Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des administrations et organismes publics chargés de l’instruction environnementale ou de la consultation publique des projets industriels :

 M. Marc Papinutti, président de la Commission nationale du débat public (CNDP)

 M. Laurent Michel, président de l’Autorité environnementale de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable

 M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe)

 M. Régis Passerieux, rapporteur au sein de la direction interministérielle de la transformation publique, ancien commissaire à la transition industrielle, écologique et énergétique de la zone Fos-Berre auprès du préfet des Bouches-du-Rhône              2

– Présences en réunion................................21

 


Lundi
5 mai 2025

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à dix heures trente.

M. le président Charles Rodwell. Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France par une table ronde réunissant administration et organismes publics chargés de l’instruction environnementale ou de consultation publique des projets industriels.

Je souhaite donc la bienvenue à M. Marc Papinutti, président de la Commission nationale du débat public (CNDP) ; M. Laurent Michel, président de l’Autorité environnementale de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable ; M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l’Agence de la transition écologique (Ademe) ; M. Régis Passerieux, ancien commissaire à la transition industrielle, écologique et énergétique de la zone Fos-Berre auprès du préfet des Bouches-du-Rhône.

Messieurs, je vous remercie de répondre à notre invitation. Avant de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Papinutti, Michel, Perrissin-Fabert et Passerieux prêtent serment.)

M. Marc Papinutti, président de la Commission nationale du débat public. La Commission nationale du débat public (CNDP) a été souvent évoquée dans le cadre de votre commission d’enquête sur l’examen des freins à la réindustrialisation de la France. Nous sommes une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets d’aménagement d’équipements d’intérêt national, portés par des personnes publiques ou privées, qui présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l’environnement ou l’aménagement du territoire. Son rôle consiste à assurer la participation du public et le respect de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.

La CNDP est composée de vingt membres qui représentent l’ensemble de la société, dont deux représentants d’associations environnementales. Son rôle n’est pas de se prononcer sur le fond des projets, mais simplement d’informer et d’associer le public aux décisions le concernant. La CNDP ne peut pas s’autosaisir. Elle intervient fondamentalement, dès que le projet se prépare, afin de voir si les solutions et options proposées peuvent être modifiées et que le public puisse exercer une réelle influence. Ces droits ont été consacrés et bien utilisés par les entreprises ou par les collectivités.

Nous intervenons dans une phase très en amont, bien avant les phases aval d’enquête publique et toutes les autorisations. Sur la période 2021-2023, nous avons connu trente saisines industrielles ayant entraîné des concertations et deux débats publics : sur l’eau en Île-de-France et sur le projet de mine de lithium dans l’Allier. En conséquence, les projets industriels ne génèrent pas massivement des débats publics. De plus, ces saisines industrielles sont de plusieurs types : six concernaient des extensions d’usines existantes, une trentaine portait sur des créations d’entreprises, et sept autres avaient trait à des modernisations ou des reconversions. Ces participations publiques interviennent tellement en amont que, parfois, les dossiers ne sont pas totalement prêts, ce qui provoque parfois un léger retard.

Ensuite, les entreprises nous indiquent que les saisines constituent pour elles un moyen de « s’accrocher » aux territoires ou de revenir sur des territoires qui ne disposent plus d’industries. Dans ces derniers cas, les entreprises apprécient souvent ces concertations, qui lui permettent de retisser des liens avec les territoires et les habitants.

S’agissant des équipements industriels, le délai moyen est de neuf mois entre la saisine de la CNDP et le rendu final des entreprises, selon le déroulé suivant : trois mois pour la préparation de la concertation (parfois accélérée à deux mois, voire un mois), neuf semaines pour la phase de concertation, un mois pour le rapport et deux mois pour les rendus des entreprises. Parfois, les maîtres d’ouvrage porteurs de projets ont rendu immédiatement les documents à la suite du compte rendu établi par le bilan.

M. Laurent Michel, président de l’Autorité environnementale de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable. Je souhaite évoquer devant vous le rôle de l’Autorité environnementale de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, ainsi que des missions régionales d’autorité environnementale (MRAE).

Notre rôle est défini la fois par le code de l’environnement et le code de l’urbanisme, en grande partie en application de directives européennes. Il s’agit pour nous de donner des avis émanant d’un organisme tiers, neutre et objectif sur des projets de natures diverses : infrastructures, raccordements électriques, zones d’aménagement concerté (ZAC), projets d’usines, projets industriels, secteurs nucléaires ou énergétiques. Nous travaillons aussi sur des plans et programmes des politiques publiques nationales ou locales comme les schémas de cohérence territoriale (Scot) ou les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI), par exemple.

Nous intervenons dans le cadre des procédures d’autorisation ou d’approbation, au regard de l’environnement. Nos avis sont prononcés après avoir examiné deux éléments : d’une part, la qualité et la complétude de l’étude d’impact et d’autre part, la prise en compte des enjeux environnementaux. Nous agissons avant ou pendant l’enquête publique ou la consultation, selon les types de procédures. Les textes et la pratique indiquent que ces avis ont trois types de destinataires : le public, puisque les avis rendus sont publics et peuvent fournir des éléments d’appréciation et d’information ; le maître d’ouvrage, à qui s’adresse en premier lieu les recommandations pour faire évoluer son dossier, voire son projet ; et l’autorité décisionnelle, en général le préfet pour les projets industriels au titre des installations classées. Certains projets peuvent nécessiter des autorisations de ministres, s’agissant par exemple des permis de construire. Malgré notre titre, nous ne sommes pas une autorité décisionnaire, mais plutôt une autorité qui alimente le débat à l’image de la CNDP.

Nos avis ne sont ni favorables ni défavorables à la différence d’autres organismes qui peuvent rendre des avis consultatifs, voire conformes ; ils se présentent sous forme de constats et recommandations. Au niveau national et des missions régionales, tous types de projets et programmes confondus, nous avons rendu environ 4 000 décisions pour les projets intermédiaires, dont un grand nombre de PLUI et de Scot. S’agissant de l’Autorité environnementale nationale, nous traitons environ de quatre-vingts projets par an, sur quatre grandes zones d’activité en 2024. L’année dernière, il s’agissait de sept usines intervenant dans la fabrication de biocarburants, la vente d’éoliennes en mer, la fabrication de panneaux solaires, des usines du cycle nucléaire ou de production de batteries par exemple, ainsi que la mine et l’usine de traitement du lithium Imerys dans l’Allier, précédemment évoquées par Marc Papinutti. Nous traitons également régulièrement les projets d’aménagement des zones portuaires, par exemple à Dunkerque ou Marseille récemment. Parmi les dossiers étudiés, il faut également relever de nombreuses zones d’activités, des infrastructures routières, ferroviaires, mais aussi le renforcement du réseau électrique. Les autres projets, quand ils sont soumis à évaluation environnementale, ce qui n’est pas toujours le cas, relèvent des MRAE. Le délai moyen de remise d’un avis est de deux mois, voire trois mois pour un programme de type PLUI.

Cette activité nous conduit à établir des constats sur les facteurs de difficulté, progrès et réussites dans la définition des projets, particulièrement l’importance de la planification amont dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), PLUI, Scot et schémas des grands ports. Il importe ainsi d’identifier des potentielles zones d’activité, voire de les pré-aménager, en évitant les enjeux environnementaux les plus sensibles ou en les anticipant, y compris par des compensations.

Ensuite, lorsque nous passons au niveau du projet, il s’agit de faire en sorte que cette même vision d’anticipation soit réellement itérative. Avant même d’être saisis de projets, nous sommes parfois en contact avec des porteurs de projets qui se posent un certain nombre de questions et peuvent faire évoluer leurs projets. Par exemple, récemment, deux entreprises travaillant sur le même territoire ont décidé de mener une étude d’impact unique, car elles étaient confrontées à la même problématique.

Dans le cadre du travail amont, de nombreux échanges sont conduits entre les services de l’État, les collectivités et les porteurs de projets pour identifier les enjeux, pour préparer les dossiers. Les autorités environnementales peuvent d’ailleurs intervenir lors de cette phase, puisque la loi a prévu la possibilité pour un porteur de projet de demander à l’autorité administrative un cadrage préalable, porté sous forme de questions s’adressant au préfet, à l’Autorité environnementale, ou aux deux. Cette possibilité nous permet de conduire un dialogue pour l’instruction et d’émettre un avis.

Il faut également souligner l’importance des questions internes aux porteurs de projets, le rôle de son organisation et de ses liens avec les bureaux d’études. Ces derniers doivent véritablement être associés pour identifier les enjeux et les faire prendre en compte. Il est nécessaire de disposer de compétences internes, parfois compliquées à établir, pour bien dialoguer avec ces bureaux. À ce titre, je constate une montée en puissance des bureaux d’études et des grands porteurs de projets, voire d’établissements publics ou de collectivités plus petits, en termes de capacité, de méthodologie et d’appréciation des enjeux, par exemple sur la biodiversité.

Les retours d’expérience s’accumulent, sur les planifications sur des grands espaces, au travers des Scot, des schémas des zones industrialo-portuaires, des organisations dans les grands ports, des zones à préserver, voire les éléments qui serviront à la compensation des impacts. Un des enjeux porte ainsi sur l’anticipation des raccordements de dessertes énergétiques ou de transports. Dans tous ces domaines, nous observons des démarches intéressantes.

A contrario, nous constatons encore un certain nombre de difficultés méthodologiques, voire des choix d’implantation qui contribuent à multiplier les impacts et susciter un certain nombre d’inconvénients, lesquels pourront aller jusqu’à engendrer des contentieux. En résumé, il existe encore des difficultés d’anticipation d’un certain nombre de problèmes. Des projets doivent ainsi se réorienter ou voient leur durée s’allonger en raison de contentieux. Enfin, les constats sont contrastés, mais j’imagine que nous aurons l’occasion d’aborder ces éléments, y compris au travers d’exemples.

M. Baptiste Perrissin-Fabert, directeur général délégué de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). L’Ademe est une agence de l’État, dont l’objectif consiste à accélérer la transition écologique. Dotée d’environ 1 000 équivalents temps plein (ETP), nous sommes pourvus d’une forte présence territoriale. Nos bureaux se déploient dans toutes les régions et en outre-mer ; notre siège est situé à Angers et nos antennes sont situées à Montrouge et à Valbonne.

L’Ademe exerce deux métiers principaux : l’expertise et le financement qui sont indissociables. L’Agence instruit et finance les projets. Dans ces conditions, son expertise n’est pas « hors sol » et s’appuie véritablement sur les projets qu’elle accompagne depuis des années. Cette expertise technique permet d’engager de l’argent public en obtenant un maximum d’effet sur les bons projets, grâce à notre accompagnement.

La force de notre modèle repose donc sur un continuum d’intervention très apprécié par les entreprises, qui porte sur la prospective, l’accompagnement méthodologique, les diagnostics sur les économies d’énergie, les économies de ressources, mais aussi des subventions, des études de faisabilité et des subventions aux investissements pour les projets. Notre budget repose sur différentes sources. La première source est la subvention que l’État nous confie chaque année qui permet d’alimenter principalement le fonds chaleur, le fonds économie circulaire, mais aussi la R&D, notre expertise et notre accompagnement territoriaux. Nous nous voyons également confier des budgets pour compte de tiers. Ainsi, le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) nous confie des enveloppes France 2030, le ministère de l’agriculture nous transmet également une enveloppe et nous recevons une partie du fonds Vert, à travers les dispositifs de reconquête des friches industrielles et Territoires d’industrie. En 2024, nous avons a été le premier financeur public des entreprises, à hauteur de 2,5 milliards d’euros : aujourd’hui, 75 % de notre budget est dédié à l’accompagnement des entreprises.

Le contrat d’objectif qui nous lie à l’État repose sur trois mots clés – décarbonation, souveraineté et transition juste –, lesquels guident notre doctrine d’intervention. À titre d’illustration, le fonds chaleur permet notamment de décarboner de la chaleur industrielle et d’éviter des importations de gaz fossiles ; chaque année, grâce au fonds chaleur, les économies s’élèvent ainsi entre un et quatre milliards d’euros, qui viennent améliorer notre balance commerciale. En outre, nous sommes convaincus que la décarbonation constitue un enjeu clef pour l’industrie et la pérennité des emplois.

Il convient également de mentionner l’action que nous menons pour le compte du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les éco-scores des véhicules électriques, afin de conditionner les bonus qui y sont associés. À ce sujet, nous avons créé un éco-score pour valoriser la production française et européenne. En matière de politiques publiques, il existe donc bien une convergence entre les enjeux environnementaux et les enjeux de souveraineté industrielle.

En conclusion, nous essayons à la fois d’accompagner l’industrie existante à se transformer et à se décarboner ; mais également d’inventer l’industrie dont nous aurons besoin dans un monde décarboné. Cela implique la création de nouvelles usines de la bioéconomie, la fabrication de tous les équipements nécessaires à celle-ci, des véhicules légers, des pompes à chaleur. Encore une fois, il s’agit pour nous d’un enjeu de pérennisation des emplois et de création de nouveaux emplois.

M. Régis Passerieux, ancien commissaire à la transition industrielle, écologique et énergétique de la zone Fos-Berre. La zone Fos-Berre n’avait pas enregistré depuis quarante ans d’installation de grands projets industriels, avant de connaître à partir de la fin de l’année 2021 un regain assez exceptionnel et surprenant.

Aujourd’hui, nous recensons trente-quatre projets pour au moins 15 milliards d’euros d’investissements privés, hors infrastructures publiques, sur un territoire très marqué par la problématique de décarbonation, dans la mesure où il est très orienté vers les industries fossiles. Dans cette zone, la sensibilité environnementale est également très élevée, puisqu’elle se situe au carrefour de la Camargue, de la Côte Bleue, de l’étang de Berre, de la réserve nationale de la Crau.

Le territoire concentre ainsi 25 % des émissions de CO2 nationales, trois projets nationaux d’intérêt majeur, sept concertations CNDP en un an et demi sur les projets industriels. Face à cet afflux de projets, nous avons géré le « dernier kilomètre » avec les moyens à disposition. J’y ai d’abord contribué en tant que sous-préfet de l’arrondissement d’Istres, puis comme commissaire à la transition industrielle, avec comme équipe un attaché, pour coordonner l’ensemble des administrations.

J’ai ainsi pu tirer un nombre d’enseignements très pragmatiques sur les procédures d’accueil industriel et de transformation : sur les 15 milliards d’euros d’investissements privés, 4 milliards d’euros concernent ainsi des transformations de sites, comme c’est le cas pour Arcelor dans le Nord.

Le premier enseignement concerne l’émiettement institutionnel des acteurs, notamment publics, très préjudiciable à la réussite des projets de développement et de conversion industrielle. Nous l’avons tout particulièrement perçu dans la zone Fos-Berre, où l’espace du port ne recoupe pas l’ensemble du périmètre industriel. Il n’y existe donc pas une unité de lieu, une unité institutionnelle. Il faut également mentionner un éloignement du centre de la métropole et les problèmes de transport associés ; à l’inverse de Dunkerque ou du Havre par exemple. D’expérience, il m’apparaît que ce problème d’émiettement est global.

Le deuxième enseignement, lié, est le suivant : la complexité des procédures, qui est réelle et suscite le plus grand nombre d’inquiétudes, n’est peut-être pas le problème le plus important. En effet, ce problème peut être traité en mode projet, ainsi que nous l’avons fait avant même l’application de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, qui a resserré les procédures d’instruction et de concertation en trois mois. Devant la charge de travail à laquelle nous étions confrontés, j’ai ainsi suggéré au préfet de mettre en place des comités opérationnels qui réunissaient une journée par mois l’ensemble des administrations de l’État et des opérateurs, dont l’Ademe, la SNCF, la région, la métropole, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), RTE ou Enedis. En auditionnant les entreprises et en travaillant en transversalité grâce à des comptes rendus très précis des schémas de suivi, nous avons délivré les autorisations environnementales en l’espace de sept mois et les permis de construire du projet du premier projet instruit. Celui-ci concernait les panneaux photovoltaïques de la société Carbon, dans un terrain qui n’était pas dé-risqué. En résumé, les problèmes ne portent pas tant sur les procédures elles-mêmes que les parties prenantes et les animateurs, qui peuvent les bloquer ; ils concernent plus les « freineurs » que les freins. Aujourd’hui, les procédures sont surmontables.

Le troisième enseignement est le suivant : nous ne nous sommes pas donné collectivement les moyens de trancher des contradictions juridiques, doctrinales voire idéologiques sur les points d’arbitrage à réaliser pour développer les projets industriels. Ici aussi, la problématique est liée à l’émiettement. Il existe des forces sous-jacentes, avec des commissions, des comités, des administrations différentes qui rendent des avis qui s’entremêlent, complexifient les procédures et fragilisent les contentieux. Si l’industrie constitue véritablement une priorité, il nous faut accomplir deux actions. Il s’agit de disposer, d’une part, de critères standards – je pense notamment à la démarche compensation – et, d’autre part, des autorités qui puissent trancher vite et fermement. Les choix doivent être clairs et courageux.

Le quatrième enseignement est le suivant : l’acceptabilité n’est pas un véritable problème. Nous avons su démontrer sur la zone Fos-Berre que l’accueil des projets industriels par les populations est possible si l’on associe toutes les parties en amont. Avec méthodologie, nous l’avons fait en créant le laboratoire territorial Industrie Fos-Berre, qui était pilote sur le plan national, et qui a permis de réunir à la fois les administrations, les collectivités territoriales, les citoyens et les élus. Ce travail a permis de disposer de prérequis et surtout de faire évoluer les points de vue des parties prenantes du territoire, de manière globale et adulte. Cet aspect est à mon avis tout à fait transposable dans de nombreux autres secteurs.

En résumé, les problèmes très pénalisants sont liés à l’émiettement institutionnel des acteurs et aux contradictions dans la hiérarchie des objectifs, laquelle est liée à cet émiettement ; devant la complexité des procédures et les enjeux d’acceptabilité.

M. le président Charles Rodwell. Monsieur Papinutti, quel est votre avis sur les premiers effets de la mise en œuvre de la du loi 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte ? Je pense par exemple à la parallélisation des procédures, à l’encadrement du droit au recours. Que pensez-vous de l’émiettement mentionné par M. Passerieux ? Que pensez-vous du bien-fondé de permettre aux projets industriels de rendre optionnelle la saisine de la CNDP ?

Monsieur Michel, je voudrais également vous interroger sur cet émiettement des acteurs. Par exemple, les difficultés d’analyse et de traitement rencontrées par les agents des Dreal sont souvent liées aussi à l’obligation de saisine d’un grand nombre d’autorités différentes, comme les autorités préfectorales, les autorités environnementales, les différentes administrations centrales ou déconcentrées. Pouvez-vous partager avec nous différentes recommandations sur la simplification des procédures de traitement des autorisations ?

Monsieur Perrissin-Fabert, je m’interroge sur l’efficacité et l’efficience de l’allocation des fonds qui sont accordés à l’Ademe. L’Agence a-t-elle besoin par exemple d’une équipe « Ademe international » ? Les fonds accordés à l’Agence en matière de dépenses de fonctionnement ou d’investissement sont-ils affectés de manière optimale ? Faut-il revoir une partie de ces procédures et autorisations de financement ? Le fonds Vert est-il alloué de manière optimale ?

Monsieur Passerieux, vous avez évoqué l’accélération des procédures qui a été permise à Fos-sur-Mer par l’organisation de votre laboratoire au niveau local, en associant toutes les parties prenantes. Considérez-vous que certaines d’entre elles font double emploi ? Je pense aux procédures en matière d’autorisation patrimoniale, historique, industrielle, les normes Seveso, les normes d’accès à l’eau, d’accès à l’énergie. Quelles mesures de simplification draconiennes pourrions-nous porter ?

Ensuite, les actions que vous avez déployées sur le port de Fos-sur-Mer peuvent-elles être reproduites de manière uniforme au niveau national ou faut-il laisser au contraire une marge de manœuvre nécessaire à tous les acteurs locaux pour s’organiser à l’échelle de chaque région, département, agglomération et s’adapter aux réalités de chaque échelon local ? Enfin, estimez-vous que France Expérimentation soit suffisamment connue pour offrir un cadre juridique sécurisant et répondre à des enjeux spécifiques ?

M. Marc Papinutti. L’outil présenté plus tôt par M. Passerieux, dont il a assuré l’animation de manière remarquable, a été extrêmement important pour nous. Il a été utilisé une fois à Fos-sur-Mer, mais pas à Dunkerque, dans la mesure où le territoire s’est organisé différemment. De fait, il est important de signaler que chaque territoire présente des particularités.

Ensuite, je ne peux vous renseigner véritablement sur les effets directs de la transformation de la chaîne avale, car nous intervenons très amont. La fabrication de l’avis du public tel qu’il est reporté par nos garants constitue une introduction à la partie aval. À notre niveau, les études d’impact ne sont pas complètement réalisées, le projet est souvent modifié parce qu’il n’est pas complètement construit.

Je souligne par ailleurs la remarquable préparation du débat sur la loi industrie verte. Lorsque je me suis rendu une première fois en juillet 2023 à l’une des réunions de pilotage organisées par Régis Passerieux, j’ai pu observer la force du collectif, qui est particulièrement prononcée dans les sites où l’industrie est connue. La préparation du débat est plus difficile à établir lorsque ces sites n’ont pas été industrialisés ou ont connu une désindustrialisation rapide, à plus forte raison si les sites ont laissé des traces négatives, notamment sur l’environnement.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quel regard portez-vous sur la volonté du gouvernement, que mon groupe du Rassemblement National a soutenu, de ne plus recourir à la CNDP dans le cadre des projets d’intérêt national majeur (PINM) ? Par extension, quel regard portez-vous sur la possibilité de ne plus rendre obligatoire le recours à la CNDP dans le cadre de l’installation de nouveaux projets industriels, voire d’extension ?

M. Marc Papinutti. La procédure du PINM, que j’ai vécue lors du débat sur la mine de lithium dans l’Allier, est assez éloignée des nôtres. Elle est essentiellement orientée autour de l’urbanisme. L’industriel a lui-même indiqué qu’il envisageait bien une procédure d’urbanisme pour simplifier son implantation technique.

La question de la suppression du recours à la CNDP constitue un débat actuellement mis en exergue. Les textes fondateurs de la CNDP s’attachent à l’environnement, à la possibilité offerte aux publics d’être informés et de pouvoir peser sur la décision. De manière très terre-à-terre, les entreprises se rendent dans les territoires, sur les marchés, parfois dans des supermarchés, pour présenter leurs projets. Il ne faut pas sous-estimer l’enjeu de présentation par une entreprise d’un sujet industriel complexe, parfois très novateur, à des territoires qui ne connaissent pas toujours ces sujets : par exemple, les sites classés Seveso.

Les entreprises ont besoin de ce rapport avec le territoire, et je pense que la CNDP y contribue. Nous ne donnons pas d’avis sur les projets, mais offrons un cadre permettant la qualité des échanges avec les publics. Lorsque sur un territoire, un objet nouveau s’implante, il est important de pouvoir permettre aux individus de s’exprimer. Le champ législatif est ainsi fondé sur cette logique permettant aux publics de s’exprimer. La question de la simplification serait particulièrement pertinente si la procédure actuelle faisait perdre beaucoup de temps, ce qui n’est pas le cas. En effet, le temps de la concertation intervient à un moment très en amont du projet.

