinq séances de soutien psychologique.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Est-ce suffisant pour des cas graves ? Lorsque la cellule d’Audiens perçoit des signaux faibles concernant des structures privées ou associatives, vous informe-t-elle ? À votre connaissance, la procédure prud’homale, qui permet à une victime de percevoir des dommages-intérêts, a-t-elle été déclenchée par des intermittents du spectacle ?
M. Christopher Miles. On peut distinguer deux phases dans l’accompagnement par Audiens. La première, essentielle, permet à la victime de se rendre compte qu’on lui a fait subir des actes de harcèlement ou des violences sexuelles. La deuxième, plus longue et progressive, permet à la victime de parler et d’engager une action pour se réparer. Cette deuxième phase nécessiterait probablement que les dispositifs de prévoyance soient améliorés.
S’agissant des intermittents, j’aimerais rappeler leur importance dans le secteur. Le spectacle vivant et enregistré emploie 188 000 salariés permanents et 110 000 intermittents qui ont, eux aussi, des représentants syndicaux. Dans le spectacle vivant, la représentation syndicale est heureusement assez développée pour contrebalancer l’asymétrie entre l’employeur et le salarié. Je peux en témoigner.
Il faut aussi parler des 330 000 artistes-auteurs, sachant que seulement un tiers d’entre eux tirent l’essentiel de leurs revenus de cette activité. Nettement plus isolés, ils ont accès à un accompagnement beaucoup plus fragile. Nous nous employons à améliorer les choses dans le cadre du plan artistes-auteurs dont j’ai la responsabilité au sein du ministère.
Mme Irène Basilis. Les avenants aux conventions collectives du privé et du public ont été signés par tous les partenaires sociaux, ce qui n’est pas très courant dans le secteur. C’est un outil qui permet de mobiliser les représentants des salariés.
S’agissant des petites structures associatives évoquées par Gwénola Davis, la nécessaire sensibilisation ne peut pas être faite par Audiens car ce ne sont pas des professionnels. Or il est important que ces bénévoles ne faiblissent pas et aident la direction de la structure à prendre des mesures. Pour les présidents et présidentes qui se sentent au service d’un projet plus que dans la situation d’un employeur qui va aux prud’hommes, il n’est pas toujours évident de savoir comment réagir. Il faudrait les sensibiliser à ces questions, à défaut de leur octroyer une formation en bonne et due forme.
La libération de la parole implique une information et une formation massives. Dans le milieu du cinéma, les équipes techniques ont d’ailleurs fortement répondu aux propositions de formation car elles y ont vu un moyen de continuer à travailler : c’est une forme de certification nouvelle. Il faut évidemment former les techniciens qui sont très présents sur les tournages, pendant les répétitions nocturnes et autres. Mais il faut aussi former les équipes de médiation, de relations publiques. Dans l’idéal, il faudrait former tout le monde. Cela va prendre du temps, mais seule une formation généralisée permettra d’abaisser le seuil de tolérance, voire d’atteindre une tolérance zéro face à ces violences mais aussi au sexisme, sachant que certains climats favorisent les dérives. Je n’ai pas eu l’occasion de suivre les formations du CNM, mais je peux dire que les formations du CNC destinées aux producteurs permettaient de fixer les idées et de faire comprendre que certains comportements relèvent du pénal, sans être des violences.
La séance s’achève à dix-huit heures.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau