Compte rendu

Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
 

– Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne, M. Grichka Lingerat, conseiller en charge de la protection de l’enfance, Mme Siham El Boukili, directrice générale déléguée aux territoires et à l’action sociale de proximité, et Mme Sylvie Malinowski, chargée d’études et d’évaluation des politiques de l’enfance et de la famille              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts et consignations, M. Jérôme Lamy, directeur des clientèles bancaires de la Banque des territoires, Mme Marie Dolard-Cleret, directrice du département Consignations et dépôts spécialisés, et M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes de la Caisse des dépôts              15

– Présences en réunion................................26

 


Mardi
4 février 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Laure Miller, Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne, M. Grichka Lingerat, conseiller en charge de la protection de l’enfance, Mme Siham El Boukili, directrice générale déléguée aux territoires et à l’action sociale de proximité, et Mme Sylvie Malinowski, chargée d’études et d’évaluation des politiques de l’enfance et de la famille.

Mme la présidente Laure Miller. Nous auditionnons aujourd’hui des représentants du conseil départemental de la Haute-Garonne : M. Sébastien Vincini, président, M. Grichka Lingerat, conseiller chargé de la protection de l’enfance, Mme Siham El Boukili, directrice générale déléguée aux territoires et à l’action sociale de proximité, et Mme Sylvie Malinowski, chargée d’études et d’évaluation des politiques de l’enfance et de la famille. Je vous remercie de vous être rendus disponibles.

Dans le cadre de cette commission d’enquête, nous avons déjà auditionné les représentants de plusieurs départements afin de percevoir plus concrètement les difficultés auxquelles ils sont confrontés et de comprendre en quoi leurs situations diffèrent.

En février 2024, vous avez annoncé la fermeture de trois services du centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) ; vous pourrez préciser pour quels motifs. La question de la gouvernance de la protection de l’enfance et du rôle que l’État doit jouer aux côtés des départements est fondamentale : vos éclairages en la matière seront précieux.

L’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Sébastien Vincini, Mme Siham El Boukili, M. Grichka Lingerat et Mme Sylvie Malinowski prêtent serment.)

M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne. Je vous remercie de me donner la parole ; je la prends avec gravité et conviction. En Haute-Garonne, je suis responsable de 8 344 enfants et jeunes, dont 4 870 vivent en établissement ou en famille d’accueil. Le nombre d’enfants que l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département prend en charge ne cesse d’augmenter, comme dans tous les départements ; en seulement dix ans, il a crû de 25 %. En sept ans, nous avons doublé le budget consacré à la protection de l’enfance : il est passé de 131 à 271,3 millions d’euros. En dix ans, nous avons porté de 2 860 à 5 500 le nombre de places d’hébergement et de mesures éducatives. Mais derrière chaque chiffre, il y a un enfant, une famille, une histoire de souffrances et d’incertitudes.

La protection de l’enfance nécessite un engagement collectif. La politique publique dont elle dépend constitue un pilier de notre République ; or ce pilier vacille. En septembre 2023, avec vingt-trois autres présidents et présidentes de département, j’ai signé une tribune appelant à l’organisation d’états généraux de la protection de l’enfance.

Nos structures sont pleines, nos services débordés et nos marges de manœuvre toujours plus étroites. Le système est en permanence sous tension. Trop souvent, faute de solutions adaptées, nous condamnons les enfants à l’instabilité et à l’éloignement. Malgré les augmentations budgétaires consenties, la question n’est plus de savoir comment les accueillir, mais comment leur garantir un avenir digne, stable et sécurisé. Le placement est toujours une réponse immédiate mais il ne peut être une fin en soi : la véritable réponse, celle qui change la vie, est faite d’accompagnement, de continuité, de repères solides. Nous devons assurer à tout enfant confié à l’ASE une protection, un projet éducatif, une solution d’hébergement adaptée, un suivi médical et psychologique et une insertion sociale et professionnelle. Notre société doit relever ce défi. Or nous avons atteint un point critique. Il faut remettre en question tout le système de financement. Les départements sont en première ligne ; en même temps qu’ils sont confrontés à des difficultés budgétaires historiques, ils sont contraints de pallier les défaillances du système national.

Je voudrais illustrer mon propos par l’exemple d’un garçon de sept ans dont la mère est sans domicile fixe et dont le père ne peut l’accompagner. Souffrant de troubles sévères du spectre autistique, il ne parle toujours pas. Il est régulièrement violent, ce qui a provoqué des ruptures de soins – les orthophonistes libéraux refusent désormais de le prendre en charge. Depuis qu’il a trois ans, il vit au CDEF. Depuis quelques mois seulement, il peut enfin bénéficier d’une heure par semaine en institut médico-éducatif (IME). J’ai nominativement interpellé, à plusieurs reprises, le préfet et le responsable de l’ARS, l’agence régionale de santé, à son propos. Heureusement, de tels cas ne sont pas fréquents, mais quand ils se produisent, ils bloquent le système et affectent les professionnels : les enfants sont laissés dans une très grande souffrance, faute d’une prise en charge adaptée. Nous ne pouvons plus nous contenter de réagir aux urgences : il faut prévenir, anticiper et prévoir des dispositifs tels que chaque enfant, quel que soit son parcours, puisse se projeter dans l’avenir.

Nous devons poser les fondements d’un nouveau contrat social en matière de protection de l’enfance. Cela implique de réformer la gouvernance, notamment le rôle de l’État et des départements, en définissant des engagements clairs et en prévoyant des financements à la hauteur des besoins. Il faut qu’une autorité dotée d’une compétence interministérielle coordonne la santé, la justice et l’éducation nationale avec la protection de l’enfance. Un effort massif sera nécessaire pour revaloriser les métiers de la sphère sociale, afin d’attirer et de fidéliser des professionnels qui auront à cœur de mener à bien cette mission qu’ils font vivre.

Depuis trop longtemps, le modèle fonctionne sur le mode de la gestion de crise ; il est temps de sortir de cette spirale. Je ne suis président du conseil départemental que depuis deux ans. D’emblée, j’ai noté l’incohérence entre l’augmentation incessante des budgets et ce que ressentaient les professionnels, les partenaires et les enfants. Tous étaient incapables de répondre aux deux questions pourtant simples que je leur ai posées : que change notre intervention au parcours des enfants qui nous sont confiés ? Comment vont les jeunes qui sortent de l’ASE de la Haute-Garonne ? Nous sommes encore loin d’avoir les réponses.

Où en sommes-nous ? Comme tous les départements, nous rencontrons des difficultés. Pour les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) et à domicile (AED), les délais d’attente sont longs, de six à douze mois. Plus de 450 jeunes, mineurs et majeurs, sont accueillis dans d’autres départements – 80 % d’entre eux sont des mineurs non accompagnés (MNA). Pour 4 800 enfants et jeunes placés, on compte quelque cinquante mesures judiciaires non exécutées. Ces cas, qu’on qualifie pudiquement de complexes, donnent lieu à de nombreux réaccueils, pour des raisons que l’on connaît : prostitution, fugue, délinquance, refus de placement, besoin d’une prise en charge médico-sociale ou sanitaire spécifique, pour laquelle les places manquent. Le nombre des informations préoccupantes (IP) qui n’ont pu être suivies d’une évaluation approfondie est élevé, malgré la présence de cinq équipes spécialisées et le travail de partenariat que mène la CRIP – cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Une préévaluation permet de traiter d’abord les informations les plus prioritaires. Je ne peux évidemment me satisfaire de cette situation anormale. J’ai donc commencé à renforcer les équipes concernées et demandé que notre plan de résorption soit révisé. Par ailleurs, nous faisons face à des phénomènes émergents encore mal connus, comme la prostitution. Une étude sur dossiers menée en 2022 et actualisée en 2024 évalue à environ quarante le nombre de mineurs à risque ou en situation de prostitution – je ne suis pas capable de dire s’il est réaliste ou sous-estimé.

Surtout, nous observons tous les jours les signes de la complète saturation du système : ruptures de parcours des enfants placés ; enfants en attente d’un lieu d’accueil qui se retrouvent parfois à vingt heures dans une maison départementale des solidarités (MDS) ; placements inadaptés aux besoins de l’enfant ou dans des établissements distants de la Haute-Garonne, avec tous les problèmes que cela provoque, en raison du moindre accompagnement et des effets liés à l’éloignement de la famille, auxquels s’ajoute une perte de sens pour les professionnels.

Il existe des points positifs. Malgré les difficultés de recrutement du secteur, la Haute-Garonne et son conseil départemental sont attractifs. La protection de l’enfance, ASE et PMI – protection maternelle et infantile – s’appuie sur 1 130 agents, dont 444 assistants familiaux. Tous sont dévoués et très engagés. Le schéma départemental a permis de créer et de renforcer de nombreux partenariats. Depuis 2019, nous avons plafonné les files actives des 265 référents ASE à 25 enfants ou jeunes. Depuis 2016, plus aucun MNA n’est hébergé à l’hôtel – nous en accueillons 1 165. Pour les jeunes professionnels, nous avons créé un parcours d’intégration structuré. Grâce aux contrats jeune majeur, nous suivons quasiment 100 % des jeunes de plus de dix-huit ans – la plupart sont accueillis jusqu’à vingt ans. Nous finançons leur projet d’études à l’aide d’une allocation spécifique ; s’ils poursuivent une formation diplômante au-delà de vingt et un ans, le conseil départemental continue à les accompagner.

En tant qu’acteur majeur de la protection de l’enfance, je suis également auditionné pour avancer des propositions.

Premièrement, il faut entendre la parole des enfants accueillis. Il y a deux ans, nous avons institué un conseil départemental des enfants et des jeunes accueillis à l’ASE – 2024 a été la première année pleine de travail. Il réunit environ soixante participants, âgés de six à vingt et un ans, dont la parole m’a profondément bouleversé. Je pense en particulier à cette petite fille qui a évoqué le choc émotionnel qu’avait représenté son accueil non préparé au CDEF en disant qu’il faudrait chouchouter les enfants comme le ferait une maman. Je conseille à tous les personnels administratifs et politiques qui travaillent en lien avec l’ASE de libérer cette parole et de l’écouter. Nous ne pouvons pas répondre à toutes les questions – nous ne savons pas comment remplacer la parentalité d’un adulte défaillant –, mais nous comprenons qu’il s’agit d’un enjeu de société. Il faut rendre obligatoire un tel dispositif d’écoute de la parole des enfants ; chaque département doit créer une institution où les enfants peuvent formuler des propositions, afin que nous adaptions les politiques publiques en ayant conscience de ce qui se passe dans la réalité et de la manière dont l’enfant le vit et le ressent.

La continuité des parcours est essentielle pour l’avenir des enfants confiés. En 2016 et en 2024, nous avons mené des études sur la scolarité et les parcours des jeunes connaissant des difficultés multiples. À ce titre, nous avons participé aux travaux que l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, a consacrés à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie. Je plaide pour la création d’un droit opposable de l’enfant en matière de scolarité, de logement, de soins et d’insertion, afin de favoriser son accès aux droits et de garantir son parcours.

Un pilotage national est nécessaire. Président de conseil départemental, j’assume de le dire. Les départements ont également besoin d’une aide en ingénierie, notamment pour la tarification. Les prix en Haute-Garonne vont du simple au triple : comment les comparer avec ceux des autres départements ? Comment soutenir le secteur associatif à but non lucratif, qui joue un rôle central dans l’aide sociale à l’enfance ? Comment déployer les solutions innovantes de financement ? Nous entendons les appels à projets nationaux, notamment de la Banque des territoires et de la Caisse des dépôts (CDC), mais cette ingénierie de financement n’est pas si accessible. Or il faut rénover des bâtiments ou aider le secteur associatif à but non lucratif à le faire. Le coût du plan de rénovation des CDEF, dont je lance cette année le concours de maîtrise d’œuvre, est estimé à plus de 30 millions d’euros.

Il faut également élaborer un guide national des missions des référents ASE, organisé par type de mesure, et un système d’information unifié au niveau national. Nous avons besoin de partager les informations pour suivre les mineurs protégés, les agréments des assistants familiaux, la traçabilité des autorisations et des habilitations des établissements. Comme vous, j’ai la conviction qu’il faut susciter un sursaut national, dans le cadre d’une approche universaliste à même d’engager l’ensemble des acteurs pour protéger nos enfants. La prévention est ici essentielle ; l’école doit donc avoir sa place dans le dispositif. Dans notre département, le partenariat entre la CRIP, l’Éducation nationale et le parquet est exemplaire. Il faut néanmoins instaurer un véritable continuum de la prévention et de la protection de l’enfance, notamment en transférant aux départements la compétence en matière de médecine scolaire. Je salue le rapport de la Défenseure des droits et je milite pour qu’un plan national redéfinisse précisément les responsabilités de chacun, avec un pilotage national interministériel, au carrefour de l’éducation, de la santé et de la justice.

Trop souvent, l’ASE constitue le dernier recours, faute d’une prise en charge adaptée. J’en citerai deux exemples. Le premier illustre le problème de l’accès aux soins et de la prise en charge des troubles neurologiques et mentaux. Dans le cadre du plan 50 000 solutions, nous avons signalé les cas de 133 mineurs suivis par l’ASE qui avaient besoin de soins spécifiques. L’ARS avait annoncé la création, sous son égide, de 147 places. À ce jour, une seule solution adaptée a été trouvée et cinq cas sont en discussion. Je demande donc qu’on reconnaisse la double vulnérabilité comme un critère de priorité pour l’admission dans les établissements médico-sociaux. Je demande également la mobilisation des psychologues et psychiatres libéraux – notre département n’est pas un désert psychiatrique – pour que soit assurée la permanence des soins en protection de l’enfance. Il faut créer des places ambulatoires et hospitalières en psychiatrie infanto-juvénile et en accueil familial thérapeutique afin de pallier les difficultés du secteur public : le secteur libéral a des moyens, nous devons pouvoir les mobiliser. En tant que président, j’affirme que les enfants de l’ASE en situation de handicap doivent être prioritaires.

En second lieu, la situation de la justice est dégradée. En 2024, le tribunal pour enfants de Toulouse a connu plusieurs périodes d’aggravation. En matière de protection de l’enfance, des décisions ont été prises sans audience ; en matière pénale, des décisions ont été reportées. Or, nous le savons tous, une absence de réponse de la justice pénale fait peser de très grands risques : les violences que certains jeunes commettent peuvent faire oublier aux professionnels les violences dont ces mêmes jeunes ont été les victimes ; les comportements violents ou prédélinquants peuvent perdurer. Faute de place dans les établissements de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse, les décisions de placement en centre éducatif renforcé (CER) ou fermé (CEF) ne sont pas exécutées. Beaucoup trop souvent, les enfants sont accueillis à l’ASE par défaut. J’en discute avec les magistrats : ils se disent qu’au moins, ces jeunes seront à l’abri. Mais cette pratique met en jeu la responsabilité pénale et financière du conseil départemental.

En août dernier, un jeune de quatorze ans, accueilli depuis une semaine au CDEF, a été à l’origine d’un départ de feu qui a mis en danger des personnes, notamment des enfants qui nous sont confiés, et causé de nombreux dégâts ; alors que le substitut du procureur demandait le placement en CEF, le juge a ordonné le maintien à l’ASE, en raison du manque de places. Je ne blâme aucunement les magistrats, qui font avec les solutions disponibles ; nous travaillons main dans la main et je n’éprouve aucune difficulté à évoquer ces problèmes avec eux. Mais je vous laisse juges des conséquences. Pour faire face à la réalité du territoire, nous avons besoin que l’État s’engage et apporte des solutions.

Pour conclure, je souhaite que vos travaux objectivent ce que nous ressentons tous et qu’ils aboutissent à des réponses humaines aux questions que nous nous posons : quelle société voulons-nous ? Quelle vie voulons-nous offrir à ces enfants ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. La protection de l’enfance est un écosystème : les départements n’y œuvrent pas seuls, et la crise est bien systémique. La situation que vous venez de décrire est celle de tous les départements.

La question se pose en effet d’instaurer un pilotage national, dans le cadre d’un système paritaire entre l’État, qui reprendrait son rôle dans les domaines régaliens, et les départements, qui resteraient chefs de file. Cela impliquerait une réorganisation de l’aspect financier. On pourrait, tout en sanctuarisant les dépenses, sortir la protection de l’enfance du budget général de la collectivité – il est d’ailleurs surprenant et problématique que son financement dépende des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Que les prestations sociales relèvent des départements n’empêche pas l’État de s’occuper des MDPH, les maisons départementales des personnes handicapées, et des seniors, mais il n’intervient pas dans la protection de l’enfance. Pourtant, dans d’autres domaines, l’expérience a montré qu’on pouvait créer un pilotage chargé de coordonner plusieurs politiques publiques. La question financière est centrale mais les crédits alloués à la protection de l’enfance à l’échelle nationale se montent à 10 milliards d’euros : nous parlons ici de sommes dérisoires, y compris lorsqu’on annonce 100 millions d’euros pour telle ou telle action – on est très loin du compte. Il s’agit de la vie de ces enfants.

Je suis allée en Belgique : comme au Québec, l’accueil y est pluridisciplinaire. La prise en charge des besoins fondamentaux de l’enfant est globale, impliquant l’infirmier, l’éducateur et le pédopsychiatre ou le pédiatre. La question du psychotraumatisme est centrale ; or nous avons dans ce domaine un problème de formation. Le syndrome de l’abandon peut avoir des conséquences néfastes. Les psychotraumatismes peuvent provoquer des comportements qu’on attribue à des troubles ; les enfants concernés sont alors dirigés vers la MDPH alors qu’ils relèvent de la protection de l’enfance, avec une prise en charge du traumatisme. Certains enfants ont connu des violences sexuelles ou des actes de barbarie ; ils arrivent directement à la protection de l’enfance alors que le personnel n’est pas spécifiquement formé pour les accueillir, quand les éducateurs n’ignorent pas tout ou partie de leur parcours. En refusant d’organiser une prise en charge globale, on multiplie les ruptures de parcours. En fait, on fait tout pour briser ces enfants. Une vision à 360 degrés est nécessaire : il faut penser à la fois à la santé et à l’éducation, donc les services de l’État doivent travailler aux côtés des départements.

Quelle est votre vision, en tant que président d’un conseil départemental, de ce que devrait être la gouvernance ? Beaucoup d’acteurs du débat voient dans la recentralisation une réponse à la crise. Qu’en pensez-vous ?

M. Sébastien Vincini. Étant donné l’état actuel de nos institutions et des finances de l’État, ainsi que la grande hétérogénéité des politiques départementales en matière d’ASE, la recentralisation serait une catastrophe. Il faudrait, au préalable, mener un grand travail d’harmonisation dans le cadre d’une stratégie nationale : élaboration de référentiels nationaux et de leurs déclinaisons départementales, construction de partenariats adaptés à chaque territoire, redimensionnement des équipes, réponse aux besoins en investissements. Sans cela, la recentralisation se ferait à marche forcée, en mobilisant au-delà des moyens actuels des départements. Prenons les choses par le bon bout et commençons par élaborer des politiques soumises à un pilotage national : alors, à terme, une recentralisation est possible. Aujourd’hui, elle ne ferait qu’empirer la situation.

En sept ans, combien y a-t-il eu de ministres de tutelle différents ? Combien de secrétariats d’État de plein exercice ? Combien de ministères dont l’intitulé comprenait ces mots : « protection de l’enfance » ? Sans vouloir commenter la turpitude de la vie politique, que penser tout de même d’une nation qui n’est pas capable d’impulser une politique publique dans un domaine qui parle intimement au parent que l’on est ou à l’enfant que l’on a été ? On ne se demande pas s’il faut un ministère de la santé ou de l’éducation nationale. Cette absence de gouvernance ne peut qu’interpeller : il y a besoin d’un pilotage politique. La psychiatrie et la santé mentale sont l’enfant pauvre de la santé. Il faut une mission interministérielle, il faut une autorité dotée de moyens et présente localement par l’intermédiaire d’une structure déconcentrée. Un préfet doit pouvoir mobiliser ses équipes, interpeller un délégué ARS, un directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN), interroger les chambres.

Comment bâtir ce dispositif ? Faut-il créer des groupements d’intérêt public (GIP) départementaux ? Ce dont je suis sûr, c’est qu’une contractualisation est nécessaire, assortie des moyens correspondants. Réforme après réforme, les départements ont fini par être privés de toute autonomie fiscale. Mais, en réalité, ce n’est pas la question : si nous disposions de financements dédiés évoluant au rythme de nos besoins, peu importerait qu’ils dépendent de dotations nationales. Le problème, c’est que notre budget, dont quelque 65 % sont consacrés à des dépenses sociales, est alimenté par des recettes qui dépendent du dynamisme économique. Le département gère un bon quart de la solidarité nationale : l’autonomie, la protection de l’enfance, l’insertion, la lutte contre les précarités. Or nos recettes croissent quand la consommation augmente et que le marché de l’immobilier et le bâtiment se portent bien. Cela n’a pas de sens : quand tout va bien, les dépenses sociales sont moindres. Le modèle est obsolète et mérite d’être repensé.

Ce modèle doit comprendre des financements dédiés, qui ne puissent pas être détournés par une autorité territoriale. La protection de l’enfance doit bénéficier d’un financement qui garantisse la mise en œuvre de cette politique publique, dans le cadre d’un référentiel national. Si l’on détermine un taux d’encadrement ou un nombre maximal d’enfants suivis – nous l’avons fixé, après une crise et un mouvement social en 2019, à vingt-cinq par référent ASE –, il faut prévoir le financement adéquat et obliger le département à se tenir à cette norme. Il faut une contractualisation entre l’État et la collectivité départementale, dans laquelle l’État a l’autorité pour mobiliser toutes les administrations concernées, de la santé à l’éducation en passant par la justice.

Ce partenariat, nous essayons de l’établir dans les faits. Seul le législateur peut décider de réformes de ce type. Dans le contexte actuel, il va être difficile de mobiliser. Néanmoins, tout le monde attend des réponses et un vrai sursaut. En tant que président de département, j’essaie d’être offensif et le plus lucide possible, mais je suis soumis à certaines contraintes. Nous avons lancé un plan de rénovation de bâtiments, or nos recettes ont diminué de 16 % en six mois. Les droits de mutation ont été divisés par deux, soit une baisse de 253 millions d’euros. C’est complexe ! Mais je refuse que notre politique de protection de l’enfance recule en raison de cette crise. Parmi tous les arbitrages qui ont lieu en ce moment, je refuse que les équipes chargées de diagnostiquer et de traiter les informations préoccupantes soient touchées par les réductions d’effectifs ; je fais donc porter les efforts sur d’autres. La solidarité, la prise en compte du handicap, le choc du vieillissement sont aussi des priorités. Cependant, il faut bien arbitrer.

J’attends beaucoup de votre commission d’enquête. L’évolution doit-elle venir d’une initiative du législateur ou de la mobilisation des départements ? Les deux sont nécessaires. Vous trouverez des alliés. J’ai été auditionné à deux reprises par la mission Woerth sur la décentralisation – d’abord avec l’ensemble des présidents de département puis en groupe plus restreint. Nous avons évoqué l’idée d’une contractualisation, la création d’une structure qui permettrait d’isoler le budget de la protection de l’enfance et l’organisation d’un copilotage État-département avec tous les acteurs concernés.

Mais nous devons également définir la manière dont nous voulons aborder la question de la protection de l’enfance, les cadres que l’on se donne : base de données nationale, référentiels... Au-delà de l’aspect technique, il arrive qu’un événement très grave survienne – le mauvais comportement d’un professionnel, par exemple – qui aurait pu être évité grâce au partage des données. L’absence de pilotage à l’échelle nationale peut donc avoir des conséquences dramatiques. Partager les informations ne fait pas partie de la culture du travailleur social. Or, lorsqu’il s’agit de délivrer une autorisation ou lorsque des actes délictueux ont été commis, elles devraient pouvoir l’être, indépendamment de la question de la recentralisation. Nous pourrons le faire si nous le décidons collectivement.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je suis tout à fait d’accord avec vous : il est essentiel de recueillir la parole de l’enfant. Pourriez-vous nous expliquer concrètement la procédure qui est suivie dans votre département ? Cette écoute permettrait peut-être d’éviter des placements trop nombreux et de multiplier les ruptures dans la vie de l’enfant.

Vous avez souhaité faire rénover le CDEF pour un montant de 30 millions d’euros. Cependant, vous avez également annoncé dans la presse la suppression de 500 postes. Cette mesure concerne-t-elle l’ASE ?

M. Sébastien Vincini. Il me semble que le recueil de la parole de l’enfant se fait dans tous les départements. Cette écoute est indispensable, mais comment faire en sorte que l’enfant soit réellement entendu ? Il n’y a pas eu un grand MeToo de l’enfance. Ne vous méprenez pas sur ma formulation : il est précieux que la parole des femmes qui ont subi des violences ou des agressions sexuelles ait pu enfin s’exprimer et libérer celle d’autres femmes victimes. D’anciens enfants de l’ASE lancent des cris du cœur qui interpellent et qui secouent – je le sais, pour participer à des débats ou oser aller à la confrontation sur ce sujet. Mais aucun grand mouvement n’a émergé, malgré des reportages parfois accablants.

Nous avons réfléchi à ces questions avec les services. À l’image du conseil départemental des jeunes, nous avons souhaité créer une instance représentative des jeunes issus de l’ASE. Après des appels à candidature auprès des établissements et des jeunes qui nous sont confiés, nous avons réuni soixante enfants de six à vingt et un ans dans un groupe de travail. Nous avons recueilli leurs témoignages. Pour accompagner la libération de leur parole, nous avons fait appel à des agents volontaires du conseil départemental, sous le pilotage de l’ASE, afin d’avoir un regard non professionnel.

Des propositions majeures ont été formulées, de la création d’un kit d’accueil – comment ne pas y avoir pensé ? – à des requêtes plus complexes, comme le souhait de n’avoir qu’un seul référent tout le long de leur vie, un seul parcours, un seul placement. Ma vice-présidente, moi-même et d’autres élus avons participé pendant deux matinées à la restitution de ces témoignages en séance plénière. Cela secoue. Que répondre à une enfant qui vous demande pourquoi la personne qui l’a reçue ne l’a pas accueillie comme l’aurait fait une maman, en la prenant dans ses bras et en la chouchoutant ? Un comité de suivi a été créé. Les enfants ayant participé à ces travaux, qui ont duré toute une année, ont souhaité devenir les parrains et les marraines de futurs enfants de l’ASE, pour les aider à libérer leur parole. Je ne sais pas si c’est la bonne formule, mais nos pratiques évoluent. Même si c’est difficile, il faut que nous entendions certaines paroles. Je ne suis pas favorable à un modèle qui serait imposé d’en haut par un projet de loi – c’est rarement efficace. En revanche, il faut rendre obligatoires de telles démarches, adaptées à la réalité territoriale.

S’agissant de la réduction du nombre des équivalents temps plein, vous connaissez la situation financière des départements. Une trentaine d’entre eux n’ont pas réussi à boucler leur budget 2024 – ce qui n’est pas le cas du mien – et environ quatre-vingts ne savent pas s’ils auront un budget équilibré et sincère en 2025 – quant à nous, nous y parviendrons. Lorsqu’on doit, comme c’est notre cas, économiser 160 millions d’euros, on ne bâtit pas le budget pour 2025 en soustrayant cette somme de celui de 2024. Certaines dépenses publiques sont incompressibles. Or elles vont progresser. Mon budget va donc augmenter. Ce que je dois faire, c’est freiner la dynamique en réduisant la quote-part des politiques publiques sur lesquelles nous avons encore la main.

Depuis six à sept ans, le département de la Haute-Garonne est celui dont la population croît le plus, avec 17 000 habitants supplémentaires chaque année. Pour les Franciliens, c’est l’équivalent d’une petite commune ; ailleurs, c’est la population d’une des dix plus importantes villes du département, voire de la préfecture ou de la sous-préfecture. Aussi avons-nous besoin de services publics supplémentaires, d’accompagner les territoires, de créer des classes dans les collèges, etc. Les besoins sont tels que je n’ai pas pu, comme certains départements, faire le choix d’une année blanche en matière d’investissements – nous devons construire deux casernes, lancer un collège, reconstruire le CDEF – ou de soutien aux politiques de cohésion sociale : culture, sport, éducation. Les gens qui viennent habiter en Haute-Garonne ne sont pas tous des trentenaires sans enfant, appartenant aux CSP+, avec un emploi et amoureux de Netflix. Si l’on veut une société où les gens se parlent, se confrontent, se découvrent, se connaissent, il faut développer une politique de cohésion sociale. Je ne peux donc pas renoncer, comme certains de mes homologues, à toutes les politiques volontaristes en matière culturelle, associative et sportive.

En matière sociale, je ne peux pas non plus m’en tenir à ce qui est strictement obligatoire : les allocations individuelles de solidarité (AIS). L’accompagnement des femmes qui ont subi des violences, l’instauration d’un plan de lutte contre la très grande pauvreté et la très grande précarité – par la mise en réseau de tous les acteurs de l’aide alimentaire, qui sont des partenaires de nos maisons des solidarités (MDS) et de nos travailleurs sociaux – sont autant de politiques volontaristes. Il en va de même pour le virage domiciliaire : il ne suffit pas de le décréter et de verser l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), il faut l’accompagner, notamment en déployant un système de téléassistance. Je ne peux pas renoncer à ces politiques ; nous sommes donc obligés de les ajuster.

Sur les 160 millions d’euros d’économies à réaliser, j’ai annoncé de manière très transparente que 20 millions le seraient sur la masse salariale – bien entendu, le dialogue social est conflictuel. En tant qu’homme de gauche, j’assume cette décision. Contrairement à mes prédécesseurs, je ne dispose pas du levier fiscal. Je ne peux pas remettre en cause l’ensemble de nos politiques sans imposer à ma propre collectivité des efforts en matière de fonctionnement. J’ai donc étudié très précisément les indicateurs. Or la Haute-Garonne dépense 253 euros par habitant en masse salariale, quand les autres départements millionnaires, à périmètre de services publics comparable, dépensent en moyenne 200 euros. Certains dépensent plus, parce qu’ils gèrent des crèches, par exemple. Mais au regard de la Gironde et de la Loire‑Atlantique, qui mènent des politiques équivalentes, la Haute-Garonne dépense anormalement plus. J’ai identifié la cause : nous comptons 12 % de contractuels – embauchés pour effectuer des remplacements ou renforcer des équipes –, quand la moyenne des deux autres départements s’établit à 4 %.

Nous avons fait des choix et des arbitrages complexes. Ainsi, des renforts et des remplacements ne seront pas renouvelés. Nous ne supprimons pas de postes permanents mais, par principe, nous ne remplaçons pas certains départs à la retraite ni les personnels en mobilité : nous repensons les missions. Certaines d’entre elles ont été sanctuarisées : les référents ASE et les services de recueil des informations préoccupantes. Cependant, dans le secteur du social ou de la protection de l’enfance, des postes de support administratif, d’encadrant ou de mission support peuvent être remis en question ; nous nous adaptons continuellement.

Mes maisons des solidarités ne sont pas figées. Lorsqu’on accueille 17 000 nouveaux habitants chaque année, certains espaces périurbains bougent. L’organisation que nous avions conçue en 2017 – nombre de référents ASE ou de psychologues par MDS – puis réajustée en 2019 et mise en œuvre en 2021 est déjà obsolète. Dans le sud-ouest toulousain, une MDS doit être divisée en deux parce que certaines communes sont passées de 2 000 à 7 000 habitants. Ceux qui s’installent ne sont pas tous des gens heureux : on le sait depuis la fin de l’épidémie de Covid, les violences explosent dans les cellules familiales et les enfants sont les plus vulnérables.

La presse avait annoncé la fermeture de trois services. Quand j’ai été élu président, il y a deux ans, nous avons lancé une mission d’audit et d’accompagnement du CDEF. Selon ses conclusions, il était nécessaire de recentrer celui-ci sur ses missions essentielles. Des services s’étaient en effet constitués de manière empirique et nous avons souhaité les sortir physiquement du CDEF. Leur suppression figurait dans une note d’intention soumise à une instance paritaire. Notre objectif était de les confier à des partenariats associatifs à but non lucratif ou de les reprendre en interne. Le dialogue social n’ayant pas été suffisant pour avancer sur cette question, les trois services n’ont pas été supprimés.

J’ai par ailleurs lancé un plan de réhabilitation sur trois ans. Il est en cours d’exécution : chaque année, nous investissons 1 million d’euros dans des travaux de réhabilitation. Toutefois, cela ne sera pas suffisant. Ce bâtiment ancien dysfonctionne : il faut en construire un nouveau. L’organisation doit également être repensée dans le cadre d’un dialogue social avec les agents du CDEF. Nous prendrons le temps nécessaire pour redéfinir ses missions.

M. Denis Fégné (SOC). La situation de la protection de l’enfance est très dégradée, parfois alarmante : absence de volonté politique, inégalités territoriales dans la qualité des prises en charge, manque de moyens alloués à la prévention, absence de souplesse dans la gradation des interventions entre prévention et protection, difficultés de coordination entre les dispositifs administratifs et judiciaires, manque de personnels formés lié à des rémunérations faibles, à la pénibilité et au manque d’attractivité des métiers de l’humain et du lien social.

Les professionnels et les travailleurs sociaux se plaignent de la multiplication des audits et de l’empilement des réformes au sein des conseils départementaux. Que préconisez-vous pour lutter, dans votre département, contre la perte de sens provoquée par cette réorganisation permanente ?

Par ailleurs, l’embolisation constatée au niveau des mesures de placement nécessite une meilleure gradation des différentes interventions – AED, AEMO, mesures de placement – afin d’assurer la continuité de la prise en charge de l’enfant. Que préconisez-vous en la matière ?

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). En février 2024, après une succession de drames en psychiatrie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, le ministre Frédéric Valletoux a annoncé la création d’un comité de suivi réunissant tous les acteurs pour prendre des mesures d’urgence et de réorganisation de la psychiatrie dans le département. Cela faisait des années que les soignants alertaient sur l’effondrement de la psychiatrie publique sans être entendus. Ce comité de suivi a-t-il été réuni ? Qui le compose ? Le conseil départemental y a-t-il sa place ? Sur quelles mesures d’urgence a-t-il débouché ? Y avait-il un volet concernant la protection de l’enfance ? Rappelons que les jeunes que nous accompagnons sont concernés à la fois par la pédopsychiatrie et par la psychiatrie adulte. Voyez-vous des évolutions positives dans la prise en charge des jeunes protégés ? Si non, que vous manque-t-il ?

Je veux saluer l’honnêteté dont vous avez fait preuve dans votre propos introductif. Vous dressez le constat dramatique que le manque de moyens vous empêche de protéger les enfants en danger, comme le démontrent vos chiffres sur les signalements et sur les placements non exécutés. Je rappelle que vous avez une responsabilité pénale, en tant que président, alors que l’État vous abandonne. Vous êtes présent aujourd’hui devant nous mais cette situation n’est pas propre à la Haute-Garonne et n’est surtout pas l’affaire exclusive des conseils départementaux. Elle nécessite une intervention immédiate de l’État.

Que pensez-vous de ce budget imposé par 49.3 qui sabre encore plus de 2 milliards dans le budget des collectivités locales ? Et je ne parle même pas du budget de l’Éducation nationale, ou encore de celui de la justice, dont vous avez qualifié la situation de dégradée. Quant aux secteurs sanitaire et médico-social, ils sont touchés par des coupes de 24 milliards d’euros par rapport au budget de l’année dernière, ce qui aura des répercussions en chaîne sur la politique publique de protection de l’enfance.

Alors qu’il vous est déjà si difficile d’agir, comment voyez-vous l’avenir avec une austérité renforcée et 24 milliards d’euros en moins ? Comment pouvez-vous vraiment protéger les enfants dont vous avez la responsabilité ?

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). J’aimerais revenir sur la question des travailleurs sociaux, sans qui le système ne peut pas marcher. Votre département a connu plusieurs mobilisations : en mars 2022, les personnels de l’ASE se sont réunis devant le conseil départemental pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail ; en février 2024, un syndicat a appelé à un rassemblement devant le conseil départemental pour dénoncer les conditions de travail des salariés du CDEF et pour s’opposer au transfert de compétences de trois services ; en novembre 2024, les professionnels de la protection de l’enfance de la maison des solidarités d’Aucamville se sont réunis pour réclamer davantage de moyens et alerter sur les dégradations de leurs conditions de travail ; en décembre 2024, les travailleurs sociaux de Revel ont dénoncé un manque de moyens.

Cette situation n’est évidemment pas propre à votre département et se retrouve partout ailleurs. Les personnels dénoncent en outre l’abandon par l’État d’une politique ambitieuse pour les travailleurs sociaux, qui se traduit par un décrochage salarial et une dévalorisation de leur métier. J’aimerais savoir ce que vous faites pour rétablir le dialogue social et pour améliorer les conditions de travail. Comment avez-vous réagi face à ces revendications ?

J’en viens aux propos tenus par la jeune fille que vous avez recueillie. Cette petite qui se demande pourquoi on ne les dorlote pas comme une maman a exprimé, avec ses mots, le souhait d’une politique de suppléance parentale. Vous avez indiqué y avoir réfléchi et avoir pris des mesures répondant aux vœux de cette petite fille. Quelles sont ces mesures à même d’assurer une sécurité affective et morale aux enfants ?

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je vous rejoins sur le constat de la nécessité d’une mobilisation de la société en faveur de l’enfance et de l’éducation nationale.

Vous avez évoqué un investissement de 30 millions d’euros dans le bâti. S’agit-il de construire de nouvelles infrastructures ou bien d’augmenter le nombre de places ? Cet investissement est-il rendu nécessaire par l’inadaptation des bâtiments aux usages ou par une évolution de la prise en charge ? À quel niveau souhaitez-vous investir ces 30 millions ?

M. Sébastien Vincini. Les 30 millions d’euros correspondent à l’estimation de l’avant-projet de reconstruction d’un CDEF mieux dimensionné et plus adapté à la multiplicité des publics.

Concernant la psychiatrie, le drame de Toulouse nous a tous bouleversés. Le département a d’excellentes relations avec le CHU et l’ARS. Nous avons été informés de la constitution d’un groupe de réflexion mais nous aimerions pouvoir y participer.

Vous avez évoqué la question de la réorganisation permanente. Les travailleurs sociaux ne cessent de réclamer le changement. La difficulté, c’est que cela suppose de s’adapter, de réorganiser les processus. Or, en période de contrainte financière, je dois borner les missions du conseil départemental à ce qu’il est tenu de faire en tant que référent ASE, notamment dans le cadre du placement d’enfants auprès de partenaires. Certaines actions éducatives ne relèvent plus du suivi des référents ASE ; or mes agents assurent encore des actions, qui doublonnent avec celles de partenaires. Nous avons engagé un véritable dialogue de gestion avec l’ensemble des acteurs mais, en raison de la rareté des deniers publics, j’exige la transparence sur ce que chacun fait et je demande à mes agents d’assurer le pilotage. Cela nécessite des réorganisations et des adaptations. Ce n’est pas simple et, compte tenu de ces contraintes, je sais que ma collectivité va traverser au moins six mois difficiles.

Nous recevons régulièrement des alertes des équipes. Les difficultés sont connues : les équipes sont débordées et, faute de solutions, courent toute la journée pour trouver des places. La MDS d’Aucamville doit gérer quatre cas : trois réaccueils – fugue, délinquance, refus d’être placé – et le dernier dû à l’impossibilité de trouver une place en IME. Je connais parfaitement la situation – chaque référent ASE gère en moyenne vingt-deux à vingt-cinq enfants – mais certains cas sont inextricables. Je m’interroge d’ailleurs sur la responsabilité pénale et financière du conseil départemental.

Les départements ne pourraient-ils pas être autorisés à créer, à titre expérimental, des places d’accueil à bas seuil en vue du réaccueil ? Le CDEF n’est en effet pas adapté à cela. Un adolescent, s’il n’est pas bien accompagné par ses parents, peut tomber dans la délinquance ou dans la prostitution. L’adolescence ne dure qu’un temps ; il faut offrir à ces jeunes un toit, un lieu dédié où ils savent qu’ils pourront venir et être compris et entendus, même s’ils ont commis une faute ou une erreur – j’ai toujours préféré la main tendue au poing fermé. Il n’est pas simple d’appliquer une décision de justice de placement, comme le démontrent les cinquante mesures non exécutées.

Par ailleurs, il faut créer des places en IME parce qu’il n’est pas possible de continuer ainsi. Le réaccueil permanent au CDEF faute de solutions de placement met en souffrance l’enfant comme le professionnel. Ces politiques sont toujours complexes à mettre en œuvre. Chaque jour, le référent ASE et le travailleur social doivent prendre des décisions de placement d’enfants. Ce n’est pas parce que je préside cette politique que je peux me substituer à eux. Le dialogue social est donc nécessaire.

M. Denis Fégné (SOC). Vous avez indiqué que la moyenne était de vingt-deux à vingt-cinq enfants par référent ASE. Le ratio est-il le même pour les enfants qui vous sont confiés par décision de justice ?

M. Sébastien Vincini. Cela peut parfois aller au-delà de vingt-cinq enfants, quand il manque un référent ASE, parce qu’on ne laisse pas une file active sans suivi. Ce chiffre est donc mouvant mais nous l’avons capé à vingt-cinq. Nous fixons le nombre de référents ASE en fonction de l’augmentation du nombre d’enfants qui nous sont confiés.

Mme Siham El Boukili, directrice générale déléguée aux territoires et à l’action sociale de proximité. Dans les maisons départementales des solidarités, les équipes de l’ASE ne sont pas impliquées dans les AEMO, qui sont externalisées. En revanche, la file active d’un référent ASE comporte l’ensemble des mesures. Il faudrait d’ailleurs préciser – cela fait écho à ce qu’indiquait M. le président à propos d’un référentiel national – ce que l’on met dans une file active – quel type de mesures, quelle intensité d’accompagnement – pour savoir de quoi on parle. Cela contribuerait à sécuriser les agents qui sont très fortement exposés à l’urgence et parfois à l’impuissance, lorsque les mesures ne font pas sens.

S’agissant de la gradation des interventions, la situation est aberrante : le système étant saturé, l’énergie des équipes est mobilisée par les situations les plus complexes, celles qui nécessitent des placements tardifs, des interventions en urgence, des réaccueils. La recherche de places se fait au détriment des AED et du soutien des assistants familiaux. Nous devrions tous avoir en tête que le placement est l’exception et que l’objectif doit être de rechercher des ressources familiales, des mesures alternatives au placement. Si l’on veut rétablir un fonctionnement rationnel, il faudrait que les équipes des départements assument l’ensemble des mesures à leur disposition au lieu d’être monopolisées par la gestion de l’urgence ou la nécessité de se substituer à des acteurs défaillants.

M. Sébastien Vincini. C’est toute la question de la reconquête du sens. Il faut sortir de la spirale de l’urgence. Si chacun arrive à faire progresser sa quote-part, ce que j’espère, on devrait y parvenir. Le manque de finances finira par mettre en difficulté nombre de politiques sociales.

Comment donner du sens dans un système sans cesse mouvant ? Le schéma départemental de la protection de l’enfance a permis de structurer notre action. Nous essayons par ailleurs de réinstaurer un dialogue social avec l’intersyndicale. Je ne nie pas que cela soit difficile – nous ne nous comprenons pas trop pour le moment – mais j’essaie de m’appuyer sur l’ensemble des agents de la collectivité. Le schéma global de l’action sociale et de la solidarité doit s’inspirer de leurs propositions. On ne peut pas confier à un audit le soin de fixer de nouvelles orientations ou de nouveaux référentiels départementaux. Il faut que cela vienne de la pratique. Toutefois, on ne peut pas continuer comme avant : il faut travailler différemment.

Le réaccueil d’un enfant souffrant de troubles autistiques et dépourvu de l’usage de la parole surcharge les équipes et nécessite des moyens supplémentaires. Le département de la Haute-Garonne n’économise jamais le moindre euro sur la prise en charge des enfants, même lorsque cette mission ne lui incombe pas. Le CDEF accueille actuellement trois enfants dans cette situation, dont l’un, âgé de sept ans, est présent depuis quatre ans. Cela représente un peu plus de 1 million d’euros et quatre équivalents temps plein. Le CDEF a les ressources et il est hors de question de les diminuer.

Mme Siham El Boukili. La question de la suppléance parentale se pose à toutes les étapes de la prise en charge de l’enfant. On a beaucoup insisté sur l’importance de la continuité des parcours ; or, dans un système saturé, l’incertitude et les ruptures rendent difficile l’exercice de la suppléance parentale.

J’aimerais me faire l’écho des propositions des enfants et des jeunes accueillis au conseil départemental des enfants et adolescents accueillis (CDEJA) : remise d’un kit d’affection dès l’accueil ; réalisation d’un book de vie et d’une boîte à souvenirs ; demander dès l’accueil à l’enfant quel est son rêve réalisable ; réfléchir au premier accueil avec les établissements, les enfants et les professionnels de l’ASE ; effectuer les placements l’après-midi et non le soir, trop angoissant.

M. Sébastien Vincini. La restitution de toutes ces propositions s’est faite en octobre 2024. J’ai donné pour instruction à mes équipes de traduire en actes les revendications des enfants au plus tard en juin 2025. Ce n’est pas nous qui les avons écrites mais les enfants, qui se sont mis d’accord sur les propositions qui leur paraissaient essentielles et prioritaires.

J’ai reçu plusieurs témoignages de jeunes adultes me décrivant le choc qu’ils ont ressenti lorsque, enfants, ils sont arrivés tard le soir dans un CDEF où la situation était agitée, alors qu’ils étaient eux-mêmes très stressés. L’un de ces témoignages m’a beaucoup marqué : il s’agissait d’une étudiante en droit qui voulait devenir juge des enfants. Quand elle a été placée dans un CDEF après un parcours chaotique, elle a cru qu’elle avait été punie pour avoir fait une bêtise. Je trouve cela terrible ! Ce n’est pas possible : nous devons être là pour les réconforter ! Le placement en journée n’est pas simple : l’arrivée au CDEF se fait souvent en fin de journée car la décision est prise lorsqu’on n’a pas trouvé de placement adapté, que personne ne veut de l’enfant – c’est terrible. Il faut qu’on arrive à améliorer ce processus.

Avant la dissolution, j’avais sollicité Mme la rapporteure, avec qui j’avais échangé par le passé sur cette question, pour être auditionné par votre commission d’enquête. Je crois beaucoup au travail que vous êtes en train de faire. Il ne faut pas que votre rapport reste lettre morte. Le mieux sera l’ennemi du bien. Puisque les constats sont partagés par tous, nous devons faire progresser cette politique. Dans l’idéal, peut-être faudrait-il un donneur d’ordre unique pour toutes les politiques et une recentralisation des moyens de l’État, mais nous savons d’ores et déjà qu’ils font défaut. Mesdames et messieurs les députés, nous comptons sur vous pour bâtir un chemin de progrès. Nous serons force de proposition et sommes à votre disposition si vous souhaitez nous réinterroger en vue de la préparation d’un texte de loi.

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*     *

La commission procède à l’audition de M. Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts et consignations, M. Jérôme Lamy, directeur des clientèles bancaires de la Banque des territoires, Mme Marie DolardCleret, directrice du département Consignations et dépôts spécialisés, et M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes de la Caisse des dépôts.

Mme la présidente Laure Miller. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance avec l’audition des responsables de la Banque des territoires.

Nous accueillons : M. Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts, M. Jérôme Lamy, directeur des clientèles bancaires de la Banque des territoires, Mme Marie Dolard-Cleret, directrice du département Consignations et dépôts spécialisés, et M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes de la Caisse des dépôts.

Madame, messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions.

Nous attendons de cette audition qu’elle éclaire la commission d’enquête sur le rôle de la Banque des territoires dans la mise en œuvre et le financement des politiques publiques de protection de l’enfance. Nous souhaitons aussi qu’elle nous permette de discuter des analyses et des conclusions du rapport intitulé « Des solutions innovantes pour les acteurs de l’enfance protégée – Une approche écosystémique qui peut changer la donne », que vous avez remis récemment à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Je rappelle que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Olivier Sichel, M. Jérôme Lamy, Mme Marie Dolard-Cleret et M. Philippe Blanchot prêtent serment.)

M. Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts. Je vous remercie de m’inviter à m’exprimer sur l’enjeu crucial de la protection de l’enfance. La Banque des territoires et le groupe Caisse des dépôts s’engagent sur ce sujet, notre rôle étant d’aider les collectivités locales, notamment les départements, dans leurs projets et politiques publiques.

Depuis la création de la Banque des territoires en 2018, la fracture sociale et la situation des enfants placés sous protection de l’autorité publique ont été des préoccupations centrales.

Notre implication a débuté en 2016, avec la loi qui nous donne une mission de réception, de sécurisation et de restitution de l’allocation de rentrée scolaire des jeunes de l’aide sociale à l’enfance (ASE).

La crise du Covid et le financement du plan de relance ont mis en lumière les difficultés du secteur de l’enfance protégée. Nous avons identifié un besoin de financement de 2,4 milliards d’euros pour la création et la rénovation de places d’accueil.

Trois quarts des juges renoncent à placer des enfants, faute de structures adaptées, 97 % des établissements de protection de l’enfance rencontrent des difficultés de recrutement, et 23 % des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance ne sont plus scolarisés à dix-sept ans.

En 2023, j’ai lancé une mission pour élaborer une offre globale sur la protection de l’enfance, en collaboration avec les départements et les associations. En juin 2024, j’ai été missionné par la ministre de la santé, Catherine Vautrin, la ministre déléguée à l’enfance, Sarah El Haïry, ainsi que Florence Dabin, présidente du groupement d’intérêt public (GIP) Enfance protégée, pour proposer des solutions innovantes.

Nous avons exploré quatre domaines : l’immobilier, la formation professionnelle, le numérique et l’accès à l’autonomie des jeunes protégés. Le rapport a été remis le 7 janvier à Catherine Vautrin et Florence Dabin.

Concernant le pécule, la Banque des territoires assure depuis 2016 la protection de ces sommes pour les enfants placés. Nous avons mis en place un dispositif d’accompagnement, avec un parcours guidé de restitution en ligne, tout en reconnaissant que le digital seul ne suffit pas pour ces jeunes.

Nous disposons de conseillers disponibles cinq jours par semaine au téléphone pour accompagner les majeurs, avec une ligne dédiée, offrant un accompagnement personnalisé et un relais vers les principaux sites de service public, comme service-public.fr.

Au 31 décembre 2024, nos comptes affichent 169,6 millions d’euros, dont 34,2 millions d’euros sont restituables. Les 135,3 millions d’euros restants, non restituables, correspondent aux allocations de rentrée scolaire des enfants encore mineurs.

En 2024, le taux de restitution global du pécule était de 47,11 %, avec d’importantes disparités entre départements. Ce taux a progressé de 2,58 points par rapport à 2023, notamment grâce à des actions de communication sur les réseaux sociaux visant les jeunes. Ce pourcentage reste néanmoins insatisfaisant.

Le cœur du problème réside dans l’échange de données entre les caisses d’allocations familiales (CAF), les départements et la Banque des territoires. Les services juridiques de la Caisse des dépôts ont proposé au ministre de la santé un décret. Celui-ci a pour objectif de faciliter la transmission automatique des données personnelles de la CAF aux départements, afin d’améliorer le processus de restitution.

Je tiens à souligner notre préoccupation concernant cette non-restitution des sommes. Notre vocation n’est pas de les conserver. Pour donner une perspective, les encours de la Caisse des dépôts représentent 40 milliards d’euros sur les dépôts des notaires, et le total du bilan est de 1 300 milliards d’euros. Notre objectif est vraiment de restituer ces sommes, le plus facilement possible.

En examinant la situation, nous avons constaté que le pécule n’est qu’un aspect mineur du problème. La principale difficulté est le manque de places d’accueil. Le rapport recommande la création de 5 000 à 9 000 nouvelles places, pour un coût moyen de 120 000 euros par place.

De plus, de nombreux foyers existants nécessitent une réhabilitation, estimée entre 11 000 et 18 000 places, pour un coût de 45 000 à 100 000 euros par place. Le besoin total s’élève à 2,4 milliards d’euros.

En 2024, nous avons proposé une première offre de prêts bonifiés au taux du livret A, d’un montant de 67 millions d’euros. Cette enveloppe a été épuisée en trois semaines, permettant la création de 1 200 places, sur une trentaine d’opérations. Je recommande donc une enveloppe plus importante de 350 millions d’euros pour financer l’immobilier.

Nous avons également constaté des difficultés pour la sortie des jeunes de ces foyers. En tant que financeurs du logement social, nous avons cherché à rendre effectif le droit prioritaire au logement social pour les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance. Lors du dernier congrès HLM de l’Union sociale pour l’habitat, nous avons signé une convention avec tous les partenaires afin de faciliter l’accès au logement social pour ces jeunes à leur majorité.

Créer des places est important, mais du personnel formé est également nécessaire. Nous proposons donc d’investir davantage dans la formation professionnelle, un secteur actuellement délaissé. La Banque des territoires peut intervenir en tant qu’investisseur dans les organismes de formation.

En tant qu’opérateur de « Mon compte formation », la Caisse des dépôts a également la possibilité de mettre en avant ces formations dans le secteur de l’aide sociale à l’enfance afin de les rendre plus attractives.

Concernant le volet, nous expérimentons dans trois départements – Maine-et-Loire, Côte-d’Or et Yvelines – un « compagnon numérique », permettant aux jeunes d’avoir tous leurs documents importants sur leur smartphone.

Enfin, nous proposons que le groupe Caisse des dépôts soit moteur dans l’accession à l’autonomie des jeunes, en utilisant ses différentes capacités comme le passage du permis de conduire à La Poste, des formations pour les chauffeurs de Transdev ou l’ouverture de comptes bancaires avec La Banque Postale.

Ce rapport a été remis le 7 janvier. Nous sommes maintenant en phase d’action au sein de la Banque des territoires, afin de déployer ce programme et d’apporter des solutions concrètes à la politique de l’aide sociale à l’enfance.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je suis ravie de pouvoir vous auditionner, alors que nous arrivons à la fin de nos auditions cette semaine. Votre rapport a été particulièrement important pour nos travaux.

Concernant la « data », nous avons constaté qu’il s’agit d’une problématique majeure de la protection de l’enfance. Pensez-vous qu’il serait possible de mettre en place un système national de données permettant de suivre le parcours de vie des enfants et les places disponibles ?

Actuellement, nous n’avons aucune donnée au niveau national. J’ai eu l’occasion d’observer ce qui se fait à l’étranger, notamment au Québec où des quartiers, avec des spécificités précises, sont cartographiés. La combinaison de données et de recherche permet à ce pays d’élaborer et d’évaluer des politiques publiques efficaces, en se concentrant sur le parcours des enfants.

Est-il envisageable pour la Banque des territoires de créer un modèle national, plutôt que départemental ? Le programme Olinpe, sur lequel s’appuient actuellement les départements, ne semble pas répondre à ce besoin et s’avère particulièrement coûteux. Pouvez-vous nous donner une estimation de ce qui serait réalisable et dans quels délais, afin que nous puissions lancer une dynamique dans ce domaine ?

De plus, nous ne disposons d’aucune cartographie des données à l’échelle nationale. Vous avez mené une mission d’évaluation qui a permis de chiffrer à environ 2 milliards d’euros les places disponibles et le bâti, mais cette étude n’a été réalisée que sur quelques départements. Nous manquons donc d’une cartographie nationale des capacités d’accueil en France. Les enfants peuvent être accueillis dans différents départements et il existe plus de 2 600 espaces d’associations intervenant en protection de l’enfance sans visibilité globale sur les infrastructures.

Concernant le pécule pour les jeunes, j’avais travaillé sur le sujet avec Laurence Rossignol dès 2014. Dix ans plus tard, nous constatons des difficultés pour accéder à ce pécule, ce qui n’était pas l’intention du législateur. Est-il possible d’accélérer la publication du décret nécessaire ?

Pour la formation, avez-vous envisagé des formations in situ ou en MOOC – Massive Open Online Courses –, comme cela se fait à l’étranger ? Nous devons faire évoluer les formations pour mieux répondre aux besoins spécifiques des enfants en protection de l’enfance, en intégrant davantage les connaissances sur leurs besoins fondamentaux.

Concernant l’application que vous développez avec des jeunes, il existe des exemples intéressants à l’étranger, notamment au Québec, en Allemagne et en Belgique. Ces applications permettent aux jeunes en fugue de localiser des lieux d’accueil temporaire ou des endroits pour se nourrir et dormir. Quel est votre avis sur la possibilité de développer ce type d’outil en France ?

S’agissant enfin de l’évaluation à 2,4 milliards d’euros des besoins pour le bâti, quelle a été la réponse du ministère ? Les grands bâtiments accueillant soixante-dix places ne sont plus adaptés aux besoins actuels des jeunes. Nous avons besoin de petites unités de vie.

Faut-il envisager une loi d’urgence pour accélérer la construction et la rénovation des infrastructures ? Il est important de repenser le concept d’accueil en tenant compte des connaissances actuelles plutôt que de simplement rénover d’anciens bâtiments inadaptés.

M. Olivier Sichel. Je suis entièrement d’accord avec vous concernant l’importance des données. Notre mission a également examiné les pratiques à l’étranger et nous avons constaté notre retard dans ce domaine.

Dans d’autres pays, l’utilisation des données joue un rôle central dans la prévention, permettant de détecter les situations à risque en amont et d’éviter des placements coûteux et traumatisants pour les enfants. Nous avons observé cela en Australie et dans d’autres pays.

La difficulté majeure en France réside dans la protection des données personnelles. La Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL) interdit le transfert de ces données, d’où la nécessité d’un décret.

À la Banque des territoires, nous gérons plusieurs plateformes de données. Par exemple, nous opérons le portail France Foncier+, qui recense le foncier disponible pour l’industrie. Cette plateforme cartographie actuellement près de 6 000 hectares sur 850 sites.

Nous gérons également des plateformes traitant des données personnelles, comme le site Ciclade.fr, qui a permis la restitution d’un milliard d’euros d’avoirs en déshérence, depuis la mise en place de la loi Eckert.

Nous avons aussi l’exemple d’Index Pronote, une société détenue à 90 % par La Poste et à 10 % par la Banque des territoires, qui gère le répertoire des carnets de notes des enfants et les échanges avec les parents.

Nous sommes en mesure de progresser sur cette « data » et de mettre en place des projets au niveau de la Banque des territoires. La difficulté réside dans le fait que, s’agissant d’une politique départementale, les données sont particulièrement dispersées.

C’est pourquoi nous proposons, dans le volet 3 du rapport, la création d’espaces numériques, incluant des modules de formation en ligne pour les travailleurs sociaux. Ces modules aborderaient des sujets tels que la prise en charge d’enfants violents ou le traitement de questions juridiques complexes concernant les mineurs non accompagnés.

L’objectif est de mutualiser ces ressources plutôt que de les répliquer dans chaque département. Je me réjouis que le programme France 2030 nous ait accordé une enveloppe de 2 millions d’euros pour investir dans la formation des formateurs et le développement d’outils numériques. Il est important de reconnaître que les 380 000 jeunes placés représentent aussi notre avenir, au même titre que les domaines du quantique, de l’intelligence artificielle ou du spatial.

M. Jérôme Lamy, directeur des clientèles bancaires de la Banque des territoires. Concernant le décret, nos échanges avec les services de l’aide sociale à l’enfance de certains départements ont révélé un besoin réel de connaître l’identité des jeunes majeurs n’ayant pas demandé la restitution de leur pécule à la Banque des territoires.

Actuellement, les textes régissant les échanges d’informations entre les émetteurs – les caisses d’allocations familiales et les mutualités sociales agricoles – et la Caisse des dépôts ne nous permettent pas de transmettre ces informations aux départements.

Les travaux entrepris avec la direction générale de la cohésion sociale début 2023 n’ont pas encore abouti à un texte finalisé. Ce texte devrait nous permettre de respecter nos obligations en matière de protection des données tout en transmettant ces informations aux conseils départementaux.

Cela leur permettrait d’identifier les jeunes n’ayant pas demandé la restitution de leur pécule et de les contacter, via les CAF, les mutualités sociales agricoles et les acteurs de la protection sociale des enfants, afin de les informer de la possibilité de récupérer leur pécule à la Caisse des dépôts.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Pourquoi le pécule n’est-il pas automatiquement versé aux jeunes en difficulté issus de la protection de l’enfance, sachant qu’ils n’ont pas nécessairement d’adultes de référence pour les guider dans leurs démarches administratives ? Il est préoccupant que seulement 47 % des jeunes, soit moins d’un sur deux, y aient recours. Ce processus ne pourrait-il pas être automatisé, comme cela se fait pour d’autres démarches administratives ?

Concernant les disparités territoriales, pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet, notamment sur leur nature ? Quel est votre plan d’action concret, au-delà de l’envoi de listes aux départements ?

Pour le volet immobilier, vous avez évalué les besoins à 2,4 milliards d’euros. Le secteur privé va-t-il investir dans le foncier de la protection de l’enfance, comme cela s’est produit pour les crèches, les universités ou encore les EHPAD ?

Concernant la formation professionnelle, avez-vous étudié l’impact de Parcoursup sur le recrutement des travailleurs sociaux ? Auparavant, l’entrée en formation se faisait sur concours, ce qui garantissait une certaine motivation et connaissance du métier. Comment gérez-vous cette évolution ?

Enfin, sur le numérique et les données, comment expliquez-vous qu’un département gérant à la fois la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) et la protection de l’enfance soit incapable de croiser ses données pour identifier les enfants placés également suivis par la MDPH ? Cette information est pourtant fondamentale pour adapter les politiques publiques.

La même question se pose pour les liens avec la psychiatrie et les agences régionales de santé (ARS). Pourquoi la recherche sur la protection de l’enfance en France est-elle si limitée, comparée à d’autres pays comme la Belgique ou le Canada ? Comment comptez-vous améliorer la collecte et l’utilisation des données pour mieux répondre aux besoins des enfants placés ?

M. Olivier Sichel. La raison pour laquelle nous ne restituons pas plus automatiquement le pécule est simplement que nous ne disposons pas du relevé d’identité bancaire (RIB) des enfants.

Nous recevons l’argent de la CAF avec les nom et prénom des enfants. Nous transmettons l’information au département, qui reçoit l’enfant pour procéder à la restitution. Or, pour automatiser le processus, le lien direct entre le virement bancaire et l’association du nom et du prénom de l’enfant est nécessaire. Si nous pouvions établir ce lien automatiquement, il n’y aurait pas de problème. Mais la réalité est plus complexe.

M. Jérôme Lamy. Les informations que nous recevons des caisses d’allocations familiales et de la Mutualité sociale agricole sont : le nom, le prénom, la date de naissance, l’adresse du domicile de l’allocataire – le parent de l’enfant placé –, le numéro d’allocataire, le montant versé au titre de l’allocation de rentrée scolaire et l’année d’affectation. Ces données sont insuffisantes pour automatiser le paiement du pécule.

De plus, en cas de sortie de l’aide sociale avant la majorité de l’enfant, nous ne disposons que des dernières informations transmises par la CAF, qui peuvent être relativement anciennes.

Nous souhaitons donc collaborer avec les départements, qui ont une meilleure proximité avec les bénéficiaires. L’automatisation du versement nécessiterait également des informations bancaires et une vérification d’identité. Nous devons effectivement nous assurer de l’identité du bénéficiaire, pour éviter les fraudes.

M. Olivier Sichel. Les variations de taux de restitution entre les départements sont considérables. Les chiffres oscillent entre 58,41 % pour la Meuse et 8,29 % pour la Guyane. La répartition est particulièrement hétérogène, même au sein d’une même région. Je tiens ces données détaillées à la disposition de la commission d’enquête.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Ces écarts sont-ils uniquement dus à l’information ?

M. Olivier Sichel. Tous les départements ont le même dispositif. Certains parviennent à restituer une majorité des fonds, d’autres non. Les raisons peuvent être multiples : sous-effectifs, problèmes logistiques, etc. Néanmoins, nous constatons une progression générale. Par exemple, la Corse du Sud est passée de 46 % à 58 % de restitution, soit une augmentation de 12 points.

Concernant les 2,4 milliards d’euros mentionnés précédemment, il s’agit de prêts accordés aux départements par la Banque des territoires – nous ne prêtons qu’aux collectivités locales, nous n’avons pas le droit de prêter au privé. Ces fonds sont destinés à la construction ou à la réhabilitation de structures d’accueil.

La tendance actuelle est aux petites unités, les grands ensembles de soixante-dix personnes étant abandonnés. En outre, les maisons doivent s’adapter aux besoins spécifiques des enfants accueillis. J’ai récemment visité, en Côte d’Or, une pouponnière accueillant des enfants de moins d’un an, placés à l’aide sociale à l’enfance : les besoins en équipements diffèrent grandement de ceux d’un établissement pour adolescents.

Nos prêts sont exclusivement destinés aux collectivités locales et aux départements. La procédure débute généralement par un diagnostic du patrimoine existant, suivi d’une planification des investissements. La Banque des territoires propose une ingénierie pour accompagner ce processus.

Les 2,4 milliards d’euros ne seront pas investis en une seule année, mais progressivement. Heureusement, les fonds sont disponibles grâce à l’épargne populaire. L’encours global du livret A s’élève à 400 milliards d’euros et nous avons prêté 29 milliards d’euros l’an dernier pour le logement social et le secteur public local. L’enveloppe de 2,4 milliards d’euros est donc tout à fait réalisable à l’échelle de notre pays.

Par ailleurs, je n’ai pas de réponse à apporter actuellement à la question relative à Parcoursup.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je souhaite revenir sur vos propos concernant les blocages dans la construction de logements, malgré la disponibilité des fonds. Pourriez-vous préciser les raisons de ces obstacles ?

Par ailleurs, j’aimerais aborder la question des solutions innovantes de logement, que vous préconisez dans votre rapport. Il est important de ne pas se limiter à fournir un simple toit aux jeunes. Ces derniers ont besoin de sécurité, de liens affectifs et de repères. J’ai entendu un jeune de dix-sept ans exprimer sa peur d’être oublié dans un an, et non sa crainte de ne pas avoir de logement.

Dans certains pays, les jeunes peuvent conserver leur chambre dans leur foyer d’accueil, ce qui leur offre un sentiment de continuité et d’appartenance. Ne devrions-nous pas envisager des solutions similaires ? Nous devons probablement repenser notre approche en termes de suppléance parentale plutôt que d’aide sociale, en nous demandant ce que nous devons à ces enfants, au-delà du simple logement et de la nourriture. Avez-vous réfléchi à ces aspects dans vos travaux ?

De plus, associez-vous les premiers concernés à vos réflexions ? Leur expérience directe peut apporter des éléments précieux, comme la demande de ne pas effectuer les placements le soir ou de disposer d’un « doudou » à leur arrivée. Comment intégrez-vous ces réflexions dans vos travaux et votre action ?

M. Olivier Sichel. La consultation des jeunes est effectivement primordiale. Dans les trois départements mentionnés, nous avons mis en place une solution numérique impliquant 150 jeunes, avec l’aide de spécialistes pour comprendre et traduire leurs besoins.

Concernant le manque de places, il faut rappeler que l’aide sociale à l’enfance relève des politiques départementales. Les priorités varient selon les départements, certains mettant l’accent sur le vieillissement, d’autres sur l’aide sociale à l’enfance ou le revenu de solidarité active (RSA). Cette diversité de priorités explique en partie le manque de places.

Bien que tous les départements aient pris conscience de l’enjeu, ils font face à des difficultés financières. Leurs recettes, principalement basées sur les droits de mutation à titre onéreux, ont diminué en raison de la crise du logement, tandis que leurs charges, notamment liées au vieillissement et aux EHPAD, ont augmenté.

Pour pallier ces difficultés, nous proposons des solutions de prêts à très long terme, sur trente ou quarante ans, indexés sur le taux du livret A, actuellement à 2,4 %. Ces prêts bonifiés facilitent l’investissement. Cependant, la construction reste un défi pour les départements, qui ont perdu l’habitude de construire.

Nous proposons donc des solutions d’accompagnement, mais la décision finale revient aux élus départementaux et à leurs équipes.

Concernant les solutions innovantes, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les bailleurs sociaux pour développer des solutions intermédiaires entre le logement social individuel et les résidences accompagnées comme les foyers de jeunes travailleurs.

Ce continuum de solutions permet d’offrir aux jeunes quittant leur foyer des options de logement qui maintiennent une certaine sociabilité, tout en les accompagnant vers l’autonomie. Cela inclut une aide concrète pour des aspects pratiques, tels que l’obtention du permis de conduire ou l’ouverture d’un compte bancaire.

La dimension affective et la notion de suppléance parentale sont également importantes. À la Caisse des dépôts, nous avons été particulièrement sensibilisés à cette question grâce au livre de Mokhtar Amoudi intitulé Les Conditions idéales. Son témoignage illustre parfaitement les défis émotionnels et l’instabilité vécus par ces enfants.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je souhaite vous interroger sur deux points. Concernant l’automaticité du pécule, j’ai compris vos difficultés actuelles. Cependant, ne pourrait-on pas envisager un système alternatif ? Par exemple, ouvrir un compte bancaire dès la prise en charge d’un enfant par un département. Je suis convaincue qu’une solution existe si nous nous en donnons les moyens.

Ma seconde question porte sur la facilitation de la création d’établissements et l’effort immobilier nécessaire. Nous avons su prévoir des règles dérogatoires pour la reconstruction de Notre-Dame ou les Jeux olympiques. Pensez-vous que des règles similaires seraient opportunes pour la construction d’établissements de protection de l’enfance ? Cela pourrait-il faciliter le processus ?

M. Olivier Sichel. Concernant l’automaticité, le sujet est complexe. Prenons l’exemple d’un enfant placé à huit ans, qui retourne chez son grand-père en Corse pendant trois ans, puis est replacé dans un foyer en Mayenne à la suite du décès du grand-père, avant d’être repris par ses parents à quinze ans. Comment retracer ce parcours ?

Bien que ce ne soient que des données, il s’agit d’informations personnelles. La CNIL est particulièrement vigilante sur la circulation de ces données et s’oppose à un grand fichier central.

La réalité est que les parcours de ces enfants sont souvent heurtés et hachés, avec des allers-retours, ce qui complique considérablement la mise en place d’un système automatique.

Mme Marie Dolard-Cleret, directrice du département Consignations et dépôts spécialisés. Effectivement, ces données sensibles doivent être encadrées et protégées. L’ouverture d’un compte bancaire pour un enfant de cinq ans pourrait être une piste, mais le dispositif actuel repose sur une démarche volontaire de l’enfant devenu majeur.

La proposition de transmettre aux départements la liste des majeurs n’ayant pas réclamé leur pécule pourrait être une solution. En effet, le département est le pivot central du dispositif d’aide sociale à l’enfance.

La restitution du pécule doit être accompagnée. Une restitution automatique semble compliquée, compte tenu des parcours spécifiques de chaque enfant et des vérifications nécessaires.

Concernant la fraude, les équipes sont extrêmement vigilantes pour s’assurer que les sommes sont bien restituées à l’enfant devenu majeur et non aux parents ou à une autre personne.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Ne serait-il pas pertinent d’assouplir les règles pour la construction d’établissements accueillant des enfants de l’aide sociale à l’enfance, comme cela a été fait pour Notre-Dame et les Jeux olympiques ? Cette flexibilité ne serait-elle pas bénéfique ?

M. Olivier Sichel. Je ne le pense pas. Nous ne rencontrons pas réellement de difficultés réglementaires. Le véritable défi est de créer des entités plus petites, à taille humaine, qui soient plus agréables. Cela rejoint la question de l’attractivité des métiers du soin.

Travailler dans des foyers désuets n’est pas attrayant pour le personnel. J’ai vu des endroits particulièrement agréables où le personnel était heureux, et d’autres plus difficiles. Cependant, je n’ai pas constaté de problématique réglementaire particulière.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’ai deux dernières questions à vous poser. Premièrement, comment avez-vous pu planifier les 9 000 places potentiellement nécessaires, malgré l’absence apparente de données et d’évaluation ? Cette projection est centrale, au regard notamment des disparités entre les départements. Certains accueillent 1 000 enfants, quand d’autres, comme la Gironde et le Nord, peuvent en accueillir entre 17 000 et 22 000. Avez-vous pu cartographier ces besoins ?

Deuxièmement, serait-il envisageable que la Banque des territoires devienne un acteur majeur dans la protection de l’enfance sur le long terme, au-delà de cette mission ponctuelle ? Cela permettrait de s’inscrire dans la durée et d’éviter que ce rapport ne reste lettre morte comme tant d’autres.

M. Olivier Sichel. Concernant l’évaluation, nous avons procédé par échantillonnages. Nous nous sommes concentrés sur les départements ayant un impact massif, comme le Nord, la Haute-Garonne et la région parisienne, puis nous avons extrapolé. C’est pourquoi nous présentons des fourchettes plutôt que des chiffres précis. Bien qu’il n’y ait pas de cartographie détaillée, nous sommes confiants dans nos estimations, qui donnent une idée de l’ampleur de la tâche.

Quant au rôle de la Banque des territoires, notre objectif de cohésion sociale et territoriale inclut naturellement l’aide sociale à l’enfance. Nous avons dédié une équipe spécifique pour déployer les solutions de prêts, notamment 350 millions d’euros auprès des départements.

Concrètement, nos directions régionales travaillent avec les directeurs départementaux pour identifier les besoins en matière d’aide sociale à l’enfance, que ce soit pour la rénovation ou l’extension. Notre force réside dans notre capacité à mutualiser les expériences et à inspirer les départements dans cette politique décentralisée.

Concernant l’investissement dans la formation, nous examinons actuellement notre participation dans l’Institut de la parentalité. Nous allons investir dans cet organisme de formation afin de soutenir son développement.

Nous menons également une expérimentation digitale avec 150 jeunes, qui se terminera en septembre ou octobre et qui nous permettra de développer une application. Ces initiatives font désormais partie des priorités de la Banque des territoires en matière de cohésion sociale.

Bien que nous ne soyons pas un acteur fondamental de cette politique, qui relève principalement des départements et du ministère, la Banque des territoires a la capacité de s’insérer dans l’écosystème et d’être un tiers de confiance auprès des élus et des collectivités locales.

Nous avons établi une feuille de route que nous suivrons rigoureusement. Nous nous sommes engagés, avec l’équipe, à rendre compte tous les six mois de l’avancement de nos propositions concrètes. Nous suivrons des indicateurs précis, tels que le nombre de places construites et réhabilitées, le nombre d’organismes de formation soutenus et les solutions digitales déployées, afin de vérifier la progression de ce programme.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Arnaud Bonnet, M. Denis Fégné, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Marine Hamelet, Mme Marie Mesmeur, Mme Laure Miller, Mme Julie Ozenne, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago