Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company (ACC), M. Matthieu Hubert, secrétaire général, et Mme Natasha Castro Pouget, directrice des affaires publiques 2
– Présences en réunion................................16
Lundi
14 avril 2025
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 26
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
M. le président Charles Rodwell. Nous concluons cette journée d’auditions en entendant trois représentants d’ACC – Automotive Cells Company. Créée en 2020 par le groupe Stellantis et Total, rejointe ensuite par Mercedes-Benz, ACC développe et fabrique des batteries lithium-ion, notamment à Douvrin et Billy-Berclau dans le Pas-de-Calais. Les batteries représentent aujourd’hui un enjeu majeur pour la décarbonation de l’automobile et se trouvent au cœur de la compétition économique mondiale, particulièrement face à la Chine.
Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Yann Vincent, M. Matthieu Hubert et Mme Natasha Castro Pouget prêtent serment.)
M. Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company (ACC). ACC a été créée en 2020 à l’initiative de PSA, devenu depuis Stellantis, et de Saft Total, avec l’ambition stratégique clairement affirmée de concevoir et fabriquer des batteries pour véhicules automobiles en Europe. Cette décision s’est imposée face au constat qu’à l’aube d’une transformation profonde vers une mobilité électrique, il devenait inconcevable de dépendre exclusivement d’un approvisionnement asiatique, voire uniquement chinois, pour un composant aussi essentiel que la batterie, celle-ci représentant en effet environ 40 % du coût d’un véhicule électrique et jouant un rôle déterminant dans ses performances.
La situation mondiale a, depuis lors, peu évolué, puisque cinq ou six entreprises chinoises figurant parmi les dix principaux acteurs du secteur concentrent encore à elles seules 65 % des parts de marché. Les entreprises coréennes, quant à elles, en détiennent entre 20 % et 25 %, tandis que le reste revient essentiellement à des acteurs japonais, avec Panasonic, et américains, avec Tesla.
Le projet d’ACC s’inscrit également dans une dynamique stratégique européenne, ce dont témoigne la subvention obtenue dans le cadre du projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) sur les batteries. Depuis 2020, plusieurs jalons structurants ont été posés. Un centre de recherche et développement a été établi à Bordeaux, où travaillent environ 800 personnes, tandis qu’une usine pilote a été construite à Nersac, près d’Angoulême, pour un investissement de 135 millions d’euros. Cette dernière est équipée, à l’échelle 1, des mêmes installations que celles déployées dans notre giga-usine ou gigafactory.
La première gigafactory d’ACC, dont la construction a commencé au début de l’année 2022 et s’est achevée fin 2023, impressionne par ses dimensions, puisque le premier bloc mesure 600 mètres de long, 100 mètres de large et atteint 35 mètres de hauteur. Depuis le début de l’année 2024, l’usine produit ses premières batteries, dans un premier temps afin de permettre à notre client principal, Stellantis, d’homologuer ses véhicules et de valider le produit. Depuis septembre dernier, ces batteries équipent des véhicules de série, notamment les nouveaux Peugeot 3008 et 5008, le nouvel Open Grandland ainsi que, prochainement, la Citroën DS8.
Nous nous trouvons actuellement dans une phase de montée en cadence de cette première unité, tandis qu’un deuxième bloc est en cours de construction à proximité. Cette gigafactory, implantée sur des terrains à Billy-Berclau et Douvrin, cédés par Stellantis, constitue une réponse partielle mais significative au défi social que la diminution progressive de la production de moteurs thermiques aurait inévitablement posé.
À ce jour, ACC emploie 2 100 personnes, réparties entre plusieurs sites. Environ 800 travaillent à Bordeaux au sein du centre de recherche, 200 à 250 sont affectées à l’usine pilote, une cinquantaine sont basées à Paris et le reste de l’effectif exerce ses fonctions dans l’usine principale, où les recrutements se poursuivent activement afin d’accompagner la montée en puissance de l’activité.
M. le président Charles Rodwell. La pertinence même de la production de batteries électriques sur le sol européen suscite aujourd’hui des débats politiques nourris. Fort de votre expérience acquise au cours des cinq dernières années, depuis les prémices du projet jusqu’à l’entrée en production actuelle, ne pensez-vous pas que l’Europe, et la France en particulier, interviennent trop tard pour espérer produire des batteries électriques véritablement compétitives à l’échelle mondiale ?
Vous avez par ailleurs évoqué le PIIEC, au sein duquel vous êtes impliqué. Ce dispositif, reposant sur une collaboration entre l’État et les entreprises, a permis de financer une partie de vos infrastructures. Estimez-vous que ce type de partenariat constitue une réponse pertinente pour soutenir et structurer le réarmement industriel de notre pays et de notre continent, en particulier dans des domaines technologiques fondamentaux tels que les batteries, mais également la production d’hydrogène ou les semi-conducteurs ?
M. Yann Vincent. S’agissant de votre première question, ma conviction repose sur plusieurs éléments. À ce jour, le véhicule électrique constitue la seule solution réellement efficiente pour parvenir à une mobilité individuelle propre. L’analyse de l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule, depuis l’extraction minière jusqu’à sa fin de vie, en passant par les étapes de fabrication et d’usage, démontre un bilan globalement favorable comparé aux véhicules thermiques. Ce constat reste valable même lorsque l’énergie utilisée pour la fabrication des batteries ou pour recharger le véhicule est carbonée, ce qui, par ailleurs, n’est pas le cas en France. J’estime qu’à terme, cette solution finira par s’imposer, dès lors que les obstacles à son déploiement auront été levés. À mes yeux, deux obstacles principaux subsistent. Le premier tient au prix, qui demeure aujourd’hui sensiblement plus élevé que celui des véhicules thermiques. Le second concerne les infrastructures, ou plutôt les incertitudes qui persistent à leur sujet, avec des disparités encore très marquées selon les pays européens. Je suis donc convaincu que le véhicule électrique se généralisera.
Il importe de rappeler que la batterie représente environ 40 % du coût total du véhicule électrique. Entre 2005 et 2010, la Chine a pris une décision stratégique forte en orientant résolument son industrie vers le véhicule électrique. Ce choix s’expliquait par une double ambition, qui était à la fois de réduire sa dépendance au pétrole et de compenser son retard dans la production de véhicules thermiques, encore dominée à l’époque par les entreprises chinoises et occidentales. Ce positionnement précoce a permis l’émergence d’un écosystème complet, maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis les équipements industriels jusqu’aux entreprises chimiques fournissant les produits nécessaires, en passant par le raffinage et la production de cellules.
Dans ce contexte, est-il viable à long terme que les constructeurs automobiles européens s’approvisionnent exclusivement auprès d’acteurs chinois pour un composant qui représente une part aussi considérable du prix du véhicule ? Au-delà des importants risques géopolitiques qu’impliquent cette dépendance, cette situation place les entreprises européennes dans une forme de vulnérabilité stratégique, puisque les fournisseurs chinois pourraient, à l’avenir, imposer à l’envi des hausses tarifaires considérables. L’enjeu fondamental ne réside donc pas uniquement dans la fabrication des batteries, mais dans la préservation même de l’industrie automobile européenne.
S’agissant du retard accumulé, il est exact que nos concurrents bénéficient d’une avance de quinze ans. Lorsque nous avons lancé notre entreprise en 2020, nous nourrissions l’espoir de pouvoir compenser ce décalage en accélérant grâce à une stratégie reposant sur des partenariats avec des universités, des laboratoires et des industriels européens. Il faut toutefois reconnaître que, dans le même temps, nos concurrents ont également renforcé leur maîtrise technologique, notamment en consolidant leurs propres partenariats académiques, avec le soutien d’institutions d’une ampleur sans commune mesure avec celles que nous pouvons mobiliser en Europe. Nous avons donc dû nous résoudre à admettre que ce retard ne pourrait être comblé uniquement par nos moyens propres, même avec l’appui de nos importants actionnaires tels que Saft. C’est pour cela que nous avons choisi de nouer des partenariats avec des entreprises chinoises. Un accord a d’ores et déjà été conclu dans le but de nous accompagner dans notre montée en cadence, avec la présence, depuis quelques semaines, de représentants d’un fabricant chinois de cellules sur notre site.
Nous avons aujourd’hui la conviction que les rôles se sont inversés car, de professeurs, nous sommes passés à élèves. Il devient dès lors essentiel de favoriser des transferts de technologies vers l’Europe, en promouvant la création de coentreprises, selon un modèle inspiré de ce qu’ils ont eux-mêmes mis en œuvre dans le secteur automobile ou dans des domaines connexes comme le ferroviaire. Une telle démarche permettra d’accélérer notre propre montée en compétence.
Nous sommes actuellement en discussion avec ces entreprises chinoises pour envisager des coopérations allant au-delà de l’accompagnement dans la phase de montée en cadence. Nous étudions la possibilité de développer ensemble des batteries économiquement plus compétitives, voire d’envisager une industrialisation conjointe. À ce jour, seule la collaboration sur la montée en cadence est actée, toutes les autres pistes demeurent ouvertes.
S’agissant du PIIEC, il faut comprendre que cette industrie est confrontée à trois difficultés majeures. Elle est fortement capitalistique, elle présente une complexité technique élevée et elle cible un marché, celui de l’automobile, dont les marges sont historiquement très faibles. Aussi, sans le soutien déterminé de la puissance publique, ce projet n’aurait tout simplement jamais pu voir le jour. Nous avons bénéficié d’un montant total d’aides publiques avoisinant les 850 millions d’euros, comprenant notamment 35 millions apportés par la région Nouvelle-Aquitaine, 121 millions en provenance des Hauts-de-France et le solde versé par l’État. La construction du premier bloc de production a nécessité un investissement d’un milliard d’euros. Le second bloc, dont le chantier débutera en fin d’année, mobilisera une enveloppe équivalente. Ces chiffres illustrent à quel point l’intervention publique a été déterminante dans la concrétisation de ce projet.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Le PIIEC étant un instrument encore relativement récent, quels en sont, selon vous, les atouts et les inconvénients ? Quel retour d’expérience pouvez-vous partager à ce sujet ? Il est souvent fait état d’une certaine lourdeur administrative, notamment en ce qui concerne les nombreux échanges avec la Commission européenne pour obtenir les autorisations nécessaires. À votre connaissance, quels seraient les points susceptibles d’être améliorés dans ce processus ?
M. Yann Vincent. L’un des aspects les plus positifs du PIIEC réside dans le fait qu’il permet de bénéficier de subventions dérogatoires au droit commun. Les montants que j’ai mentionnés n’auraient, en effet, jamais pu être obtenus dans le cadre d’un dispositif classique. Toutefois, le montage du dossier s’est effectivement révélé particulièrement complexe et long, puisqu’il a nécessité environ un an et demi de travail. Si certains aspects peuvent donc s’avérer délicats ou lourds à gérer pour une entreprise industrielle, ce dispositif reste néanmoins très bénéfique, dans la mesure où il permet d’accéder à des montants d’aides particulièrement significatifs.
M. Matthieu Hubert, secrétaire général d’Automotive Cells Company (ACC). Après plus de quatre années d’existence, notre entreprise est désormais confrontée aux réalités concrètes du marché et de la production de batteries à grande échelle. Le dispositif du PIIEC, qui présentait initialement une réelle pertinence pour poser les fondements techniques et industriels du projet, ne correspond plus tout à fait aux exigences de notre situation actuelle. À mesure que nous entrons dans une phase de montée en cadence, ce mécanisme ne permet plus de répondre à nos besoins. Il devient donc nécessaire de concevoir de nouveaux outils de soutien, ce que nous nous efforçons actuellement d’expliquer à la Commission européenne. La période que nous traversons s’avère particulièrement exigeante sur le plan financier et le PIIEC ne permet pas de couvrir les coûts associés à cette nouvelle étape de notre développement.
Nous faisons face à deux défis principaux. Le premier consiste à assurer le financement de la montée en cadence, sur une période estimée à environ deux ans. Le second, qui dépasse le cadre du PIIEC comme celui de notre situation présente, consiste à garantir la compétitivité de nos produits face à l’offre asiatique, déjà bien implantée sur le marché, lorsque nous aurons atteint une production à très grande échelle. Il apparaît clairement que les outils d’accompagnement indispensables pour faire face à ces défis n’existent pas encore. Il s’agit là de l’une des limites du PIIEC, qui permet effectivement de créer les conditions de démarrage d’un projet, mais ne prévoit aucun accompagnement structurant sur l’ensemble de sa trajectoire ni à chacune des étapes de son développement.
M. Yann Vincent. J’ai la conviction que nous serons en mesure d’atteindre, dans un avenir relativement proche, un niveau de compétitivité comparable à celui des batteries chinoises fabriquées en Chine. À ce jour, l’écart de prix s’élève à environ 25 %, mais je suis persuadé que nous pourrons réduire cette différence à un niveau acceptable, compris entre 0 et 5 %, dans un délai de cinq ans.
Pour atteindre cet objectif, plusieurs leviers doivent être activés, certains relevant de notre responsabilité directe, d’autres appelant une intervention des pouvoirs publics. Le premier concerne le coût de l’énergie, puisque la fabrication des batteries constitue une activité fortement consommatrice d’électricité. Le coût moyen de l’énergie en Europe s’élève actuellement à 190 euros par mégawatheure. La France bénéficie d’une situation plus favorable, avec un coût avoisinant 100 euros par mégawatheure. Toutefois, la Chine et les États-Unis disposent d’un avantage compétitif significatif, avec un coût énergétique estimé à 50 euros par mégawatheure. Il apparaît donc indispensable de consentir un effort important sur ce paramètre.
Le second levier concerne l’approvisionnement en matières premières critiques. Les acteurs chinois bénéficient d’accords conclus d’État à État pour l’accès au nickel, au cobalt ou encore au lithium, et détiennent parfois des actifs en propre dans ces territoires. Cette stratégie leur permet de se procurer ces ressources au coût de fabrication, auquel s’ajoute une marge minime, plutôt qu’aux prix du marché. Cet avantage est considérable et j’estime qu’il est impératif que l’Europe adopte une posture équivalente afin de sécuriser ses approvisionnements stratégiques.
Un dernier levier, fondamental lui aussi, réside dans notre capacité collective à innover. Il serait, selon nous, pertinent de regrouper les ressources d’ingénierie qui demeurent aujourd’hui éparpillées à travers l’Europe. L’avenir de Northvolt en Suède demeure incertain, mais son centre de recherche et développement se distingue par la qualité de ses infrastructures et de son personnel. D’autres initiatives sont en cours, notamment chez Verkor, au sein de notre propre entreprise ou encore chez PowerCo, porté par Volkswagen. Cependant, nos moyens restent limités au regard de ceux des géants chinois. Le leader mondial, CATL, emploie à lui seul 20 000 ingénieurs en recherche et développement, un seuil que nous ne pourrons jamais atteindre individuellement. C’est pour cela que nous avons engagé des discussions avec nos homologues européens en vue d’une éventuelle mutualisation des efforts.
Je reste convaincu que la mise en œuvre coordonnée de ces différents leviers nous permettra d’atteindre une compétitivité raisonnable face à la Chine. Toutefois, se pose immédiatement la question de notre stratégie à court terme, car nous ne pouvons raisonnablement pas proposer à nos clients des batteries affichant un coût supérieur de 25 % à celui des produits chinois. C’est la raison pour laquelle nous plaidons en faveur de mécanismes de soutien temporaire, à l’image de ceux déployés dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis. Nous pensons notamment à des aides à la production versées sous forme d’un montant forfaitaire, exprimé en euros par kilowattheure produit. Un tel dispositif permettrait de compenser, de manière transitoire, notre désavantage concurrentiel, le temps que nous parvenions à résorber cet écart grâce à nos propres efforts, complétés par un appui public structurant.
M. le président Charles Rodwell. Pouvez-vous nous décrire la stratégie adoptée par vos concurrents américains concernant la production nationale de batteries et le financement, notamment leur capacité à mobiliser des capitaux privés pour déployer leur propre industrie de batteries électriques ? Quelles comparaisons effectueriez-vous avec votre propre émergence au cours des cinq dernières années ?
M. Yann Vincent. Nous avons étudié à plusieurs reprises, de manière approfondie, l’éventualité d’une industrialisation en Amérique du Nord. Cette réflexion a été amorcée dès le début de l’année 2021, en raison de l’évolution des normes relatives aux émissions de CO₂ aux États-Unis. Ces modifications réglementaires prévoyaient qu’à compter du début de l’année 2025, les constructeurs souhaitant commercialiser leurs véhicules sur le marché américain devraient proposer une proportion plus importante de modèles électriques, ce qui impliquait mécaniquement la nécessité d’implanter une capacité de production de batteries sur le continent nord-américain.
Cette étude a donc été conduite dès les premiers mois de 2021, à l’initiative de PSA, qui exprimait alors un besoin spécifique en ce sens. Nous avons finalement pris la décision de ne pas engager ce projet. Je considère rétrospectivement que cette décision fut heureuse, non pas en raison des récentes incertitudes entourant les dispositifs incitatifs à l’achat de véhicules électriques, mais parce qu’une double implantation, en Europe et aux États-Unis, aurait immanquablement fragilisé la qualité de nos opérations. Une telle simultanéité aurait représenté une charge organisationnelle et industrielle considérable, que nous n’aurions probablement pas été en mesure d’assumer dans de bonnes conditions.
À la suite de cette décision de ne pas nous implanter sur le territoire américain, Stellantis a été contraint de rechercher d’autres solutions. L’entreprise a ainsi conclu deux coentreprises ou joint-ventures, l’une avec LG, en vue de construire une usine en Ontario au Canada, et l’autre avec Samsung, pour une implantation aux États-Unis, dans l’Indiana. Ces décisions remontent à l’année 2021, une période antérieure à l’instauration des mesures d’application de l’IRA.
À la fin de l’année 2023, nous avons procédé à une nouvelle évaluation de ce scénario, dans un contexte cette fois marqué par l’entrée en vigueur des dispositifs IRA. Ces mesures auraient pu permettre un investissement rentable, ou du moins de compenser une partie substantielle des surcoûts liés à la construction d’une usine sur le territoire américain. Toutefois, nous avons à nouveau choisi de ne pas donner suite en raison, tout d’abord, des incertitudes croissantes qui émergeaient quant à l’avenir du véhicule électrique aux États-Unis et des orientations que pourrait adopter la nouvelle administration présidentielle. Stellantis considérait en outre que les capacités issues de ses deux coentreprises avec LG et Samsung lui garantissaient une couverture suffisante à court terme. Ces éléments nous ont conduits à privilégier la consolidation de notre présence en Europe plutôt que l’ouverture d’un nouveau front industriel en Amérique du Nord.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui semblent s’expliquer principalement par deux facteurs. Le premier tient à un ralentissement significatif de la demande sur le marché européen des véhicules électriques, dû notamment la diminution du pouvoir d’achat, à la réduction progressive des dispositifs incitatifs à la consommation ou à la montée en puissance de la concurrence exercée par les véhicules électriques chinois sur le marché européen. Le second facteur, d’ordre structurel, relève davantage de l’organisation interne de votre entreprise, puisque vous avez initialement fait le choix de privilégier un certain type de batterie, au détriment des batteries lithium-fer-phosphate (LFP).
Comment interprétez-vous une telle situation ? S’agit-il d’une défaillance initiale dans la définition du cahier des charges, tel qu’il a été intégré à votre modèle économique ? Ou s’agit-il plutôt d’un marché en mutation extrêmement rapide, dont le rythme d’évolution aurait pu dépasser les anticipations stratégiques formulées au moment du lancement du projet ? Il est également permis de s’interroger sur les délais d’instruction et de mise en œuvre du dispositif PIIEC. Ces délais ont-ils pu retarder votre mise sur le marché et entraver le temps du business par une forme d’alourdissement administratif, venant s’ajouter au retard technologique plus général que l’Europe accuse encore vis-à-vis de la Chine ?
M. Yann Vincent. Bien que notre choix technologique, à savoir l’utilisation de batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC) demeure pleinement pertinent, il est néanmoins nécessaire d’élargir notre gamme de produits à une solution plus économique, possiblement fondée sur la technologie LFP.
Notre projet industriel prévoyait initialement la construction de cinq blocs de production, avec deux dans les Hauts-de-France, à Billy-Berclau et Douvrin, un en Allemagne et deux en Italie. Ce déploiement, soutenu par un financement structuré en mode projet, reposait sur la signature de quatre contrats avec nos partenaires Stellantis et Mercedes, garantissant une utilisation optimale des capacités de ces cinq blocs. Nous étions ainsi prêts à lancer la construction du site allemand en mai 2024, puis celle du site italien à la fin de la même année. Mais entre février et mai 2024, plusieurs signaux alarmants sont venus remettre en question la stabilité du marché. L’exemple le plus marquant est celui de l’Allemagne, où une décision gouvernementale, prise en décembre 2023, a conduit à la suppression immédiate des subventions à l’achat, provoquant un effondrement brutal du marché. Une dynamique comparable est observable en Espagne et en Italie, où l’absence d’incitations financières a conduit à une pénétration très faible du véhicule électrique, qui ne représente que 3 à 4 % des ventes.
Face à ces incertitudes, et en étroite concertation avec nos clients actionnaires, Mercedes et Stellantis, nous avons considéré qu’il était plus prudent de suspendre les projets de construction en Allemagne et en Italie. En conséquence, notre capacité de production, initialement prévue à hauteur de 75 gigawattheures, a été ramenée à 30 gigawattheures, cette réduction s’expliquant par le passage de quatre à trois contrats actifs. Malgré cette diminution, nous ne rencontrons à ce jour aucune difficulté en matière de charge d’activité.
Dans le même temps, nos clients constructeurs nous ont sollicités pour développer une solution plus économique, sous la forme de la technologie LFP. Son processus de fabrication étant comparable à celui des batteries NMC, avec seules les composantes chimiques qui diffèrent, cela rend possible une reconversion d’une ligne de production vers l’autre sans difficulté majeure.
Notre analyse du marché nous conduit à envisager une coexistence durable des deux technologies. Le LFP, bien qu’économiquement plus avantageux, présente une densité énergétique moindre, ce qui se traduit par une autonomie réduite. Cette caractéristique peut convenir à certains usages, mais d’autres exigeront une autonomie plus importante. Nos prévisions à l’horizon 2030 tablent sur une répartition de 70 % pour la technologie NMC et de 30 % pour le LFP. Ces estimations peuvent évoluer mais il est peu probable que le LFP remplace totalement le NMC.
Il convient également de ne pas occulter les limites du LFP. Son recyclage, en l’état actuel, n’est pas économiquement viable, car les matériaux récupérés présentent une faible valeur marchande. À ce jour, il n’existe d’ailleurs aucune filière de recyclage pour cette technologie en Europe. De surcroît, la chaîne d’approvisionnement du LFP reste encore largement à structurer.
En conclusion, nous considérons que notre choix initial en faveur du NMC ne constitue pas une erreur stratégique. Nos deux principaux clients continuent d’exprimer des besoins concernant les deux technologies, même si nous ne sommes pas encore en mesure de proposer une offre LFP. Notre stratégie consiste à répondre à cette double demande, afin de nous adapter aux évolutions d’un marché en pleine transformation.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Concernant l’obligation de diffusion des connaissances dans le cadre des PIIEC pour servir de vecteur à la R&D européenne, ne pensez-vous pas que cette pratique pourrait révéler une certaine naïveté européenne ? N’existe-t-il pas un risque de fuite de technologies vers des organisations européennes, voire vers des puissances concurrentes extra-européennes ?
M. Matthieu Hubert. Je ne pense pas que cette préoccupation soit fondée. En tant que président du groupe de facilitation du programme PIIEC, je peux affirmer que les partenariats sont effectivement encouragés, mais dans un cadre juridique très strict. Des accords de confidentialité ou Non Disclosure Agreement (NDA) sont mis en place entre les acteurs, limitant la divulgation d’informations à un cercle très restreint.
Les rapports produits par chaque acteur auprès de son État membre, dans notre cas la France à la direction générale des entreprises (DGE), sont hautement confidentiels. Je n’ai pas accès aux rapports de mes collègues et partenaires, ce qui démontre le cloisonnement rigoureux des informations. De plus, nous appliquons une logique de protection de la propriété intellectuelle par le biais de brevets dans chaque pays.
Je ne suis donc pas inquiet quant au risque de fuite ou à une supposée naïveté. Nous opérons dans un système d’échanges très organisé et réglementé et aucun acteur n’a intérêt à divulguer des informations au-delà du cercle autorisé.
Mme Natasha Castro Pouget, directrice des affaires publiques d’Automotive Cells Company (ACC). J’ajoute que ce système présente l’avantage de favoriser la coopération entre le secteur public et le secteur privé. Il offre un cadre d’échanges pratique et efficace entre des institutions publiques telles que le CNRS et des organisations privées comme la nôtre. Ce dispositif stimule donc la réflexion collective plutôt que de la contraindre.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ne pensez-vous toutefois pas que l’expérience du groupe ACC, qui poursuit un objectif tout à fait légitime de développement d’une autonomie stratégique dans le domaine de la fabrication de batteries électriques, met également en lumière les limites de cette approche ? Dès lors que nous reconnaissons un retard technologique estimé à une ou deux générations par rapport à la Chine, ne conviendrait-il pas d’envisager dès l’origine une stratégie fondée sur le transfert de technologie ?
Une telle démarche consisterait à conditionner l’implantation industrielle et le transfert technologique sur le territoire européen, en vue de développer et de perfectionner ces technologies en y intégrant nos propres savoir-faire en matière d’innovation. Dès lors, l’exemple d’ACC ne plaide-t-il pas en faveur d’une telle orientation, plutôt que pour un investissement massif, engagé dès le départ, dans une technologie où notre retard structurel reste particulièrement marqué ?
Cette stratégie pourrait s’apparenter à celle que suivent certains pays en voie de développement dans des domaines technologiques ciblés, qui visent d’abord l’implantation, avant de procéder à une appropriation et à une adaptation locale des solutions importées.
M. Yann Vincent. Je suis malheureusement enclin à partager votre point de vue. Lorsque PSA s’est engagé dans ce partenariat avec Saft Total, l’entreprise ne possédait aucune expertise en matière de batteries. Saft, bien qu’excellente dans des marchés de niche tels que le spatial, le militaire et le ferroviaire, opère sur des segments différents de l’automobile, notamment en termes de volumes de production. À l’époque, nous avons considéré que ce partenaire français était le choix idéal. Avec le recul, je dois admettre que si c’était à refaire, nous procéderions différemment.
Mme Natasha Castro Pouget. Je tiens à insister sur l’importance déterminante d’une industrie contrôlée par des acteurs européens, car elle permet l’émergence d’un véritable écosystème industriel sur le sol européen. Si nous envisagions le scénario dans lequel des entreprises chinoises viendraient implanter leur production en France ou, plus largement, en Europe, il est hautement probable que la chaîne de valeur resterait en grande partie localisée en Chine. En adoptant une vision plus large, il apparaît clairement que notre démarche actuelle permet à l’Europe, ainsi qu’aux territoires concernés, de se doter d’une opportunité unique pour développer l’ensemble de la chaîne de valeur sur le continent.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’adhère pleinement à vos propos. Il est en effet primordial d’associer des entreprises françaises et d’autres pays européens, tout en conditionnant l’accès au marché européen à un transfert de technologie. Cette stratégie s’inspire d’ailleurs de la méthode française appliquée avec l’Inde ou le Brésil dans le cadre de livraisons de Rafale ou de sous-marins. Je suis convaincu que d’une situation initialement perçue comme une erreur peut émerger un résultat positif. Nous avons tout intérêt à nous développer dans de multiples secteurs, en reconnaissant que des transferts de technologie sont parfois nécessaires.
M. le président Charles Rodwell. Quelle analyse faites-vous des mesures de rétorsion prises par la Commission européenne concernant l’importation de véhicules électriques chinois ? Considérez-vous ces mesures comme viables et correctement calibrées ? Pensez-vous qu’elles soient réellement de nature à stimuler la production de véhicules électriques sur le sol européen ? Concrètement, ont-elles un impact bénéfique sur votre production ?
M. Yann Vincent. Le soutien à notre production repose principalement sur la dynamique de la demande en batteries, laquelle demeure étroitement corrélée au développement du marché des véhicules électriques. Si les mesures tarifaires appliquées à l’entrée sur le territoire européen peuvent effectivement favoriser l’industrialisation sur notre continent, notamment à travers l’arrivée de projets portés par des constructeurs chinois tels que BYD ou Chery, ces derniers devront, dans tous les cas, s’approvisionner en batteries produites localement en Europe. À ce titre, j’estime que ces mesures pourraient s’avérer bénéfiques, à condition toutefois qu’elles demeurent limitées.
Cela dit, un défi majeur se pose aujourd’hui aux constructeurs automobiles européens. L’écart de prix observé entre un véhicule chinois et un véhicule européen, à niveau de prestation équivalent, s’élève actuellement à environ 30 %. Il apparaît dès lors indispensable que nos constructeurs parviennent rapidement à identifier des leviers permettant de résorber cette différence.
S’agissant de l’éventualité d’une taxation des batteries chinoises importées en Europe, je considère qu’il s’agirait d’une erreur stratégique. À ce jour, nous faisons face à un écart de prix de l’ordre de 25 % entre les batteries produites en Chine et les nôtres. Pour combler cette différence, nous pouvons soit renchérir artificiellement le produit concurrent par l’instauration d’une taxe, ce qui présenterait, du point de vue des finances publiques, un intérêt immédiat, soit adopter une logique de soutien à la production, à l’image du dispositif américain de l’IRA.
Je suis cependant convaincu qu’une taxation des batteries aurait des effets particulièrement dommageables pour les constructeurs automobiles européens tels que Stellantis, Renault ou Mercedes, qui continueront encore pendant quelque temps à s’approvisionner en Chine. Imposer une augmentation des coûts sur les batteries qu’ils importent ne ferait donc qu’aggraver les difficultés auxquelles ils sont déjà confrontés.
M. le président Charles Rodwell. Il me semble que les taxes mises en œuvre par la Commission européenne portent sur les produits finis, c’est-à-dire les véhicules électriques chinois complets, et non sur les batteries, précisément pour la raison que vous venez d’évoquer. Avez-vous un retour sur l’impact de cette taxation des véhicules électriques finis ?
M. Yann Vincent. Cette question relève davantage de la compétence des constructeurs automobiles.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Effectivement, des droits de douane allant jusqu’à 35 % étaient appliqués aux véhicules électriques chinois à leur entrée sur le marché européen. Malheureusement, nous avons récemment appris que l’Union européenne acceptait d’engager des négociations avec la Chine en vue d’une suppression de ces taxes. J’espère sincèrement que ces discussions n’aboutiront pas, car ces barrières douanières constituent encore un rempart, certes fragile, mais essentiel, à la protection de notre industrie.
Votre entreprise a connu une croissance d’une rapidité remarquable, rendue possible par des efforts publics considérables, tant au niveau national qu’européen et régional. Elle représente aujourd’hui près de 2 000 emplois, ce qui en fait un acteur économique de premier plan. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées au cours de cette montée en puissance rapide ? Nous avons déjà abordé les enjeux technologiques, mais qu’en est-il du capital humain ? Avez-vous rencontré des obstacles particuliers en matière de recrutement et de formation ? J’imagine que vous avez dû déployer un effort de formation conséquent pour accompagner cette dynamique.
M. Yann Vincent. La situation est, en effet, particulièrement complexe. Notre effectif actuel, qui compte environ 2 100 personnes, se base sur un ensemble remarquablement diversifié, puisque pas moins de 54 nationalités sont aujourd’hui représentées au sein de notre entreprise. Bien que la majorité de nos salariés soient français, nous comptons également un nombre significatif de collaborateurs originaires d’Asie ainsi que d’autres nationalités.
La première difficulté majeure à laquelle nous avons été confrontés tient au fait que cette industrie n’existait pas auparavant en Europe. Il nous a donc fallu recruter un nombre très limité de personnes disposant d’une expérience préalable dans des entreprises coréennes ou chinoises spécialisées dans le secteur des batteries.
Le second point, qui s’est finalement révélé être un véritable atout, concerne notre usine pilote située à Nersac. Nous sommes partis d’un terrain vierge pour y ériger une installation de 25 000 mètres carrés, équipée à l’échelle 1 des mêmes machines que celles que nous utilisons aujourd’hui à Billy-Berclau et Douvrin. La seule différence réside dans le nombre d’unités installées, les fournisseurs et les équipements étant identiques. Cette stratégie a été déterminante, car elle nous a permis de nous approprier la maîtrise de ces équipements, de les ajuster avec précision et, surtout, de former efficacement nos équipes. À l’heure actuelle, une part importante de nos nouvelles recrues, en particulier parmi les agents de maîtrise, est préalablement formée à Nersac.
Le troisième défi, plus structurel, concerne la maintenance. Nous rencontrons encore aujourd’hui des difficultés importantes pour recruter des professionnels qualifiés dans ce domaine. Bien que nos machines présentent certaines spécificités techniques, le socle de compétences requis demeure proche de celui qui peut se trouver dans des secteurs comme l’industrie pharmaceutique, les semi-conducteurs ou l’automobile. Or les profils possédant ce type de savoir-faire restent particulièrement rares sur le marché du travail.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Nous entendons souvent dire que pour la filière hydrogène, qui en est également à ses débuts, environ 20 % des ressources humaines nécessitent des compétences spécifiques liées à la molécule d’hydrogène, tandis que 80 % relèvent du socle de compétences de base telles que sidérurgie, mécanique, tuyauterie ou robinetterie. Êtes-vous en mesure d’établir une répartition similaire pour la filière batterie, en distinguant les compétences de base, applicables à diverses industries, de celles spécifiques à votre développement industriel ?
M. Yann Vincent. Je souhaiterais partager ici un retour d’expérience concret concernant l’acquisition de compétences dans notre secteur d’activité. Nous avons constitué une petite entité de vingt personnes en Chine, dont la mission principale consiste à servir d’interface entre notre groupe et nos fournisseurs chinois d’équipements ou de composants. Il y a environ dix-huit mois, nous avons chargé cette entité d’identifier une dizaine d’experts ayant une expérience significative au sein de gigafactories chinoises, susceptibles d’intégrer nos équipes. À l’issue de ce processus, nous avons recruté dix consultants expérimentés. Dans un premier temps, leur intervention sous forme de prestations de conseil s’est révélée décevante, tant de leur point de vue que du nôtre. Ils avaient le sentiment que nous ne mettions pas en œuvre leurs recommandations, tandis que, de notre côté, nous ne constations aucune amélioration sensible dans les résultats obtenus. Face à cette impasse, nous avons pris la décision de leur confier la responsabilité directe d’une partie du processus de production. Depuis le début de l’année, les résultats enregistrés sont tout à fait spectaculaires. Parmi ces douze experts, trois ont été recrutés en contrat permanent, tandis que les neuf autres poursuivent leur mission dans le cadre de prestations. Les performances qu’ils atteignent dépassent nettement celles que nos équipes françaises étaient en mesure de réaliser jusqu’à présent. Nous nous trouvons actuellement dans une phase de transfert progressif de compétences vers nos équipes nationales.
Cette expérience illustre avec clarté l’existence d’une véritable courbe d’apprentissage dans notre domaine d’activité. Je considère qu’il s’agit là d’une excellente nouvelle, car cela vient conforter la pertinence des choix que nous avons effectués en matière d’équipements. Il ne suffit pas de posséder ces machines pour en tirer pleinement parti, il est nécessaire, pour savoir les exploiter, de disposer d’un niveau d’expertise élevé qui ne s’acquiert qu’avec le temps et l’expérience.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Je suis député du Nord et ma circonscription est située à proximité immédiate de Billy-Berclau, à la frontière entre le Nord et le Pas-de-Calais, non loin de votre site industriel.
Ma première question concerne le partenariat que vous avez évoqué avec une entreprise chinoise, conclu il y a environ deux semaines. Pourriez-vous nous en préciser la nature exacte ? S’agit-il d’une prise de participation au capital de votre entreprise ou plutôt d’un accord portant sur l’acquisition de technologies ?
La seconde porte sur la filière de recyclage. Votre entreprise y est-elle directement impliquée ou d’autres acteurs prennent-ils en charge cette activité, en vous fournissant ensuite des matériaux issus de ce recyclage ?
M. Yann Vincent. S’agissant de notre collaboration avec l’entreprise chinoise, il s’agit d’un contrat de prestation au terme duquel cette société met à notre disposition des experts dont les performances sont suivies à l’aide d’indicateurs précis et mesurables. Leur intervention est prévue jusqu’à la fin du mois de juillet de cette année, période à l’issue de laquelle nous procéderons à une évaluation globale de la situation. Il n’est nullement question d’une prise de participation au capital mais uniquement d’un achat de prestations de services.
Concernant le recyclage, il s’agit pour nous d’un enjeu tout à fait fondamental. Même si la responsabilité principale, au moment où les batteries arrivent en fin de vie, incombe aux constructeurs automobiles, nous sommes néanmoins directement concernés à plusieurs niveaux. En premier lieu, nous devons assurer le recyclage de nos propres rebuts de production, qui constituent aujourd’hui la principale source d’approvisionnement des acteurs du recyclage. Par ailleurs, dans la perspective d’une généralisation à grande échelle des véhicules électriques, le recyclage deviendra un levier essentiel pour éviter l’épuisement progressif des ressources, notamment en lithium. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes fixé l’objectif ambitieux d’atteindre un taux de recyclage de 95 % pour nos batteries en fin de vie.
À ce jour, nous collaborons activement avec Umicore et Orano, qui a créé une coentreprise avec le groupe chinois XTC, en vue d’une implantation à Dunkerque. Cette entité sera chargée à la fois de produire de la matière active de cathode et d’assurer les opérations de recyclage. Ce partenariat présente pour nous un intérêt stratégique majeur, dans la mesure où nous comptons nous approvisionner auprès d’eux en matière active de cathode pour les batteries que nous produirons à destination de Mercedes, à partir de la fin de l’année 2023. Par ailleurs, le procédé de recyclage qu’ils déploient repose sur l’hydrométallurgie, une technologie plus écologique et plus efficace que la pyrométallurgie traditionnelle. Elle permet en effet d’extraire une proportion plus importante de matières à partir des batteries usagées, ce qui en renforce l’intérêt à la fois environnemental et industriel.
M. Lionel Vuibert (NI). Je souhaite connaître votre avis sur les batteries au sodium, dont certains vantent les performances. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. Yann Vincent. Les batteries sodium-ion peuvent effectivement constituer une alternative aux batteries LFP. Nous sommes actuellement en discussion avec la start-up française Tiamat, qui travaille sur cette technologie, concernant les aspects liés au processus de fabrication. Bien que de taille modeste, cette entreprise possède une expertise solide en matière de produit, héritée du laboratoire des matériaux de l’Université d’Amiens. Actuellement, Tiamat produit de petites batteries sodium-ion en Chine et nous explorons la possibilité de les fabriquer nous-mêmes.
Il faut néanmoins noter que les batteries sodium-ion présentent une densité énergétique faible. Lorsque le lithium est peu coûteux, les batteries LFP restent plus performantes. Notre intérêt pour cette technologie est donc modéré, mais nous la surveillons pour ne pas passer à côté d’une opportunité potentielle. L’avantage principal du sodium-ion réside dans sa moindre dépendance à des matières premières volatiles, le sodium étant disponible en quantité quasi illimitée.
M. le président Charles Rodwell. Pour rebondir sur vos propos concernant la coentreprise XTC-Orano, avez-vous tiré des enseignements de ce modèle pour constituer votre propre coentreprise ? Pensez-vous que ce type de partenariat devrait être étendu à d’autres secteurs de votre activité pour combler notre retard de plusieurs générations par rapport aux Chinois ?
Ensuite, concernant le projet Imerys d’extraction de lithium sur le territoire français, considérez-vous ce type d’initiatives comme vitales pour votre activité ? Existe-t-il d’autres domaines ou matériaux pour lesquels vous recommanderiez notre implication afin de faciliter ce type d’extraction ?
Enfin, que pensez-vous des dispositions que nous avons prises dans la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, notamment en termes d’accélération des procédures et de crédits d’impôt spécifiques pour une partie de l’industrie française ? Estimez-vous que ces dispositifs soient suffisamment efficaces ? Faudrait-il les étendre à une part de votre activité pour accélérer votre développement ?
M. Yann Vincent. La constitution de la coentreprise entre XTC et Orano est intervenue postérieurement à la nôtre et nous entretenons des échanges réguliers avec ces deux entités, aussi bien conjointement que séparément. Je suis convaincu que notre implantation dans la région a constitué un facteur déterminant dans leur décision de s’y établir également, ce qui représente, à mes yeux, une excellente nouvelle pour l’ensemble de notre secteur. XTC est en effet un fournisseur de tout premier plan dans le domaine des matériaux chimiques, tandis qu’Orano bénéficie d’une expertise reconnue dans le recyclage industriel. Leur proximité géographique avec notre site ouvre des perspectives réelles de collaboration technologique et d’échanges croisés en matière d’ingénierie.
Je me réjouis par ailleurs du bon fonctionnement de notre propre coentreprise, même si certaines tensions ponctuelles, que je qualifierais cependant de saines, peuvent apparaître. Total adopte généralement une posture prudente et défend une politique de maximisation des prix de vente, tandis que nos deux autres partenaires souhaitent accélérer les processus et réduire les coûts. Malgré ces différences d’approche, notre collaboration s’inscrit dans une dynamique globalement très positive.
Concernant notre approvisionnement en matières premières, il convient de préciser qu’à l’exception du graphite, nous ne procédons pas à des achats directs et passons systématiquement par des chimistes intermédiaires. Le composant le plus onéreux d’une batterie est le matériau actif de cathode (CAM) qui nous est fourni par Umicore. Pour sécuriser l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la fabrication de ce CAM, nous avons mis en place une double stratégie. Nous nous appuyons d’une part sur la politique d’achats diversifiés d’Umicore, qui se fournit auprès de plusieurs exploitations minières, et nous bénéficions d’autre part indirectement d’accords passés entre les constructeurs automobiles et certaines mines spécifiques. À titre d’exemple, Stellantis a noué un partenariat avec Vulcan, une start-up allemande qui développe une technologie d’extraction de lithium par géothermie dans la région du Rhin, tandis que Mercedes collabore avec Rock Tech, une entreprise canadienne. Le projet porté par Imerys suscite également un réel intérêt de notre part, même si nous n’envisageons pas, à ce stade, d’achats directs auprès de cette entreprise.
C’est en revanche le graphite, utilisé pour la fabrication de l’anode, autrement dit le pôle négatif de la batterie, qui constitue à ce jour notre matière première la plus critique. Or son raffinage est aujourd’hui quasi exclusivement contrôlé par la Chine, ce qui pose un problème stratégique majeur. Il apparaît donc impératif de développer en Europe une filière de production de graphite artificiel, qui pourrait notamment reposer sur l’utilisation de résidus issus de l’industrie pétrolière, ainsi que des capacités de raffinage associées. Bien que plusieurs projets européens émergent actuellement dans ce domaine, ils demeurent encore à un stade très précoce de développement.
Mme Natasha Castro Pouget. S’agissant du crédit d’impôt recherche (CIR), il convient de préciser que nous ne sommes pas encore parvenus au stade de développement nous permettant d’en bénéficier, puisque notre entreprise affiche actuellement un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement ou Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA) négatif, ce qui rend ce dispositif inapplicable à ce jour. Nous prévoyons d’y accéder pour la première fois à partir de l’année 2025, ce qui témoigne du niveau encore relatif de maturité de notre structure au regard des mécanismes d’aide existants.
Bien que nous anticipions naturellement un recours à ces dispositifs dans les années à venir, notre situation actuelle souligne combien il est crucial d’assurer un soutien adapté durant la phase de montée en puissance, une période caractérisée par des résultats fortement déficitaires en termes d’EBITDA. Cette phase transitoire constitue pour nous une période de grande vulnérabilité, qui appelle la mise en œuvre de mesures d’accompagnement spécifiques et renforcées.
Certes, les dispositifs d’aide existent, mais leur accès demeure conditionné à un certain niveau de maturité économique que nous n’avons pas encore atteint. Cette réalité justifie pleinement l’appel à des formes de soutien supplémentaires pendant cette phase critique de notre développement.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie et je vous invite à compléter nos échanges en répondant au questionnaire qui vous a été transmis ou en faisant parvenir au secrétariat tout document que vous jugeriez utile à notre commission.
La séance s’achève à dix-neuf heures quinze.
Présents. – M. Sébastien Huyghe, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Lionel Vuibert