Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Table ronde, ouverte à la presse, des services déconcentrés impliqués dans l’instruction des projets industriels, réunissant :
• Mme Emmanuelle Gay, directrice régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (Drieat) d’Île-de-France, et M. Olivier Levillain, chef du service prévention des risques
• M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France, Mme Manon Nguyen Van Mai, cheffe du service économique de l’État en région (Seer) et Mme Léa Ben Cheikh, commissaire aux restructurations et prévention des difficultés des entreprises au sein de la Drieets d’Île-de-France
• M. Marc Hoeltzel, directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) du Grand Est
• M. Jacques Bourgeaux, chef du service économique de l’État, chargé de mission économie et innovation au sein du secrétaire général pour les affaires régionales et européennes (Sgar) du Grand Est, et M. Philippe Nicolas, commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises, au sein de direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) du Grand Est 2
– Présences en réunion.....................................22
Jeudi
15 mai 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 41
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à seize heures cinq.
M. le président Charles Rodwell. Nous poursuivons nos auditions en tenant une table ronde des services impliqués dans l’instruction des projets industriels. Je remercie vivement les délégations présentes pour cette audition d’une importance capitale.
Je vous prie de déclarer tout intérêt public ou privé susceptible d’influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose également aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Emmanuelle Gay, M. Olivier Levillain, M. Marc Rohfritsch, Mme Manon Nguyen Van Mai, Mme Léa Ben Cheikh, M. Marc Hoeltzel, M. Jacques Bourgeaux et M. Philippe Nicolas prêtent serment.)
Mme Emmanuelle Gay, directrice régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (Drieat) d’Île-de-France. Notre direction met en œuvre les politiques publiques des ministères de la transition écologique et de l’aménagement du territoire. À ce titre, nous appliquons les politiques et les polices de l’environnement, notamment celle des installations classées pour la protection de l’environnement. Nos compétences s’étendent aux enquêtes sur l’eau, à la prévention des risques naturels et technologiques, ainsi qu’aux questions de qualité de l’air, d’énergie et de climat.
Nous intervenons également dans les politiques publiques d’aménagement, instruisant des dossiers d’urbanisme et de construction, finançant des projets d’aménagement et assurant le rôle de l’État dans la planification réalisée par les collectivités. Dans le domaine des transports, nous gérons le réseau routier national de la région, finançons des projets de transport collectif et exerçons des fonctions de contrôle sur les transports terrestres et guidés.
M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France. La direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France met en œuvre, sous l’autorité du préfet de région, les politiques publiques de l’emploi, de l’insertion sociale et professionnelle, du travail et de l’économie. Notre particularité réside dans l’intégration de quatre unités départementales pour la petite couronne, reflétant ainsi la réalité métropolitaine du Grand Paris.
Notre direction compte 1 200 personnes, 1 500 en incluant les effectifs de la grande couronne. Le service économique de l’État en région, composé de 18 agents, a une compétence régionale. Il se concentre sur les filières stratégiques et industrielles du territoire, déployant les priorités transverses de notre ministère et de la direction générale des entreprises (DGE). Cela inclut notamment le programme ETIncelles destinée aux petites et moyennes entreprises, la décarbonation de l’industrie, les territoires d’industrie, la sécurité économique et le déploiement de France 2030 sur notre territoire.
Le volet régionalisé de France 2030, cofinancé par le conseil régional, représente 180 millions d’euros sur la période 2021-2025. Nous assurons également l’accompagnement des entreprises en difficulté, via l’action des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés d’entreprise.
Ces missions sont menées en étroite collaboration avec les préfets, les sous-préfets, les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs du développement économique. L’Île-de-France est la deuxième région de France en termes d’emploi industriel, avec environ 450 000 emplois, soit 13 % du total national. Malgré une part relativement faible de l’emploi industriel, nous comptons 6,8 millions d’emplois au total. L’industrie représente 6 % de l’emploi francilien, avec des variations significatives selon les bassins d’emploi. Cette proportion oscille entre 3,5 % dans les départements les moins industrialisés, comme Paris, et atteint jusqu’à 19 ou 20 % dans les zones les plus industrielles, telles que le sud de la Seine-et-Marne ou le nord des Yvelines.
Notre région se distingue par une surreprésentation des cadres dans l’industrie, puisqu’ils représentent 35 à 40 % contre 25 à 30 % pour le reste de la France. Cette particularité s’explique par la concentration de sièges sociaux, des fonctions de conception, de direction de recherche et développement (R&D) et des fonctions support sur le territoire francilien. L’Île-de-France se positionne également comme le premier pôle d’investissement en R&D en Europe, avec 21 milliards d’euros investis annuellement dans la recherche et le développement, tant publics que privés.
Nos sites industriels, bien que nombreux, sont généralement de taille plus modeste que dans d’autres régions, en raison des coûts élevés et du manque de choix fonciers. Une caractéristique notable est la présence de nombreuses lignes pilotes et de travaux de développement industriel précédant l’industrialisation, qui se concrétise souvent dans d’autres territoires, voire à l’étranger.
Entre 1990 et 2015, nous avons connu une désindustrialisation marquée, avec la perte de 400 000 emplois industriels, soit une réduction de 47 % de l’emploi dans ce secteur. Cependant, depuis 2015, nous observons une stabilisation de l’emploi industriel. Le baromètre industriel des deux dernières années est positif, avec plus de créations d’entreprises et d’usines que de fermetures.
L’Île-de-France compte 11 Territoires d’industrie, représentant 54 % de l’emploi industriel régional. Ces zones se caractérisent par une proportion de cadres deux fois supérieure à celle des territoires d’industrie d’autres régions.
Nos principaux domaines d’excellence incluent la santé et les biotechnologies, particulièrement ancrées à Paris, Saclay et Villejuif. Les technologies numériques et de rupture constituent un point fort de Saclay. Nous excellons également dans les secteurs de la mobilité, de l’automobile, des transports, de l’énergie et de l’environnement. Les usages numériques dans la culture, les médias, l’éducation et la formation sont des activités importantes, notamment en Seine-Saint-Denis. L’aéronautique et l’espace, secteurs très industriels, présentent des perspectives de développement et de croissance prometteuses.
Concernant les enjeux de la territorialisation et de l’industrialisation, nous avons identifié quatre axes majeurs : le foncier, les compétences, l’accès au financement et à l’innovation, ainsi que la prévention des difficultés d’entreprise. Sur ce dernier point, nous travaillons en étroite collaboration avec l’équipe du commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) pour anticiper et gérer les situations de crise, en coordination avec les autres services de l’État en région.
M. Marc Hoeltzel, directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) du Grand Est. Je tiens à souligner que nos missions, particulièrement mobilisatrices, sont menées au niveau territorial de chaque département, avec des unités départementales placées sous l’autorité des préfets. Cette organisation répond à la logique du guichet unique, offrant aux chefs d’entreprise un interlocuteur privilégié pour leurs projets d’implantation et les autorisations environnementales.
Notre approche vise à fournir une autorisation environnementale unique, englobant tous les aspects de l’implantation. Bien que notre interlocuteur principal soit au niveau départemental, il travaille en étroite collaboration avec ses collègues du siège et d’autres services pour couvrir l’ensemble des problématiques liées aux projets d’implantation. Cela inclut les aspects environnementaux, l’aménagement du territoire, l’urbanisme, ainsi que les questions foncières et le raccordement électrique des sites industriels, enjeu particulièrement prégnant aujourd’hui.
En ce qui concerne la région Grand Est, nous sommes clairement dans une phase de transition industrielle. Historiquement, nous avons connu de grands mouvements de reconversion, notamment avec l’arrêt des activités textiles remplacées par l’industrie automobile. Plus récemment, nous avons fait face à des fermetures dans les secteurs de la sidérurgie, de l’industrie chimique et de la papeterie.
Aujourd’hui, nous entrons dans un nouveau cycle industriel, porté par l’essor de la transition énergétique. De nouvelles typologies d’implantation industrielle émergent, pour lesquelles nous sommes pleinement mobilisés. Notre région bénéficie d’un foncier attractif et de capacités de développement recherchées par les industriels. C’est dans cette dynamique d’accompagnement du renouveau industriel que nous inscrivons notre action, en parfaite adéquation avec la situation actuelle.
M. Jacques Bourgeaux, chef du service économique de l’État au sein de la Dreets Grand Est., chargé de mission économie et innovation au sein du secrétaire général pour les affaires régionales et européennes (Sgar). Je représente aujourd’hui Mme Angélique Alberti, directrice régionale de la Dreets Grand Est, retenue pour l’animation des classes de l’industrie présidées par le préfet de la région Grand Est et le président du conseil régional.
La Dreets Grand Est compte 270 agents répartis sur cinq sites dans cette vaste région fusionnée, caractérisée par un territoire industriel hétérogène et une forte tradition sidérurgique. Malgré les effets indéniables de la désindustrialisation, le taux d’emploi industriel du Grand Est, à 29,9 %, reste supérieur à la moyenne nationale de 15,9 %. L’industrie se concentre principalement dans quatre des dix départements de la région : le Bas-Rhin, la Moselle, le Haut-Rhin et la Meurthe-et-Moselle, qui représentent près de 65 % de l’emploi industriel régional.
Le Grand Est est la troisième région la plus industrialisée de France. Selon les chiffres de l’Insee en 2022, elle comptait plus de 300 000 salariés dans l’industrie, contre 333 361 en 2012, soit une baisse de 9,8 % en dix ans, comparée à une diminution nationale de seulement 1,5 %. Cette évolution s’explique par des facteurs structurels, notamment la présence forte de secteurs en déclin général en France, mais aussi par des évolutions sectorielles plus défavorables dans le Grand Est que dans d’autres régions.
L’industrie alimentaire demeure le premier secteur industriel du Grand Est, suivie par la fabrication de produits métalliques et la fabrication de machines et équipements. En ajoutant l’industrie automobile et la métallurgie, ces cinq principaux secteurs regroupent 46,3 % des salariés de l’industrie dans le Grand Est, contre 40,5 % au niveau national, illustrant une concentration sectorielle plus marquée.
La région compte 21 Territoires d’industrie labellisés par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la DGE. Sa caractéristique transfrontalière, avec 800 kilomètres de frontières partagées avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse, influence fortement les dynamiques industrielles régionales. Cette particularité est particulièrement notable dans la filière automobile, où l’on observe une forte interdépendance entre les constructeurs et sous-traitants allemands et le tissu de sous-traitants du Grand Est. Toute variation d’activité des premiers, se fera immédiatement ressentir sur les carnets de commandes des seconds ainsi que sur leurs capacités à investir et à développer de l’emploi.
Le service économique de l’État en région dans le Grand Est, composé de 15 agents, suit plusieurs filières industrielles stratégiques :
1. le secteur automobile et des mobilités terrestres, incluant le ferroviaire et les mobilités douces émergentes ;
2. les filières des matériaux, englobant la métallurgie, la sidérurgie, les forges et fonderies, ainsi que les matériaux stratégiques pour la transition énergétique, comme le lithium, présent de manière importante dans les eaux géothermales alsaciennes et qui conduit à la mise en place d’un écosystème complet dans le Grand Est, de l’extraction au recyclage – notamment pour les batteries électriques ;
3. l’industrie chimique, présente sur deux plateformes industrielles majeures dans le Haut-Rhin et en Moselle, ainsi qu’une plateforme de chimie végétale et de biocarburants dans la Marne ;
4. les industries et technologies de santé, concentrées autour de l’Eurométropole de Strasbourg ;
5. la filière du bois et des fibres végétales, fortement implantée dans les Vosges ;
6. l’aéronautique et l’aérospatiale, avec le cluster Aériades regroupant entreprises, centres de transfert technologique et établissements d’enseignement supérieur et de recherche, qui vise notamment à renforcer la défense, particulièrement important dans l’actualité que nous connaissons ;
7. les équipementiers de l’énergie, incluant la filière hydrogène et l’industrie photovoltaïque, cette dernière étant appelée à se développer grâce au projet de méga-usine ou gigafactory de la société Holosolis qui doit s’implanter à Hambach-en-Moselle ;
8. la filière nucléaire, avec un tissu dense de sous-traitants, la forge et fonderies par exemple ;
9. les solutions numériques, notamment en cybersécurité, intelligence artificielle et calcul quantique, principalement autour de l’écosystème de recherche et d’innovation de Nancy.
Cette diversité sectorielle et ces spécificités régionales façonnent l’action de la Dreets Grand Est dans son accompagnement du tissu industriel local. Je tiens à préciser que les agents du service économique de l’État en région effectuent annuellement plus de 170 visites d’entreprises dans les filières mentionnées. Ces visites permettent des échanges approfondis avec les dirigeants sur leurs stratégies, leurs projets de développement et d’investissement, leurs éventuelles difficultés et leurs attentes vis-à-vis des pouvoirs publics.
M. le président Charles Rodwell. Nous vous sommes extrêmement reconnaissants pour votre travail remarquable au service de nos entreprises et de nos industries. Les retours que nous recevons des entreprises témoignent de l’efficacité de votre collaboration. Je vous prie de transmettre nos remerciements à l’ensemble de vos collaborateurs au nom de la représentation nationale.
Concernant la mise en application de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, dite « loi industrie verte », considérez-vous que l’ensemble des dispositions votées sont pleinement opérationnelles ? Ont-elles engendré un changement significatif dans le traitement des dossiers d’implantation, d’extension et d’accompagnement ? Je pense notamment à l’accélération des procédures et à l’autorisation environnementale unique.
Au sujet de l’organisation des services déconcentrés de l’État, estimez-vous nécessaire de renforcer les pouvoirs de coordination des autorités préfectorales départementales ou régionales dans les arbitrages sur les décisions d’implantation ? Nous recevons de nombreux témoignages faisant état d’injonctions contradictoires entre l’administration centrale et l’autorité préfectorale sur des dossiers similaires. Par ailleurs, jugez-vous votre coordination optimale avec des services nationaux tels que le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), notamment dans les dossiers de reprise d’entreprise aux enjeux économiques, sociaux et politiques importants ?
Enfin, pensez-vous que la répartition actuelle des compétences entre collectivités soit optimale d’un point de vue économique ? Je pense particulièrement à la gestion des établissements fonciers par certains départements et à la compétence tourisme, souvent liée à d’autres caractéristiques économiques et industrielles de nos territoires, qui reste fréquemment une prérogative départementale.
Mme Emmanuelle Gay. Concernant la loi industrie verte, les dispositions sont effectivement en cours de mise en œuvre, notamment l’autorisation environnementale unique et l’accélération des procédures que vous avez évoquées. Ces mesures visent à réduire les délais d’instruction, ce qui est crucial tant pour les pétitionnaires que pour nos équipes. Cependant, s’agissant d’une réforme récente, il est encore tôt pour en tirer un bilan complet. Un temps d’appropriation est nécessaire pour l’ensemble des acteurs.
Il est important de rappeler que la précédente réforme de l’autorisation environnementale unique avait déjà permis de simplifier considérablement les procédures en regroupant plusieurs autorisations auparavant distinctes. Cette première étape a déjà montré des gains de temps significatifs.
Concernant le fonctionnement des services de l’État, notamment pour l’instruction des dossiers individuels et les projets industriels, c’est le service déconcentré qui est à la manœuvre sous l’autorité du préfet de département. Le traitement de chaque dossier se fait localement, sans contradiction entre l’autorité nationale et l’autorité déconcentrée. La direction générale de la prévention des risques fixe la réglementation, mais l’application se fait au niveau local.
Quant à l’articulation entre les différents services de l’État sous l’autorité des préfets, elle s’opère à plusieurs niveaux. Prenons l’exemple de l’aménagement du territoire et du foncier, essentiels au développement des projets industriels. En Île-de-France, nous disposons de dispositifs législatifs et réglementaires spécifiques en matière de planification, notamment le schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif). Dans ce cadre, nous assurons la représentation de l’État auprès du conseil régional pour l’élaboration du Sdrif, en associant toutes les directions régionales et ministérielles concernées. Parmi les enjeux portés par l’État, nous avons particulièrement insisté sur la préservation des fonciers économiques et industriels, qui avaient tendance à être réorientés vers d’autres fonctions par le passé.
Une politique de planification visant à préserver les fonctions économiques et industrielles des terrains est actuellement mise en œuvre. Cette stratégie, que j’ai élaborée en collaboration avec la région tout en la portant au niveau de l’État, illustre parfaitement l’interaction entre l’aménagement du territoire et les enjeux économiques. Cette approche transversale se concrétise également dans des projets opérationnels spécifiques, ce qui nous amène à la question de la répartition des compétences.
Prenons l’exemple des établissements fonciers. Dans notre région, nous disposons d’un établissement public foncier d’État dont la gouvernance inclut la région et d’autres collectivités. Cet établissement, qui couvre l’intégralité du territoire régional, résulte d’une évolution des structures antérieures qui étaient plutôt départementales. Cette configuration nous permet de déployer une stratégie foncière à l’échelle régionale, répondant ainsi à plusieurs objectifs cruciaux. Cette stratégie contribue au développement du logement, enjeu majeur parmi les quinze que nous avons identifiés. Elle joue également un rôle essentiel dans le développement de l’emploi, la disponibilité de logements étant un facteur d’attractivité déterminant pour attirer de nouveaux travailleurs. Au-delà de ces aspects, l’établissement public foncier intervient activement dans le domaine du foncier économique.
En ce qui concerne la répartition des compétences entre les collectivités, nous ne rencontrons pas de difficultés particulières. Bien que l’établissement soit une structure d’État, la région occupe une position prééminente parmi les collectivités impliquées, ce qui correspond parfaitement à l’échelle régionale de notre action.
M. Olivier Levillain, chef du service prévention des risques au sein de la Drieat d’Île-de-France. Parmi les nouvelles dispositions de la loi industrie verte, on note des modifications significatives de la procédure d’autorisation environnementale. De plus, la loi introduit des mesures importantes relatives au traitement des sols pollués.
Un dispositif particulièrement novateur permet désormais à un tiers aménageur de prendre en charge la dépollution d’un terrain qui n’aurait pas été traité par un exploitant précédent. Ce mécanisme, initialement limité, a été étendu par la nouvelle loi sur l’industrie verte. Il est important de souligner que ce dispositif, dans sa forme antérieure, était déjà bien établi en Île-de-France.
Actuellement, nous entamons des discussions pour exploiter cette extension du dispositif du tiers demandeur. L’objectif est d’optimiser l’utilisation des terrains au fil du temps, en tenant compte de l’influence que cette approche pourrait avoir sur l’aménagement du territoire.
M. Marc Rohfritsch. En Île-de-France, les centres de données ou data centers illustrent parfaitement les enjeux de coordination interservices et d’organisation territoriale. Leur implantation représente un défi majeur, impliquant des exigences spécifiques en termes d’infrastructures et de caractéristiques des sites. Ce processus nécessite une coordination étroite entre les services au niveau local, en lien avec les instances nationales. Un des principaux enjeux réside dans la concurrence d’usage des terrains, les data centers entrant en compétition avec d’autres activités industrielles pour des sites stratégiques.
Le modèle économique des data centers, caractérisé par une forte capacité d’investissement foncier, crée parfois un déséquilibre face à des industries plus traditionnelles ou émergentes, moins à même de rivaliser sur le plan financier. Malgré ces défis, la coordination en Île-de-France fonctionne efficacement, tant pour la recherche de sites que pour les travaux préparatoires à l’installation des data centers.
La répartition des compétences entre les CRP et les autres services s’opère naturellement en fonction de la taille et du profil des entreprises. Nos champs d’intervention sont clairement distincts, bien que nous puissions collaborer sur certains dossiers, notamment dans la recherche de repreneurs.
Je dois enfin préciser que nos équipes ne sont pas compétentes en matière de tourisme pour l’Île-de-France. Quant à la voie industrielle, cette question relève davantage de mes collègues de la Drieat.
Mme Léa Ben Cheikh. Il convient de rappeler l’existence de trois acteurs principaux : le Ciri, les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) et le réseau des conseillers départementaux aux entreprises en difficulté (Cded), rattachés à la Dreets.
La répartition des compétences s’effectue principalement en fonction des effectifs des entreprises : moins de 50 salariés pour les Cded, de 50 à 400 salariés pour les CRP, et plus de 400 salariés pour le Ciri. Cette coordination s’opère à plusieurs niveaux : auprès des entreprises, qui peuvent parfois avoir du mal à identifier le bon interlocuteur, auprès des différents acteurs en lien avec ces entreprises en difficulté et entre les services de l’État pour garantir une action efficace. Ces seuils d’effectifs peuvent être ajustés en fonction des enjeux locaux spécifiques. La coordination repose sur un échange d’informations en temps réel. Les CRP sont en mesure de transmettre des informations cruciales sur les impacts locaux potentiels en cas de défaillance d’une entreprise. Réciproquement, les rapporteurs du Ciri nous tiennent régulièrement informés de l’évolution des négociations en cours.
M. Marc Hoeltzel. Nous traitons actuellement 14 dossiers de conférences dans le cadre du CRP, avec un début en novembre. Deux dossiers, instruits depuis juillet, sont en phase finale, ce qui correspond à l’objectif de traitement en 8 à 9 mois que nous nous étions fixé.
Un aspect important de cette réforme est la valorisation de la phase 1. Auparavant informelle, elle incite désormais le pétitionnaire à nous solliciter le plus tôt possible. Cette approche s’avère efficace pour optimiser les délais et renforcer la solidité des dossiers. La procédure actuelle favorise cette démarche, capitalisant sur nos expériences antérieures positives.
Cette évolution a entraîné une refonte de nos méthodes d’instruction. Nous avons formé l’ensemble de nos inspecteurs et adopté une logique d’inspecteur unique, désigné dans les dix jours suivant le dépôt du dossier. Les différentes phases sont clairement séquencées, avec un examen initial du dossier sous 45 jours, ce qui limite les demandes de compléments, souvent source de prolongation des délais.
De nombreuses activités industrielles s’inscrivent dans le cadre d’autorisations distantes. Ces procédures, souvent liées à des directives protectrices, se déroulent sans enquête publique ni passage en conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Elles ne sont généralement pas comptabilisées dans les statistiques de suivi des délais d’instruction. Dans plusieurs départements, une part significative de l’activité industrielle est gérée par ces procédures accélérées.
Le dispositif du tiers demandeur, évoqué précédemment, suscite un intérêt croissant. Nous recevons également des demandes de reconnaissance sur des fonctions industrielles spécifiques, notamment concernant les polluants. Des procédures de garanties d’œuvre commencent à émerger, démontrant l’attrait de ce dispositif.
La coordination est un facteur clé dans la réussite des projets industriels. Nous la menons d’abord en interne, impliquant divers services au-delà de nos unités départementales, tels que les services biodiversité, urbanisme et énergie. Pour les implantations majeures, les comités de pilotage instaurés par les préfets de département, réunissant l’ensemble des services concernés, s’avèrent particulièrement efficaces. Cette approche permet de fixer des jalons, de respecter les délais et d’identifier rapidement les éventuelles difficultés procédurales. Cette coordination autour de l’échelon préfectoral est une pratique à pérenniser.
La question du foncier est primordiale. Nous constatons parfois l’émergence de sites industriels sur des terrains inadaptés. Pour remédier à cela, nous effectuons actuellement un recensement exhaustif des friches industrielles dans le Grand Est. Notre objectif est d’établir un catalogue, un atlas de ces friches, permettant d’associer le projet adéquat au foncier approprié. Cette démarche vise à éviter les situations où l’on découvre tardivement des problèmes de raccordement électrique ou des contraintes environnementales rédhibitoires pour le projet.
Dans cette optique, nous avons adopté une approche de sites « clés en main ». Actuellement, onze sites sont labellisés comme tels dans le Grand Est. Cependant, nous constatons que certains ne répondent pas entièrement aux critères requis, ce qui nécessite un travail d’amélioration continue de ce concept.
Les opérateurs fonciers jouent un rôle crucial dans cette stratégie. Dans le Grand Est, nous disposons de deux types d’opérateurs : un établissement public foncier d’État pour la Lorraine et le territoire de Champagne-Ardenne, et un établissement porté par un département en Alsace. Cette disparité entraîne des dynamiques et des capacités financières différentes. Il serait bénéfique d’avoir des opérateurs fonciers plus structurés et dotés de moyens financiers conséquents. L’exemple de l’arrondissement du député présent illustre l’importance de ces établissements publics fonciers pour l’anticipation et la gestion du foncier industriel.
Bien que les compétences des départements en matière économique soient limitées, ils restent des interlocuteurs pertinents. Ils disposent souvent de foncier utilisable pour l’accueil de sites industriels et ont des politiques en matière de mobilité et de logement. Leur implication dans la stratégie d’industrialisation locale demeure donc essentielle.
M. Jacques Bourgeaux. Le Grand Est a bénéficié d’une disposition de la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables, à savoir la création du statut de projet d’intérêt national majeur (PINM). À ce titre, le projet de gigafactory de production de modules et de cellules photovoltaïques a obtenu ce statut par décret le 3 juillet 2024. Ce statut vise non seulement à optimiser les délais d’instruction, mais également à sécuriser le raccordement électrique des installations, en adéquation avec le calendrier industriel du projet. C’est l’un des apports significatifs de la loi pour ce type de projet d’envergure nationale.
Concernant l’organisation des services déconcentrés, je rejoins les propos précédents sur le rôle essentiel de l’autorité préfectorale dans la coordination locale des grands projets industriels. Les instances de pilotage locales, adaptables selon les départements et parfois présidées par un sous-préfet d’arrondissement lorsque cela s’avère plus pertinent, permettent effectivement d’orchestrer efficacement l’intervention des services de l’État, notamment dans le cadre des procédures d’autorisation environnementale.
Les collectivités territoriales sont systématiquement impliquées dans ces travaux en raison de leurs compétences respectives sur des thématiques telles que les mobilités et le logement. Citons l’exemple d’un des groupes de travail de l’instance de pilotage du projet Holosolis à Hambach qui concerne les écoles et les crèches. L’objectif est de permettre aux futurs salariés de disposer de capacités d’accueil adaptées pour leurs enfants. Plus généralement, la cohérence est constante entre les services de l’État et les institutions ministérielles et interministérielles, ce qui permet de coordonner efficacement l’action des différents services de l’État au niveau local.
Concernant les administrations centrales, je laisserai le CRP apporter des éléments sur la coordination avec le Ciri. Cependant, je peux évoquer les deux principales administrations centrales référentes en matière de politique de réindustrialisation, d’emploi et de formation professionnelle : la direction des entreprises et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Ces administrations centrales ont un positionnement d’expertise qu’elles peuvent apporter, notamment dans la réglementation des aides d’État. Cette réglementation européenne a des effets très concrets sur la possibilité pour les pouvoirs publics locaux d’accorder des soutiens financiers aux projets d’implantation industrielle. Ce rôle d’expertise est tout à fait complémentaire et ne s’oppose nullement à l’autorité locale des préfets sur les projets qui leur sont confiés.
M. Philippe Nicolas, commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises au sein de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) du Grand Est. Je confirme tout d’abord les propos de Léa Ben Cheikh. Il est important de souligner que le fonctionnement du Ciri implique des contacts réguliers entre les Dreets et la direction générale du trésor. En Grand Est, particulièrement sur le territoire de la Lorraine, le Ciri est devenu un interlocuteur extrêmement fréquent depuis au moins dix-huit mois. Cette évolution s’explique par l’émergence de dossiers importants nécessitant un travail collaboratif. Pour le Ciri, les CRP souvent le rôle d’observateurs du territoire. Nous apportons des données essentielles dont le Ciri a besoin pour instruire ou faire avancer certains dossiers.
Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons traité plusieurs dossiers en collaboration étroite avec le Ciri. Si initialement nous rencontrions quelques difficultés de coordination, aujourd’hui, la collaboration est fluide et efficace. Nous entretenons des contacts fréquents et une confiance mutuelle s’est instaurée entre les différents intervenants. Je tiens à souligner ce point car il est crucial, notamment pour les entreprises de grande taille qui structurent les territoires et l’emploi local.
M. Jacques Bourgeaux. Actuellement, la répartition des compétences, avec la responsabilité du conseil Régional de promouvoir le développement économique sur son territoire, nous permet, en tant que services déconcentrés de l’État, de nous articuler parfaitement avec cette compétence. Cela explique d’ailleurs les missions ciblées des Dreets en matière de développement industriel, focalisées sur des filières stratégiques et sur l’accompagnement des mutations économiques des secteurs industriels clés de la région.
Il est important de noter l’existence d’un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, approuvé par le préfet de région. Cette approbation préfectorale garantit l’alignement des politiques publiques conçues par le conseil régional en matière de développement économique avec les politiques industrielles de l’État, définies par le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie et ses services.
La complémentarité de l’action de l’État et du conseil régional en matière de développement économique s’illustre particulièrement bien dans les dispositifs d’aide à l’investissement et à l’innovation. Les principaux dispositifs mis en place par l’État visent à créer un effet de levier pour des projets relatifs, par exemple, à la transition écologique de l’industrie ou comportant une forte dimension innovante avec une part de risque importante. Ces aides de l’État sont essentiellement des aides à l’amorçage et à l’industrialisation, cruciales pour le développement économique. Le conseil régional, quant à lui, dispose de ses propres aides permettant de soutenir la modernisation des équipements productifs et d’autres types de projets des entreprises sur le territoire, y compris ceux des toutes petites entreprises (TPE), des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le rôle des Dreets, et en leur sein des services économiques de l’État en région, est de comprendre l’articulation de ces différentes aides publiques entre les collectivités afin d’en faire la promotion auprès des entreprises et des acteurs économiques du territoire.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je me joins aux propos introductifs du président : votre rôle est crucial dans vos régions respectives en tant qu’acteurs des pouvoirs publics dans la vie économique, notamment pour soutenir nos industries.
Aujourd’hui, de nombreux acteurs industriels critiquent les délais d’instruction des dossiers d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La loi fixe un délai maximum de traitement d’un an à compter du dépôt du dossier en préfecture auprès de vos services. Concrètement, quels sont les principaux obstacles à une réduction de ces délais ? Je suppose qu’il existe des contraintes en termes de ressources humaines, comme dans de nombreux services publics. Cependant, il existe également des enjeux techniques nécessitant un certain temps de traitement. Si nous souhaitions réduire les délais d’instruction des ICPE, quels seraient, selon vous, les délais raisonnablement envisageables ?
M. Marc Hoeltzel. Si nous faisons abstraction des dossiers éoliens et de carrières, qui présentent une complexité particulière et ne sont pas nécessairement au cœur du sujet de l’industrialisation, nous constatons que la moyenne des délais de traitement, en combinant les dossiers d’autorisation et ceux liés à l’enregistrement, est inférieure à un an. Nous parvenons souvent à approcher les neuf mois. L’autorisation d’Holosolis a été instruite en moins de neuf mois.
Il est évident que les bonnes pratiques que j’ai mentionnées auparavant, telles que l’utilisation du comité de pilotage et le dialogue en amont, sont des éléments clés pour respecter les délais. Cela s’applique également aux procédures environnementales. Comme vous le savez, des études d’impact saisonnières sont nécessaires. Plus tôt nous établissons des contacts avec l’industriel, plus rapidement nous pouvons le conseiller et l’accompagner pour que ces études environnementales soient les plus précises possible. En général, nous parvenons à trouver des solutions, même lorsque des dérogations sont nécessaires, grâce à ce dialogue précoce et au temps dont nous disposons pour bien définir le cadre des contraintes.
Concernant les freins, j’ai précédemment indiqué que certains aspects seront facilités par la loi industrie verte. Nous avions également des pratiques de demande de compléments de dossier, motivées par un souci de fiabilité. Il faut souligner que nous avons très peu de contentieux sur les dossiers ICPE, ce qui témoigne de l’efficacité de cette approche visant à fiabiliser au maximum les dossiers. L’accompagnement industriel se positionne en amont du délai d’instruction, contribuant à sa normalisation et à son respect. Il est crucial d’avoir une vision globale des contraintes dès le départ. J’ai personnellement constaté que certains éléments, notamment liés au raccordement électrique, peuvent impacter significativement les délais, comme ce fut le cas pour le projet Holosolis. Bien que classé PINM, ce dossier aurait nécessité environ neuf mois de traitement. Une connaissance précoce des contraintes de raccordement électrique est donc essentielle pour optimiser les délais. Par ailleurs, des impondérables peuvent survenir, particulièrement concernant les sites pollués. Vous avez évoqué les expertises environnementales : une étude faune-flore sur quatre saisons peut révéler des complexités imprévues. La clé du succès réside dans l’anticipation de ces questions. Plus nous les aborderons tôt, plus nous serons en mesure de gérer efficacement les enjeux contradictoires qui pourraient se présenter.
Mme Emmanuelle Gay. Je souscris entièrement aux propos précédents. En Île-de-France, notre délai moyen d’instruction est actuellement de neuf mois, avec un objectif de réduction à deux mois dans les cas les plus favorables. La qualité des dossiers présentés par les industriels, qui dépend largement de l’expertise des bureaux d’études, est un facteur déterminant. Nous menons une action d’accompagnement auprès de ces bureaux pour garantir leur maîtrise des évolutions législatives et réglementaires, souvent rapides, ainsi que des enjeux techniques. Notre objectif est de favoriser la production de dossiers clairs, concis et complets dès leur soumission, ce qui facilite considérablement l’instruction et optimise les délais d’autorisation.
Concernant la parallélisation des démarches, il est essentiel de comprendre qu’un projet industriel nécessite du temps pour se concrétiser, au-delà des seules procédures réglementaires. Cela inclut la maîtrise du foncier, le montage financier, la définition précise du projet, et potentiellement des marchés de travaux conséquents. Intégrer la procédure environnementale dès que les éléments du projet sont suffisamment définis, plutôt qu’en fin de processus, permet une gestion plus efficace des délais globaux. Notre objectif est que l’autorisation, une fois délivrée, permette un démarrage immédiat des travaux, évitant ainsi les situations où le projet reste en suspens malgré l’obtention des autorisations.
M. Marc Hoeltzel. Je souhaite revenir sur la dimension des ressources humaines, aspect que nous n’avions pas abordé par pudeur, mais qui impacte significativement notre capacité à respecter les délais. Nos équipes font face à des exigences croissantes en termes de volume de dossiers à traiter. De plus, l’introduction de nouvelles procédures, telles que celles liées aux articles 27 et 28 de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10 mars 2023 dite « loi Aper », crée des situations complexes et non standardisables pour nos équipes. Dans une optique de simplification, tant pour les industriels que pour nos services, nous cherchons à développer des procédures applicables de manière générique à un large éventail de cas, plutôt que des solutions spécifiques à des niches. Nous sommes pleinement engagés dans cette démarche d’optimisation.
M. Marc Rohfritsch. Je souhaite partager une expérience personnelle issue de mon précédent poste, où j’ai été impliqué dans le projet d’implantation de l’usine de batteries ACC dans les Hauts-de-France. Ce cas illustre notre capacité à agir avec une rapidité exceptionnelle dans certaines situations. Il existe plusieurs exemples de réussites remarquables, où des industrialisations ont été menées dans des délais extrêmement courts, permettant à des usines de voir le jour dans des temps record pour ne pas manquer leur fenêtre d’opportunité sur le marché. Le cas de l’usine ACC m’a particulièrement marqué par la rapidité de sa concrétisation.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Dans certains cas, notamment pour les énergies renouvelables ou les projets d’intérêt national majeur, des dérogations aux règles environnementales sont accordées, notamment en les présumant d’office comme relevant de raisons impératives d’intérêt public majeur (RIIPM).
J’aimerais connaître votre opinion sur la proposition suivante : qualifier automatiquement de RIIPM tout projet industriel créateur d’un nombre significatif d’emplois, à condition qu’il s’implante sur une friche industrielle de moins de trente ans. Cette mesure viserait principalement à revitaliser les zones récemment désindustrialisées, notamment suite à la fermeture de sites industriels dans notre pays. L’objectif serait de créer des zones attractives en termes d’exemptions normatives en qualifiant de RIIPM les projets industriels s’implantant sur ces friches. Quelle est votre analyse des avantages, des outils et des inconvénients qu’une telle mesure pourrait présenter ?
M. Marc Hoeltzel. À ce jour, nous n’avons qu’un seul exemple de RIIPM : le projet Holosolis, classé ainsi en raison de la nécessité d’une dérogation pour son raccordement électrique prioritaire. Comme je l’ai mentionné précédemment, c’est davantage son statut de PINM qui a permis une accélération du dossier, grâce à l’engagement fort de l’État et à la mobilisation intensive de tous les services concernés. Le dispositif RIIPM pour accélérer le raccordement électrique n’a pas in fine été le facteur déterminant dans le respect des délais.
À l’avenir, plutôt que de créer de nouvelles niches réglementaires, je préconiserais le développement d’un dispositif applicable à un plus grand nombre de dossiers, tout en définissant clairement les critères de qualification pour le statut de PINM. Cela permettrait de cibler efficacement les projets éligibles. Votre suggestion concernant les friches industrielles historiques mérite attention. Il est vrai que ces sites nécessitent une considération particulière pour favoriser leur réindustrialisation. Nous sommes confrontés à des enjeux fonciers importants, avec un passif en termes d’artificialisation des sols. Fort heureusement, nous disposons de ces friches industrielles, et l’enjeu est maintenant de concevoir des outils réglementaires adaptés pour stimuler leur redéveloppement.
M. le président Charles Rodwell. Cette mesure sur les friches industrielles contribuerait à la sobriété foncière, puisqu’il s’agit par définition de zones déjà artificialisées. Néanmoins, je suis conscient que chaque friche présente des caractéristiques uniques et que des enjeux de décontamination des terres concernées peuvent se poser.
Mme Emmanuelle Gay. Vous avez évoqué la question des projets industriels générateurs d’emplois nombreux. Nous partageons cette préoccupation avec nos collègues du secteur économie-travail, l’enjeu de l’emploi étant fondamental. Cependant, nous constatons actuellement que de nombreux projets industriels sont consommateurs de foncier mais peu créateurs d’emplois. Notre réglementation actuelle, notamment le code de l’environnement, ne fait pas de distinction basée sur la création d’emplois, se concentrant plutôt sur les impacts environnementaux. Néanmoins, votre suggestion d’intégrer ce critère dans l’évaluation des projets industriels est pertinente.
Nous observons une prédominance de projets à faible création d’emplois, ce qui constitue un point d’alerte majeur. Les data centers et les plateformes logistiques en sont des exemples frappants : ils occupent de vastes espaces mais génèrent relativement peu d’emplois. Ces types de projets représentent actuellement la majorité des dossiers que nous traitons, au détriment de véritables projets de réindustrialisation.
Par ailleurs, nous devons également considérer les besoins de l’économie tertiaire et des services sociaux, notamment dans les domaines de la gestion des déchets et de l’assainissement, particulièrement dans les zones densément peuplées. Ces secteurs nécessitent un certain développement industriel et peuvent potentiellement stimuler la création d’industries génératrices d’emplois.
Le facteur emploi doit être pris en compte dans l’arbitrage entre différents projets industriels pour un même foncier. Bien que cela dépasse le cadre strict de notre réglementation, il est crucial que les collectivités et l’État intègrent cet aspect dans leurs décisions de priorisation.
Concernant la priorisation des projets, il pourrait être judicieux de concentrer nos efforts sur certains projets à enjeux majeurs, compte tenu de nos contraintes en ressources humaines. Cette approche permettrait d’accélérer le traitement de dossiers prioritaires, à l’instar de ce qui a été fait pour les Jeux olympiques et paralympiques, où une mobilisation exceptionnelle a permis d’accélérer de nombreux processus.
Enfin, sur la question du foncier, nous sommes confrontés à la problématique des friches industrielles. Certaines peuvent être reconverties en logements, notamment dans les zones urbaines denses où la cohabitation entre industrie et quartiers résidentiels est devenue complexe. Cependant, de nombreuses friches restent inexploitées, non par manque de rapidité dans l’instruction des dossiers, mais souvent par absence de projets concrets, de porteurs de projets ou d’investisseurs. C’est un défi supplémentaire que nous devons relever.
M. Marc Rohfritsch. Concernant l’enjeu de l’emploi, nous souscrivons pleinement aux propos de notre collègue. L’intensité de création d’emplois constitue effectivement un critère déterminant dans l’attribution de nos soutiens aux projets. Ce facteur pèse considérablement dans notre processus de sélection.
Par ailleurs, je souhaite établir un lien avec le concept des sites clés en main. L’objectif est de sécuriser ces sites et d’anticiper certaines démarches, même en l’absence d’un projet définitif. Cette approche permettrait de travailler en amont sur divers aspects, à l’instar de ce qui a été réalisé pour d’autres types de projets, notamment dans le domaine aérien ou maritime. Ces réflexions méritent d’être approfondies pour optimiser notre stratégie d’implantation industrielle.
M. Jacques Bourgeaux. Une condition essentielle à l’implantation sur une friche industrielle réside dans le portage à long terme par le propriétaire de celle-ci, qui peut être la collectivité. Cela nécessite un engagement durable des élus pour mener à bien la réhabilitation et la dépollution du site, le rendant ainsi apte à accueillir une activité industrielle.
Au-delà de cet engagement, la dimension financière est primordiale. Des dispositifs de soutien étatiques existent, tels que la mesure de recyclage foncier du fonds friches, qui contribue au financement de la réhabilitation. Cependant, nous constatons que ces mécanismes sont encore insuffisamment mobilisés pour des projets à vocation économique, étant plus fréquemment utilisés pour des activités de logement ou tertiaires. Cette situation s’explique en partie par la difficulté à compléter le financement avec des fonds privés.
Néanmoins, des exemples encourageants existent. Je citerai le cas de la société Cibox dans le Grand Est, qui va produire des vélos électriques sur une friche historique dans les Ardennes, l’ancienne friche Porcher. Cette implantation a été rendue possible grâce à la réhabilitation menée par la communauté de communes Ardennes Rives de Meuse. C’est un modèle exemplaire d’engagement à long terme d’une collectivité, permettant la réhabilitation d’une friche pour accueillir une nouvelle unité de production.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Concernant les entreprises et industries ne bénéficiant pas d’une implantation sur un site pré-aménagé ou de dérogations, je m’interroge sur l’actualité du cadre réglementaire relatif aux espèces protégées, tant pour la faune que pour la flore. Nous sommes parfois confrontés à des situations où la protection d’espèces entrave significativement le développement industriel. Pour illustrer ce propos, je citerai un acteur local qui affirme que « les crapauds font reculer les pelleteuses ». Bien que la protection de la faune menacée soit légitime et puisse justifier le report de projets industriels, nous constatons fréquemment que certaines espèces dites protégées prolifèrent dans certaines régions tout en étant menacées dans d’autres. Ne serait-il pas judicieux d’envisager une régionalisation de la liste des espèces animales et végétales protégées, en fonction de leur répartition effective au sein des différentes régions ? Par ailleurs, que penseriez-vous de la mise en place d’une cartographie des terrains disponibles pour la compensation écologique, mais également pour le foncier disponible ?
M. Marc Hoeltzel. Notre approche se veut résolument constructive et axée sur l’accompagnement des porteurs de projets, dans le strict respect de la réglementation en vigueur. Nous nous efforçons de trouver des solutions optimales en appliquant la séquence éviter-réduire-compenser, en privilégiant autant que possible l’évitement et la réduction avant d’envisager la compensation. Notre intervention en amont auprès des industriels vise à faciliter ce processus.
Nous sommes conscients que ces démarches, incluant les consultations avec les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (Csrpn), peuvent impacter le calendrier d’implantation industrielle. Néanmoins, une anticipation adéquate permet généralement de trouver des solutions satisfaisantes. Concernant la régionalisation des listes d’espèces protégées, je ne suis pas suffisamment expert pour me prononcer sur ce point spécifique.
Quant à la cartographie des terrains pour les compensations, une nouvelle réglementation nationale, entrée en vigueur fin 2024, instaure des opérateurs de compensation. Cette initiative permettra la création d’un registre national des zones potentielles de compensation pour les espèces protégées. Cette démarche s’inscrit en complémentarité avec les actions menées par la région Grand Est. Des initiatives similaires sont également en cours concernant le foncier, tant sur le volet environnemental que sur l’aspect carbone.
Ces nouveaux outils de compensation, fondés sur des stocks de terrains dédiés, devraient fluidifier l’application de la réglementation relative aux dérogations pour les espèces protégées. Bien que cette réglementation soit récente, nous avons déjà été contactés par plusieurs opérateurs fonciers souhaitant intégrer leurs terrains dans cette banque nationale de compensation.
Nous sommes confiants quant à l’impact positif de cette dynamique sur la gestion des dossiers industriels, notamment pour résoudre les difficultés liées à la recherche de terrains de compensation environnementale. Cette problématique concerne également les sites clés en main, dont l’un des cinq que nous gérons fait actuellement face à des enjeux liés aux espèces protégées.
Parallèlement, nous menons un travail approfondi de recensement des friches au niveau du Grand Est, intégrant la dimension des espèces protégées dans le registre des friches destinées à l’implantation de nouvelles industries. Ces différentes initiatives témoignent d’une dynamique positive dans la gestion de ces enjeux.
En conclusion, j’insiste sur l’importance de nous solliciter le plus tôt possible dans le processus, afin que nous puissions appréhender efficacement cette dimension et accompagner au mieux l’industriel dans la recherche de solutions adaptées à son projet d’implantation.
Mme Emmanuelle Gay. Notre position s’inscrit dans un contexte territorial déjà fortement urbanisé, où la problématique des espèces protégées, bien que présente, n’est généralement pas la préoccupation principale remontée par les acteurs économiques. Néanmoins, nous restons vigilants sur cette question, particulièrement pour les projets impliquant des travaux sur le sol.
Un enjeu majeur que nous identifions concerne l’accès à l’information. Il serait extrêmement bénéfique pour les porteurs de projets de disposer, dès les premières phases de réflexion, d’une connaissance exhaustive des enjeux environnementaux liés à un foncier spécifique. Cette approche permettrait d’anticiper les potentielles difficultés, d’éviter les déconvenues et d’intégrer dès le départ les contraintes liées aux inventaires dans la conception du projet.
Actuellement, le partage des connaissances existantes sur les inventaires et les espèces présentes n’est pas optimal. Il y a donc un réel axe de progrès pour les acteurs détenteurs de ces informations. L’objectif serait de faciliter l’accès à ces données, tout en gardant à l’esprit que nous travaillons sur un domaine vivant, où la situation peut évoluer entre le moment de l’inventaire et la mise en œuvre du projet.
Nous observons une tendance croissante vers l’ouverture des données et leur exploitation par des systèmes performants. Cette évolution offre des perspectives intéressantes pour gagner en efficacité dans la gestion de ces enjeux environnementaux.
M. Marc Hoeltzel. Effectivement, notre approche en termes de partage des connaissances est proactive. Lorsqu’un industriel nous sollicite, nous mettons à sa disposition les informations dont nous disposons sur les sites concernés. Notre rôle consiste à alerter, conseiller et guider l’industriel dans l’élaboration de son projet, notamment pour cibler efficacement les études saisonnières nécessaires et identifier les espèces pertinentes.
Concernant la régionalisation des listes d’espèces protégées, il convient de nuancer cette approche. Certaines espèces d’intérêt communautaire resteront soumises à un classement national, limitant les possibilités de différenciation entre régions.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Comment pouvons-nous garantir la pérennité et la disponibilité effective des sites clés en main ? Quelles mesures sont envisagées pour prévenir l’implantation de nouvelles espèces protégées sur ces terrains ?
M. Marc Rohfritsch. La préparation des sites clés en main implique de nombreux acteurs, notamment les collectivités locales. En effet, même s’ils sont bien identifiés, ils présentent des caractéristiques spécifiques qui ne correspondent pas nécessairement à tous les types de projets. L’un des défis majeurs consiste à faire coïncider les caractéristiques d’un site avec celles du projet envisagé. Cette difficulté est structurelle et ne peut être entièrement résolue.
M. Marc Hoeltzel. La configuration actuelle des sites clés en main ne répond pas pleinement aux besoins émergents, notamment en matière de data centers. L’insuffisance de la puissance électrique, qui n’a pas été anticipée lors de la planification initiale, limite notre capacité à positionner ces sites pour de tels projets. Par ailleurs, nous constatons que l’évolution des industries que nous cherchons à attirer nécessite une adaptation de ces sites clés en main. Il est donc impératif de redéfinir les caractéristiques de ces sites et d’établir clairement leurs limites en termes d’accueil industriel pour chaque nouveau projet. Cette démarche n’est pas systématiquement mise en œuvre actuellement.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Notre approche des sites clés en main manque parfois de pertinence. Ainsi, il n’est pas rare que des projets avancés se heurtent in fine à l’inadéquation du site, engendrant une déception compréhensible. En termes de gouvernance, il est crucial de repenser cette politique à l’échelle nationale et sa généralisation. Ne devrions-nous pas adopter une vision plus descendante et plus verticale, en dictant depuis Bercy les types d’industries à prioriser en termes de délais d’implantation, pour permettre aux échelons locaux et régionaux d’identifier les terrains à préparer pour obtenir le statut clés en main. Bien que le rôle des collectivités soit prépondérant dans ce processus, une approche plus descendante dans la détermination des sites clés en main prioritaires et de leurs spécificités semblerait nécessaire.
M. Marc Hoeltzel. Sur instruction du préfet de région, nous avons entrepris un recensement exhaustif des friches industrielles, incluant mais ne se limitant pas aux sites clés en main existants. Notre objectif est d’enrichir cette liste sans nécessairement rechercher le label site clés en main. Cette démarche s’effectue en parallèle et en coordination avec les services de la région, également engagés dans une logique de développement industriel. Nous croisons actuellement nos analyses sur les sites industriels et les friches pour établir un atlas complet des espaces mobilisables pour l’implantation industrielle. Cet outil répertoriera les contraintes et les limites spécifiques à chaque site, permettant ainsi aux agents de développement économique de proposer efficacement des sites adaptés aux besoins particuliers de chaque projet industriel.
Mme Emmanuelle Gay. Nous partageons pleinement l’analyse sur la nécessité d’élargir notre approche au-delà de la logique des sites clés en main et d’offrir une visibilité accrue aux acteurs concernés. En Île-de-France, nous avons réalisé un panorama des sites disponibles dans le cadre de l’élaboration du schéma directeur régional, en collaboration avec la région. Notre focus s’est porté particulièrement sur les grands sites, qui représentent le défi majeur en termes de disponibilité. Bien que nous n’ayons pas encore mis ces informations en ligne de manière ouverte, je suis convaincue de l’importance de publier des données exhaustives et validées par l’ensemble des acteurs sur ces sites stratégiques. Cette démarche permettrait aux porteurs de projets de gagner un temps précieux.
Concernant l’approche descendante des sites clés en main au niveau national, nous en avons constaté les limites. Le cadre contraignant n’a pas permis une caractérisation suffisamment fine des sites ni une expression qualifiée de leur nature. Il est crucial de fournir une information plus large sur les caractéristiques des terrains, adaptée aux besoins variés des projets industriels ou économiques. La logique initiale des sites clés en main, concentrée sur quelques sites, s’est révélée trop restrictive. L’objectif devrait être d’élargir cette vision pour présenter une gamme plus diversifiée de sites, répondant à des besoins variés.
Aujourd’hui, nous observons une demande particulière pour les sites adaptés aux data centers, nécessitant une importante capacité électrique. Cependant, d’autres types d’investissements, potentiellement générateurs d’emplois, pourraient requérir des caractéristiques différentes, comme une meilleure accessibilité par les transports en commun ou routiers.
M. Marc Rohfritsch. Il est essentiel de présenter une offre complète et transparente aux investisseurs. Les retours d’expérience au niveau national sur la démarche des sites clés en main ont effectivement été mitigés. Certains investisseurs ou industriels ont été déçus par des sites proposés qui, pour des raisons parfois prévisibles, se sont révélés inadaptés malgré les efforts de valorisation déployés par les agences de développement.
Néanmoins, ce dispositif conserve son utilité et son intérêt. L’objectif ultime est de disposer de sites mieux préparés, permettant une adaptation locale plus rapide et une accélération des délais d’implantation grâce à un travail préparatoire en amont. Il est également de notre responsabilité d’élargir les perspectives des collectivités qui, parfois, ont une vision trop restrictive des activités pouvant s’implanter sur leurs sites. Notre rôle est d’ouvrir le champ des possibles et de mettre en lumière le potentiel de certains sites qui, à première vue, n’auraient pas été considérés comme pertinents pour certains types d’activités.
M. Jacques Bourgeaux. Je tiens à préciser que la démarche des sites clés en main s’est déroulée en deux phases distinctes. La première, lancée en 2018, visait à proposer des sites quasi entièrement prêts à l’emploi. Suite au retour d’expérience de cette phase initiale, l’État a initié une seconde étape dans le cadre de France 2030, ciblant des sites à fort potentiel. Par exemple, dans le Grand Est, cinq sites ont été identifiés, sélectionnés pour leur proximité avec des infrastructures de transport multimodales, leur accès à des sources d’énergie conséquentes et leur situation favorable en termes de bassin d’emploi. Cette nouvelle approche reconnaît la difficulté de proposer instantanément des sites parfaitement opérationnels, sans obstacles. Elle prévoit plutôt la mise en place d’instances de pilotage pour améliorer progressivement ces sites, en collaboration étroite entre les services de l’État et les collectivités locales.
Concernant l’adéquation entre les filières industrielles stratégiques et ces sites, il est important de souligner que les priorités nationales définies par le ministère de l’économie et des finances sont systématiquement communiquées aux agences régionales de développement économique et aux conseils régionaux. Cette transmission d’information oriente naturellement les porteurs de projets vers les zones les plus pertinentes en termes d’emploi et d’écosystèmes industriels.
Pour les projets d’investissement étranger, le processus actuel, piloté par Business France en collaboration avec les agences régionales de développement économique, génère une émulation bénéfique entre les régions. Cette dynamique permet aux investisseurs de se voir proposer un éventail de sites, leur laissant le choix final en fonction de critères économiques, de proximité avec les infrastructures nécessaires, et de l’écosystème industriel local.
Néanmoins, l’enjeu principal reste d’identifier des sites qui, au-delà de leur intérêt économique, ne présentent pas de contraintes intrinsèques trop importantes pour l’implantation de projets industriels. C’est dans cette optique qu’un atlas des sites est en cours d’élaboration, en collaboration avec le conseil régional. Cet outil permettra d’anticiper les éventuelles difficultés et d’orienter plus efficacement les investisseurs.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Concernant l’accès aux subventions, de nombreux acteurs industriels, particulièrement les PME, déplorent la multiplicité des interlocuteurs et le manque de visibilité sur les aides publiques disponibles. Bien qu’un effort considérable ait été réalisé pour rationaliser les procédures environnementales via un guichet unique, la question se pose de la pertinence d’un dispositif similaire pour l’attribution des subventions étatiques.
Quant au plan France 2030 et à sa méthode d’appels à projets, il serait intéressant d’évaluer son efficacité et son impact potentiellement discriminant sur certains types d’entreprises, notamment l’industrie de base.
M. Marc Rohfritsch. Concernant les appels à projets de France 2030, la problématique ne réside pas tant dans le principe même de l’appel à projets que dans les critères de sélection appliqués. Ces critères, en favorisant des entreprises plus innovantes ou certaines typologies d’industries, peuvent effectivement créer des biais. Cependant, il est tout à fait envisageable de modifier ces critères tout en conservant le modèle d’appel à projets, qui présente l’avantage de mettre en compétition ouverte l’ensemble des entreprises potentiellement concernées.
Il convient de rappeler que le recours aux appels à projets est l’un des marqueurs forts du plan de financement, hérité du programme d’investissements d’avenir. Ce choix vise à garantir une allocation plus vertueuse des financements par rapport à certaines pratiques antérieures.
Par ailleurs, France 2030 envisage d’élargir ses modes d’intervention pour accorder une place plus importante à la commande publique. Cette approche présente plusieurs avantages par rapport aux subventions classiques. Elle génère directement du chiffre d’affaires pour les entreprises, facilitant ainsi le démarrage ou la diversification de leurs activités. Les subventions, quant à elles, ne couvrent qu’une partie des financements et sont souvent conditionnées à l’existence de fonds propres suffisants.
Il est également important de noter une évolution dans les critères d’attribution des financements. Si l’accent a longtemps été mis sur l’innovation technologique, on observe une ouverture croissante vers d’autres formes d’innovation, qu’elles soient organisationnelles, managériales ou d’autres natures. Cette diversification des critères permet de soutenir un spectre plus large d’entreprises, y compris celles moins axées sur la haute technologie mais innovantes dans d’autres domaines.
Il convient de reconnaître les progrès réalisés récemment, bien qu’il subsiste encore une multiplicité d’acteurs susceptibles d’apporter leur soutien aux entreprises à divers titres. En nous concentrant sur la sphère étatique, une rationalisation notable a été entreprise en France. Celle-ci a permis de regrouper un nombre important d’opérateurs différents sous une même égide, ce qui représente une amélioration par rapport à l’organisation antérieure. Nous disposons désormais d’entités telles que la Banque publique d’investissement (BPIFrance), la Caisse des dépôts, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le Centre national d’études spatiales (Cnes) qui interviennent chacune avec leurs compétences et expertises spécifiques dans des domaines d’intervention clairement définis.
Cette nouvelle structuration offre une meilleure visibilité des possibilités de financement. Néanmoins, au-delà de France 2030, il existe encore des financements gérés par diverses agences, non liés à l’innovation mais plutôt à l’emploi, à la décarbonation ou à d’autres priorités. Il est probable que cet effort de rationalisation se poursuive à l’avenir. Cependant, nous ne sommes pas encore parvenus à un véritable guichet unique, et il n’est peut-être pas opportun d’y aspirer dans l’immédiat. Cette perspective pourrait toutefois être envisagée pour certaines composantes de l’action publique à plus long terme.
Mme Manon Nguyen Van Mai, cheffe du service économique de l’État en région (Seer) Île-de-France. En complément, il est important de souligner que le service économique remplit une mission essentielle d’orientation ciblée des PME et des ETI vers les dispositifs appropriés pour financer leurs projets industriels. Notre action s’étend au-delà du seul plan France 2030. Nous collaborons notamment avec les aides du conseil régional, en particulier en Île-de-France, et mobilisons également des financements issus de la revitalisation, conséquence de plans de sauvegarde de l’emploi significatifs sur le territoire.
Ces ressources constituent des moyens supplémentaires pour financer des projets industriels dans des zones qui en ont besoin, dépassant le simple critère de l’innovation. Notre rôle consiste à accompagner de nombreuses PME et ETI dans cette démarche, en rendant visibles et accessibles ces opportunités de financement. Nous procédons à une analyse approfondie de leurs projets et de leurs besoins financiers, puis les orientons vers les solutions les plus adaptées.
M. Marc Rohfritsch. Le rôle des services de l’État en région dans le domaine économique consiste précisément à orienter les entreprises vers les dispositifs appropriés. Cette mission fait écho à une proposition visant à développer un service d’accompagnement premium pour certains types d’entreprises. Bien que nous souhaitions offrir un accompagnement plus personnalisé, il faut garder à l’esprit que les PME et TPE constituent le cœur de notre tissu économique. Avec seulement 18 personnes en charge de ces questions pour l’ensemble de l’Île-de-France, il n’est pas envisageable de proposer un accompagnement extensif à l’ensemble du tissu économique.
Néanmoins, il pourrait être pertinent de développer des approches d’accompagnement premium pour des projets ou des entreprises jugés particulièrement importants en termes de croissance, d’emploi ou de développement territorial. L’enjeu réside dans la définition précise du segment d’entreprises et de projets qui pourraient bénéficier de ces approches d’accompagnement renforcé de la part des services de l’État en région.
M. Jacques Bourgeaux. En complément des précisions apportées par mes collègues, je tiens à souligner que le service économique de l’État en région s’inscrit également dans une dynamique d’animation et de relais auprès des sous-préfets référents pour l’accélération des implantations industrielles. Ces derniers ont été désignés comme interlocuteurs privilégiés sur les questions économiques et industrielles dans chaque service de l’État. Notre rôle consiste à nous appuyer sur ces relais à l’échelle infra-départementale pour atteindre un maximum d’entreprises.
Comme l’a évoqué le directeur régional de l’Île-de-France, nous envisageons la possibilité d’un accompagnement premium pour certaines entreprises, sans pour autant négliger les autres. Nous comptons sur les sous-préfets référents au sein des services de l’État, mais aussi sur les agences de développement économique au niveau départemental, pour toucher plus largement l’ensemble des entreprises. Les modalités de communication peuvent varier selon les régions, mais chacune s’inspire des bonnes pratiques, telles que des événements d’information réguliers ou des plateformes répertoriant les dispositifs d’aide.
Il est important de noter qu’il existe des dispositifs étatiques permettant de soutenir, sous certaines conditions, des entreprises industrielles moins innovantes. Je fais notamment référence à la mesure Territoires d’industries en transition écologique, qui s’inscrit dans le cadre du fonds Vert. Bien que disposant d’une enveloppe moindre que celle allouée à France 2030, ce dispositif bénéficie aux entreprises proposant des productions vertueuses pour l’industrie environnementale ou contribuant directement aux chaînes de valeur de la transition écologique.
L’ensemble des dispositifs de subventions de l’État doit se conformer aux régimes-cadres exemptés et plus largement à la réglementation européenne sur les aides d’État. Cela impose certaines contraintes sur le type de projets pouvant être soutenus. Nous ne pouvons pas généraliser les aides à tous types d’entreprises, quelle que soit leur taille ou la nature de leurs projets. Les PME, au sens communautaire du terme (moins de 250 salariés), peuvent généralement être soutenues plus facilement. Pour les entreprises de taille supérieure, leurs projets doivent répondre à des contraintes fortes, notamment en matière de formation ou de recherche et développement.
Enfin, la subvention n’est pas l’unique solution pour soutenir les entreprises. Malgré les aides existantes à l’innovation, qui peuvent prendre la forme de subventions pures ou d’avances remboursables, nous constatons aujourd’hui des difficultés pour les entreprises à mobiliser des financements en fonds propres. Cette problématique touche aussi bien les entreprises innovantes que celles développant des projets industriels plus traditionnels, qui peinent à finaliser leurs levées de fonds malgré les subventions obtenues. Cette difficulté s’observe également dans les cas de reprise d’entreprises, notamment sous forme de sociétés coopératives de production (Scop), où il est important que l’investissement des salariés soit complété par des mécanismes d’investissement externes pour assurer la pérennité du projet.
M. le président Charles Rodwell. Je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude pour votre temps, votre engagement envers l’entreprise et l’ensemble de vos actions. Votre contribution est essentielle pour nos entreprises, pour le développement économique de notre pays, pour la création d’emplois et pour l’ensemble de notre territoire. Je salue également l’action remarquable de vos équipes.
La séance s’achève à dix-huit heures.
Présents. – M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber