Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Bianchi, directeur général adjoint du groupe LVMH, M. Marc-Antoine Jamet, secrétaire général, et Mme Cécile Cabanis, directrice financière              2

– Présences en réunion................................20

 


Mercredi
28 mai 2025

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 47

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


  1 

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. le président Charles Rodwell. Nous allons entendre aujourd’hui trois représentants du groupe LVMH : M. Stéphane Bianchi, le directeur général adjoint du groupe, M. Marc-Antoine Jamet, son secrétaire général, et Mme Cécile Cabanis, sa directrice financière.

Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Nous avons suivi les différentes auditions auxquelles le groupe LVMH – et notamment son président – a participé ces dernières semaines. Nous ne reviendrons donc pas sur les sujets déjà abordés et nous concentrerons sur d’autres questions.

Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Bianchi, M. Marc-Antoine Jamet et Mme Cécile Cabanis prêtent successivement serment.)

M. Stéphane Bianchi, directeur général du groupe LVMH. Je commencerai par une description de notre groupe, qui montrera que nos industries vivent des réalités assez différentes. Je ferai également une présentation de notre stratégie industrielle, qui, vous le constaterez, est sensiblement différente de celle d’autres groupes que vous avez pu auditionner. J’aborderai ensuite ce que nous considérons comme des freins à la réindustrialisation de notre pays.

LVMH – Louis Vuitton Moët Hennessy – est un groupe français à caractère familial constitué à la fin des années 1980 par son président actuel, M. Bernard Arnault, qui privilégie une vision à long terme de l’entreprise et cherche à préserver et développer les savoir-faire et l’artisanat.

Le groupe compte plus de soixante-quinze maisons, réparties en cinq divisions.

La mode et la maroquinerie, avec les maisons Louis Vuitton et Dior, représentent à peu près 48 % de notre chiffre d’affaires.

Les montres et la joaillerie, qui correspondent à environ 13 % de notre chiffre d’affaires, comptent deux maisons françaises – Fred et Chaumet –, une maison américaine – Tiffany & Co –, une maison italienne – Bulgari –, et trois manufactures horlogères suisses – Zénith, Hublot et Tag Heuer.

Les parfums et cosmétiques, qui constituent 10 % de notre chiffre d’affaires, sont principalement représentés par les maisons françaises Parfums Christian Dior et Guerlain, mais aussi par la maison italienne Acqua di Parma et les maisons américaines Benefit, Fresh et Fenty.

Les vins et spiritueux, soit 7 % de notre chiffre d’affaires, compte des marques mondialement connues comme Hennessy, Moët & Chandon et Dom Pérignon pour le champagne, et nous avons récemment acquis deux domaines viticoles de rosé – Minuty et Château d’Esclans.

La distribution sélective regroupe essentiellement Sephora et les grands magasins français Le Bon Marché et La Samaritaine.

S’ajoutent à ces cinq divisions des activités hôtelières à travers deux chaînes hôtelières, Cheval Blanc et Belmond, cette dernière acquise il y a moins de dix ans, ainsi que des activités dans la presse, à travers notamment Les Échos et Le Parisien.

Comme vous le constatez, le groupe gère des industries relativement différentes.

Nous sommes le premier groupe de luxe en France, où nous détenons quarante-six maisons, mais aussi en Italie avec Bulgari, Fendi, Loro Piana et Acqua di Parma. Nous sommes également un groupe mondial leader de son secteur grâce à des maisons espagnoles, américaines, allemandes, écossaises et des partenaires partout dans le monde.

Notre gouvernance et notre vision sont ancrées dans une culture et des valeurs très fortes présentes depuis la création, et que M. Arnault souhaite voir perdurer : une exigence absolue de haute qualité dans nos savoir-faire, le choix de nos matières et l’implantation de nos sites de production – j’y reviendrai, car cette exigence nous donne une perspective artisanale et industrielle sans doute un peu différente d’autres groupes –, l’importance de la créativité et de la désirabilité des marques, et une forte autonomie des maisons dans un cadre financier donné. En effet, le groupe est peu centralisé et son siège n’est pas pléthorique : nous voulons des maisons autonomes avec des équipes de direction responsables. On ne laisse pas tout faire, mais chaque maison a une grande autonomie. Nous privilégions donc une gouvernance légère et agile. Enfin, nous nous engageons à répondre aux grandes transitions actuelles, qu’elles soient technologiques, techniques, digitales, environnementales ou sociales.

Le groupe emploie 215 000 collaborateurs dans le monde, 40 000 en France – dont les deux tiers vivent hors de l’Île-de-France. Considérant qu’un emploi direct chez LVMH génère un peu plus de quatre emplois indirects, notre activité contribue à l’emploi d’environ 160 000 personnes en France. Sur nos 200 sites de production européens, 119 sont situés en France. Notre chiffre d’affaires s’élève à un peu plus de 84 milliards d’euros, avec un résultat opérationnel courant de 19,5 milliards et un flux de trésorerie ou cash-flow de l’ordre de 10,5 milliards en 2024.

Notre présence mondiale est relativement équilibrée : nous réalisons 25 % de notre chiffre d’affaires aux États-Unis, 25 % en Europe – dont 8 % en France – et 28 % en Asie, en incluant la Chine mais pas le Japon, qui représente à lui seul 9 %. Le reste du monde compte pour 13 % de notre chiffre d’affaires. Cet équilibre dépend néanmoins des activités. Pour le cognac, par exemple, 80 % de notre activité est tournée vers les États-Unis et la Chine.

Le groupe a clairement souhaité avoir une empreinte fiscale forte en France puisque cela représente 39 % de nos résultats avant impôts et que nous y payons 41 % de nos impôts alors que nous n’y réalisons que 8 % de notre chiffre d’affaires – environ 7 milliards d’euros.

Chaque année, nous y investissons plusieurs milliards d’euros, dont environ un quart pour soutenir nos outils de production. Depuis de nombreuses années, nous sommes également un des principaux recruteurs privés français et l’une des premières entreprises en termes d’accueil d’apprentis. Nous avons d’ailleurs créé un Institut des métiers d’excellence, dont nous sommes fiers – j’y reviendrai.

En conclusion, notre groupe, assis sur plusieurs divisions, c’est fortement développé au cours des quarante dernières années grâce à ses différents marchés.

J’en viens à notre feuille de route industrielle.

Notre groupe s’est construit autour de marques fortes que nous avons développées, comme Dior ou Louis Vuitton. Mais au fil des années, nous avons également acquis de nombreuses maisons, à l’instar de Bulgari et Loro Piana, et avec elles, des sites industriels un peu partout dans le monde, qu’il a fallu apprendre à gérer – par exemple, les deux tiers des sites de production de la maison Tiffany & Co se trouvent aux États-Unis.

Aussi hétéroclite que cette photo puisse paraître, tous nos sites industriels et toutes nos maisons ont en commun trois éléments : un ancrage territorial, un savoir-faire, un esprit de filière.

L’ancrage territorial, tout d’abord. La quasi-totalité de nos soixante-quinze maisons reposent sur un triptyque : un nom, une date, un lieu – Hennessy, 1765, Cognac ; Dior, 1947, Montaigne ; Clos des Lambrays, 1365, Bourgogne. C’est très important, car cela nous permet de raconter une histoire et de nous ancrer dans une région et sur un site que nous voulons préserver. Parmi les sites historiques, on compte le « 30 Montaigne », où nous avons rénové le bureau historique de M. Dior il y a quatre ans, en y laissant les meubles d’origine, mais aussi les ateliers d’Asnières, berceau de Louis Vuitton, ou encore le château de Bagnolet et le site de la Richonne pour Cognac.

À ces sites historiques s’ajoutent des sites industriels, qui répondent à des logiques d’implantation guidées par une expertise – j’y reviendrai, car c’est une dimension qui, pour différentes raisons, fait de plus en plus défaut dans notre pays. Nos maisons de mode et maroquinerie sont installées principalement en France et en Italie, celles de parfumerie essentiellement dans la Cosmetic Valley, nos maisons de montres et joaillerie sont en Suisse, en France, en Italie et aux États-Unis avec Tiffany & Co.

Le savoir-faire, ensuite. Nos sites industriels ne peuvent pas vivre sans main-d’œuvre. Nous disposons certes de machines, mais notre premier outil industriel, c’est la main de l’homme. Par exemple, un sac est fait à la main du début à la fin – et souvent, d’ailleurs, par le même ouvrier.

Nous avons donc lancé plusieurs initiatives pour faire reconnaître, enseigner et transmettre ce savoir-faire. Chez Hennessy, nous avons ainsi développé une filière interne pour former des tonneliers. Pour m’y être essayé, je peux vous assurer que faire un tonneau est un art particulièrement délicat. Il faut plusieurs années pour former un bon tonnelier, et un tonneau ne dure pas plus de trois ou quatre ans. Nous essayons de réunir toutes ces formations au sein de l’Institut des métiers d’excellence. Depuis 2014, pas moins de 3 300 jeunes apprentis ont été formés à quarante-trois métiers spécifiques. Environ 75 % sont restés dans la filière après leurs études ; parmi eux, 40 % sont entrés chez nous, et les autres chez nos concurrents.

Pour renforcer l’attractivité de ces formations, nous avons lancé le plan You & ME : nos équipes se déplacent dans les régions pour informer les gens sur le savoir-faire dont nous avons besoin et les formations que nous développons. Si on prend l’exemple de Louis Vuitton, au cours des cinq dernières années, nous avons développé cinq ateliers, qui emploient environ 500 personnes. Nous n’avons touché aucune subvention, mais nous avons noué des partenariats avec différents représentants locaux pour développer les formations qui nous sont indispensables. Une formation de 400 heures a ainsi été mise en place en collaboration avec France Travail, à l’issue de laquelle nous avons embauché entre 80 % et 90 % des personnes formées. Pour nous, ces partenariats public-privé locaux sont bien plus importants que des aides ou des subventions.

L’esprit de filière, enfin. Il vise à faciliter l’accès aux matières premières utilisées en priorité dans nos produits, souvent rares et précieuses puisque nous sommes dans l’industrie de luxe.

Pour d’évidentes raisons, nos productions viticoles sont installées en France. Mais les choses ne sont pas si simples pour d’autres matières, comme le verre pour les vins et spiritueux, le cuir ou la laine. Le cachemire vendu par Loro Piana, par exemple, vient de Mongolie, car c’est là-bas que l’on trouve le plus beau cachemire du monde. Nous établissons donc des filières localement pour faire perdurer l’approvisionnement. Autant que possible, la matière est ensuite tissée en Europe.

L’enjeu, pour nous, réside dans la traçabilité, essentielle pour notre modèle industriel mais pas toujours simple. C’est pourquoi, chaque fois qu’un produit n’est pas développé en France ou en Europe, nous nous rendons sur place pour nouer des partenariats, afin d’avoir des garanties sur le produit importé.

J’en viens aux freins à la réindustrialisation. Pour nous, il y en a trois : la mutation du tissu industriel, le besoin de simplification, la fiscalité et le coût du travail.

Commençons par le tissu industriel. Encore nombreux il y a une dizaine d’années, les sous-traitants se font plus rares. La plupart étaient des PME ou des entreprises familiales que leurs dirigeants ont eu du mal à transmettre. Or si nous intégrons une partie de ces sous-traitants, il n’est pas question pour nous d’intégrer toute une filière – cela ne correspond pas à notre modèle économique. Nous continuons à travailler avec ceux qui restent ; nos concurrents aussi. Nous continuons d’ailleurs de leur ouvrir les portes des sous-traitants que nous intégrons, car nous pensons que c’est sain et que cela permet de se comparer : si les concurrents viennent chez nous, c’est que nous sommes bons en productivité. Il reste que nous avons de plus en plus de mal à trouver des sous-traitants en France, dans l’artisanat du moins. Pour renforcer son tissu industriel, l’Italie a déployé le plan Industria 4.0, lancé en 2016 et effectif l’année suivante. Ce plan jumelait subventions et crédit d’impôt pour les investissements visant la remise à niveau technologique et numérique de l’industrie. Ce dispositif très ciblé permettait aux entreprises d’amortir jusqu’à 250 % de leur investissement. Cette initiative a porté ses fruits : aujourd’hui, l’Italie a un tissu industriel d’entreprises familiales bien plus dense qu’en France.

Nous avons également un besoin impérieux de simplification, en France comme en Europe. Je ne citerai qu’un exemple : la directive du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises ou Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Elle mobilise tout une partie de nos équipes – plus que les commissions d’enquête parlementaires ! – pendant des centaines, des milliers d’heures. Comment les PME pourraient-elles rendre un rapport complet ? Ce n’est pas possible ! Au niveau européen, on déplore l’empilement des réformes européennes, dénoncé dans le rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne du 9 septembre 2024, dit rapport Draghi). Les propositions de directives omnibus peinent à aboutir : elles sont pourtant indispensables car l’empilement des normes est particulièrement pénalisant pour certains secteurs, comme les cosmétiques – M. Jamet pourra y revenir. Pour la division des vins et spiritueux. le cognac par exemple, court un grand risque. En effet, les deux pays qui concentrent 80 % des exportations, la Chine et les États-Unis, ont décidé d’instaurer des droits de douane se montant jusqu’à 39 % pour la première, et 200 % – puis 10 %, puis 50 %... – pour les seconds. Si l’Europe ne parvient pas à se coordonner et à négocier, toute la filière va disparaître. L’enjeu est essentiel.

Enfin, le coût du travail et la fiscalité sont, pour nous, le principal frein à la réindustrialisation. Il y va de la compétitivité de nos entreprises. La France est malheureusement le premier des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’agissant du montant des prélèvements obligatoires – 45,6 %, soit cinq points au-dessus de la moyenne et de nos amis allemands. On fait subir au travail des coûts exorbitants – et pas toujours légitimement. Entre ce que coûte un employé à l’entreprise et le montant brut que celui-ci perçoit, il y a un écart de 55 %. Certes, cet argent est investi par nos gouvernants dans tout un tas de chose, mais le coût du travail nous semble prohibitif.

Mais le pire, pour nous, réside dans la surtaxe de 40 % de l’impôt sur les sociétés qui, d’une certaine manière, revient à punir les bons élèves. Comme nous avons choisi de payer beaucoup d’impôts en France – 41 % – nous sommes en effet les premiers touchés par ce surcoût absolument délirant. On nous a promis que ce n’était que pour un an : admettons, on vous croit. Mais il faut vraiment s’en tenir à un an, et que cela permette de mener des réformes structurelles pour l’avenir. Cette surtaxe nous place en tête des pays de l’OCDE en matière d’impôt sur les sociétés ; nous sommes même passés devant la Colombie !

