Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des agences de mannequins :

- M. Matteo Puglisi de Select Model Management Paris

- M. Thierry Bonneau, vice-président business operations de IMG Models

- M. Éric Dubois et Mme Ana Frazao de Silent Models Paris

- M. Gilles Proust, président de The Claw (Models).............2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Besnehard, producteur, acteur et ancien agent artistique et directeur de casting 17

– Présences en réunion....................................32

 


Jeudi
13 mars 2025

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 44

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, présidente de la commission


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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission auditionne des agences de mannequins : M. Matteo Puglisi de Select Model Management Paris, M. Thierry Bonneau, vice-président business operations de IMG Models, M. Éric Dubois et Mme Ana Frazao de Silent Models Paris, et M. Guillaume Proust, président de The Claw (Models).

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons souhaité entendre les représentants de plusieurs agences de mannequins, car il a été fait état devant notre commission d’enquête de pratiques problématiques au sein du secteur de la mode, notamment en matière de respect du droit du travail.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Matteo Puglisi, M. Thierry Bonneau, M. Éric Dubois, Mme Ana Frazao et M. Guillaume Proust prêtent successivement serment.)

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les acteurs de la mode que nous avons auditionnés dans le cadre de notre première commission d’enquête ont brossé le tableau d’un monde qui avait beaucoup changé, en adoptant de bonnes pratiques et en régulant certains modes de fonctionnement. Cependant, le témoignage de représentants syndicaux que nous avons entendus ultérieurement laisse à penser que certaines pratiques demeurent, qui peuvent s’apparenter notamment à des violences économiques, lesquelles intéressent également notre commission.

À ce propos, j’ai regardé récemment un documentaire intitulé Mannequin : disponible sur la plateforme France.tv Slash, qui suit Lydia, un jeune mannequin, pendant la Fashion Week prêt-à-porter automne-hiver 2025-2026. J’ai été interloqué par ses conditions de travail, la manière dont elle doit passer d’un casting à un autre, dont elle est traitée, et même par certains propos choquants que tient son agent.

On nous a par ailleurs indiqué qu’une pratique d’un autre temps avait toujours cours dans le milieu de la mode. Je veux parler des retenues sur salaire, supérieures aux 10 % légaux, correspondant à des frais d’hébergement. Ainsi, certains mannequins ne sont pas payés, ou presque pas, tant que ces frais ne sont pas « remboursés ». Reconnaissez-vous l’existence de telles pratiques et jugez-vous possible de faire fonctionner l’économie du monde de la mode, qui a ses exigences propres, dans le respect des travailleurs et des travailleuses ?

M. Thierry Bonneau, vice-président business operations d’IMG Models. Dans notre métier, trois catégories de frais sont avancées par l’agence.

La première, que j’appellerai frais professionnels, correspond aux frais liés à une prestation du mannequin – billets d’avion, hôtel, transport – que nous avançons puis que nous refacturons à notre client.

La deuxième catégorie comprend les frais liés à la promotion et au développement de la carrière du mannequin, qui, dans notre profession, sont déductibles de la rémunération à hauteur, non pas de 10 %, mais de 20 %. Ils correspondent notamment à la confection du press-book que le mannequin devait présenter lorsqu’il participait à un casting et qui existe désormais sous forme numérique. Dans notre agence, ces frais sont minimes, car nous utilisons, dans le cadre de la promotion pour les défilés, ce que l’on appelle une « show doc », que l’on facture au mannequin mais dont le montant est très faible.

La troisième catégorie regroupe les frais que nous avançons pour que le mannequin puisse venir à Paris, non pas pour une prestation précise, mais pour la Fashion Week. Rien n’étant, hélas, confirmé à l’avance, le mannequin doit rencontrer les clients, participer à des castings, essayer les vêtements, dans le but de participer à un défilé. Nous avançons donc à une grande majorité de celles qui se trouvent dans cette situation le prix de leurs billets d’avion, de leur chambre d’hôtel, éventuellement du passe Navigo, à quoi peuvent s’ajouter des avances pour qu’elles puissent vivre sur place. Au terme de la saison, nous calculons ce que nous devons payer aux mannequins au titre de leur rémunération – comme elles sont salariées, ce qui est une spécificité française, elles sont payées le 7 du mois suivant –, dont nous déduisons les frais personnels et les frais professionnels, dans la limite de 20 %. Notre objectif est que les mannequins ne soient jamais endettés.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En regardant le documentaire que j’ai cité, j’ai été étonné par l’important hiatus qui existe entre, d’une part, la beauté et l’organisation quasi militaire des défilés et, d’autre part, la vie quotidienne du mannequin. Dans ce documentaire, par exemple, j’ai été choqué de voir, lors de castings, des jeunes femmes attendre, en plein hiver, dehors sous la pluie. Je m’étonne que, dans un secteur qui brasse autant d’argent, les choses ne soient pas un peu mieux organisées : les mannequins devraient au moins pouvoir attendre au chaud, dans une pièce où on leur proposerait du café. Il n’y a aucune considération pour la personne qui attend, qui n’est pas certaine d’être choisie et qui, de ce fait, va peut-être s’endetter.

J’ajoute qu’au début de ce documentaire, un agent explique : « On leur dit comment s’habiller, comment marcher, comment agir, comment dire bonjour, comment avoir confiance en soi. » Et il ajoute : « Nous voulons donner quelque chose qui soit un bon produit mais un produit humain. Nous le proposons aux directeurs de casting et, ensuite, ils choisissent ou ne choisissent pas. » Il est question de jeunes femmes et de jeunes hommes qui travaillent ! Comment peut-on encore tenir de tels propos ?

M. Matteo Puglisi, Select Model Management Paris. Mon frère aîné, qui est ingénieur dans l’aérospatiale, croyait que, lors de la Fashion Week, je regardais les défilés. Or je n’ai pas le temps : je suis dans mon bureau, où j’organise le casting, les essayages… Il ne comprenait pas pourquoi les clients, qui connaissent la date de leur défilé, ne choisissent pas leurs mannequins à l’avance. Je lui ai expliqué que deux semaines avant le défilé, la collection qu’ils vont présenter est encore à l’état embryonnaire. À ce stade du processus, un ou deux mannequins essaient les différentes pièces. Quant à ceux qui vont défiler, ils sont parfois confirmés la veille de l’événement, très tard le soir.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Dans le documentaire, on voit la jeune femme se réveiller pour être présente à six heures sur le site du défilé, qui doit se tenir dans la matinée. On lui a confirmé sa présence la veille à vingt-trois heures… Je sais que les pièces de la collection sont fabriquées au dernier moment, mais elles sont conçues pour être portées par des femmes qui ont toutes plus ou moins les mêmes mensurations. Pourquoi n’est-il pas possible de s’organiser autrement ?

M. Matteo Puglisi. Ce ne sont pas les agences qui organisent les défilés. Notre rôle est de faire au mieux pour accueillir dignement les mannequins, pour qu’elles soient à l’aise et pour les aider à tout moment, qu’elles participent à la Fashion Week ou à des tests photos.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ma seconde question portait sur les conditions de travail des mannequins. Comment peut-on débourser plusieurs millions d’euros pour louer le Carrousel du Louvre et ne pas prévoir une salle chauffée pour accueillir les mannequins qui participent à des castings ? Vous me direz que ce ne sont pas les agences qui les organisent, mais les agents ne devraient-ils pas accompagner également les mannequins dans ces moments-là ? Je vous avoue avoir été choqué par ce documentaire.

M. Matteo Puglisi. Les grandes maisons qui disposent de moyens suffisamment importants pour louer le Louvre organisent leurs castings d’une manière beaucoup plus ordonnée que celle que vous décrivez. Chaque mannequin dispose d’un créneau de vingt minutes, fixé à une heure précise. Elles attendent dans une pièce, où on leur offre de l’eau, un café… Elles n’attendent jamais dans la rue. Le casting que vous décrivez – je n’ai pas vu le documentaire – ressemble à ceux qui sont organisés par de plus petites marques qui, n’ayant pas de budget, ne peuvent pas offrir les mêmes conditions. Les agences de haut niveau qui sont ici présentes s’efforcent de sélectionner leurs clients. Mais les agences plus petites, qui n’ont pas accès aux meilleurs clients, travaillent un peu avec tout le monde, dans des conditions qui ne sont pas optimales.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous mettez donc du café à disposition de tous vos mannequins ?

M. Matteo Puglisi. Bien sûr ! À l’agence, elles ont des fruits…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais lors des défilés ?

M. Matteo Puglisi. Normalement, lors des défilés organisés par les grandes maisons, les mannequins sont très bien accueillis. Il arrive d’ailleurs qu’elles nous disent que le catering (restauration) était exceptionnel.

M. Thierry Bonneau. Au sein d’une agence, les managers ont pour tâche de placer les mannequins qu’ils représentent auprès de clients, notamment pour les défilés. Ils les envoient donc participer à des castings, dont les directeurs effectuent une présélection. Il y a beaucoup de mannequins et peu d’agents, lesquels ont déjà fort à faire pour tenter de leur obtenir le plus de défilés possible. Il est donc difficile d’accompagner chaque mannequin aux castings.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Combien de mannequins avez-vous dans votre portefeuille ?

M. Thierry Bonneau. Dans le monde, un peu plus de 1 000.

Nous demandons aux mannequins de s’assurer que le casting se passe bien. S’il faut attendre dehors, par exemple, nous appelons le directeur de casting pour lui dire que ce n’est pas acceptable. De même, si la confirmation du mannequin arrive trop tardivement, nous ne l’acceptons pas. Nous sommes tributaires des directeurs de casting et de nos clients, mais nous travaillons à l’agence ; nous ne sommes jamais présents aux castings et aux défilés, sauf si un mannequin qui a entre 16 et 18 ans doit être accompagné d’un chaperon. Quoi qu’il en soit, il ne peut pas y avoir un agent par mannequin. Pour les derniers défilés homme, par exemple, trois agents s’occupaient de quatre-vingts mannequins.

M. Guillaume Proust, président de The Claw Models. Pour compléter, on peut rappeler que les directeurs de casting sont, pour la plupart, indépendants. Très peu de maisons de mode – c’est le cas de Chanel, par exemple – emploient des directeurs de casting en interne. La plupart du temps, ce sont des prestataires externes qui organisent les castings et les événements.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’une des questions qui intéressent notre commission est celle du rapport au corps. Votre métier a été pointé du doigt parce que vous exerceriez une pression très forte sur le corps des mannequins, jusqu’à encourager une extrême maigreur, donc des comportements qui peuvent être dangereux pour la santé, bien que des progrès aient été accomplis – pour autant que je puisse en juger. Quelle est, sous cet aspect, votre attitude vis-à-vis de mannequins qui sont jeunes, se trouvent dans une situation très précaire et dépendent entièrement de vous pour travailler ?

M. Matteo Puglisi. Les clients demandent en effet des mannequins aux mensurations spécifiques pour les défilés. Mais il est possible de travailler dans tout un ensemble de domaines de la mode – catalogues, presse… – dans lesquels il n’est pas nécessaire d’avoir telles mensurations. L’aspect le plus difficile de notre métier est précisément de parler avec les mannequins à qui leur constitution physique ne permet pas de participer aux défilés pour qu’elles acceptent ce facteur et pour réélaborer avec elles un plan de carrière en les orientant vers la publicité, par exemple, sachant que si elles arrivent au top dans leur catégorie, elles pourront toujours participer aux quelques défilés ouverts à tous types de constitution.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’exercez donc pas de contraintes ? En fonction de l’évolution de la personne, vous l’orientez vers tel ou tel client.

M. Matteo Puglisi. Oui. Il est un peu faux de prétendre qu’il suffit de travailler pour modifier sa constitution naturelle. Nous avons eu des mannequins qui s’efforçaient d’être maigres ou minces. Mais si elles n’ont pas un mode de vie sain, cela se voit sur leur visage et elles ne seront pas forcément jolies. Même si elles ont les mensurations requises, elles ne décrocheront pas le job et ne pourront pas participer aux défilés.

Les mannequins minces que vous voyez défiler le sont de manière constitutive ; elles ne font pas d’efforts énormes pour cela. J’aimerais avoir leur métabolisme ! Ma mère était naturellement maigre – ce dont elle a souffert, parce que les gens se moquaient un peu d’elle lorsqu’elle était adolescente. Elle ne faisait jamais d’efforts pour cela ; au contraire, elle avait du mal à prendre un peu de poids. Ce sont les mannequins qui ont ce type de constitution qui peuvent avoir du succès sur le long terme dans les défilés. Mais, encore une fois, les autres peuvent bien travailler, et même mieux gagner leur vie que celles qui ne font que des défilés, avec le corps qu’elles ont.

M. Éric Dubois, Silent Models Paris. Je considère les mannequins comme des athlètes. Je leur demande donc d’être en bonne santé ; sinon, comme l’a dit mon collègue, elles ne pourront pas resplendir, briller. Elles doivent simplement pouvoir porter une robe de la taille – 38, je crois – qui est utilisée pour pratiquement tous les défilés. Nous sommes attentifs, car si elles allaient trop loin, elles perdraient trop de leur beauté.

Le principal atout, pour les défilés, c’est d’avoir de très longues jambes. Or ce n’est pas quelque chose qui se fabrique : c’est naturel, inné. On ne peut pas changer le corps, on peut juste le sculpter. À un de mes jeunes mannequins débutants, j’ai simplement demandé d’arrêter de manger du chocolat et des bonbons. Chez moi, on ne demande pas aux mannequins d’être maigres – c’est inimaginable ; on leur demande d’être en forme, de s’alimenter correctement.

M. Guillaume Proust. Lorsque les mannequins, femmes et hommes, rencontrent un directeur de casting, ils lui présentent ce que l’on appelle un composite, qui comporte les renseignements techniques les concernant. Le poids n’y figure pas ; on ne parle pas de poids dans le mannequinat. En revanche, ce qui intéresse les directeurs de casting et les marques, c’est la silhouette. De fait, les mannequins sont recrutés par les agences pour leur silhouette, qui correspond à la demande de leur clientèle.

Les agences qui sont représentées ici travaillent essentiellement pour le secteur du luxe, mais dans le secteur commercial, par exemple, les critères en matière de silhouette sont différents. Vous pouvez donc avoir des mannequins qui ont quelques centimètres de tour de taille de plus – je ne peux même pas vous dire quand on passe d’une catégorie à une autre. De même, les silhouettes prisées en France ou en Italie ne sont pas les mêmes que celles qui sont recherchées dans d’autres pays.

Les mannequins sont assez jeunes. Il faut lutter pour les convaincre de limiter autant que faire se peut les pizzas, les pâtes, les glucides, s’ils veulent éviter des variations trop importantes. Nous sommes là pour les accompagner au mieux dans la gestion de leur quotidien, en fonction de leur âge et de leur profil.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La maigreur, voire l’extrême maigreur semble être de retour, après une période d’atténuation de ce phénomène que l’on avait constatée jusque dans les défilés. C’est préoccupant, car les petites filles et les adolescentes peuvent prendre pour modèles ces mannequins qui n’ont pas la physionomie de la majorité des femmes. Comment expliquez-vous cette tendance ?

Proposez-vous un accompagnement médical à vos mannequins – que vous considérez comme des athlètes – au-delà des visites régulières imposées par le code du travail ? Sont-elles reçues par des nutritionnistes en cas de troubles du comportement alimentaire ? Toute personne naturellement maigre peut prendre du poids à un moment de sa vie, pour diverses raisons. Cela peut entraîner des troubles alimentaires chez les mannequins : elles disent par exemple consommer énormément de café pour ses vertus diurétiques et parce que c’est un coupe-faim. Quelles mesures de prévention adoptez-vous en la matière ?

M. Matteo Puglisi. Les marques des groupes Kering et LVMH ont établi une charte imposant aux mannequins de produire un certificat médical tous les six mois, alors que le code du travail demande une visite médicale tous les deux ans. Avec le chevauchement des défilés, les mannequins voient un médecin trois à quatre fois par an. Ce dernier peut refuser de délivrer un certificat à une jeune femme qui n’a pas bonne mine, qui a le teint gris, et peut lui prescrire des examens sanguins – c’est arrivé à l’un de nos mannequins qui a eu des contrats d’exclusivité dans le secteur de la beauté.

Les mannequins sont suivis régulièrement, y compris par des nutritionnistes. Si l’une, qui a toujours eu des mensurations parfaites, ne parvient plus à les garder mais veut continuer à obtenir certains contrats, nous l’adressons à un nutritionniste pour faire un bilan de santé.

Quand les filles mangent peu, elles peuvent aussi avoir des problèmes de cycle menstruel : c’est un signal, et nous leur conseillons de consulter un médecin.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comment le savez-vous ? Elles peuvent vous le cacher.

M. Matteo Puglisi. Oui, mais nous avons de très bonnes relations avec elles et nous parlons de ces sujets. Elles savent aussi que l’on trouve de très bons médecins à Paris : elles demandent souvent à consulter un étiopathe, un gynécologue… Nous sommes au courant de tout, car nous prenons leurs rendez-vous médicaux.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous prenez les rendez-vous médicaux de vos mannequins ?

M. Matteo Puglisi. Oui, il n’y a qu’à voir mon compte Doctolib ! C’est le cas de tous les bookers (agents). Je ne le fais pas tout le temps, parce que nous sommes plusieurs à l’agence, mais cela m’arrive fréquemment. Elles n’ont pas de compte Doctolib.

M. Thierry Bonneau. Les mannequins français ou résidents fiscaux français doivent passer des visites au centre médical de la Bourse. Nous nous chargeons de prendre les rendez-vous, si possible avant les défilés – c’est toutefois compliqué car il y a peu de places. Les autres voient leur médecin de famille dans leur pays, ou prennent exceptionnellement un rendez-vous en France.

Il est important de souligner qu’aucune agence de mannequins ne fait la promotion de la maigreur. Nous représentons des mannequins correspondant à certains critères, mais nous sommes là pour répondre à la demande des clients, notamment des designers pour les défilés. Notre société compte une division curve (courbe) pour les mannequins de forte taille. En définitive, le mannequin qui travaille est celui qui est accepté par le client.

M. Éric Dubois. Les agents s’occupent de leurs mannequins comme le feraient des tuteurs. Ils endossent cette responsabilité avec passion : ce sont « leurs » mannequins, comme un coach a « ses » sportifs. Ils les voient, leur parlent quotidiennement, déjeunent avec elles, regardent ce qu’elles mangent et comment elles se comportent ; ils les suivent tout au long des semaines. Ce n’est pas comme un médecin qui les rencontre tous les quatre ou six mois. L’agent est donc souvent le premier garde-fou. Comme l’a dit M. Bonneau, nous ne souhaitons pas la maigreur : c’est une source de problèmes, de fragilités, de maladies. Nous recherchons des gens forts, chez qui le processus sera presque naturel, non fabriqué.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pourquoi les designers sélectionnent-ils à nouveau des profils très maigres ? Je sais que la mode va et vient, mais comment expliquez-vous le retour de cette tendance, qui est flagrante ces deux dernières années ?

M. Matteo Puglisi. J’ai fait ma thèse sur le secteur des agences de mannequins à Milan. Le premier chapitre retraçait l’histoire de la représentation de mode. À l’origine, les mannequins étaient des poupées de modiste – Marie-Antoinette choisissait des vêtements présentés sur des poupées. Pour créer un vêtement, il faut partir de la plus petite taille qui sera mise en vente. En se servant de poupées, on dépensait beaucoup moins en tissu.

Dans les années 1990, les Américaines étaient les principales clientes des maisons de couture ; or elles étaient plus corpulentes que les clientes d’aujourd’hui, qui sont majoritairement asiatiques. La plus petite taille portée par les Chinoises n’était même pas commercialisée à l’époque ! Les marques ont dû s’adapter à ce nouveau marché, ce qui explique aussi que les mannequins aient désormais une moindre corpulence. Il arrive toutefois que des mannequins plus-size (grande taille) participent à un défilé, pour assurer une meilleure représentativité.

Je pense que si l’on revient à la taille 0 – la taille 36 en France –, c’est parce que le marché du luxe, qui ne se porte pas aussi bien qu’avant, essaie de diminuer le coût des défilés. Avoir cinq mannequins plus-size oblige à faire des vêtements, en partant de la taille 0, pour le seul temps du défilé. De même, les défilés ne comptent plus soixante tenues comme par le passé, mais plutôt de trente à quarante-cinq. Le coût des collections était devenu exorbitant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. À vous écouter, il s’agirait de faire des économies de tissu ! C’est surprenant quand on sait que le prix d’une robe de haute couture tient essentiellement au temps qu’y consacrent les ouvrières, qui réalisent un travail magnifique.

Si nous avons bien compris, les grandes marques françaises ont décidé de ne plus faire défiler de mannequins mineurs. Est-ce respecté ? Qu’en est-il ailleurs en Europe ou à New York ? Des mineures travaillent-elles dans la publicité ? Dans le documentaire que j’ai évoqué, un mannequin tient les propos suivants : « L’âge, c’est très important ; c’est qu’ils veulent des enfants. En fait, ils veulent le jouet le plus récent, le plus beau, pour jouer avec. » Quel protocole suivez-vous avec des mannequins mineurs qui travailleraient dans la publicité ?

M. Matteo Puglisi. Les mannequins qui défilent sont beaucoup plus âgés qu’il y a vingt ans. L’une de nos filles a 26 ans : elle vient de réaliser une très belle saison, ce qui aurait été inimaginable à l’époque. Cela concerne beaucoup de mannequins. Maintenant, il est même possible de commencer tard.

Mon agence a détenu un agrément pour employer des mannequins de moins de 16 ans, mais je n’ai pas demandé son renouvellement car je n’avais plus de demandes de clients – ce dont je me réjouis. En général, nos mannequins de 16 à 18 ans viennent tout le temps avec un parent ou un chaperon. Les marques demandent d’ailleurs la présence d’un chaperon lors des défilés. Sur nos soixante-dix filles qui ont défilé dernièrement, il n’y avait qu’une mineure, accompagnée par sa mère. Par ailleurs, nous n’avons pas proposé de contrat publicitaire à une mineure âgée de 16 à 18 ans depuis au moins deux ans.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Serait-il envisageable d’interdire l’exercice du métier de mannequin avant 18 ans ?

M. Matteo Puglisi. Déjà 90 % des clients – notamment les marques du groupe Kering – exigent des mannequins majeurs. Si un adolescent a le droit de travailler chez un boulanger ou chez McDonald’s pour se faire de l’argent de poche, je ne suis pas pour qu’on lui interdise l’activité de mannequin, s’il est bien accompagné.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous chargez-vous du repérage de futurs mannequins ou le déléguez-vous ? Pratiquez-vous des repérages sauvages dans la rue ou dans des pays étrangers, ou organisez-vous des appels à candidatures plus formalisés ?

M. Thierry Bonneau. Dans chaque pays, nous avons des personnes qui font du scouting, du repérage – ce sont des gens qui ont l’œil. Les mannequins sont souvent identifiés lorsqu’ils sont jeunes. On contacte alors les parents et un suivi est effectué. Le repérage peut se faire par des agences étrangères, ou bien lors d’événements qui attirent des jeunes, ou encore par l’intermédiaire de notre site internet, qui permet d’envoyer des photos.

Si un jeune a moins de 18 ans, il faut une autorisation parentale. On reçoit alors le mineur avec ses parents, puis on le suit, notamment pour voir son développement physique. S’il s’agit d’une jeune fille, n’est-elle pas trop grande ou trop petite ? Reste-t-elle intéressée ? Nous attendons qu’elle ait fini l’école et, si elle souhaite toujours être mannequin, nous commençons à la faire travailler à 17 ou 18 ans, dans l’espoir qu’elle en fasse son métier.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Des témoignages relatent que des jeunes filles sont repérées dès l’âge de 12 ou 14 ans dans des pays étrangers.

M. Thierry Bonneau. C’est possible, mais uniquement pour les identifier et les suivre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Que se passe-t-il quand une jeune fille ou un jeune homme est identifié dans ce cadre ?

M. Thierry Bonneau. Nous les recevons avec leurs parents, en France ou dans d’autres pays, et nous proposons une prise de vues photo, pendant les vacances. Cela permet de voir s’ils ont du potentiel et s’ils sont intéressés. Ils seront ensuite suivis pendant quelques années. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Lorsqu’ils viennent à Paris, financez-vous leur trajet et leur séjour ?

M. Thierry Bonneau. Dans certains cas, oui, mais nous ne les rencontrons pas forcément à Paris – cela se passe plutôt dans le pays où ils habitent. Nous avons beaucoup de mannequins étrangers.

M. Matteo Puglisi. Les agences mères établies à l’étranger jouent un rôle très important. Une agence mère hollandaise, par exemple, peut confier la représentation d’un mannequin à d’autres agences dans le monde – à Londres, Paris, Milan… Elle collecte une commission de 10 % sur le salaire brut du mannequin, où qu’il travaille.

Si on nous propose un mannequin de 14 ans pour le marché français, nous demandons, si nous pensons qu’il y a un potentiel, à avoir de ses nouvelles tous les six mois jusqu’à ses 16 ans. Nous pourrons alors envisager qu’elle fasse un premier voyage à Paris, avec ses parents, pour la rencontrer. Le plus souvent, nous attendons ses 18 ans pour la faire travailler, afin qu’elle ait accès aux meilleurs clients, qui veulent des mannequins majeurs.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Combien un mannequin est-il rémunéré pour un défilé de la Fashion Week, et quel pourcentage de son salaire prélevez-vous ? Combien rapportent une campagne publicitaire pour une grande marque et une couverture de magazine de mode ? Par ailleurs, le recul de la presse papier a-t-il entraîné une évolution des salaires ? Combien de femmes et d’hommes vivent décemment de leur activité de mannequin ?

M. Éric Dubois. Il existe une codification des tarifs.

Mme Ana Frazao, Silent Models Paris. Les agences fixent les prix qu’elles veulent pour les différents tarifs – A, B, C, D, (...), 7, 8, 9, 10. Pour un défilé, c’est variable : on peut facturer 2 000 ou 20 000 euros par fille selon les cas – il ne s’agit pas forcément de grandes maisons de luxe.

La convention collective demande que le mannequin perçoive, en salaire brut, 33 % du montant facturé pour la presse et 36 % pour les défilés, la publicité et les catalogues. En général, nous donnons 40 %, congés payés inclus.

M. Thierry Bonneau. Le code du travail impose que les mannequins perçoivent au moins 33 % des sommes versées s’agissant de la presse et au moins 36 % pour la publicité et les défilés, en salaire brut hors congés payés, mais chaque agence est libre de payer plus.

La rémunération peut aller de quelques centaines à quelques millions d’euros pour certains mannequins, selon leur notoriété. Il fut un temps où les défilés étaient très rémunérateurs, mais les directeurs de casting et les créateurs ont énormément baissé les tarifs. Nous sommes obligés de nous y adapter.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Existe-t-il une grille salariale ? Jusqu’où va la codification ? Quand vous dites que la rémunération peut varier de 2 000 à 20 000 euros, j’imagine que cela dépend de la notoriété du mannequin ou du couturier, mais existe-t-il un peu de transparence ? Sait-on qui gagne quoi ? On pourrait penser que des mannequins participant au même défilé gagnent à peu près le même montant ; y a-t-il néanmoins des différences importantes ? Il peut être un peu violent pour le moral, pour la santé mentale, qui fait partie de mes préoccupations, d’apprendre qu’un autre mannequin gagne dix fois plus pour le même travail.

M. Thierry Bonneau. S’agissant des minima, il existe une grille de salaires par type de prestation, qui est réévaluée à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire avec les syndicats de salariés.

Un mannequin peut être transparent, en théorie, au sujet de sa rémunération – il n’y a rien à cacher. Par ailleurs, on sait toujours à quel tarif on va travailler. On peut accepter un prix très bas pour un défilé très important pour sa carrière – chez Jean-Paul Gaultier par exemple – et privilégier la rémunération dans d’autres cas.

Un éditorial est primordial pour la carrière d’un mannequin. Afin d’obtenir une campagne de publicité – objectif ultime, qui offre une rémunération importante –, il faut obligatoirement faire des défilés et des parutions, quitte à être très peu payé.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il semble que des mannequins soient parfois rémunérés en vêtements. Le confirmez-vous ?

Avez-vous mis en place des outils de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Je pense à des dispositifs d’écoute, de signalement, de traitement…

M. Guillaume Proust. Nous avons adopté une charte de plusieurs pages, qui est mise à la disposition des mannequins dès leur arrivée. Nous passons beaucoup de temps avec eux pour leur expliquer cette charte, qui précise les contextes qui sont acceptables et ceux qui ne le sont pas. Elle est présente dans tous les mails de nos agents. Notre objectif est que tous nos clients et partenaires de travail en aient connaissance.

Nous souhaitons que la transparence et la symétrie soient totales. Une charte qui n’est pas comprise par tous ne sert pas à grand-chose. Quand nous travaillons avec une des entreprises du groupe LVMH, nous devons signer sa propre charte – on ne se contente pas de la recevoir, il faut la signer, pour manifester qu’on l’a lue et comprise.

Nous avons essayé de faire en sorte que notre charte nous ressemble. Elle donne des détails et des exemples, pour montrer aux mannequins ce qui n’est pas acceptable. Nous leur proposons de nous signaler tout incident, tout problème dès qu’il arrive. Nous avons pour cela plusieurs adresses mail, concernant la France ou l’Italie. Si nécessaire, nous recevons les mannequins et nous contactons un médecin.

Par chance, je n’ai jamais eu de problème grave dans mon agence. Plus on anticipe, plus on limite les risques. Il est également important de demander aux mannequins ce qui est acceptable pour eux ou non, en fonction de leur culture, de leurs origines, de leurs envies. Certains n’acceptent pas, par exemple, qu’une partie de leur corps soit vue par transparence.

Nous avons des outils de suivi des mannequins. Les agents, les assistants et les chaperons – qui sont souvent des membres de la famille des mineurs – sont très attentifs. Nos équipes font le maximum pour écouter chaque mannequin.

La question des VSS (violences sexistes et sexuelles) est très importante pour nous. Il en est de même de l’environnement. Les jeunes y sont sensibles : quand un mannequin accepte de travailler pour une agence, c’est aussi parce que celle-ci respecte des codes et a une éthique.

Nous devons être très à l’écoute. Mes équipes ont suivi plusieurs formations relatives aux soft skills, comme l’écoute et l’empathie. Certains mannequins y participent aussi. Ces questions ont l’air anecdotique, mais elles sont en réalité essentielles. Nos recrues sont souvent jeunes et n’ont pas forcément tous les codes. Il faut les préparer, car les choses vont très vite.

Il peut être difficile d’attendre ou de subir un refus lors d’un casting. À l’agence, les mannequins sont reçus un peu comme dans une famille : nous avons un chien, du café, du thé, des fruits. Les mannequins aiment se poser et discuter. Il faut beaucoup les écouter, en particulier ceux qui n’ont pas d’expérience.

Il a été question de la silhouette tout à l’heure, mais les mannequins retenus pour un fashion show ou pour une campagne sont aussi choisis pour leur personnalité. Si un mannequin est bien dans sa tête, il sera à l’aise, et plus il aura compris les codes, plus il sera pris, même s’il a 1 ou 2 centimètres de tour de taille de plus. Sans avoir trente ans d’expérience dans ce domaine, j’ai remarqué que ceux qui font carrière ont une personnalité qui fonctionne bien avec ceux qui les font travailler.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous des référents pour les violences sexistes et sexuelles et un protocole ?

Comment réagissez-vous en cas de violences pendant un défilé ou avec des clients, dans des lieux qui ne relèvent pas de votre responsabilité ?

M. Guillaume Proust. Je n’ai pas eu affaire à des violences particulièrement fortes, à des problèmes majeurs qui nous auraient été déclarés. Les petits incidents sont traités suivant un protocole très simple. Les mannequins sont tout de suite reçus ou appelés, s’ils sont loin. On essaie de les rassurer et on regarde comment on peut apporter les réponses nécessaires. Il est essentiel d’être très réactif.

Les mannequins peuvent contacter n’importe qui dans l’agence. Les téléphones restent ouverts, particulièrement en période de défilés. Un problème peut survenir n’importe quand. Lorsque les mannequins sont invités à fêter la fin d’un événement, nous leur interdisons, en particulier aux femmes, de prendre les transports en commun, pour éviter des problèmes – il est arrivé que des agressions s’y produisent. Nous avons tout de suite pris en main les mannequins concernés. On les a rassurés et on a appliqué le protocole nécessaire, en les faisant passer devant un médecin si besoin. J’insiste sur la nécessité d’être très réactif.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous – je m’adresse aux autres agences – des dispositifs en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Des formations systématiques, des lignes d’écoute, des adresses mail, des protocoles…

M. Thierry Bonneau. Nous n’avons pas forcément des protocoles en tant que tels. Dans notre agence aux États-Unis, nous proposons aux nouveaux mannequins un programme éducatif en ligne qui porte sur des sujets tels que la santé, le bien-être, l’argent. Nous faisons venir des intervenants pour faire comprendre le métier et nous avons une ligne qui permet à tous les employés d’accéder à des psychologues. Nous essayons par ailleurs, dans la mesure du possible, d’avoir un retour sur chaque défilé – c’est toujours assez intense. Le moindre problème est immédiatement traité.

Mme Ana Frazao. Nous avons, quant à nous, une procédure de signalement. Nos portables sont tout le temps allumés, même en dehors de la Fashion Week. Les mannequins peuvent contacter les agents tout le temps, au moindre problème, mais nous n’avons pas de référent spécifique.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je suis très surprise. J’entends que vos agents sont disponibles, et je n’ai pas le moindre doute là-dessus, mais la disponibilité des agents dans le cinéma n’empêche pas les violences sexuelles et ce ne sont pas nécessairement eux les meilleurs interlocuteurs pour gérer ces questions. Vos mannequins font face à une multiplicité d’acteurs, ce qui les expose à un risque d’autant plus élevé de subir des violences. Or vous gérez cela de manière familiale, artisanale ; c’est peut-être lié à votre secteur, mais il n’y a pas de cellule d’écoute ? Vous avez un processus de signalement, mais mettez-vous des affiches dans tous vos locaux et avez-vous un protocole à suivre en cas de signalement ?

M. Guillaume Proust. Nos structures sont à taille humaine – une quinzaine de personnes. La charte est à disposition partout, dans les bureaux et dans chaque mail. Nous la remettons aux mannequins, lorsqu’ils sont là et en amont. Certes, on peut toujours faire mieux mais j’ai l’impression que nous sommes à l’écoute et que les protocoles ne sont pas mal eu égard à la taille de la structure et à nos moyens.

M. Matteo Puglisi. Aujourd’hui, tout passe par les messageries instantanées, comme WhatsApp. Les mannequins ont un contact direct avec plusieurs agents, dont un de référence. Si l’un ne répond pas, on peut écrire à un autre. Dans une situation comportant un risque, un mail qui sera lu le lendemain ne sert à rien. S’il y a vraiment un problème, il se pose tout de suite. Un message instantané permet de signaler de façon discrète une situation, sans se mettre davantage en danger. Les agents peuvent alors agir immédiatement.

Je vais vous donner un exemple qui ne concerne pas une violence sexuelle ou sexiste. Lors de la Fashion Week, dans le showroom d’une grande marque, un responsable externe, qui n’avait pas été très sympa jusque-là, a mis des épingles dans la main d’une fille, qui s’est mise à saigner. Elle a envoyé tout de suite un message à son booker, qui a écrit au directeur de l’agence, lequel a lui-même écrit au directeur du département femme ; celui-ci a appelé le directeur du casting, qui a contacté le responsable interne du showroom. On a appris que d’autres personnes s’étaient plaintes. Le mannequin a bien sûr refusé d’aller travailler le dernier jour prévu, avec notre soutien, et nous avons su par d’autres mannequins que cette personne extérieure n’était plus au showroom le jour suivant. Nous avons réussi, par un système très simple, à obtenir un résultat immédiat.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez pas de CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) ?

M. Guillaume Proust. Non. Cela dépend de la taille de l’entreprise.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans le cinéma, il existe un CCHSCT, un comité central.

Un mannequin qui voudrait se plaindre de ses conditions de travail peut-il, ou peut-elle, se tourner vers des syndicats ou vers des représentants du personnel ?

M. Matteo Puglisi. Il existe des syndicats de mannequins, comme Force ouvrière. En général, seuls les mannequins français sont syndiqués. Avec le Synam (Syndicat national des agences de mannequins), nous négocions les tarifs minimaux chaque année.

Le mannequin va parler avec les agents. En cas de conflit avec une agence, elle se tournera vers son agence mère, qui pourra intervenir.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous nous en avez parlé, monsieur Puglisi, mais je me tourne vers vos collègues : avez-vous un agrément enfants ? Le casier judiciaire des agents qui s’occupent d’eux est-il vérifié ? Existe-t-il une certification professionnelle, qui pourrait être retirée en cas de comportement inapproprié et se traduirait par une inscription dans une sorte de registre national ?

M. Guillaume Proust. J’ai un agrément enfants, qui est délivré annuellement par la préfecture. Il fait l’objet d’un certain nombre de contrôles très précis, diligentés par la Drieets (direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Le casier judiciaire du président et de tous ses associés est automatiquement contrôlé. Par ailleurs, une enquête de moralité est en général menée par la Drieets.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cela ne concerne que les responsables ?

M. Guillaume Proust. En effet. C’est ensuite aux dirigeants de s’assurer de la moralité de leurs employés. Néanmoins, nous ne faisons pas d’enquêtes de police sur nos agents.

Les agents de mannequins enfants sont spécialisés dans ce secteur. On n’aborde pas les enfants de la même façon : beaucoup plus de précautions sont prises et il y a beaucoup plus de contrôles – notamment de la part de la Drieets – que pour les adultes.

Par ailleurs, la France est le seul pays au monde à interdire aux enfants de travailler après une certaine heure et plus d’un certain nombre d’heures, en fonction de leur âge. Les enfants ne peuvent travailler que le mercredi, le samedi et pendant les vacances scolaires. Ils sont toujours accompagnés d’un chaperon – un membre de leur famille dans 95 % des cas –, qui est présent du début à la fin, pour un casting ou n’importe quelle prestation. Tout cela est d’une extrême rigueur. Pour connaître d’autres conventions collectives – je n’ai rejoint le milieu du mannequinat qu’en 2018 –, je peux vous assurer que celle des agences de mannequins est très détaillée. Elle comporte 35 pages très précises, qui parlent des adultes et des enfants, lesquels font l’objet de dispositions très spécifiques.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Logez-vous des mannequins ? Le faites-vous gracieusement ? Le fait d’être logé est-il considéré comme un avantage en nature ? On nous a fait part de cas dans lesquels le loyer était intégralement défalqué du salaire. Proposez-vous des logements en commun, ce qui n’est peut-être pas le mieux dans un monde aussi concurrentiel ?

M. Matteo Puglisi. Nous avons des logements en commun. Il y a un appartement pour les mannequins, que nous louons à l’année. Lorsque se tiennent des défilés et que plusieurs mannequins sont présents, nous louons des appart’hôtel qui disposent d’une cuisine et offrent des services quotidiens.

J’ai noté qu’au cours d’une précédente audition des choses avaient été dites qui ne correspondaient pas tout à fait à la convention collective – je précise aussi qu’un nouveau texte entrera en vigueur le 1er avril.

Selon l’annexe III de la convention collective en vigueur, relative aux conditions d’accueil et de séjour des mannequins étrangers : « Conformément à l’article R. 341 du code du travail, l’employeur doit assurer ou faire assurer dans des conditions normales le logement d’un travailleur étranger. L’agence de mannequins doit accomplir cette obligation en fonction des spécificités énoncées plus haut. Si le mannequin ne peut lui-même disposer d’un logement, celui-ci devra donc être mis à disposition par l’agence, sous la forme d’un appartement appartenant à l’agence, loué par l’agence, ou d’une chambre d’hôtel louée par l’agence. Ces locaux devront au minimum être conformes aux dispositions prévues à l’article R. 232-11 du code du travail. » Nous proposons, au minimum, des hôtels trois étoiles.

Je continue : « Pour les mannequins en début de carrière, l’agence s’engage à lui remettre un minimum de 80 euros par semaine à titre de défraiements. » Le montant de ce pocket money – cet argent de poche – s’élèvera à 110 euros dans la nouvelle convention collective. Pour notre part, nous versons déjà 100 euros, auxquels s’ajoutent les titres de transport, la carte de téléphone, etc.

Le texte prévoit également que « les frais d’hébergement et les défraiements avancés par l’agence sont remboursables par les mannequins dans la limite de ce qu’ils ont gagné ». Les frais de promotion, eux, sont remboursables seulement à hauteur de 20 % du salaire. Cela étant, il n’existe pratiquement plus de frais de promotion car tout se fait de manière numérique, sauf pour les défilés.

Nous essayons de réduire autant que possible le coût du logement. La colocation n’est pas toujours ce qu’il y a de plus sympa ; aussi, lorsque des mannequins viennent habiter à Paris un certain temps, ils essaient, dès qu’ils gagnent un peu d’argent, de louer un appartement à titre individuel, pour lequel nous nous portons garants. Dans un premier temps, lorsque la personne n’a pas de logement, nous faisons une avance puis une déduction sur le salaire. C’est généralement ce que nous faisons lorsque le mannequin ne reste à Paris qu’une ou deux semaines.

Tout cela est régi par la convention collective.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez pas répondu à ma question sur la rémunération en vêtements.

Par ailleurs, contrôlez-vous les conditions dans lesquelles les photos vont être prises, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants, pour ce qui est du degré de nudité, du décor, etc. ? Des photos de Balenciaga ont suscité une polémique.

M. Thierry Bonneau. Nous n’acceptons pas que des prestations soient réalisées en échange de vêtements. Nous versons toujours une rémunération.

Mme Ana Frazao. C’est pareil pour nous.

M. Guillaume Proust. Nous aussi.

M. Matteo Puglisi. Il en va de même pour nous. Nous expliquons aux mannequins, à qui un ami qui fait un défilé, par exemple, peut l’avoir proposé, que ce n’est pas possible. Si on l’acceptait, on devrait calculer la valeur du vêtement et payer les charges sociales sur cette base.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Et un vêtement ne paie pas le loyer !

M. Matteo Puglisi. En effet ! Ni le salaire du booker.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Exercez-vous un contrôle sur le degré de nudité et les poses ?

M. Thierry Bonneau. Tout à fait. Avant toute prestation, nous nous assurons d’en connaître les conditions. Pour les publicités, par exemple, nous avons un mood board (planche de tendance). Il va de soi que nous ne permettons jamais la nudité ou semi-nudité sans accord préalable.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet accord préalable peut-il se doubler d’un accord postérieur au shooting ? Est-il arrivé qu’un mannequin considère que la prestation n’est pas conforme aux conditions fixées à l’origine, par exemple si un client choisit une photo qui dévoile entièrement un sein alors qu’on ne devait en apercevoir que le début ? Lors d’une séance de photos, on fait des mouvements. Y a-t-il déjà eu des refus ou des contestations dans ce type de cas ? Est-il arrivé que des clients ne vous paient pas en raison d’un tel refus ? La possibilité d’opposer un refus à la suite d’une prise de vues est-elle encadrée ?

M. Thierry Bonneau. Nous demandons au mannequin de nous appeler s’il s’aperçoit, au cours de la prise de vues, que ses conditions ne sont pas conformes à ce qui était convenu. Nous indiquons alors immédiatement que ce type de photos ne peut absolument pas être pris. Par ailleurs, si le client souhaitait utiliser une photo semi-nue dont nous n’aurions pas eu connaissance, nous nous y opposerions. Ce cas ne s’est jamais présenté et aucun client n’a jamais refusé de payer pour cette raison. En tout état de cause, nous insistons beaucoup sur le respect des conditions prévues.

M. Matteo Puglisi. Si l’on constate que des photos, publiées sur les réseaux sociaux de la marque, ne sont pas tout à fait conformes au mood board, on appelle le client pour lui demander de les retirer. Cela s’est déjà produit ; dans ce cas, le client supprime les photos et cela ne pose pas de problème pour le paiement de la prestation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Subissez-vous la concurrence d’agences virtuelles qui travaillent à distance – les filles envoyant leurs photos et étant choisies sur cette base par les clients – et qui n’assurent aucun suivi ? Est-ce une pratique croissante ? Arrive-t-il que des marques contactent directement des mannequins qui ont un peu de notoriété et un profil déjà assez étoffé, par exemple sur Instagram ? Est-il obligatoire de passer par vous ?

M. Thierry Bonneau. La concurrence que nous subissons tient à la limite entre mannequin et influenceur. De plus en plus de prestations sont réalisées sans qu’il y ait un client : une personne présente des vêtements qu’elle a reçus. Comment cela doit-il être traité ? C’est un vrai souci pour nous. Désormais, des mannequins réalisent des prestations tout en ayant, en parallèle, une activité d’influenceur. Nous les traitons comme des mannequins. Cela étant, certaines personnes pourraient ne se consacrer qu’à leur activité d’influenceur. Le problème est que nous avons l’obligation de salarier les mannequins alors que, de l’autre côté, l’activité d’influenceur relève du statut de travailleur indépendant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Qu’en est-il des agences virtuelles ?

M. Thierry Bonneau. Qu’entendez-vous par là ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je pense à une activité qui consisterait à réaliser des castings sauvages, à demander à des mannequins leurs photos, à les mettre en ligne et à proposer aux clients de choisir ainsi sur catalogue. Dans ce cas, il n’y a pas vraiment de lien direct avec les mannequins, ni de suivi.

M. Thierry Bonneau. Nous faisons la chasse à ces pratiques, mais nous n’en avons pas toujours connaissance.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Lorsqu’on demande une prestation de mannequinat, est-il obligatoire de passer par une agence ?

M. Thierry Bonneau. Non. Il est obligatoire de passer par une agence lorsqu’on embauche un mannequin sauf si l’on est un utilisateur direct, auquel cas on peut salarier la personne. Si l’on n’est pas titulaire d’une licence d’agence de mannequins en France, on ne peut pas jouer un rôle d’intermédiaire pour mettre un mannequin à la disposition d’un client. Par ailleurs, un mannequin peut travailler en direct, mais pas en tant que travailleur indépendant : on doit être salarié par l’utilisateur.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie de vos réponses précises, sur la base desquelles nous pourrons sans doute formuler des propositions pour compléter le dispositif actuel et faire en sorte de vraiment bien protéger les personnes. Je ne sous-entends pas que vous ne les protégez pas : j’entends votre volonté de le faire, j’allais dire humainement et immédiatement, mais la question du cadre dans lequel vous vous inscrivez est importante.

 

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La commission auditionne ensuite M. Dominique Besnehard, producteur, acteur et ancien agent artistique et directeur de casting.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Besnehard, vous avez commencé votre carrière en 1975 aux côtés de Jacques Doillon, en tant qu’assistant puis directeur de casting, avant de devenir l’un des plus importants agents d’artistes de Paris, à partir de 1986, chez Artmedia. En 2006, vous avez fondé votre propre société de production, et vous continuez d’apparaître au cinéma et à la télévision. Vous avez également créé, en 2008, le festival du film francophone d’Angoulême.

Pour toutes ces raisons, il nous a paru indispensable de vous entendre aujourd’hui, à la fois comme mémoire du cinéma français et de ses pratiques – et, je l’espère, témoin de l’évolution des mentalités –, et comme professionnel aux multiples facettes qui exerce encore une grande influence sur le cinéma français.

Cette audition est ouverte à la presse et est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Dominique Besnehard prête serment.)

M. Dominique Besnehard, producteur, acteur et ancien agent artistique et directeur de casting. Quand j’ai appris que j’allais être entendu par votre commission, je me suis demandé à quel titre. Comme vous l’avez en effet rappelé, madame la présidente, j’ai été pendant dix ans casting director – à l’époque, on disait directeur de casting –, agent pendant vingt ans, et, depuis dix-sept ans, producteur. Voilà donc, comme je l’ai réalisé hier en prenant quelques notes, cinquante ans que je suis dans ce métier. Ce sont cinquante ans d’une vie où j’ai rencontré des gens extraordinaires. J’ai eu de la chance, car je viens de Normandie et mes parents n’étaient pas du tout dans ce métier : c’est ma passion qui m’a conduit à cette carrière. C’était une époque où on pouvait faire des rencontres et réaliser ses rêves, ce qui est beaucoup plus difficile maintenant, comme je le constate lorsque des jeunes viennent me voir.

C’était un autre monde, et j’appartiens à cet ancien monde – on me l’a suffisamment reproché voilà un an, dans un papier assez terrible de Télérama qui ne trouvait pas normal que je sois là depuis cinquante ans, et estimant que je cachais nécessairement des choses. Tout à coup, le fait que je sois au niveau où je me trouve interrogeait. De fait, j’ai travaillé, fait des rencontres, découvert des acteurs et rencontré de grands metteurs en scène. J’ai eu une idée – Dix pour cent – qui a fait soudain parler du cinéma et d’un métier qu’on ne connaissait pas. Cette série aborde de nombreux problèmes, comme le sexisme et la violence envers les femmes, et donne un aperçu de ce métier.

Pendant ces dix ans de direction de casting, j’étais plutôt spécialiste des enfants, car j’ai commencé à travailler avec Jacques Doillon et Claude Berri sur le film Un sac de billes, pour lequel j’ai cherché des enfants. J’en ai trouvé un. J’avais 20 ans. C’était mon premier tournage, un tournage absolument fabuleux. Pendant quelques années, j’étais la personne qui pouvait trouver des enfants. C’est moi qui ai trouvé le petit Arabe de La Vie devant soi et l’enfant du Jouet, de Francis Veber. Je côtoyais les enfants et leurs parents. J’ai vu certains comportements violents de metteurs en scène qui ne respectaient pas les enfants. J’ai travaillé avec Pialat, avec qui ce n’était pas toujours simple. Les choses devaient changer, et elles ont changé. À l’époque, nous nous sommes battus pour que les enfants soient payés, parce que c’étaient alors les parents qui prenaient l’argent. Ensuite, de grands metteurs en scène comme Claude Sautet, Pierre Granier-Deferre ou Federico Fellini m’ont demandé de travailler avec eux en tant que directeur de casting : j’étais alors nourri par des univers incroyables.

C’est lorsque je suis devenu agent que j’ai vu des problèmes de comportement. Être directeur de casting s’apparente en quelque sorte à l’adolescence ; lorsque l’on devient agent, on est confronté à la réalité économique et on doit défendre l’intérêt des acteurs. C’est plutôt là que l’on sent des choses compliquées.

Depuis quinze ans, en tant que producteur, je fais des films et des téléfilms. Dix pour cent fait le tour du monde. L’idée plaît et a eu de très nombreuses adaptations.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez occupé plusieurs fonctions dans le cinéma et avez vu les mutations profondes d’un métier qui ne tolère plus certaines choses. Quel est votre regard sur le mouvement MeToo que, comme nous tous, vous avez vu arriver des États-Unis et se poursuivre en France, jusqu’aux dénonciations faites récemment par des comédiennes ?

M. Dominique Besnehard. J’ai eu la chance de rencontrer de grandes dames féministes, mes meilleures amies – Jeanne Moreau, dont j’étais l’agent et qui était une féministe hors pair, très protectrice envers les jeunes actrices, Anouk Aimée, Françoise Giroud. J’ai été baigné dans cet univers de femmes responsables, qui défendaient la cause des femmes. Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’ai été davantage avec des femmes qu’avec des hommes et j’ai toujours été porté par leur courage. J’ai été l’agent de très nombreuses femmes metteurs en scène, comme Catherine Corsini, Claire Denis, Claire Devers, Charlotte Silvera, Josée Dayan ou Marion Vernoux. J’étais presque le spécialiste des femmes metteurs en scène ; elles se tournaient vers moi parce qu’elles savaient que je les écoutais.

Pour ce qui est du mouvement MeToo, la première réaction dont j’ai été témoin était le fait d’une fille courageuse, à l’occasion d’un film de Jean-Claude Brisseau, dont j’étais l’agent. Ce réalisateur avait déjà eu un comportement assez bizarre sur le tournage de Noce blanche, avec Vanessa Paradis – elle était jeune et c’était son premier film : il avait un peu dépassé les limites du respect dans sa manière de la faire tourner nue. Il avait néanmoins du talent et il était, à l’époque, un metteur en scène très respecté. Lorsqu’une actrice prénommée Noémie – qui aura le courage de dire ouvertement les choses, puisqu’elle est en train d’écrire un film sur ce sujet – l’a attaqué pour des violences sexuelles commises à l’occasion du film Choses secrètes et qu’il est passé en correctionnelle, le métier a défendu Brisseau – comment pouvait-on attaquer un tel homme ! – et des pétitions ont circulé en sa faveur. Noémie Kocher est la première, la Jeanne d’Arc du mouvement MeToo. Elle a agi discrètement et a presque été considérée comme une hystérique. Après cela, j’ai viré Brisseau, car il n’était pas possible de continuer avec ce que j’entendais. Le monde a changé car, à l’époque, c’était elle qui combattait et elle qu’on regardait comme une hystérique. C’était dans les années 2000 : c’est la première fois, grâce à Noémie, que j’ai vu quelqu’un se battre contre les violences sexuelles et contre le patriarcat d’un metteur en scène.

Une autre alerte m’avait également choqué lorsque j’étais directeur de casting d’un film de Jean-Jacques Beineix intitulé Diva. J’avais 22 ou 23 ans et je faisais le casting avec Jean-Jacques. Je vous raconterai ensuite une histoire qui m’est revenue tout à l’heure et qui montre la classe de cet homme, qui tranche avec tout ce que l’on dit, non pas de lui, mais des metteurs en scène avides de chair fraîche. Lorsque je suis allé voir pour la première fois le directeur de production, assez caricatural dans sa fonction, pour lui dire quelle actrice nous prendrions, il m’a demandé combien nous devions la payer. Je lui ai répondu qu’elle commençait à bien marcher et lui ai indiqué un prix en francs. Il m’a alors répondu : « Dominique, tu es fou ! C’est beaucoup trop cher. J’espère qu’à ce prix-là, on la baise. » C’était la première fois que j’entendais cela. Je venais de ma province, où l’on ne parlait pas comme cela des femmes, et je suis allé le dire à Beineix.

Quant à Beineix lui-même, il devait faire tourner nue Béatrice Dalle, une actrice qui a marqué par sa liberté à l’égard de son corps, mais qui est la femme la plus pudique que je connaisse, dans 37°2 le matin. Il ne l’a pas vue nue avant de tourner la première scène : c’est la costumière qui avait fait des Polaroid pour les lui montrer. Les choses ont changé depuis cette époque que j’ai connue, et on a dépassé les bornes. Brisseau était un fou, et Beineix un seigneur.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous nous dites avoir arrêté de travailler avec Brisseau. Pourtant, vous avez continué à soutenir Gérard Depardieu.

M. Dominique Besnehard. Quel est le rapport ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Aujourd’hui, Gérard Depardieu est accusé, un procès est en cours et un certain nombre de personnes prennent leurs distances avec lui.

M. Dominique Besnehard. Moi, je ne prends pas de distances !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Est-ce parce que Brisseau a été condamné que vous avez cessé de collaborer avec lui ? Vous nous avez dit que c’est parce qu’il était en correctionnelle que vous l’avez « viré » – expression qui peut d’ailleurs poser question, car il n’était pas votre salarié, mais sous mandat avec vous, ce qui est un peu différent. Pourquoi cette différence avec Depardieu ou avec d’autres aujourd’hui ?

M. Dominique Besnehard. J’ai viré Jean-Claude Brisseau bien avant qu’il soit en correctionnelle. Je suis devenu producteur en 2006 et je l’ai viré avant, au moment de l’affaire survenue lors du tournage de Choses secrètes, dans les années 2000 – je ne me souviens plus exactement en quelle année. Lorsqu’il a été en procès, j’ai même été interrogé par la police, car on estimait qu’il n’était pas normal que sa productrice et son agent n’aient rien dit, alors qu’on avait fait auparavant avec lui un film intitulé L’Ange noir, avec Sylvie Vartan, où j’avais vu des trucs délirants, bien avant Choses secrètes. Il est donc faux de dire que je l’ai viré en raison de son passage devant le tribunal correctionnel.

Quant à Gérard Depardieu, lorsque j’ai commencé dans ce métier, il était au firmament. J’ai fait de nombreux films avec lui, comme La Lune dans le caniveau et Le Retour de Martin Guerre. Ce n’était pas du tout le même homme que celui que j’ai vu ensuite se transformer. Tout le monde voulait travailler avec lui. Lors du tournage de Martin Guerre, pendant trois mois, dans les Pyrénées, à Saint-Girons, il n’était pas l’homme qu’on a vu après. C’était l’acteur de Truffaut : croyez-vous que Truffaut aurait pris un malade ?

En réalité, Gérard Depardieu a commencé à « vriller » après la mort de son fils. Pour ce qui est de son comportement, je me souviens que, sur le tournage d’un film intitulé Bonne pomme, que je faisais avec lui, il faisait des blagues un peu salaces, rabelaisiennes ; je lui disais que c’était déplacé, mais il y avait une véritable cour autour de lui.

J’ai signé la pétition, mais ce qui m’a fait regretter de l’avoir fait, c’est d’apprendre qui en avait pris l’initiative. Le documentaire avec Yann Moix n’avait pas encore été diffusé. J’ai signé parce que tout le monde était contre lui. Toutes les actrices ont signé, comme Nathalie Baye. L’erreur, pour moi, c’est d’avoir signé une pétition lancée par une personne proche du Front national, ce que je n’ai su qu’après. Toujours est-il que j’ai signé, parce que j’en avais marre de voir ce qui arrivait à Élisabeth Depardieu. Tout le métier s’est enrichi avec Gérard Depardieu, puis tout le monde lui a tourné le dos. C’est pour moi une question de fidélité, je ne le regrette pas. Je n’ai pas voulu enlever mon nom, même lorsque j’ai su que c’était un pourri qui avait lancé la pétition – je ne l’ai jamais rencontré, ce qui était certes léger de ma part, car j’aurais dû faire une enquête, mais dès lors que c’était Julie Depardieu qui me disait qu’il y avait une démarche pour son père, j’ai dit oui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quelle est la différence entre Brisseau, que vous retirez de votre portefeuille, et Depardieu ? Vous dites qu’une pétition a été lancée en faveur de Brisseau et que Noémie a été jugée hystérique, mais Charlotte Arnould a été considérée un peu de la même manière. Vous dites que vous avez viré Brisseau avant le jugement, mais Depardieu n’est-il pas dans la même situation ? Quels sont les critères à l’aune desquels vous jugez qu’un homme est fréquentable ou non ?

M. Dominique Besnehard. Madame la présidente, j’ai viré Jean-Claude Brisseau avant les années 2000, à une époque où ce n’était pas à la mode. Je n’ai plus de contacts avec Gérard Depardieu, mais la présomption d’innocence existe toujours, malgré les reportages. Vous êtes victime vous aussi de ce phénomène, madame la présidente, en tant que politique. On lance des alertes. Si, demain, il est condamné, on verra. Mais, pour l’instant, il ne l’est pas.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais Brisseau ne l’était pas non plus.

M. Dominique Besnehard. Brisseau a été condamné.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Après que vous l’avez viré.

M. Dominique Besnehard. Oui, mais je l’ai viré parce que j’ai trouvé qu’il avait dépassé les bornes. Il faudrait donc ne virer une personne que lorsqu’elle est condamnée ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’essaie de comprendre votre logique.

M. Dominique Besnehard. Je suis logique : j’ai viré Brisseau parce que ce que je voyais ne me plaisait pas.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est donc parce que vous l’avez vu.

M. Dominique Besnehard. Je l’ai vu, j’ai su des choses et je l’ai viré avant même Noémie Kocher. Vous me demandez quand j’ai vu MeToo se déployer pour la première fois ? Il y avait aussi une autre actrice pour accuser Brisseau, et les premières personnes que j’ai vues dans cette situation, les plus extraordinaires, les plus courageuses, ce sont ces deux-là, mais on n’en parle jamais.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Merci de votre présence et merci pour Dix pour cent, série que nous sommes nombreux à apprécier. Malheureusement, il n’est pas question ici seulement de votre talent, dont nous ne doutons guère, mais du traitement des violences sexuelles.

J’ai noté, comme mes collègues, que vous agissez – chose rare –, sans attendre une décision de justice, dès que vous avez connaissance des faits. Lorsque des faits ont été révélés à propos de Gérard Depardieu et que vous avez signé cette tribune, n’avez-vous pas voulu aller voir ce qu’il y avait derrière ? De fait, de nombreuses personnes disent connaître Gérard Depardieu.

Je voudrais vous interroger sur des propos que vous avez tenus en 2018 sur un réseau social : « Et cela continue, et maintenant c’est Gérard Depardieu qui est accusé de tentative de viol. À quel moment ces apprenties comédiennes arrivistes vont-elles cesser de proférer des accusations pour se faire connaître ? On connaît tous Gérard Depardieu, c’est un personnage rabelaisien, baroque mais aussi attentionné. De mon temps, les jeunes comédiennes apprenaient le théâtre dans un cours et n’attendaient pas un rendez-vous professionnel au domicile d’une star pour l’accuser de geste déplacé. Je suis confiant que tout cela va se terminer par un pschitt. » Êtes-vous toujours aussi confiant que cela se terminera ainsi ? Cela dépendra, en tout cas, de ce que dira la justice. Quant au fait que les femmes qui accusent Gérard Depardieu seraient des arrivistes, des comédiennes dont vous dévalorisez le talent, et qu’elles se seraient, en quelque sorte, mises elles-mêmes dans la situation qu’elles dénoncent, avez-vous changé de regard depuis 2018 et avez-vous quelque chose à nous en dire ?

M. Dominique Besnehard. D’après ce que je sais, le père de cette comédienne est un ami de Depardieu. Elle y va mais, généralement, c’est dans un cours de théâtre qu’on prend les cours de théâtre, et on ne va pas au domicile d’un acteur, surtout lorsque, comme dans le cas de Gérard Depardieu, on sait que des bruits courent sur lui. On m’a même dit qu’elle y était allée deux fois.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Vous dites qu’elle ne devait pas aller à son domicile parce qu’il y avait des bruits. Pouvez-vous préciser ?

M. Dominique Besnehard. Son père connaissait Gérard Depardieu. En tout cas, lorsque j’étais agent, j’ai vu des actrices dépasser les bornes. On ne va pas dans un hôtel avec un metteur en scène. Lorsque Harvey Weinstein venait à Cannes, certaines actrices allaient dans sa chambre pour faire, peut-être, une carrière américaine. Je l’ai vu. Même des actrices dont je m’occupais y sont allées. Ce n’est pas une histoire de talent : c’est qu’elles veulent réussir.

Béatrice Dalle, en revanche, femme courageuse, lorsque Weinstein lui a proposé de monter, lui a dit : « vous rigolez ! » Je suis peut-être la personne qui connaît le mieux les actrices, avec les divas que j’ai fréquentées, comme Nathalie Baye ou Isabelle Adjani. Je les connais toutes et je ne crois pas qu’Isabelle Huppert, lorsqu’elle était jeune comédienne, serait montée dans un hôtel avec un producteur qui avait déjà une mauvaise réputation.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La personne qui invite une actrice dans une chambre d’hôtel pour lui proposer un casting ou pour travailler le scénario n’est donc pas responsable ? À vos yeux, c’est bien l’actrice qui monte qui l’est ?

M. Dominique Besnehard. Non. Nathalie Baye, Marlène Jobert ou Anouk Aimée, qui sont d’une autre génération, ont fait des carrières et elles aussi ont dû débuter. J’ai demandé à Nathalie Baye, à qui j’en parlais voilà trois jours en lui disant que je venais ici, si elle avait connu de telles situations. Elle m’a répondu qu’une fois, un type avait essayé, et qu’elle lui avait dit : « basta ». Elle ne serait jamais allée dans une chambre. Surtout avec Weinstein, qui avait tout de même une réputation – quand il montait les marches à Cannes, il avait toujours au bras une actrice différente.

Je vais même vous dire quelque chose que je n’ai jamais dit. On parle beaucoup de l’affaire de Maria Schneider et de Bertolucci à la Cinémathèque. J’ai un peu connu Bertolucci, comme je connaissais tout le monde, mais je n’ai jamais été ami avec lui. J’ai très bien connu Maria Schneider, qui s’est davantage exprimée avec le temps, comme il est normal. Quelques années plus tard, elle était beaucoup moins précise – du reste, elle est tombée dans la drogue, peut-être précisément parce qu’elle avait été violée.

Eva Green, qui est ma filleule, s’est vu proposer de jouer dans un film de Bertolucci intitulé The Dreamers, où elle n’avait que des scènes nues. Je l’ai prise à part, comme l’a aussi fait sa mère, pour lui dire que c’était courageux. On ne parlait pas encore, à ce moment, de l’histoire de Maria Schneider, qui vient de tomber, depuis la mort de Maria et le livre de sa cousine. J’ai dit à Eva de faire attention, parce qu’on peut ne pas s’en remettre : Béatrice Dalle qui, dans 37°2 le matin, est très souvent nue, a eu du mal à s’en remettre. Elle m’a répondu qu’elle avait tout compris, mais qu’elle avait envie de faire ce film et qu’elle se protégerait – et il n’y a eu aucun problème. On peut donc alerter.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si j’ai bien compris, vous disiez qu’il y avait des femmes fortes, des femmes qui disaient oui et des femmes qui disaient non, et des femmes qui jouaient de l’ambiguïté. Le fond de votre pensée me semble être que certaines femmes jouent de l’ambiguïté et que, quand elles n’obtiennent pas les rôles ou que les choses ne tournent pas comme elles voudraient, elles dénoncent.

M. Dominique Besnehard. C’est tout à fait ça. Mettez-vous à la place d’une jeune actrice qui arriverait à Paris, suivrait des cours privés et n’aurait pas été avertie des dangers – si elle allait au conservatoire ou dans une école, elle l’aurait été. Elle répondrait à une annonce de casting, se réjouissant de tourner dans un film. Le réalisateur ou le responsable qui, sentant sa fragilité, entreprendrait d’en profiter, serait extrêmement condamnable. Et elle serait une victime.

Mais avec le mouvement MeToo – et c’est son importance –, on ne peut plus dire que l’on ne sait pas.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je suis heureuse de vous entendre dire que le mouvement MeToo est important.

M. Dominique Besnehard. Bien sûr. Je ne sais pas pourquoi certains ont pensé que j’étais opposé à MeToo.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Peut-être est-ce à cause de vos nombreux tweets et déclarations concernant les féministes ?

M. Dominique Besnehard. Non, c’est parce que j’ai défendu Gérard Depardieu. Et je n’ai pas de compte Twitter, seulement un compte Facebook – où Mme Legrain a relevé toutes mes déclarations.

M. Erwan Balanant, rapporteur. On dit de vous que vous avez modernisé les castings, en les rendant plus ouverts, plus éclectiques.

M. Dominique Besnehard. C’était il y a quarante ans…

M. Erwan Balanant, rapporteur. On vous crédite également de l’invention des castings sauvages. C’est paradoxal, au vu de votre insistance sur les précautions que devaient ou devraient prendre les actrices lors des castings. Les castings sauvages n’ont-ils pas donné lieu à des pratiques dangereuses pour les comédiens et les comédiennes ?

M. Dominique Besnehard. C’était il y a trente ans. Les metteurs en scène m’appelaient pour trouver des enfants, puis des adolescents – par exemple Maurice Pialat pour ses films À nos amours ou Passe ton bac d’abord.

Vous ne mentionnez pas un phénomène très grave de l’époque : la drogue. Je l’ai combattue – ce que j’ai moins fait, peut-être, s’agissant des violences sexuelles, dont je n’ai pas été autant témoin. Toute la génération des « acteurs Kleenex » – puisque c’est ainsi qu’on appelait les acteurs recrutés lors de castings sauvages – s’est droguée. Alors que ces acteurs n’avaient bien souvent pas été formés, des metteurs en scène leur ont confié des rôles principaux, car cela correspondait à leur fantasme de trouver « leur » acteur, « leur » actrice. Cela a souvent fait des dégâts. Un livre paru sur tous les jeunes acteurs découverts dans la rue montre toutefois que certains ont très bien réussi. D’autres non, mais ce n’est pas de ma faute.

J’ai regardé l’audition de Francis Renaud par cette commission d’enquête. Je n’en revenais pas. C’était n’importe quoi. Il a attaqué toute la profession. Il s’est permis des sous-entendus sur le sort de Simon de La Brosse, qui s’est suicidé. Comme si j’en étais responsable ! Ces accusations sont très graves. J’ai accompagné Simon de La Brosse jusqu’à la fin de sa vie. Son frère est mon ami. Wadeck Stanczak, après avoir regardé cette audition, m’a téléphoné, pour me dire qu’il ne voulait plus entendre parler de ce métier et trouvait ces propos honteux.

Vous ne devez pas croire tout ce qui est dit. Je ne détiens pas la vérité mais, dans mon métier, je sais qui est qui. Francis Renaud a humilié de nombreuses personnes ; il a attaqué Anne Holmes. J’ai travaillé avec lui pour le film Joueuse, avec Sandrine Bonnaire, où il avait un très beau rôle ; tout s’est très bien passé. Je lui ai conseillé d’en profiter pour faire de la promotion. Il ne l’a pas fait. Il ne faut pas en vouloir à tout le monde de ses propres échecs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Précisons que le témoignage de Francis Renaud portait sur des actes qui ont fait l’objet de procédures judiciaires.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pour vous, faut-il encore faire des castings sauvages ? Comment les sécuriser ? Un directeur de casting ou un agent peut tout à fait décider d’aborder une personne dans la rue dont il juge le profil intéressant. Cela ne me dérange pas. Mais comment éviter que cela finisse dans une chambre d’hôtel ?

M. Dominique Besnehard. Les deux acteurs principaux du film Shéhérazade, qui a été présenté au festival du film francophone d’Angoulême, n’étaient pas du métier. Ils venaient de Marseille. Ils ont été choisis parce qu’ils étaient sincères, doués, qu’ils avaient du charisme. On sentait déjà que le petit, qui a pourtant pris un agent, était fragile. Il est désormais en prison.

À propos de jeunes actrices, je me suis occupé de Vahina Giocante, qui a dénoncé son père aux assises, avec un courage extraordinaire. Elle a écrit un livre merveilleux, dont on n’a pas assez parlé.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’ai du mal à saisir qui a du courage et qui n’en a pas dans votre esprit.

M. Dominique Besnehard. Selon vous, dénoncer ainsi son père, ce n’est pas du courage ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si, absolument. Mais je trouve également que les femmes qui témoignent dans le cadre du mouvement MeToo – et que vous qualifiez d’ambitieuses – sont courageuses.

M. Dominique Besnehard. Certaines actrices qui ont davantage souffert n’osent pas témoigner, justement. Le courage, c’est important. J’étais l’agent de Vahina Giocante alors qu’elle était encore jeune. Même moi, je lui ai enjoint de bien réfléchir avant de dénoncer son père et de publier l’affaire dans un livre. Elle l’a fait. Elle était presque plus courageuse que moi.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Dans l’exercice de vos différents métiers, vous avez été amené à distribuer des bons et des mauvais points aux acteurs et aux actrices, selon leur talent ou leur absence de talent. Mais ici, j’ai l’impression que c’est selon leur courage que vous les évaluez. Vous louez celles et ceux qui n’ont pas été victimes parce qu’ils ont réussi à dire non ; les autres, selon vous, ne seraient pas courageux.

Vous déclarez que MeToo a été utile, car désormais plus personne ne peut ignorer le problème. C’est contradictoire avec vos propos précédents, mais tant mieux. Qu’avez-vous à dire aux femmes qui ont subi des pratiques qu’elles n’avaient pas à subir dans le cadre professionnel du cinéma ?

Vous déclarez que les « filles » – je reprends vos termes – qui sont montées dans des chambres d’hôtel avec des hommes de mauvaise réputation savaient ce qui allait leur arriver et, d’une certaine façon, ne sont pas des victimes. Pensez-vous que ce discours aide à libérer la parole des femmes victimes de violences sexuelles, à cause de leur vulnérabilité, parce qu’elles n’étaient pas en position de force, en mesure de refuser des propositions professionnelles ?

M. Dominique Besnehard. Je ne comprends pas votre question.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je me permets de reformuler. À de multiples reprises, vous avez dénigré les femmes qui parlaient.

M. Dominique Besnehard. Arrêtez ! Vous vous appuyez donc exclusivement sur la presse ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Même ici, vous tenez des propos dénigrants.

Vous êtes un homme de pouvoir, un homme important dans le cinéma français, comme l’ont montré de multiples auditions. Votre jugement concernant les violences, le courage des actrices, ou leur manque de courage, façonne le cinéma français. Quand vous tenez des propos dénigrants sur les personnes qui parlent, vous envoyez un message.

M. Dominique Besnehard. Quels propos dénigrants ? Je n’ai pas de compte Twitter. Vous racontez des histoires que vous avez lues dans la presse. Vous reprenez des propos que j’ai tenus concernant Gérard Depardieu – mais il y a combien d’années ? Si c’est mon procès, je me taille tout de suite.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous êtes auditionné par une commission d’enquête, monsieur Besnehard.

M. Dominique Besnehard. Que voulez-vous me faire dire ? Je ne devrais pas dire que j’ai apprécié Gérard Depardieu à une époque ? J’ai le droit d’avoir mon opinion. Vous n’êtes pas là pour me faire la morale.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Absolument.

M. Dominique Besnehard. Cessez de faire la morale à tout le monde. Cela commence à bien faire.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous venez de dire de Charlotte Arnould…

M. Dominique Besnehard. Je ne sais même pas qui c’est !

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous dites que le père de Mme Arnould connaissait Gérard Depardieu, et entretenez ainsi la suspicion sur les motivations de sa visite à Gérard Depardieu.

M. Dominique Besnehard. Il n’y a que Gérard Depardieu qui vous intéresse dans le truc MeToo ? Vous ne parlez que de lui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous pourrions aussi évoquer M. Doillon. Votre parole a de l’importance.

M. Dominique Besnehard. Pas tellement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si, elle a du poids pour le monde du cinéma, pour les acteurs que vous connaissez, pour les réalisateurs et les producteurs avec lesquels vous travaillez. Quand vous minimisez le courage des femmes qui ont pris la parole dans le cadre de MeToo, n’envoyez-vous pas un message au monde du cinéma, pour le protéger de la parole des femmes ? Notre commission enquête justement sur la manière dont la parole des victimes, femmes ou hommes d’ailleurs, peut se déployer, être entendue dans ce monde.

M. Dominique Besnehard. Je le comprends, mais cela fait dix minutes que nous parlons de la même chose. Je n’ai jamais dit que MeToo était inutile. Le problème est que vous voulez tout réduire à des petites phrases.

S’il y a bien quelqu’un de féministe, c’est moi. Tout le monde vous le dira, je traite les femmes comme personne. Pourquoi, selon vous, toutes les actrices m’ont-elles choisi comme agent ? Au festival d’Angoulême, je mets systématiquement en avant les actrices et j’ai composé un jury exclusivement féminin avant le mouvement MeToo. Pour moi, MeToo a commencé avec l’affaire Choses secrètes, avant le mouvement américain, quand j’ai connu les agissements de M. Brisseau. Ce fut un moment décisif.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Selon vous, actuellement, le secteur de la représentation artistique est-il suffisamment concurrentiel ? Un talent qui estimerait qu’il n’est pas assez bien protégé par son agent, ou que celui-ci ne défend pas suffisamment ses intérêts, aurait-il la liberté d’en changer ou les pressions économiques seraient-elles trop fortes ? Est-il possible de travailler en se passant des deux leaders du secteur, les agences Adéquat et UBBA ?

Une agence peut-elle obtenir l’embauche d’un ou deux acteurs pour des rôles secondaires, en échange des services d’un talent de premier plan ? J’ai noté que la plupart des acteurs des films l’Amour ouf et Le Comte de Monte-Cristo sont représentés par la même agence, Adéquat.

M. Dominique Besnehard. C’est une bonne question. Le métier a beaucoup changé. À l’époque où j’étais agent, la profession était assez contrôlée – elle était notamment interdite à ceux dont le casier judiciaire était compliqué. Pour l’exercer, il fallait obtenir une licence délivrée par le ministère du travail. Une commission évaluait la moralité du demandeur et les conditions économiques dans lesquelles il avait exercé ou projetait d’exercer ce métier.

Sous l’influence de Bruxelles, ces dispositifs ont été abrogés. La libéralisation a été totale. De nombreuses agences ont été créées, mais sans disposer de réelles fondations, et le secteur s’est finalement concentré.

À mon époque, de nombreux agents indépendants vivaient très bien. Ce n’est plus le cas. Parfois, les grandes agences les accueillent ; parfois, elles leur prennent simplement leurs clients.

Autrefois, l’agent d’un acteur lui faisait signer un mandat, renouvelable annuellement. Si l’acteur changeait d’agence en cours de mandat, une partie des commissions revenait à son ancien agent. Tout cela a changé. Peut-être est-ce à cause de la concentration du secteur ?

Beaucoup de jeunes agents me demandent conseil. Je sens que la situation est compliquée pour eux dès qu’ils représentent quelqu’un de qualité. Je serais favorable au retour à une législation plus sévère concernant les agents.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est paradoxal : la déréglementation de la profession d’agent, au lieu de conduire à une multiplication des agences, a conduit à une concentration du secteur.

Un agent n’est rémunéré que si l’acteur qu’il représente joue, ce qui risque de créer des conflits d’intérêts, alors qu’il n’est pas toujours simple pour un comédien ou une comédienne de dénoncer les faits dont ils ont été victimes. Pensez-vous que les agents puissent protéger les talents qu’ils représentent, malgré leur lien de subordination économique avec les producteurs ?

M. Dominique Besnehard. À mon époque, nous étions moins au courant de ces problèmes. Désormais, on ne peut plus prétendre que l’on ne sait pas. En outre, le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) prévoit des protections.

Je connais très bien le patron de l’agence Adéquat, Laurent Grégoire, et l’une des dirigeantes d’UBBA, Cécile Felsenberg. Ils protègent beaucoup mieux les acteurs découverts dans la rue – même si je ne dis pas que je ne les protégeais pas. On sent qu’avec tout ce qui s’est passé, il faut faire attention. Quelque chose sortira de cette commission.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous connaissance de situations dans lesquelles un comédien ou une comédienne a été incité ou contraint par son agent de poursuivre le tournage d’un film après avoir été victime de violences ?

M. Dominique Besnehard. Vous voulez dire des violences de la part de l’employeur ou du metteur en scène ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Oui.

M. Dominique Besnehard. Peut-être à une autre époque ; pas maintenant, en tout cas. Les agents sont des personnes responsables. Élisabeth Tanner, que vous avez auditionnée, l’est.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comment se passe la négociation quand une même agence représente l’ensemble des acteurs d’un film – tant ceux qui jouent les rôles essentiels que ceux qui jouent les seconds rôles ? Un agent, en échange des services d’un talent, demande-t-il à la production de choisir des acteurs qu’il représente pour les seconds rôles ?

M. Dominique Besnehard. Vous avez raison sur un point : les vedettes aident à monter un film, mais c’est le metteur en scène qui décide. Je connais Laurent Grégoire, Cécile Felsenberg et Élisabeth Tanner. Je les vois mal imposer des acteurs pour des seconds rôles.

Je vous rejoins cependant sur un point : ces agences attirent tout le monde, et il y a donc de fortes chances qu’elles représentent des acteurs qui correspondent aux attentes du metteur en scène, mais c’est surtout le metteur en scène qui choisit, et le directeur de casting qui propose. Je n’imagine pas du tout Laurent Grégoire dans les discussions de marchand de tapis que vous suggérez.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Un directeur de casting est-il en contact avec plusieurs agents ?

M. Dominique Besnehard. Bien sûr. Les biopics sont à la mode. Si l’on en tourne un sur vous, le directeur de casting contactera différents agents pour les différents rôles.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je sens que vous voudriez produire ce film…

M. Dominique Besnehard. J’aimerais bien !

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). L’objectif de cette commission d’enquête est d’évaluer les dispositifs existants, qui sont parfois récents, pour formuler des préconisations.

Les formations du CNC, à l’origine destinées aux producteurs, visent désormais toute l’équipe de tournage. Quel regard portez-vous sur ces formations, que vous avez déjà dû suivre ?

M. Dominique Besnehard. J’ai participé à l’une des premières formations. Elle n’était pas encore très bien organisée. Le public était exclusivement composé d’hommes. C’était touchant : devant la formatrice qui menait les débats et égrenait tout ce qu’il ne fallait pas faire, tous ces hommes avaient peur. Les films étaient bien faits et abordaient aussi bien le montage que les fêtes de fin de tournage, mais la présentation n’était pas au point.

Désormais, tout le monde a suivi cette initiation et c’est tant mieux. Par exemple, l’équipe du Festival du film francophone d’Angoulême l’a suivie.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Avez-vous travaillé avec des coordinateurs ou des coordinatrices d’intimité ? Quel regard portez-vous sur ce rôle, qui se développe ?

Par ailleurs, en tant que producteur, avez-vous déjà reçu une alerte émise par un référent VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) ? Quel regard portez-vous sur ces procédures ?

M. Dominique Besnehard. Pour l’heure, nous en sommes seulement à la préparation du tournage du long-métrage Dix pour cent. Le dernier téléfilm que j’ai produit, avec Marie-Christine Barrault au casting, ne comportait pas de scène de nu. Ma société de production n’a donc pas encore eu affaire à des coordinateurs d’intimité. Selon les échos que j’ai eus, quand ils interviennent, les choses se passent bien. Le film 37°2 le matin ne pourrait plus être tourné sans coordinateur sur le plateau.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ai une question délicate. Dans un article publié dans Télérama à la suite d’accusations d’agression sexuelle, vous avez déclaré : « Quand je faisais du casting, j’étais certainement entreprenant. Il a pu m’arriver de mettre la main sur la cuisse d’un beau garçon et qu’il me dise non. » À l’époque, ces refus pouvaient-ils influencer vos choix ?

M. Dominique Besnehard. Je n’ai pas voulu attaquer en diffamation. Je vais tout vous dire sur cette histoire – car j’ai envie de déverser moi aussi. Télérama a défendu tous les grands cinéastes désormais condamnés. Je suis dans le métier depuis cinquante ans. J’ai senti qu’on faisait une enquête sur mon compte à Paris – j’ai beaucoup d’amis, on me téléphonait pour m’informer que ce magazine voulait trouver quelque chose, comme il l’avait fait pour d’autres. Or qu’a-t-il trouvé ? Rien.

Voici les faits. Un jour, une journaliste – qui ne travaillait pas pour Télérama m’appelle pour me demander de témoigner au motif que j’ai été directeur de casting et agent à une époque où les metteurs en scène se sentaient tout permis. Je pressens qu’elle cherche à faire du buzz. Elle m’interroge sur André Téchiné : je réponds que je le connais bien même si je n’ai jamais travaillé directement avec lui, qu’il a sa sexualité, mais que je n’ai jamais rien entendu à ce propos. Elle insiste pour me parler ; mais pour dire quoi ? Nous étions à une époque différente qu’il ne faut pas envisager avec le regard d’aujourd’hui. J’ai fait Les Nuits fauves. Le garçon que vous évoquez, je l’ai rencontré le soir de la fête de fin de tournage des Nuits fauves – une fête avec, sans doute, ses excès. La journaliste, devant mon refus de lui parler, me menace : « vous refusez ? vous allez vous en souvenir ». Et songez que nous ne parlons pas de la journaliste d’un magazine à sensation, mais d’un journal sérieux.

Après cet épisode, j’ai senti que Télérama menait l’enquête. C’est Béatrice Dalle qui m’a prévenu que des « fouille-merde » – c’est ainsi qu’elle parle – s’intéressaient à moi. Alors je les ai vus. Autant il n’est pas facile de venir parler devant vous, quand on connaît la personnalité de Mme Rousseau – car tout le monde a peur de vous, je vous le dis, vous êtes devenue Agrippine ! –, autant les échanges avec les deux personnes qui m’ont contacté ont été terribles. Elles ont eu beau chercher, elles n’ont rien trouvé.

Il y a trente ans, dites-vous, j’ai donc essayé d’embrasser un garçon et il n’a pas voulu ; c’est certainement vrai. Je ne sais même pas de qui il s’agit. Mais qu’il ose dire que le lendemain, je l’ai traité de cafard, c’est hallucinant !

Quand l’article de Télérama est sorti, mon compte Facebook – consultez donc plutôt ce réseau, madame Legrain – a été liké 2 000 fois par des personnes témoignant de mon innocence. Pas un acteur sur la place de Paris ne peut affirmer que je lui ai proposé un rôle en échange de faveurs ; jamais. Demandez donc à Vincent Lindon comment nous nous sommes rencontrés : il a un sketch extraordinaire à ce sujet.

Finalement, cette audition me permet de parler…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Permettez-moi de poursuivre, en tant qu’Agrippine…

M. Dominique Besnehard. Un personnage fascinant…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Assurément, comme bien d’autres…

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Néron par exemple…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous parlez souvent de « votre temps », de « votre époque ». Mais vous vivez aussi dans le temps d’aujourd’hui. Vous êtes même l’un des acteurs majeurs du cinéma actuel et vous avez du pouvoir.

M. Dominique Besnehard. Plus tellement…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est parce que vous avez du pouvoir que ce que vous faites est regardé avec attention. Je salue votre honnêteté de reconnaître que vous avez sans doute cherché à embrasser ce garçon lors de la fête des Nuits fauves

M. Dominique Besnehard. Et heureusement ! Si on ne drague pas à vingt ans…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le referiez-vous aujourd’hui ?

M. Dominique Besnehard. Non. Vous me faites décidément beaucoup parler ; au fond, vous êtes très forte. Qu’à l’époque un garçon se détourne d’un directeur de casting ou d’un agent qui essaie de le séduire, c’est son droit et c’est heureux ; en l’occurrence, c’était aussi dans mon intérêt, car on préfère être aimé, qu’une relation soit un échange.

Je vais vous dire à quel point les choses ont changé – et c’est tant mieux. J’ai récemment participé en tant que coproducteur au tournage d’un très beau film. J’y arrive trois jours avant la fin : un drone se trouve sur le plateau, je n’en avais jamais vu. Je le prends dans mes mains et demande à un jeune technicien de me photographier, ce qu’il fait. Trois jours après, c’est la fête de fin de tournage sur une terrasse d’Angoulême. Je reconnais le jeune technicien qui m’a pris en photo avec le drone et je lui demande, en l’attrapant sous le menton et en l’appelant « coco », s’il peut me prendre en photo avec Sabine Haudepin et Marie-Christine Barrault, que je n’avais pas revues depuis longtemps. Le lendemain, il fait un signalement. Je me dis alors que les choses ont changé. Et encore, heureusement que nous n’étions pas seuls ! Bien sûr, il aurait pu se contenter de me dire que le geste était inapproprié mais non, il a fait un signalement ; alors j’ai compris.

J’ai aussi compris que les fêtes de fin de tournage ont beaucoup changé depuis l’époque des Nuits fauves. Aujourd’hui, les garçons sont d’un côté, les filles de l’autre, et tous se retrouvent au milieu comme dans un fest-noz breton. Alors je me dis ceci : la vérité est sans doute entre les deux, entre les excès d’autrefois et la situation d’aujourd’hui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous n’avons pas tout à fait les mêmes échos des fêtes de fin de tournage : on est loin du fest-noz où les garçons et les filles se tiennent par le petit doigt. Ces fêtes sont non seulement des lieux de forte convivialité mais parfois de danger, plusieurs témoignages en attestent.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Que jugez-vous normal ou non à notre époque, celle d’aujourd’hui ? Imaginons qu’un jeune acteur ou une jeune actrice signale un directeur de casting ou un producteur qui lui aurait proposé de le rejoindre chez lui dans le cadre d’un casting : le signalement vous paraît-il excessif ou pensez-vous que ce type de comportement n’est plus acceptable dans cette profession ?

M. Dominique Besnehard. Tout à fait d’accord, ce n’est pas acceptable. À une autre époque, Claude Sautet appelait souvent les gens « coco » en leur faisant la même chose. Aujourd’hui, il ferait l’objet d’un signalement. Il faut désormais faire attention. Au reste, il y a sur tous les tournages une personne chargée de signaler les problèmes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si une femme ou un homme vous faisait part d’un comportement inapproprié sur le tournage d’un film que vous produisez, comment réagiriez-vous ?

M. Dominique Besnehard. S’il s’agissait d’un acteur, j’irais le voir pour lui dire de se calmer, que son comportement relève d’une époque révolue, ou, tout simplement, qu’il ne doit pas se conduire ainsi. On oublie souvent les agressions verbales à l’encontre des acteurs et des actrices : elles ne sont pas davantage acceptables.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous parlons de choses assez floues : les signalements peuvent porter sur une grande variété d’agissements, mais certains comportements inappropriés tombent sous le coup de la loi ou, à tout le moins, engagent la responsabilité qu’a l’employeur de prendre des mesures de précaution en vertu du code du travail. Avez-vous déjà mené des enquêtes internes ? Imaginons qu’un acteur ou une actrice vous signale une personne qui se serait montrée lourde et aurait multiplié les allusions sexuelles : iriez-vous voir l’intéressé pour lui dire de cesser les allusions en question ou pensez-vous que cette situation est légalement répréhensible et justifie l’ouverture d’une enquête interne ?

M. Dominique Besnehard. Après plusieurs allusions, voire dès la première, j’irais le voir pour lui demander de faire attention, sans quoi les choses se sauraient très vite. À mon époque, on parlait surtout de tel ou tel qui se droguait. Aujourd’hui, on parle moins de drogue mais davantage des comportements inappropriés.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). J’utilise un exemple précis à dessein. Aller voir quelqu’un pour lui dire de faire attention, ce n’est pas la même chose que considérer que des agissements sont répréhensibles. C’est tout le sens de la formation que suivent les producteurs : apprendre à partir de quand le règlement d’un problème ne peut plus se faire directement avec la personne incriminée, mais dans le cadre de procédures d’enquête interne voire, le cas échéant, par une mise à l’écart après enquête, par précaution.

M. Dominique Besnehard. Je travaille pour le groupe Mediawan et je vous assure que tout se sait – et tant mieux. Je passe régulièrement sur les tournages ; en cas de problème de ce type, le directeur ou la directrice de production nous prévient. Mais je n’y ai pas encore été confronté.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La possibilité de licencier a souvent été évoquée au fil de nos auditions, mais il existe une palette de sanctions à la suite d’un signalement – avertissement, rappel à la loi, blâme, écrit. Entre tout et rien, il y a toute une gradation. La possibilité d’adresser un avertissement, par exemple, n’a jamais été soulevée alors que le droit du travail la prévoit avant un licenciement, et c’est heureux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous préparez le tournage du film tiré de la série Dix pour cent. Les nouveaux accords qui ont été conclus imposent la tenue d’une formation obligatoire avant le tournage. En tant que coproducteur, vous engagez-vous à parler de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Votre expérience vous incite-t-elle à appliquer une politique de tolérance zéro sur vos tournages ? Ne pensez-vous pas, surtout, qu’une telle politique ne peut être que bénéfique pour la qualité du film et la vie du groupe ?

M. Dominique Besnehard. Nous n’en sommes encore qu’au stade final de l’écriture du scénario. Souvenez-vous d’un épisode de Dix pour cent avec Juliette Binoche, alors qu’on ne parlait même pas encore de MeToo. Je rappelle aussi que l’héroïne est lesbienne. Cette série est très en avance !

Je m’exprime toujours avec sincérité et transparence. Oui, j’ai eu des désaccords avec la scénariste, Fanny Herrero, qui me reprochait d’être de l’ancien monde – c’était avant même l’article de Télérama. Arrête, me disait-elle, les choses ont changé. C’est en grande partie à elle qu’on doit le côté provocateur de la série, sa capacité à bousculer les tabous ; de mon côté, je cédais plutôt à la nostalgie d’un certain cinéma. C’est l’une des raisons qui expliquent que la série fait le tour du monde et est adaptée un peu partout – preuve qu’elle parle de quelque chose dont on n’avait pas encore parlé.

Dans mon enfance, il existait aussi une série courageuse, Les Saintes Chéries, avec Micheline Presle : elle racontait l’histoire d’une femme qui avait décidé de prendre sa vie en main. C’était sans doute la première série féministe et elle aussi a fait le tour du monde.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous propose de conclure cette audition par ce message : MeToo est un mouvement social de grande ampleur. En France, une femme est violée toutes les sept minutes. Les victimes que nous avons reçues, majoritairement des femmes mais aussi des hommes, ont toutes relaté des agressions multiples et régulières, et non uniques ou accidentelles. Dans cette commission, il s’agit non pas de faire la morale, contrairement à ce que vous affirmiez, mais d’établir comment faire respecter le droit et le corps des personnes. C’est essentiel : le cinéma s’est privé de nombreux talents à cause de telles violences. Nombreuses sont les victimes qui ont subi des agissements qu’elles n’auraient pas dû subir. Une certaine complaisance s’est perpétuée, que Judith Godrèche a révélée en dénonçant le fait que personne n’a jugé anormal ce qu’elle a subi à l’adolescence. Ses propos sont utiles et font avancer les choses. Puisque vous dites sans cesse appartenir à l’ancien temps, je conclurai ainsi : soyez également du temps présent, monsieur Besnehard, parce que nous avons aussi besoin de vous.

 

La séance s’achève à dix-sept heures quinze. 


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Erwan Balanant, Mme Sarah Legrain, Mme Sandrine Rousseau