Compte rendu
Groupe de travail sur le développement durable de l’Assemblée nationale
– Audition de MM. Frank Baron et Eddy Borne, responsables du Bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’Assemblée et de M. Bruno Lancestremère, directeur des affaires immobilières et du patrimoine 2
Mardi 28 janvier 2025
Séance à 9 heures
Compte rendu n° 2
Présidence de
Mmes Sandrine Le Feur et Christine Pirès Beaune,
Co-rapporteures
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La séance est ouverte à neuf heures cinq.
Le groupe de travail sur le développement durable de l’Assemblée nationale a entendu MM. Frank Baron et Eddy Borne, responsables du Bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’Assemblée, ainsi que M. Bruno Lancestremère, directeur des affaires immobilières et du patrimoine.
Mme Christine Pirès Beaune, corapporteure. Le groupe de travail sur le développement durable reprend ses travaux dans une nouvelle configuration, du fait du renouvellement de l’Assemblée nationale. Sous la précédente législature, il avait décidé de formuler des propositions pour améliorer la politique de développement durable de notre maison sur la base de diagnostics permettant de dégager des axes prioritaires. Pour cette raison, et compte tenu de la nouvelle composition du groupe de travail, nous avons décidé, lors de notre réunion constitutive du 17 décembre 2024, de commencer nos travaux par la présentation des diagnostics.
Nous vous proposons aujourd’hui d’entendre successivement M. Frank Baron, conseiller au secrétariat général de la questure, M. Eddy Borne, chef de la cellule énergie, et M. Bruno Lancestremère, directeur des affaires immobilières et du patrimoine. Le premier point de l’ordre du jour porte sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) et sur le plan de transition de l’Assemblée, publiés sur le site de l’Agence de la transition écologique (Ademe) en fin d’année 2023.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. Je suis ravie de pouvoir participer à la relance de ce groupe dans la salle de la commission du développement durable, en commençant par un point d’étape important, notamment pour les députés qui viennent de rejoindre le groupe.
M. Frank Baron, responsable du bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’Assemblée. Le BEGES, autrefois appelé bilan carbone, est désormais une obligation pour certaines entreprises et organismes publics. Il est encadré juridiquement à plusieurs niveaux.
Le niveau le plus élevé est celui du droit international, en l’occurrence l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 par 196 États parties. Il prévoit que l’augmentation de la température ne dépasse pas 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Un cap était fixé à 2025, année à partir de laquelle les émissions étaient censées commencer à diminuer. Le contexte international actuel augure mal d’une telle évolution, les États-Unis venant d’annoncer leur intention de se retirer de l’accord de Paris, mais la Convention-cadre de l’ONU s’impose à nous. Pour respecter l’objectif de 1,5 °C, il faut baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 43 % d’ici à 2030. Cela implique à la fois de comptabiliser nos émissions et de formuler une stratégie de réduction, appelée « plan de transition » dans notre droit national.
Second niveau : le droit européen, avec les cinq actes législatifs adoptés par le Conseil européen en avril 2023, intitulés Fit for 55, qui fixent le cadre des actions à entreprendre pour atteindre l’objectif de diminuer les émissions de 55 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.
Le troisième niveau juridique est national, les objectifs se déclinant dans différentes lois et mesures réglementaires.
Introduit dans la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, le BEGES comporte actuellement deux volets : l’évaluation du volume de GES émis pendant une année par chaque personne morale d’une part et, de l’autre, un plan d’action de réduction des émissions, ou plan de transition.
L’obligation d’établir un BEGES tous les quatre ans s’impose aux entreprises de plus de 500 salariés en France métropolitaine et de plus de 250 salariés en outre-mer, ainsi qu’aux collectivités locales de plus de 50 000 habitants, aux établissements publics de plus de 250 agents et à tous les services de l’État – c’est à ce titre que l’Assemblée est concernée.
Les BEGES sont rendus publics sur une plateforme gérée par l’Ademe ; à terme, leur agrégation permettra de vérifier que les objectifs de l’accord de Paris et le droit européen sont respectés.
À l’origine, les BEGES n’étaient assortis d’aucune sanction en cas de non-respect des obligations. Les premières sanctions, d’un montant de 1 500 euros, ont été introduites en 2015. S’y est ajoutée en 2019 l’obligation d’établir un plan de transition en plus du diagnostic sur le volume d’émissions de GES. Depuis un décret de 2022, le périmètre des Beges inclut désormais, outre les émissions directes et indirectes liées à l’énergie, les émissions indirectes non liées à l’énergie. Concrètement, pour les députés, il s’agit surtout des déplacements, notamment entre leur circonscription et Paris. Un déplacement effectué par un député en avion entre ainsi dans le BEGES de l’Assemblée, même si les émissions sont imputables à une compagnie aérienne. Enfin, la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a augmenté le montant des amendes à 50 000 €, et à 100 000 € en cas de récidive.
À l’Assemblée, le BEGES a été réalisé en 2023. Il portait sur l’année 2022 et incluait les émissions indirectes non liées à l’énergie. Le prochain bilan portera sur l’année 2025 et sera réalisé en 2026. Il sera alors possible de comparer les deux bilans et d’identifier des évolutions. En cas d’aggravation du niveau d’émissions, il faudra expliquer pourquoi les objectifs n’auront pas été tenus. En revanche, l’aggravation du bilan n’induit aucune sanction en tant que telle.
Pour l’Assemblée, le changement de périmètre porte principalement sur les émissions liées aux transports des députés entre la circonscription et Paris, aux déplacements des collaborateurs et du personnel entre le domicile et le lieu de travail, mais il concerne aussi les déplacements des visiteurs.
Les émissions indirectes non liées à l’énergie concernent également les achats de biens et la gestion des déchets. Il a été décidé d’exclure du champ du bilan toutes les données qui relèvent des circonscriptions, trop complexes à collecter et à évaluer.
Il existe deux types de données : certaines, très fiables, sont quantitatives comme celles liées à l’énergie qui se chiffrent précisément en kilowattheures, tandis que d’autres ne peuvent s’estimer que sous forme de moyennes à partir d’extrapolations. Les biens achetés, par exemple, sont évalués à partir de données monétaires sans qu’il soit possible de tenir compte de leur lieu de fabrication ou de leur mode d’acheminement.
Les données liées aux émissions de GES par circonscription n’étant pas assez fiables, il n’est pas possible de dresser une estimation du bilan de GES par député, comme le demandait M. Jimmy Pahun lors de la réunion constitutive du groupe de travail. De telles statistiques présenteraient un taux d’incertitude élevé et risqueraient de produire des résultats inégaux selon que les députés résident en outre-mer ou, au contraire, tout près d’une gare bien desservie.
Le total des émissions de GES de l’Assemblée donne une moyenne de 23 tonnes d’équivalent CO2 par député. Le prestataire qui a établi le BEGES de l’Assemblée a également dressé des comparaisons : nos émissions totales – députés, collaborateurs et personnel compris – correspondent à l’empreinte carbone moyenne annuelle d’environ 1 345 Français, ou encore à 7 500 allers-retours entre Paris et New York.
M. Jimmy Pahun (Dem). Quel est l’objectif moyen en termes de tonnes d’équivalent par CO2 par Français ?
M. Frank Baron. L’objectif est national, non individuel. Ce qui importe, c’est surtout la trajectoire. En ce sens, le groupe de travail arrive à un moment opportun puisqu’il va falloir décider de moyens d’action pour réduire les émissions. Jusqu’à présent, l’accent a surtout été mis sur l’énergie, mais il existe d’autres leviers.
Les déplacements sont le premier poste d’émissions, avec 43 % du total, dont 96 % du fait des déplacements en avion. Mais les déplacements offrent peu de marge de réduction des émissions : la Présidente de l’Assemblée a évoqué la refonte des rythmes de travail lors de la réunion constitutive tout en soulignant les fortes contraintes constitutionnelles qui pèsent sur le calendrier : séance hebdomadaire de questions au gouvernement, semaines de contrôle... Au Parlement européen, où une semaine de circonscription est prévue toutes les six semaines et où les députés viennent souvent en avion de toute l’Europe, les déplacements représentent un moindre pourcentage dans le total des émissions. La réduction des émissions liées aux déplacements est donc un objectif de long terme. Le passage à la session unique de neuf mois décidé en 1995, à laquelle s’ajoutent désormais des sessions extraordinaires, ouvre toutefois la voie à une réflexion sur le sujet.
L’estimation des émissions de GES liées aux déplacements présente un taux d’incertitude de 34 % car elle se fonde sur la dépense monétaire en billets d’avion. Il est sans doute possible d’affiner davantage cette moyenne, mais il faudrait notamment tenir compte de la classe, affaires ou économique. Les compagnies aériennes pourraient par exemple préciser leur estimation des émissions lors de l’achat du billet.
Le deuxième poste d’émissions – 26 % – concerne les immobilisations, notamment les travaux et surtout le matériel informatique, source d’émissions importante. Des mesures de sobriété ont déjà été prises : le matériel des députés réélus après la dissolution, par exemple, n’a pas été renouvelé.
Troisième poste d’émissions : l’énergie, à 15 % du total. Le réseau de chaleur urbain est fortement émissif, car il est lié à l’incinération des ordures. Les objectifs de réduction des émissions inciteraient plutôt à se défaire de ce type de fourniture d’énergie, mais il est économiquement avantageux et respecte le décret tertiaire. En outre, les chaudières au gaz ou au fioul sont beaucoup plus émissives. Au reste, le mix énergétique de l’Assemblée apparaît dans le bilan : l’électricité représente 55 % de la consommation d’énergie mais seulement 33 % des émissions de GES.
Le quatrième poste d’émissions, à 12 % du total, concerne les intrants et les biens, c’est-à-dire pour l’essentiel – 74 % – les repas. Les menus carnés étant plus émissifs, plusieurs mesures sont envisageables : sans aller jusqu’à organiser une journée sans viande, on peut proposer une seule viande et un seul poisson au menu. S’agissant du gaspillage, le groupe de travail auditionnera l’Association de gestion de la restauration de l’Assemblée nationale (AGRAN). En matière de commande publique, une réflexion est engagée pour privilégier les circuits courts et ne pas retenir que le seul critère du prix lors du choix des prestataires.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. Depuis 2022, la part des produits bio est passée de 4 % à 11 %. En revanche, il existe encore parmi les députés qui siègent au conseil d’administration de l’AGRAN des réticences à réduire la part carnée des repas.
M. Frank Baron. Autre statistique intéressante : 19 % seulement des repas comprennent de la viande bovine, pourtant responsable de 58 % des émissions – autant dire qu’elle est à la restauration ce que l’avion est au transport.
Enfin, les autres postes d’émissions représentent moins de 5 % du total des émissions et ne recèlent guère de potentiel de réduction.
M. Eddy Borne, chef de la cellule énergie. Le plan de transition de l’Assemblée nationale comporte quatre volets : le plan sobriété, le développement de l’exploitation énergétique, l’intégration de travaux de performance énergétique aux opérations de rénovation, ainsi que le BEGES et la position de l’Assemblée nationale par rapport aux contraintes réglementaires du décret tertiaire.
Le premier plan sobriété a été adopté en 2022 grâce à l’appui des autorités politiques. Sa principale mesure consistait à limiter les températures de consigne dans les locaux, en hiver à 21° C et en été à 25° C, afin d’assurer une température opérative au poste de travail de 19° C et 26° C respectivement. En outre, les périodes de chauffage et de rafraîchissement ont été optimisées en fonction des besoins réels. En été, il n’est pas jugé nécessaire d’activer les systèmes de rafraîchissement tant que les températures ne dépassent pas 26 °C dans les locaux. La conjugaison de ces mesures a porté ses fruits : la consommation d’énergie a baissé de 14 % entre l’hiver 2021 et l’hiver 2022 – soit une économie de l’ordre de 230 000 euros – et n’a pas augmenté entre l’été 2022 – période électorale de moindre occupation de locaux – et l’été 2023.
Le plan sobriété est désormais remplacé par un plan saisonnier établi chaque année afin de maîtriser et limiter les consommations énergétiques.
Deuxième volet : le développement de l’exploitation énergétique, qui s’est renforcé et professionnalisé depuis la création en 2022 de la cellule de pilotage énergétique au sein de la direction des affaires immobilières et du patrimoine (DAIP). Plusieurs mesures ont été mises en œuvre afin de limiter la consommation des systèmes techniques au juste besoin des occupants. Tous les terminaux de chauffage et de rafraîchissement ont par exemple été équipés d’un système d’arrêt automatisé, le soir et le week-end, les occupants ayant naturellement la possibilité de les rallumer s’ils sont toujours dans les bureaux. Autre équipement déployé : des détecteurs de présence. La salle de la commission, par exemple, est munie de deux boîtiers blancs grâce auxquels le système de ventilation et de chauffage se coupe automatiquement vingt minutes après le départ des occupants et ne se réactive qu’à l’arrivée d’autres personnes.
J’en viens au troisième volet, les travaux de performance énergétique. L’Assemblée nationale a fait établir la classe énergétique de chacun de ses bâtiments : la plupart sont classés E ou F, un résultat peu favorable – le pavillon du 35 quai d’Orsay est même classé G. Ce diagnostic a mis en lumière la nécessité d’intégrer systématiquement des travaux de performance énergétique aux opérations de rénovation, comme c’est déjà le cas de l’opération en cours aux troisième et quatrième étages de la zone Colbert. Un ambitieux bouquet de travaux d’efficacité énergétique permettra de passer de la classe E à la classe C en réduisant de moitié la consommation tout en améliorant le confort grâce à de nouveaux systèmes de rafraîchissement et de ventilation. De même, les travaux de rénovation du 35 quai d’Orsay prévoient des mesures énergétiques qui permettront de passer de la classe G à la classe B moyennant un coût réduit de 60 000 euros, et un taux de retour sur investissement actualisé inférieur à dix ans. C’est la preuve que les travaux de rénovation énergétique, même importants, ne renchérissent pas forcément le coût initial des opérations de rénovation.
Le dernier volet du plan de transition concerne les économies d’énergie et le décret tertiaire, en vertu duquel tous les bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés doivent réduire leur consommation énergétique de 40 % d’ici à 2030, 50 % en 2040 et 60 % à l’horizon 2050. En 2022, l’Assemblée a adopté un plan de stratégie énergétique fixant l’échéance finale à 2042.
Au mois de décembre 2024, l’Assemblée avait réduit sa consommation d’énergie de 33 % par rapport à 2012, l’année de référence ; il lui reste donc 27 % de réduction à accomplir en dix-huit ans – autrement dit, elle est en avance de 5 % sur la trajectoire fixée par le décret tertiaire, à cette nuance près que du point de vue de l’occupation des locaux, l’année 2024 fut atypique du fait de la dissolution, des Jeux olympiques et des deux changements de gouvernement. Précisons que les calculs et projections tiennent compte des effets du dérèglement climatique.
M. Jimmy Pahun (Dem). C’est souvent le dernier kilomètre qui est le plus difficile à parcourir…
M. Eddy Borne. En effet, les économies déjà accomplies étaient les moins difficiles ; l’autre moitié du chemin est un vrai défi.
Notons que le premier plan sobriété et les mesures d’exploitation énergétique ont eu un net effet sur l’évolution des consommations entre septembre et décembre 2022, qui justifie leur pérennisation. À l’inverse, la réduction des émissions de GES a beaucoup ralenti depuis. Les émissions attribuées aux consommations énergétiques ont baissé de 48 % par rapport à l’année de référence – 2012 – mais augmenté de 6 % entre 2022 et 2024. Les mesures mises en œuvre en 2022, puis pérennisées, jouent ainsi à la fois sur les consommations énergétiques et les émissions de GES.
Mme Christine Pirès Beaune, corapporteure. Le plan sobriété ayant fait la preuve de son efficacité, sans doute faudrait-il le faire mieux connaître des députés, des collaborateurs et du personnel, car il leur a été demandé un réel effort. On pourrait notamment leur présenter les économies budgétaires réalisées et la réduction des émissions de GES.
M. Bruno Lancestremère, directeur des affaires immobilières et du patrimoine. La DAIP n’est à l’origine que d’une partie des émissions de GES de l’Assemblée mais son action contribue fortement à leur réduction – il est plus facile, en effet, de modifier les comportements de chaque utilisateur que de revoir le rythme de travail de l’Assemblée.
Notre stratégie de réduction des consommations doit éviter plusieurs écueils, le premier d’entre eux étant de céder à un effet de mode. La baisse de la consommation doit être envisagée dans la durée ; au reste, les premières mesures sont bien antérieures au plan sobriété puisque les consommations ont baissé de plus de 30 % depuis 2012. Eddy Borne, qui a une formation de technicien spécialiste de l’énergie et du climat, est désormais chargé d’analyser les consommations énergétiques et de résoudre d’éventuelles anomalies – par exemple en demandant à la direction des systèmes d’information (DSI) d’éteindre certains matériels. Chacune de ces mesures contribue à un véritable changement de culture.
Autre pilier de notre stratégie : il faut convaincre chaque utilisateur de l’intérêt écologique et budgétaire que nous avons à réaliser des économies d’énergie. La communication, indispensable, doit être prudente, réfléchie et conçue avec l’aide de professionnels. Nos autorités politiques soutiennent déjà la stratégie actuelle, car elle est cohérente. Pour être efficace, elle doit être comprise et acceptée. Peu avant mon arrivée à la DAIP en 2021, par exemple, une mesure unilatérale de consigne des températures, maladroitement déployée, a dû être annulée dans la précipitation ; nous avons tiré les leçons de ce précédent malheureux.
Outre les comportements des utilisateurs, il faut aussi revoir notre politique d’achats énergétiques en privilégiant les sources propres et renouvelables. Notre réseau de froid urbain est entièrement renouvelable et repose sur un approvisionnement électrique 100 % vert. Nous éliminons progressivement les énergies les plus nocives et émissives – gaz et fioul – pour respecter le décret tertiaire. Il ne reste plus qu’une seule chaudière à gaz, qui alimente les cuisines du 101 rue de l’Université ; quant au fioul, il ne sert qu’à alimenter la centrale électrogène de sécurité. Au total, 75 % de nos consommations proviennent d’énergies renouvelables et seulement 14 % d’énergies fossiles.
Auparavant, l’exploitation et la maintenance des installations étaient confiées à diverses entreprises sans stratégie cohérente d’efficacité énergétique. Le marché de performance énergétique ouvert en 2023 par le collège des Questeures pour rationaliser nos consommations consiste à confier l’ensemble de nos installations à un seul prestataire dont l’intéressement financier dépendra des résultats obtenus.
Cette première année sert de test : l’opérateur retenu, ENGIE, se familiarise avec la stratégie de l’Assemblée et l’acceptabilité des mesures à prendre. Nous avons par exemple décidé de retenir une température de 19 °C au poste de travail et d’intervenir dans l’heure en cas de température inférieure, mais aussi de maintenir une température convenable dans l’hémicycle malgré l’écart entre le bas et le haut de la salle. Nous sommes également attentifs aux déperditions de chaleur dans les sites de restauration et de réception. C’est en agissant avec agilité et au cas par cas que nous parviendrons à faire accepter les mesures. Lors d’une récente panne de chauffage dans la salle Colbert, par exemple, des convecteurs ont été déployés sur-le-champ, favorisant l’acceptabilité de notre stratégie d’ensemble. Pour éviter les pics de consommation, nous privilégions aussi le préchauffage ou le prérefroidissement des bureaux, moins énergivores.
Dans plusieurs domaines, notre stratégie est même plus ambitieuse que la réglementation en vigueur. Nous avons proposé aux autorités d’avancer à 2042 l’échéance du décret tertiaire pour l’Assemblée ; et pour le chauffage des bâtiments, nous proposons d’aller au-delà de la réglementation thermique de 2012 pour appliquer la réglementation environnementale 2020 (RE 2020), plus exigeante.
Cette ambition répond à la fois à une conviction mais aussi à un intérêt : depuis 2012, les économies d’énergie se chiffrent à près de 15 millions d’euros, alors même que la facture énergétique de l’Assemblée a doublé entre 2021 et 2023, passant de 3 à près de 6 millions. J’ajoute que les économies de fonctionnement que réalise la DAIP, en lien avec l’énergie notamment, financent intégralement des dépenses d’investissement, au point que la moitié des travaux d’efficacité énergétique entrepris pour répondre au décret tertiaire sont autofinancés.
Le taux de retour sur investissement est un critère utile. Il montre par exemple qu’il serait pertinent d’équiper l’immeuble du 110 rue de l’Université, dont le bail s’arrête en 2033, d’un système de pilotage des installations à distance, car l’investissement serait amorti en six ans seulement – outre le temps qu’il ferait gagner en évitant à ENGIE de poursuivre les rondes actuelles pour s’assurer que le chauffage est coupé le week-end.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. La consommation énergétique de cet immeuble est-elle excessive ?
M. Bruno Lancestremère. C’est un bâtiment compact qui ne contient que des bureaux ; il n’est donc pas très énergivore, en partie grâce au comportement responsable des agents. Il faut parfois faire preuve de pédagogie, par exemple pour éviter l’introduction dans les locaux de convecteurs extérieurs d’agrément – surtout s’ils sont utilisé pour dépasser 24 °C, comme cela s’est déjà produit – mais globalement, nous évitons toute mesure punitive, sauf en cas de problème de sécurité.
J’en viens à la qualité de l’air : elle est très variable selon les bâtiments. Dans ceux qui ont une aération naturelle, la pollution et les taux de particules sont élevés. En revanche, ils sont bien moindres dans les bâtiments équipés de systèmes de ventilation mécanisée, mais l’humidité y est plus forte. Pour trouver un juste équilibre, il faut prendre des mesures ciblées, par exemple changer régulièrement les filtres de ventilation, ou améliorer le pilotage et la maintenance des installations.
D’autre part, la qualité de l’air est parfois liée à l’installation de mobilier neuf ; mieux vaut alors éviter d’occuper les locaux pendant une semaine afin de laisser les émanations nocives disparaître. Toutes ces mesures ont été progressivement ajoutées dans les marchés passés.
Un nouveau diagnostic de la qualité de l’air ne produirait pas de résultats très différents du précédent et coûterait cher ; nous prévoyons plutôt de réaliser des diagnostics spécifiques, concernant par exemple les ateliers de menuiserie et de serrurerie, ou en cas de problèmes respiratoires signalés par des agents ou le médecin de prévention. Le diagnostic global a déjà permis de mesure la qualité de plus de 200 points ; nous procéderons désormais à des mesures local par local avant de faire un point général dans deux ou trois ans.
Le diagnostic qui concerne l’aménagement des espaces verts, lancé en 2023, a pris un peu de retard mais le constat général est le suivant : nos espaces verts sont vieillissants et inadaptés aux usages, et des îlots de chaleur persistent – dans la cour d’honneur par exemple, qu’il est strictement impossible de végétaliser car le Palais-Bourbon est régi par le plan de sauvegarde et de mise en valeur du 7e arrondissement. Malgré les contraintes réglementaires, il a été demandé au prestataire chargé du diagnostic de proposer des pistes d’évolution réalistes.
Globalement, nous intégrons la dimension du développement durable dans toutes nos opérations d’ensemble – chacune d’entre elles comporte désormais un item spécifique en ce sens – en envisageant d’emblée les décisions à prendre concernant les économies d’énergie, la gestion de l’eau, la création d’espaces verts, la végétalisation des toits ou leur équipement en panneaux photovoltaïques et en bacs de récupération d’eau, par exemple. Au reste, nous apprenons de nos erreurs. Le pavillon du 35 quai d’Orsay, de classe énergétique G, doit être rénové ; or, le devis initial ne comportait pas les travaux d’efficacité énergétique. Nous avons donc présenté aux collèges des Questeures une proposition révisée en budgétant 60 000 euros pour faire remonter le bâtiment à la classe B.
Emblématique de cette démarche intégrée, la refonte de l’accueil du public sur la façade nord du Palais-Bourbon est la première opération comprenant tous ces critères : l’efficacité énergétique, la dimension paysagère avec l’aménagement possible du jardin de Lassay et la gestion de l’eau – avec un éventuel raccordement à l’eau de la Seine.
Les travaux sont désormais encadrés par une charte Chantiers verts qui porte notamment sur le bruit, le tri, le réemploi et le choix des matériaux, les circuits courts et l’évacuation des déchets – domaine dans lequel cinq lots correspondent à cinq types de déchets. L’attribution des marchés publics se fait toujours selon les critères d’exigence maximale – s’agissant du devenir des déchets, par exemple : la destruction est préférée à l’enfouissement et les déchets amiantés ne sont pas seulement stockés mais inertés. En clair, dans tous ces domaines, l’Assemblée a adopté une démarche exemplaire.
Mme Christine Pirès Beaune, corapporteure. Ce bilan très intéressant étant établi, il faut désormais définir nos priorités. Nous avons décidé de nous revoir une fois par mois, et je vous propose de diffuser les dates de réunion pour encourager nos collègues à y participer.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. Ce premier bilan est en effet très important. Il me semble prioritaire de travailler sur les principaux postes d’émissions, en particulier les transports mais aussi le matériel informatique, dont il faudrait éviter le renouvellement systématique.
En ce qui concerne l’organisation du temps parlementaire, il serait utile d’auditionner des parlements d’autres pays européens. S’il est difficile de modifier nos modes de déplacement, on pourrait en revanche envisager de modifier l’organisation de notre travail, ce qui permettrait en outre de faciliter notre présence en circonscription.
En ce qui concerne les repas, l’AGRAN y travaille déjà ; peut-être faudrait-il lui fixer des objectifs et l’encourager à aller plus loin.
M. David Taupiac (LIOT). Ce bilan très précieux montre combien il serait utile de communiquer auprès des députés, notamment sur le chauffage.
Avez-vous évalué le potentiel de production d’énergie renouvelable, notamment photovoltaïque, sur l’ensemble des bâtiments de l’Assemblée nationale ?
M. Bruno Lancestremère. Nous y avons réfléchi lors de la rénovation du 101 rue de l’Université et des panneaux photovoltaïques ont effectivement été installés sur le toit mais c’était une erreur car cet équipement défectueux n’est ni rentable ni adapté à la structure de l’immeuble et ne fonctionne plus depuis des années.
La production photovoltaïque n’est pas à exclure pour autant, par exemple sur le toit du 233 boulevard Saint-Germain, mais à ce stade, l’opération ne serait pas rentable car trop onéreuse pour gain écologique négligeable et les panneaux occuperaient beaucoup d’espace au détriment d’autres usages. Peut-être changerons-nous d’avis à mesure que les technologies évoluent. Quant à la géothermie, elle n’est pas envisageable.
M. David Taupiac (LIOT). Certaines communes dont le foncier est classé ou saturé installent des panneaux à l’extérieur de leur territoire, par exemple dans des zones d’activité, pour alimenter leur centre-bourg. L’Assemblée pourrait-elle procéder ainsi ? Acheter de l’électricité verte, c’est bien, mais en produire, c’est encore mieux !
M. Bruno Lancestremère. Nous n’avons pas du tout étudié cette piste mais elle mérite de l’être.
M. Frank Baron. Le chantier de la performance énergétique des bâtiments est immense. Les marges de progression concernent non seulement la production d’électricité mais aussi la réduction des consommations.
M. Bruno Lancestremère. En effet, la première mesure d’économie d’énergie concerne l’isolation les bâtiments ; les travaux déjà réalisés portent leurs fruits et nous y consacrerons encore 3 millions d’euros.
Mme Christine Pirès Beaune, corapporteure. Le bilan global montre que les déplacements représentent le gisement d’économies le plus vaste. Vous semble-t-il opportun, malgré les contraintes institutionnelles, d’envisager la modification de notre rythme de travail, par exemple en s’inspirant d’exemples européens ?
Mme Marie Pochon (EcoS). Repenser le fonctionnement global de l’institution est en effet primordial. Il est impensable de multiplier chaque semaine des allers-retours en avion, non seulement pour des raisons écologiques mais aussi parce que ce rythme est épuisant. Il faudra aussi s’interroger sur les modalités de la fabrique de la loi.
Autre point : les moyens dont disposent les parlementaires en circonscription, qui font partie des dépenses de fonctionnement. À chaque nouvelle législature, les députés cherchent une nouvelle permanence, la font assurer par des entreprises privées, utilisent des véhicules énergivores. L’Assemblée pourrait par exemple se doter d’une flotte plus économe destinée aux circonscriptions et les nouveaux députés pourraient conserver la permanence de leur prédécesseur.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. En circonscription, on pourrait aussi envisager de récupérer et de reconditionner le matériel informatique.
M. David Taupiac (LIOT). Il y a aussi des économies de papier à faire : au dernier renouvellement de l’Assemblée, on a jeté une quantité faramineuse d’enveloppes.
M. Bruno Lancestremère. Il est vrai que les enveloppes comportent un code-barres propre à chaque élu, qui permet l’affranchissement et la bonne imputation de la dépense.
Mme Sandrine Le Feur, corapporteure. Au moins pourrions-nous adapter le volume d’enveloppes à la quantité de courrier réellement envoyé.
Mme Christine Pirès Beaune, corapporteure. Merci à tous. Notre prochaine réunion aura lieu mardi 18 février à neuf heures.
La séance est levée à dix heures quarante.
Membres présents ou excusés
Groupe de travail sur le développement durable
Réunion du mardi 28 janvier 2025 à 9 h 05
Présents. - Mme Sandrine Le Feur, M. Jimmy Pahun, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Marie Pochon, M. David Taupiac
Excusés. - Mme Yaël Braun-Pivet, M. Anthony Brosse