Je fais partie de ceux qui pensent que nous pouvons être à côté de Business France quand des décisions se proposent, pour préparer le territoire. La présentation d’une entreprise, de son projet, de ses subtilités, de ses besoins en énergie, en mobilité, en formation me semble ainsi essentielle, au-delà de l’enjeu de réduction des contentieux si la concertation n’est pas organisée.

M. Alexandre Loubet. Si je devais me faire l’avocat du diable, je soulignerais que plusieurs reproches sont adressés à la CNDP. Premièrement, dans la mise en œuvre des missions fixées par la loi, il est parfois estimé que les actions de la CNDP allongent les délais. Comment proposeriez-vous concrètement de simplifier ces actions pour réduire les délais de mise en œuvre des projets industriels ? Le deuxième reproche concerne le coût induit pour le porteur de projet et le troisième est le suivant : l’organisation de ces concertations peut être un facteur de multiplication des contentieux.

M. Marc Papinutti. La loi nous a conféré des délégués régionaux, qui pratiquent le contact. Ce procédé nous a permis de trouver des entreprises qui arrivaient sur le territoire, dont certaines ont même découvert l’existence de la CNDP et de la procédure. Nos délégués régionaux se rendent dans les comités de l’administration régionale (CAR), rencontrent les agents des Dreal et tous ceux qui sont chargés de donner des autorisations. J’écris aux entreprises pour leur indiquer qu’elles ont répondu à un appel à projets pour une installation à tel ou tel endroit, et qu’elles seront soumises à une procédure qui, si elle est prise très en amont, est très loin de celles dont nous parlons.

Ensuite, le coût est à la charge des entreprises. Il est assez maîtrisé et correspond au coût classique de réunions publiques ou de réunions en visioconférence, que nous développons de plus en plus. La plupart des entreprises poursuivent ce fonctionnement et conservent ce système d’information jusqu’à l’enquête publique, voire plus loin, jusqu’à la fin du projet. Il permet en effet d’apporter des réponses à des questions publiques simples. Ce point de contact permet aux entreprises d’évoluer et de faire comprendre à chaque fois leur projet. J’échange avec les entreprises et les assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO).

Les territoires, l’État et l’ensemble des acteurs ont intérêt à mettre en commun ces sujets. Il vaut mieux connaître le plus tôt possible les opposants à un projet plutôt que les découvrir trop tard, probablement à des mauvais moments, notamment les moments de contentieux, si les sujets ne sont pas traités en amont avec l’Autorité environnementale ou le délégué territorial local. Si l’entreprise ne saisit pas dès le début que son projet est source de clivage, la situation peut difficilement être corrigée par la suite, car l’opposition se cristallise.

M. Laurent Michel. À partir de la question de l’émiettement des acteurs, vous avez évoqué le sujet de la simplification. Je précise que je n’exprimerai pas une position du ministère, mais que je peux témoigner de mon expérience, ayant travaillé au niveau déconcentré ou au niveau national sur la mise en œuvre de procédures d’autorisation, notamment en matière d’environnement.

Les deux sujets relatifs à l’émiettement et aux difficultés des décisions sont liés. De nombreux acteurs de la vie des projets comme ceux qui établissent les plans urbains, ceux qui amènent les réseaux d’énergie ou d’autres gestionnaires, ont des rôles à jouer dans la planification et la réalisation. Ils disposent eux-mêmes de leurs propres procédures décisionnelles.

Aujourd’hui, 95 % des décisions relèvent en France de l’État, comme celles qui concernent les installations classées, les installations nucléaires, les grandes infrastructures énergétiques. Dans des États fédéraux comme en Allemagne, les choix sont plus fréquemment réalisés au niveau des Länder. Les autorités locales accordent des autorisations. Il existe des enjeux multiples, qui peuvent être contradictoires, mais d’une certaine manière, il est normal que les enjeux d’environnement fassent l’objet d’expressions. Plus tôt ces enjeux sont posés de la manière la plus transparente, plus tôt ils sont défendus, plus ils sont intelligibles.

En matière de simplification, il faut distinguer les outils et la pratique. S’agissant des outils, certains éléments peuvent être consolidés. Des évolutions sont par exemple intervenues pour diminuer le nombre d’étapes des contentieux. Ces évolutions nécessiteront d’évaluer les retours d’expérience. Cependant, il convient d’être vigilant : la faculté de mener des contentieux fait partie des caractéristiques de la démocratie. Désormais, un certain nombre de grands projets sont parfois jugés directement par les cours administratives d’appel, voire directement au Conseil d’État, mais cette procédure ne peut pas non plus être généralisée.

Il peut exister également un débat sur l’unification des procédures, qui vise à rassembler plusieurs autorisations dans une seule procédure. Tel est le cas aujourd’hui, dans 75 % à 80 % des cas. En outre, il est sans doute possible de simplifier certains dossiers. Par exemple, il serait certainement envisageable de réunir l’étude d’impact, le dossier d’autorisation pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation ou à déclaration « loi sur l’eau » et le dossier de dérogation « espèces protégées » dans un même document, afin de faciliter le travail d’élaboration et d’analyse, mais aussi de consultation.

Ensuite, il me semble essentiel de se concentrer surtout sur la pratique, à travers le besoin d’anticipation de la planification. Il s’agirait ainsi que l’espace soit préparé pour pouvoir accueillir ces projets, de manière souple et résiliente. Un certain nombre de dispositions législatives ont également eu pour objectif d’anticiper et de globaliser les approvisionnements énergétiques, voire les moyens de transport. Il convient également d’anticiper en amont de projets.

S’agissant des autorisations environnementales, je suis favorable à l’idée que les autorités environnementales soient plus souvent sollicitées en matière de cadrage, afin d’évoquer les enjeux. La CNDP l’a d’ailleurs demandé à certains porteurs de projets ou préfets, par exemple lors du débat global de territoire à Fosse-Berre. Sur la base de questions précises, le préfet nous a ainsi demandé notre avis sur la manière dont il pensait aborder les questions environnementales. À mes yeux, les anticipations sont ainsi essentielles, à travers des acteurs qui assurent le lien entre la complexité d’un dossier et les porteurs de projet.

J’ai débuté ma carrière en Lorraine, comme chef de la division environnement industriel et il existait à l’époque de nombreux projets d’origine japonaise, américaine ou allemande. L’association pour l’expansion industrielle de la Lorraine (Apeilor) et le commissaire à l’industrialisation consacraient l’essentiel de leur temps à identifier les prospects et le foncier, à discuter avec les collectivités, mais aussi à rendre visite à l’administration en charge des procédures, pour nous proposer les porteurs de projets le plus en amont. Nous étions également avertis qu’un dossier arrivait ; nous pouvions ainsi nous organiser et anticiper les points de tension.

Les époques ne sont pas comparables, mais il faut privilégier une prise en main en amont et une coordination des acteurs pour faciliter les procédures nécessaires et la réalisation concrète des différentes étapes. Cette coordination des acteurs nécessite évidemment des moyens humains suffisants pour traiter ces sujets, ainsi qu’un travail dans la durée.

En définitive, il s’agit d’une matière vivante, complexe, technique, juridique. Nous avons parfois besoin de stabilité et de temps pour faciliter la compréhension de ces nouvelles réglementations par les porteurs de projets, les bureaux d’études, les services de l’État, les acteurs dans les collectivités. De fait, une procédure non maîtrisée leur fait perdre beaucoup de temps.

Toutes les parties prenantes doivent pouvoir se situer au sein de ces processus. Les dossiers qui remontent attestent que certains territoires se sont appropriés les nouvelles dispositions, quand pour d’autres, les démarches demeurent plus hésitantes.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ces questions ramènent au débat entre déconcentration et décentralisation. Comment percevez-vous l’émergence ex nihilo de nouveaux acteurs, à l’échelle départementale, régionale, parfois même intercommunale, c’est-à-dire des autorités environnementales locales sans lien direct avec votre organisme ? Leur avis est-il réellement pertinent ? Leur présence ne constitue-t-elle pas une complexification inutile, dans la mesure où votre autorité dispose déjà a priori de standards suffisamment exigeants et d’une expertise reconnue ?

M. Laurent Michel. Au-delà des acteurs officiels, il me semble difficile d’interdire l’organisation spontanée par les collectivités ou par des acteurs de la société civile de telle ou telle instance. Il serait possible d’en décider autrement, mais j’estime que notre administration d’État fournit, sous la houlette des préfets, un certain nombre de garanties quant au sérieux de l’instruction, la prise en compte des impacts environnementaux, l’expérience dans la conduite des actes administratifs et des actes d’enquête. Ces éléments me semblent constituer une des forces des Dreal, des directions départementales des territoires (DDT).

Nous vivons une situation où la décentralisation a non seulement été souhaitée, mais où elle est également réelle et positive. Dès lors, il est normal que les territoires puissent développer divers modes d’expression et d’organisation. Je pense par exemple aux parcs naturels régionaux (PNR), qui correspondent à des lieux où les collectivités, les acteurs, ont souhaité prendre en main un certain nombre de sujets. Dès lors, il n’est pas illogique qu’ils s’expriment.

À l’inverse, il serait néfaste que ces collectivités ou acteurs expliquent vouloir fournir un avis propre parce qu’ils n’ont pas confiance dans les actions des préfets. Cependant, je ne connais pas de cas qui relèveraient de cette logique. Il est important que les collectivités soient consultées pour leurs compétences ; mais il ne me semblerait pas opportun de multiplier des organismes dupliquant l’expertise des services et établissements de l’État. En matière de biodiversité, la Dreal, la DDT et l’Office français de la biodiversité travaillent ensemble et nous transmettent des avis qui reflètent la vision du terrain. En conséquence, il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle agence. Je n’ai pas en tête des cas où des organismes auraient exprimé des avis concurrents aux nôtres.

En résumé, il faut veiller à la stabilité du paysage et se garder de toute duplication. Il n’en demeure pas moins que la démocratie permet aux uns et aux autres de s’exprimer, ce qui est normal.

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Monsieur le président, vous m’avez interrogé sur l’organisation et l’efficacité globale de l’Ademe. Je souhaite à ce titre vous fournir quelques chiffres : 92 % de notre budget sont consacrés au soutien de projets structurants sur les territoires. Le reste du budget sert à financer des expertises et la mise en sécurité de sites industriels dont les responsables sont défaillants. Concrètement, quand une usine fait faillite, est insolvable, le préfet écrit au président de l’Ademe pour lui demander d’intervenir et de mettre en sécurité le site s’il existe des risques d’ordre public dans l’environnement proche de ce site industriel défaillant.

Ensuite, les frais de fonctionnement et la masse salariale de l’Agence s’élèvent à 120 millions d’euros. À ce sujet, l’Ademe a réalisé des gains de productivité assez gigantesques au cours des cinq dernières années, puisque nos volumes d’intervention ont été multipliés par cinq, quand nos effectifs restaient quasiment constants. Nous avons produit des efforts d’optimisation très importants dans nos systèmes d’information, notamment à travers une digitalisation intégrale de tous les dossiers ou la création d’une plateforme de dépôt très ergonomique pour les projets des collectivités et des entreprises, particulièrement appréciée par nos bénéficiaires. De même, lors des quatre dernières années, nos frais de fonctionnement par ETP sont restés stables, signifiant que l’inflation a été absorbée par des mesures de sobriété internes.

Ensuite, le président de l’Agence est particulièrement attentif à l’efficacité carbone de chaque euro investi. Tous nos projets sont pilotés à l’aune des euros publics investis par mégawattheure d’énergie renouvelable produit (9 euros par mégawattheure en moyenne) ou des euros investis par tonne de CO2 évitée par l’argent public (44 euros par tonne de CO2 évitée).

Ensuite, l’équipe chargée de l’international à l’Ademe comporte une douzaine de personnes et sa stratégie a été recentrée sur l’Europe, le couple franco-allemand et quelques enjeux comme la décarbonation de l’industrie ou l’économie circulaire. Cette équipe nous permet ainsi de mobiliser des fonds européens, en identifiant les projets Horizon, les projets Life que nous pourrons récupérer. À titre d’exemple, nous allons nous associer à nos homologues allemands dans le cadre d’un projet financé par l’Instrument financier pour l’environnement (Life) sur l’intelligence artificielle et l’environnement. Il faut également relever les enjeux d’influence auprès de la Commission européenne sur des sujets où nous sommes pionniers en France, comme les éco-scores que je mentionnais précédemment.

Enfin, vous m’avez interrogé sur le fonds Vert, dont nous sommes opérateurs de deux de ses lignes. La première concerne la reconversion des friches polluées, pour 30 millions d’euros. Ce dispositif est particulièrement apprécié par les collectivités, car elle permet de faciliter l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) et d’aller reconquérir du foncier industriel. La deuxième concerne le dispositif Territoires d’industrie et nous a permis d’accompagner 160 projets pour 60 millions d’euros. Ce dispositif a trouvé sa demande, à travers des projets d’industrie dans la bioéconomie, le recyclage, la réindustrialisation du vélo et le textile. J’ajoute que la relation avec les préfets se déroule très bien dans le cadre de ce dispositif.

M. le président Charles Rodwell. Sur quelle base vous fondez-vous pour estimer que 92 % de votre budget sont consacrés au soutien de projets structurants sur les territoires ? À quoi correspond un projet « structurant » ? Ensuite, comment percevez-vous les critiques qui vous sont adressées par les entreprises qui ne parviennent pas à postuler aux appels d’offres de financement Ademe sur un grand nombre de fonds ?

Par ailleurs, comment coordonnez-vous au quotidien votre action avec la Banque publique d’investissement (BPIFrance) et les préfectures ? Aujourd’hui, de nombreux moyens financiers sont rendus disponibles pour décarboner et industrialiser notre pays, mais les guichets sont extrêmement nombreux, qu’il s’agisse des chambres de commerce et d’industrie (CCI), de l’Ademe, de BPIFrance, des régions, des départements et des préfectures.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je me permets de prolonger la question du président. Vous êtes opérateur du programme France 2030 pour un montant d’à peu près 8 milliards d’euros. Quels sont très concrètement les critères d’attribution pour les entreprises dans le cadre de ces appels d’offres ? Comment définissez-vous cette « structuration » du territoire ? Cela se concentre-t-il exclusivement sur la décarbonation ? Par ailleurs, comment définissez-vous cette décarbonation ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Parmi les projets structurants, je peux mentionner le dispositif territorial de zone industrielle bas carbone (Zibac), qui existe à Fos-sur-Mer, à Dunkerque, sur l’axe Seine Normandie, dans la vallée de la chimie ou à Saint-Nazaire. Plutôt que de décarboner usine par usine, l’idée consiste à déployer une approche territoriale à l’échelle de ces grandes zones industrialo-portuaires, pour mutualiser des infrastructures de décarbonation. Pour y parvenir, il a fallu s’organiser, mobiliser la collectivité et les industriels pour établir les emplacements des tuyaux, la collecte de la chaleur, la captation du CO2 dans certaines industries, dans l’idée de le réutiliser pour d’autres usages, dont les des carburants de synthèse fabriqués en utilisant de l’électricité décarbonée ou e-carburants ou de l’enfouir quelque part en mer du Nord. Il va en va de même pour l’hydrogène.

À l’échelle de ces zones industrielles, ces opérations sont très structurantes. Nous avons lancé ce dispositif dont un grand nombre d’études sont en cours et nous permettront d’apporter des soutiens en investissement. Ces derniers sont bien plus pertinents que si nous n’avions pas conduit cette démarche CO2.

M. le président Charles Rodwell. Ma question concerne les critères de choix. Les fonds à votre disposition sont constitués par de l’argent public. En tant que parlementaires, nous avons besoin de connaître le fondement objectif de vos choix d’investissement dans un territoire, un département, une collectivité, une région. Comment établissez-vous ces choix qui permettent ensuite d’investir l’argent des Français dans des projets structurants pour notre pays ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Le classement des projets répond à des règles européennes. À la suite d’un appel à projets, nous recevons les candidatures, qui font l’objet d’une instruction technique. J’ai déjà esquissé une partie de la réponse lorsque j’ai évoqué les deux grands critères d’impact : les euros par mégawattheure et les euros par tonne de CO2. Nous classons ainsi les projets en fonction de leur efficience sur ces critères. Nous formulons des recommandations, et pour des projets qui dépassent un certain montant, la comitologie de France 2030 décide de l’attribution de l’aide. Quoi qu’il en soit, l’instruction technique permet ce classement selon les deux critères objectifs que j’ai mentionnés, mais également des calculs de taux de retour sur investissement, pour nous assurer de l’absence d’effets d’aubaine.

M. le président Charles Rodwell. Évaluez-vous systématiquement votre impact ? Évaluez le succès des opérations dans lesquelles vous investissez ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. L’une des marques de fabrique de l’Ademe consiste en effet à suivre ses projets dans la durée, pour pouvoir capitaliser et nourrir l’expertise dont je vous parlais lors de mes propos liminaires. L’expertise et le financement vont de pair.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez parlé de critères objectifs, mais votre établissement public a lancé il y a peu le label VertVolt qui vise « à réaliser une sorte de fact checking des offres d’électricité de nombreux fournisseurs d’électricité en France ». Sur le site « Agir pour la transition », qui est piloté par l’Ademe, il est indiqué que « certaines offres d’électricité se déclarent vertes, car le fournisseur achète à des producteurs européens d’électricité renouvelable des certificats appelés garanties d’origine, alors qu’il achète en réalité de l’électricité à un autre producteur utilisant du gaz, du charbon ou du nucléaire pour fabriquer de l’électricité ».

En tant qu’établissement public, qui vit d’argent public et qui dépense de l’argent public, c’est-à-dire l’argent du contribuable, trouvez-vous qu’il est objectif de considérer que l’électricité électronucléaire produite par nos centrales nucléaires décarbonées n’est pas verte ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Nous n’avons jamais prétendu que l’électricité décarbonée n’était pas verte. Le label VertVolt vise justement à redonner de la confiance sur un marché où il existait une défiance quant à l’origine de l’électricité. Ce label ne porte que sur l’énergie renouvelable, l’électricité renouvelable. C’est la raison pour laquelle l’électricité nucléaire n’est pas concernée.

M. le président Charles Rodwell. Pourtant, l’électricité nucléaire définie par les politiques du gouvernement est considérée comme une énergie verte et décarbonée. En conséquence, l’élément souligné par M. le rapporteur est tout simplement surprenant.

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Je suis d’accord, mais le label VertVolt ne vise pas cette électricité, il concerne l’électricité provenant d’énergies renouvelables.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. À partir du moment où l’on qualifie une offre d’électricité comme étant « verte », cela signifie qu’elle est décarbonée. Je n’ai aucune appétence pour les énergies renouvelables intermittentes, mais reconnais qu’elles produisent de l’énergie décarbonée. Simultanément, avez-vous l’honnêteté intellectuelle d’en dire autant concernant le nucléaire ? Au nom de quoi ne qualifiez-vous pas la production électrique nucléaire comme une offre d’électricité verte ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. L’électricité nucléaire est par définition décarbonée. Il s’agit donc d’une électricité verte. Cependant, elle ne rentre pas dans les critères de ce label.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Mais encore une fois, sur votre site, il est question de ce label qui a pour objet de « qualifier des offres d’électricité comme vertes ». Dès lors, ce que vous affirmez n’est factuellement pas vrai, ou alors il vous faut modifier ce qui est indiqué sur votre site internet, de même que les critères d’attribution, voire de qualification du label. Vous pouvez toujours créer un label « électricité renouvelable », mais ne parlez pas d’un label d’offre d’électricité verte. Avec l’argent du contribuable, vous financez ce qui a été dénoncé tout à l’heure, c’est-à-dire une propagande idéologisée.

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Ce label a pour objet d’orienter les consommateurs d’électricité qui sont aussi prêts à payer un peu plus pour obtenir de l’énergie renouvelable électrique. L’argent de l’Ademe n’est pas dépensé sur ce sujet ; il s’agit simplement de recréer de la confiance dans ce marché. Enfin, l’électricité nucléaire est évidemment décarbonée.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous comprenez bien malgré tout que la formulation retenue relève de la désinformation, puisque vous qualifiez le nucléaire comme n’étant pas une offre d’électricité verte.

Ensuite, ma deuxième question est la suivante : combien de fois avez-vous porté votre costume avant de le laver, Monsieur le directeur général délégué ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. Vous faites référence ici à des éléments du guide grand public qui avait été publié par l’Ademe et qui a enregistré un très grand succès, de très nombreux téléchargements. Dans notre contrat d’objectif avec l’État, il est en effet question de sensibiliser le grand public. Ce guide grand public traitait de vrais sujets sur la qualité de l’air intérieur, en fonction des détergents que l’on utilise. De fait, il est possible de porter un certain nombre de fois un costume avant de le laver.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Très honnêtement en dehors de vos missions de financement, j’éprouve des difficultés à identifier la pertinence, l’utilité de l’Ademe. Pourriez-vous tenter de me convaincre s’il vous plaît ?

M. Baptiste Perrissin-Fabert. L’une de nos missions consiste à éclairer le débat public sur ces enjeux, qui sont complexes et controversés. Face à cette complexité, nous nous efforçons d’apporter des éclairages sur des faits objectifs, en capitalisant sur l’expertise de l’Ademe.

Ensuite, la mission « grand public » ne constitue qu’une faible part de la mission de l’agence. Les missions principales concernent l’accompagnement des collectivités, des entreprises pour la transition. À titre d’illustration, les ministres Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher ont créé le réseau Élus pour Agir, qui s’adresse à des élus municipaux ayant besoin de clés de décryptage de la transition écologique, quand ils doivent voter leur budget, opérer des choix d’investissement. Il s’agit de leur permettre de disposer de quelques réflexes en termes d’adaptation au changement climatique, en termes de rénovation de leurs bâtiments publics. Aujourd’hui, 4 000 élus font partie de ce réseau, lancé il y a un an et demi. Ils participent tous les trois mois à des webinaires que nous organisons et ils y trouvent des informations utiles.

Notre action à destination des entreprises est également importante. Aujourd’hui, nous sommes les acteurs de référence pour la décarbonation de l’industrie. Nous avons établi pour les secteurs les plus émetteurs, des plans de transition sectoriels et financés par un projet européen, notamment grâce à notre cellule européenne qui est allée chercher ces fonds. France Industrie, toutes les fédérations professionnelles de l’acier, de la chimie, du ciment ont travaillé avec nous pour construire ces feuilles de route de décarbonation à l’horizon 2050. Cet outil permettra ensuite de calibrer l’argent public dont nous avons besoin pour accompagner la décarbonation de ces secteurs. Comme je l’avais indiqué en propos liminaire, la décarbonation représente un enjeu de pérennité pour ces pour ces acteurs.

En résumé, nos trois cibles sont le grand public, les collectivités et les entreprises. Pour chacune de ces cibles, nous produisons de l’expertise, de l’accompagnement, de la mobilisation d’écosystèmes. Aujourd’hui, l’Ademe est une marque reconnue qui apporte dans le débat des informations utiles et appréciées par ses bénéficiaires.

M. Régis Passerieux. Votre première question portait sur les mesures de simplification draconiennes à mettre en œuvre. Je réitère mes propos initiaux : il existe certainement des gains en termes d’amélioration juridique des procédures, mais ils n’entraîneront sans doute pas des gains massifs de productivité. Encore une fois, nous sommes confrontés à un problème pragmatique d’application en raison de l’émiettement des acteurs, qui doit faire l’objet du travail principal.

Du haut en bas, il existe une multiplicité d’acteurs : direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), direction générale des entreprises (DGE), direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), Ademe, SGPI, BPIFrance, Banque des territoires, OFB, Commission de régulation de l’énergie (CRE), Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), sans compter les commissions. Chacun énonce un avis sur la manière dont les règlements doivent être interprétés, mais personne n’arbitre, ni ne tranche réellement. Cet émiettement, qui entraîne des perceptions différentes, aboutit à des décisions difficiles et délicates, qui menaceront en outre le contentieux.

La difficulté pour un industriel n’est pas seulement de traiter une procédure administrative mais de la traiter en parallèle d’autres nombreuses actions : la levée de fonds, le raccordement électrique, etc. Les arbitrages doivent donc être extrêmement rapides si l’industriel veut sortir son projet dans les temps. L’émiettement des procédures aboutit à des situations délicates qui peuvent aggraver le contentieux. 

Je peux vous donner des exemples concrets sur les procédures de compensation environnementale et sur le financement. Il existe aujourd’hui des demandes de la part de plusieurs sites, qui ont écrit aux directions en leur demandant d’harmoniser et de clarifier les méthodologies de compensation environnementale.

J’ai connu plusieurs projets qui se sont présentés sur des zones humides. Nous avons posé le problème de la compensation et avons été confrontés à des doctrines toutes différentes. Par exemple, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) prévoit une compensation multipliée par quatre. Il a fallu que je déniche une jurisprudence du Conseil d’État de 2019 qui établit que l’on ne peut appliquer pas les critères du Sdage directement sur le plan local, si des règles de planification intermédiaire ne sont pas établies. Après avoir obtenu la compensation des seules fonctionnalités mises en place, j’ai été amené à définir ces fonctionnalités. Dans la commission de projet que nous avions mise en place, l’OFB est arrivée avec son guide pratique qui aurait valeur de norme : je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’une loi. Il a fallu exercer mon autorité pour maintenir le principe de compensation des dégradations seules. Le problème est que les élus, les gestionnaires portuaires nous ont demandé de trancher ce point.

En Allemagne, les procédures sont plus standardisées. En France, nous avons à l’inverse l’impression d’une absence d’arbitrages, en raison de l’émiettement des acteurs. En outre, les administrations centrales et locales ne sont pas toujours facilitatrices. Par exemple, au sein d’une même direction régionale, il peut exister des « avis sincères » différents.

À ce titre, je souhaite vous faire part d’un arbitrage que nous ne parvenons pas à obtenir, mais qui changerait pourtant la donne. Le Grand port maritime de Marseille (GPMM) pratique la démarche « Éviter-réduire-compenser ». Sur les 10 000 hectares de la zone du port de Fos-sur-Mer, 4 000 hectares sont protégés, dont 2 600 sont déjà gérés. Mais chaque fois qu’une parcelle est aujourd’hui placée en aménagement industriel, il est non seulement demandé d’établir des mesures d’évitement, mais également de mesurer les effets globaux. Pourtant, la compensation a déjà eu lieu, à travers les 4 000 hectares protégés, précisément pour compenser. Mais lorsque nous demandons qui peut arbitrer, personne ne répond. En outre, ces zones sont bien gérées par le port et ne sont pas dégradées. En conséquence, pour les 700 hectares qui restent à aménager, nous n’arrivons plus à trouver des terrains assez dégradés pour pouvoir compenser en proximité. Vous constatez donc bien l’absurdité à laquelle l’absence de décision nous conduit.

Par ailleurs, les avis divergent sur ces compensations. Au-delà du problème de la réglementation, il faut également s’interroger sur la composition d’un certain nombre de commissions, qui portent avec sincérité des points de vue alors qu’elles devraient se contenter de formuler des avis techniques. Par exemple, je respecte la composition du Conseil national de protection de la nature (CNPN), mais il doit se restreindre aux compétences qui lui sont conférées, c’est-à-dire son savoir sur des espèces protégées, et non se prononcer pour savoir si un projet industriel présente ou non un intérêt majeur. Pourtant, ce qu’il dit ou écrit induit des conséquences sur le contentieux. De la même manière, au sein de la CNDP, ne figurent pas uniquement des spécialistes de la concertation, mais aussi des personnes qui disposent d’un avis sur telle ou telle question environnementale. Encore une fois, il faudrait s’inspirer de la procédure allemande, qui rend des avis purement techniques.

Les mêmes conséquences gênantes suscitées par l’émiettement interviennent en matière de financement. Prenons l’exemple de la méthodologie employée par France 2030 pour attribuer des financements. Il existe aujourd’hui un carburant d’aviation électro-durable ou electric sustainable aviation fuel (e-SAF) qui fonctionne bien par rapport à l’hydrogène vert qui est produit en usine par électrolyse et utilisé dans le processus de synthèse de carburant. Aujourd’hui, l’hydrogène n’est pas rentable à plus de 7 000 euros la tonne par rapport au gaz. La société H2V a subi un refus de la part de la commission d’instruction de l’appel à projets Carb Aéro. Pourtant ce projet était prêt ; il disposait de clients et de réseaux : cette zone est proche des aéroports, qui ont la possibilité d’être desservis par un pipeline.

Le problème tient au fait que dans ces appels à projets, le travail est trop analytique et insuffisamment synthétique. Aujourd’hui, dans la décarbonation, il est nécessaire de disposer de planification industrielle territoriale, car les enjeux sont d’ordre systémique. Une trop grande parcellisation analytique nuit à la prise en compte des enjeux stratégiques, qui sont pourtant au cœur du développement industriel. Les acteurs sont trop nombreux, au détriment de l’impulsion stratégique d’ensemble. Je pense que nous paierons très cher ce type de difficultés. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une planification industrielle territoriale forte, articulée avec des objectifs stratégiques de filière.

Je tiens également à répondre à la deuxième question posée par M. le président. J’ai milité et plaidé en faveur de la transversalité. En effet, aujourd’hui, l’ensemble des problèmes (logement, localisation, desserte multimodale, arrivée d’énergie, réseau de vapeur, boucle de vapeur, réseau d’hydrogénoducs, compensation environnementale) est intégré, dans un système complexe, lequel caractérise l’industrie nouvelle. En outre, il est nécessaire de massifier très rapidement, pour pouvoir saisir la chance d’un nouveau cycle industriel. Malheureusement, je ne suis pas très optimiste en la matière.

Mon raisonnement est le suivant : il faut partir des territoires, dans une démarche de subsidiarité. J’ai plaidé en faveur de transversalités à travers un commissaire à la transition industrielle, pour dépasser les effets d’émiettement. Nous avons besoin de chefs d’orchestre, à plusieurs niveaux. Au niveau national, il faut établir une coordination. Aujourd’hui, la DGE ne veut parler que de filières, la DGALN se concentre sur l’aménagement du territoire, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) se préoccupe surtout de ses grands ports.

La clarté fait défaut, depuis le niveau national jusqu’au niveau local. Il est urgent de mettre en place des structures capables d’harmoniser, sur plusieurs étages. Le territoire doit disposer de fédérateurs, qui puissent rapidement faire appel à des autorités supérieures, selon les spécificités du territoire. Par exemple, à Fos-Berre, si nous ne menons pas une opération d’intérêt national avec un établissement public, nous manquerons le cycle de quarante ans qui s’ouvre devant nous. Ailleurs, il faudra employer d’autres méthodologies, peut-être traiter tous les territoires d’industrie au niveau de la préfecture de région, à l’aide d’un même commissaire.

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire d’agir rapidement. Si nous n’établissons pas une articulation très forte en créant un effet dynamique, cela signifie que l’industrie n’est pas en réalité une priorité nationale. À ce titre, je dois admettre que j’ai à la fois gagné, puisque j’ai démontré que les procédures étaient possibles, mais j’ai également perdu parce que je n’ai pas réussi à suffisamment convaincre que les outils aujourd’hui mis en place sur l’industrie ne sont pas appropriés. Il faut être capable d’inventer quelque chose de nouveau, une administration de mission à étages, entre le local et le national. Une fois encore, l’enjeu concerne aujourd’hui la décision, l’impulsion, la rapidité de l’action entre la politique de filière et la politique territoriale.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je souscris à l’intégralité de vos propos. Je souhaiterais connaître votre avis sur les sites « clés en main » et surtout le moyen de les généraliser pour justement rendre disponibles le plus grand nombre de terrains et accélérer l’ensemble des procédures pour l’implantation de sites industriels, notamment en matière environnementale et d’urbanisme.

Je souhaiterais également connaître votre point de vue sur un cas d’école, celui de l’autoroute A69. Selon vous, quels ont été les dysfonctionnements en amont sur ce dossier ? En effet, alors que les travaux étaient presque achevés, une décision de justice est venue les interrompre en se fondant sur de possibles atteintes à des espèces protégées. Lorsque des projets d’intérêt national comme celui-ci sont lancés, est-il pertinent de maintenir autant de possibilités d’interruption ?

M. Régis Passerieux. Les sites « clés en main » constituent une très bonne initiative, sur le principe. Mais une fois encore, le problème réside dans la décision rapide de l’allocation des sommes pour débloquer des friches industrielles. L’instruction des dossiers est trop lente.

M. Baptiste Perrissin-Fabert. L’Ademe n’intervient pas sur le sujet de l’A69. Le principe des sites « clés en main » est effectivement pertinent. L’outil structurant dont dispose l’Agence concerne les zones industrielles bas carbone, qui permettent de coordonner les collectivités et les industriels dans les grands projets d’investissement des infrastructures mutualisées, pour la décarbonation.

M. Régis Passerieux. À Fos-Berre, le Zibac correspond à 9 millions d’euros, pour la première phase. L’enjeu essentiel porte sur la coordination des crédits d’investissement.

M. Laurent Michel. On ne peut que souscrire à l’idée d’anticipation, pour établir des sites propices à des installations rapides et performantes, sur le plan environnemental. En effet, les études environnementales doivent être anticipées pour aboutir à un vrai dispositif « clés en main » ; une zone humide ne doit pas être découverte durant la procédure.

J’ai par exemple en tête un projet industriel de soixante hectares sur un site qui était classé comme réservoir de biodiversité à protéger dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), à cinquante mètres d’une zone Natura 2000 et à 80 % en zone humide. Le projet n’avait pas été dé-risqué avant. En résumé, le dispositif « clés en main » doit véritablement être creusé, en amont.

S’agissant de l’autoroute A69, l’autorisation environnementale date de 2022. De manière générale, le déroulement des grands projets d’infrastructures suit deux phases : la déclaration d’utilité publique (DUP) et la déclaration de projet (DP). Très souvent, au stade de la DUP, les projets ne peuvent pas demander d’autorisation concrète, car ils ne connaissent pas tous leurs impacts, ni leurs mesures de compensation. C’est la raison pour laquelle intervient une deuxième phase de demande d’autorisation, en général environnementale, sur la base d’un dossier éprouvé.

Dans le cas de l’A69, l’autorisation environnementale a été contestée, mais les travaux ont débuté avant que le contentieux n’ait été purgé. Idéalement, demander la DUP et l’autorisation environnementale en une seule fois permet de réunir l’ensemble des procédures, mais cela est relativement rare pour des grands projets routiers. La question porte sur la gestion de l’enchaînement d’une phase d’utilité publique en amont, puis de l’autorisation. Dans ce dossier, deux sujets sont évoqués : sa caractérisation d’intérêt public majeur et la qualification des atteintes à l’environnement. Il ne me revient pas de commenter des décisions de justice, d’autant plus que le processus se poursuit.

M. Marc Papinutti. S’agissant de l’A69, je suis soumis à un devoir de déport à la CNDP, en raison de précédentes fonctions. La CNDP a participé au débat public sur l’A69 en 2008, quand la décision de mise en concession datait de 2005.

Nous avons la chance de posséder des zones portuaires « clés en main ». Dans le cadre des dossiers CNDP, nous constatons que certaines entreprises disposent de projets bien établis, fortes de leur histoire industrielle, quand de nouveaux arrivants cherchent parfois à s’insérer dans des « mécanos » de filières, en ajoutant une brique supplémentaire dont certaines n’existaient pas il y a quelques années, comme celle du carburant aérien e-SAF. Ce type de mécano n’est pas très bien connu et rend son explication plus difficile auprès du grand public. Il y a là un décalage avec la vision industrielle « néoclassique » que nous avons pu connaître par le passé.

Mme Florence Goulet (RN). Je souhaite vous poser deux séries de questions. D’abord, quel est votre avis en fait sur la transposition des normes européennes en droit français, qui aboutit malheureusement à établir des contraintes plus lourdes pour nos entreprises, au détriment de leur compétitivité, notamment industrielle ?

Monsieur Michel, les avis rendus par l’Autorité environnementale sont-ils réellement plus pertinents que ceux de la Dreal, qui est perçue comme compétente et connectée au terrain industriel ? Quelle est la valeur ajoutée de votre Autorité ? Comment expliquez-vous que vos avis, bien que non contraignants, soient souvent repris pour fonder les jugements en contention environnementaux, leur conférant de fait une portée normative, mais sans responsabilité assumée ?

M. Laurent Michel. Je ne dirais pas que nos avis sont plus ou moins pertinents que ceux de la Dreal. La loi n’organise pas une concurrence entre nous ; simplement notre avis relève d’un registre différent. La Dreal fait partie des services instructeurs. Elle instruit un projet sur la base de son analyse et elle est chargée de proposer une décision, généralement aux préfets, parfois aux ministres. Cet avis s’inscrit dans une double vision d’ensemblier et d’application du droit de l’environnement.

L’avis de l’Autorité environnementale a été conçu comme un moment d’éclairage en amont, tourné vers le public, le maître d’ouvrage et l’autorité décisionnaire ; et nous pointons un certain nombre de recommandations sur l’environnement, concernant par exemple la clarification de l’état initial ou la reprise de telle ou telle mesure. Ensuite, le maître d’ouvrage effectue une réponse publique et fait évoluer son dossier sur la forme, voire le fond du projet. L’Autorité environnementale joue en quelque sorte le rôle d’une assurance qualité, de la part d’un organisme neutre qui étudie les projets de manière dépassionnée.

S’agissant du contenu, les membres proviennent d’horizons diversifiés et ont été choisis pour les compétences qui leur sont prêtées. L’entité regroupe ainsi à la fois des spécialistes et des généralistes, s’appuie sur l’analyse des dossiers et des échanges avec le porteur de projet, que nous rencontrons systématiquement, généralement sur place. Nous consultons pour avis le préfet de département – parfois le préfet de région – et l’agence régionale de santé (ARS), afin d’avoir un éclairage sur sa vision des impacts sanitaires du projet. Nous discutons avec les services de l’État pour leur demander un certain nombre de précisions. Nos avis ne sont donc pas « hors-sol », mais nourris d’échanges, y compris avec les services de l’État.

En termes de contenus, nous étudions chaque année des dossiers de dix à quinze routes, cinq à dix projets ferroviaires, quatre à dix projets sur les grands ports maritimes, dix à quinze grands projets de raccordements électriques et autant de zones d’aménagement urbain. Nous essayons ainsi de capitaliser sur ces grandes typologies de projets.

En résumé, je ne prétends pas que notre expertise soit meilleure que celle de la Dreal, mais nous nous nourrissons de l’ensemble des projets que nous étudions pour fonder notre expertise. Nous ne sommes pas en concurrence. De leur côté, les missions régionales d’autorité environnementale s’efforcent également d’échanger avec la Dreal, les DDT ou l’OFB.

M. Régis Passerieux. Je souhaite brièvement répondre à la question du président sur France Expérimentation. Lorsqu’il n’existe pas de réglementation ou de loi permettant de traduire une innovation dans la réalité, France Expérimentation permet, pendant une durée expérimentale, de mesurer l’impact en établissant une réglementation provisoire. Elle joue donc un rôle plutôt complémentaire dans l’architecture globale.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour votre présence. Vous pouvez compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé et en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à cette commission d’enquête.

 

La séance s’achève à douze heures trente.


Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Florence Goulet, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell