Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :.......................2
- Mme Nadège MacLeay, coprésidente de l’association Chorégraphes associé.e.s et Mme Lucie Augeai, trésorière
- Mme Lola Bertet, journaliste, et Mme Lola Rudrauf, danseuse, co-réalisatrices du podcast À corps perdus
– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Nadège Beausson-Diagne, actrice, et de M. Abdelhakim Didane, comédien et metteur en scène 14
– Audition commune, ouverte à la presse, de :......................35
- Mme Ekaterina Ozhiganova, présidente de l’association Model Law, et Mme Juliette Halbout, avocate au Barreau de Paris
- M. James Chabert, président de l’association Casting info service, M. Michael Indjeyan Sicakyuz, avocat, et M. Valentin Senez, membre de la commission Jeunes de l’association
– Présences en réunion.....................................49
Jeudi
23 janvier 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 34
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission,
puis de
M. Erwan Balanant, Rapporteur de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.
La commission auditionne Mme Nadège MacLeay, coprésidente de l’association Chorégraphes associé.e.s et Mme Lucie Augeai, trésorière ; Mme Lola Bertet, journaliste, et Mme Lola Rudrauf, danseuse, co-réalisatrices du podcast « À corps perdus ».
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos auditions avec une table ronde consacrée à la danse. J’ai donc le plaisir d’accueillir Mme Nadège MacLeay, coprésidente de l’association Chorégraphes associé.e.s et Mme Lucie Augeai, trésorière ; Mme Lola Bertet, journaliste, et Mme Lola Rudrauf, danseuse, co-réalisatrices du podcast « À corps perdus ».
Notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. La danse n’est évidemment pas épargnée pour des raisons qui ont déjà été évoquées devant cette commission d’enquête. Nous avons donc souhaité vous entendre afin de confronter vos points de vue sur les violences morales, sexistes ou sexuelles, qui sont commises au sein de ce secteur, et étudier avec vous les pistes d’amélioration.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Nadège MacLeay, Lucie Augeai, Lola Bertet et Lola Rudrauf prêtent successivement serment.)
Mme Lola Rudrauf, danseuse et co-réalisatrice du podcast « À corps perdus ». Je suis danseuse et chorégraphe, et co-réalisatrice de la série documentaire de podcasts « À corps perdus », qui traite des violences dans le milieu de la danse académique.
Mme Lola Bertet, journaliste et co-réalisatrice du podcast « À corps perdus ». Je suis ravie de constater que le sujet des violences dans la danse est enfin pris en considération car, pendant longtemps, il a été minimisé voire ignoré.
Je suis journaliste indépendante. Mon travail ne concerne pas exclusivement les milieux de la danse et de la culture, bien qu’ils m’intéressent beaucoup – j’ai moi-même eu une très brève carrière de comédienne –, il porte sur d’autres thématiques.
J’en suis venue à m’intéresser aux violences dans le milieu de la danse à la suite d’une discussion avec Lola Rudrauf au sujet de l’affaire Jan Fabre. Ce chorégraphe et plasticien belge, qui est connu et reconnu à l’international, a été condamné en 2022 à Anvers, en Belgique, pour attentat à la pudeur, ce qui correspond en droit belge à une agression sexuelle, ainsi que pour des violences et des humiliations infligées à des danseuses. Cette affaire nous a frappées pour plusieurs raisons. D’abord, elle a mis en lumière les violences systémiques affectant ce milieu artistique. Ensuite, malgré l’importance de cette affaire, on en a très peu entendu parler en France. Nous avons donc eu envie d’enquêter sur ce qui se passait en France et de comprendre pourquoi on parlait très peu des violences commises dans le milieu de la danse.
Lors de notre enquête, nous avons malheureusement découvert que les violences sexistes et sexuelles sont très répandues. Nous nous sommes concentrées sur la danse académique, c’est-à-dire la danse classique, contemporaine et modern jazz, soit la danse qui est enseignée dans les conservatoires et dans les grandes écoles reconnues.
Toutes les danseuses avec lesquelles nous nous sommes entretenues nous ont confié avoir été témoins ou victimes d’une VSS (violence sexiste et sexuelle) ; c’est énorme. Mais ces violences restent largement tabou, notamment parce que les danseuses craignent de perdre leur travail si elles parlent – cette crainte est omniprésente.
Je parle de danseuses car nous avons choisi de nous concentrer sur elles, non pas parce que les danseurs ne subissent pas de VSS ou d’autres formes de violence, mais parce que ce milieu est majoritairement féminin et que les danseuses sont la cible de la plupart des violences.
Dans le cadre de ce podcast, notre démarche avait deux objectifs principaux : d’une part, mettre ce sujet sur la table, le faire connaître au public en faisant émerger des témoignages qui n’étaient que très peu entendus et, d’autre part, analyser les mécanismes qui permettent à ces violences d’exister, de se perpétuer et d’être banalisées. Donc notre travail consistait surtout à réfléchir sur le cadre de travail, le milieu professionnel, la manière dont se structure la profession, mais aussi sur la culture qui est propre à ce milieu et qui favorise ces comportements.
Mme Lucie Augeai, trésorière de l’association Chorégraphes associé.e.s. Je me présente en tant que danseuse et chorégraphe d’une compagnie de danse contemporaine située en province, et représentante d’un syndicat d’artistes-auteurs qui défend le droit d’auteur des chorégraphes. Ce syndicat a été créé il y a une vingtaine d’années par des chorégraphes souhaitant se fédérer autour de questions relatives au droit d’auteur. Nos adhérents – à plus de 80 % des femmes – sont des chorégraphes, des danseurs et anciens danseurs exerçant dans le domaine de la danse contemporaine, à la tête de petites compagnies disséminées sur tout le territoire, même si 50 % d’entre elles sont installées en Île-de-France. Elles sont majoritairement subventionnées au projet mais le sont globalement à des niveaux inférieurs à la moyenne des établissements de même nature. Par ailleurs, aucun de nos adhérents n’est à la tête d’une grande institution telle qu’un centre chorégraphique national.
Ayant commencé la gymnastique à l’âge de 6 ans, je me suis tournée vers la danse à la suite d’une blessure. S’ensuivent dix ans de pratique en école de danse privée et en conservatoire jusqu’à l’obtention du diplôme d’État de professeur de danse. Mais j’ai envie de créer. J’ai donc très vite compris que pour exercer mon art, il faudrait que j’en passe par la case danseuse-interprète, même si je détestais la position d’asservissement dans laquelle cette situation me plaçait, afin d’acquérir la légitimité pour devenir chorégraphe. Témoin et victime de bien des situations d’abus et de violence, j’ai eu besoin de me réapproprier mon langage, en prenant soin du cadre de mon expression artistique, de reprendre la main, afin de pouvoir créer dans un cadre bienveillant et plus respectueux.
Voici le contexte. La danse est un art qui s’apprend dès le plus jeune âge face à une glace et dont le corps est l’instrument soumis à une discipline stricte. On a coutume de dire qu’il faut à peu près dix ans pour faire un danseur. C’est un art où les carrières sont courtes, quinze ans en moyenne, et bien évidemment précaires, avec des contrats courts, peu rémunérateurs, et menées dans un petit milieu où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus.
C’est un art où le toucher est primordial, où l’on peut se retrouver très facilement proche et où il peut être difficile d’imposer une limite physique. Le tout sous le regard et les consignes d’un chorégraphe, souvent tout puissant, qui, par sa capacité de création artistique, exerce une fascination évidemment propice au mécanisme d’emprise.
Enfin, les danseurs ont un niveau de résistance à la douleur physique et aux brimades psychologiques bien supérieur à la moyenne puisqu’elles sont intériorisées depuis l’enfance.
Un corps au centre de tout, une dimension sacrificielle, une banalisation de la violence sous couvert de l’art, un système d’emprise et d’abus de pouvoir. Ajoutez à cela la dimension historique, sulfureuse et fantasmée de la danseuse souple et légère. Vous l’aurez compris, nous avons bien là les ingrédients d’un cocktail éminemment explosif, propice au développement des violences sexistes et sexuelles.
Pour étayer nos propos, nous avons transmis la semaine dernière un questionnaire à nos adhérents qui sont au nombre d’une centaine. Après avoir rappelé en introduction ce qu’était une violence sexiste et sexuelle, nous leur avons posé les questions suivantes auxquelles ils pouvaient répondre par « oui », « non » ou « je ne sais pas ». Dans votre parcours de danseur et ou de chorégraphe, avez-vous été victime de VSS dans le cadre de votre formation ? En avez-vous été victime dans un cadre professionnel ? En avez-vous été victime dans un cadre extraprofessionnel informel, de type sortie de spectacles ou autre ? En avez-vous été témoin dans le cadre de votre formation ? En avez-vous été témoin dans un cadre professionnel ? Avez-vous été témoin dans un cadre extraprofessionnel informel ? Auriez-vous un exemple à partager sous couvert d’anonymat ? Enfin, avez-vous des préconisations à formuler pour faire évoluer cette situation ?
En quatre jours, nous avons reçu soixante-dix réponses. Il semble que notre questionnaire ait dépassé le cadre de nos adhérents et que ceux-ci l’aient fait circuler auprès d’autres personnes. Il en ressort les chiffres suivants : 30 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles avaient été victimes de VSS dans le cadre de leur formation, plus de 43 % dans un cadre professionnel et 34 % dans un cadre extraprofessionnel. 31 % des personnes ont déclaré avoir été témoins de VSS dans le cadre de leur formation, 43 % dans un cadre professionnel et 35,8 % dans un cadre extraprofessionnel. S’ajoutent environ 10 % de « je ne sais pas », proposition de réponse que nous avons ajoutée délibérément.
Les réponses au questionnaire montrent bien qu’il existe non seulement une méconnaissance profonde de ces questions mais aussi une minimisation des faits observés. Ainsi, aux différentes questions posées une personne a répondu « non » mais a ajouté le commentaire suivant : « Je suis consciente que j’ai la chance de ne pas avoir été victime d’une situation de VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), si l’on exclut des insinuations à caractère sexiste que les danseurs ont appris à supporter. Heureusement, je n’ai jamais subi d’agression physique. » Il s’agit là d’une méconnaissance des signaux faibles. J’ai également relevé ce commentaire, ajouté à la suite d’une réponse positive à certaines questions : « Je ne peux rien dire. Désolée ».
Nous avons reçu des témoignages édifiants de personnes racontant les propositions indécentes qu’on leur avait faites, les brimades et les agressions sexuelles qu’elles avaient subies. Une personne a été victime d’un viol. Dans la plupart de ces témoignages sont évoqués l’abus de pouvoir et une position asymétrique face à des personnes détentrices d’une autorité – professeur, danseur avec un grade supérieur, chorégraphe, chorégraphe à la tête de centres chorégraphiques nationaux, programmateur de scènes conventionnées ou de scènes nationales, mais aussi conseiller de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) chargé de la danse au niveau régional.
Il faut comprendre l’écosystème. Passons le cadre de la formation où ces violences sont commises à tous les niveaux. Où les danseurs, une fois formés, travailleront-ils et dans quelles conditions ? À côté des grosses maisons que vous avez déjà auditionnées – opéra, ballet –, où les danseurs, majoritairement, ont suivi une formation classique et sont en CDI, il existe dix-neuf centres chorégraphiques à l’esthétique majoritairement contemporaine ou hip-hop, dirigés par des chorégraphes, dont trois seulement sont des femmes. Il existe en France environ 500 compagnies chorégraphiques indépendantes, majoritairement d’esthétique contemporaine et hip-hop et très peu d’esthétique classique ou jazz. Une écrasante majorité de ces compagnies chorégraphiques indépendantes sont des associations – 98%, selon les derniers chiffres qui datent de 2011.
Une compagnie est constituée d’un chorégraphe qui propose un projet artistique pour lequel il choisit ses collaborateurs, à savoir les danseurs, les techniciens et les musiciens. Il peut être aidé durant quelques jours par un chargé d’administration et de production, qui relève souvent du statut d’intermittent. Passé le temps nécessaire à réunir les fonds pour payer la location du studio durant un ou deux ans, vient le temps de la création où le chorégraphe entre enfin en résidence avec les danseurs. Ce travail dure en moyenne entre six et douze semaines, il est généralement découpé dans le temps. Les personnes travaillent dans des lieux qui varient au gré des partenariats conclus, avec des conditions d’accueil et d’hébergement très différentes. Le plus souvent, elles se retrouvent éloignées de leur domicile.
La grande majorité des chorégraphes, et donc des danseurs employés, exercent dans des compagnies indépendantes à l’économie fragile, constituées en association. Bien souvent, le chorégraphe relève lui-même du régime de l’intermittence et il ne figure pas dans le bureau de l’association qui promeut ses projets. Sur le chorégraphe pèse la responsabilité de mener à bien sa création et de la donner à voir. Mais il n’en a pas la responsabilité légale, celle-ci relevant du bureau, composé majoritairement de bénévoles n’ayant pas toujours une culture d’employeur très développée.
Depuis 2022, une obligation de formation ainsi que la nomination d’un référent ont été imposées et un dispositif de lutte contre les VHSS a été instauré. Dans le domaine du spectacle vivant, le respect des engagements prévus dans le plan de lutte contre les VHSS conditionne le versement des aides du ministère à toutes les structures susceptibles d’être subventionnées, y compris donc les compagnies indépendantes.
Néanmoins, il semblerait que son application soit difficile en raison du cadre qui est assez flou. En effet, la mise en œuvre de ces engagements fait l’objet de trop d’interprétations de la part des compagnies chorégraphiques, bien souvent constituées en association. Cela révèle une méconnaissance du secteur quant à sa capacité à appliquer la législation. Est-ce au chorégraphe ou au directeur adjoint d’une grande compagnie chorégraphique d’être référent VHSS ? Est-ce normal qu’une danseuse qui travaille régulièrement depuis dix ans dans un centre chorégraphique national n’ait jamais entendu parler de VHSS ni même du référent dédié à ce sujet ? À qui sont destinées ces formations ? Mes exemples ne sont pas pris au hasard mais tirés de ce que j’ai pu observer sur le terrain et en menant des entretiens.
Notre secteur est un petit milieu où tout le monde se connaît – chorégraphe, danseur, directeur de structure, agents de l’État ou des collectivités territoriales – mais où peu de personnes réagissent. Bien des compagnies et des chorégraphes tentent d’être vertueux, mais ils sont eux-mêmes affaiblis par un système où l’on manque de contre-pouvoirs. La sensibilisation, encore et toujours, doit s’adresser à chacun, quels que soient son contrat de travail ou sa position dans l’organigramme. Des référents VHSS doivent se fédérer pour pouvoir mettre plus de distance et pallier un manque de ressources humaines internes aux compagnies. Enfin, il est de la responsabilité de l’État d’être beaucoup plus vigilant, notamment dans l’examen des candidatures à des postes de responsabilité, pour qu’enfin se pose toujours la seule question qui ait son importance, celle du consentement artistique.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vos propos renvoient à des situations dont nous avons déjà beaucoup parlé dans le cadre de cette commission d’enquête. À chaque fois, les mêmes schémas se reproduisent. D’un côté, des personnes ont une passion, sont animées d’un désir de bien faire, et ont une fragilité intrinsèque liée à la crainte de ne pas réussir, de ne pas être à la hauteur ou de décevoir. De l’autre, des personnes ont le pouvoir et se soutiennent les unes les autres dans ce tout petit monde.
Dans certains témoignages que vous avez recueillis sont cités les directeurs de centres chorégraphiques nationaux ou des fonctionnaires des DRAC.
Mme Lucie Augeai. Exactement. Au moins trois témoignages font état de conseillers de la DRAC qui ont fait des propositions indécentes ou ont procédé à des attouchements lors de rendez-vous. Plusieurs personnes ont déclaré que des directeurs de centres chorégraphiques nationaux leur avaient fait des propositions indécentes – j’ignore s’ils sont encore en activité.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je rappelle que les personnes entendues sont protégées contre des actions en diffamation. Les noms de ces structures nous intéressent. Vous pourrez nous les communiquer ultérieurement afin que nous alertions le ministère de la culture, voire le procureur, le cas échéant.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vos statistiques sont édifiantes : 30 % des personnes interrogées disent avoir été victimes de VSS dans le cadre de leur formation. Pourriez-vous nous transmettre le questionnaire ainsi que les réponses anonymisées ? Cela nous serait d’une grande aide.
Les formations sont-elles lacunaires s’agissant de la sensibilisation aux violences morales, sexistes ou sexuelles ? Faut-il renforcer ce volet ? Cela pourrait-il être un levier pour améliorer la situation ?
La danse est le secteur artistique le plus encadré. C’est le seul dans lequel il est obligatoire de détenir un diplôme pour former des danseurs. La loi n’impose aucun prérequis ni le suivi d’aucune formation pour être professeur de musique dans une association ou dans un conservatoire communal. Ne faut-il pas renforcer la sensibilisation au rapport au corps, qui est très particulier dans le domaine de la danse ? Les formateurs ont une grande responsabilité à l’égard des jeunes danseurs et danseuses, dont le corps est fragile et la personnalité en construction.
Mme Lola Rudrauf. Il est évident qu’il faut renforcer cet aspect. La formation visant à obtenir le diplôme d’État ne comporte pas de volet relatif au consentement ou au toucher. Lorsque j’ai suivi cette formation récemment, ces thèmes n’y étaient pas abordés.
J’ai suivi une formation pour préparer l’examen d’aptitude technique, qui est une sorte de mise à niveau permettant ensuite de passer le diplôme d’État. Dans cette école privée, un professeur – qui n’était peut-être même pas diplômé d’État – nous lançait des chaises ou des objets lorsque nous n’appliquions pas ses consignes. C’est ce type de personnes qui sont chargées de former les futurs professeurs, ce qui soulève de nombreuses questions.
Mme Lucie Augeai. Le diplôme d’État est requis pour enseigner dans trois disciplines seulement : le classique, le contemporain et le jazz.
Selon les disciplines, le rapport au corps, au toucher et à l’enseignement n’est pas le même. La danse contemporaine a été créée en opposition à la danse classique : il s’agissait d’enlever les chaussons, de libérer davantage le corps.
Comme l’a souligné Lola Rudrauf, aucun volet de la formation n’aborde ces questions. Le diplôme d’État consiste à valider des unités d’enseignement (UE). D’abord, il s’agit de vérifier que la personne sait danser, puis elle doit valider quatre UE : anatomie-physiologie, histoire de la danse, formation musicale, pédagogie. Dans le cadre de l’UE pédagogique, ce sujet pourrait être abordé.
Il ne faut pas oublier que les professeurs, même diplômés d’État, reproduisent ce qu’ils ont vécu – se faire taper sur les doigts, balancer des objets – car c’est ainsi qu’ils ont appris la danse. Il faut lutter contre la reproduction perpétuelle de ces comportements, il faut briser la chaîne.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous avez dit que le rapport au corps était déformé. Comme dans le sport de très haut niveau, on apprend à se faire mal, à supporter la douleur ; on apprend que le mal est inhérent à la pratique et nécessaire à la progression. C’est un ferment de violences sexuelles ou morales. Comme vous l’avez très bien dit, les danseurs s’habituent à la douleur et à des choses auxquelles normalement ils ne devraient pas s’habituer. Peut-on pratiquer la danse sans avoir mal ? Ma question est peut-être un peu naïve.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ai pratiqué l’athlétisme à haut niveau et mes entraîneurs m’ont toujours appris le contraire : la douleur est un signal, elle prévient que quelque chose ne va pas. Négliger cette alerte peut coûter cher car on risque de se blesser. En visitant l’école de danse de l’Opéra national de Paris, nous avons constaté que la prévention avait désormais bien plus d’importance. Qu’en est-il dans les autres lieux de pratique de la danse ?
La question du rapport à la douleur est essentielle : apprendre à avoir mal, c’est aussi apprendre à excuser les maltraitances.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si nous ne savons plus écouter les signaux d’alerte qu’envoie notre corps, celui-ci ne nous appartient plus.
Mme Nadège MacLeay, coprésidente de l’association Chorégraphes associé.e.s. Je suggère d’inclure les pratiques somatiques dans la formation, par exemple les méthodes Feldenkrais et Pilates, pour percevoir le corps différemment et prendre de la distance vis-à-vis de l’effort, même si celui-ci est par ailleurs indispensable. Le Pilates a fait évoluer ma vision des corps : en tant que chorégraphe, on doit les appréhender comme des corps humains, et non seulement comme des corps de danseurs. Lorsqu’on y parvient, la transmission évolue, les mots et le toucher sont différents. Quand je travaille avec quelqu’un, il ne me viendrait pas à l’idée de le toucher sans lui demander son accord. Dans un cadre de respect mutuel, il ne peut pas en aller autrement.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je cite toujours l’exemple des médecins généralistes. Lorsqu’on leur a donné la consigne d’interroger les patients sur leur consommation d’alcool, ils ont d’abord objecté que cela relevait du domaine de l’intime. Or quand ils posent la question, les gens répondent. Aujourd’hui, il en va de même pour les violences sexuelles. On se fait une montagne de demander le consentement alors que cela permet de s’assurer qu’il est éclairé et, surtout, d’acquérir l’habitude de le donner, ce qui est essentiel.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre intervention nous intéresse particulièrement parce que la danse est une discipline où les problématiques de la création culturelle sont portées à leur paroxysme, en particulier le rapport au corps et à la douleur – la douleur de l’entraînement intensif n’est pas celle qui annonce la blessure.
Il faut aussi s’interroger sur le rapport de séduction. À l’occasion de l’audition d’un dramaturge, nous avons eu un dialogue très intéressant sur le désir que peut ressentir celui qui fait tourner comme celui qui fait danser. Comment peut-on gérer cet aspect ? Un chorégraphe peut souhaiter travailler avec une personne en particulier, dont le corps participera à faire naître l’émotion qu’il cherche à susciter. Néanmoins cela peut aussi entraîner des abus, lorsque le désir laisse place à la séduction, dans le cadre d’un rapport d’autorité.
Mme Lola Bertet. Le rapport de séduction apparaît très tôt. Il y a beaucoup de prétendants et très peu d’élus : si l’on veut avoir la chance de devenir danseur professionnel, il faut se démarquer. De plus, l’insertion est très dure ; on compte dix intermittents pour un permanent. Quand les enfants empruntent cette voie, ils ont conscience que ce ne sera pas facile. Tous travaillent d’arrache-pied. Donc il faut se distinguer, il faut plaire, il faut être l’élu au milieu de la foule. Pour y parvenir, il faut entretenir une forme de séduction. Les témoins de notre podcast nous ont raconté que dans un premier temps, l’intérêt de leur professeur leur plaisait : elles se sentaient remarquées. Le mythe de Pygmalion reste très présent : les danseuses espèrent qu’on va les distinguer, les porter, et qu’ainsi peut-être elles pourront devenir étoiles – c’est un peu l’histoire de Billy Elliot. Sur ce sujet, on ne peut pas éluder la dimension compétitive ni la dureté du milieu professionnel.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est d’autant plus vrai que la sélection n’est fondée sur des critères objectifs que jusqu’à un certain point ; ensuite, l’appréciation est plus artistique, donc également subjective. Vous dites que la volonté de réussir entraîne celle de plaire, mais la séduction ici ne relève pas du registre amoureux.
Mme Lola Bertet. L’une de nos témoins a été distinguée par son professeur lorsqu’elle était âgée de 15 ans. Elle passait vingt heures par semaine dans son cours. Il la remarque parce qu’elle est bonne élève et qu’elle danse bien, mais elle n’est pas la seule. Ensuite, il commence à lui prendre la main tout le temps pendant le cours. Elle dit : « comme des amoureux ». Au début, elle y voit une chance, celle d’avoir été repérée, de pouvoir progresser dans le milieu ; elle ne repousse pas tout de suite ce geste avec fermeté. Donc, bien sûr, cette enfant n’a pas voulu créer un rapport de séduction, mais elle va y participer, un tout petit peu, parce qu’elle ne comprend pas ce qui se passe, et parce que cela fait écho au mythe sous-jacent au secteur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est toujours pareil : elle a 15 ans, elle veut réussir, devenir danseuse étoile ; vous ne décrivez pas une séduction amoureuse. La comparaison qu’elle fait avec des amoureux montre qu’elle identifie que quelque chose est déplacé. C’est lui qui n’a pas à lui prendre la main, c’est lui qui se place dans une situation incorrecte.
Mme Nadège MacLeay. C’est lui l’adulte. La libération de la parole est essentielle ici : il faut que les gens parlent. On peut imaginer que les autres élèves de la classe en parlent aussi. Il faut éduquer. Si elle s’était permis de dire qu’elle ne trouvait pas normal qu’il lui prenne la main, il se serait peut-être arrêté. Le groupe aussi peut jouer un rôle.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ses collègues professeurs, les autres adultes, auraient pu le dire également.
Mme Lucie Augeai. La danse est une discipline collective, mais il est très rare que les professeurs assistent aux cours de leurs collègues. La salle de danse est un espace clos : on est face à une glace avec d’autres élèves et une figure d’autorité. Le rapport de domination est puissant. La danse est pratiquée dans les conservatoires, mais aussi dans de très nombreuses écoles privées : une seule professeure de danse dirige l’association et donne tous les cours. Elle est généralement vue comme une demi-déesse. Or personne ne vient vérifier ce qui se passe dans le cours – personne n’est invité à y venir.
J’ai recueilli le témoignage d’une danseuse que le chorégraphe avait embrassée sur la bouche à la fin d’une représentation. Sur le moment, elle avait été choquée, puis elle s’était sentie sur un petit nuage parce qu’elle avait l’impression d’avoir été élue. Elle y avait vu une situation romantique, qui lui avait donné des ailes. Il ne s’est rien passé de plus. On voit que même la personne victime a des réactions mêlées – il est difficile de s’extraire des représentations.
M. Erwan Balanant, rapporteur. On pourrait imaginer qu’une relation d’autorité, d’enseignement notamment, interdise d’entrer dans la séduction. Le professeur est aussi l’adulte ; l’enfant peut avoir le désir ou la volonté de recevoir son approbation, et ne pas comprendre ce qui se passe.
Vous avez évoqué la reproduction des pratiques – notamment avec l’exemple des objets jetés dans la salle de cours. Dans tous les milieux dont nous avons auditionné des représentants, nous avons constaté cette culture de violence contrôlée qu’il est difficile de qualifier. Comment la casser ? La formation peut-elle y participer ?
Mme Lola Bertet. Les enfants entrent très jeunes en pensionnat ; ils sont isolés, coupés de leur famille et les parents ne savent pas très bien comment ça se passe. Dans notre podcast, Florent Cheymol, docteur en psychologie, décrit un système fermé et autoréférentiel : il se pense lui-même et crée ses propres règles. On n’en sait pas grand-chose. Lui-même a constaté qu’il était très compliqué d’interroger les écoles sur leurs pratiques, d’ouvrir leurs portes pour savoir ce qui s’y passe, d’y faire entrer des personnes extérieures. Il faut peut-être d’abord ouvrir cet univers et y faire venir des tiers pour observer.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Peu de disciplines imposent d’entrer si jeune à l’internat – dès 9 ans à l’école de l’Opéra de Paris, où les enfants sont parfois très loin de leurs parents. De plus, dans les formations d’excellence en particulier, il arrive que ces derniers exercent une pression sur leurs enfants, parfois de manière inconsciente. Or cela fait obstacle aux signalements, car les enfants peuvent craindre de décevoir leurs parents. L’avez-vous perçu dans les témoignages que vous avez recueillis ?
Mme Lucie Augeai. Sur les mineurs, les mécanismes d’emprise peuvent s’exercer à tous les niveaux. Notre travail concerne davantage le milieu professionnel que la formation. On observe que la communauté met en place un système d’autorégulation. Les danseurs font circuler des mises en garde, sans nommer celui qui en est à l’origine. Les pairs sont prescripteurs, sous couvert d’anonymat.
Vous nous demandez des recommandations. On constate une méconnaissance de ce que sont les violences sexistes et sexuelles à tous les niveaux : les danseurs, les chorégraphes, les directeurs de structure. La formation sur les VHSS a permis d’ouvrir le débat, mais elle devrait concerner tout le monde.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La conscience qu’il s’agit d’une violence est très insuffisante. Ce que certains percevront comme une simple blague un peu lourde sera pour d’autres une violence, soit parce qu’elle rappelle un traumatisme, soit parce que la même remarque leur a déjà été répétée cinquante fois. Nous devons y travailler. Comment déclencher ce saut civilisationnel ? Comment casser la reproduction de ce que certaines appellent le patriarcat, parce qu’effectivement il s’agit d’un rapport au corps plutôt masculin ?
Mme Lucie Augeai. Par la parole.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Oui, mais la parole ne suffira sans doute pas, parce que les comportements se reproduisent. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de publier un rapport sur l’état du sexisme en France : les femmes sont de plus en plus féministes et les hommes de plus en plus masculinistes. C’est effarant.
Mme Nadège MacLeay. Il ne faut pas lâcher !
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Désormais, toute personne qui fait une blague raciste s’en rend bien compte ; ce qui était très commun n’est plus du tout accepté. Le racisme est loin d’avoir disparu de la société, mais les gens ont conscience de ce qu’ils font. Nous avons le même chemin à parcourir avec les blagues sexistes. J’ajoute que si certains les font par inconscience, d’autres les utilisent pour tester la résistance de leurs interlocutrices ; ils préparent le terrain, puis durcissent progressivement leur comportement, jusqu’à l’agression ou le viol. C’est un continuum : tous ne vont pas jusque-là, mais les blagues sexistes servent la stratégie de ceux qui veulent y aller.
Mme Lucie Augeai. L’intermittence impose un schéma spécifique. La plupart des contrats sont courts. Bien souvent, quand ça se passe mal, on attend le prochain contrat, qui parfois se passe mal aussi. Il y a des pauses. Au fur et à mesure, à force d’endurer ces violences, on s’y habitue.
La parole est importante. Il faut également repréciser ce qu’est une violence sexiste et sexuelle. Dans nos enquêtes, beaucoup disent qu’ils ne savent pas s’ils en ont déjà subies : je n’ai aucun doute que cela veut dire oui. Il faut parler, former encore, pour que les réactions deviennent systématiques. Les choses se mettent en place, mais cela prend du temps.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Certaines compagnies ont des référents VHSS, mais les danseurs peuvent-ils aussi s’adresser à la cellule d’Audiens ?
Mme Lucie Augeai. Oui, nous sommes complètement dans le champ d’action d’Audiens, la danse étant un spectacle vivant. Quant aux référents, leur désignation s’est faite dans une certaine précipitation. Les compagnies se sont mises à paniquer quand il leur a fallu appliquer cette nouvelle mesure en 2022. Elles ont fait comme elles ont pu dans les temps impartis, mais certaines choses ont été mal faites. Les situations varient beaucoup en fonction de la taille des compagnies. Dans une petite compagnie indépendante, qui a un chorégraphe à sa tête, vous trouverez en général un chargé de diffusion présent deux jours par semaine et des danseurs engagés au projet. Dans une compagnie plus grande, il peut y avoir cinq ou dix personnes dans les bureaux de l’administration. La formation aux VHSS a été essentiellement dispensée à ces personnels administratifs plutôt que vers les danseurs et techniciens qui font pourtant vivre la création de la maison.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les petites structures prennent souvent la forme d’une association dont le créateur a choisi une connaissance, sinon un ami, pour occuper la fonction de président. C’est un président conciliant, pour ne pas dire factice. La structure n’a que peu de salariés, parfois aucun. Lorsque des violences se produisent, qui est responsable ? Ne faudrait-il pas un dispositif transversal et extérieur dans ce type de situation ?
Mme Lucie Augeai. Ainsi que je l’ai rappelé dans mon propos introductif, 98 % des compagnies contemporaines sont constituées en association ; ce sont majoritairement de toutes petites structures. Il est un peu inutile de les obliger à désigner un référent VHSS. En revanche, il faudrait fédérer un réseau de personnes qui pourraient être référentes dans ces petites structures tout en leur étant extérieures. Cela s’est fait de manière presque naturelle dans certains endroits, comme j’ai pu le constater au cours des formations. En se formant pour leur propre structure, certaines personnes se sont rendu compte qu’elles préféreraient être référentes dans d’autres compagnies que la leur, pour avoir un regard extérieur. Il faudrait des réseaux de référents identifiés.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour que les gens soient informés, il faudrait créer une sorte de numéro national, régional ou départemental.
Mme Lucie Augeai. L’échelon régional me semble le plus intéressant, en tout cas pour les compagnies chorégraphiques. Je viens d’une grosse région, la Nouvelle-Aquitaine, où pourtant les référents se connaissent, savent qui est qui, même sans avoir forcément de lien ou de contact ! En fait, c’est un milieu où l’on se parle très peu entre pairs, où l’on a du mal à se fédérer. Il serait intéressant d’avoir des référents communs qui puissent intervenir dans l’une ou l’autre structure de la région.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Un peu à la manière des inspecteurs du travail dont ils n’auraient pas tous les pouvoirs, ils pourraient visiter, même de manière impromptue, des écoles et autres.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’aimerais revenir sur la typologie des violences. Dans le monde de la danse, où l’on a une forte conscience de son corps, j’ai l’impression que ce ne sont pas les VSS qui prédominent mais plutôt les violences morales et le management toxique. Peut-être allez-vous me contredire ? Peut-être mon impression est-elle due à mon habituel esprit Bisounours ?
Mme Lucie Augeai. Vous n’avez pas un esprit Bisounours. En comptant les questionnaires, j’ai recueilli une centaine de témoignages. Que ce soit des hommes ou des femmes, toutes ces personnes parlent d’abus de pouvoir, en ayant du mal à le relier à une VSS. On est dans un rapport vraiment féodal à une figure charismatique. On parle aussi de famille, ce qui suggère des mécanismes dans lesquels l’intime et le professionnel sont souvent mêlés. Dans les questionnaires, il est d’ailleurs symptomatique que certains disent écarter d’emblée des faits d’abus de pouvoir et de harcèlement moral, considérant que c’est hors sujet. Ils classent le harcèlement moral et les VSS dans des catégories distinctes, sans voir que l’un prépare un terrain propice aux autres. Dans notre milieu, c’est un phénomène très puissant, en raison de l’absence de contre-pouvoirs.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Outre cette absence de contre-pouvoirs, il y a des éléments sous-jacents qui constituent un terreau fertile à l’émergence de violences. C’est pratiquement intrinsèque à cet art. Quand on vous dicte en permanence la manière dont vous devez utiliser votre corps, il n’est pas évident de savoir où placer la limite. D’où l’importance de rappeler les limites parce que, quel que soit l’art pratiqué, notre corps nous appartient toujours et jusqu’à la dernière minute.
Mme Lola Bertet. J’aimerais citer un témoignage de violence faite au corps, recueilli pour le podcast. À l’âge de 10 ans, notre témoin était une excellente élève dans une école attachée au Ballet national de Marseille. Elle dansait très bien, mais elle avait un problème : la cambrure naturelle de ses pieds n’avait pas cette forme évoquant le cou des cygnes, attendue par ses professeurs. Ceux-ci lui ont demandé de forcer ses pieds par tous les moyens. Elle s’est alors mise, chez elle, à coincer régulièrement ses pieds sous une armoire pour faire un effet de levier. Et cela pendant des semaines. Ça a cassé : à l’âge de 11 ans, elle s’est cassé les deux pieds. Il lui a fallu des semaines pour pouvoir remarcher, après avoir dû subir des opérations. Quand elle est revenue dans son école, elle dansait moins bien qu’avant, on s’est désintéressé d’elle. Elle a quitté cette école à la fin de l’année pour réintégrer le système scolaire normal. Elle est revenue à la danse, mais beaucoup plus tard, d’une autre manière, et, dit-elle, cassée. C’est une forme de violence. On peut dire qu’elle n’était pas obligée de s’infliger ces exercices, mais elle entendait les demandes incessantes de ses professeurs : « Est-ce que tu forces tes pieds ? Il faut que tu le fasses ».
Mme Nadège MacLeay. Mais on ne lui a pas dit comment faire.
Mme Lola Bertet. On lui a demandé de forcer avec des lanières et des poids, autant d’exercices qui n’étaient déjà pas indiqués. Quant au recours à une armoire pour faire levier, c’est une technique connue et répandue.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. À la lueur de ce témoignage, le fait qu’un professeur tienne la main paraît vraiment anodin. Quand on en vient à se mettre une armoire sur les pieds, la limite est complètement dépassée, floutée ou invisibilisée. Dans cette commission, nous avons entendu beaucoup de personnes, notamment Judith Godrèche et Adèle Haenel, témoigner de faits survenus pendant leur adolescence. Elles se décrivent à 15 ans, face à un grand réalisateur ou professeur de danse. Elles racontent avoir eu le sentiment d’être l’élue à ses yeux, s’être laissée prendre, n’avoir pas su dire non. C’est maintenant qu’elles savent mettre les mots, disent-elles.
Dans tous les cas, rappelons que ce sont les adultes qui doivent encadrer. S’agissant de l’histoire du cou-de-pied, il me semble tout à fait incongru que des adultes puissent proposer aux élèves de faire des exercices en dehors de leur surveillance. Un élève tout seul dans sa chambre peut faire des bêtises. Il n’est pas possible que des enseignants demandent à leurs élèves de faire sans surveillance des exercices aux effets potentiellement destructeurs. Qu’en pensez-vous ?
Mme Nadège MacLeay. Quand on enseigne la danse, on doit normalement être détenteur d’un diplôme d’État et avoir abordé ce genre de sujet durant sa formation. En tout cas, dans le domaine du contemporain d’où je viens. Quand on prépare un diplôme d’État ou un certificat d’aptitude, on suit des cours de pédagogie où il est question du respect de l’élève, des limites à ne pas dépasser dans l’effort. Je sais moins ce qu’il en est pour le classique, dont l’esthétique est particulière et où tout est bon pour obtenir le cou-de-pied idoine. C’est aux professeurs de s’emparer de ces sujets. À l’évidence, se casser le pied ne présente aucun intérêt.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est le moins qu’on puisse dire ! Pourriez-vous nous donner une échelle de salaires pour les danseurs et danseuses, en dehors des formations telles que l’Opéra de Paris ?
Mme Lucie Augeai. Dans le milieu contemporain, la plupart des danseurs exercent sous le régime de l’intermittence. Dans les dix-neuf centres chorégraphiques nationaux déjà cités, il n’y a que quatre danseurs permanents, qui viennent d’ailleurs de l’univers classique. Pour les danseurs contemporains, le constat est un peu implacable : le métier n’est pas facile ; on y est soumis à des brimades et des contraintes diverses et variées ; il n’est pas vraiment rémunérateur. C’est à se demander pourquoi on le choisit !
Plus on travaille, plus on gagne de l’argent. Le travail d’un danseur se découpe en deux périodes : le temps de création qu’il passe en studio du lundi au vendredi ; le temps de la diffusion du spectacle où il part en tournée. Il arrive que des contrats se chevauchent et que le danseur ne soit plus disponible pour la tournée du spectacle qu’il a créé. Il y a des conflits d’emploi du temps de ce type. On peut subir une chute de revenu parce qu’on doit abandonner un projet, ou que la tournée prévue n’a pas lieu alors qu’on avait renoncé à d’autres contrats pour pouvoir y participer. Toujours est-il que les revenus d’un danseur se situent au niveau du smic, pas beaucoup plus.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Venons-en aux enseignants. Pour votre part, vous dépendez des DRAC. Les écoles ont-elles les moyens suffisants pour financer des référents VHSS ? On peut imaginer un financement par le ministère, les DRAC, ou les conseils régionaux mais aussi, à terme, par les structures, comme c’est le cas dans le cinéma. Pensez-vous que les écoles pourront supporter le financement d’un emploi ? Dites-le bien fort, histoire que nous trouvions d’autres solutions !
Mme Lucie Augeai. Tout dépend de quelle école on parle. S’agit-il d’un conservatoire, d’une école supérieure ou d’une association ? Sans me faire la porte-parole de ces institutions, je dirais qu’elles ne me semblent pas en avoir vraiment les moyens. C’est l’opinion personnelle d’une personne qui ne représente pas ce secteur.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il me paraît embêtant de financer sur fonds publics des actions relevant du droit du travail qui pourtant s’impose à tous. Si nous devons trouver des moyens pour pallier toutes les lacunes en la matière, ça va devenir difficile. En revanche, la formation est du domaine de la puissance publique. Il est sûrement possible de prévoir un tronc commun solide à toutes ces formations, où seraient abordées les VSS, les violences morales, les pratiques de management et la pédagogie. À présent, il ne manque pas de gens compétents pour intervenir sur ces sujets. Reste à trouver un moyen d’intégrer aussi ces thématiques dans la formation continue.
La conditionnalité des aides est une bonne piste de réflexion. La structure doit avoir un protocole écrit et précis sur la prévention, certains prérequis et la gestion d’éventuels signalements. Le secteur de la danse pourrait peut-être s’inspirer des initiatives qui ont été prises en ce sens dans celui de la musique.
Avez-vous l’impression que les choses évoluent quand même dans le bon sens ? Quand ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui bloque ?
Mme Nadège MacLeay. Au moins, on en parle plus, ce qui est un début. Il faut que les victimes et les témoins puissent parler, et qu’il y ait en face des gens pour les écouter. L’amélioration passe par là. C’est un cheminement, comme pour les blagues racistes. Il ne faut pas lâcher, il faut continuer à en parler, légiférer.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Et sanctionner !
Mme Nadège MacLeay. Oui, il faut sanctionner. La situation s’améliore dans le sens où l’on parle plus des VHSS.
*
* *
La commission auditionne ensuite Mme Nadège Beausson-Diagne, actrice, et M. Abdelhakim Didane, comédien et metteur en scène.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos auditions en recevant Mme Nadège Beausson-Diagne et M. Abdelhakim Didane. Madame Beausson-Diagne, vous êtes comédienne et avez contribué, en 2018, à l’essai Noire n’est pas mon métier. Monsieur Didane, vous êtes comédien et metteur en scène, à la tête de votre propre compagnie, Draoui Productions, et vous avez récemment publié une tribune dénonçant le racisme dans le monde du théâtre et du cinéma. Je vous remercie tous les deux très chaleureusement d’avoir bien voulu vous prêter à cet exercice, qui n’est pas facile.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. Le racisme est évidemment une violence et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre aujourd’hui. Quel état des lieux faites-vous de vos milieux professionnels respectifs ? Quelle politique devrait être mise en œuvre pour faire diminuer cette violence ? Madame Beausson-Diagne, subissez-vous une forme de double peine, en tant que femme racisée ?
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Beausson-Diagne et M. Didane prêtent serment.)
Mme Nadège Beausson-Diagne, actrice. « — T’es épilée comment en bas ? Ticket de métro ou pas ? »
« — Eh, la bamboula, vos personnages vont vraiment bien ensemble avec Ludo ! »
« — Tu peux faire plus " Y a bon Banania " ? »
« — T’habites porte de Champerret, je peux venir te voir le soir quand je promène mon chien. Mais faut être discrets, je suis marié et, en tant que star télé, faut faire attention aux paparazzis ! Après, quand ma femme est pas là, j’ai une piscine chez moi ! On t’a déjà baisée dans une piscine ? Ouais, je suis ton boss, mais tu pensais quand même pas que je t’avais invitée à déjeuner pour parler boulot ! »
« — Tu couches aussi avec des blancs ? »
« — Regarde dans quel état tu me mets ! Tu me fais bander dur. Tu veux pas t’asseoir sur ma bite avant le tournage ? »
« — Oh, ta mère aussi est bonne ! C’est un truc de famille ! »
« — Wouah, ce cul ! Ben, t’étonnes pas que les mecs aient envie d’y mettre les doigts ! »
« — Ma tigresse, tu dois être bien chaude au lit, toi ! »
« — On t’aurait bien donné le premier prix, mais t’es noire, donc tu feras pas carrière ! »
« — T’es tellement intelligente, t’aurais mérité d’être blanche ! »
« — Ce qui est chiant avec vous les renoi, c’est que quand vous nous sucez, avec vos tissages, c’est relou quand on vous tient par les cheveux ! »
« — Quand je te regarde avec ton afro, ben ça sent le monoï à la télé ! »
« — C’est vraiment du gâchis : ton mec, le musicos, il est malvoyant, donc il te voit pas vraiment ! Avec un corps pareil, c’est con. Avec moi ça aurait pas été comme ça ! »
« — Mais du coup, tu peux le tromper, il verra pas ! Hin hin. »
« — Il sait que t’es noire, comme il te voit pas ? Hin hin. »
« — La répétition était super, bravo ! Mais t’aimes la sodomie ? Si pour Noël je t’offre un string rouge, c’est déplacé ? »
« — Si je paie ton loyer, tu couches avec moi ? »
« — Si je t’offre des diamants, tu couches avec moi ? »
« — Vous, les Sénégalaises, c’est dingue comme vous adorez vraiment les chaussures ! »
« — T’as dû te fermer beaucoup de portes à pas laisser d’ambiguïté avec les hommes avec ta grande gueule ! »
« — Ça va, je t’ai touché rapidement les seins, tu vas pas faire chier pour ça ! »
« — T’es Eye Haïdara, toi, c’est ça ? »
« — T’es Aïssa Maïga, toi, c’est ça ? »
« — T’es Amandine Gay, toi, c’est ça ? »
« — T’es Sara Martins, toi, c’est ça ? »
« — T’es Sandra Nkaké, toi, c’est ça ? »
« — Ta voix grave, ça fait vraiment travelo ! Tu peux pas la changer ? Sinon, tu parles africain ? »
« — Bon, ben ok, c’est la photo d’une autre actrice dans le journal pour illustrer un article sur toi. Mais le principal, c’est que la critique sur toi soit géniale, non ? Oui, bon, ils ont confondu deux noires mais ça aurait pu arriver aussi avec deux blondes ! »
« — Si tu t’es fait agresser sexuellement par cette productrice, c’est que t’as encore des trucs à régler ! Je veux dire : tu t’es fait violer enfant, ben, c’est que tu cherches un peu, nan ? »
« — C’est vraiment pas féministe de porter plainte contre une femme ! »
« — Si les policiers t’ont crue quand t’as porté plainte, c’est parce que t’as joué la commissaire Douala dans Plus belle la vie ! »
« — Je savais pas qu’on n’avait pas le droit de toucher les cheveux des noires ! Ben ouais, moi j’ai pas beaucoup de cheveux, donc quand je vois ta grosse touffe, ça me donne envie d’y mettre les mains ! »
« — Je peux pas avoir mis la main sur ton sexe, comme tu dis : je suis pas lesbienne ! »
« — Une main sur la chatte entre amies, ça va, on va pas porter plainte pour ça ! »
« — Oh, ça va, toutes les femmes ont été violées ! »
« — Je t’ai coupée au montage, ok, mais c’est pas parce que t’as pas voulu coucher avec moi ! Sinon, tu veux pas qu’on se voie en scred, juste comme ça ? Attention, c’est pas une story ! »
« — On n’a jamais vu quelqu’un qui voulait rompre un contrat ! 12 000 euros, c’est pour le préjudice moral. On t’a pas choisie parce que t’étais noire ! Et je te rappelle qu’à la base tu devais avoir qu’un petit rôle ! On t’offre un second rôle et, pour nous remercier, tu pars tourner un rôle principal pour une série ? Ok, on te fait pas faire de promo et tu es moins payée que les autres, mais faut comprendre qu’il y a les stars et qu’il y a les autres ! Oui, on sait, ton partenaire de jeu te regarde par le trou de la serrure quand tu te déshabilles dans ta loge ! Oui, on sait, l’autre actrice a exigé que t’aies qu’une chanson et pas de solo de danse ! Oui, on sait, elle t’a poussée pour te faire tomber, bon ça va, t’as qu’une entorse ! Oui, on sait, tu chouines tous les jours dans ta loge parce que t’es harcelée. Qu’est-ce que vous pouvez être victimaires, vous ! Mais, comme on te le répète, on t’a pas choisie parce que t’étais noire ! Donc c’est 12 000 euros si tu veux partir ! Oui, et en une seule fois. Et, pour info, je te grille dans tout Paris ! Tu travailleras plus, ma pauvre fille ! Et lettres recommandées tous les jours ! Ta production de télé, je vais les appeler pour qu’ils te prennent pas et, quand tu voudras rejouer au théâtre, j’appellerai la production pour leur dire que, s’ils te dégagent pas, je leur ferai pas faire de promo dans mon émission ! Ah ouais, attends, et toutes les fois où je devrai te présenter dans mon émission, je dirai pas ton nom ! Je dirai les noms de tout le monde mais pas ton nom ! Je suis le roi de la télé, moi, ma pauvre fille, toi, t’es rien ! Et sache que ta metteuse en scène te dira plus bonjour jusqu’à ton départ, c’est pas nécessaire ! Je te répète : on n’a jamais vu quelqu’un qui voulait rompre un contrat, jamais ! »
« — Quand tu seras Beyoncé, tu pourras avoir des exigences ! »
« — Alors oui, le personnage s’appelle Blanchette. C’est parce que Michel est sur le plateau, il t’appelle « Blanchette ! Blanchette ! » et quand t’arrives, ben ça fait marrer les gens ! »
« — Moi, je déteste les Arabes. Toi, ça va, t’es noire, mais les Arabes ! Pis en plus t’as les traits fins. Ta mère est métisse, c’est ça ? Ta grand-mère est blanche, ça passe. Mais les Arabes, je peux vraiment pas ! Rien à voir, je suis pas raciste : regarde, j’t’aime bien ! Mais bon, on la maquille pas trop belle quand même ! »
« — Comment ça, le fond de teint ça va pas ? Ben, c’est celui pour Firmine Richard ! C’est quoi le problème ? »
« — J’ai tellement envie de sucer ton petit frère, c’est fou ! Qu’est-ce qu’il est sexy ! C’est vrai la légende des grosses bites ? »
Florilège de ce que j’ai déjà entendu des extraits tout dire j’aurais pas pu
Femme noire survivante du néant
Depuis plus de trente ans
Théâtre télévision cinéma
Vous parle mais déjà j’ai mal déjà
Morte tellement de fois
Fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus
Je ne me tairai pas
Prix à payer ? Je le connais déjà
Poids de la liberté ? Je le traîne avec moi
Femme noire survivante du néant morte tellement de fois fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus je ne me tairai pas entendre mon corps pleurer mes larmes laisser hurler apaisée ici-bas révolution trauma
Artiste aux mille voies
Mes passions mes grandes joies
Rêve de petite fille devenu réalité
Pensais jamais ma vie voir broyée
Déchiquetée
Hypersexualisée
Objetisée
Rêves dans les égouts jetés
Noire avant d’être moi conservatoire déjà
Que les bonnes chez Molière
Point de Juliette Camille brutalité amère
J’en parle pas à ma mère
J’ai 17 ans et toute une vie
J’ai 17 ans et c’est fini
Mais la guerrière en moi travaille
De violence en déni les larmes en bataille
Instant de répit : Alain Maratrat
Première pièce de ma vie je suis choisie pour
Moi
Alors naïvement j’ai soudain cru mon talent plus fort que d’être nue j’ai 21 ans premier cachet pas gâché point le temps de détailler tous les rôles que j’ai interprétés mais politiquement je peux expliquer combien nos corps racisés sont exploités racisme et violence de notre société dans notre industrie en miroir bien reflétés femme noire la spécificité racisme et sexisme au taquet misogynoire de mes regrets
Chanceuse j’ai travaillé combien de sœurs ont renoncé malgré la douleur malgré les traumas je suis là
Savez-vous combien c’est douloureux
De rabâcher pour elles
Pour nous
Pour moi
Pour eux
Corps paillasson pour essuyer
Domination de la société
Vous m’avez convoquée
J’aurais préféré être invitée
Les mots ont un sens et un poids
Dans ce cas il est lourd de nos traumas
J’eus espéré que cela allait changer
Noire n’est pas mon métier
Ouvrage collectif nous avons livré
Merci Aïssa Maïga pour la sororité
Mais c’est une question politique
Je sais ça gratte ça pique
Pas une question d’éthique
Violences systémiques
Patriarcat erratique
Ma noirité les oppressions question des représentations liées à notre histoire
Dire que je suis noire pas black est un devoir
Esclavage colonisation capitalisme
Besoin de certains corps à inférioriser pour
Exploiter avec cynisme
Organisation de domination raciste
En lettres d’or pour violences systémiques
Pas une question morale
Suprématie blanche rose pâle
Notre industrie du divertissement ne peut
Échapper
Au système de privilèges exacerbés ras-le-bol d’être essentialisée réfléchir à qui détient quoi ?
Qui raconte quoi ?
Qui gagne quoi ?
Qui parle pour qui pour quoi ?
Qui sont les décideurs de télévision ?
Qui sont les directeurs directrices de théâtres ?
Qui sont les distributeurs de films ?
Qui dirige les festivals ?
Des miettes souvent seront distribuées aux Buttes-Chaumont du mépris pour nous calmer
Mais les rôles importants sans préjugés les récits inclusifs bien racontés sans poncifs biais racistes sur ma main peux compter
Noire avant d’être moi je n’échappe pas au cliché plafond de verre même si je ne veux pas
Je vous invite à contacter la brillante
Marie-France Malonga
Ses travaux sur la question sont déjà là
À l’initiative du MeToo dans le cinéma
Africain
#mêmepaspeur
Avec Azata Soro ma courageuse sœur ma parole sur la pédocriminalité que malheureusement j’ai expérimentée mes travaux mes idées souvent copiées voire exploitées
Systématiquement effacée jamais citée
Du MeToo du cinéma français
Actrice française violée trop loin
Pas imaginé de visa avoir besoin
Pour être reconnue ici-bas
Comme victime de ce combat
Mais rassurez-vous j’ai été violée ici aussi ben
Oui
Animateur télé producteur productrice tutti quanti
Je ne suis pas une exception
Une triste chaîne de ce maillon
Faible mais forte courageuse en bataillon
Je n’ai pas le choix
Je me le dois
Le prix à payer est redoutable
Ma vie déjà précarisée lourd cartable
Femme racisée je parle j’ai payé
Mon travail a petit à petit diminué
Pour finalement plus exister
Mais moi je ne suis pas une privilégiée
On nous demande inlassablement de parler
Sans jamais être politiquement écoutés
Je ne travaille plus comme actrice je dis non aux rôles stéréotypés je crée et joue ma propre pièce Mon corps est une révolution !
Je ne suis plus intermittente parce que je ne fais plus mes heures depuis des années je paie mes prises de parole en étant blacklistée
Je suis menacée de mort parce que j’aide à dénoncer des pédocriminels des agresseurs du métier
Je suis surendettée parce que j’ai dû payer une production pour retrouver ma liberté qui des années après m’a fait virer d’un projet
Je n’ai pas gagné mon procès en tant que victime d’agression sexuelle contre une productrice blanche bourgeoise relaxée pas innocentée
Je n’ai pas pu aller à l’audience en choc et réminiscence de trauma après un an de crises d’agoraphobie quand appelons-la... Paupiette elle était à l’audience accompagnée du gratin dauphinois du cinéma français puis en interview dans un grand magazine moi j’étais avalée par mon canapé en état de crise tétanisée idées de suicide à mes côtés boulimie dégoût de moi-même et autres joyeusetés
Je refuse d’éduquer sans être payée des blancs et blanches bourgeois bourgeoises adultes qui ont accès à des ouvrages sur le racisme la misogynoire les différentes oppressions c’est politique tout cela est politique je vous regarde en silence… c’est politique
Écrire c’est mon métier ma passion mais ce texte-là
M’aura coûté des larmes des cris psychiques des insomnies pourquoi ?
Citoyenne je fais mon devoir ça je le dois aux générations qui arrivent après moi déblayer la gravité violente des gravats de ce métier qui m’anime mais des fois est douloureux quand il ne dépend pas de la dynamique interne de ma poésie trauma
Pour Ebony qui à la Star Academy reçoit la merde vomie des racistes ici-bas pour Aya Yseult Nozha Aïssa Camélia Tatiana Sandra Candice Djebril Franck et ceux celles que je ne cite pas
Je hurle lève mon poing arc-en-ciel vers l’au-delà
Je ne fais qu’un constat et compte sur vous déjà
Pour écouter en alliés ça serait un premier pas
Pour ne pas justifier l’horreur systémique de tout cela
Je vous invite à réfléchir à la question des quotas
Qui a permis entre autres à plus de femmes d’être là
Je vous invite à réfléchir à une dynamique positive de casting inclusif avec des personnes dont c’est la problématique pour la mettre en place
Je ne viens pas d’un pays qui s’appelle la diversité
Fourre-tout hypocrite dans lequel on peut tout trouver
Je vous invite à travailler profondément sur les biais racistes avec lesquels vous avez été élevés pour ne plus les perpétuer c’est un travail indispensable je vous invite comme je l’ai fait dès 2019 à travailler sur la question de la réception de la parole des victimes de violences sexuelles dans les différentes productions sachant que notre industrie obéit au droit du travail et ne doit aucunement bénéficier d’un traitement de faveur
Je vous invite à réfléchir à comment imposer au sein des différentes directions des personnes racisées compétentes et à les payer à la hauteur de leur travail je vous invite à chaque fois que vous êtes les seuls blancs et blanches dans une pièce à vous demander où sont les personnes racisées
Où sont les personnes en situation de handicap ?
Je vous invite à vous demander pourquoi de toutes les actrices que vous avez entendues sur la question des violences sexuelles aucune n’était racisée ou si peu et si vous ne perpétuez pas de la violence de la discrimination et de l’invisibilisation sachant que nous femmes racisées sommes plus victimes de racisme sexisme et violences sexuelles où sommes-nous dans cette commission ?
Le prix à payer pour cette parole est tel qu’elles ont plus à perdre qu’à gagner c’est vrai et je les comprends elles ont raison
Je pense à vous mes sœurs nous sommes ensemble
Sur ce sujet lisez impérativement l’article du journal La Déferlante des brillantes journalistes Christelle Murhula et Estelle Ndjandjo
Nous victimes de violences sexuelles de
Racisme de sexisme dans notre industrie et
Notre société
Devrions être protégées
Choyées et soulagées
Une partie de moi est morte avec la
Brutalité endurée dans la société et dans
Mon métier
C’est un fait
Cela le sera à jamais
Une tragédie grecque à l’heure d’internet ce poids des abus subis physique psychique cela a un prix à chaque fois effraction ressentie sur l’échelle de Richter en fracas magnitude un milliard de traumas la société devrait me dédommager pour la violence depuis que je suis née au lieu de cela je ne fais que parler parler parler parler et encore parler
Quand la société ne nous écoute pas piétine nos vies nos traumas je paie mes soins psy pas remboursés pas une collectivité de soins c’est délibéré stratégie cynique d’inverser la charge des victimes et bourreaux qui se déchargent
Après ce texte-là je ne parlerai plus
Je l’ai fait tant de fois en vain suis vaincue
Ce n’est pas contre vous c’est pour moi
J’ai miraculeusement réussi à être là
Maintenant je repars en poésie
Celle qui transforme la violence de ma vie
Pendant que nous pleurons sur nos souffrances
Les puissants ironisent produisent gagnent
De l’argent ô douce France
Cher pays de mon enfance
Oui je repars en poésie mon désormais pays
Femme noire survivante du néant morte tellement de fois fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus je ne me tairai pas entendre mon corps pleurer mes larmes laisser hurler apaisée ici-bas révolution trauma chevalière des arts et des lettres récemment nommée
Saute dans ma rutilante armure dorée, siffle mon nuageux fidèle destrier plus jamais peur je ne vais pas m’arrêter Kery l’a déjà dit et je le redis à l’échec pas condamnée
Milliard de fucking étoiles combat à livrer
M. Abdelhakim Didane, comédien et metteur en scène. Je suis très heureux et ému d’être là, moi l’enfant de l’un des quartiers les plus pauvres de Marrakech. Je suis comédien, metteur en scène, et écrivain. Aujourd’hui, je viens vous parler non seulement de mon parcours, mais aussi des défis que j’ai rencontrés dans le milieu du théâtre, un secteur qui, en dépit de ses belles promesses, peine encore à refléter la diversité de notre société. Je suis ici pour partager mes expériences et soulever des questions qui, je l’espère, feront avancer le débat sur la représentation et l’inclusion dans la culture en général.
Je suis arrivé en France le 16 septembre 2000, ne parlant pas un mot de français. En parallèle à mes études universitaires, j’ai travaillé dans divers domaines : maçonnerie, restauration rapide, bagagiste à l’aéroport, assistant d’éducation dans un lycée et agent de sécurité, avant d’obtenir un master d’ingénieur mathématicien et d’entamer une carrière d’ingénieur dans le domaine spatial. Pourtant, un vide intérieur est apparu, me poussant à changer de direction pour me consacrer pleinement à mes passions : le théâtre, le cinéma, l’écriture et la poésie. J’ai intégré le conservatoire de théâtre de Toulouse, où j’ai vécu une expérience intense et enrichissante. Mais rapidement, j’ai compris que mon identité de noir et arabe allait faire face à des murs invisibles, faits de stéréotypes, de racisme et d’invisibilisation. Ce fut un choc, mais aussi une prise de conscience qui m’a poussé à m’affirmer et à m’engager dans une lutte pour une autre vision du théâtre.
Dans ma carrière, j’ai souvent été réduit à ma couleur de peau, à mes origines, comme si c’était le seul prisme à travers lequel on pouvait me voir. On me proposait des rôles stéréotypés de noir ou d’arabe et chaque rencontre semblait ramener cette idée que je n’étais rien de plus qu’un corps sans intellect. Le message était clair : ma présence artistique n’était pas suffisante. On me disait que, pour avancer, il me fallait un partenaire blanc pour légitimer mon travail. C’était une forme d’humiliation qui remettait en cause ma place dans le milieu et en France.
La situation politique actuelle, surtout les dernières élections législatives, ont créé un traumatisme chez beaucoup de binationaux. Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés réduits à une simple variable d’ajustement électorale, perçus comme non-bienvenus, et souvent considérés comme n’étant pas de vrais Français. Les insultes ont fusé dans tous les sens, la peur et la méfiance aussi. Et quand je me retrouve au théâtre, dans ce milieu où je pensais être en sécurité, j’ai le sentiment que je n’ai ma place nulle part. Le théâtre et le cinéma comme certains médias ont joué un rôle dans cette situation, en invisibilisant les parcours des citoyens issus de la diversité et en se focalisant sur des parcours négatifs.
L’autre frustration majeure est l’essentialisation que l’on fait de notre identité. Être noir ou arabe signifie-t-il nécessairement que je dois jouer les rôles d’Aimé Césaire ou de Kateb Yacine ? On nous conseille souvent des films, des livres, des pièces de théâtre qui parlent de nous sans nous, avec une victimisation et une vision réductrice. Pourquoi ces auteurs sont-ils les seuls représentants de mon identité ? À force, je n’aime plus Aimé Césaire, je n’aime plus Kateb Yacine. D’ailleurs, dans la rue, on m’arrête souvent et on me dit que je ressemble à Fabrice Éboué ou à Kamini, ce qui montre à quel point être noir et avoir des cheveux longs est synonyme d’une appartenance. Ce manque de diversité dans le milieu du théâtre et de la culture réduit l’imaginaire collectif. On me voit comme rigolo, danseur, rappeur, conteur, mais jamais comme comédien, metteur en scène, écrivain. J’ai tout autant le droit d’aimer d’autres auteurs comme James Joyce et de ne pas me voir enfermé dans une case.
Certaines personnes me disaient même de partir vers la Méditerranée, car là-bas des gens comme moi travaillent avec des gens comme moi. Cela m’a souvent donné l’impression qu’on voulait me faire croire que mon seul destin était d’occuper une place dans les quartiers populaires, comme si je ne pouvais pas être acteur de ma propre réussite ailleurs.
À l’heure actuelle, la seule diversité qu’on voie dans le théâtre se résume à l’entretien ménager ou aux agents de sécurité. Lors des événements culturels, je suis souvent le seul noir de la salle, confronté à des regards étonnés, parfois des sourires bienveillants, mais aussi pris pour l’agent de sécurité.
Mes camarades artistes malheureusement ne sont pas sensibles à cette question car ils ne s’aperçoivent même pas du problème de jouer entre blancs devant un public monochrome. Ou ils ne se questionnent pas.
Face à cette réalité, j’ai pris la décision de créer plutôt que de me contenter de dénoncer. C’est ainsi qu’est né le projet Boxe-Théâtre, qui ne se limite pas au simple atelier de théâtre éphémère ou à l’animation socio-culturelle, mais qui a un rôle profond et concret : combler le vide laissé par les théâtres dans nos quartiers et accompagner la professionnalisation des comédiens et comédiennes issus de la diversité. Ce programme est né dans les quartiers populaires, là où beaucoup d’artistes potentiels se sentent invisibles et où les rêves de théâtre sont souvent jugés comme inaccessibles. Nos quartiers regorgent de potentialités, de talents ; encore faut-il les écouter sincèrement, sans fantasmes ni projections réductrices.
Boxe-Théâtre est un espace de création et d’émancipation, où les jeunes artistes peuvent se projeter sans être enfermés dans des rôles préétablis. C’est aussi un moyen de démontrer que chacun, quelle que soit son origine, peut se réaliser sur scène et dans la vie professionnelle.
Ma dernière création, Syba, un seul en scène qui traite de la question de la biculturalité et de l’équilibre que j’ai trouvé pour m’épanouir avec mes deux cultures, rencontre un vrai public, un public qui représente la diversité française. À chaque fois que je joue, le public est au rendez-vous, alors que les salles de théâtre sont souvent désertées par les spectateurs issus de la diversité qui ne se sentent pas représentés. Permettez-nous d’échouer pour mieux rebondir, permettez-nous de créer, de prendre des risques sans nous juger. Soyez avec nous, non pas au-dessus de nous.
Je suis convaincu que le théâtre est un outil essentiel d’émancipation et de réussite. Pour moi, tout est théâtre. Le théâtre devrait devenir une matière essentielle, enseignée au même titre que les mathématiques et le français, car il offre des compétences nécessaires dans la vie active. Même pour ceux qui ne souhaitent pas devenir comédiens ou acteurs, le théâtre leur permet d’acquérir des codes de la société. C’est un moyen d’apprendre à s’exprimer, à interagir et à s’épanouir. Les jeunes, souvent prisonniers de croyances limitantes, pensent que le théâtre n’est pas fait pour eux. Mais il peut être l’un des moyens les plus puissants pour élargir leurs horizons et les préparer à affronter la vie avec confiance.
Pour permettre à d’autres comme moi de s’épanouir dans le théâtre, je propose quelques solutions concrètes : tout d’abord, l’intégration de quotas pour garantir une véritable diversité dans les rôles et les productions. Je sais que cela pose un problème car nous n’avons pas le droit de faire de statistiques ethniques. Je le sais, mais ce n’est pas mon problème, nous avons des scientifiques, des sociologues et plein de compétences pour créer un outil qui permette d’intégrer les quotas. Testons plutôt que de laisser ce vide sidérant persister et se transmettre de génération en génération.
La question de la diversité doit être intégrée dans les formations artistiques, en particulier dans les écoles de théâtre et dans des institutions comme Sciences Po, si ce n’est pas encore fait. La création d’un baromètre de la diversité permettrait de suivre la représentation des minorités dans le théâtre et le cinéma, les rôles stéréotypés, ainsi que l’accès aux postes de direction. Il conviendrait aussi d’ouvrir les postes de décision à la diversité, pour enrichir les propositions de projets culturels plus justes pour la société.
Enfin, le cinéma et le théâtre doivent évoluer et cesser de réduire la diversité à des rôles de délinquants, de terroristes, d’agents de sécurité, de victimes ou de personnes à sauver. Nous pouvons aussi être des médecins, des ingénieurs, des ministres, des astronautes, des fins stratèges, des chefs ou même jouer une banale histoire d’amour sans aucune colorimétrie. Il est temps de repenser les récits, pour nous permettre de raconter des histoires qui nous élèvent tous.
Aujourd’hui, je suis plus que jamais déterminé à me battre pour que le théâtre en France devienne un lieu d’expression libre et égalitaire, où chacun, peu importe son origine, puisse trouver sa place. La diversité, la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité sont des mots dans lesquels je crois profondément. Ils ne doivent pas être de simples mots, mais des principes incarnés dans le théâtre, l’art et la culture. Le changement commence ici, avec nous, et il est urgent de bâtir une culture qui soit le reflet de toutes les réalités et de toutes les cultures françaises.
Nous avons tous un rôle à jouer dans cette transformation. Le théâtre, comme toute forme d’art, est avant tout un miroir de la société. Si nous voulons que ce miroir reflète la véritable diversité de la France, nous devons bousculer les habitudes et les mécanismes profondément ancrés.
Je suis une chance pour le théâtre et je ne suis pas éternel. Alors profitez de moi, de mon expérience et de ma joie pour changer les choses.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Merci à tous les deux pour vos mots si puissants.
Que pourrait faire le législateur pour favoriser les castings inclusifs ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. Nous avons commencé à travailler sur cette question avec Aïssa Maïga – je vous invite d’ailleurs à regarder le documentaire qu’elle a coécrit avec Isabelle Simeoni, Regard noir – et toutes les camarades de Noire n’est pas mon métier, ainsi que des directeurs et des directrices de casting qui se permettaient, quand ce n’était pas incompatible avec l’histoire, d’ouvrir les castings. Mais cela ne fonctionne qu’à un petit niveau. Après trente-deux ans dans cette industrie, j’ai pu voir les choses ne pas bouger ou un petit peu avant de repartir en sens inverse. Si ce n’est pas inscrit dans une loi, les choses ne bougeront pas. Cela a commencé pour les hommes et les femmes, mais ce principe doit aussi s’étendre aux personnes perçues comme non blanches. Nous avions aussi réfléchi à une petite compensation ou plutôt à une incitation destinée aux productions, comme on l’a fait pour les femmes – c’est ce qui s’est passé pour le film de Noémie Merlant dans lequel je joue, Les Femmes au balcon.
Ensuite, ne nous écrivez pas des rôles de noirs, d’Arabes et d’Asiatiques : c’est terrible ! Enfin, je dis « vous » mais vous n’êtes pas scénaristes.
M. le rapporteur Erwan Balanant. Heureusement que non !
Mme Nadège Beausson-Diagne. On nous invente des prénoms qui font exotiques et diversité. Je m’appelle Nadège parce que ma mère était communiste et que c’était le prénom de l’amoureuse de Lénine. J’ai ainsi vu une Haïssa Diallo, mélange plus ou moins conscient de Rokhaya Diallo et d’Aïssa Maïga. Or les récits que nous avons envie d’incarner sont des récits véritablement universels.
Il faudrait aussi imposer que des personnes racisées soient à la direction de casting et scénaristes. Je posais ces questions tout à l’heure. Qui parle de qui ? Qui regarde qui ? Qui paie quoi ? Nous avons beaucoup réfléchi à ces questions, avec Aïssa Maïga, lors de l’élaboration du livre. Nous avons aussi travaillé chacune de notre côté. Nous avons discuté avec des directeurs et des directrices de casting qui pouvaient nous mettre dans un rôle principal avant d’être stoppés. Si c’est obligatoire ou qu’il y a une incitation, il n’y aura pas le choix. Si cela bouge un petit peu, ce que l’on raconte, qui raconte quoi, les types de rôles ne changent pas. Avec Abdelhakim Didane, on ne se connaît pas, à l’exception de quelques messages échangés sur les réseaux, et rendez-vous compte des similitudes de nos réflexions, qui sont celles de tous nos camarades qui ne peuvent pas être là. Il faut vraiment que vous nous aidiez. On a besoin de vous. Contactez la passionnante Marie-France Malonga qui a travaillé sur le baromètre de la diversité.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Didane, voulez-vous compléter la réponse sur les castings ou sur les quotas ? Que pouvons-nous faire pour changer les choses ?
M. Abdelhakim Didane. Je n’ai pas fait beaucoup de tournages, parce que tout ce que l’on me propose est stéréotypé. Toutes les semaines, je reçois un appel de jeunes scénaristes, metteurs en scène ou réalisateurs pour me proposer un rôle stéréotypé, alors que la jeunesse est censée nous montrer la lumière.
S’agissant des quotas, il faut une loi. Il faut exiger que l’on soit respecté, tout simplement. Peut-être que les subventions accordées aux théâtres devraient être conditionnées à une forme de résultat autour de la diversité. On ne peut pas donner de l’argent à des théâtres qui vont bénéficier d’une subvention pour leur travail autour de la diversité, alors qu’ils se contenteront d’une semaine de la diversité. Pour cette semaine-là, tout le monde se jette sur moi, parce que, comme je le dis souvent, je suis le seul comédien noir et arabe dans tout Toulouse.
M. le rapporteur Erwan Balanant. Merci pour vos témoignages et la puissance de vos deux textes. Alors qu’il semble très difficile d’entrer dans votre milieu artistique, j’imagine combien cela ne peut que l’être davantage pour quelqu’un qui est racisé. Je suis issu de la province. J’ai connu ce que c’était de venir d’ailleurs, un autre ailleurs, plus simple pour ceux qui me recevaient. Sur une échelle de 1 à 100, ma difficulté pour entrer dans un système était peut-être à 2, quand vous devez être à 100. J’ai dit à la Cinémathèque que le monde du cinéma était plein d’entre-soi et qu’il était extrêmement difficile d’y entrer. Nous devons réfléchir à la question des quotas. Il a bien été décidé un jour d’instaurer la parité en politique. Faut-il des quotas ? Des bonus ? Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) en a créé un pour les films qui intègrent autant de femmes que d’hommes dans les postes d’encadrement de leur équipe de tournage. Il faut réfléchir à ces sujets sans tabou, parce qu’on ne peut pas se passer de votre talent.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Didane, vous avez parlé de l’interdiction des statistiques ethniques, l’argument avancé pour ne pas progresser sur le sujet. Les quotas renvoient à un comptage. Avez-vous des réflexions sur ce point ?
M. Abdelhakim Didane. Je ne suis pas favorable non plus aux statistiques ethniques. En revanche, pour les quotas, nous sommes assez intelligents pour trouver d’autres paramètres. En tant que statisticien, je pense qu’il est possible de calculer des moyennes de la diversité. En plus du volet financier, on pourrait aussi prendre en compte l’avis du public, qui doit être sensibilisé à cette question et qui viendrait commenter les spectacles sous l’angle de la diversité. Mon article du Nouvel Obs aura permis au moins une chose : que des gens me disent qu’ils ne savaient pas, qu’ils vont au théâtre toute l’année et qu’ils n’avaient jamais fait attention à cette question. Mes collègues ne se rendent pas compte non plus que, lors d’une création collective, petit à petit, je me retrouve à l’écart, petit à petit, je suis réduit au silence, petit à petit, je suis réduit à un corps sur un plateau. Ces quotas – ou tout autre nom qu’on leur donnerait – pourraient être une solution.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avec un objectif de résultats.
Mme Nadège Beausson-Diagne. C’est d’une très grande hypocrisie et d’une grande violence de prendre l’argument selon lequel il va falloir compter. C’est ce que l’on avait reproché à ma chère Aïssa Maïga quand, ironiquement, elle avait compté les noirs dans la salle aux Césars et qu’ils étaient – 7. Cela rejoint ce que vous disiez : cette industrie est bourgeoise et blanche. Nous sommes les petits cailloux qui grattons les chaussures des puissants qui ont envie d’être entre eux. Être ici n’est pas rien pour nous – je le dis sans le moindre romantisme. Ce que l’on est en train de vous dire a une répercussion. C’est encore une histoire de patriarcat, camarades ! Comme la norme est censée être blanche et mâle…
M. le rapporteur Erwan Balanant. Je suis mal barré !
Mme Nadège Beausson-Diagne. Pas mal ! Vous voyez que vous pouvez écrire !
Tout à l’heure, vous faisiez un petit parallèle entre nos situations. Je vous arrête tout de suite : ce n’est pas du tout pareil.
M. le rapporteur Erwan Balanant. J’ai dit que ce n’était pas pareil !
Mme Nadège Beausson-Diagne. Certes, mais vous avez quand même fait le rapprochement. En fait, je ne suis jamais moi-même. Je suis française, je suis née ici et on me reproche tout le temps d’être quelque chose que je ne suis pas. Je ne comprends même pas, en réalité, ce que je suis censée être.
Là où nous avons besoin de vous, c’est que rien ne bougera sans une incitation – le terme de « quotas » pique. Nous avons fait un état des lieux, humblement, car ce n’est pas notre métier. Des outils existent, dont Marie-France Malonga a parlé. Nous, nous ne sommes que des emmerdeurs.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il me semble tout à fait possible de créer des incitations. Cela existe pour les femmes, cela peut donc bien exister pour d’autres types de discrimination. Je voulais comprendre ce qu’il y avait pour vous derrière cette idée des quotas : en réalité, il s’agirait de dessiller la société sur la blanchité du milieu.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Vos propos sont très importants dans le cadre de cette commission d’enquête, qui peine à refléter l’ensemble des violences et leur intersectionnalité. Nous avons bien conscience qu’il est toujours plus difficile de rendre l’oppression raciste visible.
Dès que l’on parle de quotas, il y a de l’hypocrisie, certains demandant comment faire pour compter dans la mesure où les statistiques ethniques sont interdites. Or nous sommes tous capables de dire si la diversité est représentée ou non dans un collectif. La question ne porte pas sur les identités qu’il faudrait comptabiliser mais sur les représentations que l’on peut en avoir. Il arrive d’ailleurs qu’une personne d’une origine donnée ne soit pas perçue comme telle, parce que son nom ou sa couleur de peau ne correspondent pas, parce qu’elle occupe une place dans la société qui fait que l’on oublie son origine. Plutôt que de fixer des quotas, une piste pourrait consister à objectiver nos représentations au moyen d’enquêtes auprès du public pour lui demander s’il se sent représenté par le monde de la culture.
Vous soulevez par ailleurs un autre sujet qu’il ne faut pas occulter : celui de la liberté et de la qualité de la création. Les quotas seuls ne suffisent pas : il faut aussi s’interroger sur les moyens que l’on accorde à la création soutenant la diversité, faute de quoi on est condamné à reproduire des stéréotypes et l’on met en difficulté les personnes racisées, qui se retrouvent à jouer dans des spectacles moins bons et moins mis en avant. Soutenir la diversité, ce n’est pas seulement partager l’espace : il faut aussi lui donner les moyens de faire de l’art, perçu et valorisé comme tel.
La question du soutien me tient à cœur. On a l’impression que les personnes les plus engagées sur le sujet de la diversité dérangent. Des groupuscules en viennent à s’organiser contre tel ou tel spectacle, parce qu’ils les dérangent dans leur blanchité et qu’ils les trouvent trop engagés. Attendez-vous des pouvoirs publics un signe fort, qui permettrait d’assurer aux artistes qu’ils peuvent prendre des risques sur ce sujet sans craindre de déranger et qu’ils seront soutenus en cas d’agression ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. Lors du spectacle Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon au Festival d’Avignon, deux actrices racisées ont été agressées par des spectateurs blancs parce qu’ils n’aimaient pas ce qu’ils entendaient. C’était d’une très grande violence ; l’une des actrices a d’ailleurs eu besoin de temps avant de revenir jouer le spectacle.
Je ne veux pas être pessimiste mais c’est comme si nous subissions un empêchement d’être et de créer comme on en a envie. Nous avons tous et toutes été élevés dans une société raciste, avec des biais racistes. Nous sommes supposés, avec nos corps, être à un certain endroit. Quand ces spectateurs voient plein d’actrices noires critiquer la société dans le spectacle de Rébecca Chaillon, cela ne leur va pas et leur réaction est d’une violence incroyable – il est rare que cela se produise dans d’autres types de spectacles.
Rébecca Chaillon a créé un spectacle exceptionnel qui reflète ce que nous vivons en tant que personnes racisées. Le miroir ainsi tendu était insupportable pour ces spectateurs. Leur réaction a consisté à presque tuer les actrices, c’est-à-dire à décider que leur corps n’en est plus un et que l’on peut en faire ce que l’on veut – toucher les parties génitales, frapper, tirer les cheveux, etc. Moi-même, à mon petit niveau, j’ai vécu des choses extrêmement violentes, au théâtre comme à la télévision. Je pense qu’il faut anticiper : dès lors que des acteurs et actrices racisés sont présents dans un spectacle, dans un film ou dans une série télé, il faut leur assurer une protection, même si je ne sais pas sous quelle forme.
J’aimerais également revenir sur le cas d’Ebony, candidate à la Star Academy. Il s’agit d’une émission bon enfant ; des jeunes sont enfermés dans un château où on les voit se brosser les dents et apprendre à chanter et à danser. L’année dernière, Candice, jeune femme métisse et Djebril, jeune homme maghrébin, avaient reçu des insultes particulièrement violentes, qui avaient été minimisées à l’intérieur de la Star Academy. Cette année, cela s’est reproduit avec Ebony, qui est noire, jeune, belle, gentille et chante super bien – la quintessence de tout ce qui est insupportable. Il y a Franck également, un jeune homme noir. Ils ont reçu des photos de singe, des insultes. Cette fois-ci, la Star Academy a réagi en dénonçant la violence mais le mot « racisme » n’a pas été prononcé. Des collectifs viennent de porter plainte.
La Star Academy, une émission mainstream un peu ennuyeuse, déclenche un niveau de violence incroyable. Cela continue grâce à ma camarade Firmine Richard, qui a dénoncé sur TF1 le fait que les départements d’outre-mer ne pouvaient pas voter, sans que l’on sache pourquoi. Ce sera possible pour la finale qui opposera Ebony à Marine, et certains en viennent maintenant à parler d’un complot parce que les Antilles pourront voter.
Si je parle de cela, c’est parce qu’on a atteint le même degré de violence que quand Camélia Jordana avait parlé des violences policières ou quand Aïssa Maïga s’était exprimée lors de la cérémonie des César. Elles sont toutes deux mes amies, et je ne pouvais plus regarder les réseaux sociaux tellement j’étais oppressée. Que se passera-t-il quand cette jeune femme retrouvera son téléphone ? Même si je connais son père et si je sais que sa famille la protégera, je me demande comment cela se passera pour elle. La protection est donc un véritable problème. Ce n’est pas une vue de l’esprit : oui, nous sommes menacés quand nous apparaissons dans un espace qui n’est pas supposé être le nôtre.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est le principe même de la discrimination : ça ne va jamais, soit c’est truqué, soit c’est illégitime. C’est une manière de dévaloriser les personnes mais aussi de leur faire perdre confiance, de les amener à douter de leurs qualités propres. C’est le moteur de la discrimination.
M. Abdelhakim Didane. Quand on s’expose, on sait qu’il y aura des répercussions. On m’a dit que j’allais me fermer les portes de ce milieu, mais elles peuvent bien se fermer : elles sont invisibles pour moi, elles n’existent pas.
Si l’on veut changer les choses profondément, il faut s’interroger sur la société que l’on souhaite. Il faut profiter de la période assez spéciale dans laquelle nous nous trouvons pour créer ensemble, rebattre les cartes et redéfinir ce que l’on veut vraiment dans notre société, afin de donner un sens aux mots « diversité » et « démocratie ».
Beaucoup de gens ne sont pas d’accord avec moi quand je parle de diversité. Pour moi, la diversité, c’est la France ; celle-ci est simplement amputée de certains d’entre nous, amputée de nos talents. La diversité et le vivre-ensemble m’ont tellement surpris, quand je suis arrivé en France, que cela m’a donné envie de m’exprimer. La liberté d’expression française, que je n’ai jamais eue quand j’étais au Maroc, les bibliothèques que je n’ai jamais eues quand j’étais au Maroc, toutes ces choses que je trouve belles en France, j’ai besoin qu’on les mette en commun et qu’on construise sur cette base de nouvelles générations plus justes et plus équitables.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Le manque de rôles modèles dans le milieu de la culture fait que certains enfants de la République racisés n’osent pas embrasser cette passion, parce qu’ils se sentent illégitimes. Combien se disent que ce n’est pas pour eux, parce qu’ils sont noirs ou maghrébins ?
Les grandes écoles intègrent peu de personnes racisées, et peu de personnes de province, également. Le monde de la politique a tout de même réussi à progresser – en ce moment même, c’est une femme noire qui préside la séance de l’Assemblée nationale. Cela passe aussi par les écoles : il faut y faire entrer plus d’étudiants venant des quartiers. Cela s’est fait à Sciences Po grâce non pas à des quotas mais à quelque chose qui s’en rapprochait fortement. Quelles seraient selon vous les solutions ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour compléter cette question, y a-t-il des cours de théâtre partout ? L’accès au théâtre est-il universel ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. À mon époque, quand j’étais au conservatoire de Créteil, c’était le cas. Ma mère métisse, intellectuelle et féministe, et ma grand-mère, qui l’était également, m’ont donné les clefs. Quand, à 9 ans, j’ai dit à ma mère que je voulais être actrice, elle m’a dit : « Vas-y, fonce ! Si tu te plantes, tu te relèves et tu feras autre chose. »
Chaque année, avec mon mari, nous allons dans un quartier populaire et défavorisé de Chambéry, dans une maison de l’enfance, où une amie organise des activités d’immersion culturelle. Nous proposons de la musique, du théâtre et des arts plastiques à une population qui n’a jamais accès à l’art parce que personne ne vient jamais dans ces quartiers. Je suis très fière d’eux : j’ai travaillé un été, pendant une semaine, avec un jeune homme qui voulait devenir acteur. Nos échanges lui ont donné de la force et il a intégré une école de théâtre à Paris.
Il faut qu’on arrive à aller dans des espaces qui ne sont pas occupés par l’art et la culture, afin de casser le déterminisme social. Chaque année, nous montons un spectacle et, à la fin, je parle avec les parents et les enfants. Je leur explique mon parcours pour leur montrer qu’on est capable de devenir comédienne même quand on vient de Créteil et que sa mère n’est pas Catherine Deneuve – Dieu merci ! Cela permet de planter une graine, de faire prendre conscience que c’est possible. Même si la personne décide faire autre chose de sa vie, c’est indispensable, parce que le théâtre sauve des vies. C’est pourquoi j’ai à cœur d’aller dans les quartiers dits populaires.
Je suis retournée récemment dans mon collège. Cela m’a brisé le cœur : mon quartier est devenu un ghetto. Quand j’ai expliqué à ces jeunes que je venais d’ici et que la semaine précédente j’étais au Festival de Cannes, ils ne pouvaient pas croire que je vienne du même collège qu’eux. À la fin de l’échange, ils ont pris conscience qu’ils pouvaient le faire eux aussi. Notons au passage qu’ils n’avaient pas eu de cours de français depuis six mois, alors qu’ils sont en troisième.
L’audition est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures cinq.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). L’affaire Ebony fait écho à ce qu’ont pu subir Aya Nakamura et d’autres, souvent des femmes noires, c’est-à-dire du harcèlement et des accusations : elles ne chanteront jamais assez bien, ne seront jamais assez élégantes, etc. C’est une sorte de péché originel : elles sont perçues comme dangereuses dès lors qu’elles sortent de leur place.
Ebony a été décrite comme arrogante, dépourvue d’émotions, ne sachant pas créer de l’empathie avec le public. Or ce n’est pas une question d’empathie mais de difficulté du public à se projeter et à se reconnaître dans une femme noire. Ce faisant, il rejette sur les femmes noires la responsabilité de sa propre incapacité à se projeter. J’ai lu qu’Ebony clivait. C’est une expression que l’on entend beaucoup quand on met des sujets féministes sur la table : ce n’est pas le sexisme qui clive, mais le féminisme. J’ai l’impression que c’est encore plus vrai pour les femmes racisées, parce qu’elles renvoient à des formes de domination que l’on n’a pas envie de voir contestées.
J’aimerais avoir votre avis également sur l’engagement politique dans le monde culturel. M. le rapporteur a cité Mme Nadège Abomangoli, première femme noire vice-présidente de l’Assemblée nationale : elle pourrait raconter le harcèlement spécifique dont elle fait l’objet, qui s’apparente à un déni du droit des femmes noires à avoir un engagement politique. Vous n’êtes pas très nombreux et nombreuses à avoir accepté de venir témoigner devant cette commission d’enquête : qu’est-ce que cela coûte, dans le monde de la culture, d’afficher le projet politique de changer la société à travers la culture ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. La misogynoire est féroce ! Il est intéressant de noter que l’on reproche à Ebony l’inverse de ce que l’on reprochait l’année dernière à Candice. Ce n’est donc pas ce que la personne est qui est en cause – les gens ne la connaissent d’ailleurs pas – mais leur profond racisme : elle ne doit pas être là quand ils allument la télévision le soir, son corps et sa voix dérangent. De plus, ces mêmes personnes font la comparaison avec un autre candidat noir, Franck : la preuve qu’ils ne seraient pas racistes, c’est qu’ils aiment bien Franck ! En fait, misogynie, sexisme et racisme, tout est mélangé.
Le plus incroyable, c’est que parmi ces haters – appelons-les des cons, tout simplement – qui s’expriment sur les réseaux sociaux, il y a notamment des femmes blanches de plus de 50 ans qui se sont rencontrées sur Facebook et ont créé des groupes WhatsApp où elles publiaient des collages de photos de singe pour s’en prendre à Ebony. J’entendais les mêmes propos quand mon personnage est arrivé dans Plus belle la vie : « Pourquoi une commissaire noire, vous vous croyez aux États-Unis ? » Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas : mes tresses, mes cheveux… En fait, c’était mon corps dans cet espace qui leur posait un problème : je ne devais pas être là. Heureusement, il y a des commissaires noirs – ils m’adorent, d’ailleurs !
Concernant l’engagement, je suis à l’initiative du MeToo dans le cinéma africain, en 2019. J’ai parlé de la pédocriminalité dont j’ai été victime mais, à chaque anniversaire MeToo, on ne parle jamais de moi. C’est mon amie Rokhaya Diallo qui m’a fait remarquer que je n’étais jamais représentée. C’est pour cela que j’ai dit, sur le ton de l’humour, que j’avais été violée trop loin mais que, rassurez-vous, j’avais été violée ici aussi ! En fait, c’est comme si on ne devait jamais être là.
Pour moi, c’est même la double peine : d’un côté, je suis blacklistée – très beau terme ! – et je ne travaille plus parce que je prends la parole et, de l’autre, les camarades blanches, à l’exception de certaines, ne m’intègrent pas dans la lutte. C’est gravissime : cela signifie que, même dans les milieux politiquement engagés, les biais racistes sont là. Ce n’est pas parce qu’on est une femme féministe blanche qu’on n’est pas raciste.
De plus, on a vraiment voulu m’écraser. Ayant été agressée sexuellement par une femme blanche, une productrice qui connaît tout le monde, j’ai eu l’outrecuidance d’aller porter plainte. La violence que j’ai alors ressentie était incroyable ; je n’avais déjà pas beaucoup d’amis dans le métier mais cela a vraiment permis de faire le nettoyage. Ils ont voulu me tuer mais cela n’a fait que stimuler ma créativité. Je me suis dit : « Fais ton projet ! » Au lieu de me tuer, cela m’a réveillée et je suis tellement heureuse d’avoir créé cette pièce. Je n’ai pas envie d’intégrer à tout prix un groupe qui ne veut pas de moi. Je veux consacrer mon énergie à créer avec des jeunes, je veux leur donner de l’espoir, je veux les éveiller.
Nous sommes très heureux de venir ici pour en parler mais, pendant que nous sommes là, d’autres sont en train de gagner de l’argent ailleurs. Cette stratégie vise à nous empêcher de gagner notre vie. Pour ma part, je suis surendettée alors que je travaille depuis trente-deux ans, que j’ai eu des rôles principaux : je devrais être à l’aise financièrement. Mais j’ai dit non au système, j’ai dit non à un producteur qui a voulu m’écraser, et j’ai dû payer 12 000 euros pour quitter une pièce. Moi, petite actrice, j’ai dû payer 12 000 euros à un type richissime et qui, un an après, m’a fait virer d’une pièce. Parce que j’ai osé dire non, je me suis retrouvée face à une véritable mafia. Seulement voilà : j’ai été élevée par deux féministes. Je suis donc encore debout – surendettée, mais debout !
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous nous expliquer cette histoire des 12 000 euros ? Votre contrat prévoyait des dommages et intérêts en cas de rupture, c’est cela ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. J’ai voulu partir de cette pièce parce que j’y avais vraiment vécu l’horreur, le harcèlement sexuel, le racisme. Parallèlement, comme cela arrive souvent dans notre métier, j’ai réussi un casting pour tenir le rôle principal dans une série. Je suis donc allée voir le producteur – je tairai son nom – et la metteuse en scène pour les informer de mon départ et leur proposer qu’une de mes amies, Sandra Nkaké, une formidable actrice et chanteuse, me remplace au pied levé, évitant ainsi l’arrêt du spectacle. Ils ont refusé que je parte. Le souvenir en est encore douloureux : après un mois de harcèlement qui m’avait plongée dans un état de stress très important, ils ont fini par accepter, à condition que je leur paye 12 000 euros pour casser le contrat. Il s’agit d’un très grand producteur français et d’une metteuse en scène elle aussi puissante. Ils ne voulaient pas que je parte : ce n’était pas une question artistique mais une question d’argent.
Je suis donc partie avec pertes et fracas en payant 12 000 euros à un producteur richissime, prétendument pour payer de nouvelles affiches. Ils n’ont pas voulu que mon amie Sandra Nkaké me remplace. Les musiciens et les autres acteurs ont eu beau me soutenir, ils ont dit non. Évidemment, il n’y a pas eu de nouvelles affiches et, pour me punir, la jeune femme qui m’a remplacée a fait le journal de France 2 en prime time, alors que je n’avais jamais fait la moindre promo. Puis, un an après, ce producteur m’a fait virer d’un spectacle quand il a su que j’avais été recrutée.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans un spectacle qu’il produisait ?
Mme Nadège Beausson-Diagne. Pas du tout. Comme il présentait une émission de télévision à une heure de très grande écoute, quand il parlait d’un spectacle dans lequel je jouais, il citait toutes les personnes qui en faisaient partie, mais il ne disait jamais mon nom.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Didane, vous avez créé votre propre compagnie. Avez-vous trouvé facilement de quoi la faire travailler ? Comment cela s’est-il passé ?
M. Abdelhakim Didane. J’ai créé la compagnie Draoui Productions parce que les seuls rôles que l’on me proposait, à la sortie du conservatoire, étaient stéréotypés. J’ai donc décidé de développer mes propres projets. Mon premier spectacle était un seul en scène. J’ai dû travailler tout seul, produire tout seul, mettre en scène tout seul parce que je voulais conserver la maîtrise de mon spectacle et ne pas dépendre d’une tutelle blanche. Il a vraiment fallu se battre pour diffuser un spectacle comme Syba, que j’ai joué une vingtaine de fois à Toulouse, et il est encore plus compliqué de sortir de Toulouse. Il est très difficile de pouvoir jouer, tout simplement – je dois être le seul comédien qui représente la diversité en Occitanie. J’ai un spectacle que j’estime très fort et qui mérite d’être diffusé un peu partout, mais je me retrouve coincé à Toulouse.
Je n’ai jamais reçu d’aide à la création de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles). Je viens de faire une demande d’aide pour un nouveau spectacle, qui s’appelle Je suis un homme, je suis inapte. Il traite de la question de la masculinité, de la virilité, ce fardeau qui me pèse en tant qu’homme car je le trouve toxique. C’est une question que je pensais universelle mais, à chaque fois que je l’évoquais, j’avais l’impression que ce n’était pas à moi d’en parler et que ce sujet était plutôt réservé aux blancs. Il fallait que je parle de ma propre masculinité sous l’angle de l’origine, de la couleur. Or j’ai envie de faire quelque chose qui me correspond. Je vis en France depuis vingt-quatre ans, soit plus longtemps que je n’ai vécu au Maroc. Je connais les deux cultures et je sais combien il est dur de se rendre compte, en tant qu’homme, qu’on est mal éduqué. Voilà pourquoi je voulais créer ce spectacle.
Si nous n’avons jamais reçu d’aides, nous sommes en revanche très suivis en matière d’action culturelle dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Nous sommes en effet accompagnés par toutes les instances toulousaines, qui trouvent nos projets innovants. Je rencontre beaucoup de jeunes qui me disent avoir envie de faire du théâtre après m’avoir vu jouer, parce que je leur ressemble, et qui ne savent pas comment faire. Je les envoie vers des écoles, des réalisateurs, mais eux-mêmes les renvoient vers moi parce que je suis apparemment le seul qui peut les comprendre.
J’aime beaucoup travailler avec les jeunes. Nous animons presque cinq ateliers par semaine dans des collèges. Nous intervenons aussi en ruralité pour permettre à des gens éloignés de la culture de s’en rapprocher. Surtout, on ne leur apporte pas la culture, on va la chercher, car on y trouve des cultures et des langues très riches – je travaille avec des allophones, ce qui me touche et m’apprend énormément. Je m’enrichis avec cette transmission qui me permet de raconter des histoires. Nous travaillons avec des lycéens, que ce soit dans le centre-ville ou à la marge, c’est-à-dire dans les QPV. Le problème, c’est que nous réussissons à amener des personnes des quartiers dans les salles de théâtre toulousaines mais que cela ne fonctionne pas dans l’autre sens : les gens du centre ne viennent pas voir les gens de la marge. Notre objectif est donc de créer des ponts, des connexions entre ces territoires.
Je voulais aborder également la question technique. Je me sens démuni à chaque fois qu’une maquilleuse me dit qu’elle ne sait pas quoi faire avec ma peau ou mes cheveux. Cela me tétanise avant même de tourner une scène. Je trouve hallucinant que l’on ne puisse pas travailler sur ce point. Il en va de même pour les lumières : on me dit souvent qu’on n’a pas de lumière convenant à ma peau, ou alors on me propose une lumière chaude parce que cela va avec le désert, avec le folklore. Or je suis metteur en scène, j’ai ma propre vision de la lumière et j’ai envie de créer des choses avec ça. Mais souvent on est démuni, on ne dispose pas de moyens techniques, dans le théâtre et le cinéma, qui correspondent à la population.
Grâce au projet Je suis un homme, je suis inapte, nous avons réussi à professionnaliser deux comédiens issus de la diversité. Je suis vraiment fier parce que c’est un parcours très dur. Nous travaillons d’arrache-pied, souvent sans être payés, pour accompagner des personnes en demande – il faut leur apprendre les codes du théâtre, leur apprendre à se présenter, parce que c’est compliqué.
Nous travaillons également dans le quartier Papus, qui est déserté par tous – cela ne concerne pas que la culture : à part notre théâtre, il n’y a qu’une salle de boxe. Nous avons créé un festival qui s’appelle « Map ton Papus ». Il s’agit d’organiser des rencontres culturelles entre professionnels, entre le centre-ville et la marge. Cette année, nous allons créer un opéra urbain qui mélange tous les opéras. Nous travaillons beaucoup dans les quartiers et j’en suis vraiment fier et heureux.
Un autre problème concerne les scènes conventionnées, les scènes nationales. Pour ma part, j’ai envie d’être directeur de théâtre et je souhaite inciter des gens à le devenir également. Je n’ai pas envie que l’on me voie uniquement à l’entrée du théâtre. Souvent, je me fais contrôler devant les théâtres, alors que les autres ne le sont jamais. Il faut donc mettre en place un travail de profondeur, qui respecte la liberté de création. Nombre de processus de création doivent être changés. Quand je travaille avec une équipe et qu’elle me voit uniquement par ma couleur, c’est qu’il y a déjà un problème.
Il faudrait que l’on commence à s’interroger sur la diversité, comme on le fait pour le genre et pour l’égalité homme-femme. Il y a un travail de profondeur à faire, tant à l’école qu’au cinéma. Les films dans lesquels on voit le plus de diversité sont aussi ceux qui véhiculent le plus de négativité, d’agressivité et de violence. Les films doivent changer de récit, comme le théâtre.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie beaucoup pour vos mots. Nous avons entendu votre message selon lequel le changement peut passer par les propositions que nous ferons dans ce rapport et surtout par les lois qui en découleront.
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Puis, la commission auditionne Mme Ekaterina Ozhiganova, présidente de l’association Model Law, et Mme Juliette Halbout, avocate au Barreau de Paris ; M. James Chabert, président de l’association Casting info service, M. Michael Indjeyan Sicakyuz, avocat, et M. Valentin Senez, membre de la commission Jeunes de l’association.
Présidence de M. Erwan Balanant, rapporteur
M. Erwan Balanant, président. Nous achevons nos auditions du jour en nous intéressant au secteur de la mode, en recevant Mme Ekaterina Ozhiganova, présidente de l’association Model Law, accompagnée de Maître Juliette Halbout, avocate au barreau de Paris ; M. James Chabert, président de l’association Casting info service et du syndicat des mannequins professionnels associés à Paris, accompagné de Maître Michael Indjeyan Sicakyuz, avocat à la Cour et de M. Valentin Senez, membre de la commission Jeunes de l’association.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le domaine du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant, mais aussi de la mode et de la publicité. Ces secteurs partagent hélas beaucoup de facteurs de risques avec celui du cinéma et du spectacle vivant. Nous souhaitons vous entendre dresser un premier état des lieux des violences dans le secteur de la mode.
Cette audition est ouverte à la presse et elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Ekaterina Ozhiganova, Maître Juliette Halbout, M. James Chabert, Maître Michael Indjeyan Sicakyuz et M. Valentin Senez prêtent serment.)
Mme Ekaterina Ozhiganova, présidente de l’association Model Law. Je vous remercie de m’avoir convoquée en ma qualité de présidente et fondatrice de l’association Model Law devant votre commission d’enquête relative aux violences commises dans divers secteurs culturels, notamment celui de la mode. Je me réjouis que Maître Juliette Halbout, avocate au barreau de Paris et membre historique de l’association où elle intervient en qualité d’experte juridique, soit à mes côtés.
Model Law est la première association française de défense des droits des mannequins. Créée en décembre 2017, elle a pour objet de réunir, de soutenir et de défendre les mannequins qui exercent leur activité en France, ainsi que de promouvoir un comportement professionnel éthique dans le milieu de la mode. Notre association s’est développée car il n’existait pas en France de structure fournissant des informations et un accompagnement juridique, économique ou social adapté aux mannequins. Pourtant, l’industrie de la mode occupe une place très importante dans l’économie et le capital symbolique français.
Nous avons rédigé en 2017 un manifeste fondé sur notre expérience du métier. Signé par plus de 300 acteurs du milieu, il est disponible en langues française et anglaise et il est consultable sur notre site. Il nous semble primordial que les mannequins et ceux qui veulent le devenir connaissent les aléas de la profession. Voilà pourquoi nous menons un travail sur le terrain avec des mannequins, des professionnels du luxe et diverses institutions. Nous apportons une aide juridique grâce au concours d’avocats exerçant au barreau de Paris et d’un pôle d’aide juridique gratuite créé par un partenariat lancé en 2020 avec la clinique juridique de l’école de formation du barreau de Paris. Nous assurons également une mission éducative en participant à divers séminaires et formations au sein des grandes écoles et des universités, à destination de futurs travailleurs de la mode mais aussi des professionnels du droit. Nous conduisons un travail de recherche et d’analyse aux côtés de l’anthropologue et autrice du livre Le plus beau métier du monde, Giulia Mensitieri, et de Nikolett Bogár, ancienne mannequine internationale et autrice du livre The Fashion Industry and Eating Disorders : The Dangers of the Catwalk, qui vient de soutenir sa thèse portant sur les facteurs de risque de développement de troubles de comportement alimentaire chez les mannequins. Enfin, nous souhaitons sensibiliser le public, par le biais des médias ou d’interventions publiques comme celle que nous avons faite auprès de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat.
M. James Chabert, président de l’association Casting info service et du syndicat des mannequins professionnels associés à Paris. L’association que je préside, Casting info service, a été créée en 1999 avec un ami comédien, William Duvall, sous le nom de « Stoppons les arnaques au casting ». Elle a pour but de dénoncer les voyous du spectacle.
Je préside également le syndicat des mannequins professionnels associés, non affilié à Force ouvrière (FO). J’ai repris les rênes du syndicat des mannequins en 2004, à la suite du décès de Mme Servane Cherouat. Ce syndicat se trouvait dans un état végétatif. J’ai, dans un premier temps, inscrit le syndicat à la Fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse (Fasap) avant de le désaffilier. Il y a deux syndicats des mannequins professionnels associés.
Notre objectif est de défendre les mannequins et tous les acteurs des métiers du spectacle : nous tentons de nettoyer les écuries d’Augias depuis vingt-six ans. J’ai 52 ans, cette mission représente une vie pour moi. Nous effectuons des signalements précis sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Nous déposons également des plaintes, afin que des procès aient lieu : nous avons soulevé de nombreux cas, mais seuls dix procès se sont tenus en vingt-cinq ans.
Je suis accompagné d’un avocat devenu un ami, Maître Michael Indjeyan Sicakyuz, et de Valentin Senez, membre de la commission Jeunes de notre association, qui vous racontera son histoire.
En 1999, au début de notre existence, les mannequins se trouvaient sur le devant de la scène ; ils étaient très médiatisés et une série télévisée très sympathique leur était consacrée. Avec l’avènement de la téléréalité, tout le monde a voulu son quart d’heure de gloire. De nombreuses arnaques se sont montées, vague par vague, l’escroquerie financière étant souvent, mais pas toujours, un marchepied pour les agressions sexuelles et le viol. Il n’y a pas de « tous pourris » dans le milieu du spectacle, certaines personnes y évoluent pour de bonnes raisons, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Les débutants n’entrent dans aucune case, mais il faut en parler et j’évoquerai des cas précis. Les passerelles entre le mannequinat et les autres métiers du spectacle sont nombreuses.
M. Valentin Senez, membre de la commission Jeunes de l’association Casting info service. Je tiens à vous remercier pour votre invitation, d’autant que je n’aurais jamais pensé témoigner un jour devant les députés à l’Assemblée nationale.
Je m’appelle Valentin Senez. En 2015, je venais d’avoir 21 ans et j’habitais dans le Nord de la France. J’étais étudiant en deuxième année de droit. Mon oncle Patrice m’a offert un book de photos car il savait que je rêvais secrètement d’être acteur. Je ne connaissais rien au monde du cinéma, si ce n’est qu’il était difficile d’y entrer. J’ai été le premier étonné quand un après-midi – je m’en souviens comme si c’était hier –, mon oncle m’a appelé pour me dire que mon book de photos avait été repéré par le directeur d’une agence artistique de Paris, par ailleurs agent de Jean-Claude Van Damme, de Sylvie Vartan et de tant d’autres. J’étais au comble du bonheur lorsqu’il m’a dit que le rendez-vous avait lieu dans deux jours, dans les beaux quartiers de Paris, dans le 16e arrondissement. Je me souviens encore de mon arrivée dans la capitale : il faisait chaud et j’étais stressé de rencontrer cet homme important du monde du cinéma. Je n’avais néanmoins pas peur, car j’étais avec mon oncle. Je me suis dit que le destin faisait bien les choses.
L’agence se situait dans un immeuble haussmannien de la célèbre avenue Pierre Ier-de-Serbie. Lorsque la porte du bureau s’est ouverte, mon oncle est entré en premier et j’ai tendu ma main moite en tentant de montrer que je n’étais pas impressionné de me trouver là alors que je l’étais. À l’intérieur, tout était comme je me l’étais imaginé : des photos de star du cinéma étaient accrochées au mur, à ma gauche, un bureau débordait de documents et, à ma droite, deux canapés se faisaient face près d’un écran géant. J’ai été surpris que l’agent nous reçoive dans les fauteuils. Patrice a pris la parole sur un ton d’homme d’affaires que je lui connaissais : lui n’était pas intimidé. L’agent m’a demandé de me présenter : je l’ai regardé droit dans les yeux, conscient que je devais faire bonne impression dans les premières minutes. L’agent s’est ensuite lancé dans un monologue dans lequel il nous a raconté sa vie et a insisté sur les acteurs devenus de véritables stars grâce à lui. Il s’est même vanté d’avoir recalé Jean Dujardin, coupable d’être arrivé en retard à un rendez-vous. Nous avons passé presque trois heures à parler, puis il a déclaré qu’il acceptait de me représenter, de me faire rencontrer des directeurs de casting et des réalisateurs, et de partager avec nous ses fameux « contacts ». Il nous a même conviés à dîner au restaurant : la soirée s’est déroulée à merveille et il a même dit à la serveuse que j’avais une « gueule d’acteur ». Je me suis dit que tout se passait comme dans un rêve : pourquoi moi ? Il nous a invités à nous revoir dans quelques semaines.
Quelque temps plus tard, en pleine nuit, mon oncle lui a envoyé un mail présomptueux dans lequel il se permettait de lui dire que toute collaboration se ferait uniquement à trois et qu’il était mon représentant. Je me suis dit que le message n’allait pas plaire à l’agent, ce qu’un appel téléphonique m’a confirmé le lendemain. L’agent m’a alors dit que mon oncle était complètement fou, qu’il ne voulait plus avoir affaire à lui et que c’était dommage car il aurait vraiment voulu nous aider. Je lui ai alors dit que mon oncle pouvait s’excuser. Au tiraillement de ma voix, il m’a proposé une solution car il ne voulait pas me laisser tomber ; il m’a dit de ne pas faire part à mon oncle de cette conversation et de lui assurer qu’aucune collaboration n’aurait lieu. Il m’a proposé de venir à Paris et de séjourner dans une chambre qu’il prêtait à des amis. Il m’a dit qu’il me ferait rencontrer des gens importants du cinéma. J’ai accepté sa proposition et il m’a envoyé, par La Poste, de l’argent pour que je prenne le train.
Me sentant coupable, j’ai avoué quelques jours plus tard la vérité à mon oncle, lequel m’a dit de me méfier. Il m’a expliqué avoir envoyé le mail à cause des doutes que faisait naître chez lui cet agent. Je connaissais suffisamment les belles histoires de cinéma pour savoir qu’une carrière se jouait sur des rencontres. Quand je suis arrivé à Paris près de l’immeuble avec mon sac, l’agent m’a dit d’attendre en bas dans un café car un casting était en cours. Il est finalement venu me chercher et je me suis retrouvé dans le bureau où deux directrices de casting lui ont dit : « Patrick, comment fais-tu pour les trouver ? » Elles m’ont immédiatement proposé un casting pour un téléfilm diffusé sur France 2. Lorsque je me suis retrouvé seul avec lui, il m’a dit qu’il avait une surprise, à savoir un dîner avec une célébrité. Je me suis alors dit que j’étais le plus chanceux des hommes. Moi, le petit jeune du Nord, comment avais-je fait pour me retrouver là ?
Nous sommes partis promener ses deux airedales terriers dans le quartier. Il m’a dit, en montrant la tour Eiffel, que c’était ici qu’il fallait vivre pour réussir une carrière d’acteur. En rentrant de la promenade, j’ai compris que ce que je croyais être un bureau d’agent était en réalité plus que cela. Il m’a montré une porte ouvrant sur un couloir au bout duquel se trouvaient une salle de bains, des toilettes et une chambre. Nous sommes ensuite partis au restaurant où nous avons dîné avec Yves Lecoq et son ami. La soirée s’est passée à merveille et je me suis même mis à imiter quelques personnalités au cas où je finirais aux Guignols de l’info. Lorsque nous sommes rentrés au bureau, l’agent m’a dit que la chambre que je devais occuper n’était pas disponible car ses amis n’étaient pas encore partis. Derrière la porte, les chiens aboyaient et je lui ai dit que le canapé ferait l’affaire. Il m’a répondu qu’il n’était pas confortable et qu’un rendez-vous était prévu tôt le lendemain matin dans la pièce. Il m’a alors montré la chambre en me disant que chacun aurait son côté du lit. Fatigué par la soirée, j’ai fini par accepter de me coucher dans ce grand lit. Les choses ont commencé à déraper en plein milieu de la nuit, mais je ne sais pas si je peux en parler, la procédure judiciaire étant toujours en cours.
M. Erwan Balanant, président. Nous ne pouvons pas évoquer des affaires judiciaires en cours, mais chacun aura compris la teneur de votre témoignage, pour lequel je vous remercie sincèrement.
Maître Michael Indjeyan Sicakyuz, avocat à la Cour. J’ai eu le plaisir de rédiger une thèse de doctorat en droit dont le sujet était la condition juridique des mannequins. J’ai soutenu cette thèse en 1995, quelque temps après l’entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 1990 modifiant le code du travail et relative aux agences de mannequins et à la protection des enfants et des adultes exerçant l’activité de mannequin, dont les décrets d’application avaient été publiés en 1993 : j’ai été le premier à écrire sur la question.
Dans le cadre de mon activité professionnelle, débutée en 1996, j’ai traité des dossiers importants dans les deux matières qui nous occupent, le droit du travail – le mannequin étant considéré comme un salarié – et le droit pénal. Votre commission d’enquête se trouve au croisement de ces deux branches du droit. Il n’est pas rare que l’on vienne pour travailler et que l’on se retrouve dans une affaire pénale. L’objet de nos débats est de savoir comment ne pas basculer de l’un à l’autre. Cette question se pose pour les professionnels et pour les personnes, qui, comme Valentin Senez, veulent le devenir.
Maître Juliette Halbout, avocate au barreau de Paris. Je vous remercie de m’avoir invitée. Je suis avocate en droit du travail depuis dix ans et j’ai traité quelques dossiers de mannequins. Je connais bien l’association Model Law, dont je fais partie.
J’ai été très étonnée du statut juridique des mannequins. Le code du travail présume l’existence d’un contrat de travail dans toute relation entre un mannequin et une agence ou toute structure faisant appel à lui. Cette présomption est à mon sens irréfragable. Quel que soit le degré d’autonomie du mannequin dans la réalisation d’une prestation, la situation n’est absolument pas celle de la définition classique du lien de subordination, mais celle d’une présomption irréfragable de contrat de travail. Elle pose de nombreuses difficultés et elle est, à ma connaissance, unique. En outre, une circulaire dispose que les mannequins français ne peuvent pas être autoentrepreneurs.
Le code du travail est tout à fait inadapté à la relation particulière qui unit les mannequins et les agences. Cette inadaptation favorise les rapports de domination et les stratégies de contournement, lesquels ouvrent la voie à d’autres types d’abus. Ainsi, certains mannequins ne travaillent pour des agences, parfois pendant quinze ans, que sous le régime du CDD. Ils subissent donc une forte précarité, qui les expose à d’autres abus.
M. Erwan Balanant, président. Lors des auditions de la commission d’enquête qui travaillait avant la dissolution, nous avions interrogé plusieurs syndicats de mannequins, lesquels nous avaient expliqué le fonctionnement du métier : il me semble que l’agence met à disposition d’un tiers les mannequins. Les castings sauvages peuvent faire d’importants dégâts. Avant la signature du contrat, il n’y a pas de lien de subordination, mais le travail a déjà commencé puisque le casting est un moment de travail. Comment peut-on améliorer l’encadrement de celui-ci ? Les agences de mannequin ont avancé dans le domaine de la protection des mannequins. Quel est votre avis sur la question et sur celle des castings sauvages ?
M. James Chabert. Nous parlons des castings sauvages et des recruteurs, connus du grand public ou non, depuis fort longtemps. De nombreux usurpateurs passent sous les radars depuis que les métiers du spectacle existent, que ce soit dans le cinéma ou le mannequinat. Ce sont les préfectures qui délivrent aux agences de mannequins leur licence d’activité. La déconcentration des années 1990 a eu certaines conséquences négatives. Il faudrait interroger les syndicats et les associations lorsqu’une personne a un comportement douteux.
Certains recruteurs ne figurent pas dans les annuaires professionnels et posent problème. Je veux bien que l’on parle des agences de mannequins, des grands recruteurs, des agents, des producteurs et des réalisateurs, mais de nouvelles personnes entrent tous les jours sur le marché comme producteurs ou agents d’artistes. Je connais des amateurs qui se conduisent comme des professionnels et inversement. Parmi ces nouveaux recruteurs, beaucoup sont habités par la fonction et ne sont ni des escrocs, ni de potentiels agresseurs sexuels.
M. Erwan Balanant, président. Les agences de mannequins possèdent un agrément, contrairement au secteur du cinéma dans lequel les agents n’ont plus de carte professionnelle. Le préfet délivre la licence des agences, mais vous décrivez un autre métier, celui de recruteur ne travaillant pas dans une agence. Pourriez-vous nous expliquer le statut de cette profession par rapport à celui des agences ?
M. James Chabert. Ces personnes se présentent comme des hommes, ou dans une moindre mesure des femmes, de l’ombre recrutant pour des agences de mannequins. Qui les forme ? Qui les surveille ?
Maître Michael Indjeyan Sicakyuz. Le même jour que la loi sur les agences de mannequins fut promulguée une autre loi sur les agences de travail temporaire. Le législateur a instauré deux systèmes équivalents. Dans le travail temporaire, le contrat de mise à disposition permet à une structure d’accueillir quelqu’un qui va travailler pour quelqu’un d’autre : c’est sur ce modèle qu’a été calqué celui des agences de mannequins.
Dans des décisions antérieures à l’élaboration de ce régime, la Cour de cassation avait estimé qu’il était nécessaire de prévoir un statut pour les mannequins afin de les protéger. Le législateur a décidé de lui donner un contrat de travail car le mannequin obéit à plusieurs directives. Ce système permet le contrôle grâce au code du travail et à ceux chargés de veiller à son application.
La loi évolue, mais les escrocs aussi. J’ai expliqué dans ma thèse que la lacune, sur laquelle vous avez mis le doigt, tenait aux scouts – chasseurs de têtes. Ceux-ci disent être mandatés par des agences et tentent de vous prendre de l’argent dans un premier temps puis éventuellement davantage. Actuellement, le relais a été pris par les agents de casting et par les agents d’influenceurs. Le législateur et les praticiens du droit se heurtent à ce glissement ; il y a toujours des lacunes dans la protection du fait de ces évolutions. Quelle que soit la loi que vous pourrez adopter – il y en a déjà plusieurs –, à quoi servira-t-elle si personne ne contrôle son application ? Si la loi dispose qu’un enfant ne peut travailler que deux heures le dimanche et obligatoirement en présence de ses parents, rien ne dit qu’une telle mesure sera respectée si personne n’en contrôle l’application. Il me semble que seuls deux inspecteurs du travail sont affectés à l’ensemble des défilés de mode qui se déroulent à Paris : il n’y a que deux inspecteurs pour protéger l’activité des très nombreux mannequins et salariés, venant de France comme de l’étranger, parfois sans contrat, pour participer à des défilés à Paris ! Nous devons réfléchir avant tout aux moyens alloués au contrôle du respect du cadre juridique. Le contrat de travail et la loi pénale permettent le contrôle.
Mme Ekaterina Ozhiganova. Le métier de scout a beaucoup évolué. Dans les années 1990 et le début des années 2000, ces chasseurs de têtes se déplaçaient partout dans le monde pour trouver des mannequins et les placer dans une agence ; désormais, ils utilisent les réseaux sociaux pour contacter les personnes et ce sont ces dernières qui se déplacent. Cette recherche de nouvelles têtes relève du droit commun. Des recrutements peuvent parfois s’effectuer ainsi, mais en règle générale, ces méthodes sont de l’escroquerie.
Aucune loi n’encadre les castings, puisqu’ils ne donnent lieu à aucune prestation de service, ni à un contrat de travail. En revanche, il existe un mandat civil de représentation, normalement signé entre l’agence et le mannequin : ce document est censé garantir la sécurité des mannequins. Même si le mannequin n’est ni employé ni rémunéré au moment du casting, il est protégé par le mandat. Des voies juridiques existent donc en cas de problème lors du casting.
M. Erwan Balanant, président. Comment devient-on mannequin aujourd’hui ? Comment est-on recruté ?
Mme Ekaterina Ozhiganova. Il y a plusieurs voies. Le type de recrutement le plus répandu consiste à être repéré dans la rue ou sur les réseaux sociaux : il faut être sur ses gardes, mais le recruteur peut présenter quelques preuves de son appartenance à une agence. La proposition consiste à faire des photos de visage dans les locaux d’une agence, afin d’établir une sorte de carte de visite de mannequin. Une personne voulant devenir mannequin peut également contacter d’elle-même les agences en remplissant un formulaire sur leur site indiquant les mensurations, la taille, les centres d’intérêt et en leur envoyant quelques photos. Enfin, dernier moyen, il subsiste quelques concours de mannequinat : il est rare que des personnes percent après un concours et les deux premières voies d’accès au métier sont les plus empruntées.
M. Erwan Balanant, président. Vos propos confirment que certaines personnes ont pour tâche de trouver de nouveaux mannequins. Recrutent-elles parfois des mineurs ? Les financeurs et les grandes entreprises nous avaient dit, dans la première commission d’enquête, que toutes les filles mineures participant à un défilé étaient accompagnées d’un adulte de leur entourage : est-ce exact ?
Mme Ekaterina Ozhiganova. Entre 2021 et 2023, une affaire a éclaté à propos de recrutements dans des camps de réfugiés à Kakuma : il peut être positif qu’une grande agence parisienne découvre des personnes et que ces dernières changent de vie et parviennent à travailler, mais ces recrutements se déroulaient dans des conditions plus ou moins correctes. Les agences dépêchaient des recruteurs sur place, même si elles envoyaient parfois leurs propres salariés pour évaluer les nouvelles recrues. Plusieurs jeunes personnes étaient sélectionnées, recevaient un visa, puis venaient en France. Le problème est que les recruteurs, locaux comme européens, leur faisaient croire que le voyage valait engagement, alors que rien n’était garanti. Certaines personnes ne sont ainsi restées en France qu’une semaine et ont été renvoyées dans le camp, lestées d’une dette. Celle-ci est censée correspondre au transport, au visa et à l’hébergement. Model Law se penche sur cette question de l’endettement des mannequins, lequel résulte souvent de ce type de pratiques mais pas uniquement, puisque certains mannequins bénéficiant d’un mandat civil de représentation et, à ce titre, travaillant avec une agence, peuvent être confrontés à ce problème.
M. Erwan Balanant, président. Pourriez-vous préciser à quoi correspond cette dette ? Est-ce à dire que les personnes qui viennent en France ne sont même pas défrayées par l’agence ou bien celle-ci considère-t-elle, lorsque ces mannequins repartent après avoir travaillé, qu’ils se sont endettés auprès d’elle ?
Mme Ekaterina Ozhiganova. Exactement. Les agences, qu’elles soient françaises ou étrangères, endettent systématiquement des mannequins. Nous avons d’ailleurs travaillé, avec maître Halbout, à sortir nombre d’entre elles de cette situation d’endettement. L’agence leur fait miroiter du travail et les rassure en leur disant qu’elle prendra en charge l’ensemble des frais. Mais, en réalité, le mannequin n’est pas payé, parfois pendant plusieurs années, alors qu’il travaille, rapporte de l’argent à l’agence et accroît son capital symbolique, notamment en posant pour des magazines. Je précise, du reste – mais c’est un autre sujet – que ce travail-là n’est pas rémunéré ; nous avons sollicité les syndicats de presse pour qu’ils commentent cette pratique, en vain.
En tout cas, lorsque le mannequin découvre qu’il est endetté, il est coincé.
M. Erwan Balanant, président. En France, lorsqu’on travaille, on perçoit un salaire à la fin du mois. Je souhaiterais donc savoir sur quel fondement repose cette pratique qui consiste à payer les gens de manière différée.
Maître Juliette Halbout. Le fondement juridique n’existe pas. On devrait systématiquement se référer au droit commun : tout travail mérite salaire et les frais éventuellement engagés par l’employeur ne peuvent entraîner une retenue sur salaire que dans des conditions très strictes et, en tout état de cause, dans la limite de 10 %. En l’espèce, les agences agissent en dehors de tout cadre juridique.
Dans l’un des dossiers que nous avons eu à connaître, un mannequin s’est entendu dire, à son retour des États-Unis, où on l’avait envoyée travailler, qu’elle avait contracté une dette correspondant au montant du loyer de son logement sur place et au prix de ses billets d’avion, de sorte qu’elle n’a perçu aucune rémunération pour le travail qu’elle avait effectué. Beaucoup d’agences produisent un document, qu’on appelle le statement, qui détaille l’ensemble des frais engagés par l’agence qui seront déduits du salaire du mannequin.
M. Erwan Balanant, président. Je le dis publiquement : cela s’appelle de l’esclavage !
Mme Ekaterina Ozhiganova. C’est de l’esclavage moderne, oui.
M. Erwan Balanant, président. La présidente de la commission sera certainement d’accord pour que nous auditionnions certaines de ces agences, dont vous donnerez les noms.
Mme Ekaterina Ozhiganova. Entendu.
Maître Michael Indjeyan Sicakyuz. Aux termes de la loi, on ne peut pas demander au mannequin le remboursement des frais avancés – c’est écrit noir sur blanc.
Je vais citer un cas très concret, similaire à celui qui vient d’être évoqué. On a fait venir un mannequin d’Afrique ; on lui a fait signer un contrat de travail, et elle est devenue un des top models phares de l’agence, à laquelle elle a rapporté beaucoup d’argent. Elle était nourrie, logée et blanchie, comme c’est souvent le cas, mais elle n’a pas perçu un seul centime. Et, au bout de deux ans et demi, on l’a remerciée pour son travail et on lui a demandé de libérer l’appartement qu’elle occupait. Elle a eu le courage de consulter un avocat, de saisir la justice et d’entamer une procédure, qui a duré cinq ans puisqu’elle est allée jusque devant la cour d’appel, laquelle a condamné l’agence à lui payer les deux ans de salaires qu’elle avait retenus.
Mais pour avoir le courage de se lancer dans ce type de démarches, il faut ne pas craindre d’être « grillé » dans le milieu ou ne plus avoir intérêt à y être parce que sa carrière est derrière soi. La loi, les tribunaux existent. Le problème – et c’est vrai aussi dans le domaine pénal –, c’est que les gens ne les saisissent pas.
M. Erwan Balanant, président. C’est en effet ce que nous observons dans l’ensemble des secteurs auxquels s’intéresse notre commission d’enquête : souvent, les gens ne veulent pas témoigner, de peur de ne plus pouvoir travailler.
Je suis un peu perturbé car, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, nous avions auditionné les agences de mannequinat et des représentants du monde de la mode, qui m’avaient presque convaincu que ce secteur était en avance sur ceux du cinéma et du spectacle vivant. Peut-être ai-je été naïf. En tout cas, je ressens une grande désillusion. Nous arrivons au terme de nos auditions, mais nous prendrons le temps d’entendre quelques agences sur ces faits.
Monsieur Senez, vous avez dit que ces pratiques existaient aussi dans le monde du théâtre et du cinéma. Un témoin a évoqué les castings, sauvages ou pas, qui conduisent à des abus. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la situation de grande vulnérabilité dans laquelle se trouve la personne sollicitée pour participer à un casting ?
M. Valentin Senez. Tout cela fait partie d’un mode opératoire bien précis, utilisé depuis des années. Aujourd’hui encore, personne ne peut rien y faire. Ces personnes se sentent toutes-puissantes ; elles sont certainement protégées par des gens haut placés pour que tout cela ne se sache pas. La loi ne leur fait pas peur. Ce sont des prédateurs ; j’ai été une de leurs proies. Dix ans après, j’y pense encore chaque jour…
M. Erwan Balanant, président. Vous avez porté plainte et une instruction est en cours, n’est-ce pas ?
M. Valentin Senez. J’ai porté plainte juste avant l’expiration du délai de prescription. Je ne voulais pas que tout cela se soit passé uniquement dans ma tête. Je me suis dit que si je ne le faisais pas pour moi, je devais au moins le faire pour tous ceux qui ont vécu la même chose et qui n’ont pas eu le courage et l’audace d’aller jusqu’au dépôt de plainte.
M. Erwan Balanant, président. Merci. C’est vrai, il faut du courage dans cette situation.
M. Valentin Senez. C’est aussi grâce à James Chabert : il a enquêté pendant des années sur l’individu en question, qui, je l’espère, n’est pas représentatif de l’ensemble de sa profession. Pour ce que j’en sais, c’est quelqu’un qui côtoie les personnes les plus importantes de ce métier, notamment les plus grands agents. Ceux qui, comme moi, ne connaissent de Paris que la tour Eiffel et l’Élysée, sont très vulnérables. Il faut aller au bout des choses. J’espère que ceux qui m’entendent et qui ont vécu la même chose auront le courage de se rendre au commissariat pour déposer plainte et de parler, parce que parler fait du bien.
M. Erwan Balanant, président. Monsieur Chabert, pensez-vous que les agissements de cette personne sont connus dans le milieu et, si tel est le cas, pourquoi ne sont-ils pas davantage dénoncés ?
M. James Chabert. Je ne nommerai pas cet individu, car j’en ai fait la promesse par écrit. Mais peu importe qu’il s’appelle Pierre, Paul ou Jacques : certains changent de nom. Quoi qu’il en soit, il n’a pas, pour l’instant, été mis en examen. Ses agissements durent depuis une bonne quinzaine d’années. Je ne veux surtout pas céder au complotisme ou évoquer une mafia des métiers du spectacle, mais force est de constater qu’ils se connaissent tous – comme nous nous connaissons tous également – et se passent les poulains. Valentin était l’un d’eux. Nous les aidons, nous les accompagnons, et nous revenons vers eux pour nous assurer qu’ils vont bien. Je m’en fais beaucoup pour eux, jeunes et moins jeunes.
S’agissant de Valentin, je pense que le dossier sera pris en considération, car la société change. Mais, je tiens à le dire d’emblée, nous allons faire face à un problème – vous me direz que ce n’est pas mon problème, mais ça l’est tout de même. La justice des hommes, la justice française reçoit beaucoup de signalements, de plaintes similaires à celle de Valentin. Pour quel résultat ? J’ai vingt-six autres dossiers. Oui, beaucoup d’agents se livrent aux mêmes agissements. Certains d’entre eux sont connus, d’autres beaucoup moins ; parfois même, ce sont des imposteurs qui n’appartiennent pas au système.
Nous, nous sommes en « open source », si je puis dire, sur les réseaux sociaux. Oh là là, attention, me direz-vous ! Mais que reste-t-il aux plaignantes et aux plaignants ? Pour moi, ce sont des victimes : ils ne vont pas bien. Lorsque je mène mes investigations – je ne suis pas policier de métier –, je cherche l’information et, dès que j’acquiers une certitude, je la publie sur les réseaux sociaux. La prennent en compte celles et ceux qui le veulent bien, qu’ils soient débutants ou qu’ils connaissent bien le métier de chanteur ou de comédien. Car lorsqu’on a un revers de fortune on peut croire aux fables d’un recruteur, d’un agent, qui promet une nouvelle carrière. C’est lorsqu’il est affaibli que l’individu fonce vers les problèmes.
Puisque notre audition est filmée et diffusée, je demande à ces personnes de se renseigner avant de se rendre à un casting. Chaque jour, dix personnes me demandent des informations à ce sujet. Neuf fois sur dix – ce sont nos chiffres, pas ceux de l’Insee –, tout se passera bien. Mais il suffit d’une seule fois pour tomber très bas, et il ne s’agit pas toujours d’agressions sexuelles ou de viols.
Nous avons dénoncé des violeurs. Je pense à la fameuse histoire – je suis obligé d’en parler car j’étais dans le dossier – du violeur de Tinder. J’ai rencontré la juge d’instruction. On peut se demander, d’ailleurs, si ces magistrats ont toute leur tête, s’ils ne sont pas en burn-out. En ce qui concerne le violeur de Tinder – qui était, en fait, un photographe de mode, recommandé par des agences, qui lui envoyaient des mannequins –, cela a été, passez-moi l’expression, un massacre. Dix-huit mois se sont écoulés entre la première plainte – déposée par une jeune Américaine, qui a été retrouvée par moi et non par la justice française – et le moment où cet individu s’est fait pincer en bas de chez lui. Pas dix-huit jours ou dix-huit semaines : dix-huit mois ! Que s’est-il passé ?
La justice doit changer de logiciel, et si ces affaires y contribuent, j’en serai très heureux. Je pensais naïvement que les dossiers étaient notifiés sur les ordinateurs des policiers, mais ce n’est pas du tout ainsi que les choses se passent. En l’espèce, deux policiers ont évoqué leurs affaires respectives devant la machine à café et se sont aperçus que, dans les deux cas, le même individu était en cause. Plus d’une quinzaine de jeunes femmes, mannequins ou non, se sont rendues chez ce photographe ; elles ont été droguées et se sont retrouvées, le lendemain matin, dans le lit de l’individu, parfois après avoir été photographiées et filmées.
Lorsque j’ai appris cela, en novembre 2016, un mois après son incarcération, j’étais hors de moi. La justice française n’était pas là ! Alors j’ai fait un Facebook live, et j’ai recueilli le témoignage d’autres femmes, mannequins ou non, qui m’ont dit être passées par là. Mais, dans le même temps, une quinzaine de photographes de métier me sont tombés dessus pour défendre, non pas ces jeunes femmes, mais leur profession. Aucune des cinq structures qui défendent les intérêts des photographes en France ne s’est constituée partie civile dans l’affaire du violeur de Tinder !
On a gagné ce procès devant la cour criminelle départementale – nous ne nous sommes pas constitués partie civile – et l’individu a fait appel. Nous allons donc nous revoir devant la cour d’assises.
Si de nouvelles dispositions législatives sont adoptées, la justice recevra de nombreuses plaintes. Nous, nous avons vingt-six affaires, et les victimes se comptent par dizaines. Mon Dieu, comment la justice va-t-elle pouvoir les traiter ? J’ai des solutions à proposer. Nous sommes tous d’accord : il y a des failles et la justice manque de moyens. Mais, avec cette grande dette qui nous accable, comment va-t-on faire ?
Puisque le temps nous est compté, je m’efforce d’être le plus pragmatique possible. Nous avons tous, dans le prolongement du bras, un portable. Pour pouvoir décider si l’on se rend à un casting ou pas, il faut avoir l’information. Le contrôle doit s’exercer dès le départ car, si on laisse faire, l’escroquerie devient agression sexuelle et viol. Il existe des plateformes – 17cyber ou la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), par exemple – sur lesquelles on peut déposer un signalement. C’est très bien. Mais il nous faut une brigade spécialisée dans les métiers du spectacle, car chaque métier a ses spécificités. La police, que je vois très souvent, se renseigne auprès de moi, car elle ne peut pas tout connaître : elle passe d’une escroquerie dans le secteur de la boucherie, par exemple, à des abus commis dans des milieux particuliers.
Il y a huit ans, j’ai écrit une lettre ouverte aux syndicats et aux fédérations pour que nous rassemblions l’ensemble de nos dossiers, en respectant les méthodes de travail de chacun. Les nôtres sont, disons, un peu viriles : nous dénonçons – je ne le ferai pas ici, pour ne pas vous mettre en porte-à-faux en balançant des noms. Mais il faut que nous défendions la cause ensemble. Sinon, lorsque de nouvelles dispositions auront été adoptées, nous en serons toujours au même point : chacun veut avoir raison seul dans son couloir. Comment continuer le combat dans ces conditions ? Je vous ai communiqué ce courrier, qui me semble aimable. Nous ne prétendons pas savoir tout faire. J’ai évoqué les métiers du spectacle : la montagne est énorme !
Même après la libération de la parole grâce à MeToo et à « Balance ton porc », fin 2017 – j’avais alors contacté Mme Sandra Muller à ce sujet –, il y a une avalanche de plaintes qui ne sont pas prises en considération. De ce fait, et je le prouve, les victimes hésitent à porter plainte. Des camarades, qui m’ont précédé à cette place, vous l’ont dit : cela ne nous amuse pas de faire des signalements au titre de l’article 40 !
Nous prenons des risques : moi-même, je reçois des menaces de mort. Mais je ne suis pas venu me plaindre auprès de vous, je viens vous livrer un retour d’expérience. Tout de même, comment se fait-il que les parquets de Bordeaux, de Paris, de Montauban, de Montpellier, auprès desquels j’ai déposé plainte pour menaces de mort avec force renseignements ne prennent pas ma plainte en considération ? On cherche mon adresse personnelle : certains sont prêts à payer, et je le prouve ! J’aimerais donc que l’on parle aussi de la protection de ceux qui montent au créneau. Nous sommes des militants, mais nous sommes avant tout des citoyens. Lorsque nous avons connaissance d’une agression ou d’un viol, nous avons l’obligation de le signaler. Si je m’abstiens, on dira : « Chabert savait mais il n’a rien fait ».
J’avoue une faute, cependant : lorsque je fais un signalement, toutes les personnes concernées ne savent pas que je les mentionne. Je communique l’information au procureur, comme je l’ai fait à Meaux, par exemple. Ce que je vais vous dire à ce propos est très grave. Cette affaire n’a rien de singulier ; j’essaie de comprendre les dysfonctionnements, le mécanisme. Depuis dix ans, à Meaux, un individu recrute de jeunes mannequins, des comédiens – sa matière première, c’est le jeune homme –, qu’il reçoit chez lui et qu’il viole. Une plainte a été déposée récemment par un jeune homme. De mon côté, j’ai fait un signalement, car plusieurs personnes m’avaient décrit le même mode opératoire et j’estimais que le dossier commençait à être mûr. Écoutez bien : j’ai fait ce signalement en avril 2024. Cela ne fait que neuf mois, me direz-vous, mais il s’agit tout de même d’un viol ! L’individu a été mis au courant ; j’ai été contacté par mon commissariat de police – ils me connaissent très bien – et je suis sommé de m’expliquer sur la diffamation dont je me serais ainsi rendu coupable.
M. Erwan Balanant, président. Comment reçoit-il l’information aussi rapidement ? Des avocats nous ont dit que le délai était parfois très long avant que la personne mise en cause ait accès à l’information.
Par ailleurs, il est vrai que la justice est au bord de l’embolie, même si ses moyens ont considérablement augmenté depuis cinq ans. Mais l’enjeu prioritaire de notre commission d’enquête est aussi le développement de la prévention : il s’agit de faire en sorte que cela n’arrive pas.
Quel est le statut de Casting info services pour que vous puissiez faire des signalements au titre de l’article 40 ?
M. James Chabert. C’est une association qui a emmagasiné des procès, qui compte près de 200 adhérents. Je fais des signalements auprès de la justice.
M. Erwan Balanant, président. Cela n’a donc pas de lien avec l’article 40. Je vous posais la question car votre association aurait pu avoir le statut d’un syndicat.
Maître Michael Indjeyan Sicakuz. Je crois que votre commission est à la recherche de solutions afin d’améliorer la prévention. On peut accumuler les textes, ils n’auront guère de portée tant que le contrôle sera insuffisant. Du reste, on peut estimer que la législation concernant les mannequins tient bien la route.
La justice, on l’a dit, est débordée par un afflux de plaintes de toutes natures. Lorsque vous saisissez un tribunal, vous devez vous attendre à ce que les délais soient particulièrement longs. C’est une première difficulté : c’est souvent décourageant, surtout dans les affaires qui nous occupent car le volet psychologique est très important. Les victimes sont fragilisées dans leur vie professionnelle et dans leur personne.
Il existe pourtant des solutions simples. Les agences immobilières, par exemple, publient en ligne toutes leurs annonces, ce qui leur confère un caractère officiel et fiable. Pourquoi ne pas adopter un dispositif similaire pour les castings en imposant aux organisateurs de s’inscrire auprès d’un organisme, sinon officiel, du moins soumis à un certain contrôle ? Si l’on voulait aller plus loin, en modifiant la loi – mais quand le législateur veut, il peut –, on pourrait créer, sur le modèle du parquet national financier, qui centralise toutes les affaires ayant un lien avec la délinquance en col blanc, une autorité rattachée au parquet, un procureur spécialisé, qui s’occuperait de ces infractions. Une telle organisation pourrait d’ailleurs être transposée à la justice prud’homale.
Encore faut-il que les juridictions soient saisies. C’est pourquoi il me paraît important d’insister sur l’aspect psychologique : il faut encourager les victimes à faire appel à la justice.
Mais, encore une fois, il existe des solutions simples et peu coûteuses. La centralisation des castings permettrait d’écarter des escrocs qui se disent agents de casting ou agents recruteurs et qui s’engouffrent dans les brèches du système. Car c’est le flou qui entoure le casting, lequel est un préalable à l’accès aux métiers du spectacle, qui facilite la commission d’infractions de toutes natures.
Maître Juliette Halbout. Certes, le contrat de travail offre une certaine sécurité, mais le droit du travail n’est pas du tout appliqué aux mannequins. Ce statut dérogatoire me semble tout à fait inadapté en ce qu’il relève d’une vision paternaliste de la relation entre le mannequin et l’agence.
Cela dit, quel type de contrat proposer à un mannequin ? En fait, il n’y a pas de réponse à cette question. Comme les prestations sont courtes, on pourrait penser à un CDD. Or celui-ci est très encadré et le mannequinat ne correspond à aucune des situations précises dans lesquelles il peut être utilisé. La prestation de mannequin n’entre dans aucun des cadres légaux existants, de sorte que l’on se retrouve dans une situation illicite, au croisement de différents statuts. Cette première difficulté en entraîne beaucoup d’autres. Le statut légal actuel n’est pas satisfaisant.
Mme Ekaterina Ozhiganova. Je souscris aux propos de maître Halbout. La seule exception au statut de mannequin salarié, c’est celui de prestataire de services, qui permet, en principe, aux mannequins venant d’autres pays de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen d’exercer ce métier en France de façon ponctuelle en tant qu’indépendants. Or, dans les faits, beaucoup d’agences refusent qu’un mannequin travaille en tant qu’indépendant et lui impose un statut salarié, ce qui l’empêche de capitaliser d’une certaine façon ou de déduire ses frais. C’est illicite.
Si l’on s’en tient au mannequinat, il me semble que le législateur devrait restreindre l’accès à ce métier aux personnes majeures ; ce serait un premier pas important. Du reste, cela a déjà été proposé dans le cadre de la soft law. Je pense aux chartes, par exemple, qui sont, certes, très peu respectées, mais qui contribuent à modifier les usages en cours dans le métier. Ainsi, les agences étrangères envoient de moins en moins de mannequins mineurs alors qu’en 2014, lorsque j’ai commencé ce métier, on voyait beaucoup de filles âgées de 14 ou 15 ans.
M. Erwan Balanant, président. Merci beaucoup pour vos témoignages. Notre rapport sera publié au début du mois d’avril. Entre-temps, nous serons peut-être amenés à vous demander des compléments d’information. N’hésitez pas, du reste, à nous communiquer toutes les pièces qu’il vous semble important de porter à notre connaissance. J’avoue avoir été un peu étonné par les pratiques que vous avez décrites ; nous compléterons sans doute notre enquête sur les points abordés.
L’audition s’achève dix-huit heures quarante-cinq.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Sarah Legrain, Mme Sandrine Rousseau