Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Table ronde, ouverte à la presse, relative à la formation professionnelle pour l’industrie et réunissant :
• M. Aymeric Morin, directeur général adjoint en charge de l’offre de services de France Travail ;
• M. Hugues de Balathier, directeur général adjoint de France compétences ;
• M. Pascal Le Guyader, vice-président de l’opérateur de compétences interindustriel OPCO 2i, et Mme Stéphanie Lagalle-Baranès, directrice générale 2
– Présences en réunion................................21
Jeudi
3 avril 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 19
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à seize heures dix.
M. le président Charles Rodwell. Nous concluons nos auditions de la journée par une table ronde relative à la formation professionnelle pour l’industrie réunissant M. Aymeric Morin, directeur général adjoint en charge de l’offre de services de France Travail, M. Hugues de Balathier, directeur général adjoint de France compétences, M. Pascal Le Guyader, vice‑président de l’opérateur de compétences interindustriel Opco 2i, et Mme Stéphanie Lagalle-Baranès, directrice générale
Madame, messieurs, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Stéphanie Lagalle-Baranès, MM. Hugues de Balathier, Pascal Le Guyader et Aymeric Morin prêtent successivement serment.)
M. Pascal Le Guyader, vice-président de l’opérateur de compétences interindustriel Opco 2i. L’opérateur de compétences (Opco) 2i, qui a été créé en application de la loi du 5 décembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, représente vingt-neuf branches, qui réunissent 80 000 entreprises – un peu plus de 80 % d’entre elles comptant moins de cinquante salariés – et emploient 3 millions de salariés. Il couvre les secteurs suivants : la métallurgie, la pharmacie, la chimie, la plasturgie, l’énergie, le pétrole, les matériaux de construction, le papier carton, le caoutchouc, l’industrie créative du textile et de la mode et du luxe, l’ameublement.
Nos valeurs fondatrices sont, d’une part, la cohérence sectorielle – toutes les entreprises produisent des biens manufacturés – et, d’autre part, la mutualisation des moyens. Il n’était pas question d’empiler les outils des trois Opca (organismes paritaires collecteurs agréés) dont la fusion est à l’origine de l’Opco. Le préambule de notre accord constitutif témoigne de notre volonté farouche de disposer des moyens pour être plus efficaces et plus performants.
Nous avons également fait le choix d’une gouvernance assez souple : un conseil d’administration réunissant quarante administrateurs, soit vingt employeurs et vingt salariés – c’était forcément un multiple de cinq puisqu’il faut représenter les cinq organisations syndicales représentatives en France ; cinq commissions statutaires, qui travaillent sur des sujets comme l’alternance, le plan de développement des compétences pour les entreprises de moins de cinquante salariés, la certification, les mesures d’urgence, la gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise (GEPP) ou l’observatoire Compétences Industries ; un comité d’audit et des finances ; douze commissions régionales, pour irriguer le territoire et faire remonter les besoins de nos entreprises.
Notre première mission est d’accompagner l’ensemble des branches et des entreprises dans tous leurs travaux prospectifs en matière de formation et de compétences. C’est notre cœur de métier d’analyser l’évolution des métiers et les enjeux pour les différentes branches afin d’adapter l’outil de formation aux besoins de compétences. Notre observatoire réalise des études prospectives, qui sont essentiellement macroéconomiques mais peuvent porter sur un métier selon ses spécificités ou sur un territoire puisque nos branches professionnelles sont réparties sur l’ensemble du territoire. Nos grandes études sur la transition écologique, la digitalisation ou l’intelligence artificielle (IA) sont communes à toutes les branches mais elles comportent des déclinaisons selon les métiers et les territoires.
Nous avons également pour mission d’appuyer les branches en matière de certification professionnelle. En effet, nous pouvons créer des diplômes de branche, qui viennent compléter l’offre de formation initiale de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur. Lorsqu’il n’existe pas de certification correspondant à des compétences dont les entreprises ont besoin, nous pouvons y remédier en demandant l’enregistrement de celle-ci auprès de France Compétences. Cette certification permet de reconnaître les compétences d’un collaborateur dans nos usines ou nos entreprises – elle valide ainsi le parcours de formation qu’il a suivi – et de favoriser la mobilité. Là encore, nous essayons de viser des certifications communes aux vingt-neuf branches et de ne pas les multiplier.
Nous gérons également la prise en charge pour le plan de développement des compétences des entreprises de moins de cinquante salariés, selon un barème unique, quel que soit la branche ou le secteur industriel. En ce qui concerne l’alternance, nous jouons un rôle d’appui auprès de branches, qui définissent les coûts contrats avec France Compétences, en leur donnant des parangons ou benchmarks et différentes données.
Pour remédier au déficit d’attractivité de nos métiers, depuis 2023, nous avons développé la marque « Avec l’industrie, on a un avenir à fabriquer ». L’objectif est de changer l’image vieillissante de l’industrie afin d’attirer les jeunes. Alors que les besoins de main-d’œuvre sont importants – il y a une pénurie pour certains métiers –, il faut en finir avec l’image des années 1970 – un toit incliné, une cheminée qui fume –, qui ne renvoie pas à la transition écologique, ni à la digitalisation, deux domaines dans lesquels nous avons besoin de compétences.
L’Opco joue enfin un rôle de soutien de proximité aux entreprises. Plus de 300 collaborateurs conseillers vont démarcher les entreprises, notamment celles de moins de cinquante salariés, pour les orienter vers les différents dispositifs mais aussi les informer des outils collectifs à leur disposition, par exemple des diagnostics de transition écologique ou RH (ressources humaines), qui les aideront à adapter leur politique dans ces matières.
Nous développons et nous finançons, grâce à la dotation attribuée par France Compétences, l’alternance, qui représente environ 136 000 contrats par an pour notre Opco.
Les difficultés que nous rencontrons sont de trois ordres. Elles concernent d’abord le recrutement. La désindustrialisation a été contenue entre 2020 et 2023 ; l’évolution des effectifs salariés repart à la hausse avec 150 000 créations nettes d’emplois mais on note une hétérogénéité selon les secteurs : certaines branches recrutent beaucoup – le luxe, l’énergie ou la santé –, d’autres sont plutôt en involution d’emploi – le caoutchouc, le papier carton ou la chaussure. Cette hétérogénéité s’observe aussi dans les territoires. Selon nos constats et les remontées des conseillers, sur 216 000 recrutements en 2024, 60 % ont été jugés difficiles. Les métiers les plus cités sont : la maintenance générale et mécanique, en électricité, en électronique ; la chaudronnerie ; les soudeurs ; la conduite d’équipement et le contrôle qualité. Les difficultés de recrutement concernent toutes les catégories de collaborateurs – les ouvriers, les techniciens, les ingénieurs. Nous employons beaucoup d’ingénieurs et de cadres, contrairement à l’idée répandue d’une industrie composée seulement d’ouvriers et d’ouvriers non qualifiés. Aujourd’hui, nos secteurs industriels embauchent des collaborateurs qui ont au minimum un niveau brevet de technicien supérieur (BTS), donc bac + 2.
La deuxième difficulté concerne les choix budgétaires – je ne vais pas faire plaisir à mes deux voisins mais ce n’est pas très grave, nous pourrons en discuter.
Pour financer le développement de la formation professionnelle, les entreprises payent une contribution de 1,68 % de leur masse salariale, qui est collectée par les Urssaf et reversée à France Compétences. Cela représente 2,2 milliards d’euros pour le secteur interindustriel. Sur ce montant, France Compétences restitue à l’Opco un peu moins de 1,5 milliard, le reste servant à la mutualisation. Nous ne reprochons pas à France Compétences d’appliquer les règles, mais nous demandons que celles-ci soient modifiées. En vertu de ces règles, lorsque notre activité se développe, notre masse salariale augmente, donc notre contribution aussi, mais notre dotation n’évolue pas. Par le passé, nous avons résolu cette équation budgétaire en mobilisant nos réserves et en faisant appel à du cofinancement. Or compte tenu du contexte budgétaire, non seulement les réserves sont vides désormais, mais le cofinancement diminue. Nous aurons donc des arbitrages à faire entre le plan de développement de compétences et les études prospectives, qui permettent pourtant de préparer l’avenir.
En ce qui concerne le plan de développement de compétences des entreprises de moins de cinquante salariés, notre dotation est de 38 millions d’euros, notre besoin est de 100 millions. S’agissant de l’apprentissage, nous avons perdu 35,7 millions entre 2020 et 2023 et près de 12 millions en 2024 alors que nous l’avons développé sur les quatre dernières années de plus 31 % et sur 2024 de plus 2 % dans le contexte économique que vous connaissez.
Le dernier frein tient à la complexité des différents dispositifs. D’abord, nous avons des interlocuteurs multiples, notamment pour accompagner la reconversion. Ensuite, l’alternance entre la mise en place d’une mesure et sa suppression, le stop and go, est très désagréable. On passe notre temps à arrêter puis recommencer. Les entreprises ont besoin de visibilité, donc le stop and go freine leur dynamisme. Je prends l’exemple du contrat de professionnalisation expérimental, qui est très orienté vers les petites entreprises. Nous demandons aujourd’hui qu’il soit revu, les différents cabinets sont d’accord mais il nous manque un véhicule législatif pour le faire.
J’en viens aux solutions envisagées face aux difficultés de recrutement. Il est nécessaire de poursuivre la politique d’attractivité des métiers de l’industrie. Il faut y associer l’ensemble des acteurs. Je pense en particulier à l’éducation nationale avec laquelle un partenariat pourrait être noué afin de pouvoir orienter les jeunes vers des métiers dès le lycée et de travailler sur les mathématiques et les sciences, qui sont l’objet d’un désintérêt de la part des jeunes alors que nous avons besoin de scientifiques. Il faudrait aussi revaloriser les métiers d’ingénieurs, notamment auprès des jeunes filles. À cet égard, le travail de communication que nous effectuons depuis 2023, et que nous suivons avec un baromètre Ipsos, semble porter ses fruits car nous avons gagné 17 points. Cela se mesure dans la durée.
En ce qui concerne les arbitrages budgétaires, si la convention d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2026-2028 que je dois signer avec la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ne nous donne pas les moyens nécessaires, nous devrons mettre un terme à la politique d’attractivité. C’est pourtant un travail qui doit s’inscrire dans le long terme. Je souhaiterais également que puissent être revus les financements de mutualisation afin que l’Opco 2i puisse assumer les orientations stratégiques qui lui sont fixées.
Je conclurai sur la constante contradiction dans laquelle nous sommes pris. D’un côté, le gouvernement, les différents cabinets, les ministères, la représentation nationale nous disent qu’il faut réindustrialiser la France. De l’autre, les arbitrages aboutissent à des saupoudrages. Si l’industrie est véritablement stratégique, il faut bien guider les financements.
M. Hugues de Balathier, directeur général adjoint de France Compétences. France Compétences a été créée par la loi du 5 septembre 2018. Issu la fusion de plusieurs structures, il a vocation à centraliser davantage les financements de la formation professionnelle afin de pouvoir les répartir en fonction des besoins de l’économie. Auparavant la répartition entre les dispositifs ou les acteurs aboutissait à des manques dans certains cas et à des surplus et de la trésorerie dans d’autres.
France Compétences est un établissement public administratif, sous la tutelle du ministère du travail, doté d’une gouvernance quadripartite. L’État, les partenaires sociaux, tant les représentants des employeurs que les représentants des salariés, et des représentants des conseils régionaux, soit les quatre acteurs historiques concernés par la formation professionnelle, sont membres du conseil d’administration, auquel s’ajoutent diverses commissions qui permettent d’associer et d’entendre l’ensemble des acteurs nationaux, régionaux et interprofessionnels.
Pour ce qui est de ses missions, l’établissement marche sur deux jambes : le financement et la régulation. S’il est devenu un acteur assez central, il n’est pas le seul ; les autres acteurs sont légitimes et disposent de moyens financiers importants.
Le budget de France Compétences est de 14 milliards d’euros pour 2025.
La formation professionnelle, c’est d’abord un marché avec un nombre important d’acteurs, publics ou privés. On dénombre quelque 94 000 organismes de formation de toutes natures – public, privé, consulaire, etc. Le marché est très dispersé : outre quelques gros acteurs, il comporte beaucoup d’acteurs moyens et une myriade d’intervenants individuels, parfois sous-traitants des précédents, ce qui relativise l’impression de dispersion. Le chiffre d’affaires des organismes de formation en 2023 s’élève à près de 29 milliards d’euros.
Il faut y ajouter les aides aux entreprises et les aides aux individus pour atteindre les 55 milliards de dépenses pour la formation professionnelle en 2023. Sur ce montant, 22 milliards sont payés par les employeurs – 15 milliards pour les employeurs privés et 7 milliards pour les trois fonctions publiques. Il reste donc 33 milliards financés par les politiques publiques. Les onze Opco financent pour plus de 12 milliards, l’État pour 8,5 milliards, les régions pour 4 milliards, France Travail et d’autres organismes exerçant une mission de service public tels que la Caisse des dépôts, l’Agefip – je ne rentre pas dans le détail –, ainsi que les ménages eux-mêmes pour 2 milliards.
Ces dépenses vont vers les demandeurs d’emploi pour 9,6 milliards, vers les actifs pour 7,8 milliards et vers les jeunes au titre de l’apprentissage quasi exclusivement pour 15,4 milliards. Voilà le paysage global.
Le budget de France Compétences, qui s’élève à 14 milliards, est alimenté essentiellement par la contribution des entreprises, à laquelle s’ajoute une dotation de l’État. Environ 800 millions retournent à l’État pour le financement des demandeurs d’emploi. Le reste bénéficie à la formation des salariés. Le principal poste est, pour 9,4 milliards, l’alternance. Nous finançons pour l’essentiel les Opco, et, dans une moindre mesure, les conseils régionaux. Cela concerne l’apprentissage mais aussi d’autres dispositifs comme le contrat de professionnalisation et quelques autres.
Je n’entre pas dans le détail de toutes les lignes budgétaires. Nous versons environ 2 milliards à la Caisse des dépôts et consignations, qui gère le dispositif, pour financer le compte personnel de formation (CPF).
Nous finançons le plan de développement des compétences des entreprises de moins de cinquante salariés à hauteur de 550 millions au profit des Opco ; des dispositifs de reconversion qui sont gérés par des organismes paritaires au niveau régional – les associations de transition professionnelle – qui permettent de financer le dispositif appelé projet de transition professionnelle, c’est-à-dire des projets de formation de longue durée.
Nous votons annuellement la répartition des ressources selon les besoins des différents dispositifs, même si celle-ci fait toujours débat.
Avec 14 milliards dans un marché de 55 milliards de dépenses, le financement apporté par France Compétences est un levier parmi d’autres. La mission de régulation du marché a une portée plus générale. L’opérateur dispose de divers outils, certains très forts, d’autres qui relèvent plus de l’influence, du soft power. De nombreux autres acteurs agissent en matière de régulation, notamment dans le champ de la qualité des formations dans lequel les leviers principaux sont plutôt pilotés par l’État par le biais de la certification Qualiopi.
Nous intervenons, par le biais de plusieurs dispositifs, pour adapter au mieux l’offre aux besoins de l’économie, donc de l’industrie. France Compétences n’a pas forcément une approche sectorielle. Nous essayons d’abord de mettre en place des mécanismes, qu’il s’agisse de la répartition des financements ou de la régulation du marché, pour que l’intégralité de l’écosystème réponde de manière vertueuse à l’adaptation de l’appareil de formation aux besoins de l’économie.
De quels leviers disposons-nous ? D’abord, en amont même de la formation, nous travaillons à réguler le marché de l’offre de certification professionnelle. Les Opco aident les branches à élaborer les certifications, mais beaucoup d’autres acteurs sont concernés. Outre les acteurs publics, les organismes de formation peuvent eux-mêmes créer des diplômes, des titres et des certificats. Mais ils doivent ensuite les faire enregistrer par France Compétences, afin qu’ils soient reconnus au niveau national et éligibles au financement public. Ce levier, puissant, suppose de la réactivité : nous essayons de répondre aux demandes et d’enregistrer les certifications dans les meilleurs délais ; pour les nouveaux métiers, par exemple, il existe des procédures dérogatoires allégées. De plus, nous devons nous assurer de la qualité de la certification et de son adaptation aux besoins de l’économie ; pour y parvenir, nous menons un travail rigoureux, en nous fondant sur des textes juridiques, afin de nous assurer que les critères sont remplis. La procédure est sélective : environ 50 % des 2 400 dossiers que nous recevons chaque année sont approuvés, avec des variations selon les domaines. La valeur d’usage sur le marché du travail, qui se mesure à l’aide du taux d’insertion professionnelle, constitue l’un des principaux critères.
Deuxièmement, France Compétences participe à adapter l’offre de formation aux besoins de l’économie. Nous avons créé la grande bibliothèque des travaux des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications (OPMQ). Grâce notamment à son moteur de recherche, tout acteur de l’écosystème de la formation peut facilement accéder à l’ensemble des travaux. Les branches fournissent une ample matière ; France Compétences y apporte une valeur ajoutée. Il faut que les acteurs de l’offre de formation se saisissent de la connaissance des besoins pour adapter leur offre.
Par ailleurs, nous contribuons à structurer l’offre de formation à l’aide du levier du financement. Dans le domaine de l’apprentissage en particulier, nous participons, avec les branches professionnelles, à déterminer la prise en charge des contrats d’apprentissage de chaque certification, à l’intérieur de chaque branche – chacune ayant ses propres capacités de modulation. Ainsi, nous travaillons au plus près des besoins, en fonction des coûts observés et des remontées des Opco. Les branches peuvent donc développer leur propre politique, afin de structurer l’offre en fonction des besoins qu’elles ont identifiés.
Troisièmement, nous travaillons sur l’attractivité. En novembre 2023, un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances (IGF), de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igesr) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) relevait un paradoxe : il existe des tensions de recrutement dans l’industrie alors que l’appareil de formation fournit le nombre suffisant de personnes, même légèrement plus. Plusieurs problèmes se posent, au nombre desquels l’attractivité de l’industrie en général, et de ses métiers. Il faut donc adapter la formation aux besoins des individus.
Pour y parvenir, nous disposons de deux leviers, modestes. Dans chaque région, France Compétences sélectionne un opérateur de conseil en évolution professionnelle (CEP), service public auquel peut recourir tout individu actif, salarié ou indépendant, qui veut retravailler ou repenser son parcours professionnel. Le conseiller l’éclaire sur les besoins locaux du marché du travail – la démarche n’est pas prescriptive. Ensuite, j’ai mentionné le projet de transition professionnelle, que les partenaires sociaux et les associations déploient au niveau régional, en sélectionnant les dossiers à financer, dans le cadre des recommandations de France Compétences. Pour établir l’ordre de priorité, on établit une cotation, qui donne un poids prépondérant à deux critères : le métier d’origine et celui de destination. Venir d’un métier en déclin et se diriger vers un métier en tension ou porteur offre davantage de points. Là encore, nous avons ciblé un dispositif existant pour favoriser la transition.
M. Aymeric Morin, directeur général adjoint chargé de l’offre de services de France Travail. L’approche de France Travail pour soutenir le secteur de l’industrie est globale.
Il faut d’abord travailler sur l’attractivité, en faisant la promotion des métiers concernés. On sait que le problème concerne non seulement les demandeurs d’emploi mais aussi les jeunes qui sortent du système scolaire. Il faut ensuite accompagner les entreprises dans leurs besoins de recrutement. Il faut également adapter l’offre de formation, notamment en anticipant les besoins en compétence ainsi que les mutations économiques, en particulier la transformation des métiers.
S’agissant de la promotion des métiers de l’industrie, je veux d’abord souligner la grande diversité des secteurs – les industries du médicament, du nucléaire et de l’automobile connaissent des problèmes différents. Nous organisons des semaines thématiques, avec nos partenaires. Comme tous les ans, une semaine des métiers de l’industrie aura lieu en novembre sous l’égide de l’État. C’est une action d’ampleur, constituée de plus de 8 000 événements, qui vont de la découverte des métiers aux rencontres professionnelles ou jobs datings, en passant par des formations, dont 2 200 sont organisés par France Travail ; nous touchons 38 000 demandeurs d’emploi. Forindustrie est une autre initiative qui mobilise beaucoup de partenaires, en particulier Opco 2i : le grand public découvre les métiers de l’industrie grâce à des plateformes numériques. Il existe également une Journée usines ouvertes. Avec l’Union nationale des missions locales (UNML), nous organisons Avenir pro, pour intervenir dans les lycées professionnels ; dès la rentrée prochaine, le dispositif complet sera déployé dans tous les lycées. Il s’agit de présenter aux élèves de terminale professionnelle ou de CAP (certificat d’aptitude professionnelle) les enjeux du marché du travail, de leur donner des premières techniques de recherche d’emploi et de les accompagner. La promotion des métiers de l’industrie constitue une des priorités du dispositif. Enfin, nous travaillons à féminiser les métiers de l’industrie, en particulier avec l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), fortement mobilisée sur le sujet. L’industrie emploie environ 30 % de femmes : dans le cadre de la réindustrialisation, c’est un enjeu majeur. Avec l’UIMM, nous avons établi des parcours de bout en bout, afin d’accompagner des demandeuses d’emploi de la découverte des métiers de l’industrie à leur intégration. De même, le projet Fema (Féminisons les métiers d’avenir) permet de mener des actions à destination de ces publics.
Afin d’anticiper les besoins en compétence et de s’y adapter, France Travail agit au plus près du terrain, avec les acteurs de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi. Ainsi, dans les Hauts-de-France, les ateliers territoriaux de compétences réunissent tous les partenaires concernés pour agir en fonction des besoins locaux : d’une entreprise à l’autre, l’exercice d’un même métier peut exiger des compétences différentes. L’industrie se caractérise notamment par la rapidité de l’évolution de ses métiers, en particulier dans le cadre de la transition écologique – la décarbonation est un enjeu majeur, et le gouvernement la soutient activement. Le passage du moteur thermique au moteur électrique dans le secteur automobile l’illustre bien.
Avec le réseau des centres d’animation et de ressources de l’information sur la formation et des observatoires régionaux emploi formation (Carif-Oref), France Travail développe un observatoire à même de faire connaître, par secteur et par bassin d’emploi, les compétences des demandeurs d’emploi et celles que les entreprises recherchent, et de les confronter avec l’offre de formation. Cet outil aidera les acteurs publics à prendre des décisions.
Dans le contexte de contrainte budgétaire que nous avons évoqué, notre stratégie consiste à mobiliser nos moyens, qu’il s’agisse de notre budget propre ou des crédits alloués par l’État dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC), pour les formations qui offrent le meilleur taux de retour à l’emploi. En mettant l’accent sur les préparations opérationnelles à l’emploi, collectives et individuelles, les POEC et les POEI, nous voulons former pour faire recruter. Les entreprises industrielles apprécient particulièrement ce dispositif, qui leur permet d’adapter la formation à leurs besoins, dans une logique gagnant-gagnant : elles recrutent. France Travail finance le coût de la formation et la rémunération du stagiaire.
Enfin, nous accompagnons les entreprises. En moyenne, 23 % de celles qui recrutent sont clientes de France Travail ; dans l’industrie, ce chiffre monte à 31 % environ. Comme nous avons mené de nombreuses actions dans ce secteur, c’est un signe positif. Nous participons par exemple au programme Territoires d’industrie depuis sa création ; plus largement, notre stratégie consiste à nous concentrer en priorité sur les secteurs les plus en tension, comme ceux du nucléaire et du médicament, et à aller vers les entreprises. Nous réunissons des groupes de travail ou task forces, constitués de l’ensemble des partenaires du service public de l’emploi, dont l’Opco 2i, pour travailler de manière coordonnée et leur apporter toutes les solutions à même de satisfaire leurs besoins.
Le contexte se dégradant, les difficultés de recrutement diminuent, mais elles restent élevées – en 2024, elles ont concerné 59 % des offres dans l’industrie, soit 2 points de plus que la moyenne nationale. France Travail y a trouvé l’occasion de promouvoir l’inclusion. Il est essentiel d’augmenter la part des personnes en situation de handicap dans les entreprises industrielles, où elles ont évidemment leur place, comme la part des jeunes et des publics les plus éloignés de l’emploi.
Pour terminer, nous aidons les secteurs les plus affectés par les évolutions économiques, grâce un accompagnement spécifique des demandeurs d’emploi concernés.
M. le président Charles Rodwell. La féminisation de l’industrie est un angle mort que nous cherchons en vain à résoudre depuis des années, voire des décennies. Avez-vous des propositions ? Faut-il appliquer une politique de quotas ou d’incitation financière ? Faut-il favoriser la sensibilisation dès le plus jeune âge ?
Ma deuxième question concerne l’organisation des formations à l’échelle nationale et à l’échelle régionale. Nous avons effectué beaucoup de déplacements et discuté avec des acteurs de nombreuses filières. Deux exemples contradictoires illustrent la difficulté à trouver le bon équilibre. Les besoins de la filière nucléaire sont fortement concentrés en Normandie, au point que les pénuries de recrutement dans certains métiers ont provoqué des dynamiques de spéculation salariale et de grosses difficultés industrielles. Grâce aux résultats très positifs de l’Université des métiers du nucléaire, ces dernières sont en train d’être résorbées. Le principe est simple : les apprentis étudiants disposent d’un logement d’où ils peuvent à la fois aller se former à l’université et travailler dans l’entreprise. Oyonnax, dans l’Ain, a déployé le même dispositif, avec de superbes plateaux de formation, afin de relancer la filière de la plasturgie, au plus près d’entreprises d’excellence. Or, loin de provoquer une dynamique de formation favorable à ces entreprises, les plateaux sont vides. En adoptant la même stratégie de localisation, on a accru le problème de formation et la pénurie de recrutement. La même politique publique déployée pour résoudre des problèmes similaires a abouti à des résultats opposés.
M. Pascal Le Guyader. Le problème de la non-féminisation des métiers industriels vient d’abord de l’orientation des jeunes. La communication sur les métiers industriels est défaillante. Nous multiplions les salons, mais il faut surtout parler aux parents, qui sont prescripteurs. Nous devons donc adapter la communication, sans oublier que c’est un travail de longue haleine. Il faut présenter les métiers différemment, en faisant connaître leur modernisation. J’en ai fait l’expérience : quand on parle de l’industrie, on a un mal fou à intéresser des gens attirés par le numérique car ils ne perçoivent pas la place qu’il occupe dans ce secteur. Quant aux jeunes filles, il faut leur montrer les métiers de l’industrie, pour qu’elles se disent qu’elles peuvent y avoir un avenir. Ce n’est pas un domaine uniquement masculin : on ne travaille pas forcément sur une chaîne de production, ou comme chaudronnier – ce terme même pose problème. C’est toute une acculturation, qui prend du temps. Or nous n’y parviendrons pas seuls : nous devons travailler avec l’éducation nationale. J’ajoute que la réforme du bac n’était pas opportune : on constate une désaffection pour la filière scientifique, dont on ne sait d’ailleurs pas si elle existe encore – et ceux qui la choisissent s’orientent vers des métiers commerciaux. Ce problème concerne autant les garçons que les filles.
Je n’ai pas la clé de la réussite. Le secteur du médicament, qui emploie 56 % de femmes, a communiqué sur des métiers ouverts à la fois aux femmes et aux hommes.
M. Aymeric Morin. J’ajoute qu’il faut agir à toutes les étapes du parcours : de l’enseignement scolaire – il a beaucoup été question des écoles d’ingénieurs dans l’actualité –, en faisant découvrir les métiers, au recrutement ciblé. Sur le terrain, on voit l’efficacité des parcours de bout en bout, que nous tâchons de développer. Nous allons « sourcer » – c’est le terme que nous employons – des demandeuses d’emploi, nous leur faisons découvrir le métier concerné, puis nous leur proposons une immersion professionnelle. Il est essentiel de les accompagner sur le terrain pour casser les idées reçues et empêcher l’autocensure, très courante : beaucoup se disent que ce n’est pas pour elles, que cela ne leur plaira pas ou qu’elles n’auront pas les compétences. Elles peuvent ensuite suivre une formation, comme une préparation opérationnelle à l’emploi. De telles opérations ont par exemple été organisées pour des postes de conducteur de travaux chez EDF. Les parcours de bout en bout nécessitent une forte implication et prennent du temps : il faut aller chercher les publics et les accompagner.
M. Hugues de Balathier. Je vais dire une banalité, mais on peut peut-être apporter une réponse commune à vos deux questions en soulignant l’importance du diagnostic. Je ne connais pas les exemples que vous avez cités en Normandie et dans l’Ain ; peut-être le même levier n’a-t-il pas produit les mêmes effets faute d’un diagnostic assez précis.
S’agissant de la féminisation, il faut se demander si le problème relève de l’offre ou de la demande. Si les entreprises expriment parfois encore de la réticence à employer des seniors, celles de l’industrie seraient très désireuses de doubler leur marché de recrutement. Les difficultés viennent donc peut-être plutôt des femmes, pour de nombreuses raisons. Vous évoquez la possibilité d’une incitation financière : qui serait visé ? Sans me prononcer sur le principe même des quotas, je pense que ce n’est pas le bon levier – étant donné qu’on ne peut imposer une orientation aux individus, ils ne pourraient s’appliquer qu’aux entreprises.
M. le président Charles Rodwell. Ne pourrait-on instaurer des quotas dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou à l’entrée des écoles ? Les membres de certaines forces politiques, auxquelles je n’appartiens pas, posent la question.
M. Pascal Le Guyader. Pour les industriels, la féminisation n’est aucunement un problème ; tous les métiers sont ouverts aux femmes.
M. le président Charles Rodwell. Moins de 20% des métiers de l’industrie sont occupés par des femmes, ce qui montre qu’il y a bien un problème.
M. Pascal Le Guyader. Nous comptons 30 % de femmes dans le secteur des entreprises liées aux médicaments. La difficulté, c’est que les candidats sont plus nombreux que les candidates : le nombre de jeunes filles qui s’orientent vers nos formations et nos métiers est insuffisant. Je n’ai jamais été témoin d’aucune discrimination ; je n’ai jamais entendu un industriel dire qu’il préférait embaucher un homme.
M. le président Charles Rodwell. Ma question portait non sur une éventuelle discrimination mais sur les biais de l’orientation.
M. Pascal Le Guyader. Quand on discute avec les professeurs lors des salons de l’orientation, on s’aperçoit qu’il faut déconstruire la représentation des métiers, caricaturale. Certains sont perçus comme des métiers d’homme, donc présentés comme tels – on dit « chaudronnier », pas « chaudronnière ». Notre communication passe par plusieurs acteurs : nous devons les aider à déconstruire les discours qu’ils ont tenus jusqu’à présent. Aucun métier n’est réservé aux hommes ; tous sont ouverts aux femmes. Nous voulons la mixité parce qu’elle simplifie les relations de travail, tout simplement.
M. Aymeric Morin. Il existe certes des stratégies par secteur, notamment dans le cadre des filières du Conseil national de l’industrie (CNI), mais ma conviction est qu’il faut toujours partir des besoins du territoire. La population des demandeurs d’emploi et les enjeux de mobilité varient en effet selon les bassins. À Douai, où se sont installées de nombreuses entreprises industrielles, la part des allocataires du RSA parmi les demandeurs d’emploi dépasse 50 %, un niveau très supérieur à la moyenne nationale. Les entreprises ont donc veillé à recruter des habitants du Douaisis et, dans le cadre du réseau pour l’emploi, les acteurs locaux ont adapté les formations aux enjeux de mobilité et de garde d’enfants auxquelles la population est confrontée. Des modules d’activités sportives ont même été mis en place pour s’assurer qu’une fois dans l’entreprise, les personnes formées pourraient suivre le rythme.
Nous croyons beaucoup aux nouveaux comités locaux pour l’emploi, qui inversent la logique descendante habituelle : ils établissent une feuille de route à partir de l’analyse du diagnostic local, puis la font remonter au niveau départemental et régional. Les solutions adaptées à certains secteurs et territoires ne le sont pas forcément à d’autres.
Mme Stéphanie Lagalle-Baranès, directrice générale de Opco 2i. S’agissant de la féminisation, je voudrais insister sur deux points. D’abord, ce qui se passe à l’école primaire a une importance majeure. Ensuite, il faut proposer des dispositifs de Test and Learn aux jeunes filles, par exemple dans le cadre des POE. Le public féminin est un vivier essentiel pour répondre aux besoins des métiers en tension. Lorsqu’elles dépassent certaines idées reçues et passent les tests, les jeunes femmes réussissent ! Il faut les faire parler de leur parcours. Les nouvelles technologies ont permis de surmonter les difficultés et la pénibilité liées à certains métiers – par exemple, le port de charges – et d’ouvrir aux femmes des métiers jusqu’alors considérés comme réservés aux hommes.
Je partage l’avis de M. de Balathier sur la nécessité d’établir d’abord un diagnostic très précis. Dans l’ensemble des territoires, Opco 2i passe ainsi au scanner les besoins en compétences, à une maille très fine. Ensuite, il faut vérifier que l’offre de formation est en adéquation avec ces besoins. Aujourd’hui elle l’est partout, mais elle peut se heurter à des problématiques de mobilité ou de logement. Pour les surmonter, il faut une bonne coordination des acteurs, chacun dans son rôle ; c’est ce que permet le réseau pour l’emploi mis en place par France Travail. Les acteurs sont moins efficients lorsqu’ils se marchent sur les pieds et que leurs missions sont redondantes. J’entends que des Carif-Oref font des diagnostics ; or il ne me semble pas utile d’en faire de nouveaux, même s’ils sont pertinents. C’est une déperdition de temps et de financements. Faisons des diagnostics efficaces et partageons-les.
Si la démarche mise en place dans le nucléaire fonctionne, c’est parce qu’elle coche toutes les cases. De surcroît, l’Université des métiers du nucléaire – fortement soutenue par l’Opco 2i – assure à la fois un pilotage national et une déclinaison opérationnelle très proche du terrain, avec une bonne coordination des acteurs.
Nous allons nous pencher sur le cas du bassin d’Oyonnax, que je ne connais pas spécifiquement.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Dans la mesure où nous disposons d’un temps limité, je vous serais reconnaissant d’apporter une réponse écrite à l’ensemble des questions qui vous ont été adressées.
Monsieur Le Guyader, vous avez indiqué que, s’agissant notamment du financement de l’apprentissage, les arbitrages politiques se traduisaient par du saupoudrage. Pourriez-vous expliciter vos propos ? Signifient-ils que les pouvoirs publics n’impulsent aucune vision, qu’elle soit globale ou par filière ?
M. Pascal Le Guyader. Les Opco sont tenus par une convention d’objectifs et de moyens signée pour trois ans avec la DGEFP. Or lorsque celle-ci doit appliquer un arbitrage décidé par Bercy, il est plus simple pour elle de le répercuter sur les onze Opco – et elle fait ainsi moins de mécontents. C’est la raison pour laquelle j’ai employé le terme de saupoudrage.
L’Opco 2i a conclu une convention avec la DGEFP fin 2023, alors qu’un exercice budgétaire était entamé et qu’un arbitrage avait déjà été rendu. Je précise que notre budget de fonctionnement s’établit approximativement à 100 millions d’euros, répartis entre les frais de structure – nous avons 700 collaborateurs – et les frais de mission. Lorsque nous avons signé la convention, nous ne sommes pas partis du budget de 2022 mais du réalisé, alors que nous avions décalé des recrutements et des plans de développement : déjà, les bases n’étaient pas bonnes. Lors du conseil d’administration qui s’est tenu la semaine dernière, le rapporteur du gouvernement – nommé par la DGEFP – nous a invités à revoir notre copie pour 2025, en application d’une clause de revoyure visant exclusivement la section alternance : les crédits de celle-ci passent ainsi de 11,5 millions à 8 millions d’euros. Quand on pilote un Opco, ce type d’arbitrage est un peu compliqué à intégrer en cours d’exercice, fût-il de trois ans.
Je voudrais vous donner un autre exemple : nous avons, à l’Opco 2i, une capacité à bien gérer les fonds – alors que nous pourrions mal le faire, en nous passant de tout produit financier. Il est assez détestable dans ces conditions que notre convention d’objectifs et de moyens soit fixée en fonction des résultats financiers ! Cela ne m’incite pas à négocier avec les banques et à dédier des forces vives à la gestion financière. Sur l’exercice 2024, notre résultat financier atteint 8 millions d’euros ; seront-ils pris en compte dans la prochaine convention ?
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie pour ces explications très claires.
Monsieur Morin, pourriez-vous nous indiquer le nombre d’offres d’emploi concernant des métiers industriels, et le nombre de demandeurs d’emploi dans l’industrie ?
M. Aymeric Morin. Depuis 2023, plus de 370 000 offres concernant les métiers de l’industrie ont été déposées, et 6 % des demandeurs d’emploi sont inscrits sur ces métiers. Parmi les 1,5 million d’entreprises qui recrutent, environ 95 000 sont industrielles.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’en déduis que vous faites une estimation du nombre d’emplois vacants dans l’industrie bien inférieure à celle que l’on trouve dans la presse, selon laquelle il y en aurait 60 000. Savez-vous d’où vient ce chiffre ?
M. Aymeric Morin. Nous allons vérifier ce point et vous répondrons dans le cadre du questionnaire. Ce que nous savons, c’est que dans le secteur industriel, le taux de satisfaction des offres est élevé – il dépasse 76 %. L’industrie se caractérise par des tensions de recrutement un peu plus élevées que dans le périmètre tous secteurs mais le taux et le délai de pourvoi des offres y sont aussi bons.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pour atteindre l’objectif de 15 % de réindustrialisation d’ici 2035 – qui n’est pas tenable et ne sera pas tenu –, il faudrait 800 000 à 1 million de personnes formées en plus, soit 100 000 personnes par an environ. Notre capacité de formation semble suffisante puisque, tous métiers industriels confondus, environ 120 000 personnes sont formées chaque année. Cependant, le taux d’évaporation est particulièrement élevé à l’issue de ces formations, de l’ordre de 50 %. À quoi est-il dû selon vous, monsieur de Balathier ? Si l’offre est adaptée aux besoins, cela signifie-t-il qu’il y aurait une crise des vocations ?
M. Hugues de Balathier. Il y a au moins trois explications à l’évaporation. La première est temporaire et liée au temps que mettent les jeunes formés à s’insérer dans le marché du travail. Les dispositifs mis en œuvre par France Travail visent à réduire ces délais.
Mais le principal facteur expliquant ce taux est l’évaporation durable. D’abord, certains jeunes formés aux métiers de l’industrie – des ingénieurs, par exemple – basculent à un moment vers des postes d’encadrement, voire n’exercent jamais le métier pour lequel ils ont été formés. Cette problématique est assez générale – la relation entre emploi et formation n’est pas aussi stricte qu’on l’imagine – mais touche sans doute davantage le champ de l’industrie. Se pose ensuite la question de la définition du périmètre : certaines personnes peuvent exercer le métier industriel auquel elles ont été formées dans un périmètre qui n’est pas strictement celui de l’industrie, par exemple dans le secteur de la construction.
Sachant que le lien entre emploi et formation n’est pas strict, sans doute faut-il former davantage. Mais la question n’est pas forcément celle de l’offre de formation, car la capacité est supérieure au chiffre de 120 000 personnes : comme le souligne le rapport IGF-Igesr-Igas mentionné précédemment, toutes les places disponibles ne sont pas occupées. Ce rapport montre aussi que chacun des trois facteurs d’explication du taux d’évaporation n’a pas la même importance selon le type de métier.
L’enjeu qualitatif, s’il n’est pas nul, n’est donc pas l’enjeu majeur. Le sujet est avant tout celui de l’attractivité des métiers et des formations elles-mêmes : il concerne les salaires – même s’ils sont plutôt corrects dans l’industrie – et les conditions de travail, objectives comme subjectives : pour changer l’image de ces métiers, il faut les faire découvrir.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quel est votre avis sur la réforme du lycée général, au regard des besoins en ingénieurs notamment ? Alors que 52 % des bacheliers obtenaient un baccalauréat scientifique avant la réforme, ils n’étaient plus que 27 % en 2022. J’aimerais aussi avoir votre opinion sur la suppression des mathématiques du tronc commun par Emmanuel Macron, en 2019, et sur leur rétablissement – en tant qu’option malheureusement. Enfin, nombre d’industriels déplorent d’être dans le nécessité de former eux-mêmes leurs futurs salariés – comme le fait Michelin, qui dispose de sa propre école. Comment expliquez-vous qu’ils doivent pallier les défaillances du système de formation français ?
M. Pascal Le Guyader. Nous avons du mal à attirer les jeunes vers les formations scientifiques et j’y vois, pour ma part, une corrélation avec la réforme du baccalauréat. Peut-être faudrait-il revoir certaines choses et communiquer sur les modules de formation de l’enseignement général identifiés comme scientifiques. C’est une position personnelle, et non celle de l’Opco 2i.
M. Aymeric Morin. Je reviens à une question précédente sur le pourcentage d’offres non pourvues. Il est vrai qu’il était beaucoup plus élevé il y a deux ans, tout comme les tensions de recrutement. L’enquête 2025 sur les besoins en main-d’œuvre, que nous publierons prochainement, fournira des chiffres plus récents, mais on sait déjà qu’au cours des premiers trimestres de 2024, le nombre d’offres déposées a baissé de près de 10 % par rapport à 2023. Cette dynamique doit être prise en compte dans la lecture des chiffres.
Même s’il ne faut pas généraliser – les filières et les entreprises peuvent être confrontées à des problématiques différentes –, on constate que nombre d’entreprises industrielles plébiscitent les formations les plus adaptées possibles aux postes : les POEI notamment, dont la part est trois fois supérieure à ce qu’elle est dans les autres secteurs, ou encore les actions de formation en situation de travail (Afest). Il est important que France Travail concentre sa capacité d’achat sur ces formations individuelles, qui enregistrent des taux de sortie en emploi très élevés : nous ne pouvons qu’encourager les entreprises à faire appel à nos services – comme le fait déjà Michelin.
Mme Stéphanie Lagalle-Baranès. Lorsque les entreprises assurent elles-mêmes les formations, c’est pour dispenser des savoirs très spécifiques ; c’est le cas par exemple d’Hermès.
À l’issue des parcours en alternance, il n’y a pas d’évaporation ou très peu. Le taux d’insertion dans un emploi industriel atteint 75 % à 80 %, voire 100 % au sein de certaines promotions. L’offre de formation par apprentissage – assurée, dans le secteur industriel, par 2 000 centres de formation d’apprentis (CFA) – répond bien aux besoins des entreprises, sans problème d’insertion à l’issue.
Il est un dispositif dont nous aimerions la réactivation car il répond à des besoins spécifiques et facilite la vie des plus petites entreprises, notamment pour former en situation de travail : il s’agit du contrat de professionnalisation expérimental. Depuis qu’il a été arrêté fin 2023, nous sommes incités à le financer, mais il manque un véhicule législatif pour le sécuriser.
M. Hugues de Balathier. Je confirme l’intérêt de l’apprentissage et de l’alternance, en général, pour répondre aux besoins de l’économie. Là où les autres dispositifs impliquent deux acteurs, celui-ci a la spécificité d’en réunir trois – le jeune, le CFA et l’entreprise –, ce qui limite le taux d’évaporation. Sans doute faudrait-il privilégier l’ensemble des dispositifs qui créent un lien direct avec l’employeur dès le démarrage, comme l’alternance et la POEI.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Avez-vous le sentiment que la réforme du lycée général nécessite une adaptation des formations après le baccalauréat, au regard notamment du niveau en mathématiques ou de la chute des effectifs en filière scientifique ?
M. Hugues de Balathier. Je n’ai ni avis personnel ni expertise particulière, dans la mesure où France Compétences intervient sur la formation continue et l’apprentissage. Quant à la baisse des effectifs des lycées professionnels dans le champ industriel, elle doit être mise en regard du développement considérable de l’apprentissage, qui l’a plus que compensée.
M. Thierry Tesson (RN). C’est à la fois en tant qu’ancien inspecteur d’académie et en tant que député de Douai que je m’exprime. La formation est la mère de toutes les batailles car, sans travailleurs, on aura du mal à alimenter la réindustrialisation. Ce qui me frappe depuis longtemps, c’est que ceux qui parlent de la formation professionnelle y mettent rarement leurs enfants – ce qui explique sans doute pourquoi celle-ci coince un peu en France. Les déterminants sont complexes et liés à l’environnement familial, économique ou social, voire à l’image. On peut travailler sans diplôme, ou sans le diplôme adéquat. On peut aussi être formé sur le tas, l’idéal étant de suivre une formation qui corresponde exactement au poste. Lorsque je travaillais pour l’éducation nationale, les industriels se plaignaient souvent de devoir former les élèves après l’obtention de leur diplôme. Cela démontre probablement l’inadaptation de la formation initiale, marquée par une rigidité extrême. Lorsqu’un lycée professionnel décide d’abandonner une formation pour en proposer une autre, se pose par exemple la question du devenir des enseignants – sachant que les reconversions sont très difficiles.
La réforme de 2018 a permis une augmentation du nombre de contrats d’apprentissage, surtout dans les niveaux supérieurs, et un développement important des CFA. La clé, c’est évidemment l’adaptation au marché et aux besoins, ainsi que la rapidité. Lorsque j’étais en activité, je me suis efforcé de creuser un sujet qui reste un échec : celui de la validation des acquis professionnels (VAP) et de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Il est terrible que nous ne parvenions pas à reconnaître, en France, les habiletés et les compétences acquises au cours de la vie professionnelle ; c’est probablement l’une de nos rigidités les plus importantes.
J’en viens à ma question, sans doute un peu radicale. J’ai le sentiment qu’il y a trop d’intervenants, pour un budget colossal de plus de 60 milliards d’euros. Ne faudrait-il pas – au niveau national bien sûr, le terrain étant évidemment la clé – simplifier tout cela ?
M. Hugues de Balathier. Je ne me prononcerai pas sur le lycée professionnel car je ne suis pas un expert de ce sujet.
Même si le nombre de contrats ciblant des diplômes de niveaux 3, 4 et 5 reste moins important, le fort développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, dans la lignée de la réforme de 2018, a contribué à changer l’image de cette modalité de formation. Au-delà des aspects purement quantitatifs, il s’agit là d’un succès important de ces dernières années.
Vous avez évoqué le dispositif de VAE. Dans le cadre de sa mission d’enregistrement des certifications professionnelles, France Compétences veille scrupuleusement à ce que ces dernières soient organisées par blocs de compétences. Cela permet de fluidifier les parcours de formation : lorsqu’un usager a validé un bloc dans le cadre de la VAE, il peut accéder à une qualification plus facilement en complétant sa formation par les blocs manquants.
Dans un monde complexe, il ne faut pas forcément chercher à mener des politiques publiques trop simplifiées car il est toujours nécessaire de répondre à des besoins très spécifiques. La réforme de 2018 a tout de même représenté un gros effort de simplification des dispositifs et des acteurs : ainsi, France Compétences a été créée en fusionnant quatre opérateurs, tandis que le paysage des Opco a été simplifié. Cependant, l’enjeu n’est pas tant la simplification que la recherche d’une cohérence sectorielle, comme Pascal Le Guyader l’a expliqué dans son propos liminaire.
S’il reste du chemin à parcourir, beaucoup de choses ont donc été faites dans le monde assez riche de la formation professionnelle.
M. Aymeric Morin. France Travail a l’expérience des fusions, puisque c’est ainsi que Pôle emploi avait été créé. Ce sont alors des mécanismes très lourds, pas forcément très souples, qui sont à l’œuvre.
Dans la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi transparaît la conviction qu’au-delà de la simplification, la coordination des acteurs peut aussi montrer son efficacité et produire assez rapidement des résultats. Nous devons arriver à travailler ensemble, sur le fondement d’un diagnostic partagé et d’une stratégie commune. Évidemment, il faut aussi rester humble : cette démarche prend du temps et se met en place à un rythme variable selon les territoires, en fonction des dynamiques de partenariat déjà à l’œuvre. On sait par exemple que la refonte des cartes scolaires sera longue, même si elle constitue un aspect essentiel de la réforme des lycées professionnels.
Je prendrai deux exemples. Sur la base d’un diagnostic partagé, France Travail et le conseil régional des Pays de la Loire ont mis en commun leurs capacités formatives afin de mener une action coordonnée dans le domaine de la formation professionnelle préalable à l’embauche. De même, j’ai évoqué tout à l’heure les ateliers territoriaux de compétences mis en place dans les Hauts-de-France : nous conduisons cette action partie du terrain en lien avec un ensemble de partenaires, dont fait partie le conseil régional, dans le cadre d’une stratégie commune.
Nous expérimentons cette démarche depuis quatre ans dans le cadre d’un rapprochement entre Pôle emploi, devenu France Travail, et le réseau Cap emploi. Nous avons créé une offre de services commune, de sorte que les conseillers Cap emploi interviennent aujourd’hui dans les agences France Travail, au sein de « teams handicap ».
De la même façon, nous croyons beaucoup aux alliances de travail avec des entreprises et des lycées professionnels : ainsi, l’expérimentation Avenir Pro menée par les missions locales montre toute l’efficacité d’un travail commun avec le personnel éducatif, que nous accompagnons. Bien que la coopération prenne parfois du temps, nous parvenons de mieux en mieux à conduire des actions coordonnées, même dans un pays comme la France, qui se caractérise, en matière d’emploi et de formation, par un paysage complexe et des cultures différentes.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Venant moi-même de l’industrie lourde, j’ai l’impression d’entendre la même chose depuis vingt ans. J’ai retrouvé des extraits d’émissions de France Inter diffusées dans les années 1980, qui évoquent les mêmes métiers en tension et les mêmes lieux communs. À la fin des années 1990, mon père, qui dirigeait une petite usine, avait déjà du mal à recruter des chaudronniers et d’autres professionnels que vous avez cités. En 2012, avant le second tour de l’élection présidentielle, Sarkozy dénonçait déjà les 30 milliards d’euros consacrés à la formation professionnelle qui ne servent à rien. Douze ans plus tard, rien n’a changé : les montants sont à peu près les mêmes, les métiers en tension aussi, et cette situation justifie toujours les mêmes politiques, ou plutôt la même absence de politique. Quand je travaillais chez General Electric et que nous avions les mêmes problèmes de recrutement, on nous proposait les mêmes solutions, et on nous disait aussi que tout allait bien ou que les choses allaient s’améliorer.
Franchement, je ne comprends pas : cela fait vingt ans que l’on dépense, au bas mot, plus de 30 milliards d’euros pour la formation professionnelle – je ne parle même pas de l’enseignement secondaire –, mais que l’on compte, selon les années, entre 4 et 7 millions de chômeurs, dont une part considérable sont de longue durée et vivent dans des territoires ayant une tradition industrielle marquée – je pense notamment au Douaisis, à mon département de la Somme, ou encore à la Lorraine, la région de M. Loubet. Ces gens savent travailler et connaissent la valeur du travail. Je passe mon temps à recevoir des gens qui viennent de l’industrie et cherchent à y retourner, en vain. Dans le privé, si une entreprise obtenait de si mauvais résultats malgré tous ces moyens financiers et humains accordés, elle ferait faillite et tout le monde serait viré. Non, vraiment, je ne comprends pas ce qui se passe.
On parle du manque de soudeurs dans l’industrie nucléaire en déplorant que la filière nucléaire française ait été très maltraitée. On a recruté des soudeurs américains, sachant que la filière nucléaire américaine est presque en extinction depuis l’accident de Three Mile Island en 1979. Il y a un problème de formation. Je suis désolé de vous poser une question aussi simple, pour ne pas dire basique, mais au bout d’une heure et demie d’audition, je n’ai pas plus de réponse qu’au moment où je suis entré dans cette salle.
M. Aymeric Morin. Votre question, très lourde, est évidemment essentielle. Je pense que nous nous rejoignons s’agissant de la nécessité de renforcer l’efficacité et l’efficience de la formation professionnelle ; je reviendrai tout à l’heure sur les actions que l’on pourrait conduire dans ce but. En revanche, je ne suis pas tout à fait sûr de partager votre diagnostic. Bien que la situation économique commence à se dégrader, le taux de chômage actuel est estimé entre 7,6 % et 7,8 %, selon que l’on retient les chiffres de la Banque de France ou de l’Insee : il se situe donc à l’un de ses niveaux les plus bas depuis quarante ans. Cette situation, ainsi que les tensions de recrutement assez fortes qui en ont résulté ces dernières années, à la suite de la crise du Covid, en dépit de l’action des pouvoirs publics, paraissent assez exceptionnelles, et en tout cas très différentes de ce que l’on connaissait précédemment. Il faut donc se réjouir que notre économie ait été en si bonne santé ces dernières années, et tenir compte du fait que la situation du marché du travail, notamment dans l’industrie, a été particulière.
Je le disais, je vous rejoins s’agissant de la nécessité de toujours renforcer l’efficacité de l’action publique, a fortiori dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons et que nous continuerons probablement de connaître au cours des prochaines années.
Dans l’industrie, le taux de retour à l’emploi après dix-huit mois est élevé, puisqu’il dépasse 76 % : la formation est en effet un levier permettant une insertion forte dans l’emploi. De manière générale, on considère souvent que la formation professionnelle permet de relever de 9 points le taux d’insertion dans l’emploi à six mois : elle a donc un effet réel, objectif, sur tous les publics, qu’ils soient proches de l’emploi ou qu’ils en soient plus éloignés. Tout cela est bien documenté.
Néanmoins, il faut bien sûr concentrer notre effort sur les formations ayant le meilleur taux de retour à l’emploi, d’autant que France Travail subit une réduction des moyens consacrés à la formation professionnelle, notamment une baisse des crédits alloués au plan d’investissement dans les compétences. Aussi avons-nous fait le choix de concentrer plus fortement nos moyens sur les formations individuelles, qui permettent d’atteindre des taux de retour à l’emploi parfois 20 points plus élevés que les formations collectives conventionnées. Je ne parle pas de la POEC, dont les taux sont élevés, mais plutôt des achats plus classiques de formation.
C’est un enjeu, pour nous, que de sélectionner non seulement les formations ayant le meilleur taux d’accès à l’emploi, mais aussi celles qui s’adaptent le mieux aux besoins des territoires et des entreprises. Il convient enfin de veiller à la bonne adéquation des parcours, car vous avez beau offrir une formation de grande qualité, si un usager a besoin d’acquérir ou de retrouver des compétences de base avant de pouvoir bénéficier d’une formation plus poussée, il faut le lui permettre. En suivant ces trois axes, nous pourrons encore nous améliorer.
M. Pascal Le Guyader. Je ne sais pas si ma réponse va vous satisfaire, mais sur les 140 000 apprentis formés par l’Opco 2i, 80 % trouvent un emploi dans l’industrie. Nous formons donc des professionnels pour les industriels, en suivant des référentiels élaborés avec ces derniers. Dans certaines filières, c’est même 100 % des apprentis qui trouvent un emploi. Si je pouvais faire entrer davantage de jeunes sur le marché du travail, je le ferais.
Alors que le système fonctionne bien, les arbitrages budgétaires qui pourraient être rendus prochainement risquent de le casser. D’aucuns estiment qu’il faudrait supprimer ou réduire l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Ce serait une bêtise, car l’extension de cette modalité de formation a amélioré son image : l’apprentissage n’est plus considéré comme une voie de garage, comme dans les années 1970 et 1980. La possibilité de suivre un apprentissage en licence ou en master a également permis d’attirer dans ces niveaux de qualification des jeunes qui ne s’y seraient pas risqués dans le cadre d’un enseignement traditionnel ; au sein de l’entreprise, ils voient concrètement ce que sont les mathématiques ou les sciences appliquées au poste de travail. Il y a aussi un enjeu de justice sociale, car les apprentis sont payés, ce qui leur permet de financer leurs études. En supprimant l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, on réduirait donc le nombre de jeunes briguant ces diplômes.
Dans mon propos liminaire, j’ai déploré l’insuffisance du financement des plans de développement des compétences dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Alors que l’industrie reçoit actuellement une dotation annuelle de 38 millions d’euros, 100 millions seraient nécessaires pour couvrir les besoins de formation de nos entreprises ; or l’ensemble des secteurs d’activité bénéficient d’une enveloppe globale d’environ 700 millions d’euros au titre de la formation professionnelle. Nous demandons simplement que soit envisagée une modification des règles de répartition de cette somme, afin de répondre au réel besoin de financement des plans de développement des compétences dans les entreprises industrielles de moins de cinquante collaborateurs.
M. Hugues de Balathier. J’irai dans le même sens que les deux précédentes interventions et nuancerai le constat assez sombre que vous avez dressé. Beaucoup de choses ont été faites en matière de formation, même s’il reste encore bien du chemin à parcourir. Nous avons essayé, les uns et les autres, de vous montrer que nous agissions et que nous faisions des efforts : j’ai ainsi expliqué comment France Compétences comptait adapter, avec les moyens dont elle dispose, l’offre de certification et de formation.
Je souligne à nouveau l’importance du diagnostic. Si un certain nombre de problèmes demeurent, c’est parce que la formation n’est pas toujours la réponse à tout. Il est quelque peu paradoxal que ce soit France Compétences qui le dise. En cas de tensions sur le recrutement, le premier réflexe est de penser à un problème de formation, d’ordre quantitatif ou qualitatif, mais de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte – je les ai énumérés tout à l’heure, je n’y reviendrai donc pas. Cette table ronde porte sur la formation professionnelle, mais je sais que vous organisez beaucoup d’autres auditions, qui vous permettent d’aborder de nombreux autres sujets structurants. En fonction du diagnostic, il faut trouver les bons leviers à actionner pour apporter les bonnes réponses.
M. le rapporteur a déploré le saupoudrage des moyens, mais nous essayons, pour notre part, de fixer des priorités. Mes voisins ont sans doute été déçus que je n’apporte pas de réponse à la question du financement du plan de développement des compétences soulevée par M. Le Guyader, mais France Compétences ne décide pas du montant de l’enveloppe globale dont elle dispose. Nous ne faisons que répartir les crédits, en fonction du nombre d’entreprises et surtout du nombre de salariés. L’Opco 2i souhaiterait que nous retenions un critère de masse salariale, qui permettrait de prendre en compte non seulement le nombre de salariés, mais aussi le niveau des salaires. Or, ce que nous accordons à un Opco, nous le prenons à un autre. Ainsi, la prise en compte de la masse salariale favoriserait les secteurs économiques où les salaires sont plus élevés que la moyenne, notamment l’industrie – donc l’Opco 2i –, mais aussi la banque, l’assurance et le conseil – des secteurs qui dépendent de l’Opco Atlas –, au détriment des métiers de l’artisanat et de l’agriculture. Pourtant, tous ces sujets sont importants. Les critères de répartition renvoient donc à de vrais choix de politique publique. Ces choix, de même que le niveau global de l’enveloppe à répartir, ne relèvent pas de l’opérateur, mais bel et bien des autorités politiques.
M. Pascal Le Guyader. Nous demandons, pour notre part, que soit revu le niveau de l’enveloppe, qui reste toujours le même tandis que notre masse salariale augmente.
Mme Stéphanie Lagalle-Baranès. S’agissant du manque d’attractivité des métiers, vous avez raison, il n’y a rien de nouveau : certaines difficultés remontent à très longtemps. Ce qui change, en revanche, c’est la prise de conscience collective : alors que les industriels et les branches agissaient autrefois de manière séparée, ils mènent désormais des actions communes, car ils savent qu’ils seront plus efficaces à plusieurs.
Du fait du contexte actuel, les tensions de recrutement diminuent quelque peu. Cependant, si l’enjeu est de réindustrialiser dans les secteurs que vous évoquez – le nucléaire, l’énergie, l’aéronautique –, il faut agir sur le temps long et penser des projets industriels à dix ans, qui nécessiteront des compétences dont on sait déjà qu’on ne les trouvera peut-être pas.
L’industrie est aussi confrontée au défi du renouvellement générationnel, puisque près de 20 % des salariés ont plus de 55 ans. Si l’on ne prend pas dès aujourd’hui à bras-le-corps la question de l’attractivité, qui n’est effectivement pas nouvelle, notre inaction sera un frein à la réindustrialisation du pays.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’entends ce que vous dites, et je vous remercie pour vos réponses. Je ne suis pas dans la caricature : je ne dis absolument pas qu’il ne s’est rien passé. Je reconnais que France Travail fait du très bon travail sur mon territoire : à chaque fois que j’envoie quelqu’un à l’agence de Doullens, il y est bien mieux traité qu’à l’époque de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE).
Vous dites à juste titre que les défis de l’attractivité sont anciens, et que cela fait dix ou vingt ans que nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. Ce qui m’inquiète, sans vouloir vous mettre en cause personnellement, c’est que je n’entends pas proposer de solution nouvelle qui permettrait de changer les choses. Nous avons récemment visité le site de Flamanville : la présentation que l’on nous a faite n’était pas aussi radieuse que ce que vous venez de nous exposer. Comment résoudre les problèmes qui subsistent ? Avez-vous des idées nouvelles ? Devons-nous, en tant que parlementaires, travailler sur des sujets nouveaux ? J’ai l’impression que nous continuons ce qui n’a pas assez bien marché, alors même que nous faisons face au défi du renouvellement des générations et que nous poursuivons une ambition de réindustrialisation. Voilà pourquoi je reste sceptique, au terme de nos échanges.
M. Pascal Le Guyader. Vous dites que notre action depuis vingt ans n’est pas efficace, mais nous avons tout de même permis une hausse de l’activité industrielle sur le territoire, en tout cas dans certaines branches.
Peut-être pourrions-nous poursuivre cette discussion dans un autre cadre, car nous sommes tous deux des industriels. Je suis preneur de propositions, qui pourraient être débattues par un conseil d’administration avant d’être éventuellement mises en œuvre.
M. Aymeric Morin. Je suis moi aussi très preneur de propositions, sur lesquelles nous pourrions échanger.
Même s’il faut rester humble face aux défis et que certains secteurs continuent d’avoir du mal à recruter, je mettrai en avant quelques actions qui permettent de changer les choses. Tout d’abord, nous travaillons ensemble, ce qui n’était pas forcément le cas il y a dix ou quinze ans. Ainsi, nous pouvons lancer des dynamiques de manière beaucoup plus coordonnée, ce qui entraîne un véritable effet levier.
En matière de formation professionnelle, nous nous efforçons désormais de concentrer nos efforts sur les dispositifs les plus efficaces. On peut d’ailleurs constater les effets de ce virage dans la hausse des taux de retour à l’emploi.
Par ailleurs, l’ensemble des acteurs de l’emploi adoptent une démarche beaucoup plus proactive à destination des jeunes, en se rendant notamment dans les lycées professionnels.
Enfin, nous disposons de nouveaux outils. Nous investissons beaucoup dans l’intelligence artificielle pour préqualifier des viviers de demandeurs d’emploi et les faire coïncider avec les besoins. La révolution numérique peut aussi être un levier d’amélioration : nous avons déjà parlé de Forindustrie, qui permet de découvrir en ligne les métiers du secteur.
Le fait que l’enjeu demeure et se renouvelle sans cesse peut donner une impression de permanence, mais il y a vraiment des choses qui bougent. Nous espérons pouvoir démentir votre constat dans les prochaines années.
M. le président Charles Rodwell. Merci à tous pour vos interventions. Vous avez permis de nuancer un peu le constat dressé par M. Tanguy, puisque vous avez accompagné la création de près de 3 millions d’emplois au cours des sept dernières années.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Le solde d’emplois créés est de 130 000 dans le secteur industriel.
M. le président Charles Rodwell. Ah non ! Je parle bien d’une création nette de 2,7 millions d’emplois, à l’échelle du pays, en grande partie grâce à votre accompagnement.
Vous pouvez compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer cette table ronde et en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à notre commission d’enquête.
La séance s’achève à dix-huit heures cinq.
Présents. – M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber
Excusé. – M. Éric Michoux