Compte rendu
Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
– Examen du rapport suivi d’un vote, à huis clos................2
– Présences en réunion................................15
Mardi
1er avril 2025
Séance de 13 heures 30
Compte rendu n° 27
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Laure Miller, Présidente de la commission
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La séance est ouverte à treize heures trente-cinq.
Mme la présidente Laure Miller. La dernière réunion de notre commission d’enquête sera consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption. Nos travaux ont revêtu un caractère quelque peu atypique. Sous la précédente législature, une première commission d’enquête, créée à l’initiative du groupe Socialistes dans le cadre de son droit de tirage, avait commencé à procéder à des auditions et à des déplacements, avant que la dissolution du 9 juin 2024 ne mette fin à ses travaux. Sous cette législature, c’est par un vote unanime en séance publique, quelques jours après l’ouverture de la session ordinaire, qu’une nouvelle proposition de résolution de notre collègue Isabelle Santiago a été adoptée pour créer une commission d’enquête consacrée au même objet.
La première commission d’enquête a procédé à vingt et une auditions du 14 mai au 5 juin ; la seconde à trente-huit auditions du 12 novembre au 19 février. Au total, les deux commissions d’enquête ont consacré 83 heures à ces auditions, au cours desquelles 126 personnes ont été entendues. La première commission a effectué deux déplacements, l’un dans le Nord et l’autre dans le Puy-de-Dôme ; la seconde s’est déplacée à cinq reprises, en Meurthe-et-Moselle, à Argenteuil, dans la Mayenne, en Belgique et en Seine-Saint-Denis.
Je tiens à remercier tous les membres de cette commission qui se sont investis dans nos travaux, à commencer par Mme la rapporteure, à qui ce sujet tient tellement à cœur.
La procédure de notre réunion s’inscrit dans un cadre précis. En cas d’adoption, l’article 144-2 du règlement dispose que : « Le rapport adopté par une commission d’enquête est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »
Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le mardi 8 avril. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite de son contenu. Toujours en cas d’adoption, le compte rendu de notre réunion sera annexé au rapport publié.
Comme cela vous a été indiqué dans la convocation, des contributions individuelles ou de groupe peuvent être annexées au rapport. Vous avez jusqu’au jeudi 3 avril, à 14 heures, pour les adresser au secrétariat de la commission d’enquête.
En cas de rejet, le projet de rapport n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que : « Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »
Dans l’un et l’autre cas, il vous sera demandé à la fin de la réunion de remettre aux administrateurs les exemplaires qui vous ont été distribués.
Sans plus attendre, je cède la parole à Mme la rapporteure afin qu’elle nous présente le projet de rapport que vous avez eu la possibilité de consulter ces derniers jours.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Mes chers collègues, je suis très heureuse de vous présenter un projet de rapport que je sais très attendu dans nos murs et plus encore au‑dehors.
Ce rapport de près de 500 pages, qui formule 92 préconisations, est le fruit d’un travail rigoureux mené pendant près d’un an. En ma qualité de rapporteure, j’ai également conduit plusieurs contrôles sur pièces, qui étayent l’état des lieux que je dresse dans le rapport, celui d’une politique publique profondément défaillante. Les facteurs de préoccupation sont extrêmement nombreux. Depuis 1998, le nombre total des mesures d’aide sociale à l’enfance a augmenté de 44 % et s’élève à environ 397 000 au 31 décembre 2023, alors que la population des moins de vingt et un ans n’a augmenté que de 1,6 %. Les statistiques montrent également que les mesures restent très judiciarisées et que les taux de placement sont stables.
Notre modèle se caractérise par un recours trop fréquent au placement, historiquement institutionnalisé, qui fait de la France le premier pays européen à placer ses enfants. Cette faute originelle a empêché de penser un nouveau modèle tourné vers une véritable politique de prévention auprès des familles. Il est particulièrement préoccupant de constater que la première modalité de placement est le placement en établissement, où un enfant peut rester jusqu’à l’âge adulte. L’ensemble des études s’accorde pourtant sur le fait que les placements en famille sont les plus à même de garantir à l’enfant un développement équilibré, à condition bien évidemment que les personnes chez qui il est accueilli répondent aux règles essentielles de probité.
Nos auditions, nos déplacements et nos contrôles posent un diagnostic sans appel : la protection de l’enfance est dans un état de délabrement inadmissible. Des mesures en milieu ouvert et des placements sont exécutés avec plusieurs mois de retard faute de places, au mépris du droit et de la sécurité des enfants, et des juges y renoncent parfois de ce fait. Depuis 2007, des lois sont votées sans être appliquées. Certains décrets attendus depuis plusieurs années ne sont toujours pas pris. Le contrôle sur pièces a permis de montrer la responsabilité coupable de l’État, qui a délibérément choisi de ne pas publier le décret transitoire de la loi Taquet, pourtant prêt dès le mois de novembre 2022, qui devait réglementer les modalités d’accueil des enfants pris en charge par l’ASE (aide sociale à l’enfance) dans les hôtels et les structures de jeunesse, en prétextant la reprise du flux migratoire. Un décret confus est sorti juste après la mort de Lily, une jeune fille suivie depuis ses trois ans par la protection de l’enfance et hébergée dans un hôtel. Dans plusieurs départements, des enfants continuent d’être mis à la rue à leur majorité, quand d’autres sont placés dans des hôtels au mépris de la loi et de la volonté du législateur.
