Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Catherine Corsini, réalisatrice, et de Mme Élisabeth Perez, productrice  2

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants du Hellfest, des Francofolies, des Plages électroniques et du festival Panoramas              16

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Caroline Barel, ambassadrice de MeTooMedia, et de Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de MeTooMedia              27

– Présences en réunion....................................35

 


Lundi
27 janvier 2025

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 36

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission


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La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La commission auditionne Mme Catherine Corsini, réalisatrice, et Mme Élisabeth Perez, productrice.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos travaux en recevant Mme Catherine Corsini. Vous êtes une réalisatrice reconnue avec une longue filmographie derrière vous et plusieurs récompenses, nominations ou sélections dans le cadre de grands festivals. Vous êtes accompagnée de Mme Élisabeth Perez, votre productrice. Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment.

Les polémiques qui ont émaillé la sélection de votre dernier film, Le Retour, à Cannes et les éléments révélés par la presse suscitent bien sûr l’intérêt de notre commission d’enquête, car ils nous semblent être très symptomatiques de ce que vit aujourd’hui le cinéma français. Nous y reviendrons et cette audition permettra d’y revenir en détail. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Catherine Corsini et Mme Élisabeth Perez prêtent successivement serment.)

Mme Catherine Corsini. En préambule, j’aimerais vous présenter mon parcours et revenir sur mon dernier film. Dès le lycée, j’ai voulu être actrice. Je suis montée à Paris mais, très vite, je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à jouer le jeu de la séduction dans lequel on enfermait les actrices. On me renvoyait des réflexions désagréables, voire violentes, sur mon manque de féminité. Je devais cacher mon homosexualité, qui était totalement taboue chez les actrices à mon époque. J’ai renoncé et je me suis tournée vers la mise en scène. Je n’avais pas de formation, pas de connexion dans ce milieu, mais l’envie très forte de raconter des récits qui n’enfermaient pas les femmes dans des clichés. J’ai tourné mon premier court-métrage en 1982 – ça fait un bail ! – avec de l’argent public.

J’ai croisé d’autres jeunes réalisatrices pleines d’ambition. Quelques années plus tard, la plupart d’entre elles avaient arrêté. C’était extrêmement difficile d’exister dans un monde où les décideurs, les producteurs, les critiques étaient principalement des hommes et parfois uniquement des hommes. Il y avait trois réalisatrices phares, Chantal Akerman, Marguerite Duras, Agnès Varda, pour une centaine de réalisateurs. Il a fallu mener une bataille pour passer de 6 % de femmes cinéastes en 1985 à environ 30 % aujourd’hui. J’ai travaillé à cette transformation. J’ai pris une part active dans des associations de cinéastes pour promouvoir la parité et la diversité. J’ai essayé de mettre en valeur les films des réalisatrices quand l’occasion m’en était donnée. Pendant longtemps, les réalisatrices n’avaient pas droit à l’erreur. Elles devaient faire des films réussis, sinon elles disparaissaient.

Pour ma part, j’ai dû me cantonner à faire des films modestes, à petit budget. Je ne suis pas autorisée à rêver de films plus ambitieux. Quand j’ai fait mon premier long-métrage à 30 ans, j’ai dû accepter de travailler avec une majorité de techniciens hommes que la production m’avait imposés. Ça a été un arrachement de ne pas pouvoir travailler avec les femmes et les gens de mon âge que j’avais envisagés à certains postes. On m’a imposé des choix avec lesquels je n’étais pas d’accord et auxquels je n’ai pas pu résister. Le film m’a échappé et je me suis fait la promesse de ne plus jamais accepter ça. Je pensais ne plus refaire de films. Je suis passée par la case télévision. J’ai un succès qui m’a permis de revenir au cinéma, de me sentir plus armée pour imposer mon point de vue. Cela m’a donné une forme d’intransigeance et, parce que je défendais mes convictions, j’ai eu la réputation d’avoir une grande gueule et d’être une emmerdeuse.

Ce qui apparaît comme des qualités chez les hommes est souvent péjoratif et dévalorisant chez les femmes. Je pense ne pas être la seule à souffrir d’une réputation. Ce sont des choses qu’on ne contrôle pas, qu’on ne peut pas maîtriser, d’autant plus quand on est une femme et qu’on est homosexuelle. Au fond, je crois être directe, franche, je n’aime pas le conflit, je ne m’en nourris pas. Les critiques de mes films ont parfois été très humiliantes et misogynes. Je me souviens de cette phrase sur mon premier film : « Corsini filme comme un homme. » Le dernier papier des cahiers du cinéma sur Le Retour était d’une violence inouïe. Le journaliste l’a d’ailleurs modifié après la seule et unique réponse que j’ai faite à un journaliste, tellement j’étais choquée.

Il m’a reproché de ne pas savoir filmer une scène de cunnilingus dans sa durée comme Kechiche et de me targuer d’avoir un caractère de peau de vache comme Pialat sans en avoir le talent. Je vous laisse apprécier. D’ailleurs, pourquoi ces comparaisons, toujours avec des hommes ? Pourquoi ce journaliste a-t-il tenu à écrire cet article alors qu’une journaliste femme de sa revue aimait plutôt le film, sinon par pure misogynie ? Malgré cela, le cinéma a représenté pour moi un espace de liberté. Je pouvais raconter mes propres histoires et sortir les actrices de ces injonctions de séduction auxquelles elles étaient souvent réduites.

Dans mes films, j’ai abordé à la fois les rapports de classe, l’homosexualité, l’émancipation et l’indépendance des femmes, donc de fait les rapports de domination et de violence et le déterminisme social et culturel. Je me suis sentie d’emblée très concernée dans la façon de représenter les femmes. J’ai du désir pour les actrices et les acteurs et il en faut pour les filmer, pour porter un projet. Mais c’est un désir qui n’a évidemment rien à voir avec le désir sexuel. Le mot désir renferme plusieurs sens. C’est un débat important, cette question des désirs que vous avez abordée ici. Et je ne vois pas de mots aussi forts pour définir l’élan, la volonté et la conviction qu’il faut pour aller chercher et montrer la beauté chez les gens qu’on filme.

Enquiller des plans, c’est facile, mais amener un acteur vers un personnage, faire advenir des émotions, l’accompagner, ça demande de l’attention. Il y a des scènes qui nécessitent de la tension, d’autres de la précision, d’autres du lâcher-prise et des scènes qui nécessitent de la douceur avec les comédiens. Quand je tourne des scènes d’amour, ce ne sont jamais les premières scènes qu’on tourne dans un film. J’ai déjà un rapport de confiance plus ou moins fort avec les acteurs. On a même déjà parfois une certaine familiarité. Ils savent ce que je vais filmer de leur anatomie. Ils savent que le nombre de prises sera limité. On a réfléchi ensemble à la scène. Ils ne sont pas soumis. Ils m’ont fait part de leurs limites et je respecte ce pacte. Parfois, on tâtonne. Parce que la réalité d’un plan n’est pas forcément ce qu’on avait imaginé, on change un peu les choses. Il m’est même arrivé d’abandonner des plans et de faire autrement. Mais je n’ai jamais volé l’intimité d’un acteur, ni brutalisé un acteur. Je ne filme pas des scènes crues, je filme avec respect, je crois, et je ne montre jamais les acteurs dans des situations avilissantes et dégradantes. Je leur demande, après chaque prise, si tout va bien, si on peut refaire une autre prise. Ce sont des scènes qui demandent une attention et une délicatesse particulière. Notre métier est artisanal et précaire. On n’est jamais sûr de pouvoir refaire un film et on doit faire ses preuves en permanence.

Il m’a fallu du temps pour que je me considère comme cinéaste. Je me suis sentie illégitime longtemps, et c’est malheureusement un mécanisme à l’œuvre chez beaucoup de femmes. Il m’a fallu du temps pour avoir un peu de reconnaissance. Grâce à l’arrivée de camarades réalisatrices, de productrices et de techniciennes sur les plateaux, je me suis sentie moins isolée. J’ai eu le sentiment que mes films avaient parfois compté pour elles et ça m’a fait du bien. Faire un film, c’est deux ou trois ans de sa vie, parfois plus. On arrive souvent sur un plateau lessivée, fatiguée. Il a fallu écrire, avoir de bonnes et de mauvaises réponses, préparer, couper des scènes pour rentrer dans l’économie du film, perdre des décors au dernier moment, manquer d’argent, de temps. Je suis fébrile sur un plateau, je peux passer de la joie au stress. Je ne suis pas un manager, je suis une petite artiste et je compose avec mes émotions.

Mes tournages sont devenus paritaires depuis une dizaine d’années et il s’est formé au fil du temps un noyau de proches collaborateurs et d’amis. Mais une équipe, ça s’agrandit, ça se renouvelle un peu à chaque tournage. Mes plateaux sont joyeux, un peu bordéliques, mais aussi studieux. Enfin, c’est ce qu’on m’en dit. La plupart des techniciens reviennent tourner avec moi avec plaisir, je crois. Sur mon dernier film, j’ai choisi de prendre des inconnues ou des actrices débutantes pour les rôles principaux, les personnages et des femmes noires pour le besoin du scénario. Je savais que cela voulait dire moins d’argent. Pour que le film marche un peu, il fallait que ces actrices soient formidables et le film aussi. Je sortais d’un succès, La Fracture, des acteurs connus m’avaient approchée, mais j’ai choisi de prendre ce risque, de faire ce pari par choix politique.

Je voulais prendre la question du manque de diversité au sérieux et pas toujours me plaindre de l’entre-soi sans rien faire. Nous avons réuni avec Élisabeth une équipe à 70 % féminine. Tous les chefs de poste étaient des femmes, sauf un. Je voulais donner de la visibilité à un personnage de jeune lesbienne noire et faire rejouer une actrice qui avait débuté dans La Fracture et qui était toujours aide-soignante malgré un césar du second rôle. Toutes ces bonnes intentions se sont retournées contre moi et je me suis retrouvée accusée de choses contre lesquelles je luttais depuis des années. J’ai été dévastée par des rumeurs, des amalgames et des approximations répétées. Je voudrais reprendre l’historique. Même si c’est un peu long, cela me semble nécessaire pour vous donner mon point de vue.

Un mois avant le tournage, après quelques jours de répétition, je me suis séparée d’une jeune femme de 19 ans que j’avais choisie pour interpréter un de ses rôles principaux. Son parcours correspondait beaucoup à mon personnage, mais elle n’arrivait pas à reproduire ce que j’avais trouvé bien aux essais. Tout restait assez cérébral et, pour tout dire, un peu récité. Elle ne comprenait pas ce qui était de l’ordre de sa propre émotion ou du jeu. En fait, je l’ai sentie vite trop fragile et nous manquions de temps pour la faire progresser. Quand je lui ai parlé de mes doutes sur son jeu pour la première fois, elle m’a dit qu’en effet elle n’était pas bien lors de la dernière répétition parce que, dans une scène de danse, le coach l’avait serrée de trop près, ce qui l’avait surprise ; mais elle en avait parlé avec lui, il s’était excusé et le chapitre était clos.

Après réflexion, avec l’ensemble de l’équipe, nous avons décidé de la remplacer. Un film m’engage auprès des partenaires financiers. La décision était difficile, mais je ne pouvais pas me permettre de prendre ce risque. Je m’étais trompée. Elle en a été extrêmement blessée. C’est difficile de trouver les mots justes pour dire à une personne qu’on ne la trouve pas bonne. Je me suis excusée, lui ai dit qu’il arrivait de se séparer d’un acteur avant un tournage. Dans le sens inverse aussi, un acteur peut être amené à partir. Ça m’est arrivé. Elle n’a pas voulu l’admettre. Elle s’est mise à pleurer en invoquant l’agression sexuelle présumée du coach comme raison de son éviction. C’est la première fois qu’elle a employé ce terme. Elle a essayé de convaincre avec insistance d’autres actrices de quitter le film, ce qu’elles n’ont pas voulu faire. La production a pris très au sérieux son signalement.

Il y a une enquête interne confidentielle à laquelle je n’ai pas participé comme Libération l’a écrit par la suite. De fait, la jeune fille et le coach n’ont plus été en présence et les autres actrices ont bien voulu continuer le travail avec lui. Il reste que la déception pour la jeune femme n’a pas disparu, déception qui s’est muée en colère. Après le tournage, elle a été voir des journalistes. Elle a porté plainte contre X pour agression sexuelle, donc pas contre le coach, comme cela a été dit dans la presse. Elle a assigné au prud’homme la production réclamant une somme faramineuse. La procédure s’est clôturée au stade de la conciliation. Les conséquences pour le coach par la suite, c’est qu’il s’est fait écarter d’un tournage sans autre raison que ce qui a été écrit sur lui et il n’a plus travaillé depuis.

Il y a eu un autre signalement d’un geste présumé déplacé pendant le tournage qui a donné lieu à une enquête interne à laquelle la plus jeune actrice n’a pas voulu donner suite. Dans l’ensemble, le tournage s’est bien passé. On avait des conditions de travail et des lieux de tournage idylliques. L’équipe était ravie. J’ai fait une chose qui se fait peu. Tout le monde avait accès au rush du film, même les stagiaires. Pour moi, cela fait partie aussi de l’horizontalité, de considérer que tous les techniciens ont droit de voir les rushs d’un film qu’ils sont en train de fabriquer. J’y tenais même si, au final, ce sont les techniciens habituels qui les ont regardés.

Au fil de l’avancée du tournage, il y a eu quelques tensions. Un conflit avec un technicien qui refusait de s’adapter à notre manière de travailler avec ma cheffe opératrice. Une technicienne qui vivait mal une situation intime sur le plateau a décidé de partir. Je lui ai dit une phrase malheureuse et, malgré mes excuses, cela n’a pas aidé à la retenir. Puis, j’ai eu des problèmes avec le réglage de la figuration qui a engendré trois disputes, trois emportements sans gravité avec mon assistante et le départ anticipé du chargé de figuration à une semaine de la fin. À partir de ce départ, tout s’est emballé et percuté. Le signalement fait par la plus jeune actrice du geste déplacé est devenu une rumeur de viol que la production et moi aurions ignoré. Des dénonciations ont été faites auprès d’institutions dans des termes les plus exagérés qui soient, pour dire que je maltraitais mon équipe et qu’il se passait des faits « très graves de violences et harcèlement sur le tournage ». Ce qui s’est avéré faux après les témoignages de la majeure partie de l’équipe au moment de Cannes, les contrôles et les enquêtes.

Quand on arrive sur un tournage et qu’on n’a pas tourné depuis trois ou quatre ans, on a le tract. Enfin, moi, j’ai le tract. Sur un plateau, on a une pression énorme pour réussir le film. Sur ce tournage en particulier, on devait courir d’un endroit à l’autre, être très mobile pour avoir la bonne lumière du soleil. On avait très peu de temps pour tourner les scènes et cela engendrait de fait de la tension. Un plateau, c’est un petit village. Il y a des gens qui s’entendent, d’autres pas, comme dans la vie. Il y a aussi beaucoup d’ego, beaucoup de demandes d’amour. Ce n’est pas si simple. Nous étions parfois cinquante personnes sur le plateau. Il n’y a pas des bons et une méchante. Les egos sont partout, les frustrations aussi.

Il a suffi que trois personnes ne se sentent pas considérées comme elles l’auraient souhaité pour créer de la division. Les désaccords de travail qui sont le lot de beaucoup de tournages sont devenus soudain des affaires d’État. À part les trois emportements avec mon assistante, je n’ai jamais manqué de respect à personne, encore moins crié contre ceux qui se sont plaints. Mon assistante s’est d’ailleurs elle-même sentie instrumentalisée par ceux qui ont choisi d’utiliser nos trois prises de bec pour dézinguer le tournage. Cela dit, je conçois complètement que mon impulsivité puisse heurter les personnes et je travaille pour dominer ces quelques colères qui ne sont plus acceptées aujourd’hui. Et c’est tant mieux. J’ai bien compris que je devais apprendre à modérer mes propres angoisses, mais je n’ai jamais maltraité mes collaborateurs.

Il m’arrive parfois d’être maladroite et de manquer de délicatesse mais, si j’ai blessé des gens, c’est sans intention de perversité. Quand je m’en rends compte, je m’en excuse. Après le tournage et à la suite de l’enquête du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT), la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) a appris que nous avions tourné une scène à caractère sexuel avec les deux adolescents sans son accord. Il s’agissait d’une scène rajoutée pendant le tournage. La directrice de production nous a alertés sur la nécessité d’une autorisation mais, dans le feu de l’action, ma productrice et moi avons trop rapidement balayé cette question.

Je les avais rassurés et convaincus de la façon dont j’allais filmer la scène, de manière totalement simulée et inoffensive. Les acteurs ne se toucheraient pas et seraient habillés, rien ne portant atteinte à leur intégrité. Le tournage s’est d’ailleurs bien passé, les deux acteurs s’entendaient très bien, c’était un plaisir de travailler avec eux. La jeune actrice avait 15 ans et 9 mois, le jeune acteur 17 ans. Le tournage de la séquence a duré vingt-cinq minutes, il n’y a eu aucune gêne de leur part, aucune gêne de l’équipe ou de remarque. J’avais expliqué les plans aux jeunes acteurs avec le coach. Pour eux, tourner cette scène ne posait pas de problème, le coach était présent. Un autre coach de préparation physique était également prévu pour le tournage, mais les jeunes acteurs n’en ont pas voulu. On a travaillé dans la confiance absolue, tout était filmé en plan serré sur les visages. Effectivement, nous aurions dû signaler cette scène, nous avons été trop légères et nous l’avons payé très cher.

Nous avons appris par la suite qu’il n’existait de toute façon aucune procédure d’urgence auprès de la DRIEETS et que nous n’aurions pas pu obtenir l’autorisation dans les temps. Peut-être faudrait-il d’ailleurs réfléchir à la création de procédures d’urgence, pour nous permettre d’ajouter des scènes, le cas échéant. Je précise que la personne qui nous a dénoncés à la DRIEETS n’était pas présente sur le plateau au moment du tournage de cette scène et a fantasmé quelque chose qui n’existe pas. Néanmoins, quand le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a fait le choix de retirer à la production 700 000 euros pour ce défaut d’autorisation – une décision inédite et disproportionnée –, la boîte de Pandore des fantasmes a été ouverte.

L’énormité de l’amende a fait penser que nous avions fait quelque chose de terrible. J’ai entendu les pires horreurs sur cette scène, par exemple que j’avais tournée en dix-sept prises une fellation non simulée avec des adolescents. J’ai été dévastée. J’ai passé tout le montage à ne pas savoir si nous pourrions terminer la post-production et ma productrice a dû batailler pendant six mois avec l’aide de son syndicat pour que le CNC minore l’amende, pour sauver le film et son activité. Que le CNC décide de retirer une avance sur recette obtenue à l’unanimité et de maintenir une sanction de 330 000 euros à l’encontre d’un film et d’une production indépendante qui défend la diversité me questionne à plein d’endroits. Une amende – déjà significative – de 50 000 euros n’aurait pas créé un tel bazar.

Est-ce un hasard, en pleine affaire Boutonnat, que le CNC ait voulu être ciselé et exemplaire ? L’ironie est qu’une année plus tôt, j’ai été une des premières à demander que M. Boutonnat quitte ses fonctions au CNC, et ce dès le premier jour de sa mise en examen. Je lui ai redit de vive voix lors d’une réunion interprofessionnelle. Ce jour-là, j’ai été la seule à le faire dans une assemblée où siégeait plus d’une trentaine de représentants syndicaux et professionnels de notre industrie. Ce jour-là, personne n’a rien dit, personne ne m’a soutenue, personne.

Puis arrive la sélection à Cannes, la joie de toute l’équipe de savoir le film sélectionné malgré la bataille de l’hiver. C’était sans compter sur les efforts de la CGT, qui a fait suspendre le film lors du conseil d’administration de Cannes, et la hargne de la personne qui a envoyé des lettres anonymes, délirantes et diffamatoires à tous les festivals et les institutions du cinéma. Je m’étais battue avec acharnement contre la CGT au moment de la convention collective pour sauver les films sous-financés. J’ai vraiment eu le sentiment d’un retour de bâton. S’en est suivie dans la presse une déferlante d’articles aux titres dignes de la presse à sensation ‑ « Corsini dans la tourmente » –, et où tous les incidents étaient mis sur le même plan dans une grande confusion de propos rapportés, où mon nom était cité entre ceux de Gérard Depardieu et de Johnny Depp.

Malgré tout, le film a été réintégré dans la sélection grâce à Thierry Frémaux, qui a pris le temps de vérifier qu’il n’y avait rien eu de grave, et au soutien de quarante-cinq personnes de l’équipe et d’amis réalisateurs qui ont envoyé des lettres – mais le mal était fait. La critique a semblé déçue de ne pas trouver un film sulfureux, ce qui n’était évidemment pas mon sujet. Comment un film qui donne à des actrices racisées des rôles principaux, qui les sort de leur assignation à la banlieue, a pu être à ce point invisibilisé ? Au final, ce sont malheureusement ces actrices les plus précaires, celles que le cinéma aurait pu aider, dont le travail aurait pu être connu, qui ont été invisibilisées. Le film a été abîmé, peu de ventes à l’étranger à cause de la polémique, ce qui est rare pour un film en compétition à Cannes.

Au moment de sa sortie en salle, toutes les interviews ont été annulées au dernier moment, malgré l’investissement financier et humain de l’équipe de distribution. L’attaché de presse n’avait jamais vu un boycott pareil. Toutes les instructions ouvertes après le tournage, qu’il s’agisse du contrôle de l’inspection du travail sur les conditions de tournage ou de l’enquête du CCHSCT, ont été refermées. Il n’a pas été constaté de manquement au code du travail. Le procureur a fait des vérifications auprès de la jeune actrice et de sa mère à propos de la scène et de son signalement de gestes déplacés. C’est la procédure normale quand il s’agit d’une mineure et cela prouve que les choses fonctionnent. La jeune fille a confirmé qu’elle n’avait pas eu de problème avec la scène, elle l’a redit à la conférence de presse à Cannes. Elle a même écrit une lettre de soutien à ce sujet. Elle n’a pas donné de suite judiciaire à son signalement.

L’année que nous avons traversée avec ma productrice a été terriblement violente et nous a, par moments, dépassé, mais nous avons fait front ensemble. Pour finir, je ne sais pas à quel titre je suis convoquée ici, j’espère qu’il s’agit de réfléchir ensemble à faire évoluer le secteur. Cela a été le travail de ma vie. J’espère que ma parole et mon témoignage contribueront à éclairer votre réflexion sur les difficultés auxquelles nous pouvons être confrontés en tant que cinéastes. Nous faisons des erreurs dans la vie, nous avons à améliorer nos pratiques collectivement, mais n’oubliez pas que le cinéma d’auteur est aussi un garant contre la vision formatée par les plateformes et les algorithmes. Pour ma part, cela fait un an et demi que je me remets en question et que je réfléchis à trouver les outils pour mieux travailler.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous remercie de votre témoignage, comme de la transmission, en amont de cette audition, de vos films et de la scène incriminée, que nous avons pu visionner. Le tournage que vous décrivez concentre un certain nombre d’interrogations sur la façon dont le cinéma se fait en France de façon générale.

On mesure la difficulté à faire un film, dans un temps restreint, et à réunir les financements nécessaires – financements dont la fragilité peut rendre les choses difficiles et créer des tensions. Si vous aviez quelques jours de tournage en plus, peut-être seriez-vous moins contrainte par la météo, par exemple.

Nous avons vu la scène incriminée : ce n’est effectivement pas une scène qui choque. C’est une scène qui démontre quelque chose sans rien montrer, qui peut certes choquer si on est un peu moraliste. Une relation entre deux adolescents n’est pas nécessairement ce qu’il y a de plus choquant. Par contre, d’autres scènes pourraient revêtir ce qualificatif : je pense à la scène d’amour dans la voiture, pour les besoins de laquelle les deux actrices, nues, se touchent.

Mme Catherine Corsini. Elles sont torse nu.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Oui, tout à fait. Cependant, on voit les seins des deux actrices, et la scène a un certain réalisme puisqu’elles se touchent. Cette scène était-elle décrite dans le scénario ? A-t-elle été autorisée ? Comment vous l’avez travaillée de sorte à ce qu’elle se passe bien ? Avez-vous évoqué la présence d’un coach à un moment donné ? Est-ce que vous avez eu recours à un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité pour travailler cette scène ?

Mme Élisabeth Perez. Juste une petite remarque : les actrices sont majeures. Dans ces cas-là, il n’y a pas d’autorisation à demander pour ce type de scène.

Mme Catherine Corsini. Oui, les actrices – professionnelles – ont 23 ans et 21 ans.

Nous avions un coach pour travailler avec les actrices, notamment pour travailler certaines scènes, comme celles où elles sont sous l’emprise de la drogue, mais sur cette scène, nous avons répété ensemble avec les actrices. À l’époque, je n’avais pas encore à l’esprit que le recours à un coach d’intimité pouvait entrer dans les pratiques ; je pensais que l’intimité, c’est le metteur en scène qui l’avait avec les acteurs. On a travaillé, on a répété.

Je leur ai expliqué comment la scène allait être tournée et je leur ai dit, de façon peut-être novatrice, de me préparer la scène. Je leur ai indiqué que la scène aurait lieu dans la voiture, et que nous ne ferions pas plus de trois prises, compte-tenu du caractère acrobatique de la scène. Il y avait quelque chose d’un peu drôle dans la façon dont elles arrivaient à faire l’amour dans ce lieu et je leur ai demandé de me proposer une façon de la jouer, pour voir jusqu’où elles allaient. Je leur avais néanmoins indiqué que la scène était très courte, et très vite coupée : elle ne devait montrer que les prémices, le déshabillage, le premier baiser, avant la bascule. Ce sont elles qui ont fait la proposition qui est à l’écran : j’ai voulu travailler de cette manière-là sur ce tournage.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette scène était donc prévue par le scénario et vous avez eu ce dialogue avec les comédiennes, qui ont exprimé leur accord.

Mme Catherine Corsini. J’évoquerai une autre scène, celle où la maman fait l’amour – on l’avait évoqué lors de la conférence à Cannes en abordant la question des coordinateurs d’intimité –, une scène extrêmement pudique. Je suis allée jusqu’où l’actrice, qui avait déjà tourné La Fracture avec moi – nous étions donc dans un rapport de grande confiance – voulait bien m’accorder d’aller. Elle retire son haut, elle reste en soutien-gorge, la scène est très pudique. L’acteur qui a tourné avec elle s’est d’ailleurs mis à pleurer pendant la scène, compte-tenu du degré d’émotion. Elle m’a donné ce qu’elle voulait bien m’accorder, mais ça n’a pas été plus loin. Je n’ai jamais forcé à ce que la scène aille plus loin. Ce simple mouvement de bascule qu’elle a avec lui, et le fait de retirer son haut, était très érotique et très beau.

Mme Élisabeth Perez. Il était clair qu’elle ne voulait pas de coordinateur d’intimité et qu’elle n’aurait pas fait cette scène avec quelqu’un d’autre qu’avec Catherine, comme elle nous l’a dit à Cannes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous envisageons de rendre obligatoire le fait de proposer en amont, de manière systématique, un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité, pour rendre la liberté aux personnes de refuser ou d’accepter de tourner de telles scènes. D’ailleurs, comment fait-on quand l’un des acteurs consent à tourner, mais l’autre pas ? J’imagine que celui qui est d’accord l’emporte…

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pour revenir sur cette scène de masturbation, on sait qu’il n’y a pas eu de nudité. Dans le cas contraire, cela aurait été bien plus grave. Au moment du dépôt du dossier en vue de l’avance sur recette, cette scène y est-elle ou pas ?

Mme Élisabeth Perez. Elle y est dans une version beaucoup plus crue ; c’était vraiment une scène d’agression sexuelle. Il forçait vraiment la jeune fille à lui faire une caresse et elle finissait par terre dans l’herbe en pleurant. L’idée était bien sûr de simuler ! Ni moi ni France 3 n’aimions cette scène, dont on ne comprenait pas la nécessité alors que la relation entre les deux adolescents était plutôt jolie ; nous en avons donc parlé à Catherine. Catherine a réfléchi et elle a décidé d’enlever la scène. Donc au moment où on dépose le dossier, il n’y a pas la scène.

Plusieurs versions du scénario circulaient depuis les mois de mai ou juin. Lorsque nous déposons le dossier à la DRIEETS, fin juillet, le scénario ne comporte plus la scène, parce qu’elle ne doit pas y être. Lorsque le CNC nous a octroyé l’avance sur recette au mois de mai, le scénario comportait la scène plus crue que j’ai évoquée.

Mme Catherine Corsini. Les deux acteurs s’entendaient particulièrement bien, et jouaient très bien ensemble. L’actrice n’était pas une petite fille de douze ans, elle est très vive. J’ai eu envie de montrer ces injonctions à la virilité que connaissent les garçons. Ils participent à une fête, il veut jouer au grand, il est maladroit. J’ai eu envie de tourner cette scène que j’avais imaginée initialement, mais de façon beaucoup moins violente, sa maladresse la mettant tout de même mal à l’aise.

La scène est revenue comme ça. Quand on est réalisateur, il y a des choses qu’on ne lâche pas, mais on essaie de les faire de manière différente. Jamais je n’aurais fait jouer à une jeune fille une scène qui allait la traumatiser et la brusquer.

Ce n’est pas dans ma cosmogonie, ça ne m’est jamais arrivé. Je fais des films depuis des d’années, je n’ai jamais fait des films pornos, je n’ai jamais fait des choses dégueulasses. Je me suis dit qu’ils étaient d’accord. Ça les a fait marrer. On l’a fait rapidement et ça s’est bien passé. Mais j’admets qu’on n’aurait pas dû le faire, je le reconnais.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est pas le geste de masturbation qui est choquant. C’est l’attitude du garçon après le coup de téléphone qui est violente, qui est extrêmement violent à l’égard de ce que peuvent parfois être les jeunes hommes vis-à-vis des jeunes femmes. Ce qui vous a été reproché, c’est de ne pas avoir demandé l’autorisation, et c’est normal, puisque vous auriez dû demander l’autorisation.

Vous avez fait une proposition intéressante sur laquelle j’aimerais revenir, car elle est sans doute assez adaptée à la façon dont les films en France se tournent. Vous aviez un premier scénario, vous êtes revenu sur le scénario à la suite d’une discussion avec vos financeurs, ce qui est tout à fait logique. En cours de tournage, vous souhaitez rajouter une scène – on sait qu’en France tout du moins, les réalisateurs ajoutent, enlèvent, transforment des scènes en cours de tournage quand, dans d’autres cinémas, ce qui est fait l’objet du contrat n’a pas vocation à être modifié.

Cette pratique peut aller à l’encontre de la volonté du législateur d’encadrer et de protéger les femmes majeures, les hommes majeurs ou les mineurs. Vous avez émis l’idée d’avoir, en urgence, la possibilité de changer. L’urgence est à définir – cela ne peut peut-être pas être dans l’heure ! –, mais comment imagineriez-vous cela ? Vous avez oublié de le faire, vous l’avez admis, mais si cela existait, est-ce qu’on pourrait faire un dossier ?

Mme Élisabeth Perez. J’endosse l’entière responsabilité de ce manquement administratif. Catherine m’a expliqué comment elle allait tourner la scène, je lui ai fait confiance et j’ai accepté qu’elle soit tournée. J’ignore si la commission pourrait se réunir si rapidement pour répondre à une telle demande, mais c’est peut-être une question d’organisation.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. S’il y a un coach d’intimité, cela simplifie tout.

Mme Élisabeth Perez. En tout cas, je ne tournerai plus, avec des mineurs, de scène à caractère sexuel sans la présence d’un coach d’intimité.

Mme Catherine Corsini. Il est certain que pour les mineurs, la présence d’un coach d’intimité est très importante. Cela permet de discuter avec eux en amont, de désamorcer l’angoisse ou la gêne.

Pour ce qui est des majeurs, j’ai écouté un coach ou deux d’intimité et je n’ai pas envie d’obtenir le meilleur angle pour me dire que, sur telle scène, on va croire à telle chose. Je ne découpe pas une scène d’amour comme on fait une cascade de voitures. Je préfère être maladroite, que ce soit humain. Je ne veux pas qu’un coach d’intimité me dise quelle est la meilleure façon de filmer la scène. Ce n’est pas cela qui m’intéresse. C’est que les gens soient à l’aise dans ce que je leur propose et dans ce que l’on va essayer de faire ensemble. En général, on travaille avec les acteurs, ils donnent leur avis. Ce sont des acteurs, pas des objets. Comme pour toute scène, ils ont leur mot à dire, ils ont leur façon de voir les choses.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. À mon sens, un coach d’intimité ne vous indique pas nécessairement l’angle de la caméra ; il discute en amont avec les acteurs des gestes qui seraient acceptés ou non, de sorte qu’il n’y ait pas, au moment de tourner de la scène, des gestes qui ne seraient pas acceptés par l’un des deux. Il s’agit surtout de comprendre les limites de chacun et, éventuellement, de négocier.

Mme Catherine Corsini. Si une actrice me dit qu’elle ne veut pas montrer telle partie de son corps, je ne vais pas le négocier ; je vais lui dire « OK, on ne le fait pas ».

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comprenez aussi que l’actrice peut avoir peur de vous faire part de son refus, alors qu’elle peut plus facilement l’exprimer auprès de ce tiers.

Mme Catherine Corsini. Oui, je comprends.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Quel est le degré de précision des scènes d’intimité dans les scénarios ? Mme la présidente soulève une question très juste. On lit souvent, dans les scénarios français, « Ils font l’amour ». Une comédienne, au moment de signer son contrat, peut accepter de tourner cette scène. Mais si la scène en question est précisément décrite et qu’il s’agit, par exemple, d’une fellation violente, elle peut ne pas avoir envie de faire le film.

Comment concilier ces deux volontés légitimes du réalisateur et de la comédienne, notamment dans un contexte de stress lié au fait que, sur un tournage, le temps est compté ?

Mme Catherine Corsini. Je n’écris pas un scénario elliptique pour ensuite demander aux acteurs de tourner des scènes crues.

J’ai noté une évolution en la matière au cours de ma carrière : il pouvait y avoir au début une forme de pudeur, on écrivait simplement « Ils font l’amour ». Et puis on s’est mis à détailler les scénarios, en indiquant par exemple « Il la renverse » ou « Elle le renverse ». Aujourd’hui, quand on écrit, on essaye vraiment de raconter exactement ce qui va se passer, en étant le plus proche possible de la scène envisagée, et on en parle avec les acteurs.

Il m’est même arrivé de montrer des scènes d’autres films en disant : « C’est dans ce style-là que je vais essayer de filmer cette scène », etc.  Peut-être par pudeur, il m’est arrivé par le passé de rencontrer des difficultés à dire les choses, de la même façon que les acteurs. On est un peu gênés, on s’apprivoise les uns et les autres et on cherche ensemble. Il est désormais plus facile d’évoquer ces questions, y compris dans les contrats, et de définir précisément la façon dont les scènes seront abordées, notamment car les acteurs n’ont pas envie de se retrouver dans ces situations compliquées.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il ressort de nos auditions le sentiment d’une forme de violence systématique à l’égard des femmes dans le cinéma. Il y a un fossé entre ce que les femmes disent et ce que vous décrivez et de ce que nous avons lu à propos de votre tournage. Il y a notamment eu une supposée agression sexuelle d’un régleur de cascades, d’après ce que je comprends ?

Mme Élisabeth Perez. Un geste présumé déplacé.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui, un geste présumé déplacé.

Mme Élisabeth Perez. Pour vous expliquer la situation, l’actrice évoque auprès de moi un geste déplacé au cours d’une scène tournée huit jours auparavant. Il s’agit de la scène dans laquelle elle est poursuivie par les deux personnes qui veulent récupérer leur portefeuille. Elle est alors coincée contre un mur. Elle ne voulait pas m’en parler, mais on l’y a incité d’après ses dires. Le cascadeur lui a frictionné le dos entre les prises – elle était en effet projeté contre le mur au cours de la scène, on avait peur qu’elle se fasse mal – et il lui semble qu’une fois, il lui a mis une main aux fesses. Elle m’indique toutefois que c’est derrière elle et qu’elle ne veut plus en parler.

J’ai tout de suite fait une enquête interne. J’ai interrogé tous les gens qui étaient présents sur le plateau à ce moment-là, soit sept personnes. Aucun n’a rien vu. Je n’étais pas présente à ce moment-là. Il m’a indiqué qu’il avait peur qu’elle se fasse mal et qu’il avait dû lui mettre la main dans le dos. À un moment, ça a peut-être ripé, mais je n’en avais pas la preuve. Les témoins m’ont dit n’avoir rien vu. J’ai peut-être pensé qu’il s’agissait d’un geste dans la scène qui était un peu dur à jouer pour elle, qui a pu être mal interprété.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’ai l’impression que de cette situation, et de l’absence d’acte posé pour y répondre, a découlé ensuite tout un tas de conséquences. À partir de ce moment-là, tout ce qui s’est passé sur le tournage a été mis à charge, d’après ce que vous dites – et cela paraît crédible. Avec le recul, qu’auriez-vous fait différemment pour éviter cela ?

Mme Élisabeth Perez. En l’occurrence, nous avons vraiment préparé cette scène dans laquelle la jeune actrice est plaquée au mur : le régleur de cascade, qui est accusé, règle la cascade avec les acteurs, dont deux sont d’ailleurs cascadeurs – l’un d’entre eux est son fils.

Mme Catherine Corsini. J’avais demandé à ce qu’elle ait une protection, une coquille, parce qu’elle pouvait être brutalisée, en descendant les escaliers ou en étant secouée contre le mur. Mais elle est apparue sur le plateau sans protection, ce que je n’ai pas compris. On m’a expliqué qu’en dépit de ce qui était prévu initialement – j’avais prévu qu’elle porte un sweat à cet effet –, il n’était pas possible de la doter d’une protection compte-tenu de la façon dont elle était habillée. J’ai réagi en demandant : « Que-ce que c’est que ce bazar ? » Le régleur m’a répondu : « Ne t’inquiète pas, je m’en occuperai ». Chaque fois qu’elle était propulsée contre le mur, il devait donc vérifier qu’elle ne s’était pas fait mal ; il a dû lui frictionner le dos. J’étais là pendant la scène. Nous avons fait peu de prises, parce que c’était violent précisément, et qu’elle risquait de tomber en courant. Au total, nous avons dû la tourner trois ou quatre fois seulement et, entre les prises, il s’est passé cela. Je n’étais pas là en permanence entre les prises ; je me suis assurée entre chacune d’entre elles que la jeune fille allait bien et était d’accord pour faire une nouvelle prise. À la troisième prise peut-être, elle m’a indiqué ne pas vouloir continuer, ce que j’ai accepté. En tout état de cause, je n’ai pas été témoin des faits reprochés.

Mme Élisabeth Perez. Il y a une chose que je gérerais différemment : elle m’a demandé que ce soit confidentiel. Mon erreur a peut-être été là. Des rumeurs de viol ont alors commencé à circuler et je n’ai pas su entendre cette rumeur. Une fois que j’ai souhaité rétablir la vérité, il était trop tard : l’inspection du travail était déjà là.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il aurait peut-être fallu, à ce moment-là, en actant l’absence de protection, fixer une limite claire : on ne touche pas les fesses d’une mineure, ou de toute autre personne d’ailleurs. Ou alors, on le prévoit explicitement. C’est pour cette raison, à mon sens, et du fait de la confidentialité également, que le bouche-à-oreille a fait circuler la rumeur. Pensez-vous possible, dans de tels cas de figure, de donner ces indications par écrit, prohibant par exemple le contact de la taille jusqu’à mi-cuisse ?

Mme Catherine Corsini. C’est parfois compliqué. Prenons l’exemple d’un acteur, un petit garçon, une petite fille, qui doit tomber dans l’eau : le cascadeur les retient parfois par une jambe, par le slip, etc. Lors des scènes de chute – par exemple du haut d’une falaise dans une rivière –, il y a un cascadeur qui s’occupe de réceptionner l’acteur. Il en est de même lors de scènes de danse, les gens peuvent être amenés à être en contact les uns avec les autres.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons eu cette discussion avec le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre : des élèves se sont plaints de gestes déplacés lors de parades. Il faudrait pouvoir poser un cadre sur ces moments particuliers, dans lesquels il faut assurer la sécurité des personnes, mais dont certains profitent pour s’autoriser des gestes inacceptables.

Mme Élisabeth Perez. En effet. En l’occurrence, je pense qu’il y avait une réelle inquiétude du cascadeur, et cette inquiétude s’est retournée contre lui. C’est terrible. Lui comme moi serons beaucoup plus vigilants à l’avenir. Même à 60 ans, j’apprends encore à chaque tournage, à chaque problème qui se pose.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quand une femme livre un combat pour l’égalité femmes-hommes, on lui laisse encore moins passer de choses... J’en suis intimement persuadée. Néanmoins, cela n’empêche pas l’exemplarité.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Comment expliquez-vous ce dérapage complet sur ce film ? Estimez-vous qu’on vous a fait payer plus cher cette absence d’exemplarité compte-tenu de ce combat, dont on voit à travers vos œuvres que vous l’avez chevillé au corps ?

Mme Catherine Corsini. Je ne souhaite pas me positionner en victime. J’ai eu la chance d’arriver à faire autant de films ; il est inutile d’être indignée. Je sais que j’ai tendance à certains emportements. Je sais qu’un plateau est un endroit aussi où on peut accepter des choses d’un metteur en scène qui ne sont pas acceptables. Je suis du reste effrayée quand on me rapporte de tels faits… Je sais que j’ai vraiment des efforts à faire dans le sens d’une maîtrise de mes débordements. Mes colères ne sont jamais destinées à mettre quelqu’un mal à l’aise ; elles résultent du fait que je veux obtenir quelque chose, ou que nous n’y arrivons pas.

Est-ce que j’ai payé plus cher ? Oui, j’ai été surprise d’être observée de cette façon. On nous a fait des réflexions presque à la limite de la lesbophobie, parce que nous étions ensemble et soi-disant des femmes de pouvoir. Je ne me sens malheureusement pas autant une femme de pouvoir que ça. Si nous avions été des femmes de pouvoir, nous n’aurions pas eu une amende aussi terrible, qui a failli nous abattre.

Je peux déplorer cette injustice. Mais je continuerai à penser qu’il faut travailler ensemble, que la transmission est importante. Je ne me sens ni une vieille féministe, ni une jeune féministe ; je me sens toujours d’actualité, eu égard à tous les combats qui sont menés aujourd’hui. J’essaierai de veiller à ce que mes prochains tournages se déroulent le mieux possible, qu’on se parle le plus possible et que surtout que l’on ose parler.

Ce dont je me suis aperçu – c’était pour moi troublant, car je n’aime pas les rapports hiérarchiques –, c’est que les gens n’osaient pas me parler, à moi la vieille réalisatrice que je suis devenue avec le temps.

Mme Élisabeth Perez. C’est la première fois en vingt-cinq ans que j’ai affaire à une ou deux personnes qui ne veulent pas dialoguer du tout. Moi qui pense être quelqu’un d’assez douce, parfois trop, je n’avais jamais été confrontée à une telle fermeture.

Un tournage est fragile ; si des faits sont rapportés à l’extérieur, ils sont possiblement déformés. J’aimerais qu’on parvienne à un rapport de confiance avec les techniciens, à un vrai dialogue. Un technicien m’a confié à la fin du tournage : « On m’a dit de ne pas parler au producteur ; mon interlocuteur, c’est l’assistant réalisateur ou le directeur de production ». Ce à quoi j’avais répondu que j’étais sur le plateau en permanence, et que nous pouvions tout à fait nous retrouver au café le soir pour discuter. Il y a eu quelque chose d’un peu spécial sur ce tournage, que je n’avais jamais vécu, avec une ou deux personnes très remontées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Corsini, vous admettez que, parfois, sur un tournage, vous pouvez être un peu – je ne sais pas quel est le terme adéquat – rude. Est-ce que c’est le bon terme ? Parfois, on a lu « colérique ».

Mme Catherine Corsini. Colérique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. « Colérique » vous convient, soit. Cela a longtemps été un mode opératoire dans le cinéma, et ça a même fait rire à certains moments. Je pense notamment à Jean-Pierre Mocky, engueulant ce pauvre ingénieur du son sur les côtes bretonnes... Ça a été au bêtisier pendant des années, tous les ans. Et pourtant, quelle violence ! 

Est-ce que ces attitudes, qui semblent assez partagées – on va bientôt fêter les 100 ans de la naissance de Pialat –, sont le fait d’un système de management par la violence qui se reproduit ? Est-ce lié aux conditions de tournage, qui font craindre de ne pas avoir le temps de mener le film à bien ? Comment analyse-t-on cela pour le transformer ?

Il est intéressant d’entendre une réalisatrice comme vous, dont les nombreux films ont dû être réalisés sous ce mode de management, qui en a payé le prix et qui se pose la question d’une évolution.

Mme Catherine Corsini. Lorsque vous arrivez le matin sur le plateau, vous avez envie de réussir les choses collectivement, vous n’êtes pas tout de suite dans la colère ! En revanche, il y a des moments où l’on est débordé, parce qu’untel ne comprend pas une consigne, que l’on sent qu’on va louper une scène. Entre « moteur » et « coupé », c’est le moment magique de la prise. Si vous êtes en train de filmer une scène géniale et que, tout à coup, quelqu’un entre dans le champ par erreur, il peut vous arriver de sortir une insulte, un juron. Il me faudrait modérer mon impatience, et aller lui demander des explications. Mais voilà, cela jaillit… Il faut parvenir à modérer ces jaillissements.

Cela arrive souvent lorsque vous avez l’impression que vous allez perdre un joyau, c’est lié au travail. Un producteur m’a fait remarquer que j’étais plus stressée que lui par le dépassement des horaires. En général, j’essaye autant que possible de respecter ces temps. Il m’a dit de prendre mon temps. Mais je suis très soucieuse des engagements financiers que j’ai vis-à-vis du producteur – c’était bien avant de travailler avec Mme Perez.

Je devrais toutefois être plus respectueuse des personnes dans la façon dont je leur parle – je peux être « rude », ces façons de faire viennent de loin. C’est un travail compliqué, mais j’espère y parvenir.

M. Erwan Balanant, rapporteur. On sent bien que, au-delà de votre personnalité, les tournages sont des moments d’extrême tension et de concentration. Cela peut induire une fatigue accrue et, dans un univers qui reproduit du sexisme « ordinaire » – je ne le trouve pas si ordinaire –, on réunit ainsi tous les facteurs de risque.

On parle beaucoup de coordinateurs d’intimité, de coach pour accompagner les enfants ou d’accompagnateur pour enfants, etc. Cela revient normalement au producteur ou au directeur de production, mais qui, sur un plateau, veille à ce que tout se passe bien, à ce que personne ne fasse l’objet d’un harcèlement au sein d’une équipe, etc. ? Comment gère-t-on les ressources humaines ?

Mme Élisabeth Perez. Il me semble que c’est le travail de la production et de la direction de production. Lorsque j’arrive sur un tournage, mon travail de productrice est en réalité terminé, puisque j’ai signé les contrats et réuni les financements. Bien sûr, restent le visionnage des rushs et le dialogue artistique, mais je suis là pour veiller à ce que les gens se sentent bien. Je vais m’y atteler plus encore désormais : il faut que je sois toujours présente. Il est vrai que je n’étais pas présente au début de ce tournage, occupée par les Etats généraux du cinéma. C’est une erreur que je ne commettrai plus.

Mme Catherine Corsini. Les techniciens et les techniciennes ont peur des producteurs.

Mme Élisabeth Perez. Oui, mais il faut qu’on arrive à casser cela et à faire en sorte que les gens viennent nous parler ! S’agissant des référents harcèlement, il me paraît un peu compliqué que cette fonction soit exercée par des techniciens.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est un sujet important. Qui a, à la fois, la légitimité, l’autonomie, la capacité, l’indépendance, la protection nécessaires pour pouvoir effectuer des signalements ? D’ailleurs, qui était le référent violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) sur le tournage ?

Mme Élisabeth Perez. C’était la directrice de production : c’était la seule qui avait fait une formation de trois jours, et aucun technicien n’a voulu se charger de cette mission. Je n’étais pas référente, mais j’étais présente à ses côtés pour traiter les signalements et réaliser les enquêtes. Ce n’est peut-être pas à la directrice de production d’être référente, mais aucune autre personne n’a voulu endosser ce rôle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. On nous a indiqué à plusieurs reprises que les feuilles de service des mineurs pouvaient être trafiquées pour minimiser la réalité de leurs heures de travail. Avez-vous été attentive à ces feuilles de service ?

Par ailleurs, avez-vous une politique particulière, sur ce tournage, concernant l’accès des mineurs aux alcools et autres toxiques lors des fêtes ou pots de tournage ?

Mme Élisabeth Perez. Bien sûr. Les routes corses étant particulièrement sinueuses, la production n’a organisé qu’une seule fête au milieu du tournage, dans un camping. Nous avons fêté un anniversaire de mariage, et tout le monde dormait sur place.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les mineurs y étaient ?

Mme Élisabeth Perez. Non, elles n’étaient pas là, je crois. Je ne m’en souviens plus.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. On nous a également indiqué que plusieurs techniciens et techniciennes avaient pris la parole à la cantine pour dénoncer la violence sur le tournage. En avez-vous le souvenir ?

Mme Élisabeth Perez. Oui, bien sûr.

Mme Catherine Corsini. C’était effectivement juste après la rumeur de viol, après le départ du chargé de casting ; plusieurs techniciens se sont réunis pour parler des deux départs et des angoisses liées à cette rumeur sur le viol.

Mme Élisabeth Perez. Une personne a quitté le plateau et, quelques jours après, l’inspection du travail est arrivée sur le tournage. Cette prise de parole a eu lieu le lendemain de l’arrivée de l’inspection du travail. J’avais convoqué tout le monde à la cantine pour exprimer mon incompréhension sur les raisons ayant conduit à la présence de l’inspection.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quid des feuilles de service des mineurs ?

Mme Élisabeth Perez. Lors de ce contrôle, nous avons indiqué avoir dépassé les horaires à certains moments s’agissant de la mineure de 15 ans et 9 mois, et nous avons donné les raisons de ces changements de plan de travail. Cela a été entendu, car cela n’a pas eu de suites.

Mme Catherine Corsini. Dans un film précédent, j’avais tourné avec des mineurs qui ne tenaient pas de rôles principaux. Il est dès lors assez simple de tourner les quelques heures prévues au planning, car le reste de la journée pouvait être consacré à d’autres scènes. C’est plus compliqué quand l’acteur doit être présent en permanence en raison d’un rôle principal.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous vous avons entendues. Il est intéressant d’analyser ce que l’on peut faire pour que chacun sur un tournage – les personnes qui produisent, qui réalisent, les actrices et acteurs, les techniciennes et techniciens – bénéficie d’une sécurité plus élevée. Merci beaucoup, Mesdames, pour cette audition.

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*     *

 

La commission auditionne ensuite M. Mohamed Bahnas, président de Hellfest productions, Mme Cindy Pajot, responsable RSO (Responsabilité Sociétale des Organisations), et M. Eric Perrin, responsable de la communication ; Mme Émilie Yakich, co-directrice en charge du projet du festival Les Francofolies, M. Dimitri Gavenc, co-directeur en charge de l’administration, et Mme Haude Hellio, référente VHSS, directrice des relations institutionnelles ; Mme Allegra Trichard, directrice d’Allover Prodution, société organisatrice du festival Les plages électroniques ; M. Eddy Pierres, directeur général de Wart, association organisatrice du festival Panoramas, et M.  Louis Bouchardeau, assistant de direction et de coordination.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous accueillons aujourd’hui les représentants de plusieurs festivals de musiques actuelles pour aborder la question des violences dans le secteur du spectacle vivant, en particulier lors des festivals de musique. Notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur culturel. Les festivals de musique concentrent certains facteurs de risque en matière de violences morales, sexistes et sexuelles. Nous souhaitons donc échanger sur vos politiques de protection des différents acteurs de vos événements et sur les cas que vous avez pu rencontrer. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Cindy Pajot, Émilie Yakich, Haude Hellio, Allegra Trichard et MM. Mohamed Bahnas, Éric Perrin, Dimitri Gavenc et. Eddy Pierres prêtent serment.)

M. Mohamed Bahnas, président de Hellfest productions. Je suis président de l’association Hellfest productions depuis mars 2023 et responsable de la sécurité et de la sûreté du festival depuis 2015. Ma mission est de garantir la sécurité de tous les participants au festival : festivaliers, partenaires, prestataires, artistes et équipes. Le Hellfest, créé en 2006 à Clisson en Loire-Atlantique, est l’un des plus grands festivals de musique extrême en Europe, accueillant plus de 60 000 personnes par jour, pour 180 concerts sur quatre jours. Notre responsabilité est d’assurer un cadre respectueux et sécurisé pour tous.

Concernant les violences et harcèlements sexistes et sexuels, nous reconnaissons que des cas ont été traités, certaines procédures étant en cours. Depuis 2015, j’ai constaté une évolution notable. Les signalements, notamment liés au slam, ont drastiquement diminué grâce à nos efforts de prévention. Nous avons renforcé nos dispositifs avec l’aide d’experts et d’associations. Un tournant a été marqué par la création en mars 2024 d’un poste de responsabilité sociale des organisations (RSO), occupé par Cindy Pajot, pour une approche structurée de cette problématique.

Mme Cindy Pajot, responsable RSO (responsabilité sociétale des organisations). Entre 2010 et 2017, nous avons mis en place des stands de prévention couvrant divers enjeux : audition, addictions, sexualité. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) a été intégrée à partir de 2018, par le biais de collaborations avec des associations – Take Care, le Planning familial, les Catherinettes. Cependant, la fidélisation de ce partenariat a parfois rencontré ses limites, notamment sur des désaccords liés à la programmation artistique. En 2022, face à ces défis, nous avons lancé le dispositif Hellwatch, un service dédié aux VSS, qui reposait sur une équipe de bénévoles formés et coordonnés par un psychologue spécialisé, ainsi qu’une application de signalements. En 2023, l’équipe s’est étoffée de soixante volontaires. Néanmoins, ce dispositif n’était pas à la hauteur des besoins liés à la taille du festival. En 2024, nous avons créé Hellcare, un parcours complet de prévention et d’accompagnement et de signalement comprenant un accueil de prévention, des cellules d’écoute psychologique et de signalement, une application mobile de signalement, un e-mail et une ligne téléphonique dédiés, des maraudes et la présence d’un gendarme pour les dépôts de plainte. Cent cinquante volontaires, dont trente-six psychologues diplômés en 2025, sont mobilisés. Hors festival, un comité d’alertes composé de quatre référents discrimination, harcèlement, violences sexistes et sexuels (DHVSS) a été créé. Un protocole DHVSS est régulièrement mis à jour. Ce dispositif, le plus important des festivals français à notre connaissance, reflète notre engagement proactif.

M. Éric Perrin, responsable de la communication et programmateur. Je suis responsable communication et l’un des quatre programmateurs du Hellfest. Notre rôle est de garantir une programmation artistique diversifiée et de qualité, cohérente avec nos valeurs et engagements. La lutte contre les VHSS est au cœur de nos préoccupations, et s’applique aux artistes que nous programmons. Nous nous basons exclusivement sur les décisions de justice pour orienter nos choix, sans nous y substituer. Notre responsabilité est de proposer une plateforme artistique reflétant la diversité des talents, laissant aux festivaliers la liberté de choisir les spectacles auxquels ils souhaitent assister. Depuis dix-huit ans, nous œuvrons pour que le Hellfest soit un espace inclusif et accessible. La proportion de femmes dans notre public est passée de 6 % en 2010 à 30 % aujourd’hui. Nous redoublons d’efforts pour mettre en avant des artistes féminines et issues de minorités. Pour l’édition 2025, une journée entière sera dédiée aux artistes féminines sur l’une de nos deux scènes principales, en plus des quarante-cinq groupes comprenant des musiciennes qui se produiront sur les six scènes du festival durant les quatre jours.

Mme Émilie Yakich, co-directrice des Francofolies de La Rochelle. Les Francofolies ne sont pas qu’un festival, mais un projet artistique et culturel qui se déploie toute l’année à La Rochelle. Notre équipe de neuf permanents, dont Dimitri Gavenc, Haude Hellio et moi-même, porte ce projet à dimension régionale et nationale. Il comprend le Chantier des Francofolies, un dispositif d’accompagnement de jeunes artistes, et le programme Francofolies Éducation, visant à faire connaître la chanson aux publics scolaires et jeunes. Le festival, bien que médiatique, reste à taille humaine. Il se déroule autour du port de La Rochelle, avec une scène principale de 12 000 personnes et sept autres scènes, en collaboration avec des structures locales. Nous programmons principalement des musiques actuelles, avec une part importante dédiée à l’émergence, soit environ 120 artistes par an. Notre budget est de 8,8 millions d’euros, dont 80 % de ressources propres et 20 % de ressources issues de la DRAC, des collectivités ou des organismes professionnels. Pour la 40e édition en 2024, notre public était composé à 68,9 % de femmes, avec une moyenne d’âge de 38 ans, et 50 % venaient de Charente-Maritime. La lutte contre les VHSS est intégrée à notre politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE), certifiée ISO 20-121 depuis septembre 2021. Cette démarche nous a permis d’objectiver nos actions, de les partager avec l’équipe et de travailler notre écosystème.

M. Dimitri Gavenc, co-directeur en charge de l’administration. Depuis 2018, nous avons intégré les dirigeants et les cadres à notre plan de formation sur les VHSS. Depuis 2022, toute l’équipe permanente est formée, avec une sensibilisation annuelle pour les équipes temporaires. Les risques psychosociaux, dont les VHSS, sont inclus dans notre document unique d’évaluation des risques professionnels. Nous avons mis en place un affichage obligatoire, incluant le numéro de la cellule Audiens les contacts des référents VHSS, à destination de nos salariés dans les dans vestiaires, loges, catering, toilettes et espaces de production. Deux référents VHSS sont présents durant l’événement, joignables de façon anonyme, avec une permanence quotidienne d’une heure. Nous avons intégré des clauses spécifiques dans nos contrats de travail, règlements intérieurs et contrats avec les prestataires. Pour les festivaliers, nous avons un affichage sur le consentement et les procédures en cas de VHSS, ainsi qu’une vidéo diffusée sur nos écrans chaque soir du festival et en amont sur nos réseaux sociaux. En collaboration avec la ville de La Rochelle, nous avons créé quatre oasis, espaces de prévention et d’information, avec la présence d’associations spécialisées – le Planning familial, le Centre d’information du droit des femmes et des familles, La Rochelle Pride et le Centre de santé sexuelle. Notre protocole de signalement, de recueil des témoignages et d’enquête interne suit les directives de l’accord de branche de notre convention collective du 22 novembre 2023.

Mme Haude Hellio, référente VHSS, directrice des relations institutionnelles. Aux Francofolies, nous avons mis en œuvre des mesures contre les VHSS depuis 2018, avant même les recommandations du Centre national de la musique (CNM). Je suis référente avec un binôme depuis cette date. Notre protocole, conforme aux prescriptions du CNM et de la convention collective, se déroule en quatre étapes : protection de la victime, recueil de la parole, documentation des faits portés à notre connaissance et formalisation en vue de leur conservation et de leur mise à disposition de la victime. Nous expliquons à la victime toutes les options qui s’offrent à elle et l’assurons de notre soutien, quelle que soit sa décision.

Mme Allegra Trichard, directrice d’Allover Production. Je suis directrice de la société Allover, qui produit des concerts et des festivals principalement dans les Alpes-Maritimes. Notre festival phare, les Plages électroniques de Cannes, fêtera sa 19e édition cette année et rassemble 60 000 festivaliers sur trois jours.

Depuis mon arrivée chez Allover en 2018, coïncidant avec l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo, nous avons pris des mesures concrètes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et le sexisme dans notre industrie. Nous avons notamment nommé des femmes à des postes de responsabilité, créant un environnement favorable à la libération de la parole ; mis en place des formations pour les équipes encadrantes, les responsables de la sécurité et les barmans, avec le soutien d’associations comme Act Right, Sound Sisters et le Planning familial ; instauré des dispositifs de prévention et de sensibilisation lors de nos événements, comme des « safe zones » gérées par des associations militantes, qui permettent d’être écouté et pris en charge en cas de problème ; déployé des équipes de maraude identifiables comme personnes-ressources ; lancé des campagnes de communication et créé une adresse e-mail dédiée pour les signalements : organisé des tables rondes sur ces sujets avec des artistes et des personnalités politiques, notamment grâce au financement du CNM ; mené des études d’impact annuelles pour améliorer la sécurité du festival et cartographier les lieux de commission des violences sexuelles ; mis en place un protocole de sécurité, incluant le « cocktail Angela », pour réagir rapidement aux situations problématiques.

Ce protocole implique une chaîne de communication entre le personnel, la régie, la sécurité, la protection civile et les associations présentes en vue de prendre en charge les victimes et de les accompagner au commissariat déporté présent sur le site. Malgré ces efforts, nous restons conscients que des situations difficiles peuvent survenir. Nous travaillons constamment à l’amélioration de nos dispositifs, reconnaissant qu’il reste encore du chemin à parcourir.

M. Eddy Pierres, directeur général de Wart, association organisatrice du festival Panoramas. En tant que directeur général de l’association Wart, je salue le travail de cette commission qui, nous l’espérons, contribuera à faire évoluer les mentalités face aux violences, particulièrement celles dirigées contre les femmes et les minorités de genre. Nous appelons à un renforcement des outils à notre disposition et à un meilleur accompagnement des professionnels.

Wart, depuis plus de vingt-cinq ans, a développé un modèle unique dans le paysage musical français, alliant l’organisation de spectacles, le festival Panoramas, et l’accompagnement d’artistes en tournée. Notre croissance se reflète dans nos chiffres : un budget annuel de plus de 13 millions d’euros ; une équipe permanente passée de 10 à 24 salariés entre 2020 et 2025, avec une parité parfaite, et plus de 480 salariés au total, entre intermittents et permanents ; un catalogue d’artistes qui comptent plus de 60 projets.

Pour le festival Panoramas, nous avons opté pour une transition majeure en 2023, choisissant la décroissance et mettant l’accent sur une programmation plurielle, avec une majorité d’artistes féminines, mixtes ou non genrés. En tant que producteur de spectacle, Wart s’engage à soutenir ses artistes dans le respect de la diversité.

Nous avons été confrontés à des situations de violence sexiste et sexuelle, notamment révélées par une enquête de Mediapart. Bien que nous ayons publiquement reconnu un manque de clairvoyance par le passé, nous avons depuis déployé de nombreuses actions préventives.

À la suite des révélations relatives au musicien Arnaud Rebotini, nous avons renforcé nos engagements pour maintenir la confiance de nos artistes, salariés et partenaires. Notre politique de prévention, mise en place depuis des années dans le cadre du festival Panoramas, vise à lutter contre les pratiques à risque et toutes formes de discrimination envers les publics.

Nous avons mis en place plusieurs mesures pour prévenir les violences et harcèlements sexuels et sexistes. Lors des soirées club au Sew à Morlaix et du festival Panoramas, nous organisons systématiquement des instances de prévention animées par une équipe qualifiée. Nous avons établi des collaborations avec divers organismes et associations locaux pour signaler et traiter efficacement les cas de VHSS. Notre communication inclut un numéro d’urgence, le contact des associations d’aide aux victimes et des informations sur les démarches à suivre en cas d’incident.

Nous avons également rédigé une charte interne, élaborée par un groupe de travail composé de salariés, de membres de la direction et du conseil d’administration, et signée par l’ensemble des collaborateurs. Cette charte instaure une politique de tolérance zéro face à tout type de violences.

Concernant la formation, la direction, les cadres et l’ensemble des équipes permanentes ont suivi des formations dédiées aux VHSS. Nous avons étendu ce dispositif en le recommandant à tous les groupes et artistes accompagnés par Wart, ainsi qu’aux personnels de production et de régie intermittents. Plus de 60 personnes ont déjà été formées, et notre objectif vise l’ensemble de nos collaborateurs, soit plus de 500 personnes. Notre dispositif de formation et de signalement entend aller au-delà de l’accord de branche conclu entre les partenaires sociaux et professionnels de notre secteur. Nous sommes disposés à vous présenter en détail l’ensemble de ce dispositif, incluant le processus de signalement, le guide informatique et les chartes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans le monde de la musique et des festivals, plusieurs facteurs de risque sont présents. Le premier est la consommation d’alcool, voire d’autres substances. Il y a aussi la proximité entre le public et le caractère festif de la danse qui peut conduire à des gestes répréhensibles. La fatigue est également un facteur, notamment dans les festivals où les jeunes restent longtemps. Comment gérez-vous ces risques liés au public ?

Un deuxième aspect concerne les relations de pouvoir. Certaines personnes ont la capacité de décider de la programmation, ce qui peut créer une relation de pouvoir forte sur les artistes ou les groupes. Comment gérez-vous cette situation ?

Concernant le public, quelles mesures concrètes avez-vous mises en place pour la prévention et la sensibilisation, non seulement autour de l’alcool et des conduites addictives, mais aussi des comportements à adopter en groupe ?

Mme Émilie Yakich. Concernant le public, je tiens à souligner que la promiscuité est un facteur de risque important, parfois indépendamment de la consommation d’alcool. Nous avons mis en place des espaces de prévention et des safe zones depuis 2018-2019, où les festivaliers peuvent s’isoler, s’éloigner d’une situation délicate et discuter avec des associations spécialisées ou du personnel formé.

L’affichage et la pédagogie sont cruciaux. Nous travaillons à sensibiliser les festivaliers sur la qualification des agressions sexuelles et des agissements sexistes. Cette éducation vise à intégrer ces notions dans le quotidien de chacun, au-delà des moments festifs.

Concernant la programmation, il est important de comprendre qu’elle s’inscrit dans un écosystème lié aux tournées des artistes. Les décisions sont prises par un comité artistique, en tenant compte de plusieurs facteurs : les scènes proposées, la tournée de l’artiste, le public potentiel et la ligne éditoriale. Pour les Francofolies, par exemple, ce processus commence environ quinze mois avant le festival et se déroule en plusieurs étapes.

M. Dimitri Gavenc. Pour compléter sur la sécurité, nous collaborons avec un prestataire reconnu dans le secteur événementiel depuis 1996. Nous mettons en place une stratégie globale d’accueil des publics, de gestion des flux, de palpation de sécurité et de sécurisation des espaces. Durant le festival, 110 agents sont présents, dont 70 % côté public et 30 % en backstage. Certains sont physionomistes, ce qui permet de désamorcer des situations potentiellement problématiques. Notre prestataire a un référent VHSS, mais nous constatons que tous les agents ne sont malheureusement pas formés à ces questions.

M. Eddy Pierres. Nos festivals sont des lieux de socialisation particulièrement intéressants pour aborder ces questions, notamment dans les zones de camping. En 2018, par exemple, le livret du festival Panoramas était entièrement consacré aux actions de sensibilisation plutôt qu’à la programmation. Nous estimons qu’il est de notre responsabilité, en tant que programmateurs et directeurs, de porter cette parole, même lorsque des incidents se produisent. Cela encourage les festivaliers à s’exprimer également.

Nous travaillons aussi en amont avec les lycées et les étudiants du territoire sur la préparation du festival, dans le but de développer une responsabilité partagée. Cette approche, bien qu’elle ne touche pas tous les festivaliers, nous semble importante pour sensibiliser en amont de l’événement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Au sujet de la relation avec le public, il existe deux niveaux : la prévention elle-même et la gestion de crise. Des faits relevant parfois du pénal peuvent être signalés aux bénévoles. Avez-vous établi un partenariat avec les forces de l’ordre ? Nous savons qu’un poste de commandement (PC) est généralement mis en place pour les grands festivals, fruit d’une préparation entre les forces de l’ordre, la préfecture et les différents acteurs de l’évènement. Ce sujet, relativement récent, fait-il l’objet d’une attention particulière pour établir des protocoles et d’éventuels relevés de preuves ? Concernant les campings, où la promiscuité et l’alcool peuvent engendrer des situations à risque, avez-vous mis en place une surveillance spécifique et un lien rapide avec les forces de l’ordre présentes sur vos festivals ?

M. Mohamed Bahnas. Concernant le PC sécurité, je prendrai l’exemple du Hellfest. Nous disposons d’un PC de commandement opérationnel réunissant les différents services de l’État présents sur le festival. Nous organisons des points de situation réguliers tout au long de la journée, pilotés par la préfecture, avec la présence de la gendarmerie, du Samu, du service départemental d’incendie et de secours (Sdis), de l’organisateur et de la ville. Nous collaborons étroitement avec la gendarmerie. Nous avons des équipes d’intervention sur le site du festival, comme l’a expliqué mon collègue des Francofolies. J’ai constaté une évolution des signalements depuis que j’ai pris mes fonctions en 2015. À l’époque, nous avions des signalements d’attouchements, notamment dans le cadre du slam. En 2022, ces cas sont devenus quasiment inexistants. Lorsqu’un signalement nous est notifié, une équipe d’intervention prend en charge la personne suspectée et la remet aux forces de l’ordre. Nous disposons de réseaux téléphoniques pour communiquer entre les maraudes et les équipes de sécurité privée.

Mme Cindy Pajot. Pour compléter, le slam consiste à faire porter un festivalier par la foule, ce qui peut conduire à des situations où certaines zones du corps peuvent être touchées de manière inappropriée. Un travail de sensibilisation est nécessaire à ce sujet. Concernant le Hellfest, dès mon arrivée, j’ai constaté la présence de stands d’associations spécialisées sur l’addictologie et la prévention des violences sexuelles, ainsi que la présence de psychologues dans la partie Hellwatch. Cette année, nous avons restructuré et créé un comité de recherche et de développement, associant d’autres parties prenantes. L’objectif est de co-construire une réflexion, de mener des études et de faire un état des lieux concret de ce qui se passe dans notre festival. Nous prévoyons également un système de sondage et de retour d’expérience. Ce comité travaillera toute l’année pour analyser et faire avancer les sujets. Nous nous intéressons non seulement aux festivaliers, mais aussi aux techniciens, aux intermittents et aux artistes. Nous mettons en place un système d’affichage, expliquons la technique des 5D et offrons la possibilité de voir un psychologue volant pour échanger, dédramatiser et faire le lien avec les services de secours ou de sécurité présents sur place.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous n’avez pas complètement répondu à ma question. Avez-vous un travail de préparation spécifique avec les forces de l’ordre dédié précisément à ce sujet ? Dans les réunions préparatoires habituelles, on aborde les questions de sécurité générale, comme le transport d’un blessé à l’hôpital ou les protocoles en cas d’accident. Est-ce que ce sujet particulier fait l’objet d’un travail spécifique avec les préfectures ? Est-ce devenu une préoccupation au même titre que la prévention des addictions, par exemple ?

Mme Haude Hellio. Ce sujet ne fait pas l’objet d’un focus spécifique. Cependant, il est intégré dans le cadre global de la gestion des victimes, et traité au même titre que d’autres sujets de sécurité. Nous serions toutefois preneurs d’un focus spécifique.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Notre commission a reçu des témoignages faisant état de difficultés importantes pour travailler avec certaines de vos structures sur la mise en place de véritables protocoles de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ces témoignages mentionnent également des propos à caractère sexiste réguliers au sein des directions de festivals. Concernant spécifiquement les Francofolies, nous avons reçu de nombreux témoignages concordants faisant état de violences sexistes et sexuelles directement imputées à l’ancien directeur, Monsieur Pont. Ma question s’adresse à ceux d’entre vous qui étaient dans la direction avant : avez-vous eu connaissance de ces faits et comment les avez-vous gérés, sachant qu’il s’agissait du directeur du festival ?

Mme Émilie Yakich. Dimitri et moi sommes co-directeurs depuis septembre 2024. Nous travaillons aux Francofolies depuis longtemps, vingt-quatre ans en ce qui me concerne. J’y suis arrivée en stage en 2002. Il doit en être à peu près de même pour Dimitri. Au titre de mes fonctions de co-direction, je n’ai pas d’éléments pour répondre à cette question.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous eu connaissance de ces témoignages depuis que vous travaillez pour les Francofolies ?

Mme Émilie Yakich. Pas au titre des missions que nous exerçons aujourd’hui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous eu connaissance de ces témoignages ?

Mme Émilie Yakich. Non, nous n’avons pas eu connaissance de témoignages directs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Jamais ?

Mme Émilie Yakich. Nous n’en avons pas reçu avec des faits précis, des dates, des lieux ou des éléments factuels.

M. Dimitri Gavenc. Je confirme.

Mme Haude Hellio. Je confirme également. Si des témoignages devaient nous parvenir, nous avons un protocole que nous appliquerions, même si un salarié n’est plus membre des Francofolies. Nous accompagnerions les personnes qui portent ces témoignages.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si elles vous entendent, qu’elles puissent parler publiquement ! Nous avons reçu des témoignages concernant des difficultés au Hellfest, notamment sur le respect des protocoles et la conscience de l’égalité. On nous a signalé que les agents de sécurité n’étaient pas formés aux violences sexistes et sexuelles et qu’il y avait peu d’endroits identifiés pour les victimes. Pouvez-vous nous éclairer sur ces aspects ?

M. Mohamed Bahnas. Concernant les agents de sécurité, nous ne gérons pas leur formation. Ils suivent environ 175 heures sur 25 jours pour être habilités, mais les violences sexistes et sexuelles ne sont pas abordées dans ce cadre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous inclure cette exigence de formation dans le contrat avec ces entreprises ?

M. Mohamed Bahnas. Cela dépasse mes compétences actuelles. Il faudrait envisager d’intégrer le sujet des violences sexistes et sexuelles dans leur formation de 175 heures. Cette piste est à explorer.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons entendu que d’autres événements avaient inclus dans leurs contrats une formation de trois heures sur les violences sexistes et sexuelles pour les agents de sécurité.

M. Mohamed Bahnas. Certaines entreprises de sécurité sont effectivement formées à ces questions. Le dirigeant d’une de ces entreprises intervient même dans des formations sur les violences sexistes et sexuelles. Il serait pertinent d’intégrer quelques heures sur ce sujet dans la formation globale des agents.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pouvez-vous nous expliquer comment vous gérez les signalements, qui semblent difficiles à faire et peu suivis d’effets, ainsi que la culture de l’égalité au sein de l’équipe ?

Mme Cindy Pajot. À mon arrivée, nous avons fait un état des lieux des dispositifs existants. L’objectif était d’améliorer et de structurer un vrai protocole adapté à la taille et aux enjeux du festival. Historiquement, il y a eu plusieurs tentatives de collaboration, notamment avec le Planning familial et Les Catherinettes, mais des désaccords sont survenus, principalement liés à la programmation. Une subvention de 10 000 euros du CNM avait été accordée pour développer un accompagnement. Lors d’une rencontre, il y a eu une demande d’intégrer une clause sur les violences sexistes et sexuelles dans les contrats artistiques. Ce n’est pas si simple.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette clause demande simplement de respecter le cadre légal français, qui interdit les agressions et les propos sexistes et sexuels. Aujourd’hui, l’outrage sexiste ou sexuel est inscrit dans la loi. Certaines structures, comme l’Opéra de Paris, font signer ce protocole et ont même déprogrammé des artistes en raison de leur comportement. D’autres festivals nous ont confirmé qu’ils exigent le respect de ces règles. Je ne comprends pas en quoi c’est compliqué d’imposer le respect de la loi française aux artistes que vous accueillez.

Mme Cindy Pajot. Actuellement, cette clause est intégrée dans les contrats des artistes français et dans le rider d’accueil. Pour les artistes étrangers, c’est plus complexe et nous travaillons sur ce point.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je tiens à préciser que même pour un groupe étranger, c’est la loi française qui s’applique en France. La plupart des pays ont des lois similaires. L’argument du groupe étranger n’est pas recevable. Il s’agit simplement de leur rappeler que la loi s’applique dans notre pays.

M. Mohamed Bahnas. Nous avons créé un groupe de travail au sein d’Ekhoscènes, impliquant des festivals et des producteurs, pour aborder cette question. Nous réfléchissons à la manière de formaliser contractuellement un désengagement possible avec l’artiste en cas de situation problématique. C’est un sujet complexe, surtout avec les producteurs étrangers, mais nous cherchons à trouver un accord entre les parties pour le formaliser contractuellement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je comprends la difficulté que vous rencontrez lorsqu’un artiste est déjà programmé et que vous avez connaissance de faits le concernant, surtout en l’absence de décision de justice. Cependant, faire signer une convention demandant le respect de certaines règles est une démarche plus simple et moins engageante, qui va dans le bon sens. Cela signifie que chez nous, c’est une safe zone avec une tolérance zéro.

M. Mohamed Bahnas. Nous intégrons ces règles dans notre rider, qui est une feuille d’accueil expliquant le comportement attendu dans les loges et sur le festival. Ces règles sont notifiées, même si elles ne sont pas signées, et nous précisons les comportements que nous n’accepterons pas.

Mme Cindy Pajot. Concernant les chiffres demandés par Mme Rousseau, notre dispositif s’appelle désormais Hellcare. Nous avons 150 bénévoles, dont 90 dans les équipes de maraudes et 36 psychologues. Nous avons également des personnes à l’accueil-prévention et, à partir de cette année, des animations mobiles pour couvrir les zones bénévoles, techniques et de camping. La cellule d’écoute psychologique est ouverte 24 h/24 avec la possibilité d’avoir un psychologue volant pouvant intervenir rapidement dans les zones artistes, clubs et techniques.

M. Mohamed Bahnas. Pour l’édition 2024, nous avons mis en place une application de signalement téléchargeable sur les portables. Il est important de noter que nous n’avons eu aucun signalement concernant des actes de violences sexuelles et sexistes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’absence de témoignage n’est pas toujours un bon signe. Parfois, un nombre élevé de témoignages indique que la prévention est efficace. Néanmoins, c’est positif qu’il n’y a pas eu de signalement.

Mme Cindy Pajot. Concernant la cellule d’écoute psychologique, nous avons eu soixante-six entretiens cette année. 36 % concernaient des sujets de VSS, pas nécessairement liés à des situations survenues pendant le festival. Nous accompagnons les personnes, les informons sur la possibilité de porter plainte et les orientons vers les structures appropriées, même après le festival. Nous disposons d’une liste d’associations vers lesquelles nous pouvons diriger les personnes concernées.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Au sujet de la formation de vos équipes, quelles actions concrètes avez-vous mises en place pour les techniciens, l’administratif, et les employés à l’année ? Envisagez-vous de former tout le monde sur ces sujets ? Comment sensibilisez-vous les intermittents que vous employez, malgré la difficulté liée à leurs contrats courts ?

M. Eddy Pierres. Pour notre structure, nous avons commencé par former les dirigeants, les cadres et l’équipe permanente, ainsi que l’ensemble des personnes produisant les événements. Nous avons ensuite élargi la formation au maximum d’intermittents, particulièrement dans la partie tournée et production. Nous visons à former au moins une personne par groupe, voire plus. Les premières sessions à Paris, Marseille et Morlaix ont attiré quarante à cinquante personnes, ce qui est encourageant vu les contraintes de temps des tournées. Nous pensons que plus les gens seront formés, plus la formation s’imposera comme une évidence. Concernant les équipes de sécurité, il est essentiel de s’assurer qu’elles sont formées, car elles sont en première ligne avec le public. La question est de savoir comment garantir qu’elles ont les moyens de se former sur ces questions.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Qui vous accompagne pour ces formations ? Est-ce une association, une structure externe ou est-ce fait en interne ?

M. Eddy Pierres. Une membre de notre conseil d’administration, sexothérapeute et formatrice, nous accompagne actuellement sur l’ensemble des formations. Elle se déplace sur les différents lieux pour assurer ces formations ou les déléguer, en complément de l’équipe interne des référents VSS du comité social et économique (CSE). Pour le festival, nous avons choisi de former en interne l’équipe bénévole qui accompagne les professionnels. Nous avons fait ce choix en raison de la forte sollicitation des associations de prévention et pour rester cohérents avec notre logique de décroissance du festival, en formant localement et sur le territoire.

Mme Allegra Trichard. Nous devons étendre la formation au-delà des équipes encadrantes, de la direction, des cadres et des responsables de poste. Il est crucial d’inclure les intermittents, les prestataires de sécurité, les fournisseurs, etc. Le défi réside dans le fort turnover de nos métiers. Pour une efficacité optimale, nous devrions organiser ces formations deux fois par an. Cela permettrait de sensibiliser tout le monde, de prévenir les incidents et de rappeler les protocoles de sécurité. Actuellement, nous formons les équipes encadrantes annuellement et la société de sécurité tous les deux ans, mais c’est insuffisant. Nous travaillons sur un projet pour 2025 visant à localiser ces formations. L’idée est de mutualiser les ressources avec d’autres organisateurs d’événements culturels, festifs et de congrès dans notre région, plutôt que d’envoyer chacun ses équipes à Marseille ou Paris.

M. Dimitri Gavenc. Pour les Francofolies, la formation des intermittents du spectacle est complexe en raison de leur courte présence sur le festival. Ekhoscènes et l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas) développent une formation spécifique, ce qui sera très bénéfique. Notre rôle sera d’informer sur son existence et de clarifier le fait qu’elle ne pénalise pas l’accès à d’autres formations – un frein fréquent pour les intermittents. Nous rencontrons le même problème avec les saisonniers non intermittents. Actuellement, nous organisons une réunion générale la veille du festival pour aborder ces sujets, mais ce n’est pas suffisant. Nous envisageons de collaborer avec la médecine du travail pour des interventions tout au long du festival, permettant à chaque salarié d’être formé. Cet aspect est particulièrement important étant donné que nos saisonniers sont généralement jeunes.

Mme Émilie Yakich. Concernant l’accueil des publics, nous avons mis en place des oasis en collaboration avec la ville de La Rochelle. Nous avons organisé une journée de formation pour l’ensemble du personnel d’accueil par des associations, qui vise à garantir que tous les intervenants dans ces lieux de premiers contacts soient formés et connaissent les procédures en place.

Mme Cindy Pajot. Pour le Hellfest, nous avons organisé plusieurs formations. La direction du festival a été formée en 2019 et 2022 par Ici C’est Cool et le Planning familial. Depuis fin 2022, toute l’équipe permanente a suivi la formation Qualiopi du Planning familial et une formation avec Act Right l’année dernière. Notre objectif est d’étendre cette sensibilisation. En attendant une solution pour les intermittents, nous proposons des animations rapides, efficaces et ludiques, animées par nos partenaires comme Écoute et prévention des violences sexuelles (EPVS, anciennement Stop aux violences). Ces animations incluent des outils comme le violentomètre, permettant d’aborder ces sujets complexes de manière accessible.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Au-delà des formations, comment communiquez-vous sur la politique de tolérance zéro concernant les comportements sexistes et sexuels ? Est-ce mentionné dans les contrats de travail, sachant que ceux-ci sont rarement lus en détail ? Ou bien lors des réunions de préparation ? Les managers transmettent-ils ce message ? Les témoignages que nous recevons indiquent une persistance importante du sexisme dit « ordinaire », qui peut avoir des conséquences graves sur certaines personnes.

Mme Émilie Yakich. Nous avons mis en place plusieurs moyens pour transmettre ces informations. Nous avons intégré un article spécifique dans les contrats de travail, bien que cela puisse avoir ses limites. Nous avons désigné un référent sur chaque site du festival, qui sert d’intermédiaire avec nos référents VHSS. Les coordonnées des référents VHSS et les informations sur la permanence quotidienne sont incluses dans les plannings de chaque salarié. Depuis trois ans, nous envoyons une newsletter hebdomadaire le mois précédant le festival, abordant ces questions ainsi que d’autres sujets comme les transitions environnementales. Nous avons également envisagé l’utilisation de l’application Safer, qui propose un module de formation en ligne de deux heures. Cela nous semblait être une bonne solution pour former nos équipes à distance, en complément des informations de base fournies dans la newsletter.

M. Eddy Pierres. Je vais prendre deux exemples. Concernant les agents de sécurité, nous avons mis en place une réunion de présentation avant le festival avec l’ensemble des agents et notre équipe technique. Notre sous-préfet y a participé de manière bienveillante. Cette réunion vise à reconnaître le travail essentiel de ces agents et à prioriser les points importants pendant le festival, notamment les questions de violences sexistes et sexuelles.

Nous avons également créé un réseau d’ambassadeurs composé de riverains, d’élus, de membres du conseil d’administration. Ils parcourent le site et discutent avec les festivaliers sur divers sujets, y compris ces questions sensibles.

Pour répondre à votre question sur le contrat de travail, nous faisons effectivement signer numériquement une charte à tous. Nous pouvons vérifier quand elle a été lue, mais je reconnais que le procédé a ses limites. L’échange et la présence sur site me semblent essentiels.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je pense qu’un levier important est de transmettre clairement le message de tolérance zéro lors de la première réunion de travail. Si les équipes le savent, elles le respecteront.

Mme Haude Hellio. Nous ne l’avons pas précisé, mais je pense que c’est le cas pour mes confrères et consœurs également. C’est tellement fondamental que lors de nos réunions de lancement, c’est l’un des sujets que nous traitons en présentant l’ensemble du dispositif. Effectivement, si nous n’avons pas pensé à vous le signaler, c’est bien le cas.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous arrivons au terme de l’audition. Nous vous remercions vivement.

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Puis, la commission auditionne Mme Caroline Barel, ambassadrice de MeTooMedia, et Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de MeTooMedia.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous accueillons Madame Caroline Barrel, ambassadrice de MeTooMedia, accompagnée de Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de l’association. Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Caroline Barel et Emmanuelle Dancourt prêtent serment.)

Caroline Barel, chargée de casting. Je vous remercie de me recevoir pour partager mon expérience, représentative de celles de nombreuses femmes dans la radio musicale, et hélas banale. Passionnée depuis l’enfance, j’ai intégré l’école de radio de référence en France. Dès les premiers cours, on nous a confrontés à la réalité du métier, réputé difficile pour les femmes : des sondages indiqueraient que les auditrices n’aiment pas entendre les voix d’autres femmes à la radio, jugées trop stridentes ou suscitant la jalousie et l’agacement. Pour ma part, ayant une voix grave, on me destinait aux émissions de nuit, soi-disant pour exciter les hommes. Chaque fois que j’ai intégré une radio – NRJ, Chérie FM, Ado, et Voltage –, la direction me rappelait ces fameux sondages. Vingt ans plus tard, je suis toujours à leur recherche.

J’ai débuté chez NRJ dans l’émission « Sans interdit », diffusée de 21 heures à minuit, entourée de quatre hommes, où ma mission consistait, à partir de 22 heures – l’heure à laquelle on peut parler de sexe à la radio – à faire deviner des positions sexuelles aux auditeurs avec une voix de téléphone rose. En dehors de cela, j’étais standardiste et devais rire bêtement aux blagues des intervenants. Je me souviens d’une auditrice qui avait appelé pour partager sa gêne, liée à la pilosité de sa poitrine : elle a subi un torrent de moqueries, de rires, la direction exigeant aussi de nous, les femmes, que nous nous moquions d’elle au lieu de la défendre.

Lors des événements promotionnels, il n’était pas rare que la direction ne prenne pas suffisamment de chambres d’hôtel. Un jour, à Marseille, j’ai donc dû partager ma chambre avec un membre de l’équipe. Pendant la nuit, il s’est masturbé sur ma cuisse alors que je faisais semblant de dormir, horrifiée. J’en ai parlé, mais ça faisait rire. Et comme je devais rire aux hommes, j’ai ri aussi.

Combien de fois ai-je entendu : « la radio est une grande famille, tout le monde se connaît, tout se sait, alors fait attention à ce que tu dis, ce que tu fais » ; « tu veux réussir dans ce milieu, Caroline ? Une femme, dans ce milieu, ça se tait ». Autant vous dire que c’est antinomique, quand on est animatrice. Oui, l’omerta existe dans les radios musicales.

Quelques années plus tard, je deviens animatrice sur Ado FM, auprès d’un célèbre animateur. Les hommes se demandent si j’ai couché pour réussir ; à aucun moment, on ne s’interroge sur la qualité de mon travail, ma légitimité ou mon talent.

Mes efforts pour apporter de la sororité à l’antenne, notamment sur Voltage, vis-à-vis des auditrices, ont déplu et ont conduit à mon licenciement six mois plus tard : il fallait créer des clashs entre femmes et continuer de rire bêtement aux blagues des hommes.

En 2014, j’ai rejoint la matinale de Chérie FM animée par Vincent Cerutti, officiellement en tant que standardiste, en réalité comme assistante de production, sans que mon contrat ne l’indique. Le producteur imposait des humiliations constantes à l’équipe, telles que le port, une journée entière, de pancartes indiquant « Je suis vilaine » ou des changements de prénoms des stagiaires – pratique qui existe sur plusieurs antennes du groupe, et encore tous les matins sur NRJ. Il existait également un panneau couvert de citations à caractère sexuel, et c’était pour tous un honneur que d’y figurer.

Dans ce contexte, j’avais normalisé les abus, j’étais « matrixée » à rire aux blagues des hommes, même quand elles étaient sordides.

On m’a également demandé de participer à de la fraude aux jeux, en mettant de faux gagnants à l’antenne dans le but d’attirer les auditeurs, une pratique systématique au sein du groupe.

Après les attentats du 13 novembre, alors que j’étais à proximité des évènements, l’animateur s’est amusé dès le lundi suivant à claquer violemment la porte des studios, en me demandant, un grand sourire aux lèvres, si le bruit des portes me rappelait celui des kalachnikovs.

Lors d’un autre épisode, affectée par la mort de ma mère, l’animateur m’a regardé droit dans les yeux en me disant que je finirai comme elle, bientôt morte, et qu’il ne me resterait plus qu’à me suicider, sous une rame de métro. Cela fait dix ans que je ne m’approche plus jamais d’un quai.

Ce même animateur avait l’habitude de mordre les fesses de ses collaboratrices ; je l’avais prévenu qu’il n’était pas question qu’il me touche. Pourtant, dès 2015, alors que je ne m’y attendais pas, il s’est acharné comme un chien enragé sur mon fessier. Il a recommandé quelques mois plus tard lors d’une séance photo destinée aux réseaux sociaux. Mon cri de douleur a été si fort qu’il a alerté une hôtesse d’accueil qui se trouvait un étage au-dessus.

Quand j’entends aujourd’hui les responsables du groupe vanter devant vous la protection des salariés qu’ils mettent en œuvre, je suis très en colère.

Après avoir dénoncé ces faits en 2016, j’ai été écartée de l’antenne, après que mon producteur m’a dit : « on ne vire pas une star, si tu parles, tu ne travailleras plus jamais ». De fait, je n’ai jamais remis les pieds sur une antenne.

Malgré mes dénonciations, aucune mesure de protection n’a été prise, contrairement aux affirmations publiques du groupe. La justice a reçu les preuves depuis 2017 et l’animateur, mis en examen depuis plus d’un an, continue d’être à l’antenne d’une radio nationale. J’ai personnellement déposé une plainte pour agression sexuelle et harcèlement moral.

Les affaires comme celles de Cauet, Manu Levy, la mienne et d’autres moins médiatisées montrent que le groupe cherche davantage à se défendre qu’à assumer ses défaillances.

Il y a trois mois, une amie travaillant sur une antenne du groupe NRJ a été mise à l’écart pour avoir osé réagir autrement que par un rire à l’antenne. Son micro n’a jamais été rallumé. Elle est actuellement en arrêt maladie. Dans les radios musicales, une véritable omerta règne. Les femmes craignent de s’exprimer par peur des répercussions sur leur carrière. Dans mon dossier, je ne suis pas la seule victime. Beaucoup sont restées officiellement silencieuses par peur des représailles, mais se sont confiées officieusement aux enquêteurs. Cela démontre le climat de peur et la loi du silence qui pèsent sur cette industrie. Si je suis la seule à m’exprimer devant vous aujourd’hui, c’est parce que mes consœurs, toujours en poste dans ces radios, craignent pour leur emploi. Ces stations continuent d’employer des agresseurs malgré les plaintes, les mises en examen et les condamnations. Dans les radios musicales, les femmes sont encore sexualisées, violentées et brimées. Elles sont réduites à des rôles de potiches, de voix de téléphone rose ou de ménagères de moins de 50 ans. Ce fameux sondage, que je n’ai jamais trouvé, semble toujours faire foi.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La chaîne a-t-elle réagi à la mise en examen ?

Mme Caroline Barel. Ils étaient effectivement au courant, ma première plainte datant de 2019. J’ai dénoncé les faits et une enquête interne a été menée. Bien qu’elles aient été faites conjointement, les RH et le comité social et économique (CSE) sont arrivés à des conclusions différentes concernant ma plainte.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La chaîne a-t-elle réagi à cette mise en examen ?

Mme Caroline Barel. Non, ils se sont faussement contentés d’affirmer avoir bien agi.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La personne est-elle toujours à l’antenne aujourd’hui ?

Mme Caroline Barel. Elle n’est plus à l’antenne au sein de ce groupe, mais elle est à l’antenne de M Radio, une station nationale appartenant à un autre groupe.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La personne a-t-elle quitté le groupe NRJ à la suite d’un licenciement lié à votre affaire ou pour une autre raison ?

Mme Caroline Barel. Ils affirment dans la presse l’avoir écarté à la suite à ma plainte, mais il l’a été près d’un an après.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les aviez-vous informés de votre plainte ?

Mme Caroline Barel. Oui, bien évidemment, puisque ma plainte implique également le groupe.

Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de MeTooMedia. MeTooMedia accompagne de nombreuses personnes dans le monde des médias et de la culture, notamment dans le secteur de la radio. Nous suivons des victimes de Sébastien Cauet, de Manu Levy, de Vincent Cerutti et d’autres radios publiques et privées. Je tiens à saluer le courage de Caroline Barel, qui n’a plus travaillé depuis sa prise de parole fin 2016. Comme on l’entend souvent ici, la radio est un petit milieu où tout se sait, d’où le silence imposé aux femmes.

Concernant l’audition de Gaël Sanquer le 18 décembre 2024, j’aimerais souligner quelques points. Le groupe NRJ n’est pas qu’une antenne, mais aussi Chérie FM, Nostalgie, Rire et Chansons, ainsi que deux chaînes de télévision. Il possédait un chiffre d’affaires de 391 millions d’euros en 2023, dont 240,6 millions pour la radio. Une durée d’écoute moyenne de 2 h 40 par jour et par auditeur, et 39,1 millions d’auditeurs quotidiens, implique de grandes responsabilités.

Gaël Sanquer a évoqué les valeurs du groupe sans les citer. Je m’interroge sur ces valeurs au vu du témoignage de Caroline. La protection des employés et la représentativité des femmes à l’antenne devraient en faire partie. Le rapport 2024 de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) montre une sous-représentation flagrante des femmes sur NRJ par rapport à son concurrent principal, Fun Radio : elle n’est que de 20 %, là où Fun Radio atteint 52 % de femmes à l’antenne. Une radio musicale peut donc tout à fait mettre des femmes à l’antenne.

Je tiens à souligner la gravité de l’agression subie par Caroline, notamment la morsure dont j’ai vu les photos. On dirait qu’elle est le fait d’un doberman. Ce comportement est extrêmement choquant et ne devrait en aucun cas être pris à la légère.

Concernant les procédures de signalement, Gaël Sanquer a mentionné la possibilité de contacter le manager, les ressources humaines ou la référente harcèlement. Cependant, dans le groupe NRJ, la référente fait partie de la direction, ce qui peut dissuader les victimes de s’exprimer. Il est crucial que les référents soient plus accessibles, et indépendants de la direction.

Mme Caroline Barel. J’ajoute que, depuis l’affaire Manu Levy, plus personne n’ose s’adresser au CSE.

Mme Emmanuelle Dancourt. Je souhaite vous faire part d’un témoignage spontané reçu par Caroline sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’Émilie Castelain, ancienne animatrice de NRJ connue sous le nom de T-Miss. Elle avait 24 ans lorsqu’elle a pris l’antenne de minuit à 4 heures du matin. Voici ce qu’elle a écrit, sans concertation avec Caroline :

« Le monde de la radio, c’est un monde d’hommes. Je suis la première femme à avoir eu son émission sur NRJ en 2005. Pourquoi si tard ? Parce que, et ce sont les hommes qui me l’ont bien expliqué, les femmes détestent entendre d’autres femmes. Elles seraient jalouses, critiques et puis on perdrait de l’audience. Elles iraient écouter la voix suave et réconfortante du beau mâle de la station voisine. En radio, une voix d’homme, c’est une voix neutre. C’est littéralement ce qu’on nous apprend quand on veut faire nos métiers, animatrices ou journalistes radio. Ce sera plus dur. Il faut être cool, ouverte et savoir parler aussi de la couleur de sa petite culotte, comme me l’a dit le directeur d’antenne à cette époque, alors qu’on pensait à moi pour une radio libre et jeune. C’est cash, c’est comme ça.

Moi, je sortais d’une radio locale hip-hop, où là aussi, j’étais la seule femme à avoir son émission quotidienne. Alors, je m’habillais en baggy et avais copieusement ravalé ma féminité pour m’éviter des ragots, des “je me la taperai bien” et être la bonne copine entourée de mecs. Quelque part, je me sentais protégée comme ça. Mais vous avouez que j’avais peur ? “Non, impossible, je ne suis pas une gamine, moi. Si je suis là, c’est parce que je suis plus forte que les autres, justement”, me racontais-je. Et c’est ainsi que la fameuse “rivalité des femmes de radio” commence. Tous les hommes autour de moi n’étaient pas lourds et encore moins des prédateurs, mais il y avait dans les couloirs des radios que j’ai fréquentées une franche camaraderie qui s’installe quand on discute des collègues féminines, de leur tenue, de leur hystérie, si elles ont le verbe haut.

Homme comme femme, d’ailleurs, la hiérarchie instaurait sournoisement – souvenez-vous, la voix d’un homme est la voix neutre – et nous a fait intégrer tout ce sexisme ambiant au nom du privilège d’être à côté de ces messieurs. Et quand fut venue l’heure de mon départ de la station cinq ans plus tard, à mon rendez-vous RH pour la paperasse, on me dit : “Bon, ben, tu le prends bien, ça a l’air d’aller, mais on m’avait prévenu que t’étais un vrai mec de toute façon”, sous-entendu “ouf, j’ai évité une pleurnicharde”. Alors oui, vingt ans plus tard, je pleurniche sur ces tragiques croyances concernant les femmes dans les médias, bien vite encombrantes, si elles parlent trop, vieillissent trop, grossissent trop. C’est déjà un tel honneur d’être en la lumière, sois bonne et laisse-toi faire.

Je me questionne souvent, j’ai participé à cette mascarade, j’ai donné mes jeunes années à un monde du divertissement ultra-genré. J’ai peur pour notre jeunesse aussi, qui ne réalise pas les codes qu’elle est en train d’ingérer en donnant son attention à cette vision du monde, ce male gaze permanent. Mon fils de 12 ans m’a dit : “On dirait qu’on veut faire de nous des obsédés sexuels.” Aujourd’hui, je vis loin de cet univers que j’aimais passionnément, mais la passion est mauvaise conseillère. Loin d’une guerre hommes-femmes, injectons juste du bon sens, de la décence dans le monde du divertissement et dans le pouvoir médiatique de notre pays. »

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ces témoignages sont sans appel. Depuis le début de cette commission d’enquête, nous constatons un fossé entre les récits des victimes et ceux des directions et institutions. Les dispositifs existent, mais les victimes décrivent des violences systémiques, tandis que les directions affirment que tout va bien. L’incident de la morsure est une violence caractérisée. Il y a des éléments matériels et donc matière à prendre des sanctions immédiates dans l’entreprise, si tant est qu’une enquête interne ait eu lieu. Y a-t-il eu une enquête interne ?

Mme Caroline Barel. Les agressions se sont toujours produites dans les locaux, en présence d’autres personnes. La première fois, un témoin a dû intervenir pour l’arrêter car je criais de douleur. Il a dû l’arracher de mon fessier. La deuxième fois est arrivée soudainement alors que je me levais après une photo, toujours en présence d’autres personnes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette impunité totale est étonnante !

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pouvez-vous préciser la réaction de l’entreprise, étant donné qu’il y avait des témoins ?

Mme Caroline Barel. Nous sommes conditionnés ; je suis conditionnée à rire depuis la nuit des temps. Tout le monde rit, personne n’a le choix ; je n’ai pas envie de rire, mais de pleurer et de rentrer chez moi. L’entreprise est au courant. Une enquête interne a été menée conjointement par le CSE et les RH. Cependant, leurs conclusions diffèrent. Les RH affirment qu’il ne s’est rien passé, tandis que le CSE reconnaît les faits et recommande de prendre des mesures. Aucune mesure n’a été prise. J’ai été écartée de l’antenne et mise au placard pendant deux ans avant d’être licenciée, à l’issue de mon arrêt maladie.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Aviez-vous un certificat médical ou des preuves des agressions ?

Mme Caroline Barel. Bien sûr ! Mais pour l’entreprise, il ne s’est rien passé. Ils prétendent que les incidents n’ont pas eu lieu dans leurs locaux, que les photos ne prouvent pas l’identité de l’agresseur.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous décrivez un comportement systématique ou du moins régulier. Pourtant, les autres incidents n’ont pas fait l’objet de plaintes. Comment l’expliquez-vous ?

Mme Caroline Barel. Il existe un témoignage de l’animatrice de l’époque qui a également été mordue jusqu’au sang. La réponse de l’entreprise a été la même : « circulez, y’a rien à voir, ce n’est pas chez nous ».

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous nous décrivez un environnement de travail marqué non pas par un sexisme ordinaire, mais par des violences sexistes et sexuelles permanentes.

Mme Caroline Barel. Je tiens à préciser que ma première agression sexuelle a eu lieu à Marseille, lors d’un déplacement professionnel. En raison d’un manque de chambres d’hôtel, on m’a fait partager une chambre avec un membre de l’équipe. C’est une situation que j’aurais préféré éviter.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Concernant ces chambres d’hôtel, la direction organisait-elle systématiquement un partage mixte des chambres entre hommes et femmes ?

Mme Caroline Barel. À l’époque, j’étais très jeune et commençais tout juste ma carrière. On m’a simplement indiqué où je devais dormir. Je n’ai pas choisi cette situation de mon plein gré, c’est certain.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le partage des chambres d’hôtel est un sujet récurrent dans notre commission d’enquête, mais le partage mixte est particulièrement inhabituel et surprenant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Concernant cet incident de chambre d’hôtel, pouvez-vous préciser si la personne impliquée faisait partie de l’administration, de la gestion du déplacement, ou s’il s’agissait de quelqu’un de l’antenne ?

Mme Caroline Barel. Il s’agissait d’un membre de l’équipe au sens large, qui pouvait compter jusqu’à quinze personnes, ne travaillant pas à l’antenne.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous des témoignages récents de faits similaires dans ces radios ? NRJ nous a assuré que la situation s’était améliorée et que des mesures avaient été prises. Disposez-vous d’informations contredisant ces affirmations ?

Mme Caroline Barel. J’attends le témoignage écrit d’une personne, mais elle est actuellement souffrante. Dès que je le recevrai, je vous le transmettrai.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous avez mis en lumière un point crucial : la mise en concurrence des femmes entre elles, qui les empêche de s’allier et de mener un combat collectif. Cette situation les oblige à agir individuellement, ce qui les fragilise dans leur carrière, leurs moyens financiers et leur capacité psychique à mener ce combat. Avez-vous pris contact avec d’autres femmes ayant travaillé dans ces antennes ? Seraient-elles prêtes à mener une action collective, pas nécessairement judiciaire, concernant cette radio ?

Mme Caroline Barel. Non, car l’omerta persiste. Dans mon dossier, certaines ont parlé officieusement, mais ce témoignage a été extrêmement difficile pour elles. Celles encore en poste m’ont clairement exprimé leur peur de perdre leur emploi. J’ai reçu des messages disant : « On ne parle pas, on a peur pour notre travail, on aurait adoré t’accompagner Caroline. »

Mme Emmanuelle Dancourt. Le problème ne se limite pas au groupe NRJ. À MeTooMedia, nous avons également des témoignages de victimes dans d’autres radios privées et publiques. L’omerta est omniprésente. Un problème récurrent est que tout le monde se réfère au droit pénal, attendant un jugement avant d’agir. Ce principe conduit souvent à écarter la personne moins connue, généralement une femme, plutôt que de retirer l’antenne à un présentateur ou un artiste populaire. Les entreprises semblent mal formées ou biaisées, attendant une décision pénale comme s’il n’existait pas d’autres droits. Le droit du travail, souvent négligé, devrait être appliqué. La situation se complique avec les radios comme NRJ, où le droit du travail s’applique à l’intérieur de l’entreprise, mais ne régit pas ses relations avec ses partenaires extérieurs. Lorsqu’il s’agit de relations contractuelles relevant du droit des affaires, comme avec la société de production d’un animateur problématique, la situation devient plus complexe. Il serait intéressant d’explorer comment le droit des affaires peut contribuer à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment dans le cadre des relations avec les sous-traitants.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Concernant les liens de subordination entre un donneur d’ordre et une entreprise sous-traitante, je me demande si, dans le cadre du devoir de vigilance, on pourrait envisager des améliorations. Actuellement, le donneur d’ordre doit veiller à certains aspects jusqu’au sous-traitant de niveau N-2. Il serait intéressant d’examiner si la question des violences sexistes et sexuelles a été intégrée dans ce devoir de vigilance. Si ce n’est pas le cas, cet aspect pourrait constituer une piste à explorer.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. En effet, mais il s’agit d’une question de pouvoir. Les personnes protégées le sont par ceux qui détiennent l’argent, les responsabilités et la propriété. Cette situation n’est pas simple à résoudre, mais nous trouverons des solutions au sein de cette commission ! J’ai une dernière question : vous aviez mentionné ne pas avoir repris l’antenne. Pouvez-vous confirmer que vous n’avez jamais retrouvé un poste d’animatrice depuis ?

Mme Caroline Barel. Non, je n’ai pas retrouvé de poste d’animatrice. J’adorerais intervenir à nouveau en radio, mais je ne suis plus du tout dans ce milieu. Actuellement, je suis chargée de casting, à, nouveau dans un milieu problématique visiblement ! Par ailleurs, je travaille dans une école de cinéma – toujours pas dans le bon secteur, donc –, mais j’essaie au moins de sensibiliser les plus jeunes.

Mme Emmanuelle Dancourt. Je tiens à souligner que Caroline fait un excellent travail, mais elle n’y était pas destinée initialement. Son véritable talent est à l’antenne. À MeTooMedia, nous avons de nombreuses victimes comme Caroline qui ne sont pas à la place qu’elles méritent, en raison du patriarcat mentionné plusieurs fois ici. Beaucoup de femmes de l’association sont sans emploi ou n’occupent pas le poste auquel elles aspirent.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie sincèrement. Il est frappant de constater que, lorsque la carrière d’une personne mise en cause est perturbée, les institutions le mentionnent systématiquement. En revanche, aucun responsable institutionnel, du ministère aux directions d’organismes culturels, n’évoque spontanément l’arrêt des carrières des victimes qui osent parler. Il faudra un jour pointer du doigt cette focalisation unilatérale dans la lutte contre les violences.

Je vous remercie infiniment pour la force de votre parole, pour la confiance que vous nous accordez et pour le courage dont vous avez fait preuve.

 

La séance s’achève à dix-sept heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents.  M. Pouria Amirshahi, M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau