Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Table ronde, ouverte à la presse, relative aux Territoires d’industrie, réunissant :

• M. Stanislas Bourron, directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires ;

• M. François Wohrer, directeur de l’investissement de la Banque des territoires ;

• Mme Audrey Le-Bars, présidente-directrice générale du GIP Chemparc, directrice de projet Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes ;

• M. Dominique Mockly, président-directeur général de Teréga, référent industriel du Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes 2

– Présences en réunion................................21

 


Jeudi
3 avril 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Charles Rodwell. Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France. Notre première table ronde concerne le programme Territoires d’industrie et nous recevons :

– M. Stanislas Bourron, ancien directeur général des collectivités locales et directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ;

– M. François Wohrer, directeur de l’investissement de la Banque des territoires au sein du groupe Caisse des dépôts ;

– Mme Audrey Le-Bars, présidente-directrice générale du groupement d’intérêt public (GIP) Chemparc et directrice de projet Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes dans ses fonctions précédentes,

– et M. Dominique Mockly, président-directeur général de Teréga, référent industriel du Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes.

Madame et messieurs, avant de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Audrey Le-Bars, MM. Bourron, Wohrer et Mockly prêtent serment.)

M. Stanislas Bourron, directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Je commencerai par présenter le programme Territoires d’industrie, un programme national créé en 2018 et lancé sous le pilotage conjoint de l’ANCT et la direction générale des entreprises (DGE). Ce dispositif vise à accompagner la réindustrialisation à travers une approche nouvelle.

Aujourd’hui, 2 000 projets ont pu être accompagnés dans le cadre de ce programme. Dans la deuxième phase de Territoires d’industrie, débutée en novembre 2023, 183 territoires d’industrie ont été labellisés pour la période 2023-2027. Ils regroupent 630 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), soit plus de la moitié des EPCI de France. L’objectif du programme consiste à apporter un soutien et à encourager une politique de développement industriel territoriale grâce à une collaboration étroite entre élu local et industriel du territoire. Ce binôme travaille afin d’accélérer les projets industriels, identifier les forces du territoire et trouver les leviers en compagnie d’un écosystème local.

Aujourd’hui, la mécanique de ce programme est semblable aux autres programmes dont nous avons la charge – souvent en lien avec la Banque des territoires – comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain, programmes territoriaux qui reposent sur une double approche : un travail territorialisé avec des acteurs de terrain et un accompagnement en ingénierie associé à un dispositif de soutien à l’investissement. Pour faire émerger et accompagner ces projets, nous avons besoin d’un réseau d’opérateurs partenaires tels que la Banque des territoires, BPIFrance, l’Agence de la transition écologique (Ademe), Business France, mais aussi France Travail et Action Logement, qui interviennent chacun dans leur champ de compétences pour permettre le déploiement des actions.

Dans le cadre de la deuxième phase de Territoires d’industrie, quatre grands enjeux ont été identifiés pour encourager la réindustrialisation et sont ensuite déclinés localement. En effet, chaque territoire identifié détermine ensuite sa feuille de route spécifique.

Le premier grand thème concerne la compétence et l’attractivité. Il s’agit d’un sujet récurrent dans le cadre des actions menées sur chacun des territoires. En effet, l’image des métiers industriels et l’attractivité des emplois représentent un immense enjeu.

Le deuxième thème a trait à la transition écologique et énergétique, qu’il concerne la décarbonation de l’industrie ou la gestion de la ressource en eau, pour faire en sorte que notre industrie soit plus propre, mais aussi plus efficace.

Le troisième enjeu relatif au foncier est extrêmement important, notamment pour certains projets qui exigent des surfaces extrêmement importantes ou des raccordements à l’électricité, lesquels sont particulièrement déterminants pour la capacité d’implanter ou de développer un projet industriel. Avec l’ensemble des acteurs, nous avons ainsi pu déployer les cinquante-cinq sites « clés en main ».

Le quatrième et dernier axe porte sur l’innovation, en lien avec des actions déjà existantes, des pépinières d’entreprises et des incubateurs, le travail avec le monde universitaire. Il s’agit de développer des écosystèmes favorables à une augmentation de la valeur et des produits fabriqués par nos industries au niveau territorial.

L’objectif de ce programme consiste à donner les leviers et les outils aux territoires pour mettre en œuvre des actions concrètes et lever les freins à la réindustrialisation. Mais il faut avoir conscience que la réindustrialisation est un sujet complexe, qui ne s’arrête pas à un programme d’actions porté par les acteurs notamment ici présents. Elle est dépendante d’éléments macroéconomiques, voire internationaux et sociétaux, qui sont déterminants sur la capacité à développer l’emploi et l’activité industrielle.

Le rapport publié par la Cour des comptes le 21 novembre 2024 sur le programme Territoires d’industrie montre que sur 183 territoires d’industrie, 150 ont connu un recul de l’emploi industriel pendant la période 2007-2020. Depuis 2020, et malgré la période de la pandémie de Covid, nous constatons un retournement de tendance. Ainsi, sur 150 de ces territoires, 109 ont recréé de l’emploi industriel. En conséquence, ces phénomènes peuvent être ajustés et évoluer.  L’étude révèle également que si les territoires n’ont pas nécessairement créé un très grand nombre d’emplois, les industries ont considérablement amélioré leur situation financière. Ainsi, les capacités à faire face à des déploiements futurs sont bien meilleures que celles qui existaient au début du programme, avant 2018. Ces créations d’emploi se déploient dans toutes les régions, y compris les régions historiquement les plus industrielles du nord et de l’est de la France.

M. François Wohrer, directeur de l’investissement de la Banque des territoires. Mon intervention s’attachera à présenter l’action de la Banque des territoires en matière d’industrie. En 2018, au moment du lancement du programme Territoires d’industrie, la Banque des territoires ne disposait pas véritablement d’une offre spécifique pour l’industrie, puisque l’essentiel de l’activité avait été transféré à BPIFrance. Depuis, nous avons mis en place une offre structurée qui a permis de dégager 1,5 milliard d’euros sur la période 2020-2023, afin de financer plus de quarante-cinq usines.

Je souhaite également présenter les sujets qui nous animent depuis le renouvellement du programme en 2023 et qui nous motivent pour les années à venir. Sur la période 2023-2027, nous avons prévu d’investir dans l’industrie en général près de 1 milliard d’euros. Sur ce montant, 600 millions d’euros seront consacrés essentiellement à la transition écologique, un des axes clés de la Banque des territoires. Celle-ci porte notamment sur la décarbonation de l’industrie, mais également tous les éléments qui peuvent permettre d’accélérer cette transition écologique, dont l’efficacité énergétique. En effet, il semble essentiel de pouvoir disposer d’une industrie propre pour faire face aux enjeux que nous rencontrons.

Sur ces 600 millions d’euros, un autre axe important concerne la formation. Beaucoup a été réalisé en matière d’écoles de production, soit sur nos fonds propres, soit en utilisant les fonds mis à disposition par France 2030. Le dispositif « Compétences et métiers d’avenir », qui nous a été confié et s’élève à 1,5 milliard d’euros, arrive en fin de mandat. Nous pensons qu’il est très important de poursuivre cet effort en matière de formations. Au-delà de l’école de production, il faut également travailler sur l’attractivité des métiers de l’industrie. En effet, les écoles créées se remplissent parfois difficilement, en raison d’un manque d’attractivité du secteur industriel.

Le troisième axe concerne le foncier. En matière de dépollution, lorsque nous n’investissons pas directement, nous investissons dans des fonds d’investissement, notamment Brownfields et Ginkgo. Ensuite, notre portail France Foncier + est un site web recensant l’offre de foncier disponible, soit plus de 800 sites, à destination des investisseurs intéressés. Nous insistons fortement sur l’enjeu du foncier. En effet, si pour des raisons mondiales et macroéconomiques, nous assistions à une vague de relocalisations massives de l’industrie en France, nous serions confrontés à un véritable problème. L’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) et la faible rentabilité des projets fonciers par rapport aux rendements proposés par l’immobilier se renforcent pour complexifier un grand mouvement de relocalisation.

Nous pensons effectivement qu’il est très important de se focaliser sur cet aspect et qu’à ce titre, la puissance publique joue un rôle clé. Aujourd’hui, le fonds vert constitue le principal instrument de subvention existant sur ce genre de projet. Pour nous, il est fondamental que la puissance publique contribue à ce que ces projets de foncier à destination du secteur industriel obtiennent des seuils de rentabilité qui justifient des risques mis en œuvre.

M. le président Charles Rodwell. Je cède la parole à Mme Le-Bars et M. Mockly, afin qu’ils nous présentent une forme de cas d’école pour la réussite des territoires d’industrie, sur le bassin Lacq-Pau-Tarbes.

Mme Audrey Le-Bars, présidente-directrice générale du GIP Chemparc, directrice de projet Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes. Le projet Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes a été labellisé dès la première vague du programme et a constitué un territoire pilote. Dans ce cadre, nous avons travaillé conjointement avec les services de l’État, l’ANCT, la Banque des territoires et tous les opérateurs pour construire une feuille de route stratégique. Nous avons ainsi construit localement une vision de réindustrialisation de notre territoire.

Elle était fondée sur le renforcement du capital humain, à travers la mise en place, très rapide d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales. Nous avons pu également travailler sur la décarbonation, en essayant d’accompagner nos industriels sur les enjeux d’une industrie propre, mais également assurer l’accompagnement au titre de la souveraineté et de la diversification des marchés. Pour y parvenir, il nous a fallu embarquer tous les acteurs dans une démarche collective et dans le cadre d’un écosystème qui constitue l’une des forces du territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes.

Le GIP Chemparc existe depuis vingt ans sur le territoire en charge de la réindustrialisation du bassin de Lacq. Il était important pour nous de disposer d’un outil public-privé qui nous permette désormais de piloter toutes les composantes, afin de contribuer à la réindustrialisation du territoire. Aujourd’hui, une école de production est sortie de terre ; nous avons été lauréat du dispositif « Compétences et métiers d’avenir ». Nos sites industriels « clés en main » ont été labellisés et nous sommes également lauréat du programme zone industrielle bas-carbone (Zibac). Les labels, opérations et démarches initiés au niveau national ont trouvé un écho très favorable sur le territoire.

M. Dominique Mockly, président-directeur général de Teréga, référent industriel du Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes. Je vous remercie de nous avoir invités à présenter ce territoire d’industrie. En tant qu’industriel, je souhaite évoquer les caractéristiques permettant à Lacq-Pau-Tarbes d’avoir, peut-être, un impact supérieur à d’autres programmes.

Tout d’abord, notre territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes est incarné. En effet, nous conduisons une véritable gestion de projet et intervenons dans le cadre d’une véritable coanimation. Les réunions mises en place interviennent à deux niveaux : un niveau stratégique sur la feuille de route, et un niveau plus opérationnel, pour accompagner régulièrement des entreprises industrielles de taille moyenne ou petite.

Ensuite, la première phase a prolongé des dynamiques de projet qui existaient sur le territoire au moment de la sortie de TotalEnergies du site de Lacq. Les organismes mis en place se sont orientés vers des projets qui permettent de recréer des emplois ou de les maintenir sur le territoire. Nous ne partions donc pas de zéro.

Le réseau énergétique connecte tout le monde ; Teréga participe par exemple à un grand nombre de projets. Mais la santé de notre entreprise est également liée à celle des autres acteurs et nous accompagnons donc l’ensemble du dispositif. Ces trois facteurs me semblent importants à prendre en compte.

Par ailleurs, la fédération de l’ensemble du dispositif, réalisée par l’équipe de projet, est essentielle. Les thématiques que nous avons choisies portent sur le long terme. Qu’il s’agisse de la transition énergétique ou de la décarbonation, l’essentiel consiste à créer la dynamique. En revanche, les décisions des industriels prendront deux à trois ans à se dessiner même si elles sont accompagnées de subventions associées ou d’un dispositif d’accompagnement. En fonction de la nature des projets, les fruits des dynamiques initiées peuvent être recueillis deux ans, cinq ans, voire dix ans plus tard ; mais l’essentiel consiste à agir et à ne pas lâcher les rênes. C’est la raison pour laquelle nous sommes heureux que les phases 1 et 2 aient vu le jour.

Enfin, pour les industriels que nous sommes, le programme permet de régler le « socle » industriel dont nous avons besoin. Ce socle industriel nous aide à nous développer ou à transformer nos compétences vers les métiers de demain. En outre, lors de la première phase, nous avons également traité les aspects logistiques. Dans nos discussions avec les industriels, il peut ainsi arriver que nous discutions de l’échange domanial.

Nous avons également traité le numérique, élément essentiel pour la compétitivité de toutes les industries. Les entreprises comme les nôtres, qui disposent d’un peu plus de moyens et de facilité que les autres, ont une responsabilité vis-à-vis du territoire, afin d’aider l’ensemble des entreprises à passer le seuil de l’utilisation des outils modernes digitaux.

En résumé, une belle dynamique peut intervenir à partir du moment où l’ensemble des parties prenantes s’inscrit dans un enjeu local, qui peut consister à accompagner des entreprises, afin qu’elles se portent mieux. Dans tous les cas de figure, il existera un retour. Chacun doit bien le prendre en compte, ce qui est effectivement le cas dans notre territoire.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour vos présentations liminaires particulièrement détaillées. Avant de céder la parole au rapporteur, je souhaite poser une question à chacun d’entre vous.

Monsieur Bourron, ma question concerne le cadre de la phase 2 qui a été déployée. L’estimez-vous suffisant et surtout suffisamment financée ? Au vu de l’évolution de la situation macroéconomique, mais aussi des besoins des industries et des projets que vous rencontrez, français ou étrangers, pensez-vous qu’il faille réorienter la feuille de route des Territoires d’industrie sur des missions nouvelles ? Faut-il laisser de côté certaines missions qui sont aujourd’hui « réglées », afin de calibrer au mieux le programme dans ses phases futures ?

Monsieur Wohrer, vous avez mentionné le portail France Foncier +, qui a connu un certain retentissement lors du dernier sommet Choose France. Un an après sa présentation, pouvez-vous nous dresser un point d’étape, un retour d’expérience sur les premiers usages de ce portail ? Estimez-vous qu’il a répondu aux besoins des industriels que vous rencontrez ? Quelles mesures faudrait-il prendre pour pouvoir répondre encore mieux à ce type de besoins exprimés par les industriels ?

Madame Le-Bars, vous avez mentionné le détail des actions menées. Pouvez-vous nous fournir des exemples concrets de réussite ou à l’inverse nous faire part d’axes d’amélioration de ces territoires ? Surtout, de nombreux dispositifs existent sur nos territoires, qui peuvent être mis en œuvre par les agglomérations, les régions, l’État et ses multiples services déconcentrés. Estimez-vous que le programme Territoires d’industrie est venu percuter d’autres dispositifs qui existaient auparavant ou qui ont été mis en œuvre par la suite ? Je pense notamment aux pôles de compétitivité. Faudrait-il procéder à une rationalisation ?

Monsieur Mockly, vous avez esquissé la thématique de l’équilibre entre le public et le privé. Estimez-vous que la part donnée aux chefs d’entreprise qui animent ces territoires d’industrie est suffisante ? Estimez-vous que les industriels de votre territoire si emblématique sont suffisamment associés à ce type de programme ? La gouvernance devrait-elle évoluer ?

M. Stanislas Bourron. La deuxième phase du programme s’étale de 2023 à 2027. Ces programmes ont des durées de vie assez réduites, qui sont plutôt alignées avec la durée des mandats locaux, notamment municipaux. À chaque échéance, nous nous interrogeons sur le contenu et la manière de procéder.

S’agissant de votre question sur la réorientation de la feuille de route, le contexte actuel évoluant très vite, il serait peut-être pertinent d’ici quelques mois ou un an de conduire un point d’étape et d’évaluer la pertinence de réajuster les conditions d’intervention et prioriser certains aspects par rapport à d’autres. Mais un point doit être impérativement priorisé : la nécessité de s’adapter aux contextes locaux. En effet, la force de ces programmes réside dans l’appropriation des programmes par les acteurs locaux, qui s’emparent du sujet, même si des échecs sont aussi parfois à regretter.

À mon avis, il est essentiel de ne pas décider depuis Paris de la manière dont chaque territoire doit fonctionner. Je suis convaincu que ces programmes produisent des résultats parce qu’ils fournissent aux acteurs locaux les leviers pour leur permettre d’avancer, à partir d’un cahier des charges général. Dès lors, il peut être pertinent pour les acteurs d’orienter leurs choix à partir d’outils permettant d’aller plus loin sur certains sujets.

Ensuite, s’agissant du financement, l’État intervient en garantissant la prise en charge de postes d’ingénierie, qui a été confirmée dans la loi de finances 2025 adoptée le 14 février dernier et que nous espérons voir se poursuivre, dans la durée du programme. Il s’agit là d’une des priorités des ministres en charge du dossier.

La partie investissement est principalement accueillie aujourd’hui par l’État dans le fonds vert, au sein d’une enveloppe qui a permis de mobiliser 63 millions d’euros en 2024, autour de soixante projets financés. Les moyens ne sont plus disponibles aujourd’hui pour accompagner les missions « Rebond industriel », des objets très intéressants, mais plus ponctuels que le programme Territoires d’industrie, plus structurel.

Tout en restant à ma place et en respectant les décisions qui seront prises le moment venu par les autorités ministérielles et le Parlement, il me semble important de conserver ces leviers financiers dans le cadre du fonds vert, pour permettre cette capacité d’accompagner notamment les traitements de friches. Si nous voulons être raisonnables dans l’utilisation de notre sol, y compris préserver les terrains agricoles et conduire un développement raisonné de nos territoires, il importe également de savoir réutiliser le bâti déjà existant, artificialisé, notamment les anciens bâtiments industriels. Il faut donc disposer de fonds spécifiques, car il s’agit d’opérations coûteuses.

Il nous semble que le fonds vert, qui a été mis en œuvre pour la première fois en 2024 sur ces crédits, a très bien fonctionné, à la satisfaction de tous, y compris des différents opérateurs. Dans ce cadre, il serait souhaitable que nous puissions continuer à avancer de cette manière. Bien évidemment, cela dépendra d’arbitrages qui ne sont pas de mon ressort.

M. François Wohrer. Le portail France Foncier + constitue clairement un succès, qui se matérialise par un succès extrêmement satisfaisant. Il répond donc à un véritable besoin. À l’heure actuelle, près de 800 sites sont ainsi répertoriés, y compris les cinquante-cinq sites « clés en main ». Le fait de pouvoir disposer d’un lieu unique où l’on peut synthétiser l’ensemble des informations disponibles permet effectivement de proposer un outil particulièrement utile à des tierces parties.

Aujourd’hui, nous travaillons à la fois sur une amélioration quantitative et qualitative du site. Il s’agit ainsi d’améliorer l’exhaustivité des sites disponibles. Nous voudrions les sites privés soient répertoriés, ce qui n’est pas le cas actuellement, mais également que l’ensemble des agents publics soit motivé à intervenir et à transmettre les données. C’est la raison pour laquelle nous envisageons un changement de gouvernance de ce site ; en associant de façon beaucoup plus étroite les collectivités locales, et notamment les régions. Sur le plan qualitatif, nous continuons d’investir dans le site, afin de faire en sorte que les données soient mises à jour régulièrement.

La contrainte foncière constitue un élément majeur, dans la mesure où une opération foncière qui implique le secteur industriel est globalement moins rentable que celle qui se construit autour d’un commerce, d’un logement ou du tertiaire. En conséquence, si nous voulons que ces sites soient disponibles pour le secteur industriel, nous devons trouver un moyen. Dans ce cas précis, la logique subventionnelle a du sens pour faire en sorte que ces projets industriels soient véritablement compétitifs.

Mme Audrey Le-Bars. Dans les années 2000, notre territoire s’est désindustrialisé. Face à la tertiarisation de l’économie, il a fallu mener un grand travail pour relancer l’attractivité des métiers de l’industrie. Les industriels du bassin Lacq-Pau-Tarbes ont fait part de leur souhait de travailler très rapidement sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences sur le territoire (GPECT) à la sortie de la crise du Covid.

La GPECT nous a permis de mener un travail prospectif à horizon de trois ans ; les résultats de ce diagnostic prospectif nous ont rassurés, puisqu’il a établi que 3 000 emplois allaient pouvoir être créés sur le territoire. En conséquence, les acteurs de l’emploi, de la formation et des compétences, très nombreux, ont décidé d’adapter les besoins de formation au niveau du territoire. La cartographie de l’offre de formations offerte par les plans régionaux de formation (PRF) sur le territoire que nous avons établie a révélé des carences, des « trous dans la raquette ». Nous nous sommes donc appuyés sur les dispositifs nationaux pour répondre véritablement à nos besoins, au plus près des bassins industriels.

Nous avons ainsi établi par exemple une école de production sur la chaudronnerie-soudure à Tarbes, mais aussi travaillé avec les industriels de la métallurgie sur l’avion décarboné de demain dans le cadre d’un consortium de dix acteurs. Nous avons pu massifier le projet pour répondre aux enjeux et les industriels ont investi 57 millions d’euros pour les besoins de formations et de compétences sur le territoire. Un campus des métiers et des qualifications émergera également sur le bassin de Lacq, autour de la transition écologique.

Grâce à cette vision prospective, nous avons pu répondre aux besoins concrets des industriels, dans un temps assez court. Nous avons ainsi décroché 23 millions d’euros de subventions au titre de la formation professionnelle sur notre territoire, dans le cadre d’une relation de confiance et de solidarité avec les industriels.

Le deuxième enjeu concerne la continuité industrielle au niveau du foncier, notamment des friches. Des porteurs de projets de démantèlement de friches ont été identifiés sur notre territoire et devraient bénéficier très rapidement de 3 milliards d’euros d’investissement afin de prendre en compte le coût de compensation environnementale.

Le millefeuille administratif est souvent évoqué par les industriels, qui préconisent un guichet unique, mais celui-ci ne pourra pas nécessairement être obtenu. En revanche, nous nous efforçons de faire de Territoires d’industrie un « parlement de l’industrie », localement, afin de rassembler toutes les composantes qui travaillent sur l’industrie. À partir du moment où il existe une feuille de route claire sur la réindustrialisation d’un territoire, les parties prenantes s’alignent.

M. Dominique Mockly. Face à ce millefeuille, l’un des rôles de Territoires d’industrie consiste précisément à en faciliter la compréhension par les industriels, qui se mobilisent à partir de projets, sur leur territoire.

Faudrait-il modifier la gouvernance ou la façon dont les industriels interagissent avec les organismes publics ? Je ne peux vous répondre qu’à la lumière de notre expérience locale. Sur le territoire Lacq-Pau-Tarbes, nous sommes deux référents ; pour ma part je me concentre surtout sur Lacq-Pau. Notre rôle consiste notamment à proposer des relais d’animation, pour donner une âme au programme Territoires d’industrie autour de projets, de manière collective. La démarche est d’ailleurs semblable à celle qui est à l’œuvre dans une entreprise. De manière modeste, nous essayons de nous aligner sur le rythme des sollicitations.

En résumé, après une phase d’anticipation stratégique, nous proposons un accompagnement quotidien du dispositif, avant de susciter une mobilisation assez forte lorsqu’il s’agit de concrétiser les projets.

M. Alexandre Loubet, rapporteur de la commission d’enquête. Avant de vous poser des questions transversales, je souhaite m’adresser à chacun d’entre vous.

Monsieur Bourron, pouvez-vous nous présenter les différentes missions de l’ANCT en faveur de la réindustrialisation, par-delà le programme Territoires d’industrie ?

Monsieur Wohrer, pouvez-vous détailler les rôles respectifs de la Banque des territoires et de BPIFrance, ainsi que leur complémentarité sur nos territoires industriels ?

Madame Le-Bars et monsieur Mockly, vous représentez à la fois les acteurs publics et privés actifs dans le cadre de Territoires d’industrie. Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la mise en place et la mise en œuvre du programme ? Quelles pistes d’amélioration pourriez-vous suggérer ?

M. Stanislas Bourron. L’ANCT est compétente sur les thématiques d’aménagement et de développement des territoires, notamment les plus fragiles. Parmi ses champs d’intervention, figure le développement d’activités économiques, notamment industrielles. Ce programme reflète la volonté des ministres de l’industrie et de l’aménagement du territoire, dans le cadre interministériel d’un co-portage, constitutif de nos missions.

L’Agence ne prétend aucunement porter la politique industrielle du territoire. En revanche, à travers des leviers spécifiques, nous fournissons la mécanique de travail que j’évoquais précédemment ; la logique d’ingénierie accompagnant la logique d’investissement. Il s’agit ainsi de donner les moyens aux écosystèmes locaux de pouvoir travailler dans de bonnes conditions et, ensuite, pouvoir porter des investissements.

Trois leviers ont ainsi été déployés depuis la création de l’Agence. Le premier, le plus structurant, est naturellement Territoires d’industrie. Il s’organise autour d’un écosystème local, que nous animons grâce à une « boîte à outils » fournie aux acteurs locaux en lien avec des grands partenaires, dont la Banque des territoires. Il offre des financements d’investissement, des chefs de projet d’ingénierie, que nous animons ; mais également des capacités permettant de lancer des études d’accompagnement en ingénierie ponctuelle, en plus d’une animation régionale également financée par l’État. Il s’agit ainsi de renforcer la coordination régionale entre l’État et les régions. Les chefs de projets et les binômes sont identifiés et ont pour vocation consiste à faire avancer les dossiers.

Le deuxième levier porte sur les sites « clés en main », visant à offrir des terrains compatibles avec les règles d’urbanisme et disponibles pour une activité industrielle. C’est ainsi que cinquante-cinq sites « clés en main » ont été identifiés sur le territoire national pour pouvoir attirer des investissements. Cet aspect est essentiel pour la visibilité nationale, voire internationale. Il se trouve que ces sites correspondent assez souvent à des territoires d’industrie.

Le troisième levier s’attache à intervenir sur des situations difficiles, à travers le dispositif « Rebond industriel ». Lancé au tournant des années 2020, il avait pour vocation à répondre aux difficultés, notamment rencontrées dans le secteur automobile en raison de la transition vers le moteur électrique. Celles-ci entraînent des effets majeurs sur la sous-traitance et sur le fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème. Des missions « Rebond » ont ainsi été mises en place, c’est-à-dire des accompagnements dévolus à des territoires plus restreints, généralement autour d’une entreprise ou d’un bassin de vie, parfois plus petit que le territoire d’industrie. L’objectif consiste ici à identifier, sur ces bassins de vie, d’autres projets et la manière de les faire émerger, pour recréer de l’emploi industriel et attirer de nouvelles entreprises.

Ces missions ont rencontré un très grand succès. Elles s’articulent en deux temps : un premier temps d’investigation à travers une mission d’étude d’ingénierie pour réaliser un inventaire, identifier les stratégies, les leviers et les objets qui peuvent être soutenus ; et un deuxième temps, organisé autour des enveloppes de soutien, entre 1 et 3 millions d’euros par site, pour intervenir en subvention de façon raisonnée et raisonnable sur les projets qu’il faut soutenir pour permettre l’effet de levier.

L’objectif consiste bien de répondre à une crise grâce à des outils permettant de rebondir et d’initier une nouvelle dynamique positive, et de retrouver des capacités de création d’emplois sur un territoire. Chacune des thématiques aborde des angles différents : les infrastructures de fond à moyen et long terme avec Territoires d’industrie ; des sites pouvant accueillir demain de grands projets industriels avec le dispositif « clés en main » ; des missions ponctuelles sur des sites en difficulté, à travers les missions Rebond.

M. François Wohrer. Monsieur le rapporteur, vous m’avez interrogé sur la répartition des rôles entre la Banque des territoires et BPIFrance. Tout d’abord, nos relations sont excellentes. Je rappelle par ailleurs que la Caisse des dépôts possède 50 % du capital de BPIFrance. Nous voulons éviter la survenue de situations de concurrence entre nos deux institutions. Nous avons établi à ce titre une règle très simple : un dossier qui sera rejeté par l’une ne sera jamais approuvé par l’autre.

Quand un projet développe une dimension fortement territoriale, plutôt immobilière et locale, la Banque des territoires intervient. Ainsi, la Banque des territoires se concentre plutôt sur l’immobilier d’entreprise, sur les territoires. Lorsqu’il s’agit du fonds de commerce d’une opération au niveau de l’entreprise elle-même, BPIFrance est activée.

Ces règles s’adaptent néanmoins lorsque des situations particulières voient le jour, afin que chaque dossier soit traité de façon efficace. À titre d’exemple, je peux citer la mégausine Verkor, dans le nord de la France. Sur un tel dossier emblématique, la Banque des territoires et BPIFrance interviennent de concert : la Banque des territoires a engagé 150 millions d’euros de prêts subordonnés et BPIFrance agit à partir de ses fonds propres et de financements bancaires.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Permettez-moi de me faire l’avocat du diable. Compte tenu de vos excellentes relations, de vos règles communes et malgré une répartition des rôles qui semble assez claire, pourquoi n’existe-t-il pas une seule entité plutôt que deux ?

M. François Wohrer. Cela tient d’abord à une question de répartition des risques, illustrée par exemple dans le dossier Verkor. De plus, sur certains dossiers, BPIFrance ne dispose pas des moyens d’agir seule. Ensuite, la Banque des territoires se focalise sur l’impact territorial, qui n’est pas au cœur de l’expertise de BPIFrance. Mais encore une fois, sur le plan organisationnel, je peux certifier de l’inexistence de doublons. En ce moment, nous travaillons par exemple de manière conjointe sur un dossier de petits réacteurs nucléaires, que nous instruisons ensemble et dans lequel nous investirons chacun à hauteur de 10 millions d’euros.

Mme Audrey Le-Bars. La principale difficulté que je discerne dans notre cas est liée au périmètre. Ainsi, notre territoire d’industrie ne correspondait pas à un périmètre administratif, puisque le projet était à cheval sur deux régions, regroupant onze intercommunalités pour un total de 536 000 habitants, mais également des élus et des industriels qui se connaissaient assez peu. Nous sommes donc partis d’une « feuille blanche » et il a fallu convaincre, expliquer le contenu et la valeur ajoutée du programme et de la labellisation. Nous sommes parvenus à impliquer tout le monde sur un territoire où l’industrie avait été quelque peu oubliée.

Nous avons heureusement eu la chance d’interagir avec de bons référents, qui nous ont permis d’accompagner le projet et de s’assurer de sa continuité, grâce à leur animation. La deuxième vague a été particulièrement utile à ce titre, en permettant l’accompagnement à l’ingénierie de projet, qui nous a permis d’accélérer les démarches. Aujourd’hui, notre territoire est structuré, validé et reconnu.

Néanmoins, nous identifions un certain nombre de freins. Ils concernent particulièrement les infrastructures énergétiques ou de transport. Je pense notamment aux carences en matière logistique et ferroviaire, alors même qu’il est demandé aux industriels de travailler sur des mesures de gaz à effet de serre sur la chaîne de valeur d’entreprise (Scope 3). Le GIP Chemparc a certes signé une convention avec Réseau de transport d’électricité (RTE) et Enedis, pour obtenir un éclairage sur notre territoire, mais il est exact que le défi des infrastructures nous dépasse quelque peu au regard des enjeux, notamment les enjeux de décarbonation.

Ensuite, les plateformes, notamment chimiques, disposent d’un premier label, mais qui ne correspond pas forcément aux enjeux de notre territoire. Il conviendrait donc de travailler sur une « action » plateforme. Par ailleurs, nous voyons apparaître des sujets d’acceptabilité de la réindustrialisation sur les territoires, particulièrement sur des territoires plus ruraux, connaissant moins d’industries que l’Est ou le Nord de la France. Il s’agit ainsi de concilier les enjeux de réindustrialisation et l’acceptation sociétale sur les territoires.

M. Dominique Mockly. Je partage ces propos. J’ajouterai qu’initialement, les régions ont un peu subi la mise en place du dispositif, avant de s’adapter. Il aurait sans doute été possible d’agir plus rapidement et plus efficacement si le dispositif avait dès le départ allié les dimensions nationales et régionales.

Nous arrivons la plupart du temps à surmonter les difficultés, qui portent sur des problèmes d’alignement, particulièrement dans le domaine des infrastructures. Dans notre feuille de route stratégique locale figure par exemple l’enjeu de l’hydrogène, lequel ne dispose pas encore de sa propre feuille de route stratégique nationale. De temps en temps, nous sommes ainsi confrontés à ce genre de décalage, qui contribue à ralentir un certain nombre de programmes.

Au-delà, il peut également exister des problèmes d’alignement de systèmes de soutien, certains relevant de l’échelon national et d’autres de l’échelon régional. De plus, dans un même projet, les différents industriels ne sont pas toujours éligibles au même système, notamment en raison de leur taille respective. Le millefeuille administratif dont nous parlions précédemment, complique parfois nos interventions. Nous sommes donc obligés d’adapter le projet que l’on pourrait sans doute massifier si ce millefeuille n’existait pas.

Enfin, un point d’amélioration demeure ; il concerne la sensibilisation des populations à l’acceptabilité des nouveaux sujets, en anticipant le déploiement d’un certain nombre de projets. Nous devons mieux expliquer auprès du grand public les différentes étapes et l’ambition que souhaite porter le territoire.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie. Le premier thème transverse que je souhaiterais aborder, qui me semble être le plus indispensable, concerne le foncier. Si nous souhaitons réindustrialiser la France et faire en sorte que l’industrie s’établisse à 15 points du PIB d’ici 2035 – objectif gouvernemental qui semble peu réaliste –, il faudrait dégager à peu près 30 000 hectares de foncier disponible.

Les cinquante-cinq sites « clés en main » couvrent à peu près aujourd’hui 2 900 hectares. Existe-t-il un objectif à l’horizon 2030 ou 2035 dans ce domaine, afin de couvrir davantage d’hectares, qui seraient facilement accessible pour de nouveaux industriels désireux de s’implanter ? Ensuite, quelles pistes préconiseriez-vous pour assouplir la règle dite du zéro artificialisation nette (ZAN) ? Aujourd’hui, les intercommunalités de France considèrent qu’au regard des objectifs fixés actuellement par l’objectif ZAN, 90 % d’entre elles n’auront plus de foncier disponible pour l’industrie en 2030. Dès lors, l’ambition de libérer 30 000 hectares semble complètement intenable. La proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, dite « proposition de loi Trace », actuellement en discussion au Sénat, a bien pour objet de libérer 10 000 hectares sous cinq ans, bien en deçà des objectifs. Quelles pistes préconisez-vous pour assouplir les contraintes en matière d’artificialisation ?

M. Stanislas Bourron. L’enjeu du foncier est effectivement essentiel. Le dispositif « clés en main » existe depuis quelques années et s’est déployé à partir de plusieurs vagues successives. Une partie de ces sites n’a pas été mobilisée à ce jour. Les enjeux portent à ce titre sur la volumétrie, la localisation et les acteurs. En effet, les demandes sont extrêmement variables en termes de tailles d’implantation. Il faut également évoquer la desserte électrique, c’est-à-dire la capacité à amener les réseaux électriques nécessaires pour établir une industrie décarbonée. Dès lors, certains critères sont parfois exogènes au strict sujet de foncier.

L’ANCT a agi en collaboration avec les acteurs départementaux, régionaux puis nationaux à partir des 200 sites initialement sélectionnés pour le programme « clés en main », pour finalement en retenir 55 répondant à l’ensemble des critères. Il s’agit d’une machinerie assez lourde pour aboutir finalement à une logique de labellisation, au sein de laquelle la Banque des territoires peut effectuer des accompagnements financiers. Par ailleurs, d’autres dispositifs parallèles sont établis par d’autres acteurs publics. À titre d’exemple, une région a elle-même lancé ses propres sites « clés en main ».

D’autres manières de fonctionner nous semblent envisageables. Il s’agirait par exemple de s’appuyer sur un inventaire du foncier disponible, notamment à travers le portail France Foncier +, mais également de le porter à connaissance. Plutôt que de privilégier des « salves » de labellisation, il apparaît opportun d’organiser un système d’auto-labellisations. Dans cette optique, les sites qui considèrent avoir un foncier disponible entrent dans une logique de réponse à un cahier des charges national et sont ensuite labellisés comme des sites « clés en main ». Cette réflexion s’inscrit donc dans un système plus déconcentré, à partir d’un cahier des charges minimal, de plus grande proximité. À ce stade, il s’agit d’une ébauche de réflexion, qui a pour objet d’établir un système plus local.

Vous avez également mentionné les projets de zéro artificialisation nette (ZAN). L’ensemble de nos programmes vise à éviter l’extension urbaine au sens large, qui impacte notre monde agricole et notre écosystème. En conséquence, il faut d’abord réinvestir les terrains déjà artificialisés. De fait, il existe des espaces artificialisés, encore mobilisables aujourd’hui, mais il est exact que la démarche n’est pas aisée. C’est la raison pour laquelle il nous faut encore travailler sur les outils que l’État pourra mobiliser en compagnie des grands opérateurs, afin de rendre ces opérations crédibles.

En résumé, au-delà du nombre d’hectares, l’objectif consiste ici à se concentrer sur les zones déjà artificialisées, où de belles opérations peuvent être réalisées.

M. François Wohrer. Selon moi, la problématique ne consiste pas à libéraliser le ZAN, mais à faire en sorte que les friches soient disponibles. Vous avez mentionné 30 000 hectares qui seraient nécessaires, mais selon les estimations du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), il existe déjà 100 000 hectares de friches. À cet effet, la Banque des territoires va lancer un nouveau portail, intitulé Friches+, grâce à des subventions de l’Union européenne.

Mme Audrey Le-Bars. De nombreuses friches sont également présentes sur notre territoire. À ce titre, nous ne pouvons que déplorer que les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) n’existent plus. En effet, lorsqu’un porteur de projet arrive sur un territoire ou souhaite s’implanter, il est confronté à des servitudes qui sont regardées à la parcelle. Il manque une vision « collective » à l’échelle d’une plateforme ou d’une zone friche. Se pose également la question des financements. À un moment donné, un fonds friches a été créé, mais nous n’en entendons plus parler. Dès lors, nous éprouvons des difficultés à accompagner des porteurs de projets.

Pour contourner ces difficultés, nous travaillons avec les intercommunalités pour établir des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) et essayer d’établir un nouveau programme lisible sur ces zones friches. Face aux difficultés de récupérer le foncier, certaines intercommunalités engagent le pari d’acheter des friches, dont les implications sont à la fois politiques et financières. Malheureusement, les dispositifs d’accompagnement ne sont pas forcément alignés.

En résumé, les intercommunalités ont compris les enjeux du ZAN et la nécessité d’établir une vision programmatique des friches. Mais elles s’interrogent sur l’avantage de mobiliser une friche quand elles sont obligées d’établir des compensations environnementales aussi importantes que s’il s’agissait de terres agricoles ou de zones naturelles.

M. Dominique Mockly. Je partage encore une fois les propos de Mme Le-Bars. La question des friches est pour nous à la fois prioritaire, mais également très compliquée.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Malheureusement, les Territoires d’industrie ne sont pas encore tous des sites « clés en main », de même que les friches. Je souhaite mentionner une proposition qui me tient particulièrement à cœur et que j’ai l’habitude d’évoquer avec bon nombre d’industriels dans mon territoire d’élection dans l’est de la Moselle. Elle n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes, mais elle vise à accorder une dérogation aux règles environnementales lors de l’implantation ou de l’extension d’un site, au titre de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Cette dérogation est appliquée de manière quasi systématique pour l’implantation d’éoliennes, mais ces dernières ne créent pas d’emplois de manière directe à l’endroit elles sont implantées, contrairement à un projet industriel. Je souhaiterais proposer que tout projet industriel créateur de nombreux emplois soit qualifié de manière systématique de RIIPM à la condition qu’il s’implante sur une friche industrielle. Naturellement, des possibilités de recours et d’opposition y seraient également attachées. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. François Wohrer. Cette idée me semble a priori intéressante. En effet, il n’est pas pertinent de remettre à niveau des terres agricoles pour ensuite y implanter une industrie potentiellement polluante. La problématique de dépollution a atteint un tel niveau d’exigence, qui n’est pas forcément nécessaire à la lumière d’une implantation industrielle ultérieure. Votre question me prend de court, mais j’éprouve à son endroit une certaine sympathie.

Mme Audrey Le-Bars. Je partage la même opinion. Cette proposition me semble aller dans le bon sens, notamment pour des projets sur notre territoire qui requièrent un tel accompagnement, afin d’être accélérés.

M. Dominique Mockly. Je suis aligné sur cette position. Nous connaissons de nombreuses friches, qui présentent des problèmes de ce type. Si nous ne nous en occupons pas, nous parviendrons toujours à implanter ces activités de type éoliennes, certes utiles pour la production d’énergie, mais qui ne sont pas créatrices d’emplois, localement.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie pour cette unanimité. J’ai évoqué les éoliennes à dessein, dans la mesure où il me semble absurde qu’une telle dérogation ne soit pas appliquée pour des projets créateurs de très nombreux emplois ou des projets très innovants. Je précise que cette dérogation est appliquée depuis la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, dite « loi industrie verte ».

M. le président Charles Rodwell. Je souhaite précisément revenir sur la loi industrie verte. Monsieur Bourron, comment évaluez-vous l’impact de cette loi sur les labels créés et les crédits d’impôt ? Les crédits d’impôt, établis par exemple sur les pompes à chaleur ou sur certains domaines d’extraction de matières premières, seraient-ils de nature à être élargis, sur le modèle de ce qui a été réalisé aux États-Unis, à travers l’Inflation Reduction Act (IRA) ? Enfin, les dispositions prises en matière foncière vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Faudrait-il élargir ces dispositifs après les avoir votés lors de la loi industrie verte ?

M. Stanislas Bourron. Je reconnais une relative incompétence personnelle concernant l’évaluation de cette loi. Les acteurs directement au contact de ses effets pourront certainement vous apporter un avis plus éclairé que le mien.

Simplement, pour établir un lien avec le sujet précédent, l’un des enjeux cruciaux concerne l’acceptabilité de l’industrie. La réindustrialisation du pays est aujourd’hui devenue un sujet assez consensuel, mais cela n’était pas le cas il y a encore quinze ans. Désormais, tout le monde veut aller plus loin et évoque les questions de foncier et de compétences, mais le sujet de l’acceptabilité des populations est également essentiel.

L’ANCT est confrontée à des situations de tension liées à l’imaginaire suscité par l’industrie, qui est encore marqué par les grandes cheminées qui crachaient une fumée noire, que nos arrière-grands-parents et grands-parents ont pu connaître. Dans certains endroits où l’on demande d’intervenir pour réaliser des travaux, nous sommes obligés de déployer de nombreuses réunions de concertation et de participation, pour essayer d’embarquer la population et lui faire accepter des projets d’extension d’activités industrielles, quelle que soit leur taille.

La tertiarisation de notre activité économique a rendu l’industrie moins familière qu’elle a pu l’être, y compris dans certains territoires qui possèdent un passé industriel. Dès lors, l’acceptation du retour de l’activité industrielle dans une nouvelle norme exige un investissement et une communication renouvelée de la part des industriels et des écosystèmes. Cette tâche est particulièrement ardue.

M. François Wohrer. Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais la loi n’a été promulguée qu’à la fin 2023. Il me semble donc prématuré de pouvoir réaliser un retour d’expérience, notamment parce que l’industrie est un sujet de temps long. Je souligne par ailleurs la nécessité de normes stables.

Mme Audrey Le-Bars. Sur notre territoire, la décarbonation et le basculement sur les nouvelles énergies sont extrêmement concrets. Ces enjeux ont d’ailleurs été intégrés par les industriels bien avant la promulgation de la loi, notamment à travers les problématiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de responsabilité territoriale des entreprises (RTE). Compte tenu des événements géopolitiques des derniers mois, les actions en faveur de la décarbonation des industriels, très consommatrices en dépenses d’investissement (capital expenditure ou Capex), ont tendance à ralentir. Je pense particulièrement aux industriels de taille plus modeste comme les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) ou petites et moyennes industries (PMI). Sur notre territoire, elles préfèrent investir dans des équipements productifs. Pour elles, le choix entre décarbonation et stratégie de diversification vers l’industrie de défense est assez vite opéré.

M. Dominique Mockly. Des dispositifs existent néanmoins en matière de décarbonation. Notre territoire d’industrie est très impliqué dans le programme zone industrielle bas-carbone. Ces dynamiques sont essentielles et permettent d’ajuster les solutions les plus acceptables pour le territoire et les industries. En tant qu’opérateurs, notre rôle consiste précisément à expliquer aux industriels quelles sont les meilleures solutions.

Aujourd’hui, les industriels essayent de voir comment, sans dépenser trop de Capex, ils peuvent adapter leur consommation à travers tous les dispositifs existants, par exemple en rachetant des certificats. De notre côté, nous leur rappelons la nécessité d’anticiper les échéances.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez évoqué un peu plus tôt la nécessité de disposer d’un socle industriel de base, composante qui a manqué ces dernières années, voire décennies en France. En conséquence, certaines innovations n’ont pas été développées sur le territoire national. Malheureusement, notre manque de compétence, notre perte de savoir-faire nous ont fragilisés, par exemple dans la filière nucléaire.

Comment percevez-vous, à travers vos différents rôles, échelons et fonctions, le plan France 2030 avec lequel vous travaillez conjointement ? France 2030 poursuit des objectifs tout à fait louables, qui consistent pour moitié à financer la recherche et pour l’autre moitié la décarbonation et le soutien aux acteurs dits émergents comme les start-ups. Cependant, contrairement au plan France relance, qui lui a précédé, France 2030 néglige le socle industriel de base, les PME et ETI, qui constituent pourtant les deux tiers du potentiel de réindustrialisation de la France.

Comment le ressentez-vous, notamment dans le Sud-Ouest ? Comment considérez-vous ce plan massif d’investissement, qui reflète finalement la politique d’investissement d’un gouvernement ? Est-il suffisant pour soutenir les acteurs industriels de base ?

M. Stanislas Bourron. France 2030 et Territoires d’industrie sont effectivement articulés. Nous travaillons également avec les équipes du secrétariat général pour l’investissement (SGPI), afin qu’elles obtiennent une meilleure vision territoriale de l’impact de leur investissement. Au départ, l’enjeu portait surtout sur les filières, mais, elles ont perçu l’enjeu d’identifier la territorialisation, la localisation. Par ailleurs, 70 % de l’industrie, en France est située en dehors des grandes métropoles, dans le territoire rural ou périurbain.

M. François Wohrer. La Banque des territoires est opératrice pour le compte de France 2030, à hauteur de 5,5 milliards d’euros. Sur cette somme, 2 milliards d’euros ont été employés pour des investissements et les 3,5 milliards d’euros restants ont plutôt été orientés vers des subventions.

Je ne pense pas qu’il faille opposer les deux aspects. France 2030 produit un travail extraordinaire. L’impact du mandat « Compétences et métiers d’avenir » est extrêmement notable en matière de formation, y compris d’écoles professionnelles. Certaines subventions pour les appels à projets Première Usine, opérées par BPIFrance, engendrent des effets particulièrement évidents.

S’agissant d’innovation, nous avons déjà évoqué les petits réacteurs modulaires nucléaires. Sans le SGPI et sans France 2030, nous n’aurions pas pu progresser dans ce domaine. Cela ne signifie pas qu’il faille nécessairement se contenter des dispositifs existants, mais je demeure positif vis-à-vis de l’action de France 2030.

Mme Audrey Le-Bars. Notre territoire d’industrie produit de très bons résultats, notamment grâce à la présence de sous-préfets France 2030, qui accompagnent au quotidien les orientations vers les guichets et les dispositifs. Nous avons également profité du dispositif « Rebond industriel ». Même si l’enveloppe associée est relativement modeste, elle nous a permis d’aider principalement les TPE et PME.

Ensuite, il est exact qu’initialement, France 2030 était assez centralisé au niveau du SGPI. Désormais, nous commençons à bénéficier de financements régionalisés à travers des conventions avec les régions, qui nous permettent d’adapter les filières nationales à des filières régionales, qui correspondront plus à notre thématique.

En revanche, nous aurions besoin de bénéficier d’une meilleure visibilité dans les futurs appels à projet qui émergeront bientôt. Cette visibilité pourrait ainsi être établie de manière annuelle, afin de connaître les grands renouvellements des appels à projet, selon les thématiques. Ce faisant, nous pourrions mieux mobiliser les industriels et faire en sorte d’être au rendez-vous, pour leurs projets.

M. Dominique Mockly. Je partage entièrement les propos qui viennent d’être tenus, mais souhaite apporter un élément complémentaire. Si nous voulons réindustrialiser notre pays, il est essentiel de bénéficier des grands programmes d’investissement pour identifier les produits que nous ne fabriquons pas aujourd’hui et demander aux industriels en question de venir implanter des usines chez nous.

Laissez-moi illustrer ce propos par deux exemples. Le premier concerne Framatome, qui a initialement été créée pour exploiter la licence Westinghouse dans le domaine des réacteurs à eau pressurisée, une technologie initialement américaine. Ce rachat s’est traduit par un succès. Ensuite, nous avons dernièrement investi dans la société Hydrogène de France, qui a signé un contrat de transfert de technologie avec le fabricant de piles à combustibles canadien Ballard Power.

Si nous voulons aller vite, industrialiser de manière souveraine, nous devons être capables de faire ce qu’ont fait les autres pays, quand ils se sont dotés d’industries en venant les prendre en France. Ces dispositifs doivent permettre de rapatrier l’industrie à travers des accords partenariaux. Je parle de partenariat, dans la mesure où aucun industriel ne viendra implanter son usine en France s’il n’y voit pas un intérêt à la fois en fourniture et en retour sur investissement, à travers des dividendes. Au niveau européen, nous devons agir de la sorte, pour contrebalancer le fait qu’une grande partie de l’industrie est partie.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Un pôle de compétitivité est implanté à Pau, le pôle Avenia. Pouvez-vous nous expliquer la complémentarité entre vos deux entités ? Se superposent-elles ? Travaillez-vous ensemble ? Peut-on envisager à terme une fusion ?

Mme Audrey Le-Bars. Le pôle de compétitivité Avenia travaille effectivement sur les filières géosciences et les sciences du sous-sol. Nous travaillons effectivement ensemble et je suis membre de son conseil d’administration. Il faut cependant préciser que le périmètre de ce pôle est national ; il travaille à l’échelle nationale pour structurer la filière des géosciences et du sous-sol. Son action est plus prospective que la nôtre, puisque son travail spécifique porte sur les ruptures technologiques, l’innovation, quand nous œuvrons plus sur du « concret », un accompagnement d’industriel multi-filières.

Plus largement, lorsque nous nous interrogeons sur des industriels qui souhaiteraient venir sur le territoire, nous sollicitons les « sachants » sur certaines filières, pour nous permettre de proposer un meilleur accompagnement. Par exemple, si nous voulons travailler sur les nouvelles technologies agricoles ou dans l’agroalimentaire, nous discutons avec Agri Sud‑Ouest Innovation.

En résumé, nous intervenons en complémentarité avec le pôle de compétitivité, mais nous n’exerçons pas le même métier, ni n’exerçons sur des périmètres et des échelons identiques.

M. Dominique Mockly. Pour ma part, je suis également adhérent du pôle de compétitivité Avenia. Mon entreprise possède des réservoirs et a donc besoin de s’appuyer sur un pôle de compétitivité performant en matière de sous-sol. Au niveau local, il nous permet d’interagir avec un grand nombre d’entreprises très compétentes et il étend également son champ au niveau européen.

Lorsque nous attirons un certain nombre d’industriels pour s’implanter sur le territoire, ils sont satisfaits de savoir qu’ils pourront trouver sur place un pôle qui saura leur trouver les meilleures compétences en matière de sous-sol, qu’il s’agisse aujourd’hui de géothermie ou de stockage d’hydrogène, demain. Il faut l’utiliser comme un outil de compétences au service de tous les enjeux du territoire local et, bien évidemment, du territoire national.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ma dernière question porte sur le volet compétences et formations. Vous avez créé une école de production sur la chaudronnerie-soudure à Tarbes. Comment s’est déroulée cette création ? Quelle a été la place des industriels, des acteurs privés, dans le financement, l’identification des besoins locaux, mais aussi la gouvernance de cet établissement aujourd’hui ? Plus généralement, quelle est leur place dans les projets que vous pouvez soutenir ?

Mme Audrey Le-Bars. Grâce à Territoires d’industrie, nous avons pu obtenir un fonds dédié aux écoles de production, notamment pour l’amorçage et des premiers investissements. Ce projet est une réussite, car il a été véritablement porté par les industriels. Dans le cadre de la GPECT, nous avions identifié dans la région tarbaise des problématiques d’attractivité des métiers et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a été localement le fer de lance concernant cette production.

Nous avons donc calibré cette école en fonction des besoins des industriels, à qui nous avions indiqué dès le départ qu’il serait nécessaire de procéder initialement à nombreux accompagnements. Nous avons bénéficié de subventions au niveau national, sur tous les dispositifs. La Banque des territoires nous a accompagnés dans cette démarche. Des grands comptes nous ont également aidés, notamment la Fondation TotalEnergies, qui a initié des investissements. S’agissant du fonctionnement, nous avons sollicité la région Occitanie, qui nous a accompagnés ; et l’Éducation nationale nous a accordé une labellisation sur cette école.

Les industriels, qui siègent au conseil d’administration, créent le chiffre d’affaires de l’école de production. Tout le monde a joué le jeu, notamment les filières ferroviaires et métallurgiques. L’école entame aujourd’hui sa deuxième année d’existence et nous accompagnons désormais trente jeunes au quotidien. Nous déployons maintenant le traitement de surface et nous réfléchissons à une autre école de production sur un autre secteur, peut-être la restauration, afin d’accompagner la dynamique d’une zone d’activités économiques.

M. François Wohrer. L’expérience évoquée par Mme Le-Bars est révélatrice de ce que nous constatons globalement. Ainsi, pour pouvoir être viables, les écoles de production doivent être soutenues par le privé, afin de pouvoir répondre à un besoin réel, identifié localement.

Ensuite, il faut relever qu’elles s’adressent à des publics très locaux, qui ne se déplacent pas dans un rayon supérieur à trente kilomètres de leur lieu d’habitation, quelles que soient la qualité et la renommée de l’école de production. En conséquence, le public accueilli est extrêmement réduit, de dix à trente personnes ; il n’est pas possible de massifier les effectifs.

Enfin, si nous pouvons saluer le travail effectué concernant ces écoles de production, le principal problème concerne leur attractivité. Il ne suffit pas de créer ces écoles, encore faut-il pouvoir les remplir. Or certaines d’entre elles peinent à attirer des jeunes. Il est donc nécessaire de fournir un grand travail de communication.

M. Stanislas Bourron. L’Agence a effectivement pu accompagner une trentaine de projets d’écoles de production, des projets très locaux, qui nécessitent l’engagement des industries présentes sur place et doivent répondre à leurs besoins identifiés. L’attractivité est effectivement déterminante à partir d’un vivier de proximité, permettant de répondre à des enjeux territoriaux.

Ensuite, le dispositif des journées Usine ouverte vise justement à présenter un regard nouveau sur l’industrie d’aujourd’hui et permettre de faire découvrir ces activités à des agents qui ne sont pas familiers avec ces métiers, lesquels se sont renouvelés et sont extrêmement attractifs.

M. Dominique Mockly. Le dispositif des écoles de production répond aux territoires d’industrie au sens large et montre les synergies qui peuvent être déployées en commun pour des entreprises de taille modeste. L’idée consiste effectivement à proposer un dispositif pour répondre à des besoins d’entreprises, localement.

Mme Florence Goulet (RN). Je souhaite aborder avec vous le plan France très haut débit (PFFTHD). En effet, nous constatons encore aujourd’hui l’existence dans ce domaine de nombreuses inégalités entre les différents territoires, qu’il s’agisse de zones blanches ou de zones grises. Comment pouvez-vous agir auprès des opérateurs pour accélérer la couverture et le déploiement des nouvelles technologies, qui participent aussi à la réindustrialisation ?

M. Stanislas Bourron. L’Agence suit le déploiement du plan France très haut débit. S’il est vrai que certaines zones ne sont pas encore couvertes, des progrès immenses ont été accomplis, en une dizaine d’années, notamment dans les zones dites rurales. De manière simplifiée, il existe trois zones : les zones très denses, c’est-à-dire les grandes villes ; des zones péri-urbaines dans lesquelles les opérateurs se sont positionnés ; et les zones dites d’initiative publique, celles où les opérateurs n’ont pas voulu aller. Dans ces dernières, l’initiative est portée par des collectivités locales – régions, départements, syndicats mixtes. L’État a également dépensé plus de 3,5 milliards d’euros, en soutien.

Il y a dix ans, le taux de couverture de la fibre était de 90 % sur les zones très denses, mais de 30 % sur les zones rurales. Aujourd’hui, nous avons multiplié par cinq les locaux raccordables au réseau, soit un taux national de 93 % pour les zones très denses et 88 % pour les zones rurales. L’effet de rattrapage est donc considérable pour les zones où se situe notre tissu industriel. Dans le nord de la France, le taux de couverture est de 90 % à 95 %, y compris dans les zones rurales ; il est de 100 % à La Réunion par exemple.

Ce niveau est désormais parmi les meilleurs en Europe et le succès doit être mis au crédit de l’ensemble des acteurs locaux et nationaux. L’objectif de 100 % en 2025 ne sera pas pleinement atteint dans certaines zones. Si des difficultés de raccordement à la fibre subsistent, elles demeurent limitées et devraient être résorbées dans les années à venir.

M. François Wohrer. Je partage ces derniers propos ; il s’agit d’un incroyable succès, en sachant que les investissements pour la couverture en haut débit ont débuté dans les années 2000. Des zones posent encore problème, notamment en Bretagne et dans l’Ouest, mais globalement, le rattrapage a été assez extraordinaire. La Banque des territoires a investi dans le très haut débit plus d’un milliard d’euros et ce domaine est un exemple d’un très bon travail effectué par les acteurs publics.

M. Dominique Mockly. Concrètement, dans les territoires d’industrie, des industriels peuvent demander une amélioration des débits. Dans le cas des Pyrénées-Atlantiques, ces demandes sont généralement traitées par le conseil départemental. Je fais d’ailleurs partie du comité innovation du conseil départemental, qui est chargé de traiter ces sujets. Au début du territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes, le sujet de la digitalisation des procédés de fonctionnement des entreprises m’inquiétait plus que le sujet de la connexion.

M. François Wohrer. Sur les 19 millions de personnes qui résident dans les zones les moins denses, nous en avons connecté 16 millions. Le bilan n’est pas encore parfait, mais il me semble satisfaisant, compte tenu du niveau initial.

M. Frédéric Weber (RN). J’habite à Briey, une sous-préfecture, où la fibre a été déployée depuis deux ans par une intercommunalité. Actuellement, cette zone n’est pas dégroupée. Le groupe Orange souhaite y installer la fibre, mais un litige juridique les opposant à l’intercommunalité l’en empêche. Aujourd’hui, ma ville est privée du tarif dégroupé et de la fibre de très haute qualité. Quel est votre avis sur ce sujet ? De nombreux territoires souffrent-ils du même problème en France, en raison de conflits entre des intercommunalités et les opérateurs ?

M. Stanislas Bourron. Ne connaissant pas ce cas d’espèce, je demeurerai prudent. Cependant, il y a une dizaine d’années, l’État a indiqué aux opérateurs qui s’étaient déjà déployés sur certains territoires, qu’il fallait s’accorder sur la répartition d’interventions entre trois catégories : les zones très denses, les zones appel à manifestation d’engagements locaux (Amel) et les zones d’initiative publique. Selon la zone dans laquelle se situe Briey, le régime juridique peut varier.

Dans la première catégorie, une parfaite concurrence s’applique ; dans la deuxième, un opérateur a été désigné comme étant l’acteur pour réaliser le déploiement ; et dans la troisième, celle de l’initiative publique suivie par l’Agence au titre de la politique d’aménagement du territoire, les collectivités locales sont désignées comme les acteurs. Ces dernières peuvent établir une délégation de service public auprès d’opérateurs.

Des débats locaux peuvent à ce titre voir le jour, y compris sur des qualités de déploiement, liées à des sujets de génération de réseau. Si vous le souhaitez, nous pourrons étudier avec mes équipes la situation que vous avez évoquée et nous pourrons revenir vers vous, en lien avec le préfet, afin d’éclaircir le sujet.

Dans certains endroits, il existe également des débats entre des acteurs publics regroupés dans des syndicats, notamment des syndicats mixtes, avec les prestataires délégataires qui ne sont pas forcément d’accord sur les conditions de mise en œuvre du cahier des charges initialement signé. De notre côté, nous intervenons en lien avec le ministère, pour voir comment dénouer ces difficultés ponctuelles, qui affectent peut-être votre territoire.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en adressant les documents que vous jugerez utiles au secrétariat de la commission d’enquête.

La séance s’achève à onze heures cinq.

 


Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Florence Goulet, M. Alexandre Loubet, M. Pierre Pribetich, M. Charles Rodwell, M. Frédéric Weber

Excusé.  M. Éric Michoux