Compte rendu

Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

         Examen du rapport suivi d'un vote, à huis clos.......2


Mardi
10 juin 2025

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission

 


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Mardi 10 juin 2025

 

La séance est ouverte à 16 heures 35

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

* * *

 

Examen du rapport suivi d'un vote, à huis clos.

 

M. le président Didier Le Gac. Mes chers collègues, je souhaite tout d’abord vous remercier d’être venus à cette dernière réunion de notre commission d’enquête consacrée aux conséquences des essais nucléaires qui ont eu lieu en Polynésie française entre 1966 et 1996. Comme vous le savez, l’objet de cette réunion est d’examiner le rapport de Mme Mereana Reid-Arbelot, dont vous avez pu prendre connaissance la semaine dernière, puis de procéder au vote sur son adoption. Je rappelle que cette réunion a lieu à huis clos mais qu’elle donne lieu à un compte rendu, qui sera intégré au rapport.

Pour mémoire, je vous rappelle que cette commission d’enquête avait démarré sous la précédente législature, avant d’être interrompue par la dissolution, en juin 2024. Grâce à la ténacité du groupe GDR et de Mme la rapporteure, une nouvelle commission a été installée dès le début de la nouvelle législature, le 17 décembre. Sa réunion constitutive s’est tenue le 14 janvier 2025 et les premières auditions ont eu lieu dès la semaine suivante, soit le 21 janvier.

Au total, quatre-vingt-quatre personnes ont été entendues dans le cadre de trente auditions organisées à Paris, auxquelles il faut ajouter les dix-huit que nous avons menées lors du déplacement d’une délégation de notre commission en Polynésie, du 21 au 31 mars. Nous avons ainsi bénéficié de l’éclairage de scientifiques, de vétérans, d’historiens, de ministre set anciens ministres, d’élus polynésiens et de responsables de diverses institutions : autant de personnes qui, je le crois, nous ont permis de mieux saisir les conséquences et les enjeux des essais nucléaires en Polynésie française.

Je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission qui se sont investis dans ses travaux. Malgré les diverses obligations de chacun, nous étions toujours nombreux aux auditions, témoignant ainsi l’intérêt que vous avez porté à ce sujet.

J’adresse mes félicitations à Mereana Reid-Arbelot et à ses équipes, qui n’ont pas compté leur temps pour trouver toutes les informations utiles et rédiger un rapport de première valeur comme ceux qui l’ont lu la semaine dernière ont pu s’en rendre compte. Ce dernier se lit d’ailleurs comme un livre : une fois qu’on en commence les près de 400 pages, on peine à le quitter. J’en profite pour saluer le travail des administrateurs, qui ont participé à la bonne tenue de nos travaux.

Je souligne aussi la très bonne ambiance dans laquelle s’est déroulée notre commission d’enquête. Alors que certaines sont très médiatisées, la nôtre a travaillé dans la discrétion et la sérénité, loin des caméras, ce qui me semble une bonne chose. Je tiens à le répéter ici mais les commissions d’enquête ne sont pas des tribunaux et leurs membres ne sont pas des procureurs. Il s’agit d’un outil essentiel, à ne pas dévoyer, qui nous donne des moyens pour investiguer, comprendre et approfondir un sujet ; c’est ce que nous avons essayé de faire pendant six mois.

Je précise enfin qu’il sera encore possible jusqu’au 12 juin, à dix-sept heures, de transmettre une contribution, individuelle ou au nom d’un groupe, qui sera annexée au rapport.

Je vous précise enfin que, si ce dernier est adopté, l’article 144-2 du règlement de l’Assemblée nationale dispose qu’il sera « remis au président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »

Afin de respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt, le cas échéant, sera publié demain au Journal officiel, le rapport ne pourra être rendu public que le mardi 17 juin. Dans l’intervalle, j’appelle votre attention sur le fait qu’aucune communication des conclusions ou du contenu non public de nos travaux ne doit être faite.

En cas de rejet, le projet de rapport ne sera pas publié et sa divulgation sera passible de sanctions pénales. Mais j’espère qu’on n’en arrivera pas là ! Je laisse tout de suite la parole à Mme la rapporteure.

Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure. Le 14 janvier 2025, grâce au droit de tirage du groupe GDR, notre commission d’enquête s’est constituée pour faire la lumière sur les conséquences de la politique nucléaire de la France en Polynésie française.

Au total, 123 personnes ont été entendues au cours de quarante-huit auditions. Une délégation de la commission s’est rendue auprès de la population à Tahiti et à Hao, et a visité l’ancien site d’essais nucléaires de Moruroa. Un déplacement sur le site de la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA DAM), à Bruyères-le-Châtel, a également été organisé.

La précédente commission d’enquête, dont certains d’entre vous étaient déjà membres, avait déjà mené seize auditions et s’était rendue sur le site des archives du département de suivi des centres d’expérimentation nucléaire (DSCEN), au Fort de Montrouge.

Je remercie les administrateurs, les rédacteurs, les techniciens de l’Assemblée ainsi que mes collaborateurs pour tout le travail accompli. Je ne peux que me féliciter de l’esprit de sérieux dont ont fait preuve tous les députés lors des auditions, des déplacements et des échanges. Je tiens particulièrement à saluer la façon dont le président Didier Le Gac a conduit notre travail. Dans un esprit bienveillant de coopération et dans un souci d’équilibre, lui et moi avons élaboré un programme d’auditions qui a permis d’entendre les représentants d’associations de victimes, des chercheurs de plusieurs disciplines, des responsables politiques et d’administration, et ce aussi bien à l’échelle nationale que polynésienne. J’ajoute que quinze représentations diplomatiques françaises et quatre représentations étrangères ont été consultées. Enfin, des témoins et des vétérans de l’époque, mais aussi de jeunes lycéens qui n’ont pas connu le centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) ont été entendus, afin de situer ce pan de l’histoire de France et de la Polynésie française dans les consciences et les imaginaires d’aujourd’hui.

Nous achevons là une séquence de plusieurs mois, trente ans après la fin des essais nucléaires en Polynésie française. Tout ce temps a été utile pour éclairer laborieusement une époque caractérisée par son opacité. Notre commission y a modestement mais concrètement contribué.

Par sa seule existence d’abord, elle a stimulé des avancées. Je rappelle en effet que la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) – créée par la loi Morin du 5 janvier 2010 afin de rassembler autour d’une même table associations, représentants de l’État et experts – n’avait pas été réunie depuis le mois de février 2021, alors qu’elle doit l’être deux fois par an. Dès les premières auditions a émergé l’urgente nécessité de réunir cette commission consultative : le ministre de la santé a finalement décidé de précéder nos recommandations et de le faire le 1er avril dernier.

Notre commission a également permis de mettre au jour des documents jusqu’à présent soustraits à la connaissance du public, en montrant que rien ne justifiait cette retenue et en stimulant des efforts de transparence.

En effet, au printemps 2021, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a réalisé des travaux préliminaires d’évaluation des doses reçues par la population de Tahiti à la suite de l’essai Centaure. Ces travaux ont donné lieu à un rapport dont le public n’a pris connaissance qu’à l’occasion de l’audition des représentants de l’IRSN par la première commission d’enquête, le 23 mai 2024. J’ai demandé la communication de ce rapport afin de préparer la seconde audition des dirigeants de l’Institut, devenu entre-temps Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Ce rapport, long de 54 pages et reçu le 10 février dernier, a été discuté lors de l’audition des représentants de l’ASNR, le 19 février, et finalement publié le 21 février.

Dans le même ordre d’idée, le livre publié en janvier 2025 par le docteur Baert puis l’audition de ce dernier quelques semaines plus tard ont permis d’identifier une archive classifiée relative aux conditions de délivrance de Lugol. Le 24 juin 1966, quelques jours avant le premier tir, une directive du service de santé du CEP énonçait en effet clairement que la distribution de Lugol était subordonnée au maintien de la confiance de la population. Cette directive, dont je souhaitais inscrire la publication parmi mes recommandations, a été déclassifiée le 21 février et transmise, à ma demande, aux membres de la commission le 3 juin. Elle figurera en annexe du rapport.

Si la commission d’enquête se termine, j’insiste sur le fait que l’exigence de transparence se poursuit. Une série de documents permettant d’évaluer les retombées radioactives sont en cours d’examen par les services du DSCEN, du CEA DAM et du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), afin d’en déclassifier tout ou partie. Cette liste de demandes et leur statut sont également annexés au rapport.

C’est ensuite par ses quarante-cinq recommandations que notre commission s’avère féconde. Certaines d’entre elles identifient des besoins de recherches dans les domaines financier, sanitaire, environnemental et mémoriel. D’autres pointent des marges d’amélioration des pratiques administratives, qu’il s’agisse du fonctionnement du Civen, de la gestion des archives notamment militaires, ou de celle des données de santé. Ces mesures, éclairées par le rapport, peuvent d’ores et déjà être appliquées.

De plus, la commission d’enquête a suscité des déclarations de ministres concernant la rationalisation de la gestion des archives et l’engagement des représentants du Civen à améliorer la motivation de ses décisions. Si je salue et encourage ces démarches, j’insiste sur le fait que le Civen doit poursuivre son rapprochement avec les demandeurs ; je suis certaine que tous les parlementaires y seront attentifs.

La loi d’indemnisation du 5 janvier 2010, dont je salue les initiateurs, montre ses limites et présente plusieurs contradictions. Trois mesures importantes s’imposent donc pour refonder ce régime.

La première est la suppression du seuil de 1 millisievert, qui ne permet pas de déterminer le lien, ou l’absence de lien, entre les maladies radio-induites et les essais nucléaires réalisés en Polynésie française. En ne retenant plus que les critères de présence en un lieu et à une période donnés pour une pathologie déterminée, l’indemnisation se fonderait sur le risque avéré pris par l’État et non plus sur un lien de causalité qu’on ne peut ni démontrer, ni exclure scientifiquement. Cette solution répondrait au fond du problème soulevé par ceux qui prétendent veiller à la rigueur scientifique, tout en prenant en compte la responsabilité historique d’avoir choisi la Polynésie française pour y effectuer, dans les conditions qui furent les leurs, les essais nucléaires.

La deuxième mesure est l’extension de la liste des pathologies reconnues, qui en comprend actuellement vingt-trois. Définie par décret, son évolution a été subordonnée par le Gouvernement aux conclusions des travaux du comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants mais, dans la mesure où le temps de la recherche fait ici échec à celui de l’indemnisation, et compte tenu des attentes exprimées, cette mise à jour devrait plutôt relever d’une décision associant les experts, les décideurs politiques et les représentants des victimes. Le législateur devrait donc rapidement confier cette tâche aux membres de la CCSCEN.

La troisième mesure est la facilitation de l’accès à l’indemnisation des ayants droit et des victimes par ricochet. Le régime d’indemnisation des victimes prévoit actuellement une prescription sexennale pour les ayants droit et ne reconnaît pas les préjudices moraux et patrimoniaux subis par les proches. Dans un objectif de cohérence juridique et d’équité entre les différents régimes, le passage à une prescription décennale et la réparation intégrale des préjudices subis par les proches devraient être décidés, à l’image de ce que pratiquent déjà le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

À cet égard, si la création d’un fonds sur le modèle du Fiva pourrait être envisagée, je suis convaincue que le Civen, s’il améliore ses pratiques administratives et exerce les missions qu’une nouvelle loi lui confierait, aurait toute sa place dans un régime d’indemnisation plus adéquat et plus juste.

Par ailleurs, outre les conséquences sanitaires individuelles, la commission d’enquête a constaté le besoin de réparer les conséquences collectives des essais nucléaires. Il serait ainsi juste et cohérent de rembourser l’ensemble des frais engagés par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS) pour la prise en charge des malades atteints de pathologies radio-induites. Il convient d’évaluer rapidement le coût des dépenses passées, actuelles et prévisionnelles lui incombant au titre des traitements médicaux dont bénéficient les patients. L’État doit, de surcroît, accompagner et associer la Polynésie française à la gestion collective des conséquences environnementales du CEP.

En conclusion, nous participons à tracer un chemin qui, je l’espère, favorisera l’élaboration d’une mémoire partagée. Chers collègues, je vous remercie une nouvelle fois pour votre contribution à ces travaux et vous invite à vous approprier les recommandations que je soumets à votre appréciation.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie Mme la rapporteure et je donne donc la parole à ceux qui le souhaitent.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je commencerai par une observation sur le déroulement des commissions d’enquête comme celle-ci, dont l’objet se trouve à des milliers de kilomètres de l’Assemblée nationale. Pour faire un bon travail d’enquête et avoir un regard critique sur le rapport qui en découle, il est bon d’avoir vécu l’ensemble des auditions, des visites, des rencontres avec la population. C’est ce que quatre collègues ont fait. Pour ma part, j’avais participé assidûment à la première commission d’enquête, avant d’enchaîner sur la seconde – je remercie d’ailleurs mon groupe d’avoir consacré son unique possibilité de commission d’enquête à reprendre le travail commencé par Mereana Reid-Arbelot – mais j’ai mal vécu ce qui a eu lieu à la suite du voyage en Polynésie. N’y voyez pas un accès de jalousie : c’est simplement que les références n’étaient plus les mêmes, qu’il n’y avait plus d’égalité entre les membres de la commission d’enquête.

