Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique (DINUM), M. Florian Delezenne, chef du département opérateur des produits interministériels, Mme Linda Debernardi, cheffe du pôle Fédération d’identité des citoyens-FranceConnect.              2

– Présences en réunion.................................7

 


Mercredi
12 février 2025

Séance de 20 heures 15

Compte rendu n° 14

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
président de la commission

 


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La séance est ouverte à vingt heures quinze.

 

M. le président Thomas Cazenave. Nous accueillons madame Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique (Dinum), ainsi que monsieur Florian Delezenne, chef du département opérateur de produits interministériels, et madame Linda Debernardi, cheffe du pôle Fédération d’identité des citoyens. Je rappelle que la direction interministérielle du numérique est un service rattaché au Premier ministre qui a pour objectif et pour mission d’élaborer la stratégie numérique de l’État et de piloter sa mise en œuvre, et que c’est la Dinum. qui a développé le service FranceConnect, que nous avons eu l’occasion d’évoquer dans les auditions précédentes, notamment au sujet de l’inscription sur les listes électorales.

Si le vote renvoie à un acte et à un rite républicain un peu immuable, avec l’isoloir, l’urne et les bulletins papier, la dimension numérique a pris une part importante dans l’acte de vote et dans l’organisation des élections. Nous évoquions dans l’audition précédente le vote des Français de l’étranger. Un certain nombre de sujets ont trait à la dimension numérique : la sécurisation du vote à distance, les machines à voter, la simplification des procédures, l’inscription sur les listes ou encore les procurations avec identité forte.

Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire, avant un moment d’échange avec le rapporteur et les députés présents, mais auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Stéphanie Schaer, M. Florian Delezenne et Mme Linda Debernardi prêtent serment)

Mme Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique (Dinum). La Dinum est un service du Premier ministre dont les missions sont fixées par le décret du 25 octobre 2019, modifié par celui du 22 avril 2023. J’en ai pris la direction depuis le mois de septembre 2022. Tour de contrôle du numérique public, en quelque sorte, elle a pour mission d’élaborer la stratégie numérique de l’État, telle qu’adoptée au printemps 2023 dans sa dernière version, et de piloter la mise en œuvre de cette stratégie. Par rapport au sujet qui nous intéresse aujourd’hui, elle opère au moyen d’un dispositif nommé FranceConnect, qui est un levier de simplification pour l’authentification des usagers dans l’accès à leurs démarches en ligne, démarche proposée par la sphère publique. C’est une solution aujourd’hui bien établie, puisqu’elle est utilisée par 43 millions de Français, à qui elle permet de se connecter à 1 500 services en ligne. Elle fonctionne comme une fédération d’identités numériques qui permet aux citoyens de disposer d’un système simple d’authentification à un grand nombre de services en ligne, à partir d’un choix de fournisseurs d’identité qui restent limités et qui sont proposés par la Dinum dans ce cadre.

Le principe est simple. Un site en ligne de l’administration met en place le bouton FranceConnect. Au lieu de créer un compte spécifique pour chaque service en ligne, le citoyen peut utiliser l’une des identités qu’il a déjà, par exemple, celle des impôts ou celle d’Ameli, sans avoir à recréer chaque fois un compte et un mot de passe supplémentaires.

Sur le sujet plus spécifique des élections, FranceConnect est mobilisée dans trois démarches, dont deux sont portées par la direction de l’information légale et administrative (Dila) au sein de service-public.fr. Il s’agit de l’inscription sur les listes électorales et de la vérification de la situation électorale. La démarche portée directement par le ministère de l’intérieur permet d’accéder aux formulaires de procuration de vote. À cet égard également, FranceConnect permet d’accéder aux formulaires nécessaires.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Le ministère de l’intérieur a déjà répondu à ma question portant sur la connexion à l’outil lors de la vérification de l’inscription sur les listes électorales. Je vous la repose quand même parce que, désormais, il est obligatoire d’utiliser l’outil FranceConnect. Un utilisateur cherchant son ex-conjointe a ainsi réussi à trouver dans quelle ville son ex-conjointe était inscrite sur la liste électorale. Heureusement, une interruption en cours de route a empêché qu’il la localise. Il s’agit donc de protéger les personnes qui seraient visées par une tentative de recherche du lieu où elles habitent. Néanmoins, une difficulté se pose : cet outil était très utilisé par les personnes aidant à l’inscription sur les listes électorales, or de ce fait cela est devenu beaucoup moins facile pour eux. Auparavant, il était ainsi possible de vérifier directement ce qu’il en était pour les personnes souhaitant savoir si elles étaient inscrites sur les listes électorales. Si elles ne l’étaient pas, il suffisait ensuite d’embrayer sur une inscription sur les listes électorales. Ce n’est plus possible aujourd’hui pour les associations, les partis politiques, ni pour tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, essaient d’encourager à cette inscription sur les listes électorales, sauf si la personne accepte d’entrer ses identifiants ou de se connecter sur son téléphone avec FranceConnect. Cette disposition ajoute une difficulté, parce que, dans ces opérations d’inscription sur les listes électorales, les personnes disposent de peu de temps et, parfois, on les dérange chez elles. N’existerait-il pas une manière d’empêcher des requêtes multiples pour essayer de trouver où habite une personne sans qu’il soit nécessaire de passer par FranceConnect, ce qui permettrait de continuer les campagnes d’inscription sur les listes électorales, qui sont très utiles ?

Par ailleurs, je crois que vous avez utilisé FranceConnect assez récemment pour les élections professionnelles. Avez-vous des retours sur le sujet ou pas ? Savez-vous combien de personnes ont utilisé l’outil ? Cela a-t-il permis une augmentation de la participation aux élections professionnelles ?

Dernière question : un certain nombre de dysfonctionnements ont affecté le vote des Français de l’étranger. Il semble que vous développiez un outil interne. Est-ce le cas ? Travaillez-vous sur un outil interne plutôt de passer par un prestataire de service ? Pourquoi passer par un prestataire de service si on est capable de gérer en interne un système électoral ?

Mme Stéphanie Schaer. Concernant l’utilisation de FranceConnect pour la vérification de la situation électorale, il est important de rappeler que cet outil est toujours proposé comme une option parmi d’autres pour vérifier l’identité. Dans le cas présent, l’alternative est le compte servicepublic.fr. FranceConnect a été conçu comme un outil de simplification pour faciliter l’accès aux démarches en ligne en utilisant une identité unique. La confiance des Français envers cet outil est en progression, puisqu’elle a atteint 79 % à la fin de l’année 2024, soit une augmentation de cinq points par rapport à l’année précédente.

Quant aux élections professionnelles de l’automne dernier, la Dinum a été sollicitée par le ministère du travail pour permettre l’utilisation de FranceConnect. Cette demande émanait de l’ensemble des parties prenantes, y compris les organisations syndicales et patronales, pour compléter la démarche courrier. Un arrêté a été pris pour autoriser son utilisation dans ce cadre. Cependant, l’impact a été limité, peu de connexions ayant été enregistrées pendant la période des élections.

Enfin, concernant le développement d’un dispositif de vote en ligne, notamment pour les Français de l’étranger, la Dinum n’a actuellement aucun projet en cours.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Ma question initiale portait sur l’évolution du système de vérification de l’inscription sur les listes électorales. Auparavant, cette vérification ne nécessitait pas de connexion ; il suffisait d’entrer simplement les prénoms, le nom, la date de naissance et la ville de résidence. L’introduction de la connexion via servicepublic.fr ou FranceConnect a complexifié le processus, suscitant parfois la méfiance des utilisateurs. Je m’interroge sur la possibilité de mener une réflexion pour trouver un équilibre entre sécurité et accessibilité. L’enjeu démocratique de pouvoir consulter les listes électorales, notamment lors des campagnes d’inscription, est crucial. Ne pourrait-on pas envisager un système qui maintienne l’ouverture de l’outil tout en renforçant la sécurité, sachant que les listes électorales sont par nature consultables pendant et après le scrutin ?

Mme Stéphanie Schaer. La décision concernant cette démarche spécifique ne relève pas directement de la Dinum. Notre responsabilité est en revanche de proposer le système le plus simple possible pour vérifier l’identité des utilisateurs. Dans ce cas précis, le porteur de la démarche a jugé nécessaire de vérifier l’identité des personnes. FranceConnect est actuellement le système le plus simple pour effectuer cette vérification, avec une authentification de niveau faible. Nous accompagnons cette démarche comme nous le faisons pour d’autres services en ligne nécessitant une vérification d’identité similaire.

M. le président Thomas Cazenave. Quel bilan tirez-vous de la dématérialisation complète des procurations utilisant une identité forte, notamment en termes de volume de procurations réalisées par cette procédure entièrement dématérialisée ? Cette simplification pourrait en effet contribuer à augmenter la participation électorale, ce qui est l’un des sujets de notre commission d’enquête.

En tant que direction du numérique de l’État chargée des enjeux de simplification et d’expérience utilisateur, quel regard portez-vous sur l’enjeu de la modernisation des procédures de vote ? Bien que cela dépasse peut-être votre périmètre actuel, avez-vous réfléchi à l’utilisation du potentiel du numérique pour simplifier davantage le processus de vote ? Le vote à distance, tel que pratiqué par les Français de l’étranger, pourrait-il être une piste à explorer pour s’adapter aux nouvelles attentes et aux nouveaux usages ?

Mme Stéphanie Schaer. Concernant le bilan de la mise en place de la procuration 100 % en ligne à l’été 2024, je ne dispose pas des chiffres complets sur les procurations finalisées, car le système utilisé n’est pas FranceConnect, mais l’identité numérique proposée par le ministère de l’intérieur, qui requiert un niveau d’authentification élevé. Le ministère de l’intérieur pourrait fournir ces données.

Cependant, nous disposons de chiffres sur les connexions au formulaire via FranceConnect. En 2024, nous avons enregistré 6,6 millions de connexions, principalement entre mai et juillet. À titre de comparaison, en 2022, il y a eu 4,6 millions de connexions, surtout en avril, mai et juin. Ces chiffres montrent une utilisation accrue lors des années électorales.

M. le président Thomas Cazenave. Donc 6,6 millions de connexions pour consulter le formulaire de procuration ?

Mme Stéphanie Schaer. Pour commencer le formulaire, en effet.

M. le président Thomas Cazenave. Ce chiffre est bien supérieur au nombre final de procurations établies. J’avais compris de notre précédente audition que l’accès à la procuration entièrement dématérialisée nécessitait de passer par FranceConnect. Ce n’est pas le cas ?

Mme Stéphanie Schaer. En réalité, le processus se déroule en deux étapes. Initialement, on s’identifie avec FranceConnect pour accéder au formulaire. Ensuite, une étape de sécurisation supplémentaire requiert l’utilisation de l’identité numérique certifiée fournie par France identité numérique. C’est d’ailleurs la seule procédure qui nécessite actuellement ce niveau d’authentification.

M. le président Thomas Cazenave. Il existe donc deux portes distinctes, si je comprends bien.

Mme Stéphanie Schaer. Le bouton FranceConnect existait déjà en 2022, mais il n’était pas possible de finaliser la procédure en ligne. L’expérimentation actuelle permet d’aller jusqu’au bout de la démarche en ligne, avec la sécurité supplémentaire apportée par France identité numérique.

M. Antoine Léaument, rapporteur. S’agit-il de 6,6 millions de connexions uniques ?

Mme Stéphanie Schaer. Oui.

Concernant la deuxième question, la Dinum est à la disposition de toutes les administrations qui réfléchissent à la simplification de leurs procédures dans le cadre des politiques publiques. Nous ne décidons pas de l’opportunité de dématérialiser ou d’orienter les démarches dans une direction particulière. Nous mettons toujours à disposition nos ressources et outils interministériels pour accompagner l’ensemble des ministères dans toutes leurs politiques publiques.

Permettez-moi d’apporter une correction concernant les 6,6 millions de connexions : après vérification, il s’agit en fait du nombre total de connexions, ce qui peut inclure plusieurs connexions par personne.

M. le président Thomas Cazenave. Pour le bilan des procurations dématérialisées à 100 %, c’est bien au ministère de l’intérieur qu’il faut demander ces chiffres, car il a accès à l’étape finale du processus. Concernant ma deuxième question, si je la reformule, avez-vous été sollicités ces dernières années pour repenser le processus de vote, y compris dans sa dimension dématérialisée ? Avez-vous été saisis de ce type de chantier ?

Mme Stéphanie Schaer. Pas récemment.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je souhaite une précision concernant l’accès aux informations sur l’inscription électorale et la possibilité qu’un tiers sollicite ces informations. Le système est-il sécurisé pour garantir que seule la personne concernée puisse effectuer cette démarche, comme c’est le cas lors d’une inscription en mairie ? Si on peut inciter les personnes à s’inscrire, il ne devrait pas être possible de les inscrire à leur place. Il y a un risque si quelqu’un inscrit une autre personne sous pression ou sous influence. Le système est-il bloqué pour l’éviter ? Existe-t-il des sécurités liées à l’identité individuelle ?

Mme Stéphanie Schaer. Grâce au service FranceConnect, la Dinum fournit une solution pour cette démarche, garantissant que seule la personne authentifiée par son identité est légitime pour vérifier sa situation par rapport à son inscription sur les listes électorales. C’est le choix qui a été fait par le porteur de la démarche : seule la personne concernée peut vérifier son statut d’inscription, et aucune autre. La Dinum apporte cette solution via le service FranceConnect, qui est également utilisé pour d’autres démarches.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Vous avez répondu à l’essentiel de mes questions. En réalité, je pensais que vous aviez été saisis de la demande de modifier un outil. C’était une des questions centrales que nous souhaitions poser, mais qui dépendent en fait du donneur d’ordre. Donc, si je comprends bien, j’ai fait le tour de mes questions.

M. le président Thomas Cazenave. Je vous remercie pour votre disponibilité et pour les réponses que vous avez apportées à nos questions.

 

La séance s’achève à vingt heures quarante.

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Pierre-Yves Cadalen, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument