Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Pierre Calmelet, chef de chœur et chef de chant, et M. Thibaut Derathé, ancien élève de la Maîtrise des Hauts-de-Seine               2

– Audition ouverte à la presse, de M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, Mme Céline Gateau-Leblanc, directrice générale adjointe du pôle évaluation, accompagnement et audit, et Mme Élise de Blanzy-Longuet, directrice de la Culture du département des Hauts-de-Seine              10

– Présences en réunion....................................21

 


Jeudi
30 janvier 2025

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 38

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Céline Thiébault-Martinez,
Vice-présidente de la commission


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La séance est ouverte à dix heures cinq.

La commission auditionne M. Pierre Calmelet, chef de chœur et chef de chant, et M. Thibaut Derathé, ancien élève de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Nous vous recevons dans le cadre des dernières journées d’audition de cette commission d’enquête qui doit rendre son rapport au mois d’avril. Nous sollicitons aujourd’hui votre éclairage sur le fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pierre Calmelet et Thibaut Derathé prêtent serment successivement.)

M. Pierre Calmelet, chef de chœur. Je suis chef de chœur, chef d’orchestre et pédagogue, exerçant notamment au conservatoire de Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine. J’ai occupé le poste de directeur musical de la Maîtrise des Hauts-de-Seine pendant quelques mois ; en tant premier collaborateur de M. Gaël Darchen, j’ai pu être témoin de son ascension à la tête de la Maîtrise. J’ai longuement hésité avant de venir témoigner – j’ai pensé à me dérober, estimant avoir déjà payé un prix suffisamment élevé. Mais mon silence eut été trop lâche : j’ai donc décidé d’apporter mon témoignage afin de soutenir les cinq jeunes femmes, les anciens maîtrisiens et les parents qui ont eu le courage de dénoncer les agissements du directeur de la Maîtrise.

En guise d’introduction, permettez-moi de vous livrer une brève rétrospective des événements à la faveur desquels une personne qui ne possédait ni diplôme, ni qualification a été placée à la tête de cette Maîtrise, jouissant des pleins pouvoirs pour s’occuper d’enfants et mettre en place un système dont la perversité est aujourd’hui dénoncée. En 1999, à la suite du scandale ayant entraîné le départ de Francis Bardot, chef de la Maîtrise, c’est Gaël Darchen qui a été appelé pour le remplacer. Ce jeune apprenti, recommandé personnellement par Charles Pasqua – qui souhaitait qu’il le forme à la direction de chœur et lui assure un avenir –, possédait un maigre bagage musical compensé par de grandes ambitions, un opportunisme certain et de puissants soutiens au sein du conseil général. Afin d’atténuer le traumatisme causé par le départ de Francis Bardot et de parvenir à ses fins, Gaël Darchen devait solliciter une personnalité musicale rassurante et compétente pour assurer une caution artistique à la Maîtrise. Lorsqu’il m’a sollicité pour devenir directeur musical, en m’assurant qu’il mettrait tout en œuvre pour me permettre de développer une pédagogie musicale ambitieuse, j’ai accepté, pensant pouvoir faire de cette Maîtrise un lieu d’excellence et d’épanouissement artistique. J’ai, hélas, rapidement compris que j’étais manipulé par les hauts responsables politiques du département dans le seul but de sauver les contrats avec les partenaires de la Maîtrise, dont l’Opéra de Paris et l’éducation nationale. Toutes les décisions importantes, y compris artistiques, m’échappaient ; j’étais surveillé et mon courrier était systématique ouvert et lu, voire intercepté. Pour le vérifier, je me suis adressé des lettres à moi-même : elles ne me sont jamais parvenues.

Mes tentatives de collaboration avec les professeurs de musique du collège Henri Sellier, dans le but de donner accès aux enfants à des cours de solfège, ont été sabotées par la présidente de l’époque, Françoise Poulizac, proche de Gaël Darchen. Lorsque j’ai tenté d’alerter le conseil général sur ces difficultés rencontrées pour mettre en œuvre ce projet musical, le président Alain Aubert et sa jeune stagiaire, Mme Lépinay, m’ont très vite remis à ma place et ordonné de me soumettre à ma hiérarchie – celle de Gaël Darchen, comme je l’ai découvert alors. Nous n’étions d’accord sur rien, aussi le conflit s’est très vite durci. Face à cette situation, j’ai décidé d’alerter les ministères de l’éducation nationale et de la culture, l’Opéra de Paris et la mairie de Suresnes. J’ai à la fois dénoncé les entraves auxquelles j’étais soumis et le fait que Gaël Darchen, sans compétence ni légitimité, prenait toutes les décisions. J’ai également signalé son autoritarisme, le ton cassant avec lequel il s’adressait aux enfants, sa manière d’aboyer sur un enfant dont le comportement ou la personnalité lui déplaisait, et le conflit qu’il avait déclenché avec l’ensemble du corps enseignant et administratif de l’éducation nationale. J’ai alerté sur la scolarité générale des enfants, sacrifiée du fait de nombreux cours manqués, de soirées d’attente dans les couloirs de l’Opéra et de somnolences matinales. J’ai critiqué l’absence de formation musicale vocale, considérée comme inutile par Gaël Darchen, et dénoncé le fait que les enfants n’étaient pas éduqués mais dressés, devenant des analphabètes de la musique condamnés à l’échec dans le milieu musical. J’ai également écrit à deux cents familles avant de réaliser que la plupart des parents ne souhaitaient pas faire face aux problèmes éducatifs d’un établissement qu’ils avaient choisi pour leur enfant. J’ai réclamé de l’aide, une redéfinition du projet et une restructuration de l’équipe encadrante, en vain.

Les relations avec Gaël Darchen étaient donc extrêmement tendues. Même si nous souhaitions tous les deux une rupture rapide, celle-ci représentait pour lui un risque important car j’étais apprécié de tous et rassurant pour les partenaires, tandis que ce jeune et ambitieux apprenti inspirait la méfiance. En réponse à sa proposition indigne d’acter mon départ contre deux mois de salaire, j’ai conditionné mon départ au versement, par le conseil général, des sommes qui m’étaient dues. Par la suite, j’ai eu le sentiment qu’il cherchait à m’intimider en me racontant des histoires inquiétantes : celle d’un homme politique dissident qui s’était noyé tout seul dans sa baignoire – dans cinq centimètres d’eau a-t-il cru bon de préciser –, ou encore celle d’un cycliste qu’il avait doublé la nuit précédente et qui avait mystérieusement disparu –sachant que je rentrais toujours à vélo après les répétitions, y compris de nuit. J’ai donc vécu les semaines suivantes dans la peur. Je prenais garde à ne pas être suivi, j’éteignais mon téléphone pour ne pas être localisable, etc. C’était sans doute ridicule de ma part, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’un accident de vélo était vite arrivé…

Pendant plus de vingt-cinq ans, je suis resté silencieux. Mais, depuis l’éclatement du scandale, de nombreux parents et enfants viennent me confier leurs inquiétudes et leurs doutes ou me demander conseil et les événements retracés dans la presse me rappellent tout ce que j’ai pu moi-même dénoncer par le passé.

J’ai récemment consulté le site internet de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. La présentation de Gaël Darchen par lui-même comme « directeur général et chef principal, garant d’une philosophie, d’une éthique et d’une morale vis-à-vis des familles et des enfants » me semble en totale contradiction avec les événements et témoignages récents. La pédagogie imaginée par Gaël Darchen, présentée comme « novatrice et unique en France », est en réalité nuisible en ce qu’elle décourage l’apprentissage de la lecture musicale, interdit les cours de chant en dehors de la Maîtrise et instaure une relation de dépendance totale envers un directeur paternaliste et autoritaire. La discipline à la Maîtrise est très stricte – un processus raffiné dont la perversité a été très bien décrite par d’anciens maîtrisiens –, mettant les enfants dans un état de soumission totale à leur maître. Contrairement aux autres Maîtrises sérieuses, seuls quelques élus bénéficient de cours de chant réguliers. Le reste ne bénéficie d’aucun cours, mais permet à la Maîtrise de se revendiquer comme étant la plus grande Maîtrise de France. Le prestige dont se vante la Maîtrise est également illusoire puisque, au-delà de quelques milieux restreints, dont le Grand Orient de France, sa réputation est catastrophique.

En tant qu’expert et pédagogue, je suis indigné et inquiet pour les enfants et, en tant que père, je suis stupéfait par la candeur des parents. Comme beaucoup d’autres personnes, je suis surtout surpris que les autorités de tutelle se soient obstinées à protéger un directeur et un conseil d’administration discrédités. Comment peut-on être à ce point sourd et aveugle aux signaux envoyés ? L’effroyable turnover des personnels gravitant autour de Gaël Darchen depuis vingt-cinq ans aurait dû donné l’alerte.

D’invraisemblables narratifs sont désormais servis aux parents pour tenter de les rassurer, le conseil d’administration allant jusqu’à dénoncer un complot émanant de la Maîtrise de Radio France et visant à lui voler son contrat avec l’Opéra. La Maîtrise des Hauts-de-Seine est effectivement en train de perdre ce contrat car, après deux avertissements et l’annulation de deux participations à des spectacles, le directeur général M. Alexander Neef a exigé une enquête indépendante prenant en compte les violences sexistes et sexuelles. Le président de la Maîtrise, Michel Haas, fanfaronne devant les parents, en leur indiquant que M. Neef bluffe. Mais il n’y aura probablement pas d’autres avertissements : l’Opéra risque gros pour sa réputation, et aura l’embarras du choix pour remplacer la Maîtrise. Les parents le savent-ils seulement ? Les effectifs de la Maîtrise ont déjà chuté, passant de 650 à 389 chanteurs en quelques mois.

Je m’interroge aujourd’hui sur la complaisance du président du conseil départemental envers un directeur musical et un conseil d’administration qui ne sont plus légitimes et ne peuvent plus incarner les valeurs d’excellence et d’éthique. Que deviendra la prestigieuse Maîtrise lorsque l’Opéra lui aura définitivement fermé ses portes ? Tous ces dysfonctionnements ne devraient-ils pas conduire le conseil général à mettre fin à cette situation pour permettre un nouveau départ ?

M. Thibaut Derathé, ancien élève de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. J’ai été maîtrisien de mes sept à mes treize ans et ce sont les événements survenus en 2010, lors de ma dernière année à la Maîtrise, durant une tournée en Chine, que je souhaite aujourd’hui relater. Je tiens à préciser que je partage pour la première fois ces faits publiquement, les ayant pendant longtemps gardés secrets, y compris pour ma famille et mes proches.

Lors d’un dîner dans un restaurant d’hôtel, j’étais attablé à côté d’une amie âgée également de treize ans. M. Darchen est passé derrière elle, a posé sa main sur l’une de ses joues et l’a embrassée sur l’autre avant de continuer son chemin. J’ai vu son visage se figer instantanément.

Quelques jours plus tard, après un concert où une autre amie du même âge – 13 ans, peut-être 14 – avait brillamment performé, recevant un grand bouquet de fleurs en récompense, nous discutions joyeusement. M. Darchen est arrivé derrière elle, a passé ses mains autour d’elle jusqu’à les poser sur son bas-ventre, l’a serrée contre lui et lui a déposé un baiser dans le cou en disant d’une voix suggestive : « Dites-moi, vous êtes fleurie aujourd’hui, mademoiselle ». Le visage de mon amie s’est décomposé et nous sommes restés figés, ne sachant comment réagir.

Je pense que M. Darchen a dès lors perçu mon désaccord et mon opposition à l’égard de ses comportements. Le lendemain soir, alors que je discutais avec un ami dans notre chambre d’hôtel après le couvre-feu, nous avons été réprimandés par un encadrant, qui a frappé à notre porte pour nous indiquer qu’il n’en ferait pas état à M. Darchen, mais qu’il fallait cesser de parler. Nous avons alors entendu la porte de la chambre s’ouvrir, puis se fermer. Plus tard, ne trouvant pas le sommeil, je me suis levé pour aller aux toilettes. En ouvrant la porte de la salle de bains, j’y ai découvert M. Darchen, plongé dans le noir, le visage uniquement éclairé par son téléphone, me disant d’une voix effrayante : « Alors on ne dort pas, Monsieur Derathé ? ». Terrorisé, je suis resté figé pendant qu’il me criait dessus. Je suis retourné me coucher sans avoir pu uriner, angoissé à l’idée qu’il puisse être resté caché dans la salle de bains.

Le lendemain matin, partagé entre la peur et la colère, j’ai confronté M. Darchen au petit-déjeuner. Il m’a alors emmené dans un endroit isolé de l’hôtel, m’a coincé dans un coin et m’a dit, menaçant : « Monsieur Derathé, ici, c’est moi le chef. J’ai tous les pouvoirs. Je fais ce que je veux et personne ne peut m’empêcher de quoi que ce soit. Vous avez deux choix : soit vous partez et vous rentrez à Paris, soit vous vous taisez et vous obéissez ». Sans autre moyen de défense, j’ai tenté de soutenir son regard menaçant aussi longtemps que possible mais ai fini par baisser les yeux, suscitant chez lui un dédain satisfait. « C’est ça, baisse les yeux… » a-t-il alors déclaré.

Quelques jours plus tard, dans le bus avant un concert, je me suis amusé auprès d’un camarade de la voix de la compagne de M. Darchen. Ayant entendu ma boutade, ce dernier a hurlé et entamé une véritable chasse à l’homme pour trouver le coupable, menaçant d’annuler le concert si personne ne se dénonçait. Après dix minutes de tension, j’ai fini par lever la main en bredouillant. Il m’a alors violemment réprimandé et humilié, remettant en question mon éducation et ma moralité. « Je vais réfléchir à ta punition », a-t-il alors lâché. Plus tard, il m’a pris à part pour m’annoncer qu’en guise de sanction, je serai privé des visites de la Grande Muraille de Chine et de la Cité interdite prévues le lendemain, dernier jour de la tournée. J’ai passé la soirée à pleurer, dévasté par cette punition.

Le lendemain matin, j’ai été sommé de monter dans le bus pour un trajet de trois heures vers la Grande Muraille. Une fois sur place, M. Darchen m’a ordonné de rester dans le véhicule, avec pour unique compagnie un chauffeur qui ne parlait ni français ni anglais et avait reçu pour consigne de ne me laisser sortir sous aucun prétexte. Après plusieurs heures, j’ai eu un besoin urgent d’aller aux toilettes mais le chauffeur m’en a physiquement empêché. J’ai été forcé d’exposer mes parties génitales pour qu’il consente enfin à me laisser sortir sur le parking. J’ai envisagé de m’enfuir avant de réaliser le danger d’être un enfant de treize ans seul dans un pays étranger dont je ne parlais pas la langue. J’ai à nouveau été enfermé durant la visite de la Cité interdite.

De retour à Paris, j’ai demandé à mes parents à arrêter la Maîtrise, le trombone, le solfège et la musique, sans en expliquer les véritables raisons.

Ce n’est que récemment, à la faveur des révélations de cas d’abus au sein de l’Église, que j’ai pu en parler à mes parents qui remettaient alors en question la légitimité de certaines institutions. Nous avons alors envisagé d’agir dans l’intérêt des enfants actuellement confrontés aux mêmes dangers au sein de la Maîtrise mais ne l’avons finalement pas fait, par impuissance, ce qui m’a laissé avec un sentiment de culpabilité et de honte. En septembre dernier, les courageux témoignages livrés par cinq personnes ont provoqué chez moi un sentiment de soulagement mêlé de culpabilité.

Pendant mes six années à la Maîtrise, j’ai vécu dans la peur constante de M. Darchen. Je peux confirmer que son autorité était arbitraire, imprévisible et punitive. Chaque enfant était partagé entre la terreur de sa présence et le désir de lui plaire car il avait ses favoris et ses souffre-douleurs, alternant voix mielleuse et ton glacial, distribuant des regards tendres à certains – d’ailleurs plus souvent à certaines – et foudroyants à d’autres. Nous vivions dans la crainte d’être publiquement humiliés pour notre posture, notre chant, notre façon de nous habiller ou notre comportement. Cette peur était justifiée car s’opposer à son autorité entraînait de dramatiques conséquences. M. Darchen était en effet prêt à tout pour écraser toute opposition : s’introduire dans une chambre d’hôtel la nuit, acculer quelqu’un dans un coin sombre pour le menacer et le soumettre ou l’enfermer dans un bus pendant plusieurs heures.

Je souhaite que les choses changent rapidement mais je suis extrêmement déçu des mesures prises par la Maîtrise depuis ces révélations.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vos témoignages corroborent d’autres récits que nous avons reçus, reflétant ce même sentiment de peur que vous partagez.

Monsieur Calmelet, en tant que pédagogue et musicien expérimenté, vous semblez remettre en question les compétences musicales de M. Darchen, allant jusqu’à évoquer une imposture. Pourriez-vous développer ce point ?

Je souhaite également que vous approfondissiez le sujet de la pédagogie de la Maîtrise. En quoi est-elle particulière ? L’absence d’apprentissage du solfège et de la musique semble en effet surprenante pour former des musiciens.

M. Pierre Calmelet. M. Gaël Darchen ne possède aucun diplôme musical. Son manque de qualifications est évident et le silence gêné sur le sujet lors de l’audition de M. Haas et Mme Lépinay est évocateur. Sa propre épouse a été incapable de citer le moindre diplôme, mentionnant tout juste un vague passage dans un conservatoire, ce qui est ironique étant donné les conseils qu’il prodigue au sujet de ces établissements. M. Darchen sait bien que ce sont ses accointances et non ses compétences musicales qui lui ont permis d’accéder à son poste.

Dans l’enseignement public, il est inconcevable de confier un chœur, surtout d’enfants, à une personne qui ne possède aucun diplôme attestant de compétences pédagogiques ou de connaissances en matière de voix de l’enfant. Des formations spécifiques pour la direction de chœur existent depuis des décennies avec un référentiel et des prérequis stricts en solfège, chant, piano et analyse musicale. Il n’est même pas certain que Gaël Darchen possède ces prérequis. Cette situation explique probablement l’isolement de la Maîtrise dans le monde musical, M. Darchen étant conscient de son imposture et évitant consciencieusement les situations où son incompétence pourrait être exposée.

À titre d’exemple, il a récemment refusé une collaboration avec l’orchestre du conservatoire de Boulogne, craignant sans doute d’être démasqué. On ne peut pas être professeur sans un minimum de qualifications, qu’il n’a pas. C’est un imposteur, et il le sait. En tout état de cause, sa pédagogie ne fait pas longtemps illusion. L’approche pédagogique de la Maîtrise des Hauts-de-Seine est comparable à l’enseignement d’une langue étrangère sans grammaire ni vocabulaire, produisant des enfants capables de réciter quelques phrases sans les comprendre, véritables analphabètes de la musique. Les seuls à connaître le solfège sont ceux qui l’étudient au conservatoire – en cachette, car cela est très mal vu de Gaël Darchen.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Derathé, votre témoignage sur les agissements de M. Darchen est glaçant. Pourriez-vous nous parler des dîners en silence ? Que signifiaient ces moments pour les enfants ?

Monsieur Calmelet, s’agit-il d’une pratique courante dans le monde musical ? S’il existe une justification pédagogique, laquelle est-elle ?

M. Pierre Calmelet. Ces dîners en silence n’ont aucune justification pédagogique. Je laisse M. Derathé nous indiquer si cette pratique était isolée, à la faveur de la Coupe du monde, ou habituelle.

M. Thibaut Derathé. Ces dîners en silence n’étaient en aucun cas des événements isolés puisque j’en ai vécu plusieurs au cours des cinq tournées auxquelles j’ai participé au Maroc, en Égypte, au Canada, en Syrie et en Chine. Il était évident que ces mesures n’avaient rien à voir avec la protection de la voix, mais étaient purement punitives, voire sélectives. Il est arrivé que la majorité soit forcée de manger en silence tandis qu’une table de favoris avait le droit de parler, ou inversement. Il s’agit d’une forme de manipulation par la récompense et la punition.

Ces moments étaient particulièrement difficiles à vivre. Nous craignions d’être surpris à parler mais étions tentés de communiquer par des regards. Dès que nous étions surpris à nous amuser de la situation, nous étions sévèrement réprimandés ou punis, certains étant même renvoyés dans leur chambre sans pouvoir finir leur repas. Cette pratique contribuait au climat de terreur constante.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Derathé, des cas d’enfants perdant connaissance pendant les concerts nous ont été rapportés. Avez-vous été témoin de telles situations ? Rétrospectivement, estimez-vous que votre santé ait été suffisamment protégée ? Ces évanouissements étaient-ils fréquents ? Quel impact cela avait-il sur vous en tant que jeune chanteur ?

M. Thibaut Derathé. Je n’ai jamais personnellement perdu connaissance ni été malade au cours d’une tournée. Bien que je n’aie pratiquement aucun souvenir du médecin qui nous accompagnait, je me souviens en revanche qu’il était considéré comme normal que cinq ou six personnes s’évanouissent pendant un concert. Tels des dominos, plusieurs camarades tombaient les uns après les autres pendant que nous chantions et le concert continuait malgré leur évacuation.

Quant à la prise en charge de la santé, un incident survenu en Égypte me revient. Un enfant somnambule extrêmement violent pendant ses crises frappait brutalement à la porte de la chambre, effrayant les autres. Si j’ignore quelles mesures ont été prises, je sais qu’il continuait à dormir avec d’autres enfants et je ne peux pas affirmer qu’une prise en charge médicale adéquate ait été mise en place.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Monsieur Derathé, pouvez-vous préciser quels adultes étaient présents lors des tournées ? Quel contrôle exerçaient ces adultes et quelle était leur réaction face à la situation ? Essayaient-ils de rétablir l’équilibre ou de vous protéger ?

M. Thibaut Derathé. Il n’existait aucun équilibre. À titre d’exemple, l’encadrant qui a toqué à ma porte à deux heures du matin et affirmé qu’il ne rapporterait pas les faits à M. Darchen mentait, puisqu’il savait que celui-ci allait s’introduire dans ma chambre. Il lui a même permis de se dissimuler dans les toilettes à mon insu. Au regard de son comportement manipulateur et intimidant envers des enfants, j’ignore de quoi M. Darchen était capable envers ses collaborateurs et subordonnés, sur lesquels il avait un pouvoir hiérarchique et salarial. Je n’ai jamais senti qu’il existait un contre-pouvoir ou des adultes à qui j’aurais pu me confier sur les abus. Son autorité semblait absolue et je craignais donc que mes propos puissent lui être répétés et être ensuite utilisés contre moi.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Qui étaient les personnes responsables de l’encadrement musical, à l’époque et aujourd’hui ? Disposaient-elles des qualifications et diplômes requis ? Pensez-vous que certaines personnes aient été recrutées dans le but de perpétuer le système de pouvoir absolu que M. Darchen semble avoir organisé ? Nous devons comprendre car, même si la Maîtrise est une association, elle doit respecter certaines règles liées aux recrutements. Disposez-vous d’informations sur ce sujet ?

M. Thibaut Derathé. D’anciens amis de la Maîtrise m’ont confirmé que les encadrants étaient souvent choisis pour leur complaisance envers l’autorité de M. Darchen plutôt que pour leurs compétences ou leurs diplômes. Je sais avec certitude que l’affirmation de Mme Lépinay, prononcée ici sous serment, selon laquelle tous les encadrants d’enfants possèdent le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), est mensongère. Bien que je ne puisse pas en dire davantage sur le curriculum des personnes qui nous accompagnaient, les réponses de Mme Lépinay lors de son audition sont inquiétantes quant à la sécurité des enfants actuellement placés sous la responsabilité de la Maîtrise.

M. Pierre Calmelet. Aucun recrutement n’a jamais été ouvert, M. Darchen désignant lui-même ses collaborateurs. Après mon arrivée à la Maîtrise, où il m’avait désigné, j’ai proposé une assistante diplômée du conservatoire de Boulogne, dont je connaissais la compétence, sans succès. Une assistante qui avait travaillé avec Francis Bardot rencontrait également, malgré ses vastes compétences, de grandes difficultés en raison de son opposition à M. Darchen. Elle était le souffre-douleur de l’équipe. Concernant l’encadrement général, bien que je n’aie rien constaté directement, j’ai le sentiment que tout fonctionnait par cooptation, sans vérification de diplômes ou de compétences.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Comment expliquez-vous que la Maîtrise des Hauts-de-Seine attire autant d’enfants et qu’autant de parents leur confient leurs enfants, malgré ces dysfonctionnements ? Cette institution semble jouir d’une certaine aura, étant presque la maîtrise officielle de l’Opéra de Paris. Comment l’expliquez-vous ? Estimez-vous qu’elle soit également un outil politique au service du conseil départemental des Hauts-de-Seine ? Quelle est la responsabilité de ce dernier dans cette situation ?

M. Pierre Calmelet. La Maîtrise est extrêmement attractive car elle fonctionne comme une fabuleuse agence de voyages. Aucune autre maîtrise n’emmène les enfants aussi loin et aussi souvent, malgré le coût élevé que cela représente probablement pour les contribuables du département.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cette Maîtrise bénéficie effectivement d’importantes subventions. Les parents payaient-ils les voyages ? À titre d’exemple, comment a été financé le voyage d’une centaine d’enfants en Chine en 2010, probablement onéreux ? Existait-il un rapport particulier à l’argent ? Les parents payaient-ils une cotisation à la Maîtrise, comme dans d’autres associations ?

M. Thibaut Derathé. Il me semble que mes parents versaient effectivement une contribution annuelle.

Je me souviens également que le sujet des tournées était source de tensions et que mes parents ont osé remettre en question l’autorité de M. Darchen lors de réunions parents-professeurs en soulignant leur coût excessif. Ils ont notamment questionné la nécessité de loger des enfants de sept à dix ans dans des hôtels luxueux et suggéré une rationalisation des dépenses afin de rendre les tournées plus accessibles. Leurs propositions ayant été vivement rejetées, ils ont compris qu’ils seraient désormais déconsidérés et ne pourraient plus s’exprimer sur les décisions de la Maîtrise. Il est donc juste d’affirmer que le coût de ces tournées est élevé et que l’accès en est ainsi limité aux enfants issus de familles aisées. Il s’agit d’un choix, car ces voyages pourraient assurément être moins onéreux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je m’interroge sur l’existence, à l’époque, d’une association ou d’un comité de parents. Au regard du statut associatif de la Maîtrise et du volume d’argent public perçu, le conseil d’administration dispose normalement d’un droit de regard sur les finances. Les parents jouaient-ils un rôle ? Nous avons dernièrement appris qu’il n’existait actuellement aucune association de parents et que ces derniers n’étaient même pas autorisés à entrer dans la Maîtrise. Était-ce le cas à votre époque ?

M. Thibaut Derathé. Bien que je n’aie pas de souvenir précis d’une interdiction formelle, je peux affirmer n’avoir jamais vu de parents à l’intérieur de la Maîtrise.

Mes parents n’ont jamais été conviés à participer à une association de parents d’élèves disposant d’un fonctionnement démocratique et leur permettant d’exprimer leur opinion. J’ai appris par d’anciens maîtrisiens qu’une association de parents d’élèves avait bien existé à une époque mais qu’elle avait été progressivement écartée puis démantelée. Pendant longtemps, il n’a en effet existé aucune structure permettant aux parents de s’exprimer sur les décisions de la Maîtrise.

M. Pierre Calmelet. Je souhaite vous donner un exemple concret de politisation de la Maîtrise. Dans les années 2000, Charles Pasqua envisageait de se présenter aux élections présidentielles de 2002 et souhaitait l’annoncer à l’occasion d’un événement spectaculaire et médiatique. Le conseil général a alors organisé un grand spectacle au parc de Sceaux auquel était convié Johnny Hallyday pour ses soixante ans, entouré par la Maîtrise des Hauts-de-Seine. M. Pasqua devait annoncer sa candidature à l’Élysée entouré des enfants devant les caméras du monde entier. Au regard du budget prévisionnel colossal, le conseil général avait chargé l’Association départementale pour l’information et l’animation musicale (Adiam) de gérer les dépenses mais son courageux directeur de l’époque, Jacques Favart, a catégoriquement refusé de jouer ce rôle et de laisser son association servir d’écran. En conséquence et dès la rentrée suivante, l’Adiam a été supprimée et remplacée par une commission indépendante d’attribution de subventions.

La politisation est aujourd’hui plus subtile et passe par des services mutuels rendus entre frères. Par exemple, un frère invite la Maîtrise pour une tournée dans un pays lointain, permettant ainsi à Gaël Darchen de rapporter de belles photos au conseil général, de justifier ses dépenses et de donner du travail à sa femme et à ses amis. Il faut toutefois comprendre que le prestige de la Maîtrise est circonscrit à certains milieux.

M. Thibaut Derathé. Je me souviens également que nous avons chanté La Marseillaise lors d’un meeting de campagne de Nicolas Sarkozy.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Derathé, vous avez indiqué que cet épisode vous a fait arrêter la musique à l’âge de treize ans. Votre présence au sein de cette Maîtrise étant manifestement liée à votre passion pour la musique, cette expérience a-t-elle gâché un potentiel talent ? Avez-vous complètement abandonné la pratique à la suite de cet épisode ? Connaissez-vous d’autres camarades qui ont également arrêté la musique après leur passage dans la Maîtrise ?

M. Thibaut Derathé. J’ai effectivement pris la décision de ne plus jamais jouer de musique. J’ai heureusement, quelques années plus tard, découvert le rap grâce à des amis. Ce style musical étant suffisamment éloigné de mon expérience en musique classique pour qu’aucune corrélation ne se fasse dans mon esprit, j’ai pu redécouvrir ma passion pour la musique à travers le hip-hop. Je pense cependant être une exception car la majorité des anciens maîtrisiens avec qui j’ai gardé contact ont complètement abandonné toute pratique musicale. Je trouve ce constat affligeant car la musique est un art sublime. La Maîtrise des Hauts-de-Seine, qui pourrait être une opportunité incroyable, est malheureusement génératrice de traumatismes et aucun enfant ne devrait avoir à vivre une telle expérience.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Au terme des auditions, nous rédigerons un rapport qui sera rendu au début du mois d’avril. Je vous invite dans l’attente à nous transmettre par écrit tout autre élément que vous souhaiteriez apporter. Toute personne qui assiste à ces auditions peut également nous transmettre les informations qu’elle jugerait pertinentes. Ce sont en effet les nombreux témoignages et les révélations accablantes de la presse qui nous ont conduits à demander l’ouverture de cette commission d’enquête.

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La commission auditionne ensuite M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, Mme Céline Gateau-Leblanc, directrice générale adjointe du pôle évaluation, accompagnement et audit, et Mme Élise de Blanzy-Longuet, directrice de la Culture du département des Hauts-de-Seine.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Nous avons souhaité vous entendre aujourd’hui pour évoquer la Maîtrise des Hauts-de-Seine, financée par le département des Hauts-de-Seine. Cette commission, qui s’intéresse aux violences sexistes et sexuelles commises dans le monde du spectacle vivant notamment, a pour objectif d’éclairer les mécanismes qui ont conduit aux nombreux témoignages recueillis afin de trouver des solutions pour changer ces pratiques.

Je rappelle que l’’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Georges Siffredi, Mme Céline Gateau-Leblanc et Mme Élise de Blanzy-Longuet prêtent successivement serment.)

M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine. La Maîtrise des Hauts-de-Seine, créée en 1985, est connue et reconnue au sein de notre département, voire au-delà, grâce au travail qui y est fait. De nombreux jeunes y ont été accueillis au cours des quarante dernières années, de même que plusieurs enseignants et directeurs. Le département finance cette association indépendante dans le cadre de sa politique culturelle, ainsi qu’il le fait pour d’autres associations, théâtres ou conservatoires. Président du conseil départemental depuis 2021, je n’avais, jusqu’aux récentes révélations, jamais été alerté sur des faits problématiques. À la fin du mois de juin dernier, il nous a été signifié par une plaignante que des plaintes avaient été déposées en février. La plaignante souhaitait que nous en soyons prévenus avant que les informations ne paraissent dans la presse, afin de ne pas porter atteinte au département comme à la Maîtrise. C’est ainsi que nous avons appris l’existence de problèmes potentiels entre le directeur et plusieurs personnes et que nous avons, à la suite de ces révélations, mis en place différentes mesures.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Notre commission d’enquête, constituée à la suite des révélations dans la presse, couvre l’ensemble du monde culturel. Nous avons, depuis sa création, reçu de nombreux témoignages concernant la Maîtrise, y compris après l’audition du président de l’association et de Mme Lépinay. Bien qu’indépendante, la Maîtrise est largement subventionnée par votre département.

Vous indiquez avoir été averti par une plaignante en juin 2024. Avez-vous immédiatement demandé à M. Haas de lancer une procédure ou une commission d’enquête ? Je précise que M. Haas a déclaré sous serment avoir été informé des faits par les révélations de la presse en juillet.

M. Georges Siffredi. Nous avons reçu un appel téléphonique le 13 juin provenant d’une personne que je ne nommerai pas mais dont les initiales sont L.B. Elle a contacté mon directeur de cabinet, en lui laissant un message demandant à être rappelée. Après une nouvelle demande formulée par SMS le 17 juin, elle a pu parler avec mon directeur de cabinet et lui a indiqué avoir déposé plainte plusieurs mois auparavant et souhaiter nous en informer avant que cela ne paraisse dans la presse.

Mon directeur de cabinet l’a reçue le 21 juin. À la suite de ces échanges, dont il m’a informé et malgré la nécessité de tenir compte de la présomption d’innocence dans ces situations complexes, j’ai saisi par courrier le président de l’association le 2 juillet en lui demandant de prendre toute mesure utile, compte-tenu notamment de la tournée qui devait avoir lieu. Suite à cela, le président nous a indiqué, enfin… Non seulement j’ai saisi le président, mais j’ai également sollicité l’expertise de nos services juridiques pour voir ce qui pouvait être fait en dépit de l’indépendance de l’association. Il m’a été dit qu’ils avaient pris contact avec un avocat et que je pouvais pour ma part effectuer un signalement au procureur de la République, ce que j’ai fait le 4 juillet. Pour éviter de rester dans le flou trop longtemps, je lui ai demandé de traiter ces plaintes aussi vite que possible. Dans la perspective des recommandations qu’effectuera votre commission d’enquête, je tiens à mettre en lumière la problématique des délais de justice, peu compatibles avec l’urgence dans laquelle les décisions doivent parfois être prises.

Le président de l’association nous a par la suite informés des mesures prises. Il nous a indiqué qu’il s’était rendu en Grèce où se produisait la Maîtrise, avait demandé au directeur de rentrer et l’avait mis en retrait de ses fonctions. Avec le médecin présent sur place, il a également veillé au bien-être des personnes présentes. Il a également décidé, par la suite d’engager un audit dont les résultats nous sont parvenus hier. Des numéros d’écoute téléphonique pour les enfants – le 119 – et les adultes – celui de la cellule Audiens –, ont également été mis en place.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Pouvez-vous préciser les mesures prises à l’égard du directeur ? S’agit-il d’une mise à pied ? Que signifie le retrait que vous avez mentionné du point de vue du code du travail ?

M. Georges Siffredi. Je n’ai personnellement pris aucune mesure. Le président de l’association nous a indiqué qu’il avait procédé à une mise en retrait du directeur. Que signifie-t-il par ces termes ? Selon moi, une mise en retrait implique que la personne ne se rende plus sur son lieu de travail.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous sommes face à une situation singulière. Il s’agit d’une association, dont l’employeur est donc le président. Cette structure est cependant largement subventionnée par le conseil départemental depuis 1985, ce qui vous confère quelque part un rôle de tutelle, bien que votre responsabilité ne soit pas directe. Avec 1,7 million d’euros de subventions annuelles, vous détenez malgré tout un certain pouvoir car, sans ces subventions, l’association cesserait d’exister. Vous pouvez donc avoir certaines exigences à son égard.

Quant à l’enquête réalisée, elle nous semble extrêmement faible et inadaptée à la gravité des faits révélés dans la presse, notamment les plaintes pour agression sexuelle. L’audit que nous avons reçu se limite à une enquête de satisfaction sur la Maîtrise, sans aborder les violences morales, sexistes ou sexuelles. Avez-vous été associés au choix du cabinet d’audit ? Les services du conseil départemental ont-ils pu donner leur avis sur cet audit ?

Je note que vous avez reçu hier les résultats de cet audit alors que nous, commission d’enquête, ne les avons toujours pas obtenus malgré notre demande auprès de l’association. Estimez-vous que la direction ait pris des mesures suffisantes ?

Il nous a par ailleurs été rapporté que M. Darchen est toujours présent dans les locaux de la Seine Musicale, qui appartiennent au conseil départemental. Estimez-vous que cette situation soit normale ? La mise à distance vous semble-t-elle suffisante ?

M. Georges Siffredi. Le fait que nous subventionnions largement cette association, tout comme d’autres, ne nous confère pas un pouvoir de tutelle. Nos subventions visent à soutenir des initiatives culturelles et nous effectuons des contrôles. J’en ai d’ailleurs demandé un fin 2021 pour la Maîtrise, dont nous avons reçu les résultats fin 2022. Lors de ce contrôle, des contacts ont été établis avec des maîtrisiens et des enseignants sans qu’aucun problème entrant dans le champ de votre enquête ne soit signalé.

Concernant les faits évoqués, nous n’avons été saisis qu’en juin bien que la plainte ait été déposée en février. Ni le département ni le président de l’association n’ont été, encore à ce jour, informés par la justice. Or, il est difficile de prendre des mesures sans être avisé. Nous devrions mettre en place un processus permettant d’être informés rapidement pour prendre des mesures adéquates, telles que la mise en retrait, tout en respectant la présomption d’innocence et le code du travail. Il me semble à ce titre qu’une personne mise en cause ne peut pas être renvoyée, compte-tenu de la présomption d’innocence.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le code du travail impose clairement des obligations de mise en sécurité du salarié. Bien que vous n’ayez pas de pouvoir de décision directe dans cette association, vous avez été informés le 21 juin et avez immédiatement réagi par courrier. M. Haas a alors mis en retrait le directeur, retrait qui semble tout à fait relatif puisque M. Darchen est toujours présent dans les locaux.

Par ailleurs, la convention qui vous lie n’inclut aucune obligation spécifique relative à la pédagogie ou au respect de certaines règles concernant les violences morales, sexistes ou sexuelles. C’est un sujet sur lequel nous serons probablement amenés à effectuer des propositions.

L’article 10 de la convention vous octroie en revanche un moyen d’action important, celui de résilier de plein droit la convention en cas de faute grave de l’association, d’utilisation non-conforme de la subvention, de non-respect par l’association de ses engagements contractuels ou pour tout motif d’intérêt général. Or, ce dernier motif me semble pouvoir être invoqué ici. Avez-vous envisagé de revoir complètement la gouvernance de cette association pour repartir sur de nouvelles bases et faire rebondir cette prestigieuse institution qu’est la Maîtrise des Hauts-de-Seine ?

M. Georges Siffredi. La Maîtrise existe depuis quarante ans et est reconnue, par les institutions comme par des acteurs tels que Radio France, pour sa qualité. Je ne comprends donc pas pourquoi nous devrions mettre fin à la convention, et donc à l’association, au prétexte qu’une seule personne est mise en cause. Si le cas doit évidemment être traité, il semble en revanche inconcevable d’acter la disparition d’une institution tout entière. Un nombre croissant de faits similaires se produisent au sein d’autres entités ou administrations, mais elles ne sont pas pour autant démantelées.

Concernant les conventions d’objectifs, nous avons pris en compte les sujets que vous évoquez et avons essayé de faire évoluer la situation, en créant notamment une délégation à l’égalité femmes-hommes qui a conduit à la mise en place d’un observatoire départemental des violences faites aux femmes. Celui-ci, dirigé de façon partenariale par le conseil départemental et les services de l’État, inclut l’ensemble des associations et collectivités. Nous menons également des actions de prévention dans les collèges, les structures d’aide sociale à l’enfance et auprès de nos partenaires. Toutes nos conventions, qu’elles soient nouvellement signées ou renouvelées, incluent désormais un paragraphe en préambule sur ces problématiques et exigent la signature du contrat d’engagement républicain, dont les articles 4 et 6 évoquent ces questions. Sur nos vingt-neuf équipements, vingt-deux ont déjà intégré ces éléments.

Quant à l’audit, nous n’avons pas été directement impliqués dans sa réalisation et dans le choix du prestataire. Si nous avons bien été informés de son objet et avons pu suggérer d’inclure certaines questions spécifiques sur les sujets que vous avez évoqués, nous n’avons pas eu connaissance du questionnaire détaillé. Nous attendons désormais les résultats pour en juger.

Sans vouloir prendre parti ou protéger qui que ce soit, ce cas de figure ne me paraît pas évident. Vous dites avoir reçu de nombreux témoignages récemment, mais ce n’était pas le cas initialement. 

Sur le sujet de la mise en retrait, j’aurais personnellement demandé à la personne de ne plus se rendre sur son lieu de travail. J’ignore aujourd’hui si elle est en contact avec le personnel ou les enfants. Ce n’est pas mon rôle de le vérifier. Le code de travail permet effectivement à l’employeur de prononcer une mise en retrait, mais celle-ci peut durer longtemps dans l’attente des résultats de la procédure judiciaire.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Pouvez-vous communiquer des informations sur le budget global de la Maîtrise et la contribution du département ?

M. Georges Siffredi. La contribution du département s’élève à environ 60 % du budget total.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Compte tenu de l’importante implication financière du département dans la Maîtrise, ne considérez-vous pas qu’il relève de sa responsabilité d’exiger de façon plus stricte une réelle mise en retrait, au regard de la multiplication des témoignages et de la gravité des faits rapportés ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. La Maîtrise des Hauts-de-Seine est intimement liée au département, comme son nom l’indique. En tant que président, ne pensez-vous pas qu’il existe un risque d’altération de la réputation du conseil départemental ? Estimez-vous que les mesures prises soient suffisantes ? Envisagez-vous d’exiger qu’il en soit prises de plus importantes ? En tant que principal financeur et bien que vous ne soyez pas une tutelle directe, vous pouvez avoir recours au levier conventionnel. Les chiffres dont nous disposons font état d’une subvention conséquente d’un montant de 1 645 000 euros pour un budget prévisionnel total de 2 810 000 euros. Le fait que l’existence même de cette association dépende largement de votre soutien devrait impliquer certaines exigences.

M. Georges Siffredi. Bien que nous ayons effectivement des exigences, l’association reste indépendante. Dès que nous avons été informés, j’ai sollicité du président la mise en place de mesures qui ont été concrétisées par la mise en retrait, un audit et la mise en place des numéros de téléphone. Il ne m’appartient toutefois pas d’aller personnellement vérifier les modalités de la mise en retrait. L’efficacité de ces mesures sera évaluée avec le temps. Je ne crois pas qu’il y ait eu, à la rentrée, beaucoup de renoncements en matière d’inscriptions. Si les mesures avaient été trop faibles, peut-être que beaucoup de parents n’auraient pas réinscrit leurs enfants. Le travail ayant continué malgré la mise en retrait du directeur, je ne pense pas que nous devrions mettre fin à une institution.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Le sens de notre propos n’est pas de vous inciter à mettre fin à l’activité de l’association.

M. Georges Siffredi. Sans les financements du département, l’association n’existe plus.

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. Compte tenu de la place du département des Hauts-de-Seine au sein de l’association, estimez-vous que les mesures prises soient suffisantes ?

M. Georges Siffredi. Je n’ai pas personnellement pris de mesures, j’ai demandé au président d’en prendre.  

Mme Céline Thiébault-Martinez, présidente. La Maîtrise, dont vous êtes le principal financeur et que vous hébergez, ne pourrait pas exister sans vous. Vous mentionnez une mise en retrait qui n’en est pas vraiment une et avez formulé des recommandations face à un audit qui semblait initialement insatisfaisant. Malgré cela, votre approche semble peu directive et vous semblez attendre que la situation se résolve d’elle-même. Comment justifiez-vous que votre confiance en l’association se maintienne malgré les problèmes actuels ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. En plus de la plaignante qui vous a décrit son agression sexuelle, cinq autres plaintes pour le même motif et vingt-sept témoignages ont été reçus, ce qui est considérable. Avez-vous pu écouter le témoignage de l’ancien élève de la Maîtrise que nous venons d’entendre lors de l’audition précédente ? Ses déclarations sont glaçantes et corroborent les révélations de la presse. Aussi, face à ces révélations, envisagez-vous de prendre des mesures fortes concernant la gouvernance de cette institution qui fait la fierté de votre département ?

M. Georges Siffredi. Je rappelle à nouveau qu’il incombe au président de l’association de prendre des décisions concernant son personnel. Les mesures prises ne me semblent effectivement pas suffisantes si la personne mise en cause est toujours sur place. Nous devons cependant garder à l’esprit la présomption d’innocence en vertu de laquelle, sans condamnation, un licenciement ne se justifie pas légalement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce sont deux aspects distincts : un employeur peut heureusement licencier une personne avant la fin d’un procès pénal.

Le poste occupé par Mme Lépinay doit également être précisé. Est-elle directrice adjointe ou directrice financière ? Cette clarification est importante car, en tant que directrice adjointe et compagne de M. Darchen, son maintien en poste peut également poser question.

Avez-vous écouté l’audition précédente ? Les faits qui y ont été révélés relèvent des services sociaux, une autre compétence du département. Dans la mesure où nous parlons de maltraitance, le président du département doit être alerté sur la gravité des événements et se pencher sur le fonctionnement de cette structure.

Je note en outre que vous avez effectué un signalement auprès du procureur, ce que j’ignorais jusqu’à présent.

M. Georges Siffredi. J’ai saisi le procureur, lui demandant d’examiner l’affaire rapidement malgré les contraintes liées au temps judiciaire.

Je laisse en revanche ma collaboratrice vous répondre précisément sur le rôle exact de l’épouse de M. Darchen.

Mme Céline Gateau-Leblanc, directrice générale adjointe du conseil des Hauts-de-Seine. Mme Lépinay occupe le poste de directrice adjointe. À ce titre, elle est chargée des fonctions administratives et financières.

Mme Élise de Blanzy-Longuet, directrice de la culture du département des Hauts-de-Seine. Elle se présente comme directrice adjointe, et règle en effet ces questions.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous rencontrons donc une difficulté supplémentaire puisqu’au cours des séances précédentes, elle-même et M. Haas nous ont indiqué qu’elle n’était pas directrice adjointe. Cette précision est importante car si elle occupe effectivement ce poste, elle dispose d’une délégation de pouvoir et devrait donc être également mise en retrait.

Mme Élise de Blanzy-Longuet. Mme Lépinay est notre interlocutrice pour les questions administratives et financières mais je dois admettre que nous n’avons jamais prêté une attention particulière à son titre exact.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’un d’entre vous a-t-il assisté à la réunion de restitution aux parents de la semaine dernière ?

M. Georges Siffredi. Non.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a semble-t-il été affirmé que Mme Lépinay n’était pas directrice adjointe. Cette situation doit impérativement être clarifiée.

Durant de cette réunion, l’équipe dirigeante de l’association aurait en outre fait preuve d’une certaine désinvolture face aux inquiétudes des parents, allant jusqu’à leur suggérer de se rendre au palais Bourbon pour nous interpeller directement, comme si notre commission d’enquête les importunait. M. Siffredi, en tant qu’ancien parlementaire, quel est votre avis sur cette attitude ?

Je souhaite également connaître votre position sur le courrier du 11 juillet 2024 adressé par M. Haas aux parents d’élève, qui ne mentionne aucunement les plaignantes mais insiste en revanche avec force sur la présomption d’innocence et le respect des droits de M. Darchen. Le département a-t-il mis en place des mesures pour entendre les plaignants, comme une cellule d’écoute ou un numéro de téléphone dédié ?

Comment expliquez-vous, enfin, que l’effectif de la Maîtrise soit passé de 600 à 380 élèves ?

M. Georges Siffredi. Sur le sujet de la compassion et de l’écoute, je rappelle la promptitude avec laquelle nous avons agi, puisque la plaignante a été reçue dans les quatre jours par mon directeur de cabinet. Par la suite, nous avons reçu deux groupes de parents, l’un demandant davantage de transparence et un renforcement des mesures et l’autre niant l’existence de tout dysfonctionnement. Toutes les personnes qui en ont fait la demande ont été reçues.

Concernant le directeur, je rappelle une fois encore qu’il revient au président de l’association de prendre les mesures nécessaires. Ce dernier étant élu par le conseil d’administration, la décision de le nommer ou de le démettre ne m’appartient pas. En fonction des résultats de l’audit, il pourrait cependant être amené à se maintenir ou à prendre de lui-même la décision de démissionner.

J’ai par ailleurs constaté l’absence de parents au sein du conseil d’administration, ce qui peut poser un problème de transparence. L’argument avancé est celui de l’absence d’association de parents et, s’il ne m’appartient pas de l’exiger, il me semble toutefois que leur présence pourrait permettre de prévenir certains problèmes dans l’avenir.

J’étais en voiture lors de l’audition précédente et n’ai donc pas pu l’écouter. Il apparaît néanmoins que les témoignages ne se limitent plus aux cinq plaignants initiaux. Des reproches sont formulés. Dans ce genre de cas, les témoignages peuvent advenir tardivement. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas en prendre connaissance et prendre les mesures qui s’imposent. Sans vouloir prendre parti ou défendre le président et le directeur, je n’ai pas les vingt-cinq témoignages que vous évoquez. Je n’ai que ceux de la plaignante et des parents que nous avons été reçus. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes ; mais de quel ordre exactement ? Il ne m’appartient pas de me substituer aux services de police ou aux magistrats.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Bien qu’il ne vous appartienne pas de mener l’enquête ou de vous substituer à la justice, vous êtes président du conseil départemental et principal financeur d’une institution aujourd’hui mise en cause. Aussi, au regard des révélations de la presse et des témoignages partagés dans le cadre de cette commission d’enquête, notamment les auditions de victimes réalisées au mois de décembre et aujourd’hui, demanderez-vous à la présidence de l’association de mener une enquête sérieuse et de prendre des mesures ? Je rappelle que l’Opéra de Paris se désengage actuellement de la Maîtrise et qu’il a déjà annulé deux productions. Ils indiquent ne plus souhaiter collaborer avec elle tant que la lumière ne sera pas faite sur cette affaire. Cette situation étant également problématique pour vous, nous souhaitons savoir si vous envisagez d’actionner tous les leviers à votre disposition. En tant que président du département, vous devrez assumer l’ensemble de vos décisions, que je n’ai pas à juger, concernant cette Maîtrise qui semble dysfonctionner.

M. Georges Siffredi. Concernant l’Opéra, j’ai reçu, le 10 septembre 2024, un courrier de M. Alexander Neef dans lequel il soulignait « l’attachement de l’Opéra national de Paris et de ses équipes à ce partenariat ancien, à la qualité de sa contribution à notre programmation artistique comme à la perspective d’épanouissement et de formation qu’il représente pour les enfants invités à se produire sur nos scènes. Si nous avons été amenés à suspendre temporairement ce partenariat au début de l’été au vu des interrogations portées par certains parents d’élèves et par d’anciens membres de la Maîtrise, j’espère qu’il pourrait reprendre son cours prochainement pour la production de La petite renarde rusée, dès lors que les résultats des démarches évoquées seront connus ». L’Opéra indique donc soumettre sa décision et la prise d’éventuelles autres mesures aux résultats de l’audit, dont les conclusions viennent tout juste d’être publiées.

En tant que président du département, j’assume effectivement mes responsabilités. J’estime que la mise en retrait du directeur est aujourd’hui insuffisante et doit être véritablement appliquée. Si je ne peux vérifier quotidiennement son effectivité, j’insisterai en revanche auprès du président de l’association pour qu’il s’en assure. Je ne peux demander la démission du président, car sa présence me semble indispensable pour faire avancer la situation.

À nouveau, je ne nie aucunement que des événements aient eu lieu. Nous avons reçu et écouté tout le monde pour prendre en compte les informations reçues et je tiens à exprimer ma compassion face aux faits indiqués. Cependant, le licenciement du directeur est une décision délicate car, que se passera-t-il dans le cas où le processus n’aboutit pas à une condamnation ? Devrions-nous prendre le risque de licencier une personne pour des motifs finalement inexistants ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Des procédures existent pour ce type de cas. Je rappelle simplement que sommes confrontés à une situation extrêmement préoccupante qui implique des enfants. L’exemple d’un chef de chœur qui s’introduit dans les toilettes de la chambre d’hôtel d’un enfant lors d’une tournée est absolument anormal. En tant que parlementaire et rapporteur de cette commission d’enquête mais également en tant que parent, je vous invite vivement à faire toute la lumière sur ces faits, d’autant plus que ceux-ci concernent également les services départementaux de l’enfance.

M. Georges Siffredi. Aucun enfant n’a déposé plainte.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En effet, mais nous avons connaissance de plaintes de jeunes majeurs et de plusieurs témoignages troublants. Peut-être choisissez-vous de fermer délibérément les yeux sur la gravité de la situation.

M. Georges Siffredi. Je ne vous reconnais pas la légitimité pour émettre de tels jugements.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne porte pas de jugement, je fais des constats ! J’espérais que cette audition vous permettrait de prendre conscience de la réalité des faits et d’agir en conséquence vis-à-vis de cette association dans la mesure où la convention vous en confère le pouvoir.

Je constate simplement que nous sommes face à des faits graves, concordants et nombreux, décrivant un système de maltraitance sur des enfants et que l’Opéra de Paris, une institution internationale majeure, a déclaré ici-même sous serment qu’il allait interrompre votre collaboration.

Après plusieurs heures d’audition qui nous ont permis de prendre connaissance de faits graves, je m’étonne qu’un conseil départemental ne prenne pas en compte cette réalité et ne souhaite pas agir. Si j’entends que les décisions ne peuvent pas toujours être immédiatement prises, j’espère que vous prendrez, à l’avenir, des mesures appropriées. Cette situation anormale ne relève pas d’un jugement de valeur mais d’un constat, bien que la parole des plaignants puisse toujours être remise en question.

M. Georges Siffredi. Je ne me permettrai en aucun cas de remettre en question la parole des victimes. Notre département s’investit beaucoup dans l’aide sociale à l’enfance, un sujet auquel j’attache une grande importance.

Je ne sais pas comment lever l’incompréhension entre nous. Vous considérez que nous ne prenons pas suffisamment de mesures contraignantes. Une fois encore, je rappelle que le président de l’association m’a informé qu’il avait mis le directeur en retrait. Ayant appris aujourd’hui que celui-ci n’est que partiel et considérant qu’il doit être total, je prévois d’intervenir immédiatement en ce sens.

J’ajoute que modifier ou baisser la subvention ne résoudra pas les problèmes liés au directeur ou à ses agissements.

J’espère que le président et le conseil d’administration tireront les conséquences de l’audit pour mettre en place de nouvelles procédures et éviter que de tels incidents ne se reproduisent. N’ayant pas encore pu prendre connaissance des conclusions, je ne saurais être en mesure de vous indiquer dès aujourd’hui quelles mesures seront prises. Si ces dernières ne sont pas à la hauteur de la problématique, j’en tirerai les conséquences et demanderai au président de démissionner de ses fonctions. Si elles peuvent vous sembler insuffisantes au regard des faits qui vous ont été exposés lors des auditions, il est faux d’affirmer qu’aucune mesure n’a été prise. C’est au regard des conclusions de l’audit, dont nous devions attendre la réalisation, que nous pouvons désormais décider si d’autres doivent être prises.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les services du département ont-ils pris connaissance des questionnaires de l’audit ? Le jugent-ils suffisant ? Il semble en effet que cet audit de fonctionnement s’apparente davantage à une enquête de satisfaction car il n’aborde pas les questions de violences morales, de souffrances des enfants ou de violences sexistes et sexuelles. Le conseil départemental a-t-il eu connaissance de ces lacunes ? N’avez-vous pas envisagé d’inviter l’association à approfondir son enquête ? En tant que principal financeur, le département est en droit d’exiger des mesures fortes, sous peine de reconsidérer son subventionnement. Cette pratique est courante au sein des collectivités locales face à des associations rencontrant des problèmes de gouvernance ou de non-respect des objectifs fixés.

La question centrale est donc la suivante : réalisez-vous l’ampleur du préjudice causé aux enfants dans ce lieu autrefois prestigieux ?

Notre rôle étant de contrôler les politiques publiques sans porter de jugement de valeur, nous cherchons simplement à comprendre la situation et les actions envisagées.

M. Georges Siffredi. Le 1er octobre dernier, le directeur général adjoint du pôle dont dépend la culture et Mme de Blanzy ici présente a envoyé un mail au président de l’association. Il lui a fait part de l’insuffisance de la structure du questionnaire proposé – nous n’avons pas eu le questionnaire lui-même, uniquement sa structuration – pour la détection des risques de harcèlement et de violences sexuelles et sexistes, demandant que cette observation soit prise en compte. Dans la mesure où nous avons reçu le retour hier, je n’ai pas encore eu le temps de vérifier si nos demandes avaient été prises en compte. Il serait regrettable de constater qu’elles ne l’ont pas été, mais l’important reste de savoir quelles mesures le président compte prendre pour donner suite aux réponses.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ne trouvez-vous pas un peu léger que l’association vous ait transmis hier seulement les conclusions de l’audit alors que le président nous indiquait déjà, en décembre dernier, disposer de conclusions partielles, et qu’une restitution aux parents a déjà eu lieu ? J’avais d’ailleurs sollicité ces dernières mais il semble que la subvention que vous leur accordez ait plus d’importance que la représentation nationale et le rôle d’une commission d’enquête, puisque vous les avez reçues avant nous. En tant qu’élu, ce simple fait ne vous alerte-t-il pas ?

M. Georges Siffredi. Cela peut effectivement m’agacer, mais mon agacement importe moins que les mesures qui seront actées pour donner suite à cet audit. Si les décisions prises ne sont pas à la hauteur, nous en tirerons les conclusions qui s’imposent.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je peux déjà vous indiquer que, lorsque les parents présents à la réunion de restitution ont demandé si cet audit serait complété, il leur a été indiqué qu’aucune autre enquête ne serait conduite sur la question des violences et harcèlements sexistes et sexuels.

M. Georges Siffredi. Si aucune étude approfondie n’est menée, chacun devra prendre ses responsabilités. Il pourrait être nécessaire de demander au président de se démettre de ses fonctions pour trouver une personne avec qui nous pourrons améliorer la situation. Si cela n’est pas fait, je pourrai être contraint de prendre des mesures plus drastiques telles que la coupure des financements. Cependant, nous n’en sommes pas encore là. Je rappelle que le président de l’association est un bénévole qui essaie certainement d’agir au mieux. Tout comme moi, cette situation a dû le surprendre ; je ne condamne pas les gens a priori. Il est bénévole et de bonne volonté, mais il doit prendre la mesure des faits. Si cela n’est pas fait, nous devrons en tirer toutes les conséquences.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En conclusion, la Seine Musicale est un outil extraordinaire dont dispose le conseil départemental. Votre département a la capacité de bien financer et de mettre en œuvre une politique forte sur un outil qui peut être extrêmement intéressant pour les enfants et les familles. J’espère que la lumière sera faite, que des mesures seront prises et que vous pourrez faire rebondir la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Cette structure permet à des enfants de s’épanouir et de mettre en place des pratiques pédagogiques adaptées et nouvelles. Si notre commission a pu y contribuer, nous aurons fait œuvre utile.

M. Georges Siffredi. Concernant la Seine Musicale, j’espère que ces événements ne nuiront pas à l’image globale. Plusieurs autres acteurs culturels, dont le travail est formidable, sont subventionnés par les pouvoirs publics. La Seine Musicale est un superbe instrument et j’espère que nous pourrons continuer à en profiter. De façon plus globale, notre objectif est de développer une ouverte au plus grand nombre, loin d’une culture élitiste. L’un peut aller avec l’autre et nous nous y employons.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous invite à nous transmettre les éléments et courriers mentionnés au cours de cette audition.

 

La séance s’achève à douze heures vingt-cinq.

 

 


Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Erwan Balanant