Ce n’est pas vital, mais tout de même très perturbant pour s’approprier complètement l’objet de la commission. Si pareille situation se présente de nouveau, peut-être l’Assemblée devra-t-elle changer les choses afin d’assurer l’égalité entre les membres de la commission – quitte à ce qu’ils soient moins nombreux. Cette remarque n’a pas à figurer dans le rapport, mais j’aimerais que M. le président la fasse remonter. Il y a eu là une distorsion, que j’ai mal vécue. Et j’avoue que je ne me suis plus senti partie prenante de la même manière avant et après la visite sur place.

S’agissant de la commission d’enquête à proprement parler, je trouve que les réactions qu’elle a provoquées au cours même de ses travaux, notamment grâce au choix des auditions, sont assez exceptionnelles. Mereana Reid-Arbelot a appuyé sur les bons boutons. Je rappelle par exemple que la CCSCEN ne s’était pas réunie depuis 2021 et figurait parmi les « trucs à supprimer » d’un récent projet de loi – non faute d’utilité, mais parce que certains n’assumaient pas leurs responsabilités. Et voilà qu’elle se réunit immédiatement ! Je peux vous dire que bien des gens, à commencer par moi, qui avais déjà suivi la discussion de la loi Morin, et par les membres de l’Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), ont fortement apprécié cet effet.

On cherche parfois l’utilité d’une commission d’enquête. En l’occurrence, celle-ci a débloqué des archives. Certains services ont compris qu’ils n’étaient pas « un État dans l’État », qu’il ne dépendait pas d’eux de donner ou non accès à certains documents, d’être rigoureux ou de ne pas l’être. Oui, nous sommes là, au service du peuple français et des personnes intéressées par cette commission d’enquête et par ses conclusions. Je salue la pertinence des auditions et la rigueur des questionnements de Mereana Reid-Arbelot. Elle n’a rien lâché, et j’ai trouvé cela passionnant.

Désormais, et c’est aussi pour cette raison que mon groupe a souhaité soutenir cette commission, il faut des actions – en direction du peuple polynésien bien sûr, mais aussi, j’insiste, des victimes des essais réalisés dans le Sahara. Il faut que cela figure dans les conclusions du rapport. Cette question est au cœur de l’évolution des relations entre la France et l’Algérie, car il s’agit d’un des passifs de la colonisation, ou plutôt des colonisations. Mereana Reid-Arbelot l’a encore rappelé aujourd’hui lors des questions au Gouvernement ; il ne s’agit ni d’indépendance, ni d’autonomie, mais de valeurs, de comportement, d’attitude, de suivi. Nous devons décoloniser – y compris les esprits – et faire en sorte que, demain, les peuples des territoires d’outre-mer puissent exister ès qualités et être reconnus, défendus et accompagnés comme il se doit.

Le travail qui a été réalisé est vraiment exceptionnel. Je ne doute pas que mon groupe, quand il prendra connaissance du rapport, sera fier de ce que tu as réalisé avec ton équipe, Mereana.

M. Alexandre Dufosset (RN). Au nom du groupe Rassemblement national, je salue le travail mené par la commission d’enquête. Son président et sa rapporteure ont fait preuve, tout au long des travaux, d’une position respectueuse qui a permis des échanges constructifs. Nous remercions également les élus, experts et bénévoles associatifs qui ont participé, ainsi que le personnel de l’Assemblée nationale, à commencer par les administrateurs.

Nous comprenons les craintes exprimées par les Polynésiens et les personnels civils et militaires quant aux conséquences des 193 essais nucléaires réalisés entre 1966 et 1996. Les auditions et visites sur place nous ont permis, à Yoann Gillet et à moi, de mesurer le traumatisme incontestable subi par les Polynésiens. Elles ont aussi été l’occasion de bénéficier de l’avis de médecins qui, sous serment, ont affirmé que les analyses attestent d’une contamination limitée, sans transmission intergénérationnelle.

C’est à cette aune que notre groupe réaffirme sa reconnaissance du fait nucléaire polynésien, déjà exprimée en 2022 par sa présidente, Marine Le Pen. Nous soutenons le devoir de transparence envers nos compatriotes et bien évidemment la prise en charge financière des conséquences des maladies identifiées.

Cela étant, s’il est légitime et indispensable que cette histoire soit enseignée et que la mémoire de ces événements soit honorée, ils ne sauraient donner lieu à repentance. Nous saluons le fait que Mme la rapporteure ne préconise pas de demander pardon, ce qui n’aurait pas de sens dans la mesure où l’État n’a jamais cherché à nuire à quiconque.

Soyons clairs, la France doit beaucoup à la Polynésie. Attachés à l’arme nucléaire, les députés du Rassemblement national n’oublieront jamais à quelles conditions il a été possible de nous en doter.

M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Je remercie le groupe GDR d’avoir choisi de remettre ce sujet à l’ordre du jour. Merci aussi à Mereana Reid Arbelot de la manière dont elle a mené les travaux, à Didier Le Gac de sa présidence, et aux administrateurs pour leur travail.

Je regrette de ne pas avoir pu m’investir davantage après votre retour de Polynésie : je ne vous ai pas boudés, mais mon agenda était vraiment trop chargé. J’aurais voulu, en particulier, entendre le deuxième son de cloche des personnes que vous avez de nouveau auditionnées et dont j’avais entendu la première intervention, notamment les membres du Civen.

Je me retrouve tout à fait dans les recommandations que Mereana Reid-Arbelot vient de présenter : j’y retrouve toutes les questions que je n’ai cessé de poser lorsque j’ai pu cerner le sujet. Je pense par exemple aux critères qu’applique le Civen, à la suppression du seuil du 1 millisievert, à la liste des maladies radio-induites ou à l’extension de l’indemnisation au bénéfice des proches des victimes directes.

Nous voterons donc pour l’adoption du rapport et serons favorables à sa publication.

Par ailleurs, je ne crois pas que nous soyons dans la repentance. Ce n’était pas vraiment le sujet : il s’agit seulement de reconnaître ce qu’avaient subi les Polynésiens. Je ne sais pas si la France de l’époque a fait tout ce qu’elle a fait de manière délibérée ; en revanche, nous avons vu que certaines conséquences ont été ignorées, alors qu’il aurait pu en aller autrement.

Comme mon collègue Lecoq, j’espère que ce rapport aura pour conséquence de susciter un travail similaire au sujet de l’Algérie : c’est là que les essais ont commencé, et les Algériens n’ont pas été mieux traités que ne l’ont été les Polynésiens par la suite.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Quant à nous, je me permets de vous signaler que nous ne sommes pas très chauds pour défendre la bombe atomique ! Je rappelle qu’il s’agit d’une arme illégale, dont le droit international prévoit l’extinction, puisque le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires contient des engagements de désarmement. Certes, on n’avance pas : tous ceux qui la possèdent légalement rechignent à s’en séparer. Pourtant, il le faut. L’actualité montre qu’on peut en perdre le contrôle. L’évolution de l’intelligence artificielle par exemple peut faire craindre que des puissances étrangères deviennent capables d’intervenir dans nos systèmes numériques et de déclencher nos propres armes. Les conséquences seraient telles que le mieux, pour les générations à venir, est de nous battre pour nous en séparer.

Nous devons le faire à l’échelle du monde. Et en France, nous pourrions nous intéresser au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur. Nous détenons l’arme : je peux comprendre que nous n’y renoncions pas tout de suite, en vue de peser sur le désarmement des autres – même si je suis tenté de donner l’exemple –, mais au moins pourrions-nous être un État observateur et écouter les positions des autres pays plutôt que de faire l’autruche et de refuser de voir le mouvement.

Par ailleurs, il faudra un jour raisonner en termes budgétaires. Un nombre incroyable de dispositifs ont été supprimés de manière absurde, comme MaPrimeRénov’. Or la bombe atomique nous coûte 17 millions par jour ! Ayez ce chiffre en tête ! Et encore, pour sa seule modernisation, c’est-à-dire pour que l’ogive tue encore plus… Puisque nous cherchons de l’argent, ce chiffre est à méditer.

J’ai rencontré celle qui à l’époque était la patronne de la bombe atomique française. Je ne comprenais pas qu’une femme travaille à une arme de destruction massive – et en plus, elle avait des enfants ! Elle m’avait avoué que cela ne la perturbait pas, parce qu’elle savait qu’on ne l’utiliserait jamais. 17 millions par jour pour une arme qu’on n’utilisera jamais ! Et que d’autres que nous pourraient déclencher !

Pour ceux que la question intéresse, je signale enfin que le Peace Boat mouillera demain au Havre afin de présenter l’exposition du prix Nobel de la paix 2024, qui rend hommage aux Hibakusha, survivants des bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki. Plusieurs de ces victimes et de leurs descendants seront présentes : elles sauront vous parler des conséquences de l’explosion d’une bombe atomique.

Mme Nicole Sanquer (LIOT). Je remercie à mon tour le groupe GDR d’avoir consacré son droit de tirage à la poursuite des recherches sur les conséquences des essais nucléaires, qui affectent encore les Polynésiens. Même si l’État a engagé un travail de réparation en 2017, il reste des choses à faire.

Je salue l’engagement de Mereana Reid-Arbelot : nous ne sommes pas toujours d’accord, mais ce sujet nous réunit et je suis admirative de son travail. Rapporteure en 2018 de la commission sur l’indemnisation des victimes, je ne peux que partager les recommandations citées. Mais le travail n’est pas terminé, et ne le sera pas si les élus ne prennent pas le problème en main, car l’État est débordé.

J’espère que la commission d’enquête aboutira à améliorer l’indemnisation, même si de gros progrès ont déjà été accomplis. Je suis contente de voir que vous soutenez le Civen, en proposant des avancées. Quant au seuil du 1 millisievert, c’est notre commission qui l’avait instauré, après l’abrogation du critère de risque négligeable pour remettre au travail le Comité, car ses membres souhaitaient pouvoir compter sur une norme pour statuer sur les demandes.

Je n’ai pas encore examiné toutes les recommandations en détail mais je soutiens celles qui ont été présentées, notamment sur la dette de la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française et sur les possibles améliorations législatives.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Merci à tous pour vos mots et pour votre participation aux travaux. J’espère que le rapport sera adopté : il compte beaucoup pour la population polynésienne, pour les vétérans, bref pour tous les acteurs concernés et pour la mémoire de ceux qui sont partis, Polynésiens comme métropolitains. Il y a déjà eu des travaux sur ces questions mais jamais de commission d’enquête. Or de telles commissions sont un outil puissant. Le moment est important, pour Nicole Sanquer et pour moi bien sûr, mais aussi pour Didier Le Gac, puisque l’Aven se trouve dans sa circonscription : nous avons entendu leurs témoignages, je n’ai pas besoin de rappeler combien ils étaient forts.

Un grand merci aussi à mon groupe, et à son président de l’époque, André Chassaigne, qui m’a dit qu’un travail commencé devait être terminé ! Je ne l’oublierai jamais. Grâce à lui, ce rapport est le début de quelque chose ; il contient quarante-cinq recommandations, et nous avons déjà des propositions pour le faire vivre par la suite.

Enfin, si nous l’avions pu, nous aurions emmené tous les membres de la commission sur place : on y ressent les choses. En écoutant Jean-Paul Lecoq, je me disais que, à l’époque, ceux d’ici qui sont partis là-bas avaient aussi dû ressentir la distance, et un certain isolement. De tout cela, et de ce que nous ont transmis les témoignages, j’ai essayé de rendre compte dans le rapport.

La commission adopte le rapport et autorise sa publication.

M. le président Didier Le Gac. Le dépôt du rapport sera publié demain au Journal officiel. Je rappelle à tous que son contenu demeure strictement confidentiel jusqu’au 17 juin, date de sa publication officielle. Je vous remercie.

La séance s’achève à 17 heures 20.


 

Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Colombier, M. Alexandre Dufosset, M. Emmanuel Fouquart, M. Abdelkader Lahmar, M. Maxime Laisney, M. Didier Le Gac, Mme Nadine Lechon, M. Jean-Paul Lecoq, M. Julien Rancoule, Mme Mereana Reid-Arbelot, Mme Nicole Sanquer, Mme Dominique Voynet

Excusés. - M. Yoann Gillet, Mme Mélanie Thomin