Les enfants font face à un continuum de violences, depuis le foyer familial jusqu’aux lieux de placement. Leur santé physique et mentale est moins bonne et moins suivie que celle des autres enfants. Ils représentent jusqu’à la moitié des adolescents hospitalisés à temps complet en psychiatrie, en particulier pour des troubles du comportement et de graves syndromes dépressifs. Les travaux scientifiques montrent que les violences qu’ils subissent peuvent réduire de vingt ans leur espérance de vie.
Lorsqu’ils sont en situation de handicap ou qu’ils présentent des troubles du comportement, leur prise en charge est inadaptée et ils se retrouvent ballottés entre différentes modalités d’accueil, ce qui aggrave souvent leurs troubles. Preuve ultime de notre incapacité collective à accompagner correctement ces enfants doublement vulnérables : certains sont envoyés en Belgique – un scandale de plus, révélateur d’un système qui ne sait pas prendre en charge les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement.
Les enfants relevant de la protection de l’enfance connaissent davantage l’échec scolaire et ne sont pas incités à faire des études longues ; 43 % d’entre eux ont redoublé une fois, 24 % au moins deux fois. En conséquence, les enfants de la protection de l’enfance sont plus vulnérables face au chômage et à la pauvreté. Ainsi, 23 % des adultes nés en France et hébergés par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas ont été placés dans leur enfance. En plus de l’enjeu éthique évident, il faut comprendre que ces difficultés coûtent extrêmement cher à la société, que ce soit en matière de santé, de lutte contre la pauvreté ou d’emploi. La revue scientifique médicale britannique The Lancet chiffre à 38 milliards de dollars par an le coût économique lié aux violences faites aux enfants en France. Une prévention réussie nous permettrait de trouver ces milliards qui nous manquent !
Qui plus est, les organisations institutionnelles censées protéger les enfants participent elles-mêmes de ce continuum de violence. Si le passage par la protection de l’enfance sauve des enfants, il représente pour d’autres une perte de chances. Cela doit questionner profondément la responsabilité de chacun, au sein d’un écosystème très complexe, dans lequel l’État est le garant des droits de l’enfant et le responsable devant la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) – l’ONU l’a plusieurs fois condamné. Des travaux scientifiques ont mis en évidence l’impact des violences sur le développement à long terme du cerveau de l’enfant et son développement physique. Environ 45 % des enfants pris en charge par la protection de l’enfance sont victimes de maltraitances.
Les drames témoignant des graves manquements du système sont trop nombreux. Des enfants se suicident ou décèdent, faute d’une prise en charge adaptée ou de la prise en compte de signalements. D’autres subissent les pires maltraitances de la part d’un service public dont l’objectif est précisément de les en protéger. C’est le cas des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance du département du Nord, qui ont été placés hors du département et ont subi les pires violences et humiliations de personnes qui exerçaient illégalement leur activité d’accueil. Les documents que j’ai pu obtenir attestent ces très graves dysfonctionnements, dus notamment à l’absence de centralisation des remontées d’incidents. Le département du Nord n’est pas intervenu suffisamment vite, alors que des faits graves avaient été signalés aux services. Certains éducateurs n’avaient pas accompagné les enfants sur le site. D’ailleurs, s’ils l’avaient fait, ils auraient vu qu’il ne s’agissait pas d’un séjour à la ferme – l’adresse n’existait même pas sur Google Maps !
Des pouponnières en sureffectif accueillent des bébés dans des conditions inadaptées et indignes, avec des conséquences dramatiques pour leur développement – les collègues qui m’ont accompagnée à Clermont-Ferrand doivent s’en souvenir. C’est dans ce cadre qu’est réapparu en France le syndrome de l’hospitalisme, attesté par le contrôle sur pièces de la pédiatre de la pouponnière. Je rappelle qu’il s’agit d’une dépression qui peut conduire des nourrissons à se laisser mourir. Parce qu’il est urgent d’agir, à la suite de mon déplacement dans le Puy-de-Dôme, qui m’a profondément marquée, j’avais demandé, en sortant du cadre de notre commission, un grand plan d’urgence pour les pouponnières. Il ne s’est rien passé et l’inertie du Gouvernement n’est pas acceptable. Le contrôle sur pièces que j’ai réalisé auprès du ministère de la santé démontre que la situation des pouponnières était connue jusqu’au plus haut sommet de l’État au moins depuis novembre 2021. Les conséquences pour certains enfants seront irréversibles.
Les professionnels souffrent de cet effondrement de la politique publique de protection de l’enfance et de cette perte de sens. Ils sont épuisés et trop peu nombreux auprès des enfants. Face aux difficultés majeures de recrutement dans le secteur, l’intérim se développe, alors qu’il est contraire aux besoins de stabilité de l’enfant et dégrade un peu plus la qualité de l’accueil. Le Livre blanc de Mathieu Klein a été remis à cinq ministres en novembre 2023. Depuis, quasiment rien n’a changé. Il manque 30 000 postes. L’intérim s’engouffre dans la brèche. Il faut une mobilisation de tous pour répondre à l’urgence.
La protection de l’enfance révèle de profondes défaillances de l’État, absent pour rétablir l’égalité, pour soutenir les départements dans leur mission, pour contrôler. Les très graves insuffisances des politiques publiques relevant de la compétence de l’État sont un facteur majeur d’explication des difficultés rencontrées aujourd’hui. L’éducation nationale, la santé, la justice, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la prise en charge du handicap souffrent de profonds dysfonctionnements et d’inégalités territoriales qui contribuent à l’effondrement de toute la protection de l’enfance.
J’ai tenu à remettre dans une perspective historique les défaillances actuelles de l’État. Elle explique en effet pourquoi notre politique de protection de l’enfance est un échec. Il est également nécessaire de demander à l’État de reconnaître ses manquements, en créant une commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitances depuis plus d’un siècle. Plusieurs pays l’ont fait : la Suisse, l’Allemagne, la Norvège, l’Islande, l’Irlande, l’Australie et le Canada. Nous pourrions nous inspirer de leur expérience.
Il ne s’agit plus seulement de constater mais d’agir vite. Ce rapport n’a pas vocation à être un simple état des lieux ; il doit être un levier pour mener des réformes urgentes et nécessaires. Depuis plusieurs années, des alertes sont lancées, des milliers de pages sont publiées, des centaines de propositions sont faites. Tout récemment encore, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rédigé un rapport. La Défenseure des droits doit, quant à elle, obtenir de l’État d’ici à quatre mois les réponses à ses questions – une première.
Le rapport formule 92 recommandations autour de quatre grands axes.
Le premier porte sur la rénovation de la gouvernance de la protection de l’enfance. Les compétences sont diluées et entremêlées et le pilotage de l’État absent, faute d’une volonté politique et d’une politique globale de l’enfance. L’État est incapable de penser l’enfance dans la protection qu’il doit aux enfants en danger. À ce titre, je ne considère pas que la recentralisation soit un remède miracle aux dysfonctionnements actuels. Le désinvestissement de l’État est historique et les inégalités territoriales existaient bien avant la décentralisation. En revanche, je pense qu’il faut de toute urgence renforcer le rôle de l’État, en impliquant les préfectures et les services centraux. Une stratégie interministérielle est indispensable, fondée sur une vision pluriannuelle et une loi de programmation quinquennale – cinq ans est un minimum, il en faudra au moins dix pour changer en profondeur le secteur.
Un autre point qui me tient particulièrement à cœur concerne les données et les statistiques. La pauvreté des statistiques disponibles pour suivre les parcours des enfants de l’ASE est inadmissible. Il est essentiel que l’on comprenne pourquoi la France est l’un des pays où l’on place le plus, quels sont les parcours des enfants, quelles sont leurs trajectoires au sein de la protection de l’enfance. Une politique efficace ne peut pas naviguer à vue. Les pouvoirs publics doivent s’appuyer sur des évaluations cliniques et se nourrir des progrès de la recherche. C’est pourquoi j’appelle à la création en urgence d’un conseil scientifique de la protection de l’enfance. Il est nécessaire que l’État pilote une étude des besoins des populations territoire par territoire, qu’il transmettra aux départements à des fins de prévention. État et départements doivent travailler main dans la main.
Le deuxième axe est celui du repérage et de la prévention, qui reste un angle mort de la politique publique de protection de l’enfance. Les difficultés actuelles de cette politique, renforcées par la saturation des structures d’accueil, la conduisent à éluder entièrement la réflexion de long terme sur la prévention. Pourtant, c’est en réduisant le danger à la source que le système pourra être désengorgé. Je formule plusieurs recommandations pour apporter un soutien ciblé aux populations en situation de grande vulnérabilité, agir en prévention, renforcer les moyens de la protection maternelle et infantile (PMI) et repenser entièrement l’accompagnement de la parentalité, de l’éducation nationale, de la justice, et les politiques de santé spécifiques. En matière de mortalité infantile, il y a un peu plus de dix ans, la France était à la sixième place parmi les pays européens ; elle est aujourd’hui tombée à la vingt-sixième. Les bébés en pouponnière n’ont jamais été aussi nombreux. Il est temps que l’État regarde ce qui se passe et corrige cette trajectoire. Ne rien faire est coupable.
Le troisième axe est celui de la prise en charge des enfants, qui est profondément inadaptée à leurs besoins. Face à des décisions de justice non exécutées et à des conditions d’accueil souvent indignes, il est urgent d’agir. Le rapport recommande de renforcer les moyens de la justice civile des mineurs. Les inégalités territoriales sont nombreuses. Dans certaines juridictions, 350 mesures relèvent d’un seul juge mais dans d’autres, 850 : c’est intenable. Un rééquilibrage doit être fait au profit des juridictions qui croulent sous les dossiers. Le nombre de juges et de greffiers n’est pas adapté. Un renforcement de la formation initiale et continue est également nécessaire. Nous avons aussi besoin de consolider nos savoirs en neurosciences pour que les décisions soient prises en toute connaissance de cause.
Le rapport préconise la création d’un plan pour construire de nouvelles structures d’accueil. Les grandes structures doivent céder la place aux petites unités. Je recommande aussi la publication immédiate d’une nouvelle réglementation pour les pouponnières. Le décret de 1974, qui fixe une norme d’un adulte pour trente bébés la nuit et d’un pour six la journée, n’a jamais été revu. Actuellement, dans les pouponnières en sureffectif, le ratio est d’un adulte pour huit bébés le jour et d’un pour trente la nuit. Cinquante ans après, il est temps que l’État réforme ce décret. Mme Vautrin s’est engagée à le faire d’ici à la fin juin.
Il n’y a pas de normes au sein des foyers accueillant des enfants de plus de trois ans. C’est le seul secteur de France qui n’est régi par aucune règle. Dans un tel cadre, il est impossible d’individualiser la prise en charge. Comment un agent peut-il s’occuper, par exemple, des devoirs du soir de quinze enfants en CP ? C’est déjà difficile avec deux à la maison ! Imaginez qu’en plus l’un d’entre eux se torde la cheville et qu’il faille aller aux urgences… Fixer des normes, c’est se donner les moyens de répondre aux besoins des professionnels et à ceux des enfants. Nous attendons donc avec impatience le nouveau décret.
Je souhaite, pour ma part, que l’on puisse accompagner les enfants jusqu’à leur pleine autonomie – je sais que c’est un sujet qui fait débat. Personne ne laisse son enfant à dix-huit, dix-neuf ou vingt et un ans sur le bord de la route avant qu’il soit autonome. Dans une logique de suppléance parentale, il faut renoncer au contrat jeune majeur, qui n’a pas lieu d’être. Les services de l’État, les régions et les départements doivent accompagner les enfants jusqu’à leur autonomie, soit jusqu’à vingt-cinq ans. S’ils deviennent autonomes plus tôt, ils prendront leur envol. Des enfants souffrent de handicap, d’autisme, du syndrome de Gilles de la Tourette. Ils ont besoin, devenus adultes, d’être accompagnés pour faciliter leur insertion. Une commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs (CDAAJM) doit être créée dans chaque département. Si certains ont besoin d’être logés dans des appartements adaptés, cela doit pouvoir se faire.
Il faut aussi systématiser le contrôle des antécédents judiciaires de toutes les personnes qui interviennent dans le cadre de la protection de l’enfance. Il est intolérable que cela ne soit pas déjà le cas, alors que les lois de 2016 et de 2022 l’ont prévu.
Notre commission d’enquête a également mis en lumière le développement très inquiétant de l’intérim. Ce turn-over des professionnels est évidemment contraire à la sécurité affective des enfants, qui ont besoin de tisser un lien d’attachement avec un éducateur. Le recours à l’intérim a prospéré sur l’absence de normes et de taux d’encadrement et sur le manque de professionnels. La gestion d’une structure de la protection de l’enfance par un acteur relevant du secteur privé lucratif doit être interdite par la loi. Des maisons d’enfants à caractère social (MECS) ont été créées avant de fermer à cause de conditions d’accueil terribles.
En parallèle de ces mesures urgentes, un changement de paradigme est nécessaire. Il passe par le renforcement et le recentrage des actions à domicile, qui doivent être intensifiées, graduées et diversifiées. Des normes minimales doivent être établies pour garantir la sécurité et la qualité de l’accueil. Il faut en finir avec ces mesures d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui arrivent trop tard et ne donnent souvent lieu qu’à une visite mensuelle, ce qui conduit en général à une dégradation de la situation et à un placement. Les interventions doivent être conduites de manière pluridisciplinaire par tous les acteurs qui accompagnent la famille afin de l’aider à traverser les difficultés qu’elle rencontre.
Pour des raisons historiques, il n’existe ni normes ni base commune en matière de prise en charge des enfants, rien qui puisse unifier les pratiques de telle association du Val-de-Marne avec celles de telle autre située dans la Creuse ou dans n’importe quel autre département. Au cours de nos auditions, nous avons pu constater ces différences entre conditions de prise en charge des enfants et aussi de traitement des jeunes adultes – certains ont même été lâchés avec un sac-poubelle en guise de bagage. C’est pourquoi nous demandons une action rapide concernant le décret sur les taux et les normes, attendu de très longue date, mais aussi la saisine immédiate du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) afin qu’il établisse dans les trois mois un socle de base sur la qualité de l’accueil, ce qui permettra une prise en charge et un accompagnement des enfants plus égalitaires sur l’ensemble du territoire.
Ce changement de paradigme doit placer les besoins fondamentaux de l’enfant au cœur de la conception des politiques publiques. Cela passe d’abord par une meilleure écoute de la parole de l’enfant et de ses besoins, et c’est pourquoi le rapport préconise l’accompagnement systématique de l’enfant par un avocat spécialisé dans le cadre de la procédure judiciaire. En outre, il n’est pas acceptable que certains enfants passent toute leur enfance dans un foyer, sans perspective d’avenir. Qu’il s’agisse d’un retour progressif vers la famille ou d’une solution pérenne en dehors, la protection de l’enfance devrait en théorie permettre à l’enfant d’évoluer vers une situation stable et de ne pas rester indéfiniment dans le cadre d’un placement renouvelé tous les deux ans, jusqu’à sa sortie du dispositif. Il est inconcevable, surtout à l’aune des connaissances actuelles, qu’un enfant reste toujours en collectivité. Le travail avec la famille, lorsqu’il est possible, ne doit pas s’arrêter aux portes du placement comme c’est trop souvent le cas. La pluralité des liens d’attachement doit être reconnue, notamment avec les familles d’accueil. Au-delà, la réflexion sur l’évolution du statut de l’enfant doit se poursuivre.
Les besoins fondamentaux de l’enfant imposent aussi de mieux répondre à ses droits en termes d’accès à la santé et à l’éducation. Il faut décloisonner les politiques publiques et que l’État prenne pleinement ses responsabilités dans le champ de la santé, du handicap et de l’éducation. Le suivi de la santé mentale et physique des enfants protégés doit enfin devenir une politique publique prioritaire, avec des moyens dédiés. Nous préconisons la mise en place de parcours de soins coordonnés et gradués, avec des enveloppes budgétaires et forfaitaires par enfant. L’accompagnement du handicap, qui est un sujet central, doit être entièrement repensé, autour d’un impératif : renforcer la pluridisciplinarité de la prise en charge. Nous pouvons nous inspirer de bonnes pratiques comme celles que préconise Céline Greco dans des centres d’appui – l’un va être ouvert à Paris et deux autres devraient être créés l’an prochain. Dans ce genre de structure pluridisciplinaire, qui prend en charge des psychotraumatismes complexes, le coût de 1 500 euros par enfant peut paraître élevé, mais il est en réalité équivalent à celui d’une hospitalisation en pédopsychiatrie. Une meilleure prévention permettra de mieux accompagner les enfants mais aussi de réaliser des économies à long terme.
Dernier axe des recommandations du rapport : le chantier de l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance. Une enquête conduite par Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) auprès de ses adhérents en 2022 montre que 97 % des structures interrogées rencontrent des difficultés de recrutement, ce qui se traduit par un taux moyen de 9 % de postes vacants. Le secteur fait face à une crise d’attractivité majeure, qui nécessite une action en profondeur pour revaloriser les métiers de la protection de l’enfance. Une réforme de la formation est souhaitable, pour aller vers une formation spécialisée qui puisse intégrer les connaissances récentes, notamment en matière de psychotraumatismes complexes. Il faut aussi sortir les formations du social de Parcoursup. À Nancy, nous avons vu des jeunes filles de vingt ans confrontées à des situations trop complexes pour elles, d’autant que ces formations sont souvent choisies par défaut sur Parcoursup. La revalorisation des rémunérations et des conditions de travail est essentielle, et il faut de toute urgence mettre en œuvre les recommandations formulées par Mathieu Klein dans le Livre blanc du Haut Conseil du travail social (HCTS).
J’aimerais que notre travail soit un appel à l’action, afin d’enclencher de véritables réformes de fond. Toutes ne sont pas de nature législative, disons-le avec d’autant plus d’humilité que les textes adoptés depuis 2007 ont été très peu appliqués, comme cela a été le cas du projet pour l’enfant (PPE). Nous proposons aussi un nouveau mode de fonctionnement entre l’État et les départements. Si les départements qui ne remplissent pas leur mission doivent être sanctionnés, l’État doit lui aussi assumer son rôle, notamment sur le plan financier. En ces lieux, rappelons ce que disait Victor Hugo : « Sauver un enfant, c’est sauver l’humanité. » Il s’agit bien ici d’humanité, d’un sujet transpartisan que j’ai abordé comme tel.
M. Stéphane Viry (LIOT). Une commission d’enquête exige de l’obstination, de l’abnégation et de la liberté. Merci à la présidente et à la rapporteure, qui en ont fait preuve. Ce travail de qualité fait honneur à notre assemblée, qui est chargée de l’évaluation des politiques publiques mais qui est aussi la voix des territoires, acteurs de la protection de l’enfance.
Vous avez décrit un système qui craque de toutes parts, ce qui a des conséquences préoccupantes sur les enfants sous protection. Pour ma part, j’aimerais revenir sur l’essentiel, sur la finalité d’une commission d’enquête : les responsabilités. Au terme de toutes ces auditions, vous avez voulu positiver et dresser une liste de recommandations dont le devenir va largement nous échapper. Comment pourrons-nous aiguillonner le pouvoir exécutif ? La responsabilité de l’État est en effet évidente : absence de prise de conscience, défaut de pilotage.
J’approuverai ce rapport où vous appelez à un changement de logiciel, à la lumière des dysfonctionnements observés au cours des deux dernières décennies. Il faut bâtir un logiciel solide et opposable à toutes et tous, c’est-à-dire à toutes les entités de la chaîne de la protection de l’enfance, afin qu’il n’y ait plus de maillon faible. Tout le monde, me semble-t-il, a envie d’être embarqué dans cette nouvelle histoire, dans cette nouvelle politique publique.
En guise de réserve, j’aimerais cependant insister sur un point : il ne faudrait pas être maladroits à l’égard des conseils départementaux. La protection de l’enfance fait en effet partie de leur bloc de compétences, mais certains conseils départementaux sont à l’os sur le plan financier et ne peuvent pas prendre les décisions qu’ils voudraient prendre. Veillons à ce que les travaux de la commission d’enquête soient compatibles avec les capacités opérationnelles de ces acteurs de terrain.
Mme la présidente Isabelle Santiago. Dans nos préconisations, nous avons précisément voulu faire la part des responsabilités des uns et des autres. Nous ne pouvons plus continuer à transférer des compétences aux départements sans prévoir un pilotage et les moyens afférents.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Merci à vous, madame la présidente et madame la rapporteure, pour le cœur que vous mettez depuis des années à défendre la protection d’enfance. Vos efforts, je le sais, produiront leurs effets. Merci aussi aux membres de cette commission d’enquête et surtout aux intervenants qui nous ont éclairés. Je pense notamment à Karine Brunet-Jambu, qui a eu le courage de venir témoigner des viols qu’elle a subis pendant des années sous le toit familial quand elle était enfant, et qui avait été laissée chez ses parents malgré les nombreux signalements effectués par une tante. Ces auditions, dont certaines nous ont marqués plus que d’autres sur le plan émotionnel, nous inciterons à suivre le devenir de vos recommandations ou à élaborer des projets transpartisans.
Pour sa part, le groupe Rassemblement national produira une contribution écrite précise. Le chantier de la protection de l’enfance est immense. Les auditions ont permis de mettre en lumière nombre de dysfonctionnements qui peuvent surprendre, certains étant à traiter de toute urgence : l’insuffisance des places en famille d’accueil et en foyer ; le défaut de contrôle de ces lieux d’accueil ; le manque de considération à l’égard de l’enfant, dont la parole n’est ni entendue ni écoutée lorsqu’il est maltraité ou lorsqu’il est ballotté de foyer en foyer ; les failles dans la détection des cas de maltraitance, alors que des signalements parfois très nombreux sont restés sans effet.
À la lecture du rapport, j’ai constaté avec satisfaction qu’il contenait beaucoup de mesures préconisées par ma présidente. Marine Le Pen a notamment défendu l’idée d’aider les jeunes majeurs au moins jusqu’à l’âge de vingt et un ans – je ne sais pas si elle approuvera la proposition d’aller jusqu’à vingt-cinq ans. Elle préconisait un renforcement des contrôles des lieux d’accueil et la présence d’un avocat pour représenter l’enfant dans toutes les instances civiles et pénales, ce qui va au-delà de vos propositions. Les associations d’anciens enfants placés, qui ont été auditionnées, réclament aussi la présence d’un avocat dans toutes les instances. Madame la rapporteure, vous avez souscrit à l’une de leurs demandes – et à l’une des nôtres par la même occasion : un droit de visite des parlementaires dans les établissements recevant des enfants. Quand Laure Lavalette avait fait cette même proposition, toute l’Assemblée avait voté contre, ce que je regrette infiniment.
Pour financer toutes ces mesures, le contre-projet de budget de Jean-Philippe Tanguy abonde en solutions – il y est notamment proposé de réaffecter les centaines de millions d’euros alloués à la Chine. Lors de nos déplacements, nous avons pu constater que la France, contrairement à la Belgique, manque d’établissements permettant l’accueil d’enfants autistes ou souffrant de lourds handicaps. Certaines familles françaises sont parfois obligées d’envoyer leur enfant en Belgique, voire d’y déménager pour le suivre. Ces centaines de millions d’euros seraient mieux employés s’ils allaient à nos à enfants plutôt qu’à la Chine.
Quoi qu’il en soit, je place beaucoup d’espoirs dans l’avenir de ce travail en commun.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). À mon tour, je souhaite saluer la qualité du travail effectué et remercier tous ceux, y compris les administrateurs et administratrices, qui y ont contribué. Néanmoins, je ne partage pas l’avis des précédents orateurs : comme il s’agit d’une commission d’enquête et non d’une mission d’évaluation, je m’attendais à une recherche des responsabilités, de l’arbre des causes. Lorsqu’elle a été créée, cette commission d’enquête voulait en effet être la voix des enfants, notamment de ceux qui sont décédés.
Pendant les auditions, nous avons pu constater que certaines personnes – à toutes les strates et jusqu’au niveau ministériel – s’asseyaient littéralement sur la loi, leurs obligations et leurs responsabilités. Madame la présidente, madame la rapporteure, avez-vous fait usage de l’article 40 du code de procédure pénale et saisi le procureur de la République à la suite de ces auditions ? L’avez-vous fait lorsque des ministres ont déclaré avoir préféré investir dans le service national universel (SNU), dispositif facultatif, plutôt que dans la protection des enfants, obligation que nous nous sommes imposée collectivement ? L’avez-vous fait lorsque des présidents de départements ont annoncé qu’ils faisaient un tri entre les enfants, en fonction de leur capacité à s’exprimer ou de leur nationalité ? Nous avons tous entendu ces propos, mais vous avez aussi fait des contrôles sur pièces et sur place. Vous avez sans doute pu ainsi constater que certains départements préféraient consacrer à des dépenses facultatives – le financement du Vendée Globe, par exemple – des fonds qui auraient pu être dirigés vers la protection de l’enfance.
Je m’attendais vraiment à des arbres de causes pour le décès de ces enfants. Nous aurions pu croiser ces causes, selon une méthode scientifique, pour proposer des améliorations et cibler des gens responsables. La dilution des responsabilités, qui prévaut dans la protection de l’enfance, est très bien mise en évidence dans votre rapport. Elle complique la tâche quand il s’agit d’établir qui est responsable et surtout qui a décidé d’investir ou pas. Il y a pourtant des responsables, des gens qui ont fait des choix politiques, des choix économiques. Ils doivent en répondre. À mon avis, nous sommes passés à côté de quelque chose dans ce domaine. Il y a un raté.
Le taux de placements, anormalement élevé en France, devrait nous inciter à réfléchir au manque de solutions alternatives. Il faut envisager ces solutions manquantes en ayant en tête l’intérêt supérieur de l’enfant, les besoins de l’enfant et surtout le temps de l’enfant. Cette dernière notion n’est absolument pas respectée. Rappelons que certaines connexions neuronales se créent entre trois et six mois, ce qui laisse une fenêtre de tir de trois mois pour que ces connexions s’établissent dans son cerveau. Quand on laisse des enfants sans accompagnement, sans soins, sans personne pour se préoccuper de ce qu’ils vont pouvoir acquérir, on peut dire que le système est plus que défaillant. Il ne répond pas aux besoins et ne nous permet pas non plus d’assumer nos responsabilités puisque nous nous sommes engagés à respecter les droits et les besoins des enfants.
Nous vous remettrons avant jeudi toutes les préconisations de La France insoumise.
Mme la présidente Isabelle Santiago. Je respecte tous les avis, même quand je ne les partage pas. Depuis le départ, j’ai insisté sur les manquements des politiques publiques et sur le poids de l’histoire, dont personne ne semble avoir pris la mesure après des décennies de lois et de rapports sur la protection de l’enfance. Nous avons hérité des politiques de charité, du secteur associatif issu d’institutions catholiques, puis d’associations dites bénévoles dont certaines structures subsistent. Depuis le XIXe siècle, l’installation de la protection de l’enfance s’est faite de manière décentralisée, par territoires. Certains lieux, créés il y a soixante-dix ans et mal entretenus, sont qualifiés d’indignes de nos jours : ce sont de grands espaces, sans douches individuelles par exemple. Depuis soixante-dix ans, il n’y a eu aucune planification, aucune évaluation, aucune politique de pilotage national. Tout a contribué à une dilution des responsabilités. Dans leur rapport publié en 1980, Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy décrivaient déjà tous les dysfonctionnements de l’ASE. En 1983, la loi de décentralisation a transféré la protection de l’enfance aux départements, mais ce sont les mêmes associations et les mêmes professionnels qui sont restés en place. Le même système a perduré, y compris quand la protection de l’enfance est devenue une compétence des conseils départementaux.
Personne n’a d’excuse car les connaissances en matière de neurosciences et de développement de l’enfant ont progressé et pourtant il n’y a pas de normes. J’ai dit aux représentants de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS) qu’ils avaient accepté depuis quatre-vingts ans de travailler dans de très mauvaises conditions professionnelles. Bien qu’il soit impossible d’agir normalement en l’absence de normes, personne n’en réclamait.
Dans certains territoires, l’absence d’habilitation fait que le système repose entièrement sur le bénévolat, dont l’esprit imprègne l’action publique : on place les enfants auprès de certaines personnes parce que ce sont des gens bien et qu’elles sont les seules à les accepter. J’ai souhaité pointer cette mentalité ancrée dans l’histoire, afin d’ouvrir un nouveau chapitre.
Tous les députés peuvent actionner l’article 40 du code de procédure pénale. J’ai reçu un nombre considérable de pièces : je remercie les administrateurs et mon collaborateur de leur aide, et j’ai moi-même étudié une centaine de documents le jour, la nuit et le week-end – certains d’entre eux resteront confidentiels et ne sont pas cités dans le rapport. Les données collectées me permettront d’actionner l’article 40 dès que le rapport sera publié.
J’avais bien précisé que la commission d’enquête portait sur les manquements des politiques publiques. Je travaille sur le sujet depuis très longtemps : tout le monde passe à côté du problème et nous empilons des décisions sans avoir compris que l’institutionnalisation est historiquement trop forte dans notre pays. Il faut remettre en cause cet héritage, démarche qui conduit à attaquer le grand système des associations qui pilotent la protection de l’enfance. Nous devons refonder notre modèle pour les enfants. Pour ce faire, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle sur l’enfance est nécessaire, car aucun acteur ne changera de lui-même. Tout le monde peut participer à l’élaboration législative du nouveau modèle. L’organisation du système français de protection de l’enfance doit changer.
Quand j’ai discuté avec les représentants des grandes associations, je leur ai indiqué qu’ils n’avaient jamais demandé l’édiction de normes, pas plus que l’État, d’ailleurs, dont le rôle est pourtant de les élaborer. Tout le monde s’accorde sur ce constat, notamment sur la nécessité d’en créer maintenant, mais cette prise de conscience a moins de cinq ans.
Dans ce contexte, je respecte le point de vue de chacun, mais je préfère en rester aux préconisations que je vous ai présentées.
Mme Anne-Laure Blin (DR). Il n’y a qu’à voir l’épaisseur du rapport pour mesurer l’ampleur du travail de la commission d’enquête et de sa rapporteure. Les auditions, menées à un rythme intense, ont apporté des éclairages importants pour les membres de la commission d’enquête.
Dans le Maine-et-Loire où je suis élue, j’ai été confrontée à plusieurs situations incluant des familles et des professionnels. C’est la raison pour laquelle j’ai rejoint cette commission d’enquête, dont l’intitulé me convenait parfaitement puisqu’il visait à identifier les manquements des politiques publiques. L’objectif était de croiser les regards pour objectiver les situations à traiter. Le constat est clair et il s’est encore précisé au fur et à mesure de l’avancée de nos travaux.
Si l’objectivité n’existe pas, les préconisations doivent néanmoins être objectivées. La lecture de votre rapport et de vos préconisations m’a quelque peu déçue, notamment la première d’entre elles visant à élaborer un code de l’enfance. Dans de nombreux domaines, particulièrement dans le champ social, la transparence, l’intelligibilité et l’efficacité des politiques publiques pâtissent de la multiplication des normes administratives. Si je partage certaines de vos recommandations, faire de l’élaboration d’un code de l’enfance la proposition phare du rapport, en tout cas la première, m’a laissée perplexe. Je suis d’accord avec certains des arguments que vous avez développés lors de votre présentation, mais je m’étonne de ne pas les avoir retrouvés dans le rapport sous la forme de pistes concrètes destinées à améliorer le système de l’ASE.
Il existe en effet un véritable problème de formation et de responsabilité des professionnels. Aspect contribuant à l’opacité du système, il est difficile de savoir quel acteur est chargé de telle ou telle action, donc de connaître ceux qui doivent répondre des conséquences des décisions prises. Cette dilution des responsabilités aboutit à des situations dramatiques et profondément déshumanisantes.
Je n’ai pas eu le temps de lire de manière exhaustive les 400 pages du rapport dans le temps qui nous était imparti, mais il ne me semble pas suffisamment insister sur la nécessaire articulation entre la protection des enfants et le respect des parents, des familles et de l’autorité parentale. Dans la démarche d’objectivation que je défends, il faut s’assurer du respect total du contradictoire et de la parole des parents et des enfants, lesquels se trouvent face à une institution presque toute-puissante contre laquelle il est très difficile de s’élever. De nombreux professionnels et familles m’ont fait part de leur désespoir devant des décisions administratives de placement. Ce dernier est devenu la norme, alors que nous nous montrons incapables de protéger les enfants que nous considérons devoir être placés : les chiffres dont vous faites état dans le rapport étayent ce constat.
Il est nécessaire d’accompagner les enfants, par un ministère d’avocat, que vous mentionnez, et par un personnel extérieur à l’entité administrative de l’ASE. Le département de Maine-et-Loire a la chance de pouvoir compter sur des agents de médiation et sur des éducateurs exerçant en libéral. Ces professionnels accompagnent, avec les avocats, les familles et les enfants. Votre rapport, me semble-t-il, ne mentionne pas leur rôle.
De grandes différences existent dans les territoires, à la fois dans la rédaction des PPE et dans le déploiement du droit à l’accompagnement des familles. Nous devons nous assurer de la présence d’un pilote dans l’avion. Les lois, notamment la plus récente, celle de 2022, doivent s’appliquer : en tant que législateurs, nous trouvons insatisfaisant, voire choquant, qu’une loi promulguée ne trouve aucune concrétisation sur le terrain.
Le rapport signale certaines situations, dresse un état des lieux et pointe les causes historiques de celui-ci, mais il manque de propositions très concrètes à même d’apporter de la sécurité aux familles et de protéger les enfants en danger.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Une partie des éléments que vous avez évoqués se trouvent dans le rapport, car de très nombreuses propositions sont présentées dans le corps du texte, en dehors du chapitre consacré aux préconisations.
Les acteurs de la protection de l’enfance réclament la publication d’un code de l’enfance depuis très longtemps : je soutiens leur demande. L’élaboration de ce code requerrait un travail colossal qui me dépasse largement, mais les services de l’État pourraient y travailler. La difficulté majeure pour les familles réside dans l’illisibilité des dispositions relatives à l’enfance. Les politiques publiques sont diluées et manquent de lisibilité. Au Québec, chaque chapitre de normes est présenté de manière pédagogique, si bien que les familles et les citoyens peuvent comprendre les devoirs de chacun et les conséquences de certaines décisions. Le statut de l’enfant, fixé par le législateur, est parfaitement décrit et chaque famille peut accéder à des explications claires des actions de protection de l’enfance. En France, c’est l’éparpillement et le flou qui prévalent puisque presque tous les codes contiennent des articles relatifs à l’enfance, même celui de l’urbanisme ! Cette situation est inadmissible.
Dans les propositions que j’avance pour refonder notre système très défaillant, je cherche à améliorer l’accompagnement des familles. Pour ce faire, nous avons besoin d’études décrivant la situation dans les territoires. Il importe de graduer la présence des enfants dans les dispositifs de protection de l’enfance et d’accompagnement des familles. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant dispose que celui-ci est un sujet juridique et que la famille ne peut pas toujours intervenir. Pour autant, il ne faut pas accepter le système actuel, dans lequel l’enfant entre dans la protection de l’enfance en tant que sujet juridique, mais n’en sort plus parce qu’aucun travail n’est accompli avec la famille. Nous avons élaboré des propositions très concrètes dans tous ces domaines.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Nous nous retrouvons dans presque toutes les recommandations du rapport. Nous déposerons une contribution afin d’apporter des éléments supplémentaires à la réflexion.
Nous avons effectué quelques déplacements parallèlement à ceux de la commission d’enquête. Je reste surpris du grand écart que l’on peut trouver dans les échanges individuels avec les jeunes concernés. Chaque rencontre a touché tous les membres de la commission. Il est nécessaire de consacrer des moyens budgétaires à la politique de protection de l’enfance si nous voulons avancer et lutter contre les situations de grande violence que nous avons constatées. Le dernier enfant venant de l’ASE que j’ai croisé dans mon département portait des chaussures ouvertes : c’est intolérable et injustifiable. L’État, censé accompagner ces enfants, est l’acteur le plus violent. Je formulerai des recommandations liées à l’éducation nationale, domaine que je connais le mieux.
Je forme le vœu que nous agissions tous ensemble avec efficacité pour le bien-être de tous ces enfants.
Mme Julie Ozenne (EcoS). Nous devrons veiller à ne pas établir de normes trop complexes, sources de frustration. Il s’agit d’un sujet délicat dont nous pourrons reparler.
Mme la présidente Laure Miller. Les groupes du bloc central déposeront une contribution pour mettre en avant leurs priorités. Il nous appartient de travailler ensemble. Je regrette que l’état d’esprit de la commission d’enquête n’ait pas été assez collectif. Je suis peut-être un peu naïve, mais il me semble que nous aurions pu nous réunir avant la présentation du rapport pour avoir connaissance de celui-ci et commencer à penser à une proposition de loi transpartisane. Il n’est pas trop tard pour agir en ce sens et nous pourrons faire émerger un consensus entre le rapport et les contributions des groupes politiques.
Je remercie la rapporteure et l’ensemble des membres de la commission pour leur travail et leur assiduité, mais également les administrateurs qui nous ont accompagnés et qui ont joué un rôle central.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Nous avons respecté les consignes et le cadre légal des commissions d’enquête.
La commission adopte le rapport.
La séance s’achève à quinze heures.
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Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Édouard Bénard, Mme Anne-Laure Blin, M. Frédéric Boccaletti, M. Arnaud Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Julie Delpech, M. Philippe Fait, M. Denis Fégné, Mme Géraldine Grangier, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, Mme Marie Mesmeur, Mme Laure Miller, Mme Julie Ozenne, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Stéphane Viry
Excusé. – M. Philippe Bonnecarrère