Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Boulogne, directeur général délégué Export, Mme Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée Invest, et M. Guillaume Basset, adjoint à la directrice générale déléguée Invest au sein de Business France 2
– Présences en réunion................................18
jeudi
20 mars 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 7
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à onze heures.
M. le président Charles Rodwell. Nous poursuivons nos auditions en recevant des représentants de Business France.
M. Boulogne, après avoir représenté Business France dans différents postes à l’étranger, en est désormais le directeur général délégué Export. Mme Tardieu, directrice générale déléguée Invest, a notamment été la secrétaire générale de la troisième édition du sommet Choose France. Quant à M. Basset, adjoint à la directrice générale déléguée Invest, il a été directeur général adjoint de Régions de France et délégué aux Territoires d’industrie.
Merci à tous les trois de vous être rendus disponibles dans des délais contraints. Cette audition sera notamment l’occasion de revenir sur la politique de l’offre que nous soutenons au sein du camp présidentiel depuis plusieurs années et qui s’est traduite, même si certains collègues appartenant aux oppositions la contestent, ce qui est leur droit, par une baisse massive des impôts et la création de près de 2,7 millions d’emplois. Quel premier bilan faites-vous en ce qui concerne cette politique ?
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Didier Boulogne, Mme Marie-Cécile Tardieu et M. Guillaume Basset prêtent successivement serment.)
Mme Marie-Cécile Tardieu, directrice générale déléguée Invest de Business France. Par cette audition, votre commission d’enquête nous donne l’occasion de mettre en lumière la dimension internationale de la réindustrialisation de la France.
Tout d’abord, la compétition économique qui détermine où sont localisées les chaînes de valeur industrielles est, par construction, internationale. Les soixante et onze bureaux de Business France, installés dans cinquante-trois pays, contribuent à placer la France dans la course. Il est impératif, en effet, que nos PME (petites et moyennes entreprises) et ETI (entreprises de taille intermédiaire) soient présentes sur les marchés mondiaux ; c’est une condition sine qua non de leur croissance.
En dix ans, 127 000 entreprises ont été accompagnées à l’international par Business France, 400 événements de l’export sont organisés chaque année et 200 conseillers implantés dans les territoires aident les entreprises pour leur stratégie internationale. Les entreprises françaises sont également accompagnées dans le cadre du programme dédié à la jeunesse et près de 12 000 volontaires internationaux en entreprise (VIE) sont en poste.
Didier Boulogne reviendra sur l’affermissement d’un tissu économique de PME et d’ETI qui est le socle de la réindustrialisation. Il est également impératif que des investissements étrangers permettent d’implanter des projets créateurs de valeur et d’emploi en France et que notre pays accueille les talents internationaux.
Pour convaincre de choisir la France, Business France informe, prospecte et accompagne. Comment travaillons-nous ? Nous avons soixante-dix chargés d’affaires dans des bureaux Business France, qui mènent 5 000 entretiens approfondis avec des investisseurs par an. Ces entretiens permettent de déterminer des cahiers des charges pour des projets d’investissement. Notre prospection est orientée vers les secteurs de France 2030, qui représentaient 53 % des projets en 2024. Tous les vendredis, une plateforme dédiée présente environ 37 projets aux agences régionales de développement, qui, du fait de la loi du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République dite « loi Notre », ont la compétence du développement économique. Cela représente 1 884 projets par an. Les agences ont environ six semaines pour faire des offres en fonction du cahier des charges, mais aussi, j’insiste sur ce point, de leurs atouts et de leur vision pour leur propre développement économique.
Quels sont les résultats ? On a arrêté le processus de désindustrialisation et enclenché la réindustrialisation du pays. La France est désormais une destination crédible pour les investissements étrangers, notamment les projets industriels. Depuis cinq ans, selon le cabinet Ernst & Young et associés (EY), nous sommes numéro 1 en Europe pour l’accueil des IDE (investissements directs étrangers).
Quels sont les investissements accompagnés par Business France ? Ils incluent les flux d’investissements directs étrangers comptabilisés par la Banque de France, les transactions en capital et les bénéfices réinvestis. Business France comptabilise, dans son bilan, les investissements physiques avec des décisions d’emploi à trois ans. On compte ainsi 15 231 décisions d’investissement depuis 2014 – nous avons une série statistique longue, de dix ans. Durant cette période, 429 069 emplois ont été créés ou maintenus en lien avec ces projets. Je précise que nous parlons, pour notre part, d’investissements directs étrangers quand au moins 50 % du capital est détenu par un investisseur étranger. Entre 2014 et 2024, les investissements étrangers ont représenté 144 886 emplois associés à des créations d’établissements nouveaux, 227 805 emplois liés au réinvestissement dans des sites existants et 56 378 emplois maintenus.
La compétitivité du site de production France vaut tant pour nos PME et ETI que pour les investisseurs étrangers. Nous observons, dans le cadre de notre action, que les choix économiques d’investissement sont mus ou freinés par plusieurs déterminants. J’avais coutume de parler de trois « F » mais j’en évoque désormais cinq : le foncier, qui inclut l’eau et l’énergie ; la formation, y compris les compétences ; les financements ; la fiscalité ; les formalités. Guillaume Basset reviendra plus précisément sur les attentes concrètes dans ces différents domaines.
M. Didier Boulogne, directeur général délégué Export. J’aborderai la question de la réindustrialisation sous l’angle de l’exportation. Un triptyque est pour nous évident : l’innovation, l’industrie et les performances à l’export. On peut dire qu’il n’y aura pas d’amélioration de nos résultats en matière de commerce extérieur sans réindustrialisation.
Une entreprise industrielle qui est innovante aura mécaniquement du succès à l’international. En se projetant à l’international, elle va diversifier son risque, gagner de la croissance et de l’innovation et rentrer dans un cercle vertueux. C’est lui, d’ailleurs, qui fait que nos principaux concurrents – je pense à l’Allemagne et à l’Italie – ont des performances à l’export meilleures que les nôtres. La part de l’industrie dans le PIB de l’Italie est de 18,6 % – alors qu’elle est de 10 % en France.
On sait que les entreprises industrielles exportatrices ont une propension à exporter plus forte que les autres : elle est de l’ordre de 40 % du chiffre d’affaires, contre 20 % pour les autres entreprises. En Italie, le tissu d’ETI est nettement plus solide : le nombre d’ETI est d’à peu près 10 000, quand nous en avons à peine 6 000. Ce sont, par ailleurs, des entreprises extrêmement maillées sur le territoire national : tout le monde connaît les districts industriels italiens. Les entreprises sont plus industrielles, plus solides et mieux connectées les unes aux autres sur le territoire, de manière à mieux se projeter à l’international. On voit bien le lien entre industrialisation et performance à l’export.
Le lien entre la réindustrialisation et l’action de Business France se fait par le programme France 2030, lancé le 12 octobre 2021. Business France, en effet, a été mandaté par le Gouvernement pour internationaliser mille lauréats du plan France 2030, dans une logique de souveraineté totale. C’est une approche de conquête de marché : on ne va surtout pas chercher des investisseurs pour nos pépites françaises. Le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) voulait absolument travailler avec Business France, opérateur de l’État, pour être sûr que la logique de souveraineté serait suivie de manière exhaustive.
À ce jour, 787 entreprises ont été sélectionnées pour faire partie du programme France 2030 Export ; 350 ont finalisé un plan d’action sur trente mois et sont d’ores et déjà, avec nos équipes, sur les marchés internationaux. On peut déjà dire que c’est une politique publique qui fonctionne.
Au-delà de ce programme spécifique, le plan France 2030 structure en profondeur l’action de Business France. Nous avons une programmation – le programme France Export – qui est composée de 400 événements, comme l’a dit Marie-Cécile Tardieu. Sur ces 400 événements, 57 % concernent les verticales de France 2030 : c’est assez massif. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas pour les autres secteurs, évidemment ; mais nous avons choisi d’épouser franchement la politique industrielle de l’État.
Nous avons de nombreuses solutions pour projeter les entreprises à l’international. Je n’égrènerai pas le catalogue des actions menées par Business France, puisqu’il y en a 400. Je me bornerai à évoquer trois produits assez emblématiques.
Les pavillons France visent à embarquer avec nous des entreprises assez peu aguerries, dans des collectifs ayant le plus d’impact possible dans de grands salons internationaux. Nous en faisons 110 par an, dont une petite quarantaine dans le champ des verticales industrielles.
Les programmes Boosters, initiés depuis octobre 2024, sont des actions d’accélération qui permettent de suivre dans la durée des entreprises correspondant spécifiquement aux verticales industrielles. Nous menons trente-cinq programmes par an, pour 200 entreprises. L’action menée est d’une intensité forte.
Le dernier produit que je citerai est ce qu’on appelle « L’export commence en France ». La logique est complètement opposée : il s’agit d’amener des primo-investisseurs dans des salons français pour faire du B to B, qui peut être le début d’une belle histoire à l’export.
Il est important de noter que les PME et les ETI, avec qui nous travaillons en priorité, sont des entreprises ancrées dans des territoires. Le cercle vertueux dont j’ai parlé tout à l’heure permet de mieux les ancrer encore. Une entreprise qui a du succès à l’export pourra créer de la richesse au niveau local et des emplois.
Quand nous parlons d’export, il s’agit d’entreprises implantées sur notre sol, qui peuvent être françaises mais aussi avoir des capitaux étrangers. Ces dernières ont d’ailleurs une propension à exporter plus forte que les autres.
M. Guillaume Basset, adjoint à la directrice générale déléguée Invest. Qu’elles soient françaises ou étrangères, le développement des entreprises que nous accompagnons à l’export est assez proche.
Les cinq « F » déjà mentionnés ressortent de notre expérience en matière d’accompagnement au quotidien des entreprises et d’une enquête menée auprès de 700 dirigeants d’entreprise étrangères de plus de 200 salariés.
Le premier critère est celui de la disponibilité du foncier, mais aussi de son prix et des « utilités » – les services comme l’eau et l’énergie. Dans ce domaine, nous avions clairement un atout qui était le prix. Il existe toujours, mais nous sommes confrontés à une hausse du prix du foncier. En 2018, la fourchette était de 35 à 350 euros le mètre carré industriel dans les neuf principales agglomérations, alors que les prix allaient plutôt de 50 à 500 euros en Allemagne. La hausse du prix du foncier industriel concerne toute l’Europe, mais elle est plus importante en France. Il faut donc être vigilant à la fois quant à la disponibilité du foncier et quant à son prix. On en parle peu, mais cela représente souvent un tiers des dépenses d’investissement capitalisées au bilan d’une entreprise ou capital expenditures (Capex) pour les projets industriels que nous accompagnons. L’énergie, le raccordement énergétique et l’eau, sujet peu évoqué alors que c’est un facteur indispensable à la décarbonation de l’industrie, que ce soit en matière de capture du carbone ou d’hydrogène, sont également des questions qui comptent.
La formation, les talents – la qualification de la main-d’œuvre – sont aussi un atout vraiment très important dans la concurrence avec d’autres pays. Le premier enjeu concerne les ingénieurs : on n’en forme pas assez – seulement 37 000 par an alors qu’il en faudrait 80 000 par an d’ici à 2030. Le second enjeu est la formation des techniciens – techniciens de maintenance, chaudronniers, etc. France 2030 a permis de renforcer l’offre de formation à travers son volet compétences, ce qui est un point tout à fait important.
Le financement n’est clairement pas le principal critère en matière de décision d’investissement. Selon le baromètre EY de l’attractivité publié en 2024, c’est le huitième critère sur quinze. S’agissant de projets très capitalistiques et très mobiles pour lesquels la France se bat avec d’autres nations, il est néanmoins important de disposer d’outils d’intervention. France relance, depuis le 3 septembre 2020, puis France 2030 ont permis d’en redoter notre pays. Il faut être vigilant à ne pas revenir à une situation antérieure dans laquelle la France ne disposait plus d’outils en la matière, après la suppression de la prime d’aménagement du territoire. C’est un point tout à fait important.
S’agissant de la fiscalité, la France a retrouvé de la compétitivité mais il reste deux points de vigilance. Le premier concerne les impôts de production : nous avons encore un écart de l’ordre de 3 points de PIB avec l’Allemagne. Ensuite, le coût du travail reste élevé, même si nous sommes maintenant dans une situation équivalente à celle de l’Allemagne pour ce qui est de l’industrie.
J’en viens au dernier critère, les formalités, qui font l’objet d’un travail de simplification de la part de la représentation nationale.
Un travail très important a ainsi été mené pour raccourcir les délais – on partait de loin –, notamment dans le cadre de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, qui a prévu des mesures de parallélisation et un objectif maximal de neuf mois pour ce qui est des procédures. D’autres étapes sont prévues, notamment la suppression de la saisine obligatoire de la CNDP (Commission nationale du débat public).
Outre les aspects législatifs et réglementaires, l’application des règles sur le terrain est vraiment essentielle. Des progrès notables ont été accomplis dans le cadre du mode projet piloté par les préfets, pour débloquer les problèmes au cas par cas. Il importe aussi de donner de la visibilité aux investisseurs en matière de délais. Le contrat d’implantation qui a été mis en place dans les Hauts-de-France et sur lequel vous avez insisté, monsieur le président, dans le cadre d’un précédent rapport, est une mesure très importante qui mériterait d’être généralisée.
Au-delà de la gestion projet par projet, il faudrait que des revues d’accélération des projets existent partout au niveau régional. Dans le Grand Est, elles réunissent le préfet et le président de région, ou leurs représentants, et l’ensemble des opérateurs et acteurs concernés afin de partager l’information et de trouver des solutions aux problèmes. Un travail mérite d’être mené en matière d’accompagnement des porteurs de projets.
Mme Marie-Cécile Tardieu. En matière de réindustrialisation, il est de notre point de vue nécessaire d’avoir une vision de l’international à 360 degrés. Le tissu économique dont nous avons besoin dans les territoires sera fortifié s’il est capable de se confronter à la compétition internationale à l’export – c’est important. Que cherchent les investisseurs ? Des clients, des fournisseurs, un écosystème. Nous observons que certains territoires ont réussi à apparaître sur la carte mondiale comme des lieux potentiels d’investissement et de développement économique parce qu’ils avaient un ensemble d’entreprises, de PME et ETI françaises ou de grands groupes français, capables de servir de locomotives.
Par ailleurs, la réindustrialisation a besoin d’une politique de compétitivité et de prévisibilité. Il est essentiel que les projets d’investissement ne soient pas pris dans les soubresauts de politiques menées sur quelques mois ou quelques semaines : ce sont des choix de très long terme pour la France. Notre force pour les attirer tient à nos atouts structurels mais nous avons aussi besoin de prévisibilité, notamment en matière de politique fiscale.
La réindustrialisation passe enfin, et c’est vraiment au cœur de la façon d’agir de Business France, par un travail fait en relais. Nous sommes présents à l’international et nous travaillons avec les territoires ; nous accompagnons, selon les années, entre 57 et 62 % des projets d’investissement. Grâce à ce travail, la performance collective est supérieure à la somme des performances individuelles. C’est grâce à la fluidité du passage de relais entre les équipes de Business France qui sont à l’international et les territoires, qui seront toujours décisionnaires pour le type d’investissement qu’ils veulent accueillir, compte tenu de leurs atouts et de leurs besoins, que l’on pourra gagner la compétition internationale pour la réindustrialisation.
M. le président Charles Rodwell. Nous auditionnerons bientôt Marc Lhermitte à propos du baromètre EY, qui est publié chaque année.
Business France est à la manœuvre pour l’organisation du sommet Choose France, instauré depuis 2018 – vous en savez quelque chose, madame Tardieu – mais vous voyez aussi passer à travers le Comité d’orientation et de suivi des projets étrangers (Cospe) des dizaines et des dizaines de projets d’implantation d’entreprises sur le territoire français. Quels sont les retours des investisseurs que vous rencontrez en ce qui concerne la politique de l’offre, et de baisse des impôts, menée depuis maintenant cinq ans ? Comment est-elle perçue ? Par ailleurs, comment est perçue l’instabilité politique provoquée par une partie des forces politiques de l’hémicycle ? Quelle est l’importance de l’inquiétude due à l’instabilité politique pour les choix d’investissement des acteurs qui souhaiteraient contribuer à la réindustrialisation du pays ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Le sommet annuel Choose France, dont j’ai effectivement été la secrétaire générale lors de sa troisième édition, est devenu un rendez-vous incontournable. Les grands investisseurs l’attendent et d’autres pays essaient de le copier, comme la Grande-Bretagne et la Suède. Je suis régulièrement approchée à ce sujet – par l’Espagne, les Pays-Bas et un Land allemand récemment. On me dit en effet avoir l’impression qu’il s’y passe quelque chose. De quoi s’agit-il ? Il s’y déroule une rencontre entre les investisseurs et les membres du Gouvernement, qui tous ensemble font passer le même message. Il est très important pour les grands investisseurs étrangers d’avoir un accès direct aux décideurs politiques. C’est aussi un rendez-vous au cours duquel les investisseurs peuvent se rencontrer et échanger. Ce fut notamment un moment unique pendant la pandémie.
Le sommet Choose France est le reflet d’une politique qui a permis à la France de faire passer un message alors qu’elle n’était peut-être pas jugée à sa juste valeur, parce que nos atouts structurels sont là depuis bien longtemps. Nous avons réussi, grâce à cette vitrine qu’est Choose France, à positionner notre pays comme une destination qui souhaite avoir des investissements étrangers, mais pas n’importe lesquels. Il est très important pour les territoires que les projets soient créateurs de valeur et liés à leurs atouts ou à leurs contraintes, en matière d’espace et de main-d’œuvre par exemple. Le message fort qui est envoyé porte sur notre volonté d’attractivité mais aussi sur le type d’investissement souhaité – notamment des investissements qui contribuent à la transition écologique de la France, à la transformation de l’économie française. Nous avons ainsi créé un questionnaire sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) destiné à évaluer la qualité des projets. De la même façon qu’on interroge un investisseur sur la nature de son projet – le secteur concerné, la surface et le nombre d’emplois –, on le questionne sur la qualité environnementale et sociale, pour être à même de présenter une vision globale aux régions, qui sont nos interlocuteurs.
La transformation des modèles de production fait partie de la vision de la France chez les investisseurs – c’est très présent quand on les interroge. On voit aussi du côté de certains grands comptes que ce qui est intéressant dans la France, c’est que le consommateur est un pionnier. Cela permet de développer dans notre pays de nouveaux produits qui marcheront ensuite ailleurs. En effet, il y a chez nous une attention à la santé et à la qualité de vie qui fait que le consommateur français est différent. Ce discours tenu par les investisseurs que nous rencontrons a permis de valoriser les atouts de la France.
S’agissant des critiques ou des difficultés dont les investisseurs nous font part, je pense que Guillaume Basset a bien présenté les cinq « F » et que Marc Lhermitte vous parlera du poids respectif des différents enjeux. La question de la stabilité économique et politique, sur laquelle vous nous avez interrogés, revient de façon récurrente. Si vous regardez les derniers baromètres réalisés auprès des filiales américaines – Bain en fait un tous les ans pour la chambre américaine de commerce en France – American Chambre of Commerce in France (AmCham) – vous voyez que cela fait quelques années que la question de l’équilibre des finances publiques et de la soutenabilité de notre modèle social fait partie des préoccupations des investisseurs américains. Ce n’est donc pas une surprise pour les investisseurs étrangers qu’il y ait actuellement en France un débat sur l’assainissement des finances publiques et les moyens engagés dans ce sens. Le point de préoccupation est la prévisibilité. Les investisseurs, et je pense que c’est aussi le message que vous a passé l’intégralité des entreprises françaises, ont besoin de savoir pour faire leurs choix quels seront le régime fiscal, les taux de cotisation et les mesures prises dans le domaine de la santé. Les investisseurs ont ces interrogations et il est vraiment urgent de leur répondre.
Au vu de l’instabilité mondiale à l’heure actuelle et des interrogations dans d’autres pays, les questions politiques françaises sont perçues, très franchement, comme des soubresauts de la vie démocratique et ne sont pas, à ce stade, des obstacles majeurs. En revanche, si la situation conduisait à une absence de prévisibilité concernant la fiscalité ou les différents enjeux économiques, je pense que nous serions confrontés à un certain nombre de difficultés.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quelle est l’image de la France en matière d’export ? Comment sont perçus les produits français et les entreprises françaises ?
Vous avez présenté d’une manière très claire les cinq freins pour l’attractivité du territoire français sur le plan industriel. Quels sont les atouts à valoriser ?
M. Didier Boulogne. L’image des produits français est bonne : dans pratiquement tous les pays, ils sont perçus comme étant de qualité et innovants. Il faut aussi être capable de les promouvoir et de les mettre en valeur, mais nous faisons toujours partie des pays les plébiscités pour la qualité de leurs produits.
Les entreprises françaises ont souvent un problème de présentation. Prenons l’exemple d’un salon : du côté du pavillon italien, on bouge beaucoup, on va voir, on se renseigne, on rencontre des entreprises. Les entreprises françaises ont tendance à rester assises un peu tranquillement dans leur stand ; il faut donc les dynamiser. Business France a pour objectif de les amener à avoir une exposition suffisante pour bien faire valoir leurs produits. Nous créons des moments de visibilité, avec des concours de présentations rapides tels que des pitchs ou keynotes, et nous amenons des acheteurs internationaux, c’est l’essentiel de notre action. L’idée est que des acheteurs du pays où est organisé le salon, voire de pays limitrophes, puissent rencontrer les entreprises françaises et les savoir-faire français. On voit que cela marche : 60 % des entreprises amenées dans nos pavillons nous disent avoir conclu un contrat dans les mois suivants. Toute l’action de Business France, qui correspond d’une certaine manière aux difficultés des entreprises françaises, est de faire savoir aux autres que nous avons des produits de qualité. D’un point de vue plus général, l’image de la France est excellente : il n’existe pas énormément de pays capables de produire des avions de combat et des sous-marins nucléaires ; le savoir-faire technologique est très reconnu aux quatre coins du monde.
Mme Marie-Cécile Tardieu. Il est important à nos yeux d’attirer les investisseurs en les informant de la transformation qu’a connue l’économie française ces dernières années, car certains pays lointains gardent une image romantique de la France ou ne connaissent que ses secteurs d’excellence traditionnels. Nous avons également à cœur de leur présenter les centres d’innovation et les atouts de chaque territoire. Un investissement étranger s’incarne toujours dans un lieu précis, avec ses forces. Nous travaillons donc avec chaque région pour valoriser sa stratégie de développement et les secteurs d’excellence qu’elle veut promouvoir. À l’occasion des Jeux olympiques 2024, on a célébré la France éternelle, mais aussi ses capacités d’innovation et sa technologie. C’est ce que nous essayons de faire.
M. Guillaume Basset. La France a de nombreux atouts : son positionnement géographique, son marché et la qualité de ses infrastructures, grâce à des investissements publics plus importants que dans les autres pays européens – 1 point de PIB supplémentaire en moyenne ces dix dernières années. Nous avons l’un des réseaux électriques les plus fiables au monde ; d’autres pays, comme les États-Unis, nous l’envient. Le schéma décennal de raccordement du réseau engagé par Réseau de transport d’électricité (RTE) joue un rôle majeur dans la planification territoriale de l’industrie. L’énergie décarbonée a déjà été mentionnée. Enfin, il faut ajouter à cela le crédit d’impôt recherche (CIR), qui est l’un des dispositifs de recherche et développement (R&D) les plus compétitifs au monde : en 2024, dans un contexte difficile, le nombre total de projets a diminué de 7 %, mais le nombre d’emplois en R&D et en ingénierie a augmenté. Le financement de l’innovation est un atout important dans le contexte du rapport de Mario Draghi du 9 septembre 2024.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. La France a un déficit commercial de plus de 80 milliards d’euros, qui a explosé à la faveur de la guerre en Ukraine avant de se rétracter. Certains secteurs connaissent des excédents records – électricité, chimie, luxe – tandis que d’autres, comme l’aéronautique, sont en récession. Quels sont selon vous les secteurs les plus porteurs à l’export ?
M. Didier Boulogne. L’année 2024 n’a pas été très bonne pour le secteur aéronautique mais il reste porteur et innovant, d’autant que la concurrence nord-américaine n’est pas en forme ; toutefois, il faut s’attendre à une montée en puissance chinoise dans les dix prochaines années. L’automobile, en revanche, est une source d’inquiétude. Les entreprises automobiles ont diminué de 40 % le nombre de volontariats internationaux en entreprise. Nous sommes également inquiets pour l’agroalimentaire, en particulier pour les vins et spiritueux, dont les exportations connaissent des variations fortes selon la politique commerciale des pays étrangers. La filière viticole pèse lourd dans le commerce extérieur français. Nous serons très attentifs à l’évolution de la situation.
Les résultats sont très bons dans les secteurs de l’énergie, de la chimie et des cosmétiques, pour lesquels nous poussons les feux au maximum.
Mme Marie-Cécile Tardieu. Certains secteurs connaissent des transformations majeures qui représentent à la fois une difficulté et l’occasion de positionner la France sur des énergies d’avenir pour attirer les investisseurs. C’est le cas de l’électrification du secteur automobile et de la transition écologique de manière générale.
Si nous voulons réussir la réindustrialisation, il faut reconstruire un écosystème global plutôt que de raisonner par secteur ou par entreprise. Une entreprise ne peut pas se lancer dans l’économie circulaire si l’amont et l’aval ne sont pas organisés pour cela. Il faut adopter une vision large ; en ne développant qu’un bout de la chaîne de valeur, nous risquons de créer une dépendance à certains intrants. Business France, qui prospecte activement auprès des investisseurs étrangers, s’attache ainsi à déterminer à quelle échelle il convient de les attirer.
M. Guillaume Basset. Si certaines filières sont en difficulté – automobile, chimie, agroalimentaire, machinisme agricole –, le dernier baromètre de la direction générale des entreprises pointe quelques filières porteuses tournées autour de l’industrie verte, et plus précisément du recyclage. Le marché de l’économie circulaire croît de 16 % par an à l’échelle mondiale. Nous avons toutefois du mal à attirer et à sécuriser ces projets en raison de la réglementation européenne – je pense ici au règlement du 19 décembre 2024 relatif aux emballages et aux déchets d’emballages. C’est pourquoi les clauses miroir sont un enjeu clé à l’échelle européenne. Les décisions prises par la France sont également très importantes pour nous permettre de mener un travail de conviction et emporter les décisions d’investissement.
Mme Marie-Cécile Tardieu. On peut prendre l’exemple de la vallée de la batterie dans les Hauts-de-France. Un acteur déjà présent, français ou non, en attire d’autres, et l’on remonte petit à petit pour construire l’intégralité d’une chaîne de valeur, ici dans le secteur automobile : on passe de l’assemblage du moteur à la fabrication des batteries, puis des packs et des cathodes. C’est un vecteur d’espoir pour les secteurs en difficulté.
Toutefois, on ne développe pas un secteur sans anticiper les besoins en matière de formation. La fabrication des emballages connaît une importante transformation en raison des contraintes liées à l’allégement et au recyclage ; c’est pourquoi le plan France 2030 a lancé des appels à manifestation d’intérêt pour interroger les entreprises sur les compétences dont elles auront besoin. Il en va de même pour les écoles de production, qui visent à adosser à une entreprise la formation de ses futurs employés. Des initiatives ont été lancées en Nouvelle-Aquitaine, où les usines de fabrication de batteries auront besoin de main-d’œuvre, pour mettre la région en ordre de marche.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. La taxe carbone européenne aux frontières (MACF) entrera en vigueur l’année prochaine. Ressentez-vous de la frilosité dans les projets d’investissement sur le sol français en raison de l’application de ce mécanisme qui taxe les intrants nécessaires à l’industrialisation sur le sol européen, et non les produits finis ou semi-finis qui font concurrence à nos industries, ce qui aura pour effet d’augmenter les coûts de production sur le sol européen sans protéger nos industries ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Les acteurs comprennent qu’il faudra rapprocher plusieurs intrants des lieux de production et du consommateur européens. Certes, cela représente un surcoût, mais l’Europe a pris conscience qu’elle ne pouvait pas se permettre de dépendre d’intrants ou d’éléments stratégiques, comme les pompes indispensables pendant le Covid-19. Il y a donc une volonté de penser la régionalisation des chaînes de valeur en Europe. Les investisseurs commencent à comprendre que l’Europe ne restera pas passive dans la compétition internationale et ils s’intéressent désormais aux coûts complets. Une entreprise suisse installée en Roumanie me disait récemment qu’il pouvait sembler moins cher de produire hors d’Europe ou en Europe centrale, où le coût du travail est plus compétitif, mais que la différence était compensée par une main-d’œuvre moins qualifiée qu’en France et par le coût ainsi que les aléas du transport. Une entreprise qui fonctionne en flux tendus a besoin de plusieurs solutions d’approvisionnement. En mobilisant les bons investisseurs, nous pourrons donc renforcer la sécurité et la souveraineté en France.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Les investissements directs à l’étranger (IDE) sont les bienvenus en France où ils contribuent à stimuler l’innovation, à créer des activités et à recapitaliser des entreprises en difficulté, qu’elles soient françaises ou étrangères. Il faut malgré tout se poser la question du contrôle de ces IDE qui, comme le mentionne le site de Business France, peuvent entraîner une certaine dépendance économique et impliquer des transferts de brevets, voire des fuites de bénéfices.
Dans quelle mesure travaillez-vous avec le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), qui a pour mission de protéger nos actifs stratégiques des menaces étrangères, autour des projets d’investissements dans les fleurons français ?
Chaque projet d’investissement en France fait l’objet d’une évaluation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Ne pourrait-on pas y ajouter un critère relatif à l’atteinte à la souveraineté ?
La prise d’Alstom par General Electric, qui s’était engagé auprès du gouvernement à créer un millier d’emplois en échange de son entrée en capital d’Alstom, s’est soldée par la suppression d’un millier d’emplois. C’est un exemple tragique au cours duquel la parole publique a été méprisée et humiliée. Quelles conditions supplémentaires pourrions-nous imposer aux investisseurs étrangers pour garantir que les contreparties seront respectées en cas d’acquisition d’un fleuron stratégique ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Il est vrai que certaines prises de participation d’investisseurs extra-européens pourraient conduire à une confiscation de technologie. Cette préoccupation est réelle. Le décret du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers en France, dit « décret IEF », a donc renforcé la protection de la souveraineté technologique française en augmentant le nombre de secteurs soumis à une autorisation préalable et pérennisé la mesure de contrôle du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote par un investisseur. Toutefois, l’action de Business France n’est pas directement liée à ces prises de participation. Quand un grand groupe ouvre son capital, ce n’est pas Business France qui est sollicité, mais des banques ou des cabinets d’affaires. Si nous avons connaissance de projets d’investissements étrangers qui pourraient être soumis à une autorisation préalable dans le cadre de ce décret, nous les renvoyons vers la direction générale du Trésor, qui est chargée du contrôle.
Lorsque nous avons un doute sur l’intérêt pour la France d’accueillir un investissement du fait d’un risque de captation de technologies ou de sous-traitants, ou parce que nous craignons qu’il ne soit réalisé en vue de tuer des industries naissantes avant de repartir en nous laissant dépendants, nous travaillons en mode projet avec la direction générale des entreprises (DGE), qui a une bonne vision de la stratégie sectorielle de la France et des stratégies d’accélération industrielle. Si nous avons des doutes sur la respectabilité de l’investisseur, nous saisissons le Sisse. Nous échangeons aussi avec le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), qui accompagne le plan France 2030, pour vérifier que le soutien à un projet étranger ne se fait pas au détriment du soutien à de nouvelles technologies développées par des entreprises françaises. Enfin, nous participons régulièrement à des réunions interministérielles à Matignon pour vérifier que les projets suivis par Business France correspondent bien aux attentes de l’État.
On sous-estime parfois les intérêts de souveraineté. Ils sont évidents dans les domaines de la défense et de l’aéronautique, mais de nombreuses autres entreprises présentent aussi un intérêt stratégique. Il suffit qu’un composant essentiel pour l’agroalimentaire voire une simple vis soient fabriqués hors de France pour nous rendre dépendants. Avec les acteurs des territoires – préfets et agences régionales de développement –, nous travaillons donc à identifier les entreprises stratégiques pour lesquelles Business France, par sa présence à l’international et son dialogue avec les maisons mères, peut vérifier les intentions et la respectabilité de l’investisseur. Le poids d’une entreprise peut suffire à lui conférer un caractère stratégique : si elle représente 57 % de l’emploi privé dans une ville, son maintien en France sera une préoccupation.
Enfin, l’attractivité de la France ne se mesure pas seulement à sa capacité à faire venir de nouveaux investisseurs, mais aussi à conserver les investisseurs présents. Nous sommes donc très vigilants concernant les projets d’extension dont on croit souvent, à tort, qu’ils sont automatiques. Les différents sites des entreprises étrangères se battent pour savoir lequel accueillera le projet décidé par la maison mère et nous devons nous assurer que les investissements seront faits sur les sites français. Nous comptabilisons désormais les investissements de pérennisation, c’est-à-dire les investissements effectués dans la transition écologique, par exemple pour l’efficacité énergétique, ou dans la modernisation numérique.
M. Guillaume Basset. Certains comptes étrangers implantés en France revêtent un intérêt stratégique : en cas de fermeture, des territoires seraient lourdement touchés. Avec la direction générale des entreprises, la direction générale du Trésor et la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises, nous avons lancé la démarche France Résilience afin d’identifier les comptes pour lesquels nous pressentons une revue d’actifs à l’échelle européenne afin de défendre les sites français par anticipation. Les pays européens sont en concurrence pour préserver leurs sites ; quand Bridgestone a eu le choix entre fermer son site français ou son site italien, ils ont choisi de fermer le site français. Or, souvent, le directeur du site est le dernier informé et l’intervention publique est trop tardive. Business France, qui dispose d’un réseau international et parle aux présidents d’entreprise à l’étranger, peut apporter une valeur ajoutée en identifiant les signaux de fragilité et comprendre les critères de décision au niveau des sièges mondiaux.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. L’ajout d’un critère d’atteinte à la souveraineté ou d’impact sur le territoire vous semble-t-il pertinent ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Il nous arrive d’interroger les acteurs qui disposent d’une vision stratégique mais il serait utile de vérifier plus régulièrement et de manière plus formelle l’impact des projets d’investissement sur notre souveraineté, sur le modèle des cellules chargées de remporter de grands contrats à l’export – métro, centrale nucléaire, satellite. La valeur de l’investissement doit être évaluée à l’échelle de l’intégralité de la chaîne : parfois, un projet en apparence anodin concerne un chaînon d’une filière industrielle stratégique.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ma dernière série de questions porte sur l’internationalisation du tissu industriel des territoires. Quel est le premier frein à l’export pour une PME française ? Quelles difficultés l’empêchent de passer au statut d’ETI ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir 13 stratégies industrielles en France, une par région ? Chacune d’entre elles a sa propre feuille de route en matière de formation et de gestion du foncier et ses propres priorités économiques. Cela ne brouille-t-il pas la lisibilité de l’offre française aux yeux des investisseurs étrangers ? Comment surmonter cet obstacle ?
M. Didier Boulogne. Les difficultés des entreprises varient en fonction de leur maturité à l’export. On pourrait résumer la situation par une matrice : d’un côté, les PME primo-exportatrices ou peu aguerries, opposées aux ETI et aux grands groupes expérimentés ; de l’autre, le proche export, qui inclut le marché européen, et le grand export.
Les PME ont avant tout un besoin d’information et de connaissance. Nous les aidons à construire une stratégie de priorisation à l’international. Pour cela, nous les questionnons sur leurs produits, leurs capacités, leur budget et leur structure, c’est-à-dire l’existence réelle ou envisagée d’un service export. À partir de là, nous définissons des marchés cibles sur lesquels elles pourront se projeter en toute sécurité. Les ETI, elles, sont dans une logique d’accélération : il faut les aider à trouver le bon contact pour dépasser un plafond de verre. Je discutais récemment avec un responsable de Malongo, une entreprise de négoce de café dans le sud de la France, qui me disait : « Je cherche la personne qui prendra la décision au bon moment. »
Pour le proche export, c’est-à-dire des marchés dont les us et coutumes sont proches des nôtres, comme l’Europe et l’Amérique du Nord, l’enjeu est d’aller plus vite que la concurrence. Pour les marchés émergents – Afrique, Amérique latine, Asie du Sud-Est –, nous devons aider les entreprises à dépasser la complexité locale, qu’elle soit réglementaire ou interculturelle.
Mme Marie-Cécile Tardieu. Les investissements s’enracinent dans les territoires, dont les différents atouts permettent d’incarner la France. Il me semble utile pour une région de développer une stratégie, ne serait-ce que pour réfléchir à ses atouts. Cela nous aide à parler de la France et à valoriser des secteurs dans lesquels nous disposons d’éléments utiles à un investissement donné : l’écosystème de sous-traitants, les centres de recherche, les universités, les infrastructures.
Il est également essentiel que les régions trouvent leur place sur la scène internationale en vertu de leurs propres atouts : le Centre national d’études spatiales (Cnes) a ainsi présenté au Japon la solidité de l’industrie spatiale implantée en Occitanie et la région Île-de-France défend l’excellence de l’université Paris-Saclay. Ces atouts spécifiques nous permettent d’étoffer et de préciser notre discours sur la compétitivité globale de l’économie française.
J’en conviens cependant avec vous, le développement des stratégies régionales présente deux risques. Le premier est celui d’une trop grande confiance des régions. Il arrive malheureusement que certaines d’entre elles se croient compétitives dans tous les domaines, ou pensent être attractives dans un secteur donné, alors qu’elles ne remplissent pas les conditions nécessaires. Business France doit alors faire preuve de pédagogie et leur montrer que dans la compétition internationale, certaines spécificités ne sont pas nécessairement des atouts. Grâce à notre connaissance de nombreux projets, il nous est facile d’expliquer qu’il est préférable de disposer d’un port et d’infrastructures logistiques pour attirer un projet d’implantation d’usines de batterie, ou de suffisamment de surface pour attirer un projet de fonderie.
Le second risque consiste à se positionner sur le marché international en ordre dispersé, ce qui affaiblit la lisibilité de l’offre France pour les investisseurs. Lorsqu’il s’agit d’attirer de grands projets, la compétition internationale, intense, ne doit pas être sous-estimée. Plutôt que de laisser différentes régions faire connaître publiquement leurs offres, de façon concurrentielle et désordonnée, nous avons créé en 2021 une salle de données ou data room pour les centraliser dans un espace confidentiel. Les investisseurs y prennent connaissance de l’ensemble des offres, qui ont été complétées par les services de l’État et les parties prenantes.
Chaque région doit pouvoir valoriser ses atouts et incarner l’attractivité du pays, mais de façon organisée, afin de renforcer la France dans la compétition internationale.
M. Thierry Tesson (RN). Vous présentez les choses de façon très positive, mais les médias comme les statistiques nous montrent que notre déficit commercial et notre endettement sont énormes. Nous faisons face à un impératif économique et souverain consistant à recréer une industrie solide.
Comme député du Nord, je suis un peu surpris lorsque M. Basset évoque des infrastructures de qualité : le TGV est souvent en panne, des TER sont fréquemment supprimés et je vous fais grâce des problèmes provoqués par l’application de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ou par les zones à faibles émissions (ZFE), auxquels sont confrontés les élus locaux. Cependant, si les normes créent des contraintes, elles sont essentielles pour relancer notre industrie. En 1970, les industries manufacturières représentaient 25 % du PIB, contre 8 % aujourd’hui. Peut-être, comme quelqu’un qui coule, sommes-nous suffisamment proches du fond pour remonter grâce à un vigoureux coup de pied ? Je l’espère !
Je fais partie de la commission de la défense, qui observe avec attention l’environnement de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Celle-ci est véritable miracle industriel : malgré la perte de nombreuses industries, nous sommes parvenus à conserver ce noyau, peut-être grâce à la dissuasion et à la présence d’argent public, mais sans aucun doute parce que les entreprises ont été assez agiles pour exporter. Compte tenu de l’actualité géopolitique et de la volonté de renforcer nos industries exportatrices, est-ce que Business France dispose d’un programme d’accompagnement de la BITD, qu’il faut absolument développer ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. La conjoncture économique européenne et mondiale est incertaine. Cependant, Business France accompagne des décisions portant sur des investissements de long terme, sur de grandes infrastructures dont la construction n’est pas imminente. Nous appliquons un volontarisme tourné vers les technologies du futur et nous ne pouvons nous permettre de tout arrêter en raison des difficultés actuelles.
Les industries de la défense ne sont pas au cœur de l’action de Business France. Ces dernières années, notre stratégie s’est concentrée sur les programmes relatifs à la transition écologique et à l’efficacité énergétique, dans le cadre du plan France 2030 et nous n’avons pas particulièrement mis l’accent sur le secteur de la défense dans notre prospection ciblée.
Étant une agence agile, nous serions capables de répondre à la demande politique qui nous serait faite en ce sens. Le cas échéant, nous réfléchirons à la meilleure façon d’apporter notre contribution, sachant que les grands groupes industriels français de la défense ne sont pas nos interlocuteurs.
M. Thierry Tesson (RN). Ils ont de nombreux sous-traitants !
Mme Marie-Cécile Tardieu. Nous entretenons un dialogue avec les investisseurs étrangers qui sont déjà présents dans ce secteur et avec ceux qui voudraient compléter notre outil industriel, mais si les équipes de Business France devaient mener une action plus offensive dans ce secteur, il serait nécessaire de définir précisément un nouveau cadre de prospection ciblée.
Notre mission est triple : informer, prospecter et accompagner. Plutôt que d’attendre les marques d’intérêt des investisseurs, nous déployons une prospection ciblée et dynamique, qui a plutôt été orientée vers la transition écologique ces dernières années. Cela ne nous a pas empêchés de contacter des investisseurs à l’occasion du sommet de l’intelligence artificielle, où 109 milliards d’investissements ont été annoncés, avant de passer à l’étape suivante.
M. Guillaume Basset. Nos infrastructures sont un atout : nous possédons le deuxième réseau ferroviaire européen en nombre de kilomètres de voies ferrées exploitées et de gares desservies, ainsi que le premier réseau de voies navigables. Toutefois, nous devons être vigilants quant au risque de dégradation de leur qualité. Historiquement, l’investissement public en France représente 5 % du PIB, contre 4 % en moyenne en Europe, mais plusieurs pays européens ont engagé d’importants programmes d’investissement dans leurs infrastructures.
Par ailleurs, nous avons remarqué ces dernières semaines un accroissement de la détection de projets dans le secteur de la défense.
M. Didier Boulogne. Le soutien à l’export des entreprises du secteur de la défense n’est pas notre cœur d’activité, puisque la plupart des entreprises concernées sont soumises à des autorisations d’exportation. Toutefois, nous accompagnons plusieurs entreprises engagées dans une logique duale, comme Lynred, une filiale de Thalès et de Safran implantée dans la région grenobloise, qui exporte vers des marchés étrangers – Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, etc.
Dans ce cadre, et afin de ne commettre aucun faux pas, nous sommes en lien étroit avec la direction générale du Trésor (DGT), qui accorde les assurances de prospection. Nous avons aussi passé un accord de prestation avec le ministère de la défense, notamment pour l’aider à installer un camp de base en Roumanie en toute sécurité.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Vous avez souligné, à juste titre, la nécessité de vérifier la volonté des investisseurs étrangers de rester implantés en France ; vous les recensez dans un répertoire, dans le cadre de la démarche France résilience.
Il faut juguler la concurrence entre pays européens, qui a récemment eu des conséquences terribles à proximité de ma circonscription : parce que Stellantis a décidé de passer ses commandes à une usine implantée dans un pays de l’Est, le site de plasturgie automobile de Novares à Ostwald a fermé, entraînant le licenciement de 122 salariés.
Au-delà de ce recensement, de quels leviers dispose Business France pour favoriser le maintien d’un site identifié comme étant stratégique ? Que pensez-vous de la possibilité de conditionner le versement des aides publiques, qui s’élèvent à plus de 200 milliards par an, pour aider au maintien de l’emploi dans notre pays ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Dans le cadre de notre action France résilience, nous avons compris plusieurs aspects du fonctionnement des grands groupes.
Tout d’abord, depuis le siège mondial, les responsables ne visualisent pas concrètement à quoi correspond un site et n’y sont pas particulièrement attachés. Nous nous efforçons donc de leur présenter une incarnation de chaque site français. Les décisions sont bien évidemment liées aux résultats économiques, mais quand un responsable mondial a constaté sur place la valeur d’un site et l’attachement des salariés, son regard change et il ne prend pas les décisions de la même façon. Contacter les décideurs et leur expliquer ce que représentent les sites peut faire la différence.
Ensuite, il est indispensable d’identifier en amont les facteurs qui pourraient amener à la fermeture d’un site : il faut prendre les devants, en mobilisant par exemple des dispositifs d’aide à l’adaptation et à la modernisation. Anticiper les raisons pour lesquelles un site n’est pas compétitif peut permettre d’éviter sa fermeture. Si malheureusement les difficultés persistent, nous essayons d’identifier des projets qui pourraient accompagner une restructuration et offrir de nouvelles perspectives.
Nous nous chargeons de ce double travail de sensibilisation des décisionnaires à la valeur des implantations françaises et d’accompagnement de celles-ci dans le renforcement de leur compétitivité.
Une entreprise décide d’installer une usine en France non pas pour toucher des subventions, mais pour développer son activité. Le véritable problème est celui que vous avez identifié : si un site n’est pas compétitif faute de commandes, comment mobiliser d’autres acteurs, publics ou privés, susceptibles d’en passer ?
La raison d’être d’un investissement en France, ce sont les contrats et les marchés qui en découleront, pas les subventions. D’ailleurs, de nombreuses entreprises étrangères nous disent qu’elles préfèrent ne pas en percevoir, afin de ne rien devoir – un discours très fréquemment entendu pendant la crise du Covid. Les investisseurs s’interrogent sur les perspectives de développement économiques. Chez Business France, nous devons identifier les décisionnaires, qui sont parfois localisés au siège européen plutôt qu’au siège international ; et lorsqu’un décisionnaire européen doit choisir entre deux sites européens, sa nationalité entre en ligne de compte. Nous menons ce travail de compréhension et d’anticipation grâce à nos contacts privilégiés avec les patrons.
Mme Florence Goulet (RN). Le budget de France Business pour l’année 2025 a subi un coup de rabot de 16 millions. Compte tenu du contexte actuel, considérez-vous disposer de moyens suffisants pour poursuivre vos missions ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Nous n’avons pas encore reçu la notification officielle de notre subvention pour cette année, mais je vous remercie de porter une telle attention à nos moyens financiers.
Notre mission d’accompagnement des projets d’investissement implique un travail sur-mesure. La baisse de nos moyens financiers nous préoccupe, parce qu’elle conduira nécessairement à une diminution de nos effectifs, étant donné que nous ne facturons pas nos prestations aux investisseurs. Faire aboutir un projet d’investissement demande plusieurs années de travail ; nous avons donc besoin d’une subvention à la hauteur des enjeux, pour continuer à recruter des collaborateurs.
M. Didier Boulogne. Notre subvention est aujourd’hui au même niveau qu’en 2017. Depuis, l’inflation s’est élevée à 16 % et nous accomplissons – avec bonheur – des missions supplémentaires : le programme France 2030 et le plan Osez l’export, depuis le 31 août 2023. Ce dernier nous a permis de répondre à un double objectif : plus d’exportateurs et plus d’exportation, avec des produits différenciés.
Bien que nous n’ayons pas encore été notifiés du montant de la subvention, nous sommes déjà inquiets quant à notre capacité à déployer la totalité de notre offre d’accompagnement à l’export auprès des entreprises françaises. Non seulement nos équipes sont très inquiètes mais les entreprises que nous accompagnons également, en particulier les PME, auxquelles nous tenons la main durant toutes les démarches.
Afin de nous préparer aux choix que nous devrons nécessairement faire, nous avons élaboré différents scénarios pour identifier les dimensions les moins essentielles de notre activité. Le soutien à l’export se décline en trois principales activités : les pavillons France, qui permettent la promotion non seulement des entreprises à l’international, mais aussi de l’image de la France ; le conseil, qui va de la mise en relation immédiate – d’un vigneron et d’un acheteur, par exemple – à des programmes d’accélération, en fonction des secteurs et de la maturité des entreprises ; le volontariat international en entreprise, qui est un produit unique sur lequel nous misons énormément. Nous serions d’ailleurs bien incapables de l’instaurer aujourd’hui, sans l’architecture de la coopération du service national qui en était le socle. Nous avons aidé l’État espagnol à créer un système relativement similaire, non sans rencontrer des problèmes en matière de fiscalité, de droit du travail et de droit social.
M. Vincent Thiébaut (HOR). Je suis député d’un territoire du nord de l’Alsace, très industrialisé : ma circonscription compte plus de 8 000 emplois industriels. Ce territoire bénéficie de nombreux investissements industriels étrangers ; des entreprises allemandes, notamment, s’y implantent, s’agrandissent et y rapatrient des productions depuis des territoires situés au-dehors de la zone euro. Un gros projet industriel chinois, qui a beaucoup fait parler de lui, envisage également de s’y installer.
Quand j’interroge ces investisseurs étrangers, je me rends compte que l’environnement économique est très important, notamment la présence d’élus au fait des enjeux économiques et d’agences économiques dynamiques – à l’image de l’agence de développement d’Alsace (Adira). On parle beaucoup de l’État, mais les compétences et les capacités de coordination des territoires sont cruciales.
Certains de ces investisseurs industriels ont procédé à des licenciements dans leur pays, mais pas en France. En réaction à ma surprise, ils m’ont expliqué qu’en France, le niveau de qualification est plus élevé et la masse salariale, charges comprises, y est plus intéressante. Que pensez-vous de cette réponse, qui va à l’encontre de nombreuses idées reçues ?
Mme Marie-Cécile Tardieu. Le travail effectué par les agences régionales ou infrarégionales est essentiel ; nous coopérons étroitement avec elles. Le principe d’une course de relais, c’est de savoir transférer le flambeau au bon moment, lorsqu’il entre dans le périmètre du relayeur suivant. Personne ne fait la course du début à la fin, mais il est nécessaire de faire preuve d’une grande fluidité au moment du passage de relais. En d’autres termes, il faut que l’agence soit prête lorsque nous lui présentons un investisseur auquel nous avons vanté les mérites d’un projet.
Nos équipes travaillent en ayant à l’esprit cette philosophie : il faut compter sur les acteurs locaux. À cet égard, l’implication des maires est fondamentale ; nombreux sont les investisseurs qui savent à quel point l’action de ces derniers a joué un rôle dans la réussite de leur projet.
Les salariés sont souvent attachés à leur entreprise, mais nous constatons aussi un attachement très fort des entreprises à leurs équipes. Certaines, alors qu’elles doivent s’agrandir, refusent de déménager pour ne pas perdre leur main-d’œuvre ; elles choisissent généralement un nouveau site à proximité.
En matière d’attractivité pour la réindustrialisation, nous devons adopter une approche territoriale globale, qui inclut le foncier disponible pour l’investissement, mais aussi les logements disponibles, la qualité de l’offre éducative, la qualité de vie, etc. Ainsi, certaines régions sont moins attractives en raison d’un nombre insuffisant de logements. Pour attirer des cadres internationaux, la présence d’écoles permettant à leurs enfants de suivre une scolarité est un gage d’attractivité. Ces différents aspects de l’attractivité de nos régions et de notre pays peuvent faire la différence.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie de nos échanges. Je vous remercie de les poursuivre en répondant par écrit au questionnaire envoyé pour préparer cette audition et en envoyant au secrétariat de notre commission d’enquête tout document que vous jugerez utile à nos travaux.
La séance s’achève à douze heures quarante-cinq.
Présents. – M. Emmanuel Fernandes, Mme Florence Goulet, M. Robert Le Bourgeois, M. Alexandre Loubet, M. Pierre Pribetich, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Vincent Thiébaut, M. Frédéric Weber.