S’il n’y avait qu’un mot à retenir de mon propos liminaire, ce serait compétitivité. Et ce n’est pas un vain mot : pour préserver ses investissements, ses emplois, ses entreprises, notre pays se doit d’être compétitif. Le monde aujourd’hui est si compliqué ! La Chine et les États-Unis, qui ont une puissance économique incroyable, concentrent les débouchés pour les entreprises françaises. Nous sommes obligés de composer avec. Il est indispensable de se mettre d’accord, à l’échelle de la France et de l’Europe, sur la manière de procéder pour redonner vie à notre tissu industriel dans les années à venir.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour ces propos très clairs.

Je partage votre avis concernant la surtaxe d’impôt sur les sociétés pour les entreprises. La stabilité fiscale est pour nous un mantra et j’avais défendu au nom de mon groupe un amendement visant à supprimer cette surtaxe, lequel a été rejeté dans l’hémicycle par la plupart des autres groupes. Considérez-vous que la politique de l’offre que nous avons menée ces dernières années, tant du point de vue des réformes fiscales que de celles portant sur le marché du travail – les ordonnances travail et la réforme de l’apprentissage – a porté ses fruits ? Quelles réformes nous encouragez-vous à poursuivre eu égard à l’instabilité géoéconomique que vous traversez actuellement ?

Ma deuxième question porte sur l’évolution de la consommation interne chinoise et américaine. Notre perception de ces deux marchés est parfois en décalage avec la réalité. Vous avez évoqué le cas de la filière vins et spiritueux à travers l’exemple du cognac. Je m’interroge sur celle de la mode – vêtements, sacs, maroquinerie, horlogerie. Comment voyez-vous l’évolution des marchés chinois et américain dans les trois à quatre prochaines années ?

Mme Cécile Cabanis, directrice financière du groupe LVMH. Un effort fiscal a été fait ces dernières années, notamment par la stabilisation de l’impôt sur les sociétés. Malheureusement, cette stabilité a été de courtes durées et nous devons désormais compter avec une surtaxe et un taux majoré à 41,2 %.

Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler lors de l’audition de la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants. Les aides actuelles n’existent que parce que les prélèvements obligatoires sont très élevés. Pour qu’elles soient efficaces dans l’instauration et le maintien des comportements vertueux, il faut des aides massives, moins nombreuses et mieux ciblées ; en clair, il faut moins de saupoudrage, car celui-ci s’accompagne de formalités qui demandent aux PME trop de temps et trop de travail. Nous-mêmes avons renoncé à demander certaines aides pour cette raison. Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act du 16 août 2022 proposait une enveloppe très importante qui a créé un véritable effet d’entraînement.

LVMH a une utilisation modérée des aides : notre empreinte fiscale en France est de 4 milliards d’euros et nous recevons des aides à hauteur de 200 millions d’euros. Le crédit d’impôt recherche, qui est pourtant une aide récurrente – même si ses modalités changent tous les ans dans la loi de finances –, n’est pas allé au bout de ce qu’il pourrait être pour défendre l’innovation française car il n’inclut pas le design, qui constitue la majorité de nos investissements. Nous n’en bénéficions que pour la recherche en parfums et cosmétiques. L’Italie est allée plus loin sur ce sujet.

Les aides ne sont pas assez ciblées, pas assez simples et elles ne sont pas toutes au service de l’innovation et des changements de comportement.

M. Stéphane Bianchi. Jusqu’à un passé récent, le marché chinois et les clients de nationalité chinoise achetaient partout dans le monde, y compris au Japon du fait de la relative faiblesse du yen. Depuis trois mois, les touristes chinois se déplacent moins et achètent moins quand ils se déplacent. Ils se tournent davantage vers l’expérientiel en réservant un bel hôtel, plus cher. Sur le marché intérieur chinois, même si nos produits restent attractifs, nous constatons la percée d’un petit sentiment nationaliste avec la volonté d’acheter chinois. Le chiffre d’affaires des maisons locales de joaillerie explose ; elles vendent beaucoup de bijoux en or, métal dont le prix a beaucoup monté. Nous ne sommes pas inquiets car nous pensons que ce changement de comportement est conjoncturel. Nous continuons à nous développer et à rénover nos magasins en Chine, qui reste l’un de nos premiers marchés.

Au moment où la Chine baissait, nous avons senti les États-Unis repartir. Toutefois, la situation évolue en dents de scie en fonction des annonces du gouvernement américain sur les droits de douane : le consommateur américain dépense beaucoup quand la bourse monte et moins quand la bourse baisse, puisque sa retraite dépend des fonds de pension. Les cours étaient élevés avant et après l’élection de M. Trump, mais l’annonce des droits de douane a eu un effet extrêmement néfaste sur la bourse et, partant, sur la consommation. Là encore, nous considérons que la situation est conjoncturelle ; cependant, nous ne savons pas quand le marché repartira. Tant que la question des droits de douane ne sera pas réglée, ce sera très compliqué.

M. le président Charles Rodwell. Nous avons interrogé des patrons du secteur de l’automobile – auxquels on peut ajouter le patron de Schneider, qui s’est exprimé publiquement – et des économistes, comme David Baverez. Ils nous ont expliqué que la surcapacité de production des usines chinoises, associée à la baisse conjoncturelle de la consommation intérieure et à l’augmentation des droits de douane américains, aurait un effet déversoir sur le marché européen dans certains secteurs clés. Constatez-vous ces effets sur le marché du luxe ?

Si les États-Unis et la zone euro avaient eu un PIB égal dans les années 1990, il y aurait aujourd’hui 30 points d’écart entre les deux économies ; à PIB égal à la fin de la crise financière de 2008, il y aurait 16 points d’écart. Cela montre que nous avons des difficultés à créer de la valeur par rapport aux États-Unis. Tous les acteurs qui écrivent sur le sujet parlent de la même chose : la capitalisation, les fonds de pension, la capacité à financer les entreprises par des fonds propres grâce à des capitaux directement liés aux régimes de retraite. Considérez-vous qu’il est temps que nous bâtissions un régime de retraite par capitalisation, non seulement pour protéger et soutenir la retraite des Français, mais aussi pour injecter plus massivement des capitaux dans les entreprises françaises et européennes ?

M. Marc-Antoine Jamet, secrétaire général du groupe LVMH. Je partage l’optimiste de Stéphane Bianchi concernant la Chine. Nous avons ouvert la première boutique Vuitton au Palace Hotel de Pékin en 1992, il y a seulement trente ans. Nous avons ouvert notre première boutique dans un centre commercial ou mall en 1999, au Plaza 66 à Shanghai ; aujourd’hui, nous avons 20 000 salariés et 1 500 boutiques. Je me souviens avoir défendu notre groupe devant la chambre de la propriété intellectuelle de la Cour suprême de Pékin, le nom Sephora ayant été déposé par un Chinois, puis avoir plaidé pour LVMH quand, il y a quinze ans, le Chine a décidé d’ouvrir les villes de deuxième et troisième rangs à certaines entreprises étrangères qui avaient cru en elles pour les remercier. Les séquences sont très courtes et un retournement structurel en deux à cinq ans est tout à fait possible.

Il est indéniable que la crise de l’immobilier, devenue une crise du bâtiment, puis une crise de la consommation, frappe les Chinois, mais nous savons que ces crises peuvent être volatiles, brèves, avec des retournements, d’autant que la destruction partielle du stock dégage de l’épargne pour la consommation. Il est vrai que la relance chinoise se fait par l’exportation plutôt que par la consommation ; de ce fait, elle ne cible que deux tiers du monde au lieu de la totalité, puisque le troisième tiers, constitué par les États-Unis, se ferme. Si la relance se fait sur un nombre de cibles limité, vous avez raison de dire que ces cibles peuvent s’inquiéter.

Il faut ajouter à cela l’émergence de la concurrence dans le secteur des parfums et cosmétiques. Celle-ci suscite davantage d’inquiétude sur le marché de la consommation de masse ou mass market et le marché intermédiaire ou middle market – sur lequel se positionnent d’autres géants français – que dans le luxe, où le triptyque « un lieu, un nom, une date » change un peu les choses. Il est vrai néanmoins que le discours politique chinois est peut-être moins favorable qu’il ne l’a été par le passé. Plus nationaliste, il est, à mon sens, corrélé à d’autres objectifs.

Enfin, je n’oublie pas la contrefaçon. En ce qui nous concerne, 40 % des saisies de contrefaçon se font en Chine. C’est un vrai problème pour lequel nous avons besoin de l’aide de l’État. Quand les Chinois nous disent : « La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), je ne connais pas. Je veux inspecter vos usines moi-même », cela pose un problème en termes de concurrence, mais également de souveraineté pour la France. Il est étonnant de voir une administration inquisitoriale – au bon sens du terme, car elle mène des enquêtes – décider d’inspecter nos usines sans le feu vert des autorités françaises. Cela entre dans le cadre de la simplification internationale. Il faut y ajouter l’absence de standards sur les tests, sur les enregistrements et sur les allergènes, qui rend les choses objectivement compliquées.

Heureusement, la désirabilité de nos produits et la relation particulière que le groupe LVMH entretient avec la Chine, aussi bien comme source d’inspiration que par la coopération avec un nombre considérable d’artistes chinois, permettent de compenser, par une forme de soft power, une situation réglementaire, géopolitique et macroéconomique qui donne l’impression – et parfois plus que l’impression – que les temps sont difficiles.

M. Stéphane Bianchi. En ce qui concerne les retraites, nous n’avons pas à nous prononcer sur ce qui serait mieux pour le pays. Personnellement, je pense qu’il faut revoir le système car leur coût pèse de plus en plus. Nous parlions de difficultés conjoncturelles pour la Chine et les États-Unis ; en France, il faut des changements structurels, et pas seulement sur les retraites. Le gouvernement a annoncé 40 milliards d’euros d’économies. Il évoque à présent l’augmentation de tel ou tel impôt. Augmenter les impôts, ce n’est pas faire des économies ! Il faut réinventer la France, loin de ce que nous avons connu ces quarante dernières années.

M. le président Charles Rodwell. Nous voulons coûte que coûte sauver la politique de l’offre. Vous pouvez compter sur notre détermination à tenir la barre pour défendre la stabilité fiscale. À ce sujet, estimez-vous que le pacte Dutreil, créé par la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique, est suffisamment bien calibré pour prendre en compte les réalités nouvelles auxquelles sont confrontées les entreprises familiales, à commencer par la numérisation et la robotisation ? Faudrait-il en élargir l’assiette et les taux ?

M. Marc-Antoine Jamet. En écoutant l’audition de Renaud Dutreil, j’ai eu l’impression qu’il vous avait en partie répondu dans le sens de l’élargissement des facteurs et des taux.

M. le président Charles Rodwell. Il nous a répondu au cours d’une audition passionnante. Nous souhaitons maintenant connaître l’avis des grandes entreprises qui ont de nombreuses filières sur le territoire français. Nous avons posé la même question à d’autres directeurs généraux, comme celui de Safran.

M. Stéphane Bianchi. Nous sommes totalement d’accord avec M. Dutreil. Attention cependant. Je me méfie toujours quand on remet sur la table un dispositif qui a fait ses preuves : le risque c’est qu’on en profite pour le démonter, ou de le rendre d’une complexité sans nom, à force d’amendements… Ma réponse à votre question est donc : oui, avec précaution.

M. Marc-Antoine Jamet. Le pacte Dutreil nous concerne à deux titres. L’atout de LVMH est de maîtriser la chaîne de valeur, de l’ingrédient à l’exportation au Havre dans un conteneur. Or nos fournisseurs et nos sous-traitants sont des entreprises familiales. Par ailleurs, nous avons besoin, pour reprendre la formule magique, de « sécuriser l’amont », donc de nous assurer le concours de gens qui savent faire de la broderie, de la dentelle ou encore des tonneaux et qui travaillent souvent dans le cadre de petites entreprises familiales qu’il faut sécuriser.

Mme Cécile Cabanis. Sur la fiscalité, entendons-nous bien, elle doit être stabilisée à un niveau compétitif, c’est-à-dire sans la surtaxe qui porte le taux nominal de l’imposition des bénéfices des sociétés à 36,13 %.

M. Stéphane Bianchi. En 2017, notre taux d’impôt sur les sociétés était de 44 %. Jusqu’à récemment, cet impôt était tout à fait supportable, même s’il était un point au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Il ne l’est plus. Il ne faudrait pas que la surtaxe soit pérenne.

M. le président Charles Rodwell. Nous avons déposé des amendements de suppression des hausses de cotisations et de la surtaxe et nous les redéposerons, le cas échéant, dans le prochain projet de loi de finances. J’ai néanmoins l’impression que le gouvernement a envoyé des signaux positifs et définitifs sur la question de la surtaxe.

Ma dernière question pose sur les accords de libre-échange. Pour tenir la production sur le territoire national, il faut vendre nos produits en Europe et les exporter ailleurs dans le monde. L’Accord économique et commercial global ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) signé le 30 octobre 2016 entre le Canada et l’Union européenne a des implications économiques majeures pour nombre de nos entreprises. Il fait l’objet de débats passionnés chez nous. Êtes-vous favorables à sa ratification définitive du fait de vos exports sur le territoire canadien, en ce qui concerne vos segments de marché ?

M. Marc-Antoine Jamet. Bernard Arnault plaidait récemment pour une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Du point de vue théorique, nous ne sommes pas contre les accords de libre-échange nord ou sud-américains. Nous sommes pour la simplification des standards internationaux dans le domaine scientifique, commercial et fiscal par des accords de libre-échange généralisés qui empêcheraient les États-Unis d’augmenter leurs droits de douane.

Cela étant, nous ne sommes pas aveugles sur ce traité en particulier. Aussi insolite que cela puisse paraître, nous sommes plutôt France des régions que France parisienne et nous vivons au contact du monde agricole. À Saint-Pourçain-sur-Sioule, dans l’Allier, dans nombre de couples, la dame travaille chez Vuitton tandis que le monsieur élève des charolais. Comme nous sommes profondément hexagonaux, profondément patriotes et profondément français, il est difficile de ne pas entendre la forte inquiétude qui se pose au sujet de la viande.

J’ajoute que nous faisons nous-mêmes peu d’affaires en Amérique du Sud car les conditions de rapatriement des bénéfices sont compliquées avec ces pays. Du reste, de nombreux Argentins et Brésiliens préfèrent acheter à Paris ou à Londres plutôt que chez eux. D’où l’importance de passer des accords sur les standards ou des accords économiques généraux. Il y a là un problème à résoudre.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Nous savons combien votre groupe est structurant pour l’économie française, pour nos territoires et surtout pour notre balance commerciale, car chaque point de déficit représente des emplois en moins et de la valeur ajoutée qui n’est pas créée, et donc pas partagée au sein du pays.

Ma première question porte sur les tarifs douaniers américains. La demande pour les produits de luxe est réputée élastique au prix. Jusqu’où cette élasticité est-elle extensible ? La baisse de la demande tend à indiquer qu’elle a atteint ses limites.

Si les droits de douane deviennent trop élevés, entraîneront-ils une hausse de votre production aux États-Unis afin d’être au plus près de la demande ? Si tel est le cas, le renforcement de la production aux États-Unis concernera-t-il des productions nouvelles ou des productions de substitution, autrement dit des délocalisations ? J’ai conscience que le caractère haut de gamme de certains produits rend obligatoire le maintien de leur production sur le sol français. Je ne peux que m’en réjouir.

M. Stéphane Bianchi. Il y a luxe et luxe. La haute joaillerie performe extrêmement bien car elle est un investissement plaisir autant qu’un investissement patrimonial. Les pièces à plusieurs millions d’euros, avec un gros caratage central, peuvent absorber des hausses de prix.

La bonne élasticité, c’est quand les prix augment et que les volumes ne baissent pas ; et la très bonne élasticité, c’est quand les volumes progressent eux aussi. Nous n’en sommes plus là. Plus nos coûts de revient sont élevés – ils croissent chaque année de 3 à 4 % – plus nous devons augmenter nos prix pour préserver nos marges et plus les volumes risquent de baisser.

Or on ne peut pas augmenter indéfiniment les prix. Lorsque, comme c’est le cas actuellement, la demande est fortement perturbée par l’immobilier, la bourse et l’annonce de la hausse des tarifs douaniers, le marché ne peut plus absorber une augmentation supérieure à 2 ou 3 % par an. Dernièrement, nous avons décidé quelques hausses de prix – cela s’est d’ailleurs très bien passé –, mais nous ne voulons pas jouer sur ce paramètre. Nous gardons cette possibilité en réserve dans l’hypothèse où les temps deviendraient un peu plus difficiles. Nous devons donc réussir à tout prix à baisser nos coûts de revient ou, à tout le moins, à les maintenir.

Mme Cécile Cabanis. Il faut distinguer la catégorie des produits de luxe, dont nous pouvons augmenter raisonnablement les prix, notamment pour faire face à l’inflation, de celle des produits destinés à la clientèle aspirationnelle, tels que les vins et spiritueux ou les produits de beauté, dont il est plus difficile d’augmenter les prix. C’est la raison pour laquelle la filière des cognacs et spiritueux est en danger. Ces deux catégories ne s’adressent pas aux mêmes clients et ne font donc pas l’objet des mêmes mesures d’aménagement ou mitigation au sein du groupe LVMH.

M. Stéphane Bianchi. On parle ici d’une bouteille de rosé vendue 20 euros ou d’un rouge à lèvres vendu 10 euros. Nous sommes confrontés au caractère très différent de nos industries. Les prix de nos produits sont compris entre quelques dizaines d’euros et quelques millions d’euros. L’élasticité varie selon la catégorie concernée. S’agissant des vins et spiritueux, il est clair que plus aucune augmentation n’est possible.

La hausse des tarifs douaniers nous incitera-t-elle à augmenter notre production américaine ? Lorsque nous avons intégré Louis Vuitton dans notre groupe, des ateliers étaient déjà implantés aux États-Unis. Actuellement, nous en avons quatre, qui fournissent une infime partie de la demande locale – je passe sur les articles parus récemment dans la presse à ce propos, qui sont assez mensongers. Si la hausse des tarifs douaniers est celle qui nous a été annoncée, nous n’aurons pas d’autre choix que d’augmenter notre production outre-Atlantique. Dans une telle configuration, soit nous arrêtons de vendre aux États-Unis, où nous réalisons 25 % de notre chiffre d’affaires, soit nous agissons de manière pragmatique. Nous choisirons bien entendu la seconde option. Je précise cependant que cela fonctionne également dans l’autre sens : en cas de hausse des droits de douane, les bijoux Tiffany que nous fabriquons actuellement aux États-Unis peuvent être produits, pour l’Europe, dans nos ateliers français et italiens.

M. Marc-Antoine Jamet. Comme nous le faisons à Saint-Dizier.

M. Stéphane Bianchi. Quoi qu’il en soit, une hausse des droits de douane coûtera très cher à nos économies. Dans cette situation, nous recourrons à des pis-aller : il n’y a pas de bonne solution face au protectionnisme.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Considérez-vous que le coût des normes – ce que j’appelle l’« impôt paperasse » – a empêché la compétitivité des entreprises de profiter des allégements fiscaux dont elles ont bénéficié ces dernières années ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous citer des estimations ?

Le rapport Draghi estime à plus de 40 milliards d’euros le coût de l’application des normes européennes – je ne parle même pas de leurs effets ni de leur surtransposition, qui est un mal français. Quant à la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), elle évalue à 20 milliards le coût des normes européennes pour la France.

Par ailleurs, avez-vous estimé le coût de la CSRD pour votre entreprise ? Il s’élèverait, pour la première année d’application de cette directive, à 4,5 milliards pour les entreprises françaises.

Mme Cécile Cabanis. En ce qui concerne les allégements fiscaux que je qualifierai de structurels – je reviendrai sur ceux qui sont liés aux normes, notamment en matière de transition écologique –, il faut étudier le net car si, d’un côté, on augmente les prélèvements et, de l’autre, on verse des aides, on n’a pas changé grand-chose, en définitive. S’agissant des prélèvements nets sur les entreprises, le laboratoire d’idées ou think tank Rexcode classe la France au premier rang, avec un taux de 10 %, devant l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.

Au demeurant, notre groupe fait une utilisation modérée des aides. D’une part, du fait de notre activité, de notre ancrage territorial, de nos savoir-faire et de notre création de valeur, peu d’entre elles nous visent directement. D’autre part, nous sommes assez peu concernés par celles qui sont liées à l’énergie, à la transition écologique ou au Pacte vert pour l’Europe du 15 janvier 2020, car nos activités ne sont pas très émettrices de CO2.

Il est difficile de calculer le coût total de la CSRD, car elle mobilise une très grande partie de l’organisation et de très nombreuses personnes, même si elles ne s’y consacrent pas forcément à temps plein. Par ailleurs, nous ne savons pas toujours comment récupérer les données qui nous sont demandées, de sorte que nous faisons travailler beaucoup de consultants – c’est bien pour eux, moins pour nos coûts. Toujours est-il que, selon la synthèse que j’ai demandée – et que j’ai gardée par-devers moi tant j’ai honte de dépenser autant d’argent pour rien –, le coût de la mise en application de la CSRD s’élève à plusieurs millions.

Si l’objectif de cette directive était de favoriser les bonnes actions, de susciter les bons comportements, ce serait très bien. Mais ce n’est pas le cas : il s’agit de produire des tas de données qui, en outre, ne sont pas forcément pertinentes car la directive a été conçue sur le modèle d’une taille unique ou one size fits all : toutes les entreprises sont traitées de la même façon, quel que soit leur secteur d’activité.

On ne sait donc pas très bien à quoi cela sert. Il faudrait tout de même que participent à la conception de ces normes des gens qui sont dans la vraie vie et qui vont les appliquer. L’intention peut être bonne, mais il faut que ce soit simple et réalisable par les entreprises. Or nous ne comprenons même pas la moitié de ce qui nous est demandé : il faut douze personnes et deux cabinets pour nous expliquer certains calculs. De plus, cela ne crée aucune valeur et ne favorise pas la transition, car on prend une photo au lieu de faire un film qui permettrait de mesurer les progrès.

Cela coûte très cher, prend beaucoup de temps et ne crée pas de valeur. Si l’intention était louable, l’exécution est catastrophique et doit être revue.

M. Stéphane Bianchi. J’ajoute que c’est un désavantage compétitif pour la France. D’autant que, dans notre programme Life 360, notre groupe s’est fixé des objectifs très précis en matière environnementale pour 2023, 2026 et 2030. La CSRD conduit à produire un rapport de plus, dont on ne perçoit pas l’utilité et qui complexifie beaucoup la vie quotidienne de notre groupe mais aussi celle des petites et moyennes entreprises (PME).

Mme Cécile Cabanis. Et elle convertit l’énergie positive qui est à l’origine de Life 360 en une contrainte qui suscite le rejet. On amoindrit les ambitions de transition en rendant les choses véritablement pénibles.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Merci pour votre témoignage. On sent que cela vous fait du bien, de vous exprimer à ce sujet.

M. Marc-Antoine Jamet. Et cela n’a pas l’air de vous déplaire !

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je partage en effet votre constat, d’autant plus que la France est le seul pays d’Europe à avoir appliqué la CSRD cette année. C’est donc, pour notre pays, un désavantage compétitif par rapport aux autres pays du marché unique mais aussi, à terme, par rapport aux marchés extraeuropéens.

Mme Cécile Cabanis. J’ajoute à ce propos que nous avons dû nous battre pour ne pas communiquer certaines données sensibles dont la révélation donnerait un avantage à nos compétiteurs. Même de ce point de vue, il y a un risque.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Le groupe LVMH est détenu à près de 48 % par la famille Arnault. Or vous avez récemment lancé, à l’échelle mondiale, un plan de partage du capital avec l’ensemble de vos salariés. Votre groupe a-t-il la volonté de rester un groupe familial et d’assurer une détention « domestique » de son capital ? Quelle sera la part de la participation des salariés ? Quels sont les dispositifs mis en œuvre en France, dans ce domaine ?

M. Stéphane Bianchi. Nous avons en effet lancé, l’an dernier, un plan d’actionnariat salarié qui a recueilli un grand succès. Nous avons même dû augmenter les allocations.

Notre groupe souhaite-t-il conserver son caractère familial ? Ma réponse est un oui franc et massif. Même si le groupe est coté, c’est un élément fondamental eu égard au travail de long terme que nous devons mener dans nos maisons. Il est important que l’actionnaire majoritaire soutienne une décision qui peut être un peu pénalisante à court terme mais qui, dans cinq ou dix ans, portera ses fruits. Nous avons eu, au sein de notre groupe, des activités qui ont été déficitaires pendant des décennies et qui sont très largement bénéficiaires aujourd’hui. Pour les salariés, un actionnaire qui pense à moyen et long terme, c’est extraordinaire. C’est la raison pour laquelle je n’ai travaillé que dans des entreprises familiales.

Quant à l’actionnariat salarié, la complexité des législations ne nous a pas permis de le développer dans le monde entier. Nous ne l’avons donc mis en place que dans huit pays – pas tous européens –, là où la législation, notamment fiscale, nous le permettait. L’engouement a été tel que nous allons discuter avec l’actionnaire de ce que nous pouvons envisager à l’avenir. En tout cas, nous sommes ravis de l’accueil que nos collaborateurs ont réservé à cette initiative.

Mme Cécile Cabanis. J’ajoute que nous avons versé, au titre du partage de la valeur, 511 millions d’euros à nos salariés français en 2023, dont la moitié relève de notre initiative – en sus, donc, des dispositifs légaux. C’est, pour nous, très important.

M. Stéphane Bianchi. Cet intéressement peut représenter quatre à six mois de salaire supplémentaires. Il n’est pas intégré dans notre document d’enregistrement universel (DEU) : lorsqu’il est indiqué que 96 % de nos salariés perçoivent plus de 2 250 euros, il faut l’entendre hors intéressement et participation.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quelles intentions traduisent la volonté de votre groupe d’ouvrir son capital à ses salariés ? Craignez-vous son ouverture à des concurrents ou à des entreprises étrangères ou d’autres secteurs ?

Mme Cécile Cabanis. L’ouverture du capital aux salariés ne procède pas d’un plan réfléchi : il s’agissait simplement de partager la valeur avec eux en leur donnant des actions du groupe pour lequel ils travaillent et de les rendre fiers. Nos plus gros investisseurs institutionnels sont déjà étrangers – ce sont des Américains –, comme c’est le cas de presque toutes les entreprises du CAC40.

M. Marc-Antoine Jamet. Le Jardin d’acclimatation est une société du groupe que je connais mieux que les autres. Les salariés qui y travaillent ressemblent beaucoup, par le fonctionnement de l’entreprise et sa sociologie, à des fonctionnaires de la ville de Paris – ce n’est pas un objectif, c’est un héritage. Environ la moitié d’entre eux ont estimé qu’il s’agissait d’un dispositif de fidélisation – après tout, comme le dit parfois M. Arnault, les actions de LVMH sont bonnes à garder – et ont accueilli avec enthousiasme ce plan qui a recueilli un succès populaire dont j’ai été le premier étonné. La démarche est, non pas négative – contre des groupes étrangers –, mais positive : il s’agit d’associer les salariés aux fruits de l’entreprise, même si elle est toute petite et un peu éloignée des sacs Louis Vuitton.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Votre réseau de sous-traitants se situe à l’intersection des trois critères de votre stratégie : territoires, savoir-faire et filières. Vous avez indiqué qu’il arrivait à votre groupe d’intégrer des fournisseurs afin de les conserver au sein de la chaîne de valeur. Quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour entretenir ce réseau partout en France ?

Au-delà des freins à la réindustrialisation que vous avez évoqués à propos de votre groupe, quelles sont les principales difficultés que rencontrent vos fournisseurs ? Sont-elles liées, par exemple, au coût de l’énergie ? Avez-vous des remontées de terrain concernant le plan France 2030 ? Ce plan vise – et c’est une très bonne chose – à soutenir l’innovation de rupture et les acteurs émergents mais, selon beaucoup des acteurs que nous avons auditionnés, il néglige le socle que forment nos PME et nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) – contrairement au plan France relance, lancé au moment de la crise du Covid et qui peut s’apparenter, bien qu’il soit moins ambitieux, à l’Inflation Reduction Act ?

M. Stéphane Bianchi. En France, nos sous-traitants sont au nombre de 13 500 – je pourrais d’ailleurs faire, à ce propos, un aparté sur le devoir de vigilance, mais je m’en abstiendrai.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous interrogerai à ce sujet, alors.

M. Stéphane Bianchi. Pour les maintenir, car nous ne voulons pas les intégrer, nous les aidons dans le domaine de la formation – il arrive que nos directeurs de site se rendent chez les sous-traitants pour partager avec eux de bonnes pratiques et identifier les éléments d’amélioration – et nous les autorisons à travailler pour des concurrents. Notre architecture est donc assez ouverte, mais notre aide est limitée car ils sont confrontés à des problèmes de trésorerie et de charges que nous ne pouvons pas résoudre avec eux. S’agissant de la trésorerie, nous pouvons les aider en les payant un peu plus tôt mais, pour ce qui est des charges, nous ne pouvons absolument rien faire.

Quant au devoir de vigilance, je pense qu’il s’agit d’un vœu pieux. Comment peut-on croire qu’il est possible, dans le monde actuel, de maîtriser l’ensemble de notre chaîne en garantissant un risque zéro ? C’est tout aussi impossible que d’être certain à 100 % qu’en empruntant les passages piétons, on ne sera pas renversé par une voiture. Là encore, cela nous préoccupe beaucoup. Certains de nos représentants ont annoncé qu’ils souhaitaient revoir le dispositif. Inutile de vous dire que nous y sommes très favorables. Nous ne disons pas qu’il ne faut rien faire, mais il faut savoir raison garder.

M. Marc-Antoine Jamet. Comme l’a dit Mme Cabanis, nous consommons peu d’énergie. Dans le cadre du projet Life 360, nous avons équipé 87 % de nos boutiques d’un éclairage par diode électroluminescente (LED), nous utilisons 71 % d’énergies renouvelables et nous avons réduit de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des scopes 1 et 2 de notre bilan carbone.

Nos métiers ne nous conduisent pas à consommer beaucoup d’énergie, à l’exception de deux d’entre eux. Nous avons 119 établissements industriels aux États-Unis – pour ramener la part américaine à sa juste proportion – et 200 en Europe. Les deux plus importants sont situés, pour le premier, à Saint-Jean-de-Braye, où sont fabriqués les parfums Dior – ce site consomme un peu d’électricité –, pour le second, en Champagne et à Cognac, où sont mis en bouteille les vins et spiritueux.

En revanche, figurent parmi nos fournisseurs deux très importants consommateurs d’énergie : Pochet, fondée au XVIe siècle, et Verescence, qui a presque trois siècles d’existence, situés dans la vallée de la Bresle, aux confins de la Normandie et de la Picardie. Ces deux entreprises, qui fabriquent notamment les flacons de parfum, ont une activité très consommatrice d’énergie et de verre. Mais, avec l’aide de France relance, elles ont pu substituer à leurs fours à gaz des équipements plus économes.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vos sous-traitants se sentent-ils néanmoins négligés par le plan France 2030 ?

M. Marc-Antoine Jamet. M. Bianchi m’a incité à évoquer le pôle de compétitivité de la Cosmetic valley, qui est un exemple assez remarquable de coopération public-privé et de chaîne de valeur dans un bassin géographique. Toutefois, nos sous-traitants souffrent. S’ils ont été bien encadrés par France relance, ils sont, en raison de leur taille et de leur activité, un peu laissés de côté par France 2030. Dans le secteur des cosmétiques, qui est pourtant assez solide en France, on assiste ainsi à des défaillances de petites et moyennes entreprises. Le directeur général de Cosmetic valley me confiait qu’il n’en avait jamais vu autant depuis dix ans.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quels sont précisément les atouts du pôle de compétitivité de la Cosmetic valley ? Ce type de dispositifs devrait-il être étendu à d’autres filières et, si oui, comment ?

M. Marc-Antoine Jamet. Si l’on était à Stuttgart ou à Munich et que l’on construisait des BMW, des Audi ou des Porsche, on parlerait d’un tissu industriel à l’allemande et on se demanderait comment faire la même chose en France. Nous le faisons, entre Tours, Chartres et Orléans, où se situe l’ensemble de la chaîne de valeur, composée de PME, d’entreprises individuelles et de géants qui jouent le jeu, au premier rang desquels LVMH, qui préside ce pôle.

Il a pour atout la correspondance entre la recherche fondamentale des universités et la recherche appliquée, entre les grands laboratoires nationaux – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Synchrotron Soleil (source optimisée de lumière d’énergie intermédiaire du Lure) … – et nos propres recherches. Ainsi, plutôt que d’acheter deux fois les mêmes microscopes électroniques et les mêmes appareils à résonance magnétique, LVMH et l’université d’Orléans sont convenus de partager les achats.

Le système fonctionne bien, car les grands emmènent les petits à l’international et les impliquent dans les brevets. M. Arnault me demande parfois si toutes ces entreprises ne sont pas des concurrents. C’est vrai, mais c’est le principe. On peut ainsi avoir un projet de recherche réunissant deux géants, pas forcément d’accord entre eux, qui participent à hauteur de 30 % chacun, un laboratoire public, à hauteur de 15 %, et deux entreprises moyennes. Ensemble, ils lancent des appels de fonds parfois européens, parfois publics. Ils peuvent même se séparer dans la phase finale de la recherche, chacun retournant vers son douar d’origine avec la même molécule, qui servira, pour l’un à fluidifier un rouge à lèvres, pour l’autre à fabriquer une crème de jour.

Il m’est difficile de le dire car j’en suis le président, mais on dit parfois de ce pôle de compétitivité qu’il est le meilleur. Le président de votre commission, qui y est lui-même impliqué territorialement, sait qu’il fonctionne remarquablement. Il s’agit de rassembler tous les atouts du club France autour d’un discours sur le fabriqué en France, l’excellence européenne et l’art de vivre à la française et de réunir les partenaires pour qu’ils interviennent ensemble dans la recherche, la formation, le développement international. Un congrès réglementaire réunit à Chartres tous les concurrents, qui écoutent les intervenants leur expliquer comment l’Europe les mangera ou non ; c’est assez extraordinaire.

Ce pôle fonctionne à bas bruit, on ne s’en enorgueillit pas beaucoup. Un groupe comme LVMH y joue un rôle structurant en abandonnant un peu ses prérogatives de géant – c’est une illustration de notre caractère patriote et hexagonal. C’est une bonne recette, si c’est ce que vous voulez me faire dire. L’ensemble de la chaîne est implanté dans un même territoire, où l’on trouve le gars qui a une idée, trouve les ingrédients et formule, celui qui teste, celui qui conçoit le packaging, celui qui expédie et même – ce qui n’est pas très bon – celui qui récupère le produit qui n’a pas été vendu.

M. le président Charles Rodwell. Je confirme ce qui vient d’être dit, notamment en ce qui concerne l’implantation territoriale.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez évoqué l’enjeu de la traçabilité, qui est extrêmement important et complexe. D’une part, elle permet de lutter contre la contrefaçon, notamment asiatique. D’autre part, elle constitue un moyen de vous différencier de la concurrence en mettant en avant vos savoir-faire et l’origine des produits qui entrent dans votre chaîne de valeur.

Qu’attendez-vous en pratique des pouvoirs publics, tant à l’échelle nationale qu’européenne, pour renforcer cette traçabilité ?

M. Stéphane Bianchi. J’attends avant tout que l’on travaille tous ensemble. La traçabilité est fondamentale pour l’Europe. C’est vrai pour notre industrie, mais aussi pour l’ensemble des Européens.

Encore une fois, tout n’est pas très clair, car les attentes des uns et des autres sont différentes. Notre conception de la traçabilité n’est certainement pas celle de nos voisins. Dans un premier temps, mettons-nous d’accord sur la définition de la notion. Nous pourrons ensuite travailler ensemble pour étudier comment renforcer cette traçabilité. Elle est indispensable, que ce soit pour les produits de luxe ou pour ceux de grande consommation.

Nous sommes disposés à aider la commission qui se chargera de ce sujet. C’est extrêmement important pour nous.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quel est votre avis sur l’évolution du système de formation français ? Quelles sont les défaillances que vous identifiez à travers les recrutements auxquels vous procédez ?

Comme d’autres groupes industriels, LVMH a développé sa propre école de formation : l’Institut des métiers d’excellence (IME). S’agit-il de pallier les insuffisances du système de formation actuelle où plutôt d’améliorer les compétences de vos salariés ? Pourriez-vous expliquer comment cette école fonctionne ?

M. Stéphane Bianchi. L’apprentissage est une formule dont nous sommes extrêmement friands – et il ne s’agit pas d’une affaire d’aides, puisque l’on sait que celles-ci ont été ramenées de 6 000 euros à 2 000 euros par apprenti. Dont acte.

Si nous avons créé des écoles, c’est pour porter la qualité de la formation à un niveau encore plus élevé, afin qu’il corresponde davantage aux exigences de notre industrie.

Nous permettons aux apprentis de travailler dans nos maisons, avec nos collaborateurs et nos artisans, afin d’apprendre le métier. Nous ne leur demandons rien en échange, puisqu’ils ne sont pas tenus de venir ensuite travailler pour nous – même si, encore une fois, c’est le cas de 60 % de nos apprentis. Les trois quarts de ceux qui choisissent de ne pas travailler pour LVMH exercent malgré tout un métier dans la filière, ce qui permet à nos artisans de monter en compétence.

Notre objectif n’est pas de pallier une quelconque déficience du système éducatif. Nous souhaitons compléter les formations dispensées par ce dernier.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quel regard portez-vous sur l’évolution du système de formation français ? Comme beaucoup de patrons qui se sont exprimés devant cette commission, percevez-vous une baisse du niveau – notamment en mathématiques ? Est-ce une source d’inquiétude pour l’attractivité de la France ?

M. Stéphane Bianchi. Il est difficile de répondre, parce que nous recrutons des artisans et des apprentis auxquels nous ne demandons pas d’être licencié en mathématiques. Nous recrutons aussi beaucoup de diplômés de grandes écoles dont le niveau de mathématiques n’est pas trop mauvais. Nous ne sommes donc pas vraiment confrontés aux difficultés que vous évoquez.

M. Marc-Antoine Jamet. Ayant arrêté de suivre – à la demande de mes professeurs et proviseurs – tout enseignement scientifique ou de mathématiques en cinquième, je suis celui qui compte le moins bien parmi les 240 000 employés du groupe LVMH. (Sourires.)

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pourriez-vous détailler le fonctionnement de l’IME et indiquer comment il complète le dispositif très important de l’apprentissage en entreprise ?

M. Marc-Antoine Jamet. Tout d’abord, le groupe LVMH accueille chaque année près de 2 800 apprentis, ce qui représente une masse salariale d’à peu près 11 millions d’euros.

Ensuite, l’IME repose sur une coopération avec soixante écoles réparties sur l’ensemble du territoire. Il répond à trois objectifs.

Le premier consiste à sécuriser la filière amont. Des métiers comme bonisseur ou tonnelier disparaissent. Or si l’on ne sait plus fabriquer des tonneaux en France, ils seront faits là où l’on trouve des forêts, c’est-à-dire en Pologne et en Hongrie.

Deuxième objectif : offrir une formation à des jeunes que l’on accueillera ensuite en stage au sein du groupe, pour enfin en embaucher 90 %. L’IME organise une tournée appelée You & Me, qui permet de découvrir les entreprises dans les différents bassins d’emploi – Valence pour les peaux, Reims pour le Champagne, Orléans pour les cosmétiques et Paris parce que c’est Paris.

Nous y associons des collégiens issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), car cela correspond à notre troisième objectif : leur proposer des formations.

Grâce aux duos organisés avec des maîtres d’apprentissage que nous appelons les virtuoses, nous arrivons à montrer ce qu’est l’intelligence de la main. Nous avons mis en place ce système en Suisse, en Italie et au Japon. Il vient d’être implanté en Chine. C’est dire à quel point nous croyons à l’apprentissage des métiers rares. En plus des 43 métiers de base au sein du groupe, nous en avions recensé 280 dont nous nous demandions avec inquiétude qui les exercerait à l’avenir.

Nous sommes rassurés grâce à ce dispositif absolument exceptionnel, qui permet de former des gens mais aussi de les rendre fiers et plus sûrs d’eux-mêmes. En dix ans, l’IME a accueilli 3 300 apprentis et 90 % d’entre eux ont choisi de travailler pour notre groupe – 5 % préférant la concurrence et 5 % ayant opté pour un autre métier. Le taux de satisfaction de nos apprentis, mais aussi des entreprises qui les emploient, est donc assez élevé. C’est un point positif pour l’ensemble de la société, car nous complétons le système de formation sans nous y substituer.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’avais été très surpris d’apprendre que, dans le système classique de formation aux métiers de l’industrie, environ 50 % des élèves renonçaient au cours du cursus.

M. Marc-Antoine Jamet. Ce taux est très faible dans notre cas.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Effectivement, c’est un très bel exemple. Le modèle des écoles de production est assez similaire au vôtre et elles commencent à se développer.

Les métiers de l’industrie souffrent d’une image relativement dégradée, ce qui a un effet sur leur attractivité auprès des jeunes – voire de moins jeunes en reconversion.

Un groupe comme le vôtre ne devrait-il pas avoir pour responsabilité de valoriser ces métiers ? En plus d’être les VRP du luxe dans le monde entier, ne pourriez-vous pas être ceux des métiers de l’industrie dans notre pays ?

M. Stéphane Bianchi. Nous le faisons déjà.

Dans des magasins Louis Vuitton, des artistes peintres sont chargés de personnaliser gratuitement des produits selon les demandes du client, ce qui peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Le public découvre ainsi ce métier. Nous l’invitons aussi à visiter nos établissements. C’est notamment le cas de l’atelier Louis Vuitton à Asnières, où les gens peuvent voir comment travaillent nos artisans.

À l’initiative de M. Antoine Arnault, nous organisons chaque année les Journées particulières, qui consistent à ouvrir nos maisons au grand public pendant deux jours. Chacun peut à cette occasion visiter nos ateliers et découvrir les métiers de la main. Ça nous coûte très cher, mais nous le faisons parce que nous croyons qu’il est de notre responsabilité de susciter des vocations – et nous en avons besoin.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Que représente la France à l’étranger ?

M. Stéphane Bianchi. C’est un pays de traditions mais aussi d’innovations et qui représente le savoir-faire.

Pour les Américains, la France c’est souvent Paris et la Tour Eiffel. Mais c’est aussi un endroit où il faut aller au moins une fois dans sa vie – le nombre de touristes que nous accueillons en témoigne.

Pour moi, c’est le plus beau pays du monde. Faisons-en sorte qu’il le demeure et qu’il reste attractif. Avec les Jeux olympiques, notamment, nous avons montré que la France était capable de faire des choses extraordinaires.

Je pense que notre pays est très reconnu dans le monde.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. C’est un atout pour la compétitivité hors-prix, même s’il ne se substitue évidemment pas à la compétitivité-prix.

Une dernière question, qui n’a pas forcément de lien avec l’objet de cette commission d’enquête : quel est l’intérêt pour votre groupe de se diversifier en possédant des médias comme Les Échos, Radio classique ou Le Parisien ?

M. Stéphane Bianchi. La réponse est assez simple.

Au fil des années, nous avons racheté un certain nombre de médias, assez différents, dont nous pensons qu’ils jouent un rôle extrêmement important dans leurs domaines respectifs. Ils permettent l’expression d’opinions politiques et sociales.

Nous considérons qu’il relève aussi de notre responsabilité de soutenir ces activités lourdement déficitaires, faute de quoi des pans entiers de la presse écrite disparaitraient et l’information serait beaucoup moins accessible.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie. Les échanges ont été absolument passionnants.

M. le président Charles Rodwell. Je m’associe aux remerciements chaleureux du rapporteur, car la discussion et vos réponses ont été particulièrement intéressantes.

N’hésitez pas à compléter vos propos en répondant au questionnaire par écrit et à nous envoyer tout document que vous jugerez utile.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures quinze.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell