Compte rendu
Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste, et M. Philippe Dorge, directeur général adjoint 2
– Présences en réunion................................11
Jeudi
20 février 2025
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission
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La séance est ouverte à dix heures trente.
M. le président Thomas Cazenave. Nous souhaitons la bienvenue à M. Philippe Wahl, président du groupe La Poste, et à M. Philippe Dorge, directeur général adjoint en charge de la branche services-courrier-colis.
Je n’ai pas besoin de présenter le groupe La Poste, même si le rôle important qu’elle joue lors des périodes électorales n’est pas forcément bien connu de tous.
Messieurs, nous sommes heureux de pouvoir échanger avec vous afin que vous nous apportiez toutes les informations nécessaires sur votre place dans le dispositif électoral. Je pense que nous reviendrons également sur les dysfonctionnements observés lors des élections de 2021 dans les opérations d’acheminement de la propagande électorale, dysfonctionnements dont je précise que vous n’avez pas été les acteurs.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Wahl et M. Philippe Dorge prêtent successivement serment.)
M. Philippe Wahl, président du groupe La Poste. C’est un grand honneur pour nous d’être entendus par votre commission d’enquête.
La mission de La Poste est de distribuer des plis et des colis et, depuis l’évolution stratégique de l’entreprise, de fournir des services à tous, sur l’ensemble du territoire. Elle l’assume grâce à un réseau de factrices et de facteurs qui ont une bonne connaissance du territoire ; ceux-ci se déplacent à l’aide des moyens de locomotion traditionnels, mais aussi de pirogues, en Guyane, sur l’Oyapock et le Maroni, et d’hélicoptères à La Réunion, notamment pour acheminer le courrier dans les îlets du Cirque de Mafate !
Ce réseau fait de La Poste un partenaire naturel et historique de l’État dans les opérations électorales, lesquelles font l’objet de deux grands marchés publics nationaux, qui portent respectivement sur l’acheminement et la distribution de la propagande électorale au domicile de chaque électeur, qu’il réside en France – 47,9 millions de personnes – ou à l’étranger – 1,7 million de personnes –, et sur l’acheminement des bulletins de vote vers les mairies. À ces deux grands marchés nationaux s’ajoutent des marchés publics locaux relevant du ministère de l’intérieur pour la mise sous pli de la propagande électorale, la mise en colis des bulletins de vote, l’acheminement des volets de procuration, celui des cartes électorales, l’envoi des procès-verbaux et des listes d’émargement, la mise à jour des listes électorales et le recyclage des matériels de vote. Nous pouvons également organiser le vote par internet, comme nous le faisons avec le ministère des affaires étrangères pour les Français de l’étranger.
Nos plus de 60 000 salariés, notamment nos factrices et nos facteurs, sont très fiers de participer à cette opération essentielle de la vie démocratique. Nous verrons du reste qu’ils ont su se mobiliser dans des conditions très difficiles lors d’opérations électorales récentes.
M. Philippe Dorge, directeur général adjoint en charge de la branche services-courrier-colis. Cinq marchés se sont succédé depuis 2005. Les trois premiers ont été remportés par La Poste. Pour le quatrième, qui couvrait la période 2021-2024, nous avions remporté huit lots géographiques sur quinze – ceux sur lesquels notre concurrent ne s’était pas positionné. Toutefois, dès le premier tour des élections départementales et régionales de juin 2021, notre concurrent a essuyé un échec opérationnel et nous avons été appelés en urgence, le mercredi précédant le scrutin du second tour, pour reprendre la distribution des 3,8 millions de plis correspondant aux sept lots géographiques qui lui avaient été attribués.
Cette distribution sans préavis a été un véritable défi que La Poste, les factrices et les facteurs ont relevé avec succès. Les 50 000 postiers mobilisés – contre 36 000 au premier tour – ont fait preuve d’une grande agilité. Certains d’entre eux ont été déployés chez les routeurs, qui préparent les plis électoraux, et la supervision a été renforcée : elle s’exerçait deux fois par jour, avec le ministère de l’intérieur et localement avec les préfectures. Le samedi 26 juin 2021, veille du scrutin du second tour, nous avons organisé de façon exceptionnelle 19 760 tournées d’après-midi et 2 970 tournées de fin d’après-midi, si bien qu’à dix-neuf heures, nous avions distribué la propagande électorale relevant des lots qui ne nous avaient pas été attribués initialement. Le résultat fut à la mesure de l’effort consenti : le taux de distribution de la propagande électorale fut de 100 % pour les élections départementales et de 99,7 % pour les régionales.
Le contrat avec le concurrent ayant été résilié par le ministère de l’intérieur, celui-ci a organisé une nouvelle consultation pour la période résiduelle et a notifié la reprise de ces lots à La Poste le 24 février 2022.
Nous avons ensuite réalisé les opérations logistiques des élections présidentielles et législatives de 2022, puis des élections européennes et, ce qui n’était pas prévu, législatives de 2024. Pour ces dernières, la mobilisation des postiers fut d’autant plus forte que, début juillet, les congés d’été avaient débuté. Nous avons d’ailleurs embauché environ 560 renforts. Le ministère de l’intérieur s’est dit satisfait des opérations réalisées pour chacun de ces scrutins, le taux de distribution de la propagande électorale approchant 100 %.
Nous tirons trois leçons de ces différentes opérations. D’abord, lorsqu’une semaine seulement sépare les deux tours et que les commissions électorales ne peuvent se réunir que le mardi, le routage se fait immédiatement après l’impression et la distribution par les facteurs est très contrainte : elle a souvent lieu le vendredi et le samedi.
Ensuite, la qualité de la mise sous pli par les routeurs est déterminante. Un standard a donc été défini pour l’ordonnancement et le taux de remplissage des cassettes. Cette opération décisive pour assurer la distribution dans un temps très contraint est d’ailleurs supervisée par des postiers, en lien avec les préfectures.
Enfin, la réduction du nombre de plis non distribuables est un enjeu pour les différentes parties ; elle dépend notamment de la mise à jour des listes électorales. Dès lors que, chaque année, 10 % des Français déménagent, les communes réalisent un travail constant en amont des scrutins et transfèrent ces données vers le répertoire électoral unique.
M. Philippe Wahl. Nous savons que vous réfléchissez à l’évolution des modes d’élection. En tant qu’opérateur, nous savons organiser les opérations physiques – nous l’avons montré –, le vote par correspondance et le vote numérique. Grâce à la solution Voxaly, développée par une de ses filiales, La Poste est en effet le leader français en la matière. Elle a ainsi organisé les récentes élections syndicales pour les petites et moyennes entreprises, celles des grands ministères ainsi que celle de son propre comité social et économique (CSE).
Bien entendu, nous n’avons pas à nous prononcer sur le fond, mais nous pouvons vous dire qu’il ne serait pas possible, par exemple, d’organiser un vote par correspondance pour une élection dont les deux tours se dérouleraient à une semaine d’intervalle.
Enfin, nous tenons à votre disposition le nombre des plis qui n’ont pas été distribuables, et nous pourrons vous indiquer la manière dont les processus électoraux peuvent être améliorés.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Merci pour la qualité de votre présentation, et pour les services que La Poste rend à notre pays au quotidien et lors des opérations électorales.
Vous avez dit avoir eu recours à 560 renforts pour les élections législatives qui ont suivi la dissolution. S’agissait-il de personnes que vous avez embauchées ponctuellement, dans le cadre de contrats à durée déterminée, ou de salariés qui ont interrompu leurs vacances ? Vous avez salué à juste titre le travail des factrices et des facteurs, qui connaissent le terrain et sont capables d’acheminer le courrier même en l’absence de boîte aux lettres. On se doute qu’il n’en va pas de même pour les renforts extérieurs. Peut-être est-ce, du reste, la raison de l’échec de l’entreprise Adrexo.
À ce propos, comment expliquez-vous les dysfonctionnements observés en 2021 ? Sont-ils dus à un manque de connaissance du terrain, à la précipitation ? L’entreprise avait-elle l’expérience suffisante pour organiser une telle opération ? La supervision de l’État a-t-elle été défaillante ?
La mission de distribution de plis électoraux peut-elle s’inscrire dans une logique de marché ou relève-t-elle avant tout du service public ?
Enfin, compte tenu de votre connaissance du terrain, ne pourrait-on pas envisager que La Poste informe les services publics des changements d’adresse des électeurs et facilite ainsi la réinscription sur les listes électorales, faisant par là-même baisser la mal-inscription ?
M. Philippe Dorge. En ce qui concerne la charge de travail liée aux différents scrutins, la contribution aux opérations électorales participe du métier de La Poste. Nous avons défini une courbe d’apprentissage, différents standards. Nous formons des équipes de supervision au niveau national, avec le ministère de l’intérieur, et dans les dé »partements : un postier référent est présent dans chaque préfecture avec une équipe d’experts des transports, de l’ordonnancement des flux, du reporting… Ce savoir-faire s’appuie sur des systèmes d’information que nous avons améliorés au fil du temps. Je pense à notre outil e-bordereau, qui permet au facteur qui revient d’une tournée de distribution électorale de déclarer ce qui a été distribué et ce qui ne l’a pas été, de sorte que nous pouvons identifier, au jour le jour, les plis non distribuables par commune.
Le métier de la distribution du courrier adressé n’a rien à voir avec celui de la distribution toutes boîtes du courrier non adressé : il faut connaître les personnes, leur nom, les membres du foyer et trouver l’adresse, ce qui est parfois difficile, notamment dans les grands ensembles ou dans les zones rurales.
Lorsque le scrutin n’est pas prévu, nous faisons face avec beaucoup d’agilité. Je peux vous dire que dès l’annonce de la dissolution, les postiers ont commencé à réfléchir aux préparatifs à organiser le lundi matin. Nous avons désigné très rapidement nos équipes projet au niveau national et local et préparé les plans de production ainsi que les tableaux de service pour couvrir l’ensemble des tournées. Nous avons proposé à ceux des facteurs qui étaient en congé d’interrompre leurs vacances moyennant le versement d’une prime – ils ont été assez nombreux à accepter – et nous avons embauché des renforts sur 560 tournées. Nous en avons l’habitude puisque, chaque été, nous engageons des intérimaires ou des personnes en CDD, qui, pour certains, reviennent d’année en année. Le taux de réussite a été bon.
Il ne m’appartient de commenter ce qui s’est passé chez notre concurrent mais, en creux, les compétences nécessaires à ce type d’opérations lui ont probablement manqué. La préparation et l’anticipation sont indispensables. Encore une fois, la distribution du courrier adressé est un métier : il faut s’accorder sur des standards très clairs avec les routeurs et les préparateurs, que nous connaissons, et élaborer des plans de tri. Plus les cassettes de courrier sont organisées par tournée et, si possible, dans l’ordre des tournées, plus la distribution est aisée. Une réunion nationale regroupant l’ensemble des parties prenantes est organisée par le ministère de l’intérieur, puis des réunions locales se tiennent sur le même modèle dans les préfectures, afin de faciliter la synergie. Bien entendu, notre concurrent participait également à ces réunions. C’est donc la maîtrise du métier qui a fait la différence.
Enfin, notre base dite des nouveaux voisins, qui recense les changements d’adresse, est à la disposition des communes. Par ailleurs, au-delà de la gestion au fil de l’eau que j’ai évoquée, nous remettons aux communes, à la fin de chaque scrutin, les plis non distribuables et nous analysons, sous la supervision des préfectures, les raisons pour lesquelles ils n’ont pas été distribués. En moyenne, à chaque élection, 7 % à 8 % des plis ne sont pas distribués, soit, dans 87 % des cas, parce que la personne n’habite plus à l’adresse indiquée, soit, dans les autres cas, parce que nous n’avons pas trouvé l’adresse. Nous revenons vers les communes dont le taux de plis non distribuables est un peu plus élevé que les autres pour leur proposer un service de mise à jour dont le tarif est très accessible.
M. Philippe Wahl. La mise en concurrence des opérateurs ne nous pose pas de problème. Du reste, je dois dire que nous ne sommes pas demandeurs de nouvelles missions de service public car, chaque fois que vous nous en confiez une, nous perdons au moins 100 millions d’euros. De fait, nos quatre missions de service public sont sous-compensées, pour un total supérieur à 1 milliard d’euros. Nous préférons donc accomplir cette tâche sans qu’elle nous soit assignée comme une mission de service public !
M. le président Thomas Cazenave. Des alertes ont-elles été lancées, avant la décision de notification du marché, sur les risques que pouvait représenter le choix de l’opérateur Adrexo, au regard des compétences spécifiques que requiert la distribution du courrier adressé ?
Monsieur Wahl, pouvez-vous revenir sur le rôle de La Poste dans les opérations de vote des Français de l’étranger ?
Monsieur Dorge, quelles garanties avez-vous que les plis ont été correctement distribués et non pas déposés en tas au-dessus des boîtes aux lettres, par exemple ?
S’agissant des plis non distribuables, existe-t-il des points noirs territoriaux ?
Enfin, comment envisagez-vous la mission de La Poste dans l’hypothèse où nous nous orienterions vers une dématérialisation totale ou partielle de la propagande électorale ?
M. Philippe Wahl. Quand un opérateur historique est mis en concurrence avec d’autres entreprises, il y a un biais : on peut craindre que vos arguments n’aient pour but que de protéger votre position d’ancien monopole.
Au moment de la discussion, nous avons appelé l’attention du ministère de l’intérieur sur deux points – mais nous n’étions pas objectifs, bien sûr. D’abord, le poids du critère de prix était très lourd : cela ouvre la porte à une manœuvre simple, qui est de baisser les prix pour gagner ; pour notre part, nous n’envisagions pas de faire de grands profits sur cette opération, rassurez-vous – nous n’en avons pas fait – mais nous voulions éviter de perdre de l’argent. Ensuite, Philippe Dorge et Yannick Imbert, directeur des affaires territoriales et publiques du groupe La Poste, ont souligné que la distribution de courrier adressé est un métier complètement différent de celui de la distribution de courrier non adressé, et qu’il fallait vérifier que l’organisation des entreprises permettrait de mener la mission à bien.
Je dois dire que nous-mêmes ne nous attendions pas à une si pauvre performance de notre concurrent.
Les alertes ont été données très vite, dès avant le premier tour : des élus nous ont appelés pour nous reprocher la très faible qualité de la prestation – dont nous avons vite découvert qu’il s’agissait de celle de notre concurrent. Après le premier tour, il s’est passé des choses encore moins sympathiques : de la propagande électorale a été déversée dans des endroits qui n’étaient pas exactement les boîtes aux lettres des électeurs.
M. Philippe Dorge. Depuis, le critère prix, qui était passé de 50 % à 60 % en 2021, a été placé à 30 %.
S’agissant des près de 1,4 million d’électeurs résidant à l’étranger, nous avons un contrat avec le ministère des affaires étrangères. Nous envoyons de la propagande électorale papier avant le vote électronique par correspondance : nous l’avons fait pour les élections européennes, et seulement pour le premier tour des législatives, car il n’y a qu’une semaine entre les deux tours, et ce délai était insuffisant. C’est La Poste qui, dans le cadre de ses contrats avec les postes de l’Union postale universelle, adresse ces courriers de propagande.
Depuis 2009, grâce à notre filiale Docaposte, nous avons mis en place une solution de vote par correspondance électronique, Voxaly. Nous disposons du plus haut niveau de confiance numérique, conforme aux exigences du règlement européen « eIDAS » et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Nous travaillons avec la direction du numérique du ministère des affaires étrangères et avec le CNRS. Ce système a été utilisé par 22 % des Français de l’étranger, soit plus de 300 000 personnes.
Quant à la mesure de la qualité de service, j’ai déjà cité l’application e-bordereau ; mais il est vrai qu’il s’agit d’une autodéclaration. C’est une vérification de premier niveau, qui peut être discutée avec les communes. C’est surtout le client qui dit si nous avons bien effectué notre travail : en l’occurrence, d’abord le ministère de l’intérieur, avec qui nous avons passé le contrat, mais aussi les élus locaux, dont on a vu en 2021 qu’ils étaient très réactifs sur ces sujets. Nous mesurons, je le redis, un taux de distribution qui tangente les 100 % – pour ce qui est des plis distribuables.
Les inégalités territoriales dans la répartition des plis non distribuables existent. Certaines sont structurelles : outre les déménagements que j’ai déjà cités, l’implantation des populations peut changer. La qualité de l’adresse est un sujet fondamental, en milieu rural mais aussi dans certains quartiers périphériques nouveaux, par exemple. Tout cela combiné à la mise à jour des bases électorales, c’est un vrai défi. C’est sur la base du taux de plis non distribuables du scrutin précédent que nous pouvons constater des écarts importants pour certaines communes et leur proposer un travail commun – c’est le maire qui, en tant qu’officier d’état civil, est chargé de la mise à jour des listes électorales ; les données sont ensuite transmises au répertoire électoral unique afin d’éviter les doubles inscriptions. Nous le faisons depuis 2022, ce qui nous a permis de diminuer ce taux de façon sensible en 2024.
M. Philippe Wahl. Quant à la dématérialisation, tout dépendra de la façon dont vous décidez de la calibrer. Nous savons faire de la livraison à domicile, physique, comme du vote par correspondance et du numérique : nous saurons faire de l’hybride.
Nous savons ce que les élections physiques nous rapportent ; nous gagnons de l’argent. Nous préférons des élections qui nous rapportent plus à des élections qui nous rapportent moins, je veux l’avoir dit. Mais nous adapterons notre offre à votre demande : l’organisation des élections, quelle qu’en soit la forme, continue d’intéresser les postières et les postiers, comme le groupe La Poste.
Grâce à nos factrices et nos facteurs, à nos milliers de postières et de postiers dans tous les bureaux de poste, nous sommes très sensibles au fait qu’une partie de la population ne saura pas accéder à l’information par la voie numérique. Ce n’est pas là un propos général sur l’illectronisme, mais la leçon de l’expérience de nos dizaines de milliers de salariés, confrontés soit au domicile de nos clients, soit dans les bureaux de poste, à des gens – de toutes catégories sociales et de tous âges – qui demandent leur aide pour accéder à des informations numériques.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Ayant été pour moi-même peu satisfaite des services d’Adrexo, je me suis inquiétée lorsqu’ils ont été choisis et je l’avais fait savoir au ministère de l’intérieur. Merci d’avoir réagi de façon rapide et efficace.
La propagande électorale est volumineuse, elle coûte cher et sa distribution est compliquée. Elle est aussi relativement inutile, beaucoup de ces papiers passant directement à la poubelle… Une distribution de la propagande au format numérique est-elle envisageable ? Avez-vous accès à des adresses mail ou à des numéros de téléphone portable ?
Il y a une rotation croissante des facteurs au sein de La Poste. Ils connaissent moins qu’avant les adresses et leurs particularités, et la distribution a perdu en efficacité : dans les immeubles, on trouve parfois des plis au-dessus des boîtes aux lettres plutôt que dedans. Est-ce un aspect dont vous vous préoccupez ?
M. Philippe Wahl. Si vous décidiez de passer au tout-numérique, nous nous adapterions. Je ne sais pas quelle serait la différence de coût, mais je peux vous dire que l’impact écologique ne serait pas favorable. La filière papier a beaucoup avancé dans le retraitement du matériau : le papier peut être retraité sept fois ; l’une de nos missions, je vous l’ai dit, est de récupérer le matériel électoral usagé. En revanche, le numérique exigera des data centers, qui consomment beaucoup d’électricité.
J’ajoute que nous ne disposons pas des 50 millions d’adresses électroniques ou de numéros de téléphone. Cela se constituerait s’il le fallait, mais je ne sais pas si cela pourrait être fait dès la première élection : il y aurait un gros risque que beaucoup de gens – sûrement plus de 1 million – ne reçoivent rien.
Nous pensons aussi possible d’investir – cela coûte de l’argent – pour améliorer considérablement le registre électoral unique, en revoyant les bases d’adressage.
Vous abordez la question de la qualité du service. Les factrices et les facteurs sont moins stables, c’est la réalité : nous sommes passés de 18 milliards de lettres en 2008 à 5,5 milliards cette année et ce choc énorme nous a obligés à une réorganisation des tournées, en concertation avec les factrices et les facteurs comme avec les organisations syndicales. Mais on ne peut pas nier que, par rapport à quelqu’un qui gardait la même tournée pendant vingt ans, c’est une perturbation. Là encore, la mise à jour des bases d’adressage améliorerait la situation.
Il vous revient de fixer le cadre ; il ne serait pas mauvais que nous en parlions avant que la décision soit prise, afin que nous puissions vous faire part d’éventuelles observations très concrètes – je citais tout à l’heure l’exemple d’un vote par correspondance pour une élection à deux tours séparés d’une seule semaine, dont nous savons par avance que cela ne marche pas.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Si le moratoire sur les machines à voter était levé, La Poste serait-elle à même de participer à l’organisation de ce type de vote ?
M. Philippe Dorge. Oui. Nous saurions notamment les disposer dans nos infrastructures.
En ce qui concerne la stabilité, nous avons beaucoup de départs à la retraite : cette année, nous avons recruté en CDI près de 5 000 facteurs. Ce sont autant de gens qu’il faut former à ce qui est un vrai métier. Il est aussi important que l’adressage, l’accessibilité soient bons, notamment dans les grands ensembles.
S’agissant du numérique, au-delà du fait que 20 % de Français ont un problème avec la communication électronique, il y a une question d’économie de l’attention : des études montrent qu’il faut sept stimulations numériques pour obtenir la même attention qu’avec un papier.
M. Antoine Léaument, rapporteur. L’application e-bordereau pourrait-elle servir de base pour un travail de mise à jour des adresses avec les services municipaux ? Cela pourrait être une piste pour retrouver les gens qui n’ont pas pu recevoir les plis.
Vous dites avoir alerté le ministère de l’intérieur au moment de la mise en concurrence. Par quel canal sont passées ces alertes ?
M. Philippe Wahl. Plus que d’alertes – nous acceptons la compétition –, il s’agissait de remarques verbales : nous avons signalé que le critère de prix donnait un avantage à un concurrent qui ne serait pas raisonnable sur la qualité de sa prestation ; nous avons aussi conseillé à nos interlocuteurs de bien vérifier que notre concurrent connaissait vraiment le métier du courrier adressé – différent de celui du courrier non adressé, que nous connaissons aussi puisque nous avions une filiale qui était leur concurrent direct. Ces remarques n’ont pas été notariées : nous étions déçus de ne pas remporter tout le marché, mais encore une fois nous n’avons jamais pensé que la prestation serait aussi perfectible.
M. Antoine Léaument, rapporteur. À quels individus étaient adressées ces remarques orales ?
M. Philippe Wahl. C’était lors de la discussion avec le ministère, au cabinet, je pense.
M. Philippe Dorge. Pour ce marché, nous avons obtenu 557 points sur le critère prix, contre 600 pour notre concurrent ; nous avions fait nos meilleurs efforts, puisque nous avions, de mémoire, baissé de 4 % nos tarifs par rapport au précédent contrat. Mais nous avons eu aussi une moins bonne note sur le critère technique : 304 points contre 347 pour notre concurrent. Je vous assure que nous avons défendu au maximum nos efforts sur les deux critères, en soulignant la difficulté du métier du courrier adressé par exemple, lors de la soumission, qui se fait à l’oral.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Vous souvenez-vous à qui précisément ?
M. Philippe Dorge. À la direction des achats du ministère de l’intérieur, je crois.
M. Philippe Wahl. Sur le fond, c’est du déclaratif, et c’est sans doute pour cette raison que la commission d’achat a mieux noté notre concurrent. Je me mets à leur place : il n’est pas toujours facile de dire si les gens sont réellement capables de faire ce qu’ils promettent.
M. Philippe Dorge. S’agissant de l’exploitation des plis non distribuables, nous le faisons en proposant notre aide aux maires, mais nous pourrions envisager de le faire à une plus grande échelle. Les problèmes étaient particulièrement forts dans une soixantaine de communes. C’est l’Insee qui gère le répertoire électoral unique : il faudrait peut-être travailler aussi à ce niveau.
M. le président Thomas Cazenave. Nous avons entendu votre message au sujet des missions de service public, mais quelle est la rentabilité des opérations électorales pour La Poste ?
S’agissant du vote électronique, le vote des Français de l’étranger a-t-il fait l’objet d’attaques, avez-vous connaissance de compromissions ? Pouvez-vous nous assurer que l’utilisation de cet outil n’a présenté aucune difficulté, qu’il est fiable ?
L’outil e-bordereau est certainement utile, mais il est déclaratif. Avez-vous par exemple construit un panel de foyers que vous appelez pour savoir s’ils ont effectivement reçu la propagande, afin de vérifier que les taux déclarés sont conformes à la réalité ?
M. Philippe Dorge. Il est difficile de prévoir la rentabilité de tels contrats. Nous sommes rémunérés au kilo, et il n’est pas aisé d’estimer précisément par avance le nombre de plis, par exemple. Nous essayons de couvrir à tout le moins nos coûts, ce qui n’est pas le cas à chaque scrutin : en 2021, nous avions baissé nos tarifs, je l’ai dit, et nos marges ont été négatives. Nous cherchons une marge nette de l’ordre de 4 % à 5 %.
S’agissant de Voxaly, Docaposte vous renseignera mieux que moi. La sécurité du vote est un enjeu essentiel.
M. Philippe Wahl. Le vote électronique par correspondance concerne aujourd’hui un peu moins de 2 millions de personnes, réparties sur la totalité du globe : le piratage n’est pas très facile. Si le dispositif était généralisé, on peut être à peu près certain que les attaques et les tentatives de pénétration le seraient aussi ! Il faudrait un volet de lutte contre la cybercriminalité tout à fait particulier – ce qui aurait un coût.
M. Philippe Dorge. Le e-bordereau est en effet autodéclaratif. On pourrait imaginer des panels ; mais les meilleurs panélistes, ce sont les élus locaux, qui sont informés par leurs électeurs et nous contactent très rapidement.
M. Philippe Wahl. C’est la raison pour laquelle La Poste organise un petit-déjeuner parlementaire mensuel, qui permet de traiter les critiques et les difficultés, voire aussi de recevoir les compliments.
M. le président Thomas Cazenave. Sur cette invitation à nous retrouver, je vous remercie de votre disponibilité et de la précision de vos réponses. J’en profite pour saluer l’engagement de tous les employés de La Poste dans leur mission de service public.
La séance s’achève à onze heures trente.
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Présents. – M. Vincent Caure, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument
Excusé. – M. Xavier Breton