Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque, président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), et M. Maurice Georges, président du directoire du Grand port maritime de Dunkerque (GPMD) 2
– Présences en réunion................................18
Jeudi
22 mai 2025
Séance de 11 heures 30
Compte rendu n° 44
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.
M. le président Charles Rodwell. Nous poursuivons nos auditions en entendant à présent, par visioconférence, M. Patrice Vergriete, ancien ministre délégué chargé du logement puis des transports, maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque, président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et M. Maurice Georges, président du directoire du Grand Port maritime de Dunkerque (Gpmd).
Je vous remercie, messieurs, de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Patrick Vergriete et Maurice Georges prêtent successivement serment.)
M. Maurice Georges, président du directoire du Grand Port maritime de Dunkerque (Gpmd). Le Grand Port maritime de Dunkerque a contribué au premier chef à la réindustrialisation du Dunkerquois lancée sous l’impulsion de Patrick Vergriete, notamment grâce aux états généraux de l’emploi local (Egel) en 2014. Mon prédécesseur, M. Stéphane Raison, a mené de multiples actions tendant à mettre le plus rapidement possible à disposition des entreprises plus de 300 hectares de zones dites « clés en main ». Ce processus a tout de même pris une décennie, ce qui a réclamé une forte anticipation : les autorisations administratives ont été obtenues en 2016, six ans après les décisions initiales, et les premières livraisons sont intervenues vers 2021-2022.
Pendant cette décennie, le Gpmd a engagé une démarche ambitieuse en mettant au point un schéma directeur du patrimoine naturel (SDPN) visant à dédier 1 000 hectares à la conservation de la biodiversité. Il a par ailleurs accompagné la fermeture douloureuse de la raffinerie SRD et les opérations de démantèlement puis de dépollution du site, à l’issue desquelles 80 hectares de nouvelles friches ont été dégagés. Perspective plus heureuse, en 2017 a été ouvert un grand débat public sur le projet d’extension du bassin pour le conteneur, dit Cap 2020, projet portant sur l’un des trois piliers sur lequel repose un port de cette importance, le pilier portuaire, lié aux infrastructures de transport, aux côtés du pilier logistique et du pilier industriel. Par ailleurs, le port a investi, avec Enedis, la communauté urbaine de Dunkerque et RTE (Réseau de transport d’électricité), dans un nouveau poste source électrique de moyenne tension destiné à offrir un accès rapide à la puissance électrique.
Tous ces projets arrivés à maturité ont conduit à plusieurs succès, à commencer par l’installation, à la fin de l’année 2022, de Verkor, motivée par la disponibilité des zones « clés en main ». À cette même période, la moitié de leurs 300 hectares réservée à la logistique a ouvert la voie à d’autres succès : ont été commercialisés environ 400 000 mètres carrés d’entrepôts, dont l’aménagement est en cours en vue d’une livraison dans les années à venir.
Ces divers succès ont marqué la contribution majeure de Dunkerque à la vallée de la batterie, sur le plan industriel mais aussi logistique puisque les principaux logisticiens de ce pôle se sont installés dans notre ville. Cela a suscité de nouvelles demandes et de nouvelles attentes, comme celles de ProLogium en termes d’accès aux sites « clés en main ». Les premières zones « clés en main » n’étant plus disponibles, nous nous sommes lancés dans la création d’une nouvelle zone, dite zone grandes industries (ZGI 2), qui a pu être achevée dans le temps record de dix-huit mois, dont onze mois pour obtenir l’autorisation préfectorale. Le port en tant qu’aménageur a été mis sous tension mais il a pu bénéficier du fort soutien de la préfecture et des services de l’État et nous sommes parvenus à accélérer, y compris lors la phase compliquée des démarches administratives. Cette réussite nous a permis de satisfaire le souhait de la société ProLogium de s’installer à Dunkerque.
Contreparties de cette accélération, nous avons vu apparaître plusieurs types de tensions. Il s’agit d’abord de tensions environnementales. Nos projets sont intervenus en plein débat sur l’artificialisation et la mise en œuvre de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. L’obtention des autorisations a été un processus douloureux : nous avons dû nous y prendre à deux fois avant de recueillir un avis favorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Cela a supposé d’augmenter les surfaces de compensation sur l’ensemble de nos projets selon un ratio d’un pour un. En 2023, nous avons toutefois pu achever dans un temps record la phase d’autorisation administrative du projet Cap 2020, initié en 2017, car nous avions anticipé en préparant des surfaces dédiées à la nature dans le SDPN. Reste que nous avons consommé beaucoup plus de surfaces de compensation que nous l’aurions imaginé quelques années auparavant.
Nous avons été confrontés à un deuxième type de tensions, nées de la crise agricole de 2023-2024. Il y a plus de cinquante ans, le port avait fait l’acquisition de surfaces agricoles que les agriculteurs avaient continué à cultiver dans le cadre de baux précaires. Ils savaient qu’il y serait mis un terme un jour, mais quand nous avons voulu récupérer des surfaces en grande quantité à des fins de compensation environnementale, ils ont eu l’impression d’être sous le coup d’une double peine. Ils étaient d’accord pour contribuer au développement industriel mais pas au prix d’une reprise d’une aussi grande ampleur. C’est un débat bien connu qui a eu un retentissement au niveau national.
Nous avons pu malgré tout mener à bien nos projets après avoir reçu les autorisations nécessaires et nous entrons à présent dans une phase de consolidation en nous projetant vers les cinq à quinze prochaines années. Il s’agit pour nous de dresser le bilan de nos succès afin de reproduire la réussite des zones « clés en main » tout en tirant les enseignements des difficultés que nous avons rencontrées pour ne pas retomber dans les mêmes ornières. Le projet Cap 2020 est désormais lancé : les marchés de construction sont en cours en vue de réaliser une extension portuaire à la hauteur de nos ambitions.
Cela fait plus de cinq ans que nous anticipons les évolutions liées à la mobilité locale. Un nouveau plan local de mobilité (PLM), fondé sur une politique de mobilité durable et soutenable, est nécessaire à notre développement. Nous adaptons les infrastructures portuaires : travaux de consolidation, création d’infrastructures ferroviaires de ferroutage, concertation avec les Voies navigables de France (VNF) en vue de la rénovation du canal Dunkerque-Escaut dans le cadre du projet du canal Seine-Nord-Europe.
Nous nous penchons sur l’adaptation au changement climatique à l’échelle du port mais aussi de la communauté urbaine de Dunkerque et plus largement du pôle métropolitain de la Côte d’Opale et nous consacrons à la consolidation des réseaux électriques. Outre l’installation d’un nouveau poste source en vue de l’implantation de nouvelles industries, nous accompagnons les grands développements en cours sur le territoire : nouveaux postes électriques et futures lignes à haute tension de RTE ; acheminement vers le port du réseau du nouveau parc éolien au large ou offshore.
Nous nous attaquons au cœur des difficultés que nous avons rencontrées, les autorisations environnementales, en remettant complètement à jour nos méthodes et en prenant en compte un cadre plus large que le port. Pour ce faire, nous pouvons compter sur la mission d’appui au préfet du Nord, mandatée l’année dernière par les ministres, menée par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Nous effectuons des opérations d’optimisation foncière et réfléchissons à de nouvelles méthodes de calcul des compensations afin de substituer une logique plus sobre, qui prend en compte les additionnalités fonctionnelles, à une logique purement surfacique. Nous nouons des coopérations constructives avec toutes sortes de partenaires de confiance, sur le savoir-faire desquels nous pouvons compter. Je pense en particulier au Conservatoire du littoral avec lequel nous avons signé un protocole novateur définissant notre participation à des actions de renaturation bien au-delà du territoire portuaire. Sous l’égide de la sous-préfecture, nous échangeons avec d’autres partenaires publics comme VNF, SNCF Réseau, la direction interdépartementale des routes (DIR), au sujet de leurs éventuelles contributions aux besoins de compensation des projets portuaires.
Enfin, nous avons relancé avec la communauté urbaine une nouvelle approche coopérative avec le monde agricole qui a été couronnée de succès puisque nous venons de signer deux nouveaux protocoles : l’un porte sur une compensation environnementale négociée, qui permet de maintenir des capacités agricoles tout en ménageant un potentiel de compensation ; l’autre, sur une compensation agricole collective volontaire destinée à accompagner des projets. Grâce à cette démarche proactive, nous ne réduirons pas le potentiel agricole de notre territoire, nous contribuerons même peut-être à le développer.
Ainsi parés pour l’avenir, nous programmons pour la fin de la décennie de nouvelles zones d’aménagement industriel d’une surface de 400 hectares, dont 170 devraient être disponibles d’ici à 2027. Les dossiers administratifs sont en cours de finalisation et les travaux sont censés débuter en 2026. Nous considérons avec prudence nos réserves mais je crois qu’il nous en reste suffisamment pour aménager au moins autant de surfaces en 2030. Ce programme d’aménagement est au service d’un projet stratégique ambitieux soutenu par la communauté urbaine et le gouvernement. Il mobilisera divers types de financements. La communauté urbaine nous a déjà fourni une aide importante pour les zones d’aménagement existantes, en les finançant à hauteur de 40 %. L’État nous soutient également : pour le projet portuaire, à travers le contrat de plan État-région (CPER) ; pour les zones d’aménagement, à travers une dotation en capital de 56 millions, qui devrait permettre pour la décennie à venir de maintenir l’endettement du port à un niveau soutenable.
M. le président Charles Rodwell. Merci d’avoir brossé un tableau si complet du développement du port, complément parfait des éléments que nous a fournis Stéphane Raison lors de son audition devant notre commission.
Monsieur Vergriete, nous aimerions disposer d’un certain recul sur le développement de Dunkerque : quelle était votre vision originelle ? De quelle manière avez-vous pris en compte l’emploi industriel dans votre politique économique ?
M. Patrice Vergriete, maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque, président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Pour mieux faire comprendre les enjeux actuels, je vais revenir sur l’histoire de Dunkerque. Rasée pendant la Seconde guerre mondiale, la ville a été reconstruite pendant la deuxième moitié du XXe siècle sur le modèle du pétrole pas cher et abondant : une ville moderne faite pour la voiture, une économie fondée sur l’industrie lourde du pétrole, mais aussi pour une part sur l’électricité avec la construction d’une centrale nucléaire.
Ce modèle est entré en crise dans les années 1990 quand la France a commencé à assumer une politique de désindustrialisation. Le territoire a perdu des milliers d’emplois industriels. Je ne vous donnerai qu’un chiffre : pour l’usine sidérurgique Usinor devenue ArcelorMittal, nous sommes passés de 11 500 emplois au début des années 1980 à 3 000 aujourd’hui. Cette saignée s’est accompagnée d’une diminution rapide de sa population, d’autant que Dunkerque a été particulièrement affectée par la crise de 2008. En 2013, elle est devenue l’agglomération qui perdait le plus d’habitants en France. Les familles voyaient partir leurs enfants pour trouver un emploi ailleurs. Les services publics nationaux n’étaient pas à la hauteur, dans le domaine de la santé en particulier alors que Dunkerque était la ville de France la plus touchée par les cancers liés à l’amiante. Les politiques industrielles ne faisaient plus partie des priorités nationales et un sentiment d’abandon et de déclin dominait.
En 2013, les acteurs du territoire et les habitants se sont dit qu’il n’était plus possible de rester dans cette situation. Cela a correspondu à un changement de générations aux manettes du port maritime, avec l’arrivée de Stéphane Raison, mais aussi des principales communes formant la communauté urbaine ainsi que d’institutions locales. Cela s’est traduit par une volonté de changer de méthode : travailler collectivement à une nouvelle façon de redynamiser le territoire. De la logique « l’État va nous aider », qui prévalait depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, nous sommes passés à la logique « il faut qu’on s’aide nous-mêmes ». Nous avons lancé les états généraux de l’emploi local. Syndicats, industriels et divers autres acteurs économiques se sont réunis en se posant cette question : « Comment faire repartir le territoire en comptant sur nous-mêmes ? »
Sur le plan économique, une stratégie est rapidement apparue. Partant du principe que nous n’allions pas changer l’avenir économique du territoire en un an, nous avons misé sur le long terme. Forts de nos atouts – le port, le foncier disponible, les infrastructures, la main-d’œuvre qualifiée –, nous voulions rester un pôle industriel mais plutôt que d’essayer d’être compétitifs dans le domaine des industries du XXe siècle, avec des façons de faire appartenant au passé, nous avons choisi d’anticiper. L’avenir était à la transition, qu’elle soit écologique ou énergétique, tout le monde en a convenu rapidement. Nous nous sommes dit qu’il fallait nous préparer à accueillir l’industrie du XXIe siècle, même si pendant quelques années, on n’allait pas enregistrer de résultats.
On s’est mis à réfléchir à tout ce qui serait nécessaire pour attirer sur le territoire dunkerquois les industries de la transition écologique et énergétique et pour accompagner au mieux les industries existantes vers cette transition. On s’est posé plein de questions, notamment autour de l’énergie du XXIe siècle, l’électricité décarbonée. C’était tout un symbole d’ailleurs car à cette époque, est intervenue la fermeture de la dernière raffinerie, celle de Total, faisant du port de Dunkerque un port de l’après-pétrole – c’est du reste le seul à l’être. Nous nous sommes portés candidats pour accueillir des réacteurs de type European pressurized reactor (EPR) mais aussi – et nous devons être la seule agglomération en France à avoir fait une telle demande – un champ éolien offshore de 600 mégawatts.
Nous avons identifié un autre atout pour l’avenir, l’eau industrielle, avant même que les sécheresses et les inondations ne donnent une nouvelle importance à cet enjeu. Partant du principe que cette ressource allait se raréfier, nous avons commencé à travailler avec les industriels sur leurs processus dès 2014. À partir de cette date, ArcelorMittal a fait des efforts considérables pour économiser l’eau. Dans le domaine agroalimentaire, nous avons accompagné Clarebout pour réduire les consommations excessives. Bref, nous avons développé avant les autres une politique publique de disponibilité et de contrôle.
Nous nous sommes, par ailleurs, tournés vers la chaleur décarbonée, misant sur le fait qu’elle allait valoir de l’or. Nous avons essayé de mobiliser le territoire pour en produire à un prix compétitif en nous concentrant sur les réseaux de chaleur. Ce n’était pas facile car les réseaux de chaleur existants dépendaient d’entreprises comme ArcelorMittal dont on ne savait pas si elles allaient perdurer. C’est toujours un enjeu central pour Verkor et nous continuons à travailler sur la mise à disposition de chaleur décarbonée au meilleur coût.
Nous avons aussi pris en compte le foncier car il fallait être prêts à accueillir Verkor. Nous avons donc lancé en amont le travail d’enquête et d’instruction pour rendre des surfaces disponibles.
Considérant que l’industrie du XXIe siècle devait entrer dans le cadre d’une économie circulaire, propre à la transition, nous avons expliqué aux industriels que l’industrie ne pouvait pas reposer sur une somme de logiques individuelles : la compétitivité de leur entreprise dépendait aussi de celle de leurs voisins. À ce propos, je vais vous raconter une anecdote : lors d’un déjeuner que j’avais organisé en 2014 avec l’ensemble des capitaines d’industrie du Dunkerquois, j’avais été frappé par le fait qu’ils s’échangeaient leurs cartes de visite. Ils ne se connaissaient pas ! Cela nous paraissait impossible, compte tenu des nouveaux enjeux, qu’ils ne soient pas connectés les uns aux autres. Il fallait qu’ils se parlent, eux qui partageaient main-d’œuvre et entreprises de maintenance, eux qui pouvaient être intéressés mutuellement par leurs produits. La communauté urbaine s’est alors engagée dans l’animation d’un collectif jusqu’à faire émerger un groupement d’intérêt public (GIP) rassemblant les industriels, le GPMD et la chambre de commerce et d’industrie (CCI). Que les industriels échangent entre eux et travaillent ensemble aux solutions à apporter au niveau du territoire nous paraissait être un élément clé de notre compétitivité.
En 2014, nous nous sommes donc tournés vers les industries de l’avenir tout en accompagnant les entreprises déjà présentes sur notre territoire et nous nous sommes préparés un peu avant tout le monde à la transition écologique et énergétique. Cela nous a donné une compétitivité supérieure au moment où les industries du XXIe siècle sont apparues dans le paysage, qu’il s’agisse des méga-usines ou gigafactories de batteries ou d’autres types d’industries cherchant à se décarboner.
Je le dis toujours : on n’a pas gagné tout de suite. Envision AESC, qui avait placé Dunkerque en tête de ses préférences, a finalement choisi Douai, à la suite de pressions exercées par l’un de ses principaux clients. Néanmoins, nous avons réussi à avoir Verkor puis ProLogium et ce pour une raison simple : au moment où l’État a lancé sa politique de réindustrialisation, Dunkerque était prête. Un axe stratégique gagnant-gagnant reliait un territoire s’étant préparé à accueillir l’industrie du XXIe siècle et l’État qui, sous l’impulsion du Président de la République dont je salue l’initiative, souhaitait faire de la France le terreau de cette nouvelle industrie. État et collectivités locales ont donc pu travailler ensemble au développement du bassin industriel, d’où ses nombreux succès. Et les succès appelant les succès, l’arrivée de Verkor et l’annonce de ProLogium ont généré un écosystème de la batterie sur le territoire dunkerquois où se sont installés Enchem et XTC New Energy associé à Orano. La filière a vu un intérêt majeur dans cette implantation, avec la présence du port et de gigafactories adossées à la vallée de la batterie déployée à l’échelon régional. C’est ainsi qu’un pôle ou un cluster de la batterie s’est structuré.
Si l’on prend en compte l’ensemble des projets, 20 000 emplois seront créés sur le territoire dunkerquois dans les dix ans à venir. Le processus de recrutement que nous avions anticipé s’est enclenché dès l’année dernière, où nous avons enregistré les premiers milliers d’emplois. De nouveaux défis sont apparus. Il faudra loger ces travailleurs alors que notre territoire fait face à une crise du logement mais aussi trouver des solutions pour les transports. Si la tendance actuelle se poursuit, avec 85 % d’autosolistes, l’autoroute A16 et les voies du port seront saturées, et les industries ne seront plus correctement desservies. Cela implique de changer de modèle de mobilité. Nous sommes donc en train d’essayer d’inventer la ville du XXIe siècle à côté de l’industrie du XXIe siècle.
J’en viens aux problèmes auxquels nous sommes confrontés pour la suite à donner au modèle dunkerquois, occasion pour moi de faire passer quelques messages.
Le premier point sur lequel je voudrais vous alerter, c’est la machine financière. La communauté urbaine a été le premier financeur de la réindustrialisation, y compris pour le port en faveur duquel elle a investi plus que l’État, si l’on met à part cette année. Il faut bien avoir à l’esprit le paradoxe qui consiste pour l’État à afficher, d’un côté, une volonté de réindustrialisation du pays et à essayer, de l’autre, de chercher de l’argent en tapant sur les collectivités car ce sont les bassins industriels qui paient le plus lourdement ces régulations budgétaires. Le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) coûte 9 millions à Dunkerque, ce qui fait passer ma capacité de désendettement à 12,7 années. Autrement dit, je ne pourrai plus accompagner le port dans les deux ou trois ans qui viennent. Alors qu’on entend parler de 40 milliards à trouver pour la prochaine loi de finances, je vous demande de prêter attention aux conséquences des mesures d’économies faites sur le dos des collectivités locales : les premiers touchés seront, comme c’est le cas à chaque fois, les territoires industriels. Il ne faudrait pas que les mécanismes de péréquation entre collectivités remettent en cause le grand accord ou deal historique sur la base duquel davantage de moyens étaient réservés aux territoires industriels afin de leur permettre de répondre à des besoins sociaux plus importants et surtout d’accompagner la réindustrialisation du pays. Les collectivités pourront-elles continuer à soutenir ce processus ? Dans le contexte actuel, on peut en douter et cela suscite des inquiétudes dans mon territoire.
Le deuxième point sur lequel je veux vous alerter est le foncier. Fidèle à mon engagement en matière de développement durable, je partage l’objectif de maîtrise de la consommation foncière de notre pays. L’histoire le montre, nous avons consommé beaucoup plus que nos voisins et il n’y avait aucune raison à cela.
Si la politique nationale fait de la réindustrialisation une priorité, elle doit vraiment s’en donner les moyens, notamment en dégageant des marges foncières. Cela a été fait globalement, par le biais des projets d’envergure nationale ou européenne (Pene), qui permettent de mettre à disposition d’un territoire du foncier pour accueillir les industries. Mais ces Pene ne prennent pas en considération les conséquences du développement industriel en matière de logement et de transports. Ainsi, un territoire comme Dunkerque dispose de réserves foncières et de droits de consommation foncière pour les industries mais pas pour les logements. Or il est bien compliqué d’implanter des industries sans pouvoir accueillir les salariés qui vont y travailler. Il faut donc veiller à comptabiliser dans les besoins fonciers les industries mais aussi tout ce qui est nécessaire à leur fonctionnement.
J’en arrive au dernier point sur lequel je voulais appeler votre attention : à la différence peut-être d’autres territoires, les bassins industriels sont très fortement affectés par la compétition internationale. Un territoire qui dépend pour beaucoup du tourisme national est moins exposé à la concurrence internationale. Un bassin industriel, et plus encore un port, est au cœur de la concurrence internationale. Il est très dépendant de ce qui se passe aux États-Unis et en Chine notamment. Depuis quelques années, nous faisons face à des blocs qui ne jouent plus forcément le jeu du juste échange. Depuis très longtemps, la Chine a installé des protections sur son marché intérieur pour doper ses industries, qu’elle subventionne de surcroît. De l’autre côté, les Américains ont adopté l’Inflation Reduction Act (IRA) le 16 août 2022 et, eux aussi, subventionnent massivement leurs industries. Ces mesures qui remettent en cause l’échange juste à l’échelon international ont des conséquences directes sur notre territoire.
Dans le cas de l’acier et d’ArcelorMittal que votre questionnaire mentionnait, l’Union européenne est mise en difficulté par la concurrence déloyale ou dumping américano-chinois. Il est absolument essentiel qu’elle veille au rétablissement d’un juste échange, en particulier pour des biens souverains tels que l’acier. À l’heure du réarmement, je doute que nous demandions aux Chinois de nous fournir de l’acier pour construire des chars ou des avions. Je sais que la France, et singulièrement le Président de la République, sont très mobilisés pour assurer les conditions du juste échange à l’échelle européenne. Il est très important que les pays européens soient unis pour défendre l’idée d’une protection par l’Union européenne des industries produisant des biens souverains. C’est un enjeu majeur, en particulier pour l’acier.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie, messieurs, pour vos témoignages passionnants. Ils démontrent, d’une part, que la réindustrialisation est un combat transpartisan et, d’autre part, que le politique, lorsqu’il se mobilise, peut obtenir des résultats, malgré un cadre contraignant et complexe.
Près de la moitié des 600 emplois dont ArcelorMittal a récemment annoncé la suppression concernent le Dunkerquois, territoire qui représente un dixième des emplois directs du groupe en France. Comment avez-vous reçu ces annonces ? Monsieur Vergriete, vous avez évoqué la nécessité de nationaliser ArcelorMittal. Nous venons de recevoir M. Montebourg, qui a eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet il y a de nombreuses années mais aussi il y a quelques jours. Il appelle à une nationalisation qui reposerait sur une alliance entre plusieurs États européens régulièrement confrontés au chantage du propriétaire d’ArcelorMittal. Que vous inspire cette proposition ?
Par ailleurs, pouvez-vous préciser, dans la mesure du possible, la nature de vos échanges avec le gouvernement en vue du sauvetage de l’emploi local ?
Enfin, qu’avez-vous pensé de l’annonce très récente faite par ce groupe d’un investissement de plus de 1 milliard d’euros pour électrifier ses outils de production dans le Dunkerquois, en dépit des suppressions d’emplois ?
M. Patrice Vergriete. Depuis onze ans que je préside la communauté urbaine, j’ai toujours eu un dialogue sincère et ouvert avec ArcelorMittal, en particulier avec l’ancien directeur général Matthieu Jehl. J’ai été en contact régulier avec les ministres chargés de ce secteur au sein du gouvernement, qu’il s’agisse de Roland Lescure, d’Agnès Pannier-Runacher ou aujourd’hui de Marc Ferracci, mais aussi avec l’Élysée ainsi qu’avec les responsables de la Commission européenne.
J’ai néanmoins été surpris par l’annonce d’ArcelorMittal France. Je dois avouer que les échanges que je pouvais avoir avec le directeur général d’ArcelorMittal France, Matthieu Jehl, ne se sont pas prolongés avec son successeur, Bruno Ribo ; l’ouverture et la franchise qui marquaient nos discussions ont disparu. Quand j’ai appris l’existence de ce plan, la veille de l’annonce, à 18 h 30. J’ai été choqué par cette façon de procéder car ce mode de communication n’était pas dans les habitudes de la précédente direction. Depuis, j’ai trouvé de nouveaux interlocuteurs au sein d’ArcelorMittal et un dialogue plus étroit et plus franc a été rétabli. Je savais qu’une réflexion était en cours sur les fonctions support mais j’ai été surpris d’apprendre qu’elle concernait les fonctions de production.
En ce qui concerne la nationalisation, je n’ai jamais exprimé un tel souhait – je ne suis d’ailleurs pas certain d’y être favorable. En revanche, j’ai dit que, compte tenu du changement de méthode d’ArcelorMittal, je m’interrogeais sur la confiance que l’on pouvait encore lui accorder. Dans une intervention conjointe avec le président du conseil régional Xavier Bertrand, j’ai également appelé de mes vœux une clarification rapide des intentions du sidérurgiste.
Je reviens en arrière un instant. Immédiatement après l’annonce du plan, j’ai reçu les syndicats et rencontré des salariés. J’ai senti que leur principale préoccupation portait sur l’avenir du site, sur l’engagement d’ArcelorMittal dans le plan de décarbonation et le maintien de l’outil industriel. J’ai garanti le soutien de la communauté urbaine aux personnes touchées par les suppressions de postes mais je voyais bien que les salariés et les syndicats se demandaient surtout si ce plan était le prélude à un mouvement appelé à s’amplifier ou bien une page à tourner avant de passer à l’étape de la décarbonation. Leur inquiétude était davantage liée à la fermeture du site qu’aux effets du plan.
Il m’a donc semblé urgent que, d’un côté, ArcelorMittal clarifie sa position et que, de l’autre, l’Union européenne s’engage à accélérer la mise en œuvre de son plan d’action pour l’acier et les métaux, plan qui est approuvé, y compris par les sidérurgistes, mais sur lequel des questions techniques restent en suspens. Il me semblait que, dès lors qu’ArcelorMittal était assuré de la mise en œuvre rapide de ce plan européen, il pourrait s’engager à maintenir l’outil industriel et à se tourner vers son plan de décarbonation. C’est la raison pour laquelle, très rapidement, j’ai milité auprès du gouvernement français et de la Commission européenne – je suis en contact avec le ministre chargé de l’industrie Marc Ferracci et le commissaire européen Stéphane Séjourné, mais aussi avec le cabinet du Président de la République – pour que la Commission et le groupe confirment leur volonté de maintenir la capacité de production d’acier sur le territoire dunkerquois. Je reste confiant dans la capacité de ces deux acteurs à donner des garanties sur l’avenir du site. L’annonce récente d’ArcelorMittal que vous avez mentionnée va dans le bon sens. C’est un début.
J’avais dit que si le groupe exprimait sa volonté de ne plus rester en Europe, où les capacités de production d’acier ont atteint un seuil en deçà duquel elles ne doivent pas descendre, il faudrait envisager des mesures alternatives parmi lesquelles la nationalisation. Nous n’en sommes pas encore là aujourd’hui.
La nationalisation ne serait pas la meilleure façon d’agir aujourd’hui. Il est préférable d’essayer de trouver un accord avec le sidérurgiste pour maintenir la capacité de production à Dunkerque. Ce n’est que dans le cas où il ne serait pas en mesure de donner les garanties attendues – c’est un industriel, qui regarde les profits et la compétitivité des sites – que nous serions amenés à chercher des solutions alternatives, ce qui ne serait pas simple.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je souhaite évoquer les contraintes environnementales diverses et variées auxquelles vous êtes soumis et qui, malgré leurs louables intentions et souvent leur légitimité, n’en sont pas moins connues pour leur complexité, voire leur exigence excessive.
En matière de foncier, vous avez recours au dispositif Sites « clés en main » de France 2030, qui présente de très nombreux atouts. Il a vocation à rendre disponible un terrain le plus rapidement possible, en accélérant les procédures en matière d’archéologie préventive et d’urbanisme ainsi que les enquêtes environnementales.
Lorsque vous utilisez ce dispositif, recherchez-vous parallèlement un porteur de projet sur le foncier ? Par ailleurs, certains sites « clés en main » peuvent attendre un porteur de projet pendant plusieurs années, au cours desquelles une nouvelle espèce végétale ou animale protégée est susceptible de s’installer, leur faisant perdre leur qualification. Existe-t-il des outils, au sein de la plateforme industrielle portuaire, pour s’assurer de la pérennité de la qualification « clés en main » du foncier concerné ?
M. Patrice Vergriete. Je l’ai dit, le foncier n’est pas un problème pour l’installation des industries mais il en est un pour tout ce qui est connexe, c’est-à-dire les infrastructures routières ou ferroviaires pour y accéder, les logements pour les salariés, etc. L’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ne tient en effet pas compte de ces besoins fonciers. Le sujet a été renvoyé aux régions mais elles doivent s’entendre avec toutes les intercommunalités. Or celles qui ne sont pas concernées par l’implantation d’industries considèrent que notre territoire a déjà été bien servi et que le foncier doit profiter à d’autres, qui ne sont pas éligibles aux Pene. In fine, le Dunkerquois a été pénalisé dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) pour la raison que je viens d’évoquer. Il faut donc que le foncier de l’État réservé à l’industrialisation intègre les besoins connexes.
Je laisserai Maurice Georges évoquer les compensations environnementales. S’agissant des autres contraintes environnementales, je voudrais vous faire part d’une réflexion sur le fonctionnement de l’État.
Lorsqu’un maire, un président de communauté urbaine ou un directeur de port maritime a un projet, il a une vision globale des enjeux, ce qui lui permet d’arbitrer entre effets positifs et négatifs. L’État, lui, ne dispose pas de cette approche transversale, du fait de son organisation : chacun de ses silos examine le projet et se prononce pour ou contre, et il y en a toujours un qui n’est pas satisfait – c’est normal puisqu’aucun projet n’est pur et parfait. On perd donc énormément de temps et d’énergie à essayer de convaincre le silo réfractaire, ce qui oblige à remonter dans la hiérarchie de l’État, au niveau d’abord du préfet puis, si besoin, du gouvernement – je me souviens, lorsque j’étais ministre chargé du logement, du nombre d’arbitrages que j’ai dû rendre pour débloquer des situations ridicules.
Il faut s’interroger sur la capacité de l’État à dépasser cette organisation en silo vis-à-vis des contraintes environnementales.
M. Maurice Georges. Vous posez la question assez sensible de la synchronisation entre la livraison d’un site « clés en main » et sa mise à la disposition d’un industriel.
Il faut voir dans son ensemble ce que représente pour nous un site « clés en main ». La plupart de nos sites sont installés sur des polders, ce qui requiert un aménagement assez complexe, notamment s’agissant de l’installation des infrastructures routières mais aussi de la restructuration complète du réseau hydrologique et des canaux. À cet égard, il est intéressant de noter que cet aménagement, s’il oblige à artificialiser d’une certaine manière, ne réduit pas la résilience aux eaux ; il l’améliore puisqu’il enrichit la capacité du réseau hydraulique. En d’autres termes, l’aménagement est aussi en lui-même une méthode d’adaptation au changement climatique.
Ces sites impliquent d’effectuer des diagnostics archéologiques, voire des fouilles, mais une fois achevés, ils sont faits une fois pour toutes, tout comme les aménagements routiers ou ferroviaires, qui sont pérennes, ou les aménagements environnementaux et les zones de compensation – comme vous le savez, la compensation doit intervenir dès le début du projet.
Ce que l’on se réserve de moduler dans le temps, c’est l’aménagement le plus important pour nous : le rehaussement de plateformes, pour lequel on utilise un grand nombre de ressources circulaires disponibles dans le port – sables de dragage normaux ou issus des dragages nécessaires à des projets portuaires comme Cap 2020. L’important est de construire ces plateformes, hautes de plusieurs mètres, au bon moment – ni trop tôt ni trop tard.
J’ai évoqué le projet ZGI 2 qui a permis d’accueillir ProLogium. Toutes les démarches concernant l’archéologie, les zones de compensation et les routes ont été lancées mais nous avons livré seulement une partie de la plateforme rehaussée, au moment où ProLogium en avait besoin, en nous réservant la possibilité de procéder à l’aménagement final plus tard pour ne pas perdre le bénéfice du dispositif.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Que pensez-vous de l’idée de présumer l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) pour tout projet qui s’implanterait sur un site clés en main ? Cela permettrait d’éviter, lorsqu’un porteur de projet manifeste son intérêt, de nouvelles enquêtes environnementales quand une renaturation ou la réinstallation d’une espèce animale ou végétale protégée intervient après la qualification du site « clés en main ». J’élargis ma question aux friches et aux plateformes industrielles.
M. Maurice Georges. Je n’ai pas réfléchi à la question sous cet angle.
Dans le cas des friches industrielles comme des sites « clés en main », s’il y a eu renaturation et destruction d’espèces protégées, il faut en tenir compte – c’est la règle – et compenser. Mais les compensations devraient obéir à une méthode nouvelle. En premier lieu, il faudrait privilégier les compensations fonctionnelles pour éviter la double peine foncière – on aménage une zone de 50 hectares, on fait une première compensation de 50 hectares, et à la suite d’une renaturation, on fait une deuxième compensation de 50 hectares. On pourrait réfléchir à des additionnalités intelligentes consistant, par exemple, à accroître la renaturation dans des zones naturelles existantes. En second lieu, il conviendrait de moduler les besoins de compensation selon l’état initial de la zone concernée – habitat intrinsèquement naturel, zone déjà artificialisée ou friche.
M. Patrice Vergriete. Je partage totalement ce que vient de dire Maurice Georges, en particulier sur les compensations fonctionnelles. C’est une évidence et pourtant ce n’est pas toujours ainsi que les choses se passent, alors que les procédures sont parfois extrêmement lourdes.
J’ajoute une réflexion plus politique. Cela ne surprendra personne, je suis un grand défenseur de la décentralisation. Pourtant, la France pèche encore par son incapacité à s’adapter aux contextes locaux. Or chaque territoire en France diffère dans sa dynamique et dans son essence même. Puisque le territoire dunkerquois est en pleine expansion industrielle, il devrait être traité comme tel : il faut que les zones industrielles aient un statut spécifique.
Je vous donne un exemple pris en dehors du domaine industriel : après la tempête Xynthia, une nouvelle réglementation a été adoptée ; elle convient à la Charente-Maritime mais elle n’est absolument pas adaptée à notre territoire de polder. Or elle nous empêche de construire un établissement public de santé mentale, au moment où nous en avons le plus besoin.
Des territoires différents les uns des autres ne peuvent être régis par une loi unique. Certaines règles doivent s’appliquer à tous au nom de l’égalité républicaine, mais il faut parallèlement donner corps à la différenciation territoriale. Nous ne sommes pas allés assez loin dans ce domaine : on ne peut pas traiter Dunkerque comme la Charente-Maritime en matière de risques littoraux ; on ne peut pas traiter un territoire qui s’industrialise comme on traiterait un territoire qui connaît un déclin démographique. Il faut faire beaucoup plus de place à l’adaptation et aux capacités d’adaptation dans nos politiques publiques nationales.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je souscris intégralement à vos propos.
La question suivante porte sur le foncier et les contraintes environnementales afférentes. La liste des espèces animales et végétales protégées est établie à l’échelle nationale. Je prendrai l’exemple du crapaud sonneur à ventre jaune, protégé de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national alors qu’il est en surpopulation dans ma région, la Lorraine. Ne faudrait-il pas régionaliser la liste des espèces protégées afin de tenir compte de leur répartition nationale et d’adapter la réglementation aux réalités locales ? Cela permettrait d’accélérer les implantations industrielles qui peuvent être freinées par la présence d’un animal menacé dans certaines régions, mais en surpopulation dans d’autres.
M. Patrice Vergriete. Je partage entièrement vos propos. Nous avons encore beaucoup de travail à accomplir pour améliorer la différenciation territoriale de nos politiques publiques nationales.
M. le président Charles Rodwell. Le succès et la rapidité d’implantation à Dunkerque sont le résultat de la stratégie que vous avez menée en matière d’approvisionnement en ressources – énergie, électricité, eau – et de normes applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Pourriez-vous nous décrire comment vous avez traité cet enjeu à l’échelle de votre communauté urbaine ?
Par ailleurs, vous avez parfaitement raison de souligner que la loi ne peut pas s’appliquer de manière uniforme à tous les contextes locaux. Quelle solution proposez-vous en la matière ? Quel degré d’autonomie devons-nous laisser aux collectivités – et lesquelles ? – pour leur permettre d’appliquer des mesures adaptées au niveau local ? Je précise que ma question porte sur le secteur industriel et la compétence développement économique et emploi.
M. Patrice Vergriete. Nous avons multiplié les stratégies concernant les ressources.
L’électricité a toujours représenté un atout majeur pour notre territoire. La centrale nucléaire de 5,4 gigawatts a attiré des industries grandes consommatrices d’électricité, comme Aluminium Dunkerque. À la fin de l’ère pétrole-charbon, sentant que l’électricité allait devenir un enjeu très important, nous avons eu une stratégie d’influence ou de lobbying auprès de l’État pour accueillir des EPR et de l’éolien offshore. À ma connaissance, aucune autre collectivité ne s’est mobilisée pour obtenir de l’éolien offshore car c’est difficile à assumer politiquement. Nous l’avons fait par cohérence avec notre politique publique, et je continue de le défendre auprès de mes concitoyens parce que je persiste à dire que l’électricité sera un enjeu majeur de l’attractivité industrielle du territoire. Sans électricité décarbonée, on n’aura pas d’industrie.
Nous avons employé une stratégie un peu différente concernant l’eau, en essayant de sensibiliser les industriels du territoire à cette question. Certains acteurs – je pense aux sidérurgistes – n’avaient pas forcément intérêt à faire évoluer leur gestion des économies en eau. Nous leur avons donc dit qu’il fallait jouer collectif sur notre plateforme : il est nécessaire qu’ils trouvent des ressources en eau s’ils veulent que d’autres entreprises s’installent et permettent à l’économie circulaire liée à la sidérurgie de se développer. Le collectif des industriels a fonctionné, élaborant des solutions pour réaliser des économies. C’est pour cela que l’on évoque l’écosystème de Dunkerque.
Un important travail, en lien avec les services de l’État, a également été mené avec les industries qui s’implantent pour réaliser des efforts considérables en matière de consommation d’eau. J’ai ainsi évoqué avec le patron d’Enchem, que j’ai reçu hier, la réduction de sa consommation d’eau. On ne dit pas aux entreprises « venez vous implanter » : on leur dit qu’elles pourront s’implanter et profiter de l’attractivité dunkerquoise mais qu’elles devront faire des efforts sur leur consommation d’eau. Il s’agit de mobiliser les industriels pour les inciter à participer à un projet collectif, même si ce n’est pas simple parce que le bénéfice n’est pas direct. Certes, ils gagnent de l’argent en économisant de l’eau mais cela demeure marginal par rapport à l’intérêt pour le territoire. Nous avons réussi à convaincre les industriels de jouer le jeu et cela fonctionne, y compris pour les industries qui s’implantent.
S’agissant de la chaleur, nous avons engagé une véritable réflexion. J’ai demandé par exemple au Grand Port maritime d’arrêter de recevoir n’importe quelle industrie et de devenir très sélectif pour les futurs projets, de manière à nourrir l’écosystème.
Le choix des industries qui s’implanteront à Dunkerque repose sur plusieurs critères prioritaires. Le premier est la diversification des projets, l’objectif étant de sortir le territoire dunkerquois de sa dépendance à l’automobile, en particulier la production de batteries et la sidérurgie. Le deuxième concerne la chaleur. Les besoins en la matière vont devenir importants car les projets que nous acceptons pour renforcer l’écosystème nécessiteront de la chaleur. Nous y sommes donc très attentifs. Ainsi, et sans vouloir trop en dire, nous examinons un projet relatif à l’intelligence artificielle, pour lequel nous avons plusieurs exigences : d’une part, une opération très dense sur le plan foncier et, d’autre part, la capacité de mise à disposition de chaleur.
Nous sélectionnons nos nouveaux projets pour leur cohérence avec l’écosystème : chaque projet qui s’implante désormais à Dunkerque devra alimenter celui-ci. Du point de vue des ressources, il est en effet très important de choisir des industries qui se nourrissent les unes les autres et renforcent l’écosystème.
Votre deuxième question portait, je crois, sur le degré d’autonomie.
M. le président Charles Rodwell. Pour la résumer, faut-il revoir la répartition des compétences entre l’État et les collectivités sur le volet développement économique et emploi afin de laisser à celles-ci plus de latitude dans leur action ?
M. Maurice Georges. La zone industrialo-portuaire (ZIP) de Dunkerque se caractérise par sa diversité : outre la vallée de la batterie, qui constitue l’une de ses forces, elle repose sur la sidérurgie historique, le secteur de l’énergie. Celui-ci est en pleine transformation, ayant entamé sa transition du pétrole vers l’énergie décarbonée, électrique, avec également un terminal méthanier, qui est un véritable outil de souveraineté nationale.
En matière industrielle, la filière agroalimentaire marche bien à Dunkerque ; nous souhaitons continuer à la développer. De même, des secteurs de pointe, comme la pharmacie, sont bien implantés dans le Dunkerquois et doivent continuer à se développer. Nous entendons soutenir la diversité existante parce qu’elle est un véritable facteur de résilience, à court et à long terme.
L’eau est un sujet piloté collectivement, à trois niveaux : la communauté urbaine, avec le service de lobby dunkerquois ; le port, qui dispose d’un réseau hydraulique ; les services de l’État, en particulier la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), qui surveille de très près la consommation des eaux.
Le pilotage concerne les industries existantes et vise à leur faire gagner 10, 15 ou 20 % de consommation d’eau – c’est le cas en particulier d’Arcelor, qui a déjà fait beaucoup d’efforts. Il concerne également les nouveaux prospects : l’acceptabilité d’une implantation est étudiée de près car, même si l’eau industrielle est disponible en bonne quantité à Dunkerque, elle n’est pas illimitée. Il faut donc faire attention à l’enveloppe globale.
Le pilotage concerne enfin la phase d’élaboration du projet. Dans cet écosystème public-privé, la sous-préfecture joue un rôle très actif. Dès qu’un prospect se manifeste, elle lance un groupe de pilotage ad hoc regroupant l’industriel concerné, le Grand Port maritime, la communauté urbaine de Dunkerque, l’ensemble des services de l’État concernés – je souligne à cet égard le rôle essentiel de la Dreal – et ce, depuis le début du projet jusqu’à la délivrance des autorisations en passant par toutes les phases d’optimisation, en particulier celle des ICPE. Dans tous les gros projets industriels que nous avons étudiés, la phase du montage du projet a permis de gagner 30 à 40 % de consommation d’eau.
M. Patrice Vergriete. Pour répondre à votre deuxième question, si c’était simple, il y a longtemps que ce serait fait. La répartition des compétences dépend des territoires : à tel endroit, la région joue un rôle important tandis que, à tel autre, elle n’en a aucun. Je l’ai constaté lorsque j’étais ministre du logement, la pertinence de l’implication du département en matière de logement varie selon les territoires.
Ici, à Dunkerque, nous fonctionnons avec deux grandes institutions : l’intercommunalité et l’État. Ce n’est pas forcément vrai ailleurs, à Cahors ou à Biarritz. La répartition des compétences a ceci de difficile qu’elle dépend précisément des territoires. Il faut en comprendre le fonctionnement, le mode d’organisation, la gouvernance pour bien distribuer les compétences.
L’emploi, dans un territoire comme Dunkerque, devrait être confié à la communauté urbaine, bien entendu ! Pour ma part, je suis preneur : je serais beaucoup plus efficace que le système actuel. Toutefois, ce qui vaut pour Dunkerque ne serait pas forcément pertinent dans d’autres bassins. Je ne dis pas qu’il faut donner la compétence emploi aux intercommunalités mais simplement que, dans le territoire dunkerquois, la multiplicité d’acteurs qui se font concurrence n’est pas efficace, parce qu’on n’est pas à la bonne échelle.
De même, la compétence développement économique, si l’on considère le territoire dunkerquois, devrait à l’évidence relever de la communauté urbaine, en articulation avec l’État, car c’est ainsi que le système fonctionne. Par exemple, les investisseurs dans le port de Dunkerque sont soutenus par la communauté urbaine et par l’État, mais pas par la région. Le mode d’organisation et l’implication des acteurs varient selon les territoires, pour des raisons historiques et de volonté politique. Les situations locales peuvent être très différentes les unes des autres.
Si l’on voulait être pertinent, il faudrait instaurer un système à la carte et évolutif dans le temps. Proposer une solution plaquée depuis Paris ne pourrait pas marcher : par essence, la différenciation territoriale se pense depuis le territoire. Ce n’est pas une loi de décentralisation qui réglera le problème – malheureusement.
Généralement, on arrive à se débrouiller en se réorganisant. Ainsi, nous avons inventé un GIP centré sur la communauté urbaine. Il est vrai cependant que cela pose parfois des problèmes : on se marche sur les pieds. Or la concurrence n’est pas forcément saine car elle fait perdre de l’énergie. Dans l’ensemble, nous parvenons à fonctionner mais, dans d’autres territoires, cela peut être plus difficile. Cette question n’est pas simple.
M. Thierry Tesson (RN). Étant député du Nord, plus particulièrement du Douaisis, tout ce que vous avez dit sur Dunkerque m’intéresse au plus haut point. L’histoire récente a été très difficile pour notre territoire, qui fut autrefois le poumon économique de la France. Alors que Lille est un poids lourd tertiaire, Dunkerque et Valenciennes sont des poids lourds industriels.
Je m’interroge sur la notion de complémentarité à l’échelle de notre département. Je vois à quel point votre territoire se développe – même si Envision, que vous aviez souhaitée obtenir, s’est finalement implantée à Douai. En revanche, les ports français ne figurent pas dans le haut du classement européen et mondial – nous sommes loin derrière Rotterdam, par exemple. Comment envisagez-vous la situation ? Il existe certes un schéma régional mais avez-vous une approche plus politique ?
Enfin, ayant été directeur de cabinet d’un ministre de la ville, je connais votre implication dans l’Anru. Vous avez évoqué à juste titre les problèmes de logement. Si une industrie s’implante mais qu’on ne peut pas loger les travailleurs, faute de pouvoir créer de nouveaux logements, l’Agence peut-elle apporter une solution ?
M. Patrice Vergriete. Ce n’est pas la vocation de l’Anru, dont le rôle est de transformer les quartiers qui ne vont pas bien grâce à la rénovation urbaine. Je pense qu’elle fait bien son travail : il faut conserver sa dynamique et même lancer un troisième programme Anru. Toutefois, cela joue indirectement : le programme Anru nous permet de remettre sur le marché des logements sociaux dont Dunkerque, agglomération populaire, a besoin pour loger les ouvriers – les salariés des gigafactories ne sont pas tous des cadres supérieurs. Aujourd’hui, les nouvelles constructions prévoient 40 % de logements sociaux.
En outre, l’Anru, grâce à son travail de rénovation urbaine, contribue à mettre sur le marché des logements de meilleure qualité. Elle joue donc indirectement en faveur du logement des salariés, notamment des ouvriers. Elle ne pourra toutefois pas aller au-delà des quartiers défavorisés. Ceux-ci ne représentent d’ailleurs qu’une petite partie du problème puisqu’il reste la question de la production de logements neufs qui, au niveau national, est plutôt en crise. L’Anru ne peut pas, à elle seule, constituer une réponse au problème.
Sur la question du logement, nous avons établi un atlas foncier au niveau de la communauté urbaine et nous avons trouvé des opérateurs, même si cela n’a pas été simple. Nous avons encore des problèmes avec le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui n’arrive pas à suivre le rythme, en quantité comme en qualité – une telle filière ne se structure pas rapidement et nous avons du mal à attirer le BTP des territoires avoisinants. Nous parvenons à nos fins, petit à petit, mais ce n’est pas simple. Le changement de rythme de la filière est un vrai sujet.
Autre problème, le Sraddet ne nous a pas donné assez de terrains pour construire à côté des usines. Nous pourrions bâtir des immeubles de dix étages dans tout Dunkerque et respecter le Sraddet ; en revanche, nous ne pouvons pas construire à 5 kilomètres des usines qui s’implantent parce que ce serait forcément considéré comme de l’extension urbaine. La réglementation a certes une légitimité nationale mais elle produit des exigences au niveau local qui n’ont aucun sens. J’en reviens donc encore une fois à la nécessité de la différenciation territoriale.
Concernant l’aménagement du territoire, vous avez totalement raison, monsieur le député, tout cela devrait être mieux articulé. Je ne suis pas certain que des schémas soient très utiles. Ils sont sans doute nécessaires mais je crois davantage à une démarche politique, à notre capacité à nous entendre dans un cadre plus large.
Pour Dunkerque, le pôle métropolitain de la Côte d’Opale – il s’agit d’un syndicat mixte comprenant le Boulonnais, le Calaisis, l’Audomarois, le Dunkerquois, la Flandre maritime – nous permet de mener certains projets sur un périmètre plus large. Ainsi, c’est lui, et non la communauté urbaine, qui s’occupe de l’animation et de la préparation du projet de construction des EPR. Nous avons en effet estimé que ce projet et ses effets étaient tellement importants que cela justifiait de le confier au pôle métropolitain de la Côte d’Opale.
Autre exemple, nous souhaitons développer un schéma de transport pour ne pas saturer l’A16 et le port. Ce nouveau système de transport collectif, destiné à acheminer les quelque 20 000 ouvriers qui seront employés dans les usines, est conçu dans le cadre d’un service express régional métropolitain (Serm), lui-même à l’échelle du pôle métropolitain de la Côte d’Opale. Les ouvriers viendront demain du Calaisis, de l’Audomarois, d’Hazebrouck : c’est à cette échelle qu’il faut réfléchir quand on organise les modes de transport.
Vous avez donc raison : il est important de construire des outils adaptés en matière d’organisation de telle ou telle politique publique. Aujourd’hui, le Dunkerquois s’appuie sur le pôle métropolitain de la Côte d’Opale ; demain, on pourrait imaginer un territoire un peu plus large et intégrer, pourquoi pas, le Douaisis.
Par ailleurs, il est indispensable de travailler en inter-intercommunalité, si je puis m’exprimer ainsi, c’est-à-dire en acceptant mutuellement que le projet bénéficie à tous, même au-delà de notre territoire. Pour ma part, je dis ouvertement que les emplois de Verkor serviront aux Calaisiens et que des Hazebrouckois seront salariés de ProLogium. Ma responsabilité d’élu dunkerquois est aussi de permettre aux Hazebrouckois de bénéficier de transports adaptés pour pouvoir se rendre chez Verkor. Nous devons donc travailler ensemble, et non pas nous opposer les uns aux autres.
M. Maurice Georges. La stratégie portuaire et logistique se conçoit dans un véritable équilibre entre la recréation industrielle et les stratégies de transports maritimes, de transports intérieurs et de logistique – telle est d’ailleurs l’orientation de la stratégie nationale portuaire.
Pour le port de Dunkerque, tout cela se conçoit à l’échelle régionale. Je vous en donnerai trois exemples très concrets. Le premier concerne les filières logistiques dans l’arrière-pays ou l’hinterland. Des lignes régulières de très longue distance de porte-conteneurs géants arrivent toutes les semaines. Cet outil très puissant permet d’alimenter toute la chaîne logistique d’importation dans les Hauts-de-France et au-delà. C’est à cette échelle que se conçoit le continuum portuaire et logistique.
Le deuxième exemple porte sur la logistique de la vallée de la batterie. Les gigafactories sont en train de s’installer avec des chaînes logistiques qui passeront par Dunkerque. L’intégration régionale me paraît stratégique.
Le troisième exemple concerne la filière halieutique. Nous avons des coopérations très renforcées sur le littoral avec le port de Boulogne, premier port européen en matière de transformation de la filière halieutique. Nous avons une vision intégrée de la chaîne logistique sur ce point.
Par ailleurs, je voudrais citer notre coopération avec le port de Calais, dont l’objectif majeur est la décarbonation des transports maritimes. Vous connaissez sans doute le projet que nous défendons, avec les ports de Calais et de Douvres, pour électrifier la liaison transmanche à l’horizon 2030. Ce projet ne se conçoit qu’à l’échelle du littoral.
Enfin, les ports français sont certes petits si on les compare à Rotterdam mais ils n’ont pas vocation à être les plus grands ports du monde. Les trois ports de la Côte d’Opale – Boulogne, Calais et Dunkerque – constituent le premier système portuaire français. C’est à cette échelle que nous faisons de la prospection commerciale au niveau mondial. C’est un atout très fort et, si nous n’avons pas vocation à rattraper Rotterdam, ces trois ports présentent un véritable potentiel de croissance.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie d’avoir répondu de manière très précise à nos questions. Vous pouvez compléter vos réponses en adressant au secrétariat les réponses au questionnaire reçu et tout document que vous jugerez utile à la commission d’enquête.
La séance s’achève à treize heures cinq.
Présents. – M. Laurent Croizier, Mme Florence Goulet, M. Robert Le Bourgeois, M. Éric Michoux, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber