Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des directeurs de casting :2
- M. David Baranes
- M. Gérard Moulevrier
- M. Nicolas Ronchi
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi, Mme Bénédicte Lenne-Menault, M. Nicolas de Cerner, et M. Grégoire François-Dainville, membres du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS 18
– Présences en réunion....................................30
Lundi
17 mars 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 47
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, présidente de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures.
La commission auditionne des directeurs de casting : M. David Baranes, M. Gérard Moulevrier, et M. Nicolas Ronchi.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Après avoir reçu les organisations professionnelles des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel il y a quelques mois, nous avons souhaité entendre directement des personnes chargées de la distribution artistique des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, en l’occurrence trois directeurs de casting : M. David Baranes, M. Gérard Moulévrier et M. Nicolas Ronchi.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. David Baranes, Gérard Moulévrier et Nicolas Ronchi prêtent successivement serment.)
M. Gérard Moulévrier, directeur de casting. Le directeur de casting a pour fonction de trouver les acteurs en fonction des scénarios. Nous sommes très souvent convoqués par le metteur en scène et le producteur. Après avoir lu le scénario, nous commençons à donner des idées.
M. David Baranes, directeur de casting. Nous sommes le lien entre les productions, les réalisateurs et les comédiens. Nous essayons de trouver les meilleurs comédiens possible pour incarner les personnages, selon les désirs du réalisateur et de la production. Nous sommes, en quelque sorte, des DRH spécialisés dans le milieu des comédiens.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre métier présente ceci de particulier que vous auditionnez de futurs acteurs d’un film à un stade où ces personnes ne sont encore unies par aucun rapport contractuel. Comment gérez-vous cela ? Quelles relations contractuelles entretenez-vous avec la production ? Êtes-vous payés en fonction de la réussite du casting ? La signature du contrat en dépend-elle ?
M. Nicolas Ronchi. Nous ne signons pas toujours le contrat immédiatement ; il y a bien souvent un temps de flottement. Aujourd’hui, cela s’est un peu arrangé : certaines entreprises nous font systématiquement signer un contrat au préalable. C’est assez récent car, il y a encore quelques années, on pouvait se faire dégager, faute de contrat : c’est arrivé, je pense, à chacun de nous. Notre engagement n’est pas forcément contractualisé dès le moment où nous sommes engagés mais il y a maintenant des écrits, notamment des mails, concernant les appels que nous passons aux agents pour voir des acteurs, etc. Le travail commence à ce moment-là.
M. David Baranes. Je suis plus jeune dans le métier que mes confrères mais, pour chaque casting sur lequel j’ai été engagé, j’ai toujours eu un contrat de travail et une déclaration officielle de la production avant de commencer à caster. Tant que je n’ai pas de contrat de travail, je ne commence pas.
M. Gérard Moulévrier. Je suis le plus âgé de nous trois et travaille depuis plus de quarante ans. Il y a toujours eu des moments où, connaissant le producteur, je lui faisais confiance, et le contrat arrivait quelque temps après. Je commençais à travailler même si je n’avais pas le contrat. Maintenant, comme les films sont plus difficiles à monter, on nous demande de trouver les acteurs principaux pour lancer la machine du film, puis le contrat arrive.
M. Erwan Balanant, rapporteur. À un stade où ils n’ont pas encore signé de contrat de travail, les comédiens et les comédiennes sont en situation de fragilité face aux exigences du réalisateur ou de la production. Comment gérez-vous ce moment, qui s’apparente à un entretien d’embauche – au sujet duquel la jurisprudence est assez précise ? Que se passe-t-il en cas d’incident de casting ? Pouvez-vous nous décrire de tels incidents ?
M. David Baranes. Un comédien passe des entretiens d’embauche comme tout chercheur d’emploi. Lorsque quelqu’un passe ce type d’entretiens, quel soit le domaine concerné, il ne signe pas de contrat au préalable avec la personne qui les lui fait passer. Il en est de même pour le comédien qui passe un casting.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Êtes-vous DRH ou chasseur de têtes ?
M. David Baranes. Ni l’un, ni l’autre, nous sommes plutôt des DRH spécialisés dans les comédiens.
M. Gérard Moulévrier. Lorsqu’on prépare un casting, on donne des noms à la production, surtout lorsqu’il faut trouver des acteurs connus pour monter le film. On envoie le scénario à l’acteur ou à l’actrice, qui peut dire oui ou non après l’avoir lu. Notre travail continue tant que nous n’avons pas l’actrice, l’acteur ou le couple qui va permettre de monter le film. Cela se passe surtout comme cela. Parfois, cela va très vite, dans d’autres cas, c’est un peu plus long. Il arrive qu’à un certain moment, un acteur ou une actrice n’ait pas envie de jouer un rôle donné, ou que cela ne corresponde pas à ce qu’il a envie de faire dans sa carrière. Nous sommes là en attendant que le film démarre et nous pouvons ensuite continuer à procéder au casting pour les autres rôles.
M. Nicolas Ronchi. En posant cette question, vous souhaitez savoir si, dans notre métier en particulier, quelque chose manque à cette étape ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Pendant très longtemps, les producteurs connaissaient mal leurs responsabilités, telles que définies par le code du travail mais, heureusement, cela change. Le casting se caractérise par un rapport de pouvoir entre le comédien, qui est demandeur et se trouve en situation de fragilité, et une personne en position de décider. L’agent devrait, selon nous, jouer un rôle protecteur à ce moment-là. Comment gérez-vous cette situation ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous avez la possibilité de choisir des comédiens et des comédiennes et de les présenter lors d’un casting ; vous pouvez pousser ou non une candidature. En ce sens, vous disposez d’un pouvoir considérable. Comment envisagez-vous ce pouvoir, la différence de position sociale entre une personne en situation de précarité et vous ?
M. Nicolas Ronchi. Je ne vois pas tellement la différence entre ces situations et les entretiens d’embauche. Lorsqu’on rencontre un DRH en vue d’une embauche, il y a aussi, nécessairement, une relation de pouvoir. C’est la rencontre de l’offre et de la demande.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui, mais vous êtes le DRH de tous les films.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Le DRH travaille dans une entreprise, au sein de laquelle il est en position de subordination. Pour votre part, vous travaillez au sein de structures indépendantes, ce qui change quelque peu les choses juridiquement. La plupart du temps, l’entretien d’embauche se déroule dans le cadre rassurant de l’entreprise alors que, parfois, le comédien ne sait pas très bien où il est – même si les castings ont généralement lieu dans vos bureaux ou ceux de la production. Je précise que mon propos n’est pas à charge.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous interrogeons votre conscience du pouvoir que vous détenez.
M. Nicolas Ronchi. Ce sont des questions que l’on ne se pose en principe jamais. On ne commence pas un casting en se demandant si on a du pouvoir ou pas. Nous sommes des conseillers. Les responsables du choix, qui l’assument juridiquement et artistiquement, sont le metteur en scène et le producteur. Nous restons des conseillers spécialistes.
M. Gérard Moulévrier. Nous essayons d’être les plus justes possible par notre connaissance des acteurs, de ce que nous avons vu d’eux au théâtre ou dans des courts-métrages. Nous présentons les gens qui sont les plus proches de ce que cherchent le metteur en scène et le producteur. Nous ne faisons pas défiler les acteurs juste pour les voir. Nous exerçons un choix préalable selon nos critères, en fonction du rôle.
M. David Baranes. Lorsque nous travaillons sur un casting, nous le faisons au sein d’une entreprise de production, mais nous travaillons pour plusieurs entreprises. Chaque film correspond à une entreprise. Les castings ont systématiquement lieu dans les bureaux de l’entreprise.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Assistez-vous aux castings ?
M. Gérard Moulévrier. Oui, évidemment, nous sommes obligés d’y assister. En général, nous présentons l’actrice ou l’acteur au metteur en scène et au producteur, dans des bureaux de production, et nous sommes présents pendant le casting. Des metteurs en scène souhaitent parfois qu’un acteur donne la réplique à un autre acteur : il arrive alors qu’on se retire pour les laisser faire leur travail tous les trois ensemble. Toutefois, c’est notre métier d’assister aux castings.
M. Nicolas Ronchi. Depuis le covid, les premiers tours de casting peuvent se passer à distance – ce à quoi je suis souvent confronté. Cela présente des inconvénients car, si certains acteurs savent se plier à l’exercice, d’autres n’y arrivent pas du tout et ne parviennent pas nécessairement à exprimer tout le talent dont ils savent faire preuve sur un plateau. Ils peuvent aussi tourner et nous envoyer des vidéos, à partir desquelles nous procédons à une sélection.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous déjà assisté à des castings dans des chambres d’hôtel ?
M. Nicolas Ronchi. Oui, lorsque j’étais assistant, il y a très longtemps. En général, c’est le fait d’entreprises étrangères qui n’ont pas nécessairement une production exécutive à Paris et qui louent une suite d’hôtel. En ce cas, la chambre proprement dite, avec le lit, n’est pas utilisée. J’ai fait un casting à Séoul avec Tonie Marshall pour trouver deux acteurs coréens : nous recevions les acteurs dans une suite du Hilton, car c’était pratique. Vous allez me dire qu’aujourd’hui, quand on dit ça…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous assisté à des castings sauvages ?
M. Nicolas Ronchi. Oui, j’en ai même fait.
M. Gérard Moulévrier. Je n’en ai jamais fait ; je n’aime pas ça. J’ai fait un peu de casting d’enfants, en 1989, pour La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. Nous voulions des jeunes gens ayant l’accent du Midi pour jouer Marcel Pagnol, son frère et leurs copains. Nous avions loué des bureaux à Marseille ; nous faisions passer les castings avec les parents. J’avais deux assistants : l’un filmait, l’autre me donnait la réplique. Ce n’était pas vraiment un casting sauvage car nous avions passé des annonces dans les journaux locaux. Nous avons reçu plus de 500 photos : tout le monde se prenait pour Marcel Pagnol. Nous avons vu une centaine d’enfants.
M. David Baranes. Je n’ai jamais fait de casting sauvage. Des directeurs de casting sont spécialisés dans ce domaine. Lorsqu’il y a un casting sauvage à organiser, on ne fera pas appel à moi car je n’en ai jamais fait et je n’en ai pas les compétences. C’est une vraie spécialisation.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il y a des spécialistes du casting sauvage ?
M. David Baranes. Certains réalisateurs, comme Abdellatif Kechiche ou Bruno Dumont, n’emploient quasiment que des comédiens amateurs. Ils ne vont pas faire appel à des gens comme moi, mais à des directeurs de casting qui font du casting sauvage : ce n’est pas tout à fait le même métier.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Ronchi, vous en avez fait ?
M. Nicolas Ronchi. Oui, d’une façon particulière. Il m’est arrivé d’en faire pour certains films. Comme l’a dit M. Baranes, il y a des spécialités. J’ai plutôt commencé par le théâtre, le jeu, etc. Si, lorsque vous commencez le métier, vous faites du casting sauvage et qu’ensuite le film marche, tout le monde va vous appeler pour réaliser ce type de casting. C’est aussi comme cela que les carrières se font.
J’ai proposé de faire un casting sauvage pour un film anglo-saxon de Régis Wargnier dans lequel les deux principaux interprètes devaient être des Pygmées. Il n’était pas évident de les trouver par le biais d’agences à Paris. Je suis donc parti en Afrique pendant cinq mois faire du casting sauvage. C’est l’histoire la plus incroyable que j’aie connue en matière de casting. Je suis arrivé dans des lieux que je ne connaissais pas ; j’ai crapahuté dans les rues avec un assistant : tout le monde se demandait ce que nous faisions là. J’expliquais que c’était pour un film mais, à cette époque, dans la plupart des endroits, il n’y avait pas de salle de cinéma. C’était une aventure. In fine, nous avons trouvé deux personnes : l’actrice venait du Cameroun et l’acteur du Congo-Kinshasa. Ils étaient merveilleux ; ils jouaient entourés d’acteurs professionnels anglais. Dans le cinéma, on mélange souvent les acteurs professionnels et amateurs.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’en viens aux relations entre directeurs de casting et agents. À vous écouter, il semble que la différence ne soit pas si grande entre les deux métiers. Visiblement, vous connaissez très bien acteurs et actrices, qui ne sont d’ailleurs pas si nombreux. Quels liens entretenez-vous avec les agents ?
M. Gérard Moulévrier. Nous sommes un peu complémentaires. Lorsqu’on commence un casting, surtout quand on cherche quelqu’un d’un peu connu, on est obligé d’appeler les agents pour savoir si l’acteur ou l’actrice voudra lire le scénario, sera libre au moment du tournage. Très souvent, lorsqu’on envoie le scénario à un agent, il nous conseille de contacter tel ou tel acteur pour incarner l’un des autres rôles. Il existe une véritable communication entre nous. Nos rapports se passent plutôt bien.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les acteurs que l’agent vous suggère de contacter font généralement partie de son portefeuille. Ne jugez-vous pas ce procédé un peu délicat du point de vue de la concurrence ? L’agent vous « donne » tel acteur, demandé par la production, en tête d’affiche mais, en contrepartie, vous devez prendre, dans son portefeuille, tel et tel autre pour que ce soit gagnant-gagnant…
M. Gérard Moulévrier. On peut recevoir des propositions mais on ne les accepte pas forcément. Ce n’est pas « si tu me donnes Untel, je prendrai tel ou tel acteur chez toi ». Ce n’est pas du tout comme cela que ça se passe. Il est arrivé que je ne pense pas à tel acteur ou telle actrice pour un rôle secondaire, et la proposition que l’on m’a faite a marché. Mais cela ne fonctionne pas à tous les coups, ce n’est pas donnant-donnant.
M. Nicolas Ronchi. J’ai préparé une réponse écrite, car le rapport de confiance que l’on peut avoir avec les agents est très important. J’entretiens avec eux des relations professionnelles, parfois amicales et, la plupart du temps, de confiance. Nos clients sont les productions, tandis que les agents sont liés aux acteurs. La personne la plus proche de l’acteur n’est pas le directeur de casting mais l’agent. Nous sommes conseillers du metteur en scène ; l’agent est plutôt le conseiller de l’acteur.
Le dialogue doit être le plus franc et le plus sincère possible. L’agent sait souvent mieux que nous comment dire à l’un de ses acteurs où le bât a blessé lors des essais, par exemple. Il nous demande souvent comment ça s’est passé ou pourquoi ça n’a pas marché, ce qui est souvent difficile à expliquer. Le casting, ce n’est pas le permis de conduire : on n’apprécie pas seulement le talent, mais, plus généralement, un ensemble de choses qui nous disent qu’il est le personnage ou qu’il ne l’est pas. Même les erreurs d’un acteur peuvent être touchantes et contribuer à ce qu’il soit choisi : cela va au-delà de la seule logique. C’est une appréciation, une sensation, un feeling.
Pour ce qui est des violences, les agents sont dans une position particulière, entre la dénonciation et le « pas de vagues ». Certains d’entre eux ont été confrontés à cette question. Aucun n’a envie de mettre en cause à tort un directeur de casting – ou, a fortiori, un producteur – ou de se fâcher avec eux.
Je souhaiterais qu’en cas de suspicion ou de doute sur quoi que ce soit après une séance d’essai, on organise, au minimum, un rendez-vous entre acteurs, actrices, agents, directeur de casting et même producteurs et productrices ou réalisateurs et réalisatrices. Cela se fait peut-être déjà mais, personnellement, je ne l’ai jamais vu. Cela permettrait d’éviter des malentendus, de clarifier une situation, une action ou des propos puis de décider si cela mérite d’être tranché par la justice ou non.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons reçu énormément de témoignages sur la manière dont se déroulaient les castings et les problèmes qui y survenaient. Nous avons identifié les castings comme des moments particulièrement propices à l’apparition de violences physiques et sexuelles. De nombreux témoignages nous ont été adressés à ce sujet, par exemple concernant des demandes de nu alors que le rôle ne le nécessitait pas, des castings d’enfants comprenant des scènes sexualisées que le scénario ne justifiait pas, voire le fait que les directeurs de casting encourageaient les candidats et les candidates à adopter des attitudes limites pour elles et eux. Qu’avez-vous à nous dire à ce sujet ? Plus généralement, comment voyez-vous le mouvement MeToo dans le cinéma ?
M. David Baranes. Selon moi, il ne peut pas y avoir de nudité pendant un casting. Une sorte de règle morale veut qu’un comédien ou une comédienne qui passe un casting ne passe pas d’essai nu et ne soit pas amené à se dénuder. Pour moi, c’est totalement interdit ; ça ne se fait pas.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons reçu de très nombreux témoignages décrivant une réalité inverse.
M. David Baranes. C’est moralement répréhensible.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous, en tant que directeur de casting, vous ne faites jamais passer d’essai nu ?
M. David Baranes. Jamais, jamais. Lorsque j’interviens dans des stages ou au sein d’écoles, je le dis aux élèves : si un directeur de casting vous demande de vous déshabiller pour telle ou telle raison ou d’embrasser un autre comédien, vous ne devez pas le faire, ou alors il faut qu’il y ait un cadre précis et que l’agent soit présent aux côtés du réalisateur. Je me dis d’ailleurs qu’il serait bon de faire un peu de prévention sur ce point comme on en fait à l'école sur d'autres sujets.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous prévenez les comédiens et les comédiennes ?
M. David Baranes. Je suis professeur de théâtre dans plusieurs écoles et je le dis aux élèves.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous ne prévenez pas les acteurs au moment du casting ?
M. David Baranes. Cela ne m’est jamais arrivé qu’on me demande une scène de nu pendant un casting.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je ne parle pas forcément de nudité totale, cela peut être une partie du corps seulement.
M. David Baranes. Bien sûr, cela peut être le haut, le bas. Je parle de toutes les situations.
M. Nicolas Ronchi. Un jour on m’a demandé de trouver des comédiennes pour incarner des rôles d’actrices X ou de stripteaseuses. Bien évidemment, il ne s’agissait pas de faire des essais X puisque le film n'était pas du tout un film X. Là, à mon avis, ce qui compte, ce n’est pas que ce soit interdit ou pas, c’est qu’il y ait consentement ou pas. J’ai indiqué noir sur blanc dans un mail envoyé à mon assistante et aux agents que nous avions besoin de personnes pour jouer des stripteaseuses. Le but n'était pas de les montrer en train de s'effeuiller comme dans un spectacle érotique mais il était bien évident qu’elles seraient amenées à être filmées en dessous ou en train de se changer. Quand il y a une situation délicate comme celle-ci, il faut surtout en parler aux agents et voir avec les concernés, c'est-à-dire les acteurs et les actrices, s’ils sont à l’aise ou pas avec ça.
Le film en question, nous l’avons préparé six mois avant l’affaire Weinstein et je ne pense pas que l’année d’après, on ne l’aurait pas fait du tout, tant c’était particulier. Une équipe de Canal+ est même venue parce qu’elle savait qu'il y avait ce genre de casting. Quand ils ont filmé les photos étalées sur la table, je leur ai demandé de les flouter, sans quoi elles ne seraient pas diffusées. On ne se rend pas forcément compte de cette fragilité mais c’est vrai que nous sommes là pour faire attention.
M. Gérard Moulévrier. Je n’ai jamais eu de demandes en ce sens et tant mieux, parce que j’aurais été aussi mal à l’aise que les acteurs. Le fait d’envoyer le scénario aux agents et aux acteurs avant de faire les essais pour voir ce que comporte le film a son importance. Si une telle scène est prévue, il est évident que plein de gens vont refuser. Très peu d’acteurs ont envie de se dénuder sauf si, vraiment, c’est une scène très sérieuse, dans un film sérieux.
M. David Baranes. Je rejoins ce qu’a dit Nicolas Ronchi. Pour être totalement honnête, il m’est arrivé de faire un casting pour des personnages de danseurs devant apparaître torse nu dans une scène du film, justifiée dans le scénario. En pareil cas, le réalisateur a besoin de s’assurer que les comédiens ont des physiques de danseurs mais cela ne veut pas dire qu’ils auront forcément à se montrer torse nu pendant le casting. On prévient les agents par écrit et les comédiens ont tout à fait le droit de refuser. Nous faisons les choses bien en amont, et par écrit, car nous voulons éviter de prendre les gens par surprise.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Feriez-vous appel à un coordinateur d’intimité si un réalisateur souhaitait, au stade du casting, faire des essais autour d’une scène de baiser ou d’une scène un peu dénudée, avec une actrice et un acteur ayant donné leur accord ?
M. David Baranes. S’il doit y avoir des essais de cet ordre-là, ce serait très bien que la production impose un coordinateur d’intimité durant les castings. Si nous devons évoluer, ce serait une bonne chose. Je pense que Nicolas et Gérard seront d’accord avec moi.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. On nous a aussi parlé de la possibilité de de filmer l’intégralité des castings avec une caméra grand-angle, qu’en pensez-vous ?
M. Nicolas Ronchi. Je n’en ai jamais entendu parler.
M. Gérard Moulévrier. Moi non plus.
M. David Baranes. Le casting peut être considéré comme un moment d’intimité entre le comédien et le directeur de casting accompagné de son assistante. S’il doit y avoir des scènes un peu touchy, qu’une caméra grand-angle filme pour éviter tout abus serait une très bonne idée.
M. Nicolas Ronchi. Vous nous demandez, madame la présidente, si généraliser les caméras grand-angle pour filmer les essais serait une bonne idée ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui.
M. Nicolas Ronchi. Personne n’a à être gêné par une telle procédure, dès lors que le directeur de casting travaille pour une société de production, que l’acteur a consenti à faire l’essai et que son agent est prévenu.
Si nous estimons que la présence d’un coordinateur d’intimité est nécessaire, nous pouvons toujours en faire la demande auprès des équipes de la production qui ne sont pas toujours conscientes des besoins. Il en va de même pour la diversité : quelquefois, c’est nous qui insistons pour que le rôle soit donné plutôt à une femme ou inversement, ou à une personne racisée. Nous ne donnons pas seulement des conseils sur les acteurs à choisir, nous sommes aussi force de proposition.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) accorde des bonus pour encourager la parité et la diversité. Utilisez-vous votre rôle de conseil pour inciter la production à aller vers une plus grande diversité ? Que faites-vous, par exemple, s’il y a une surreprésentation de mâles blancs de plus de 60 ans ?
M. Gérard Moulévrier. Il m’est arrivé très souvent de le faire. Je citerai l’exemple d’un film franco-américain où sur un total de quarante-cinq rôles, trente-cinq à quarante étaient attribués à des hommes. J’ai dit au producteur que tel rôle ou tel rôle – d’avocat, de médecin, par exemple – pourrait être tenu par une femme et on a réussi à avoir un film plus équilibré, même si on n’a pas atteint la parité. Le producteur était d’accord, le metteur en scène aussi, et ça s’est très bien passé. On ne peut pas le faire à chaque fois car tout le monde n’accepte pas. C’est la même chose pour les gens de couleur. Pourquoi serait-ce différent de la vie de tous les jours ?
M. David Baranes. J’ai l’impression que cette question s’adresse plus aux auteurs, aux réalisateurs et aux producteurs qu’aux directeurs de casting. On nous demande de trouver des types de personnes …
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous minimisez votre pouvoir, monsieur Baranes. Vous avez quand même une influence dans ce métier.
M. David Baranes. Je ne dis pas le contraire.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous pouvez orienter et prescrire.
M. David Baranes. Oui, on peut.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Moulévrier, vous avez dit avoir eu un rôle prescripteur. Pour la production, cela peut être intéressant d’avoir des directeurs de casting qui soient dans cette dynamique puisque le CNC distribue des bonus au titre de la parité. Vous pouvez, par exemple, faire en sorte que le rôle de commissaire de police soit tenu par une femme noire puisque dans toute la France il y a des femmes noires commissaires de police.
M. David Baranes. Nous pouvons en effet avoir un rôle prescripteur. J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de diversité dans nos castings.
M. Nicolas Ronchi. Je pense que cette question est presque devenue obsolète. Il y a quinze ans, j’ai travaillé pour le casting d’une série d’Arte qui s’intitulait Vénus et Apollon. Parmi les rôles importants, il y avait une transsexuelle – la série était en avance, il y avait même une histoire d’homoparentalité. On ne s’est pas interdit de faire passer des essais à des hommes, des femmes et des transsexuelles. Il se trouve que c’est une actrice transsexuelle qui a obtenu le rôle mais il aurait pu en être autrement : dans le film de Guillaume Nicloux, La Reine des connes, c’est un acteur homme qui incarne une transsexuelle. Nous ne partons pas avec des idées déjà fixées dès le départ. J’ai toujours trouvé intéressant de se poser la question de la couleur et du sexe. Il y a vingt ans, quand on mettait en avant une femme ou un homme racisé pour tel rôle, on nous disait : mais en quoi est-ce signifiant ? Je répondais toujours : mais de quoi cela doit être signifiant ? Pourquoi cela devrait être particulièrement signifiant alors que ça existe dans la société ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Là encore, les témoignages que nous avons entendus au cours des travaux de notre commission mettent en évidence un tout autre monde.
M. Erwan Balanant, rapporteur. S’il y a, par exemple, un rôle d’avocat, pourriez-vous mettre en avant une actrice pour l’incarner ? Pensez-vous que vous seriez écoutés par le producteur, le réalisateur ou le scénariste ?
M. Gérard Moulévrier. Tout dépend de l’histoire. Je me souviens d’un film où on a proposé que le rôle principal, de médecin, soit tenu par une femme mais par rapport aux enfants, aux petits-enfants et à la famille du personnage, ce n’était pas possible. Bien évidemment, quand on peut, on essaie. Je suis le premier à vouloir le faire.
M. Nicolas Ronchi. On peut toujours le faire mais pas de manière systématique. Parfois, c’est le talent d’une personne qui fait que sa couleur ou son sexe s’impose. Il arrive que, tout d’un coup, on pense à un talent et qu’on se dise qu’on peut essayer de le proposer car certains producteurs ou certains metteurs en scène, plus créatifs que d’autres, aiment prendre en compte la manière dont on a lu leur scénario et remettre en question les idées qu’ils ont eues et la façon dont ils se sont raconté l’histoire. Tout dépend de nos clients : certains sont un peu raides, d’autres sont ouverts aux propositions qu’on leur soumet.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’imagine que vous avez plus d’affinités avec certaines actrices et certains acteurs et que vous avez la capacité de les présenter plus souvent que d’autres à des castings. Y a-t-il des acteurs et actrices que vous ne présentez pas ou que vous présentez moins ? Y en a-t-il que vous avez délibérément blacklistés ?
M. Nicolas Ronchi. Au tout début, il m’est arrivé, quand je proposais une actrice, qu’on me réponde : « non, pas elle, c’est une chieuse ». Avec naïveté, je répondais en disant : « mais, regardez, dans tel ou tel film, elle était excellente… » Et ça passait comme ça.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous venez bien de dire qu’on vous répondait : « elle, c’est une chieuse, on n’en veut pas ».
M. Nicolas Ronchi. Oui, on a pu me le dire. Ce sont bien sûr des conversations d’arrière-cuisine. Il arrive aussi qu’un producteur ou un metteur en scène vous dise quelque chose sur la réputation d’un tel ou d’une telle et puis vous, directeur de casting, vous êtes là pour leur répondre que vous l’avez vue au théâtre il y a trois jours et qu’elle était formidable.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous est-il déjà arrivé d’entendre dire d’hommes qu’ils étaient des chieurs ?
M. Nicolas Ronchi. Oui, bien sûr.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous les présentiez quand même ?
M. Nicolas Ronchi. Oui, il y a plus de vingt ans, j’ai présenté une actrice alors que la metteure en scène ne voulait pas d’elle parce qu’elle trouvait que c’était une chieuse. Elle a tout de même fait le film et a même été nommée aux Césars. Il arrive souvent que le talent d’une actrice ou d’un acteur fasse qu’il ou elle soit pris quand même.
M. David Baranes. Madame la présidente, le terme « blacklister » que vous avez employé me choque. Il n’y a pas de comédiens ou de comédiennes qu’on blackliste en tant que directeurs de casting. Je trouve ce mot un peu dur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. D’où ma question.
M. David Baranes. Je ne blackliste personne et je ne vois pas pour quelles raisons on le ferait. Après, si un réalisateur ou un producteur ne désire pas travailler avec Untel ou Unetelle...
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui, mais si un producteur vous dit non et que le suivant ne dit rien, vous allez quand même présenter la personne ?
M. David Baranes. Si mon employeur, le producteur ou le réalisateur, me dit qu’il n’a pas envie de travailler avec un comédien, je ne vais pas le faire venir au casting. Il n’est pas blacklisté pour autant.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. De vous-même, vous ne blacklistez personne ?
M. David Baranes. De moi-même, je ne blackliste personne.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Moulévrier ?
M. Gérard Moulévrier. De moi-même, je ne blackliste personne.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Ronchi ?
M. Nicolas Ronchi. Je me suis même amusé à « vendre » à des producteurs ou des metteurs en scène des gens qu’eux-mêmes blacklistaient. J’ai déjà envoyé des vidéos à un réalisateur avec une comédienne dont il ne voulait pas parce que j’étais persuadé qu’elle convenait pour le rôle. Mais il faut que je sois vraiment sûr de moi parce que sinon, je risque ma place – et j’ai souvent risqué ma place. Moi, je ne travaille pas pour un metteur en scène ou pour un réalisateur, je travaille pour un film. Quand on me demande de justifier ou d’expliquer mes choix, je mets toujours en avant le film et le scénario.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Donc, vous pourriez nous dire que vous n’avez jamais blacklisté un acteur ou une actrice ?
M. Nicolas Ronchi. Je le jure !
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous arrive-t-il souvent d’avoir des conflits avec un réalisateur qui ne veut pas d’une personne alors que vous considérez qu’elle convient parfaitement pour son film ?
M. Gérard Moulévrier. Il m’est arrivé de présenter un acteur à un metteur en scène qui n’était pas très chaud pour le prendre. Il ne l’avait jamais vu jouer alors que moi, je l’avais trouvé formidable au théâtre. Je lui ai dit : « Voyez-le, je vous assure que ça vaut le coup. » On a fait une lecture, il l’a trouvé pas mal, il l’a pris et cet acteur a eu le César. En appuyant un peu, on peut présenter des gens qu’on trouve formidables et qui le méritent.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Un casting ne se réduit pas à une scène que le candidat joue dans une salle en étant filmé, comme on l’imagine. Cela peut être un processus plus long, comportant plusieurs essais et des mises en situation. Quand les scènes sont filmées, à qui appartiennent les rushes de cette captation ?
M. Nicolas Ronchi. À la production.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est arrivé que des rushes soient utilisés. J’imagine qu’en ce cas, il faut l’autorisation de la personne filmée.
M. David Baranes. Ces rushes appartiennent uniquement à la production. Nous n’avons pas le droit de diffuser des séquences d’essai à titre privé.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si, pour un film, vous avez présenté un comédien dont le comportement peut poser problème pendant le tournage, que faites-vous pour les autres rôles ?
M. Nicolas Ronchi. Tout dépend si le metteur en scène ou le producteur est au courant ou pas, mais je préviens. On en revient au fait de blacklister. Il y a des acteurs, par exemple, que je n’aime pas du tout dans la vie, mais que j’ai présentés pour un rôle et qui l’ont eu parce que, pour moi, ils étaient le personnage. Ce n’est pas vraiment du copinage, même si effectivement, il y a des gens auxquels on trouve plus de talent que d’autres et qu’on va revoir, ce qui est naturel.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous prévenez, dites-vous, mais qui, quand et comment ? Prévenez-vous le réalisateur, le producteur, les autres candidats du casting, notamment les femmes ?
M. Nicolas Ronchi. Ma responsabilité, c’est de prévenir les personnes qui vont se retrouver sur le tournage avec l’individu. Bien souvent, les metteurs en scène et les producteurs sont au courant. Après, c’est au metteur en scène et au producteur, et plus au directeur de casting, de prendre des dispositions puisque ça se passe sur le tournage. S’il y a une actrice ou un acteur au comportement, comment dirais-je, aléatoire…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Inapproprié ?
M. Nicolas Ronchi. Inapproprié, si vous voulez.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mettons que vous fassiez passer un casting à Gérard Depardieu…
M. Nicolas Ronchi. Ça fait très longtemps qu’il n’en passe plus…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mettons alors qu’il soit l’acteur principal, est-ce que vous prévenez les actrices qui vont tourner avec lui ? Ou bien considérez-vous que ce n’est pas votre affaire ?
M. Nicolas Ronchi. Je pense que s’il s’agit de Depardieu, personne n’a plus besoin de dire quoi que ce soit.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui, mais avant ?
M. Nicolas Ronchi. C’est vous qui avez choisi cet exemple.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’aimerais citer d’autres noms – ce n’est pas l’envie qui m’en manque – mais c’est impossible. Cela vous est-il déjà arrivé ?
M. Nicolas Ronchi. Qu’un acteur se comporte mal pendant un casting ou qu’on doive anticiper son comportement sur le tournage ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les deux. Si un acteur se comporte mal pendant le casting ou si vous pensez qu’il y a un risque qu’il se comporte mal pendant le tournage, que faites-vous avec le reste du casting ? Considérez-vous que vous avez une responsabilité en ce domaine ou bien estimez-vous que seuls les producteurs et les réalisateurs sont concernés ? J’aimerais connaître l’état de vos réflexions à ce sujet.
M. Gérard Moulévrier. Je pense qu’il est de notre devoir de prévenir la production si nous savons qu’il y a des problèmes avec tel ou tel acteur afin qu’elle avertisse les autres. Après, les gens font ce qu’ils veulent : ils tournent ou ils ne tournent pas avec la personne. Mais nous nous devons de leur dire de faire attention si, par exemple, il y a déjà eu des problèmes sur un film avec cet acteur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cela vous est déjà arrivé ?
M. Gérard Moulévrier. Non, pas vraiment mais j’ai entendu des choses, bien sûr.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a des actrices ou des acteurs qui se détestent cordialement. Quand ils ou elles sont amenés à jouer dans le même film, comment gérez-vous cette situation, susceptible de créer des tensions sur l’ensemble du plateau et de polluer l’atmosphère de travail ? Avez-vous déjà été confrontés à de tels cas ? Prenez-vous en compte ces inimitiés quand vous constituez votre casting ?
M. Nicolas Ronchi. C’est surtout aux producteurs et aux réalisateurs d’assumer la responsabilité d’un tel choix car ce sont eux qui seront confrontés à eux pendant deux mois. Si les acteurs ont déjà donné leur accord tous les deux, c’est qu’ils ont accepté de tourner ensemble. Le fait qu’ils se détestent est même susceptible d’apporter quelque chose au film s’ils incarnent des personnages qui ne peuvent pas s’encadrer. Il y a des metteurs en scène qui font en sorte que les acteurs ne se rencontrent pas avant le tournage pour ménager un effet de surprise. Si les acteurs doivent, au contraire, développer une complicité, on les présentera l’un à l’autre assez tôt dans le processus de préparation pour qu’ils apprennent à se connaître. Chacun essaie avec du bon sens d’aller dans l’intérêt du film.
M. David Baranes. Nos castings concernent une multitude de comédiens et nous ne sommes pas forcément au courant des inimitiés qu’il y a entre eux. Nous ne pouvons pas toujours savoir que deux comédiens ne s’aiment pas, voire se détestent.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les agents peuvent vous le dire.
M. David Baranes. Si c’est le cas, on en informe la production.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je reviens sur mes questions. Si vous savez qu’un acteur ou une actrice – mais le plus souvent ce sont des acteurs – a un comportement problématique, le proposez-vous dans le casting ou pas ?
M. Gérard Moulévrier. Je ne pense pas que je le ferais ou bien j’avertirais en disant que c’est un très bon acteur mais qu’il faut s’en méfier, que nous avons eu des retours et que nous savons que sur certains tournages, ça s’est mal passé. Je n’ai pas envie de bloquer le travail d’un acteur mais il faut prévenir pour le bien du film. Comme Nicolas Ronchi le dit, ce n’est pas nous qui passons deux mois sur un tournage.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Prévenez-vous aussi, monsieur Ronchi, monsieur Baranes ?
M. David Baranes. Oui, si j’apprends quelque chose sur un comédien qu’on m’a demandé de caster, j’en informe le réalisateur et la production.
M. Nicolas Ronchi. C’est aussi le rôle des agents. Certains nous préviennent, d’autres ne nous disent rien. Il faut voir comment les uns et les autres gèrent ça. Je n’aime pas du tout ce qui se joue autour des réputations. Quand j’ai commencé à faire ce travail, j’entendais beaucoup de choses : une telle est comme ci, un tel est comme ça. Et en faisant les films, on s’apercevait que c’était juste des réputations. Pour la série Mafiosa, il y avait un acteur qui était parfait pour le rôle. On m’avait dit qu’il avait eu des soucis mais que ça allait mieux. Or il y a eu de nouveau des soucis sur ce tournage mais je les avais prévenus. Aujourd’hui, cet acteur n’aurait peut-être pas pu tourner un autre film. Parmi les acteurs qui ont eu un certain comportement dans le passé, il y en a qui changent et d’autres non.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans votre profession, y a-t-il des directeurs de casting qui abusent de leur pouvoir et qui monnaient des rôles en échange de relations ou de faveurs sexuelles ?
M. Gérard Moulévrier. Je n’en connais pas en tout cas – et je ne le fais pas, ça c’est sûr !
M. Nicolas Ronchi. Moi non plus. La question ne s’est même jamais posée : cela fait partie des fantasmes. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler dans d’autres auditions, mais pour moi, c’est un fantasme. Nous n’avons jamais été confrontés à cela.
M. David Baranes. Moi non plus.
M. Gérard Moulévrier. Sinon, on serait très riches !
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je ne sais pas si c’est de la richesse…
M. Gérard Moulévrier. C’était une blague.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quelle vision avez-vous du mouvement MeToo dans le cinéma ?
M. Gérard Moulévrier. Je pense que c’est un mouvement salutaire ; on en a vraiment besoin parce qu’il faut protéger les gens. Il ne faut pas non plus qu’il y ait des abus dans l’autre sens, mais il faut protéger les gens.
M. Nicolas Ronchi. Je trouve bien sûr très positif d’inciter des victimes à signaler le moindre propos, geste ou acte subi comme une violence à leur agent, à la production puis, le cas échéant, à la police et à la justice. Pour moi, c’est une question de bon sens. En revanche, ce que je déplore, c’est la dérive des dénonciations, fatalement arbitraires quand elles sont faites dans les médias et donc sur les réseaux sociaux avec leurs hashtags. Ces dénonciations sont colportées en particulier par les concurrents, bien sûr, qui en rajoutent pour construire de bonnes petites rumeurs. Avant même que la justice soit saisie, la personne dénoncée est déjà condamnée ; ses clients, producteurs et metteurs en scène se sont mystérieusement envolés.
Je ne pense pas non plus que le fameux « On te croit » serve la cause – pardon. En effet, ce n’est pas parce que quelqu’un se plaint ou dénonce que cela devient une vérité indiscutable – sauf si l’on décide de s’asseoir sur l’autorité judiciaire qui, a priori, est quand même la seule habilitée, dans une démocratie digne de ce nom, à estimer ce qui est certainement vrai, impossible à prouver ou probablement faux.
Quant aux mentalités, elles ont beaucoup évolué. Chacun est même invité par ce mouvement à faire son examen de conscience et à complètement réaliser, si ce n’était pas déjà le cas, que les temps ont bien changé et qu’aujourd’hui, le respect et l’écoute prévalent en toutes circonstances. Il me semble que la plupart des professionnels font beaucoup plus attention à ce qu’ils font ou à ce qu’ils disent, clairement, moi le premier.
La réalité d’aujourd’hui est une méfiance accrue des uns envers les autres, une certaine aseptisation des rapports humains dans le cadre professionnel, alors que dans une séance de casting par exemple, tout le monde a intérêt à se sentir plutôt à l’aise pour que le talent des acteurs puisse s’exprimer en toute liberté, sans appréhension paralysante. Comme souvent, le plus difficile est de trouver le bon équilibre.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Merci pour la lecture de ce texte.
M. Nicolas Ronchi. Je m’étais préparé…
M. Erwan Balanant, rapporteur. Deux grandes agences artistiques dominent le marché français, Adéquat et UBBA. Est-ce satisfaisant ? Pour prendre des succès récents, la plupart des talents de L’Amour ouf et du Comte de Monte-Cristo étaient représentés par Adéquat. Depuis les années 2000, il ne faut plus de carte professionnelle pour être agent. En se libéralisant, le secteur s’est concentré. Cela appelle-t-il une réflexion ?
M. Nicolas Ronchi. Vous dites que le secteur s’est concentré dernièrement : pour moi, c’est comme une multitude de petits commerces qui deviennent un grand commerce. Personnellement, quand je pense à des talents pour jouer dans un film, le cadet de mes soucis est de savoir quel agent les représente. Cela ne m’intéresse pas du tout. Cela étant, je comprends que les agences aient envie de packager : en général, l’agent du réalisateur ou de la réalisatrice est le premier à proposer des acteurs pour un projet. Ce n’est pas le cas pour L’Amour ouf dont le metteur en scène, Gilles Lellouche, est représenté par Cécile Felsenberg d’UBBA.
M. Gérard Moulévrier. Comme UBBA et Adéquat sont de grosses agences, elles ont les acteurs les plus connus. Et comme il faut des gens connus pour monter les films, on se retrouve avec deux ou trois agences – mais il y en a d’autres, comme Time Art, Artmedia, VMA, AS talents… Il est vrai que le marché est un peu regroupé autour de deux ou trois grosses agences ; forcément, les gens connus, en tête de distribution, s’y retrouvent.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La prédominance de deux agences, qui sont quasiment un passage obligé pour obtenir un rôle important, n’entretient-elle pas une certaine omerta sur le comportement des acteurs qu’elles représentent ? De nombreux comédiens disent souffrir de ne pas pouvoir parler de ce qu’ils ont subi, de peur d’être mis de côté par ces deux acteurs incontournables.
M. Nicolas Ronchi. C’est une question intéressante à poser aux agents. Si un acteur ou une actrice sent qu’il y a eu un problème lors d’un casting, la première personne à qui il en parle est son agent. La concentration des agences artistiques est un fait, mais on ne m’a jamais demandé de choisir des acteurs dans l’une plutôt qu’une autre. Il ne manquerait plus que ça ! Si c’était le cas, je répondrais qu’on n’a pas besoin de nous ; il n’y a qu’à aller rencontrer les agents d’Adéquat et faire le casting directement. Je pense même que certains le font. Nous donnons un avis indépendant, censé être plus artistique puisque nous travaillons pour le film.
M. David Baranes. Avant, il y avait plein de petits agents. UBBA et Adéquat sont de très grosses agences qui représentent des centaines de comédiens. Elles sont en train de devenir des mastodontes, comme aux États-Unis. Mathématiquement, quand nous choisissons des comédiens, la probabilité est forte qu’ils soient représentés par l’une des deux.
M. Nicolas Ronchi. Pierre Niney est devenu une star alors qu’il était suivi par un petit agent ; il l’a gardé pendant des années. Il a fini par changer, mais jusque-là, tout le monde savait par qui il était représenté. La notoriété des agences joue surtout dans l’émulation entre les acteurs : il y a un effet « carré VIP » à être représenté par Adéquat ou UBBA. Une ancienne agente, Chafika Kadem, disait qu’il vaut mieux être la tête de la sardine que la queue du mérou. En d’autres termes, mieux vaut être une tête de gondole dans une petite agence qu’un inconnu dans une grande agence, caché derrière des stars qui seront proposées avant vous.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. À l’aune du mouvement MeToo, avez-vous eu le sentiment que votre propre comportement avait pu être considéré comme inapproprié par certaines personnes ? Avez-vous interrogé vos propres pratiques professionnelles, et cela vous a-t-il incité à évoluer ?
M. Nicolas Ronchi. Je pense que oui, même si je ne pourrais pas vous dire qu’avant, j’avais l’habitude de faire ci ou ça, et que je ne le fais plus. Cela ne se passe pas vraiment comme cela. La libération de la parole fait prendre conscience que beaucoup de problèmes ont longtemps été tus. Cela rend plus responsable et conscient du pouvoir que nous avons, comme vous dites – même si je n’ai pas choisi ce métier pour avoir du pouvoir. Il s’agit de faire en sorte que les comédiens soient à l’aise lors du casting, qu’ils passent un moment agréable plutôt qu’un concours. Je ne sais pas si les personnes que vous avez interrogées depuis six mois vous ont donné l’impression de ne pas avoir fait cette prise de conscience, mais pour ma part, j’ai l’impression que jusque sur les plateaux, tout le monde ne parle que de ça, peut-être même trop – au point, parfois, de plomber un peu l’ambiance. Il faut peut-être en passer par là pour que cela se rééquilibre.
M. David Baranes. Je rejoins les propos de Nicolas Ronchi. Grâce à ce mouvement, de façon inconsciente, nous faisons en sorte que les conditions de casting soient les plus bienveillantes et rassurantes possible. Cela relève du bon sens. Cela a joué dans l’inconscient des professionnels. Aujourd’hui, on fait très attention à ce que le comédien qui vient pour un casting et qui est dans un moment de fébrilité – il passe un entretien face à un directeur de casting, voire à un réalisateur –, soit dans les meilleures conditions possible, le plus à l’aise possible, encore plus qu’avant. C’est encore plus vrai pour les enfants et les femmes. Cela a servi à ça.
M. Gérard Moulévrier. J’adore faire passer des essais aux acteurs ; c’est une façon de se connaître, d’aller plus loin dans un rôle. J’essaie de mettre en confiance le plus possible les gens ; j’espère que j’y réussis, car c’est mon souhait le plus profond.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez donc aucune espèce d’autocritique sur des comportements que vous auriez pu avoir ou des castings que vous auriez pu faire passer ; aucun regret sur la manière dont vous avez exercé votre activité professionnelle jusqu’à aujourd’hui ? La question n’est pas agréable, je le reconnais.
M. Nicolas Ronchi. J’ai un peu répondu quand j’ai dit que nous faisions notre examen de conscience. Est-ce que vous nous demandez des exemples précis, par exemple quelque chose qu’on aurait fait il y a vingt ans et qu’on ferait plutôt autrement aujourd’hui ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous nous dites depuis le début de l’audition que jamais vous n’avez mis des acteurs ou des actrices en danger, fait des propositions autour du nu, eu des propos ou des attitudes qui auraient pu mettre en danger des personnes. J’entends que vous n’avez aucun reproche à vous faire ; or nous avons entendu l’inverse dans les auditions : les castings sont des moments de très grande mise en danger, avec parfois des dérives – particulièrement lorsqu’il s’agit d’enfants –, des attitudes inappropriées qui se situent hors du champ autorisé. Nous voyons deux mondes s’affronter – c’est le quotidien de cette commission d’enquête. Permettez donc que j’exprime ma surprise.
M. Nicolas Ronchi. À vous entendre, nous serions tous les trois réunis ici parce que nous aurions eu des problèmes avec des enfants ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Non, pas du tout.
M. Nicolas Ronchi. Ce sont quand même des questions très importantes. Nous sommes des professionnels tous les trois.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous êtes réunis ici parce que vous êtes des directeurs de casting importants dans le métier.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Combien y a-t-il de directeurs de casting en France ?
M. Gérard Moulévrier. Quand j’ai commencé, il y a quarante ans, nous étions huit ou neuf. Je crois que nous sommes maintenant 150.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il n’y a donc pas de travail pour tout le monde ?
M. Gérard Moulévrier. Non.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Quand il y a trop de professionnels pour une activité économique insuffisante, cela place certains dans la précarité et la difficulté.
L’Association des directrices et directeurs de casting (Arda) demande depuis longtemps que vous deveniez chefs de poste sur les films. Qu’en pensez-vous ? Cela vous donnerait peut-être des responsabilités différentes vis-à-vis des producteurs.
M. David Baranes. Nous sommes déjà considérés comme des chefs de poste. De même qu’un premier assistant réalisateur est chef de poste et a ses assistants, qu’un chef opérateur est chef de poste et a ses assistants, les directeurs de casting sont des chefs de poste et ont leurs assistants.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Combien de castings faites-vous par an, pour combien de projets ?
M. David Baranes. C’est très aléatoire, mais je dirais que je travaille sur une vingtaine de projets par an. Il arrive que je n’aie pas de travail pendant des mois – il ne faut pas oublier que nous sommes des intermittents. Parfois aussi, je dois gérer plusieurs projets en même temps.
M. Gérard Moulévrier. À l’époque où je travaillais beaucoup, j’avais sept à huit films par an. Maintenant, deux ou trois me suffisent – comme je suis à la retraite, je travaille un peu moins.
M. Nicolas Ronchi. Cela dépend des années et des moments. On décide parfois de lever le pied. On peut aussi faire l’objet d’une plainte et d’une enquête, être entendu par la police et voir son dossier classé sans suite ; même si cela fait six ans, les trois quarts de vos clients peuvent vous avoir abandonné. Cela peut arriver – c’est un exemple au hasard.
M. David Baranes. J’insiste sur un point : de la même manière qu’on fait de la prévention dans les écoles sur un certain nombre de sujets, comme la sexualité, les écoles de théâtre devraient obligatoirement faire de la prévention auprès des comédiens sur les dérives qui peuvent se produire. C’est essentiel.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’êtes pas le seul à nous le recommander.
Je vous remercie.
*
* *
La commission auditionne ensuite Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi, Mme Bénédicte Lenne-Menault, M. Nicolas de Cerner, et M. Grégoire François-Dainville, membres du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Au cours de nos investigations, nous avons eu vent des plaintes déposées contre M. Gaël Darchen. Il n’en sera pas question ici, puisque nous n’avons pas le droit de les aborder, mais ces plaintes ont amené des témoignages très alarmants en lien avec la Maîtrise et son fonctionnement interne. Après l’audition de M. Michel Haas, de Mme Anne-Sophie Lépinay, de M. Georges Siffredi, de plusieurs anciens maîtrisiens et d’un ancien directeur musical, vous avez souhaité être entendus par la commission d’enquête pour livrer votre point de vue sur les violences qui ont pu y être commises sur les maîtrisiens, majeurs comme mineurs. Il semble que vous souhaitez vous exprimer plutôt en défense de l’institution, mais vous nous en direz davantage.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi, Mme Bénédicte Lenne-Menault, M. Nicolas de Cerner et M. Grégoire François-Dainville prêtent successivement serment.)
Mme Bénédicte Lenne-Menault, membre du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS. Dans le cadre de vos travaux d’enquête relatifs aux violences commises dans le monde du spectacle, l’association Passerelle-MHS, association de parents d’élèves de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, a sollicité de votre part une audition ; nous vous remercions d’avoir répondu favorablement à notre demande.
Nous tenons d’abord à exprimer notre engagement total en faveur d’un environnement sécurisé et épanouissement pour tous les enfants. Nous avons été émus en entendant la gravité des accusations et témoignages entendus au cours des auditions. Nous réaffirmons notre confiance dans l’institution judiciaire, qui a été saisie il y a plus d’un an, pour les traiter avec rigueur et impartialité.
À plusieurs reprises, le rôle et la responsabilité des parents ont fait l’objet d’échanges lors des auditions, comme le positionnement de notre jeune association.
Par ailleurs, le fonctionnement interne de la maîtrise a été décrit à plusieurs reprises, notamment dans des témoignages qui nous semblent relativement anciens. Il nous a donc semblé important, en tant que représentants de parents de maîtrisiennes et de maîtrisiens qui fréquentent actuellement la Maîtrise des Hauts-de-Seine, de partager avec vous notre expérience de la maîtrise aujourd’hui et nos propositions pour demain.
M. Grégoire François-Dainville, membre du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS. Passerelle-MHS a été créée le 24 octobre 2024 en réponse à une forte demande de parents soucieux à la fois de s’impliquer au service de la Maîtrise et de contribuer à la faire évoluer. Cette demande s’est exprimée lors des différentes réunions de rentrée, mais elle était très ancienne et récurrente. Faute de candidats pour créer l’association, nous nous sommes lancés.
Nous comptons soixante-trois adhérents représentant quarante-cinq enfants, un nombre qui évolue de semaine en semaine. Les adhérents sont représentatifs de la diversité des enfants de la Maîtrise : parents de garçons et de filles, parents de maîtrisiens présents de longue date comme de nouveaux arrivants.
L’objet de notre association est triple. Le premier est de représenter les parents auprès du conseil d’administration et de la direction, mais aussi de ses partenaires publics et privés. Le deuxième est de développer les liens – d’où notre nom – entre la Maîtrise, ses dirigeants, ses professeurs, ses soutiens, d’une part, et les parents et familles, d’autre part. Le troisième est d’aider au rayonnement de la maîtrise.
Notre gouvernance est peut-être originale, en tout cas moderne, marquée par la collégialité. Toutes les décisions du conseil d’administration sont prises à l’unanimité. Seule une fonction est identifiée – celle de trésorier –, mais pour le reste, nous sommes tous à parts égales et nous avons tous le même rôle. Comme dans toutes les associations de parents, nos statuts prévoient une réunion annuelle de l’assemblée générale, à la rentrée. Cette réunion a pour objet de donner quitus au conseil d’administration, d’en renouveler les membres et de voter le budget.
Ce qui nous rassemble, ce sont notre attachement au projet – si singulier – de la Maîtrise ; notre extrême vigilance, en tant que parents, quant au bien-être de nos enfants et à leur sécurité ; notre désir, enfin, de nous impliquer dans ce projet, en relayant auprès des instances dirigeantes le point de vue des parents et les expériences des enfants. Nous avons vraiment à cœur de renforcer les liens entre toutes les parties prenantes.
Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi, membre du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS. Il est important pour nous d’apporter des précisions sur la manière dont fonctionne la Maîtrise dans la perspective des recommandations que cette commission formulera.
Le fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine est un peu différent de celui des autres maîtrises, puisqu’elle n’est ni un conservatoire – et elle ne dépend d’aucun conservatoire –, ni un établissement scolaire avec des classes à horaires aménagés. C’est un établissement associatif dans lequel les enfants se rendent une ou deux fois par semaine pour pratiquer le chant choral. Pour eux, celui-ci est donc une activité extrascolaire comme les autres.
Les répétitions durent une heure et quart à deux heures. Les parents déposent leurs enfants au début du temps d’activité et viennent les récupérer au plus tard deux heures après. Deux adultes au moins – il peut y en avoir d’autres – sont systématiquement présents, généralement un chef de chœur et un pianiste accompagnateur.
Le projet pédagogique de la Maîtrise repose sur l’apprentissage à l’oreille : il n’est pas nécessaire de savoir lire la musique. C’est ce qui permet au projet d’inclure un maximum d’enfants, dont certains sont porteurs de handicaps comme des troubles « dys » et des TDAH. Beaucoup d’entre eux fréquentent par ailleurs des conservatoires du département des Hauts-de-Seine, où ils peuvent apprendre le solfège.
Pour certains enfants, les répétitions peuvent s’intensifier lorsque les parents acceptent des propositions de participation à une production. Dans ce cadre, la réglementation diffère. Les parents doivent fournir un dossier soumis par la Maîtrise des Hauts-de-Seine à la commission des enfants du spectacle. Ce dossier inclut un certificat médical de moins de six mois établi par un médecin exerçant en Île-de-France, une autorisation du chef d’établissement scolaire et une autorisation parentale signée des deux parents. Les parents sont absolument libres d’accepter ou de refuser la participation à ces productions, ce refus n’entraînant aucune sanction ni changement pour les enfants.
Les parcours suivis par les enfants peuvent susciter des vocations et certains enfants peuvent décider de se professionnaliser. Ils vont alors approfondir leur formation musicale, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Ce qui est important pour nous est de témoigner de ce qui se passe aujourd’hui à la Maîtrise, particulièrement de ce qui s’est passé au cours des derniers mois, depuis que la presse a révélé les plaintes et que notre association a été créée.
Nous avons recueilli la parole de nombreux parents qui ont partagé avec nous leur vécu et leur perception de l’expérience de leurs enfants au sein de la Maîtrise. Ces témoignages ont mis en lumière une réalité : des enfants investis, heureux de pratiquer le chant choral une à deux fois par semaine, de retrouver leurs camarades et de se produire sur scène dans des contextes variés – concerts éducatifs, actions culturelles dans des hôpitaux, représentations devant des publics plus larges, dont les productions. Nous pouvons tous ici témoigner de cette réalité.
Selon les témoignages qui nous sont parvenus, les événements qui ont eu lieu cet été n’ont pas altéré le plaisir qu’éprouvent les enfants à venir chanter. Nous tenons à remercier les professionnels de la Maîtrise qui se démènent pour les accueillir dans les meilleures conditions et leur permettre de s’épanouir.
Nous avons cependant constaté au début de l’automne des déceptions de la part des enfants qui préparaient des productions avec l’Opéra de Paris – La Flûte enchantée et La Petite Renarde rusée – après l’annulation de leur participation par l’Opéra de Paris à quelques semaines des représentations. Nous comprenons les raisons de cette décision, mais nous souhaitons appeler l’attention de la commission sur le fait que les enfants avaient déjà signé des contrats et que cela a été très brutal pour nombre d’entre eux. Nous souhaitons que les droits des enfants soient respectés et que quelque chose soit fait pour encadrer ce genre de situation.
Depuis la création de l’association, aucun témoignage récent faisant état de violences ne nous a été transmis par les familles. Cela étant, nous restons pleinement conscients de la nécessité de renforcer le cadre protecteur et de garantir la sécurité et l’épanouissement individuel de nos enfants, d’une part, et l’exigence artistique collective demandée par les partenaires de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, d’autre part. Nous y avons réfléchi et nous souhaitons vous faire part de nos propositions, que nous avons déjà partagées avec les instances dirigeantes de la maîtrise.
M. Nicolas de Cerner, membre du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS. Dans cette perspective, nous avons noué un dialogue avec le conseil d’administration de la Maîtrise, qui s’est montré ouvert à des actions concrètes pour renforcer la qualité du cadre éducatif et artistique. Certaines mesures ont déjà été mises en œuvre.
Ces actions suivent cinq axes principaux : sécurité et protection des enfants, qualité pédagogique et artistique, prévention des risques psychosociaux et des violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS), communication et liens entre les parents et la Maîtrise des Hauts-de-Seine, gouvernance et amélioration continue. Pour chacun de ces axes, nous avons déjà proposé et lancé certaines actions.
Je voudrais citer, concernant la sécurité et la protection des enfants, le renforcement des protocoles de signalement et d’accompagnement en cas de situation problématique ; la sensibilisation des équipes pédagogiques et des enfants aux questions de bien-être et de protection ; la création, avec un partenaire indépendant, d’un dispositif de médiation et d’écoute accessible aux enfants et aux parents ; une boîte Papillons – une boîte à idées avec gestion anonyme et relevés mensuels permettant aux enfants de formuler leurs suggestions et préoccupations en toute sécurité.
Parmi ces mesures, certaines sont en vigueur, d’autres font l’objet d’une réflexion au sein de groupes de travail afin de développer un référentiel qualité.
Concernant la qualité pédagogique : charte pédagogique permettant de définir les principes d’enseignement et d’accompagnement des formations, mise en place d’un comité pédagogique associant les chefs de chœur, les parents et des spécialistes du chant choral.
Concernant la prévention des risques psychosociaux et des VHSS : sensibilisation et formation des équipes à la prévention des abus – des actions de formation auprès des encadrants et des membres du conseil d’administration de la Maîtrise ont été menées par Afnor compétences ; ligne téléphonique extérieure avec un numéro d’appel pour les choristes et parents en cas d’alerte sur un problème de harcèlement ; sensibilisation des enfants aux questions de harcèlement et explications sur l’utilisation du numéro d’appel en début d’année.
Concernant la communication avec les parents, qui est un autre enjeu dont on nous a parlé : désignation de parents référents pour chacun des chœurs que compte la Maîtrise ; création d’un document visuel et simplifié expliquant les engagements et les comportements attendus des enfants au sein de la Maîtrise – la « règle du choriste » ; événements conviviaux, qui avaient connu un petit arrêt avec le covid et dont la reprise était demandée ; concerts informels ; visite des locaux lors des réunions de rentrée – ce projet avait un temps fait l’objet d’un blocage pour des raisons de sécurité –, animée par les parents de notre association et d’autres parents volontaires ainsi que par la Maîtrise ; présentation vidéo des intervenants de la Maîtrise, pour que nous ayons une meilleure idée de leur identité, de leur personnalité et de leur façon de faire.
Concernant la gouvernance et l’amélioration continue : désignation d’un ou plusieurs représentants de notre association au conseil d’administration, avec des rôles définis et des modalités de suivi transparentes. Nous proposons que ces représentants soient associés à l’organisation de bilans annuels sur la satisfaction des élèves et des familles, ainsi qu’à des mécanismes de feedback et d’ajustement.
Nous sommes convaincus que ces actions permettront de garantir aux enfants un cadre d’apprentissage serein et exigeant, tout en répondant aux attentes légitimes des familles et des institutions partenaires. En complément, le référentiel qualité auquel nous travaillons vise à garantir aux enfants un cadre propice à la joie, à l’épanouissement personnel et à l’expression artistique par la pratique du chant choral et des arts.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vos propositions vont évidemment dans le bon sens et je vous félicite d’avoir pris les choses en main – ce qui montre que vous avez identifié quelques dysfonctionnements –, mais ne pensez-vous pas qu’elles auraient pu venir de l’association de la Maîtrise des Hauts-de-Seine elle-même ? Il est assez étonnant de voir deux associations gouverner cette institution, qui, je le rappelle, est largement subventionnée par le conseil départemental et dispose de locaux très fonctionnels.
Confirmez-vous que votre association est régie par la loi de 1901 ?
M. Nicolas de Cerner. Oui.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Sa création est concomitante des révélations. Existe-t-il un lien entre les deux ?
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Nous sommes en lien, à titre individuel, depuis juillet, avec la gouvernance de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Celle-ci a fait des propositions en septembre et recouru à des affichages. Au moment de l’entrée dans les locaux de La Seine musicale, elle avait également réfléchi à certains aménagements intérieurs visant à garantir la transparence, comme un oculus sur chaque porte afin que tout le monde puisse voir ce qu’il se passe dans la pièce. Nous avons pu également constater, lors de ces démarches à titre individuel, que le document unique d’évaluation des risques et de prévention (Duerp) était à jour.
Nous avons tout de même décidé de créer une association pour soutenir les initiatives de la Maîtrise. Le personnel est en effet très peu nombreux. Une association de parents avait déjà existé il y a longtemps. La situation de crise depuis l’été a aggravé la difficulté de la Maîtrise à affronter l’ensemble des sujets. En tant que parents responsables de l’épanouissement de leurs enfants et garants de leur sécurité, il était important pour nous d’apporter cette aide pour que les bonnes décisions soient prises, de façon collégiale, et assumées par la gouvernance de la Maîtrise et par les parents.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Selon vous, les mesures décidées pour faire face à la crise étaient-elles suffisantes ?
Quels sont vos constats ? Vous dites qu’aucun parent n’est venu vous voir, mais nous, nous avons reçu beaucoup de témoignages de parents. Nous ne travaillons pas à charge, contrairement à ce que j’ai pu lire dans des copies de courriers qui nous ont été transmis. Cela ne m’amuse pas de passer autant de temps sur la Maîtrise des Hauts-de-Seine dans le cadre de cette commission d’enquête ! J’aimerais que ce bel outil fonctionne, mais, visiblement, ce n’est pas le cas. Certains parents nous ont dit qu’il y avait une situation problématique jusqu’à la mise à l’écart de M. Darchen. Ils n’avaient jamais parlé auparavant, ce qui nous pousse à nous interroger : pourquoi avaient-ils peur de parler ? Cela ressemble à une situation d’emprise.
Nous sommes la représentation nationale et nous devons respecter le cadre de la procédure d’une commission d’enquête parlementaire, qui, je le rappelle, ne mène pas d’enquête judiciaire puisque cette compétence relève de la justice.
Comment avez-vous perçu les révélations ? Avez-vous senti que vos enfants pouvaient être en danger ? Trouvez-vous normal que M. Darchen – qui est aujourd’hui simplement accusé, la procédure judiciaire est en cours –, ait continué d’être présent dans les locaux, comme cela a été révélé après que nous avons auditionné M. Siffredi ?
M. Grégoire François-Dainville. Nous prenons du temps pour nous occuper de ces questions alors que nous sommes bénévoles. La création de notre association n’est pas une réponse à une crise. Elle est venue de la volonté de favoriser durablement le dialogue avec les parents et le partage d’expérience selon une démarche de coconstruction. L’élément contextuel n’y est évidemment pas pour rien. Nous respectons infiniment tous les témoignages et nous faisons confiance à la justice. Nous sommes même impatients que justice soit faite.
Nos enfants n’ont pas vu M. Darchen depuis la rentrée. Il nous semble donc que les mesures décidées ont été appliquées.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Certaines personnes, d’après leur témoignage, l’auraient pourtant croisé.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Parmi nos auditions concernant la Maîtrise des Hauts-de-Seine, certaines étaient publiques et vous avez donc pu en prendre connaissance, mais d’autres se sont déroulées à huis clos, dont celle lors de laquelle nous a été donnée l’information à laquelle le rapporteur fait référence. Plusieurs témoignages la confirment.
M. Grégoire François-Dainville. Nous ne pouvons commenter des faits dont nous n’avons pas connaissance ni faire un travail d’enquêteur. C’est la limite de notre intervention.
M. Nicolas de Cerner. Je le dis avec beaucoup de simplicité : cet événement a peut-être donné l’impulsion pour créer cette association. Il est légitime qu’il existe une association de parents dans une maîtrise. Notre action s’inscrit dans la durée, avant tout pour défendre un projet pédagogique qui nous semble intéressant, très inclusif et ouvert – il n’existe pas d’ambiguïté à cet égard.
Nous sommes conscients du fait qu’il faut un référentiel qualité et de la transparence. Les compétences des parents sont mobilisables. C’est dans cet esprit que nous avons envie de travailler et nous prenons le temps de le faire de manière bénévole. Il faut un cadre, des process, voire des preuves, pour que les enfants soient sereins et s’épanouissent. Au-delà du fait générateur, il était nécessaire de moderniser l’accompagnement de cette structure, qui est petite – seules deux ou trois personnes gèrent les aspects administratifs et logistiques.
Pour lever toute ambiguïté, je n’ai pas ressenti d’inquiétude en ce qui concerne mon enfant. J’entends qu’il y a d’autres témoignages dont je n’ai pas eu connaissance. C’est pour cette raison qu’il faut aller au-delà de son expérience personnelle, dans mon cas positive, et se demander comment préserver ce qui constitue un bien commun ainsi que l’intérêt de tous, ce qui passe par le type d’action que nous sommes en train de mener.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est pas une petite structure ; elle reçoit plus de 1,6 million d’euros de subvention. Beaucoup de théâtres seraient heureux d’en toucher une aussi élevée ! Au-delà de la question essentielle de la santé des enfants, il s’agit d’argent public, celui des habitants des Hauts-de-Seine. Cela mérite un peu de vigilance.
Je ne nie pas votre bonne volonté, mais j’observe aussi un certain déni. Des personnes nous ont livré des témoignages éloquents qui ont aussi été relatés dans la presse : un enfant est resté dans un bus pendant que les autres visitaient la Grande Muraille de Chine ; un autre pouvait être considéré comme le préféré avant de tomber en disgrâce. Selon des témoignages écrits que nous avons reçus, des tenues vestimentaires étaient imposées. Je comprends bien que, dans une maîtrise, tout le monde doive être habillé de la même façon, mais, en l’occurrence, ce n’était pas égalitaire. S’y ajoutent les faits qui font l’objet d’une enquête judiciaire. Certes, une même situation peut être perçue de diverses manières, mais entre ces témoignages et ce que vous décrivez, il y a un fossé. Comment l’expliquez-vous ?
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Quand vous parlez de déni, est-ce à notre sujet ? Est-ce entre notre perception et l’ensemble des témoignages reçus qu’il y a un fossé ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je parle de déni à propos de l’écart – malgré un début de prise de conscience depuis les premières auditions – entre les témoignages que nous avons reçus et la position de la gouvernance de la Maîtrise. Le fait que vous vous sentiez obligés d’appuyer celle-ci montre qu’il y a quelque chose de problématique. Dans une école, ce n’est pas l’association de parents qui élabore le projet pédagogique ni qui décide de ce qui relève de la gouvernance.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Notre motivation, à tous les quatre, est de nous engager pour nos enfants. Les enfants n’ont pas tous le même âge, certains sont très bien renseignés sur ce qui se passe ; cela rejaillit sur eux. En tant que parents responsables, il est important de leur expliquer ce qui se passe et que nous nous engageons pour instaurer un cadre. Je me sens investie de la mission d’aider la Maîtrise, qui compte huit salariés – c’est une petite structure par rapport à une entreprise –, accueille de nombreux enfants et réalise énormément de productions, d’où une cadence qui demande une organisation au cordeau.
M. Grégoire François-Dainville. Vous nous avez présentés comme défendant l’institution. Ce n’est pas exactement notre posture. Nous sommes plutôt attachés au projet de la structure, un très beau projet. Nous ne remettons en cause aucun témoignage ; je précise simplement que nos enfants sont très heureux à la maîtrise.
Nous sommes, bien entendu, des parents responsables. Si nous devions être dans un camp, nous serions dans celui de nos enfants. Nous sommes vigilants, d’autant plus depuis ce que nous avons entendu et compte tenu de ce que nous entendons un peu partout. La justice doit être saisie des témoignages recueillis par votre commission d’enquête il y a quelques semaines et doit mener une enquête. Notre crainte est qu’on veuille jeter le bébé avec l’eau du bain – l’expression est sans doute malheureuse. La Maîtrise des Hauts-de-Seine, c’est un beau projet, de beaux professionnels, des enfants qui sont heureux – je pense que cela s’entend.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons saisi la justice pour parjure car des personnes qui, comme vous, avaient juré de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ont évoqué des éléments qui n’étaient manifestement pas tout à fait exacts – il reviendra au procureur d’en décider.
Ce qui m’a frappée dans les témoignages recueillis, c’est la prévalence du fait du prince, de l’arbitraire, dans une institution dont, par ailleurs, le projet, intéressant et louable – enseignement à l’oreille, plus inclusif –, la distingue des autres structures. Cet arbitraire est confirmé par les autres témoignages que nous avons reçus ou qui ont été publiés dans la presse. Il se traduit par une soumission des enfants à des décisions dont ils ne comprennent pas le sens et qui, au-delà des violences caractérisées, peuvent être de nature à les mettre dans une position de vulnérabilité, voire en danger, en créant une insécurité émotionnelle. Cela pousse aussi à s’interroger sur le projet lui-même.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. J’aimerais répondre par deux témoignages. Au mois de septembre, les enfants ont été victimes du fait du prince de la part de l’Opéra de Paris et personne ne s’est interrogé sur cette situation. Les enfants ont fait des répétitions avant la générale, ils ont fait des essais de costumes. On ne leur a rien dit ; du jour au lendemain, les parents ont reçu un message audio leur annonçant que leur enfant n’était pas retenu. Lorsque l’enfant rentre le soir à la maison et apprend cette décision, il faut l’accompagner.
Les producteurs sélectionnent des enfants en fonction de leurs propres critères. Je me demande comment expliquer à un enfant : « C’est ton camarade qui est retenu pour telle production parce que le producteur a demandé un enfant brun aux yeux bruns qui mesure 1 mètre 50. » C’est la difficulté : comment réussir à accompagner l’épanouissement individuel tout en répondant à des exigences qui ne relèvent pas de la Maîtrise ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je ne parlais pas de ça.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Le deuxième témoignage est d’ordre personnel. J’ai deux enfants qui ont fréquenté la Maîtrise des Hauts-de-Seine – l’une de mes filles y chante toujours – et je n’ai pas entendu de témoignage du type de ceux que vous relayez. Parfois, ma fille a été retenue pour des productions ; parfois, elle ne l’a pas été. Parfois, ça l’a heurtée ; parfois, elle a compris. C’est le travail des parents d’accompagner les enfants. C’est comme quand vous jouez au foot : vous pouvez être attaquant ou ne pas l’être.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il ne s’agit pas du tout de ça. Ce que vous décrivez relève d’un arbitraire normal qui appelle un accompagnement. Il ne s’agit pas de violence.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vu la situation, je comprends que l’Opéra de Paris ait décidé d’annuler la représentation. Cette décision est dure pour les enfants, mais elle peut faire l’objet d’un accompagnement. Toutefois, au gré des témoignages, il nous est apparu que les enfants n’étaient pas accompagnés lors du processus de sélection. Vous nous avez dit que c’était la production qui choisissait les enfants ; il fut un temps où c’était la direction – M. Darchen ou d’autres, on ne sait pas vraiment qui.
S’agissant de la structure, beaucoup d’écoles ont le statut d’association. Les parents sont membres de l’association qui a un président, parfois un directeur ; chaque année, tous les membres se réunissent en assemblée générale. Les comptes sont contrôlés par un commissaire aux comptes lorsque la subvention allouée est supérieure à 150 000 euros. La Maîtrise des Hauts-de-Seine convoquait-elle des assemblées générales ? Si oui, à quelle fréquence ? Les comptes et le projet pédagogique vous étaient-ils présentés ? Je continue de trouver troublant que deux associations gèrent la maîtrise.
M. Grégoire François-Dainville. De fait, les parents ne sont pas adhérents de l’association qui gère la Maîtrise des Hauts-de-Seine ; nous ne sommes donc pas conviés aux assemblées générales. Je ne sais pas si des assemblées générales ont lieu, mais je pense que l’association respecte la réglementation – vous pouvez leur poser la question.
En revanche, le projet pédagogique est clair et présenté lors des auditions et des réunions de rentrée. Nous le connaissons et c’est ce qui nous a poussés à inscrire notre enfant dans cette structure.
Vous avez évoqué des faits relevant de l’arbitraire. Nous n’avons pas recueilli de témoignages en ce sens. Ce n’est donc pas notre ressenti ; ça ne veut pas dire que nous avons tort. C’est difficile car c’est de l’ordre du ressenti.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pas seulement !
M. Grégoire François-Dainville. Par exemple, mon fils n’a jamais senti une concurrence avec d’autres chanteurs ; c’est mon témoignage personnel. Lorsqu’il n’a pas été choisi, il a été accompagné.
M. Nicolas de Cerner. Des choses se sont passées. Je ne souhaite pas opposer les témoignages : chacun a son ressenti.
Nous voulons sortir par le haut et préserver le projet pédagogique, qui est clair : il ne comprend aucune promesse de grande scène ; il s’agit d’abord de chanter deux fois par semaine une heure et quart dans un chœur, et puis il arrive – c’est un extra – de vivre une expérience incroyable sur certaines scènes, quand les qualités observées par des producteurs lors des répétitions les conduisent à venir chercher des élèves chez qui ils ont repéré quelque chose d’intéressant.
Nous souhaitons fixer un cadre pour moderniser la structure. La gouvernance de la Maîtrise et l’association de parents sont deux organes différents. Nous ne faisons pas doublon, il n’y a pas de double gouvernance. Nous ne prétendons pas gouverner la Maîtrise. Nous avons eu l’occasion de discuter avec la gouvernance des éléments que nous vous avons présentés ; elle a fait preuve d’écoute et ce dialogue a eu une résonance. C’est dans ce sens que nous travaillons. Peut-être qu’un membre de notre association fera partie du conseil d’administration ; ce serait une bonne chose, car cela apporterait encore plus de transparence.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous ne nous fondons pas sur des ressentis, monsieur François-Dainville. Nous recueillons des témoignages relatant des faits et que nous sommes obligés de prendre en compte. Des enfants ou des jeunes adultes font le constat que certains progressent et passent dans le niveau supérieur – il y a des niveaux, mais aussi une pédagogie particulière, donc tout cela n’est pas clair –, que certains ont le droit de bénéficier de cours vocaux, que certains – toujours les mêmes – font les fameux spectacles.
Je comprends la souffrance ressentie par certains enfants qui ne sont jamais retenus, surtout si on leur a promis le contraire. Dans une activité comme le chant, la subjectivité entre en jeu – celle d’une direction artistique qui préfère une voix à une autre – et des personnes se rendent compte qu’elles ne progressent jamais malgré leurs qualités qui sont objectivement reconnues. Parmi les 200 enfants de la maîtrise, comment sélectionne-t-on ceux qui se produiront sur une grande scène, ce qui est le moteur de leur motivation ? Des auditions sont-elles organisées ? On nous a dit qu’il n’y avait jamais d’auditions, ce qui pose problème. Cela relève du projet pédagogique, que vous pourrez améliorer.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. À cela s’ajoutent les dîners en silence, l’absence de téléphone portable – y compris lors des déplacements loin de la famille –, l’isolement alors qu’un collectif devrait se créer. On peut se poser des questions sur les méthodes pédagogiques utilisées.
Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi. Les niveaux des chœurs sont l’un des sujets sur lesquels nous devons travailler avec la gouvernance pour améliorer la communication ; nous l’avons évoqué, une réflexion est en cours. Les chœurs sont constitués en fonction non du niveau, mais de la tessiture et du répertoire, pour répondre aux besoins des différents partenaires. Les noms des douze chœurs – élémentaire, confirmé, etc. – ne sont donc pas appropriés.
Les enfants sont entendus deux fois par semaine par des chefs de chœur, des chefs de pupitre, des accompagnateurs. Ce n’est peut-être pas compris, mais les auditions se font au fil de l’eau. Les enfants chantent par chœur. Les chœurs sont affectés à une production en fonction des besoins et des spectacles. La Maîtrise ne se produit pas seulement à l’Opéra de Paris, au Théâtre des Champs-Élysées ou à la Sainte-Chapelle, mais aussi, beaucoup, dans les écoles, les crèches, les maisons de retraite et les ambassades : les enfants chantent à n’importe quelle occasion lorsqu’on le leur demande, lorsque la Maîtrise est sollicitée. Les rôles de soliste restent marginaux et sont déterminés selon les besoins du producteur.
Les solistes sont peut-être comparables aux attaquants dans le foot, toujours les mêmes ; je ne sais pas, je ne peux vous en dire plus car ni moi ni les enfants que j’ai côtoyés n’avons vécu ce genre de situation. Les enfants chantent dans un chœur, ils sont sélectionnés pour faire partie d’un chœur. La Maîtrise prépare les voix et les producteurs sélectionnent. C’est comme ça que nous le percevons.
Mon fils, qui chante depuis cinq ans à la Maîtrise, a participé à des productions en qualité de soliste et de choriste, il a fait des tournées sans portable. Lorsqu’il part en colo, il n’a pas non plus droit au portable. Cela ne me choque pas : les enfants ne partent pas en colonie pour être connectés à leur portable. On a eu des nouvelles de nos enfants et tout s’est bien passé.
Je n’ai pas entendu parler de repas pris en silence lors des tournées – si mon fils l’a vécu, il n’en a pas été traumatisé, nous n’en avons pas entendu parler. Mes enfants ont vécu cela en colonie : lorsque le groupe est surexcité, on impose le silence ; après tout, le roi du silence est bien un jeu qui sert à calmer et à apaiser les jeunes enfants.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La sélection se fait selon des critères précis. On nous a dit qu’il n’y avait pas d’auditions et qu’il était de notoriété publique que de très belles voix n’étaient pas sélectionnées.
Par ailleurs, les colonies de vacances sont encadrées par des personnes formées, qui ont au moins le Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), voire sont éducateurs. Ce n’est pas la même chose qu’un voyage avec une association ou une école, à moins que des personnes formées n’y encadrent les enfants.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons d’ailleurs demandé si c’était le cas lors des déplacements de la Maîtrise, on nous a répondu que non. Leur contexte n’a rien à voir avec celui des colonies de vacances.
Par ailleurs, lorsqu’on chante dans un chœur, on peut ressentir des tensions, de la déception, une concurrence qui font qu’il est important d’avoir un lien avec sa famille.
On peut interdire le portable sans pour autant punir l’enfant qui l’utiliserait.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Un de mes deux enfants est plus fatigable que l’autre. Cet élément est pris en compte lors de la sélection pour chanter dans une production. Vous avez dit qu’il n’y avait pas de critères de sélection. Or ils existent : la puissance vocale – ce critère est rappelé lors des auditions et de la réunion de rentrée –, l’oreille, la tessiture et l’amplitude de la voix, la fatigue de la voix, le répertoire qui sera chanté par l’enfant. En tant que parents, nous pouvons demander à la Maîtrise des Hauts-de-Seine d’améliorer sa communication en indiquant aux enfants les critères selon lesquels sera effectuée la sélection.
Ma fille a participé à des tournées sans portable. Son souci principal était qu’elle ne pouvait pas prendre de photos. La première fois, elle est partie avec un Kodak, ses photos étaient ratées ; la deuxième fois, elle a pris un petit appareil photo, ses photos étaient meilleures. En tout cas, j’ai senti que l’absence de portable avait soudé les liens, contribué à la construction du collectif. J’ai une grande famille avec de nombreux jeunes enfants ; quand chacun est derrière son écran, même si tout le monde est ensemble, ça ne crée pas de solidarité, ça ne fait pas un collectif. Lors d’une tournée, ma fille a eu un problème, elle a eu le droit de nous appeler ; la communication n’était pas rompue.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour votre fille, en tout cas – et tant mieux.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. C’est le témoignage que je peux apporter.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Entendez aussi que ce n’est pas le cas de tout le monde et que c’est un problème.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Je l’entends.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je trouve l’idée d’une pédagogie sans cours, ouverte à tous, assez contradictoire avec l’obsession de la scène – à ce sujet, je comprends bien sûr la déception des enfants qui n’ont pas participé à la production à l’Opéra alors qu’ils s’étaient beaucoup investis et qu’ils ne sont pour rien dans ce qui a entraîné la décision. Que pensez-vous de l’absence de cours de solfège ? On nous a dit que certains enfants étaient dissuadés de prendre des cours de chant ailleurs ou se le voyaient reprocher. Il me semble qu’une association comme la Maîtrise des Hauts-de-Seine, installée dans un lieu comme La Seine musicale et bénéficiant d’un niveau de subvention qui reflète un choix politique fort, devrait être non seulement un espace d’épanouissement des enfants, mais aussi un lieu d’excellence, ce qui nécessite d’apprendre à lire la musique.
Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi. Mon fils est au conservatoire depuis l’âge de 4 ans. C’est le conservatoire, pourtant très académique, qui l’a envoyé à la Maîtrise pour qu’il apprenne à s’affranchir du cadre de la partition, à dégager ses émotions avec son corps et sa voix et à utiliser son corps quand il joue et quand il danse. En France, on apprend à écrire une langue avant d’apprendre à la parler ; de même, on apprend le solfège avant de jouer. La rigueur, les auditions et les examens fréquents du conservatoire peuvent être vécus comme violents ou stressants par certains enfants et créer un blocage alors que les mêmes enfants se font plaisir à la maîtrise, dont la pédagogie à l’anglo-saxonne est basée sur le ressenti et l’oreille et où l’absence de solfège rend le programme plus inclusif.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il ne s’agit pas d’entrer dans la pédagogie de chaque école, mais un élève qui veut suivre en complément un cours de chant ou de solfège doit pouvoir en bénéficier.
Mme Bénédicte Lenne-Menault. Mes deux enfants ont commencé à la Maîtrise à l’âge de 5 ans. L’une débordait d’énergie et j’ai été ravie de lui trouver une autre pédagogie que celle du conservatoire ; l’autre est dyslexique. Tous deux ont rejoint une classe à horaires aménagés musique (Cham) à l’entrée au collège, où ils ont choisi la voix comme instrument. Une autre famille m’a envoyé un témoignage similaire hier soir. Aucun témoignage n’est parvenu à notre association selon lequel la Maîtrise des Hauts-de-Seine aurait bloqué l’inscription à des cours de chant ou aurait interdit aux enfants de suivre en complément une formation au conservatoire.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons reçu des témoignages contraires. J’entends que ce cas de figure ne concerne pas tout le monde.
M. Nicolas de Cerner. Mon fils a commencé le piano à 4 ans et demi au conservatoire. Il était plutôt doué et, au bout d’un an, il réussissait à lire des partitions et à jouer de petits morceaux à deux mains. Cependant, les maîtres de piano sont connus pour être très exigeants et la pression était telle qu’il a renoncé. Nous nous sommes tournés vers la Maîtrise des Hauts-de-Seine, où l’accès à la musique était plus naturel.
M. Grégoire François-Dainville. Mon fils fait du solfège. Cela n’a jamais posé aucun problème et on lui a plusieurs fois donné la partition des morceaux qu’il apprenait à la Maîtrise pour qu’il la travaille à la maison. Ce n’est que notre expérience et nous respectons ce qui a été dit par d’autres personnes. Quand je parlais tout à l’heure de ressenti, c’était seulement du mien.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous entendons que les expériences malheureuses qui nous ont été rapportées ne sont heureusement pas une généralité à la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Il est rassurant d’apprendre que certains enfants s’y épanouissent et que tous ne sont pas aussi malheureux que ceux dont les témoignages nous sont parvenus.
La séance s’achève à dix-huit heures cinq.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau