Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Examen du projet de rapport, à huis clos....................2

– Présences en réunion................................18

 


Jeudi
10 juillet 2025

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Charles Rodwell. Nous achevons aujourd’hui les travaux de la commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France. En application des termes de sa résolution constitutive, déposée par le groupe Rassemblement national, elle s’est donné trois principaux objectifs : analyser succinctement les raisons structurelles de la désindustrialisation des quatre dernières décennies ; établir les difficultés que rencontrent actuellement les acteurs industriels dans leurs activités existantes, leurs projets de développement et les créations d’entreprise ; élaborer des propositions concrètes pour lever les freins à la réindustrialisation de la France.

Le rapport qui va vous être présenté est le fruit de plus de quatre-vingt-treize heures d’auditions réalisées entre le 13 mars et le 13 juin 2025, pour un total de cinquante-quatre réunions qui nous auront permis d’entendre 147 personnes. Avant de donner la parole au rapporteur, je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous pour la manière dont s’est déroulée cette commission d’enquête : elle a contrasté de manière saisissante avec les tribunaux révolutionnaires que tentent de créer d’autres groupes politiques de cette Assemblée et qui n’honorent pas nos institutions.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Cette commission d’enquête, dont j’ai l’honneur d’avoir été le rapporteur, est née d’un constat simple mais implacable : la France s’est massivement désindustrialisée en l’espace de quelques décennies. Ce recul, que nous avons trop longtemps considéré comme inéluctable, a profondément affaibli notre économie, appauvri les Français, fracturé nos territoires et fragilisé notre souveraineté.

Le groupe Rassemblement national a pris l’initiative d’utiliser son droit de tirage pour lancer cette commission d’enquête, afin de sortir des constats passifs et, surtout, d’engager un travail de réflexion sur les solutions. Cette commission d’enquête a été l’occasion d’un travail collectif, pluraliste et rigoureux. Pendant trois mois, nous avons tenu cinquante-quatre auditions, multiplié les rendez-vous et reçu des dizaines de contributions écrites. Notre objectif n’était pas de dénoncer une fois de plus la désindustrialisation, mais de proposer une véritable stratégie de réindustrialisation pour notre pays.

En trente ans, plus de 2,5 millions d’emplois industriels ont été détruits et la part de l’industrie dans le PIB est passée de 17 % à 9 %, soit au même niveau qu’en Grèce. La succession de crises que nous avons connues a révélé nos dépendances et a donc conduit nos dirigeants à prendre conscience de la nécessité de réindustrialiser le pays. En 2023, le Président de la République a fixé l’objectif de réindustrialiser la France, en affichant une intention louable mais hélas difficilement atteignable : porter la part de l’industrie à 15 % du PIB.

Depuis une décennie, plusieurs mesures allant dans le bon sens ont été prises pour notre industrie : les plans France relance et France 2030 ; le sommet Choose France ; la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègements pérennes de cotisations patronales ; la baisse de la fiscalité sur les entreprises. Toutefois, ces mesures sont d’autant plus insuffisantes qu’elles ont été accompagnées de décisions contraires aux intérêts de notre industrie : l’objectif – trop rigide – de zéro artificialisation nette (ZAN) ; l’interdiction de la vente des véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035 ; le manque de soutien à notre socle industriel de base que sont les petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) ; l’inflation normative qui plombe la compétitivité et accroît la complexité administrative.

Ce bilan ambivalent a permis un léger rebond de notre industrie, avec la création nette de 130 000 emplois industriels. Hélas, en 2024, la désindustrialisation a bel et bien repris : 24 000 emplois industriels ont été supprimés ; notre déficit commercial s’est élevé à 81 milliards d’euros ; nous avons connu davantage de fermetures que d’ouvertures d’usines, une première depuis 2015.

L’industrie est un impératif économique, social, écologique, technologique et stratégique. Elle est la condition de notre prospérité, de notre indépendance et de notre puissance. La réindustrialisation est donc vitale. À l’issue de ces travaux, j’ai une conviction profonde : la France a tous les atouts nécessaires à sa réindustrialisation, encore faut-il lever les freins qui entravent leur mobilisation.

En s’appuyant sur le témoignage, l’expérience et l’expertise de 147 personnalités entendues au cours des cinquante-quatre auditions que nous avons menées, j’ai formulé 130 propositions dans ce rapport. Certaines requièrent des ajustements du cadre législatif, d’autres exigent une volonté politique puissante et le courage de défendre nos intérêts nationaux.

Mes principales propositions peuvent se décliner autour de dix freins majeurs à lever pour impulser une nouvelle dynamique industrielle dans notre pays.

Le premier frein identifié réside dans l’absence d’une stratégie industrielle, le manque d’un cap clair. Nous devons définir une stratégie industrielle nationale qui repose sur trois priorités : la puissance par le développement des innovations de rupture pour réussir dans la compétition mondiale ; l’indépendance par le développement de filières de substitution aux importations stratégiques et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement ; la modernisation de l’appareil productif en matière de décarbonation, de robotisation, de numérisation et de montée en compétences, afin de rattraper notre retard compétitif et de gagner en productivité. Le rapport recommande aussi l’élaboration d’une stratégie industrielle pluriannuelle, pilotée par un ministère de plein exercice regroupant industrie, énergie et formation aux métiers industriels, aux côtés des filières à travers le Conseil national de l’industrie (CNI). Nationalement, cette stratégie doit reposer sur le renforcement des contrats de filière. Localement, elle doit être déclinée en consolidant le rôle et les prérogatives des préfets.

Le deuxième frein tient à une image de l’industrie encore trop souvent dévalorisée, de manière injustifiée. L’industrie souffre malheureusement d’un déficit d’image auprès du grand public, notamment des jeunes. Elle renvoie trop souvent au XIXe siècle et à l’image de Germinal, alors qu’elle constitue un secteur décisif pour notre avenir, par exemple en termes d’emploi, d’innovations et d’écologie. Le rapport évoque de nombreuses propositions pour essayer d’inverser cette perception, en valorisant les métiers et les vertus de l’industrie, notamment à travers des campagnes de communication nationales, le développement du tourisme industriel, ou encore le renforcement du lien entre école et entreprise.

Le troisième frein s’explique par les carences de notre système de formation. Afin de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée et en nombre suffisant, je préconise de renforcer le système éducatif. Le rapport appelle à refonder le système de formation initiale par la modulation du collège avec des parcours différenciés et le renforcement de l’enseignement des sciences, notamment avec le rétablissement des mathématiques obligatoires au lycée. Il convient ensuite d’adapter la formation secondaire aux besoins économiques et des territoires. Sur le modèle existant dans le domaine de l’agriculture, je propose de confier au ministère de l’industrie la responsabilité des filières industrielles au sein des lycées professionnels. Je propose aussi de généraliser la présence des représentants d’entreprise dans les établissements, et de développer les écoles de production. Je pense aussi pertinent de donner la priorité aux filières industrielles dans le dispositif d’apprentissage et d’opérer une refonte de l’offre de formation de France Travail, de France Compétences et des opérateurs associés. Enfin, pour protéger les salariés des bouleversements numériques qui nous attendent, il m’apparaît nécessaire de mettre en place un droit à la formation continue technologique.

Le quatrième frein découle d’une compétitivité-prix fortement pénalisée par le coût de l’énergie, la fiscalité et l’empilement des normes. Les entreprises industrielles françaises font face à un environnement économique moins favorable que leurs concurrentes européennes. Le rapport appelle donc à refonder notre mix énergétique sur l’alliance du nucléaire et de l’hydraulique, avec un prix attractif et stable dans la durée, qui reflète autant que possible les coûts de production et de fourniture en France. Je demande aussi l’adoption d’une fiscalité de croissance, d’une part en renforçant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) européen pour que ses recettes puissent financer la baisse progressive des impôts de production en France, et, d’autre part, en allégeant la fiscalité sur le régime de transmission prévu par la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique, dit « pacte Dutreil ». Enfin, nous devons engager un choc de simplification pour alléger la complexité administrative et le coût des normes, l’« impôt paperasse ». Cette ambition passe par un vaste chantier de simplification, par le refus d’appliquer en l’état la directive du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite « CSRD » et la directive du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, dite « CS3D » – qui insécurisent nos entreprises sur le plan juridique et plombent leur compétitivité. Elle passe aussi par la flexibilisation des contraintes relatives à l’interdiction de la vente des véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035, qui menacent notre industrie automobile et plus généralement l’ensemble des secteurs industriels français.

Le cinquième frein relève de contraintes réglementaires qui compliquent, voire bloquent, l’implantation industrielle. Le déploiement de nouveaux sites industriels est trop souvent entravé par la rareté du foncier disponible, notamment à cause de l’objectif de ZAN. À cet égard, vous pourrez lire dans le rapport le témoignage poignant du maire de Perpignan, Louis Aliot. Je recommande donc d’assouplir fortement les contraintes liées au ZAN. Des dérogations à certaines contraintes environnementales sont accordées aux projets reconnus d’intérêt national majeur, notamment depuis l’adoption de la loi de 2023 relative à l’industrie verte, ce qui est une bonne chose. Même les éoliennes bénéficient de telles dérogations. Je souhaite étendre ces dérogations pour raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) à l’ensemble des projets industriels créateurs d’emplois, à la condition exclusive qu’ils s’implantent sur une friche ou une plateforme industrielle. Cette mesure dérogatoire participerait de la non-artificialisation des sols puisque, par définition, les friches et les plateformes industrielles sont déjà artificialisées, tout en incitant les entreprises à s’installer en priorité dans les zones qui ont le plus subi la désindustrialisation.

Le sixième frein correspond à la négligence des politiques publiques à l’égard de notre socle industriel de base. Alors que les grandes entreprises captent une bonne partie des aides et de la visibilité médiatique, les PME et ETI, qui forment le cœur du tissu productif, sont trop souvent oubliées. À mes yeux, le futur plan national de soutien à l’industrie devrait reposer sur deux piliers : le soutien aux innovations et aux acteurs émergents par le biais d’un plan massif d’investissement succédant à France 2030 avec de nouvelles priorités, un accès simplifié et déconcentré ; le soutien à la modernisation de notre socle industriel de base, nos PME et ETI. Je propose un système unifié de crédits d’impôt, facilement accessible par déclaration fiscale et portant sur les investissements en décarbonation, robotisation et numérisation. Il s’agit de rattraper notre retard compétitif : nous avons deux fois moins de robots qu’en Allemagne et nos PME accusent un retard numérique de 5 points par rapport à la moyenne européenne.

Le septième frein provient d’une commande publique insuffisamment mobilisée pour soutenir la réindustrialisation. La commande publique représente un outil stratégique pour structurer les filières, soutenir l’innovation ou encore favoriser l’ancrage local des entreprises. C’est pourquoi je suggère de généraliser le recours aux centrales d’achat, comme en Italie ou en Allemagne. Cela permettrait de réaliser des économies pour le contribuable à travers des achats mutualisés et des économies d’échelle, tout en donnant de la visibilité aux carnets de commandes des entreprises. Le rapport appelle aussi à instaurer une clause de localisation dans les marchés publics et à réserver 2 % des achats courants de l’État aux innovations issues des PME industrielles.

Le huitième frein concerne la difficulté d’accès au financement pour notre industrie. Il m’apparaît indispensable de libérer les financements nécessaires à la réindustrialisation, en fléchant l’épargne des Français vers l’industrie et l’innovation, notamment sous forme de capital investissement dans les entreprises non cotées. Ce fléchage se ferait évidemment sur la base du volontariat et à travers la création d’un fonds souverain. La France dispose de plus de 6 000 milliards d’euros d’épargne financière, atout considérable mais sous-employé. Mobiliser seulement 0,3 % de l’épargne des Français chaque année, essentiellement par le biais du plan d’épargne retraite (PER) et de l’assurance vie, suffirait à répondre aux besoins de financement de l’industrie, estimés à 20 milliards d’euros supplémentaires chaque année, et de faire passer la part de l’industrie dans le PIB de 9 % à 15 % en dix ans. Il convient également d’assouplir les règles prudentielles qui freinent l’investissement à long terme dans l’économie productive et de donner de l’oxygène à bon nombre de nos entreprises en étalant les échéances de remboursement des prêts garantis par l’État (PGE).

Le neuvième frein s’explique par la faiblesse de nos politiques en faveur de l’exportation et de la sécurité économique. Afin de concilier l’ouverture et la sécurité de notre économie, je préconise de mieux structurer la politique publique, notamment en développant les réseaux privés d’entreprises françaises à l’exportation comme le fait l’Italie. Je propose également d’organiser la politique d’intelligence économique en créant un secrétariat d’État et une délégation parlementaire dédiés, ou encore en renforçant le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF).

Enfin, le dixième frein provient de la rigidité du cadre européen. Afin de faire de l’Europe un levier d’opportunités pour notre industrie, je propose d’agir en faveur du juste échange par un protectionnisme proportionné. Face à la guerre commerciale menée par les menaces américaines de tarifs douaniers et les productions chinoises en surcapacité, nous devons réagir. Le rapport préconise, par exemple, de réformer le MACF pour l’élargir aux produits transformés, ou encore de mettre fin aux négociations de la Commission européenne visant à lever les surtaxes sur les importations de véhicules électriques chinois. J’appelle ensuite à sortir de la naïveté européenne en stoppant l’inflation normative, en allégeant les réglementations découlant du Pacte vert pour l’Europe ou Green Deal et en renforçant la préférence européenne dans les marchés publics. Enfin, le rapport préconise des mesures pour renforcer nos partenariats européens et permettre l’émergence de champions nationaux et européens, par l’assouplissement des règles en matière de concentration et le renforcement des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) qui nécessitent d’être simplifiés et élargis à de nouveaux secteurs.

Voilà, mes chers collègues, l’essentiel des propositions contenues dans ce rapport. À ce stade, je tiens à saluer chaleureusement le travail du président de la commission d’enquête, Charles Rodwell, avec qui la collaboration a toujours été constructive, respectueuse et, j’ose le dire, fort conviviale, malgré nos divergences politiques assumées. Je remercie les députés qui ont activement pris part aux auditions et contribué, par leurs questions et réflexions, à la richesse des échanges. Je remercie aussi l’ensemble des personnes auditionnées, dont les témoignages et analyses ont constitué une source précieuse d’information et de réflexion tout au long des travaux.

Je tiens à exprimer mes plus sincères et vifs remerciements à l’équipe du secrétariat de la commission d’enquête. De même, je remercie les membres du secrétariat de la direction du contrôle et de l’évaluation, qui ont organisé nos auditions. Je salue plus généralement l’ensemble du personnel de l’Assemblée nationale, dont le remarquable professionnalisme et la disponibilité ont permis le bon déroulement de nos travaux. Enfin, je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance à Aloïse Delizy, collaboratrice du groupe Rassemblement national, et à Rémy Berthonneau, mon collaborateur parlementaire, pour leur soutien si précieux durant les quatre mois de travaux intenses de cette commission d’enquête.

Je remercie enfin la présidente Marine Le Pen pour la confiance qu’elle m’a témoignée et qui m’honore, en me confiant la responsabilité d’être rapporteur de cette commission d’enquête, une mission que j’ai eu à cœur d’exercer avec passion, engagement et autant d’objectivité que faire se peut.

Je tiens à vous dire combien j’ai apprécié de participer à ce travail aux côtés du président Rodwell. Au-delà des propositions et des chiffres, cette commission d’enquête aura permis d’entendre la voix des industriels, des salariés, des élus locaux, des territoires, des fonctionnaires, c’est-à-dire de ceux qui tiennent encore, avec force et dévouement, le front de la production française. Ce rapport est une proposition de feuille de route. Il recommande des solutions concrètes, applicables et ambitieuses. Rappelons que le vote d’aujourd’hui porte sur l’adoption du rapport autant que sur sa publication : il ne s’agit pas de faire vôtres le constat et les recommandations du rapporteur.

Nos travaux se sont inscrits dans un impératif d’intérêt national, bien loin des tribunaux révolutionnaires que deviennent nombre de commissions d’enquête, comme vous l’avez fait observer, monsieur le président. Réindustrialiser la France n’est pas une option, c’est une urgence, un projet de cohésion, de puissance et de souveraineté. À l’issue de nos travaux, je veux vous redire ma conviction profonde que la France a tous les atouts pour redevenir une grande nation industrielle. Il nous faut désormais le courage de rompre avec les logiques économiques court-termistes, d’assumer une politique volontariste et de défendre résolument nos intérêts nationaux dans un monde de plus en plus brutal. Ce rapport appelle à un sursaut. À ceux qui doutent de notre capacité à redevenir une puissance industrielle, je réponds que le seul vrai frein est le renoncement.

M. le président Charles Rodwell. À mon tour, j’aimerais adresser mes remerciements aux personnels de l’Assemblée nationale qui nous ont accompagnés tout au long de cette mission. Je n’ai pas eu l’honneur ou la joie de rédiger le projet de rapport avec les administrateurs, mais j’ai vu à quel point chacun d’entre eux s’était investi dans l’organisation des auditions, ce dont je les remercie chaleureusement. Je remercie mon équipe, très impliquée pendant nos six mois de travaux. Je remercie tous les collègues parlementaires, quelle que soit leur étiquette politique, notamment vous, monsieur le rapporteur, cher Alexandre, pour l’excellente tenue de cette commission d’enquête qui a contrasté avec celles, malheureuses, que nous avons connues ces dernières semaines à l’Assemblée nationale. Nous en avions décidé ainsi lors de sa création et je suis heureux de constater que nous avons agi conformément à cette décision. Je remercie surtout tous les auditionnés qui ont fait le sel des propositions émises par le rapporteur et par moi-même dans mon avant-propos, contre-rapport que je publierai également. Je les remercie pour leur disponibilité malgré des agendas souvent très chargés, sachant que les administrateurs ont su faire preuve de souplesse et d’un grand sens de l’adaptation.

Cette commission d’enquête illustre à quel point on peut travailler sereinement à l’Assemblée nationale en exprimant des désaccords fondamentaux, ce qui est parfaitement légitime. Si je ne cosigne pas ce rapport, c’est pour des raisons de fond.

Première différence de fond : nous prônons la création d’un régime de retraite par capitalisation universel et obligatoire, qui serait précédé de régimes individuels plus étendus, comme l’a proposé Gabriel Attal, le président de notre groupe politique, il y a quelques semaines. Pour nous, il s’agit d’un enjeu vital pour nos retraites mais aussi pour le financement de notre économie, de nos industries, de l’innovation en France et en Europe. Tout en respectant l’opinion de chaque groupe, je regrette que nous ne puissions pas nous retrouver sur ce point.

Deuxième différence de fond : nous croyons en la force des alliances industrielles européennes et surtout des alliances financières européennes avec, notamment, la mise en œuvre de l’Union des marchés des capitaux entre les grands États et peuples européens. Pour notre formation politique, c’est une façon de résister à la confrontation entre deux hyperpuissances, les États-Unis et la Chine, dont la volonté commune est de broyer les économies de notre continent.

La troisième différence, et même divergence de fond, porte sur les réglementations extra-financières.

Respectueux de l’institution parlementaire, je ne m’opposerai pas à la publication de ce rapport que je ne cosigne pourtant pas. Je ne voterai pas contre l’adoption de ce rapport qui mérite d’être défendu par une force politique avec laquelle j’ai des désaccords fondamentaux.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour vos propos et vos explications, relativement à des différences politiques importantes dont on ne sera pas surpris mais qui n’entachent pas la qualité du travail accompli. Repris par les médias, ce travail a d’ailleurs déjà porté ses fruits en provoquant des débats de fond salutaires dans le pays sur des sujets tels que la souveraineté nationale et européenne, qui concernent tous les territoires, toutes les Françaises et tous les Français.

Comme vous l’avez dit, monsieur le président, nous affrontons une concurrence internationale de plus en plus difficile, et même de plus en plus cruelle, en ce sens que les pratiques s’éloignent totalement de la loyauté, même de la forme hypocrite de loyauté qui a pu avoir cours par le passé. Tous les coups, y compris les pires, sont permis. Il est donc urgent de se réveiller.

Ce rapport n’est pas sans lien avec les discussions que nous avons sur des questions parallèles telles que la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). À cet égard, un consensus s’est établi : la France et notre continent doivent s’interroger sur la dérive inflationniste des coûts de l’énergie, qu’il s’agisse de l’électricité, du gaz sous toutes ces formes ou du pétrole dont nous aurons encore besoin dans les années à venir. Il n’est ni souhaitable ni soutenable de proposer comme seule perspective une augmentation des coûts de 50 % pour le fossile ou de 100 %, voire pire, pour l’électricité. Il est temps de réagir. Dans le rapport et les contributions du président, on trouve des réponses opposées. Quoi qu’il en soit, il faudra concevoir des solutions concrètes pour faire baisser la facture de l’énergie et permettre à notre continent de continuer à produire.

Quant à la notion d’impôt paperasse, je vois avec intérêt qu’elle commence à s’affiner, ce qui est très salutaire. Pendant longtemps, elle tenait plus du concept vaseux suscitant des commentaires de comptoir que d’une vraie estimation. Le rapport contribue à évaluer le poids réel du coût des normes, des règles et des réglementations diverses et variées, formelles et informelles, et à mettre en évidence les opportunités de s’en libérer.

Les groupes politiques membres du socle commun et le Rassemblement national parviennent parfois à tomber d’accord, comme nous l’avons vu sur l’agriculture, ce dont je me réjouis. Dans ce domaine-là aussi, on a entendu beaucoup de mensonges de la part de lobbys et de certains groupes politiques que je qualifierai de pourris gâtés. On peut se permettre de dire qu’il faut sacrifier l’agriculture et l’industrie et penser que demain sera forcément meilleur qu’hier quand on a toujours tout eu, que l’on n’a connu ni la faim ni la misère, que l’on vit dans une maison grande et chauffée, que l’on se classe parmi les gros bourgeois bien installés de tout acabit. En réalité, si aujourd’hui est meilleur qu’hier, c’est parce que des gens ont bossé et consenti des sacrifices. Tout ça n’est pas tombé tout cuit dans le bec de petits-bourgeois ou autres qui pensent qu’il suffit d’agiter le moulin à prières pour avoir son assiette et la buvette bien garnies, partir en vacances et pouvoir pleurnicher en brandissant des pancartes en polystyrène fabriqué en Chine.

En tout cas, les propositions du rapporteur sont très fournies. Je salue l’esprit républicain du président, tout en soulignant qu’il existe aussi des points d’accord. Pendant les dix-huit mois qui restent avant que les électeurs et les électrices ne retournent aux urnes, j’espère que des propositions de bon aloi et consensuelles pourront avoir un début d’application, sinon être appliquées. Je pense notamment à l’éducation, secteur où l’on est dans le temps long et qui peut susciter de grosses inquiétudes. C’est une chose de reconstruire des usines, de rebâtir des murs et des machines ; c’en est une autre d’avoir les qualités humaines et surtout les vocations.

J’ai beaucoup apprécié, monsieur le rapporteur, votre référence respectueuse au génie des mains, C’est une notion que nous défendons tous les deux depuis de très longues années, depuis l’époque où nous menions ensemble des combats avec des moyens politiques très modestes mais des convictions inchangées. On nous prenait parfois pour des fous malgré la pertinence de nos positions – tant pis pour l’autopromotion. La noblesse de la politique est d’arriver à défendre des idées jusqu’au bout. C’est une chose d’avoir des idéaux ; c’en est une autre de les transformer en un rapport constructif et utile. Je salue votre engagement, vos idées et votre pureté d’âme.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Les travaux de cette commission d’enquête touchent à leur fin. Pendant plusieurs mois, nous avons entendu de nombreux acteurs de terrain – experts, syndicats, entrepreneurs, chefs d’entreprise : le volume et la diversité des auditions ont apporté un éclairage utile pour réfléchir à des mesures concrètes visant à soutenir notre politique industrielle.

Je tiens à saluer l’engagement du président Charles Rodwell, qui a su maintenir un esprit de travail exigeant malgré des divergences politiques profondes. Sur le fond, le groupe Ensemble pour la République ne partage pas tous les constats et orientations industrielles et économiques du rapporteur, nombre d’entre elles reflétant les positions idéologiques du Rassemblement national, notamment sur les enjeux européens et écologiques. Mais, comme le veut la tradition, il ne s’opposera pas à la publication du rapport.

Nous resterons pleinement engagés pour faire avancer une politique industrielle ambitieuse, moderne et ancrée dans les réalités économiques de notre pays, avec une volonté forte : bâtir « un alignement total et complet entre le pouvoir politique et les pouvoirs économiques » en France, pour reprendre les mots du président Rodwell. Des travaux de cette commission découlent une série de propositions, qui s’articulent autour de trois piliers : un choc social et fiscal pour les Français, un choc d’investissement pour nos entreprises – notamment nos PME –, un choc de liberté et de déréglementation pour notre pays.

M. le président Charles Rodwell. Je saisis cette occasion pour remercier vivement l’ensemble des députés du groupe Ensemble pour la République et du socle commun, qui ont beaucoup contribué à cette commission d’enquête à travers leur mobilisation et leurs propositions d’auditions, très fructueuses.

M. Pierre Cordier (DR). Ça a été un plaisir d’assister aux travaux de cette commission d’enquête – auxquels j’ai tenu à être aussi présent que possible bien que ça n’ait pas toujours été simple en termes d’organisation – et d’écouter toutes les personnes qui sont venues à notre rencontre, même si, comme je vous l’ai fait savoir, monsieur le président, je regrette que nous n’ayons pas entendu davantage d’acteurs de terrain – chefs d’entreprise de petites et moyennes industries (PMI), PME et ETI, représentants locaux de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), de mon département ou d’ailleurs, représentants locaux de syndicats, patronaux ou non – qui auraient pu témoigner de manière peut-être plus concrète et pragmatique des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien.

J’ai tenu à être membre de cette commission car je suis non seulement élu, mais aussi originaire d’un territoire très industriel – un des premiers de France, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui, comme j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises lors des auditions. Il me plaît de me battre pour ces chefs d’entreprise qui connaissent tant de difficultés au quotidien. Je ne dis pas que les grands capitaines d’industrie ne sont pas connectés aux réalités – ils le sont, bien sûr –, mais entendre les chefs d’entreprise qui ont vingt ou trente employés, qui mettent tous les jours les mains dans le cambouis, qui portent les godasses de sécurité, aurait permis d’avoir une vision plus concrète de la réalité.

Votre rapport est très fourni, et je suis impatient de le lire en détail. Vous y abordez la question de la compétitivité – je n’y reviens pas –, et appelez à une nécessaire simplification. Je ne voudrais pas passer pour un vieux con mais, il y a encore quelques années, l’État était tout près des entreprises qui rencontraient des difficultés pour les aider ; aujourd’hui, les chefs d’entreprise ont du mal à trouver des interlocuteurs, même dans les territoires. Les collectivités locales, qui ont toujours plein d’idées, ont décidé de regrouper les services au sein d’un guichet unique partagé avec l’État, parce que les chefs d’entreprise ne savent plus vers qui se tourner – la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ? La direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets) ? Les autres services de l’État ? Peut-être la région, compétente en matière économique ? Mais ça pourrait aussi être l’intercommunalité, puisque cette compétence est partagée : tout dépend du montant de l’investissement, de sa nature – matériel neuf ou d’occasion –, du financement – prêt à taux zéro, aides directes. Et si vous créez de l’emploi, ce n’est plus le même mec, il faut aller voir quelqu’un d’autre… C’est complexe, et les chefs d’entreprise ont autre chose à faire que d’aller se battre avec les administrations et les collectivités locales pour obtenir un coup de main, que ce soit pour investir ou pour mettre aux normes leurs bâtiments. Je regrette que cette dimension, qui est pourtant mon quotidien dans les Ardennes, n’ait pas été analysée dans le rapport, ni même évoquée lors des auditions.

Votre rapport aborde également la question de la formation et de l’attractivité des métiers. Les formations existent toujours, mais aujourd’hui, le mot « industrie » fait peur aux gamins, même chez moi. Peut-être faudra-t-il un jour le changer ? Personnellement, je ne le souhaite pas : non seulement nous y sommes très attachés mais, en plus, je ne vois pas par quel autre mot on pourrait le remplacer – on pourrait demander à une commission d’énarques, ils y réfléchiraient sans doute longuement.

L’attractivité est l’un des enjeux de la filière. Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire, il n’y a pas que les fleurons de l’industrie française, même si je tiens à leur rendre hommage : l’industrie traditionnelle existe encore. Sans parler de Germinal, des ouvriers dont le bleu de travail tient tout seul dès le mardi midi, il y en a toujours dans les industries des Ardennes ou de la vallée de la Meuse, où certains, à la forge ou à l’estampage, sortent encore des lopins à 1 200 degrés, les façonnent, les posent sur une matrice graissée par un autre type qui se prend de l’huile partout, appuient sur une pédale…

Je vous vois réagir, monsieur Michoux : je vous invite à venir dans les Ardennes.

M. Éric Michoux (UDR). Je sais ce que c’est, je suis chef d’entreprise !

M. Pierre Cordier (DR). Ce n’est pas pour autant que vous connaissez mieux le boulot que moi ! Je ne fais que décrire l’industrie traditionnelle qui est encore largement répandue chez moi. La question est de savoir comment attirer les jeunes vers cette filière. Il n’y a pas que les métiers de la production – il y a aussi des gens qui font de la modélisation sur ordinateur dans de jolis bureaux d’études –, mais ils existent.

Quant aux propositions du président, je les trouve courageuses. La question qui se pose désormais est celle de leur traduction législative : un projet ou une proposition de loi unique ne suffira pas, car le sujet concerne plusieurs ministères et implique la remise en cause de nombreuses habitudes. Tout ne changera pas d’un claquement de doigts.

Au nom du groupe Droite républicaine, je voterai pour votre rapport.

M. le président Charles Rodwell. Je précise que nous avons sollicité les contributions de tous les acteurs qui nous ont été suggérés, à l’exception du contact transmis par M. Croizier, que j’ai omis de joindre – ce dont je tiens à m’excuser. Mais nous pourrons tout à fait lui demander une contribution après la fin des travaux.

Nous sommes également tout disposés à nous rendre où vous le souhaitez, en Seine-Maritime – je m’y rendrai dans quelques jours – ou dans les Ardennes. La porte de cette commission d’enquête a toujours été ouverte, et elle le restera après la fin de ses travaux.

M. Pierre Cordier (DR). Je vous ai fait des propositions, notamment en lien avec les représentants locaux de l’UIMM, auxquelles vous n’avez pas répondu.

M. le président Charles Rodwell. À ma connaissance, nous avons sollicité tous les acteurs qui nous ont été suggérés pour une audition, que ce soit devant la commission d’enquête ou lors d’un rendez-vous ad hoc – comme vous le savez, le calendrier des auditions plénières était contraint, ce qui nous a obligés à faire des choix.

M. Pierre Cordier (DR). Voilà.

M. le président Charles Rodwell. Nous avons reçu beaucoup de personnes en rendez-vous et notre porte, je le répète, est toujours ouverte.

M. Laurent Croizier (Dem). Je tiens en premier lieu à saluer la qualité et la sérénité des débats, ainsi qu’à remercier l’ensemble des intervenants, qui ont largement contribué à enrichir nos travaux. Cela ne vous surprendra pas, nous ne souscrivons pas à toutes les propositions du rapporteur. La réindustrialisation ne peut pas souffrir d’idéologies : loin de s’opposer à la transition environnementale, l’industrie en est même un des leviers. La réindustrialisation de la France n’est ni un slogan, ni une nostalgie : c’est un facteur de puissance, de souveraineté stratégique, de liberté aussi, car elle nous offre la capacité d’agir et de choisir notre avenir.

Comme les députés de départements industriels – dont je suis – le savent bien, l’industrie est créatrice de valeur : c’est elle qui présente la plus grande capacité d’innovation, c’est à elle qu’on doit les plus importantes hausses de productivité. En s’appuyant sur l’expertise des nombreuses petites et moyennes entreprises implantées au cœur de nos départements et de nos régions, elle permet à nos territoires de rayonner. À cet égard, je regrette moi aussi que nous n’ayons pas entendu davantage de dirigeants de petites et moyennes structures, qui forment une large partie de notre industrie et font tout le potentiel industriel de la France. Véritables fers de lance du fabriqué en France, elles se distinguent par un engagement social, territorial et environnemental, mais aussi un lien direct avec les élus locaux, qui sont des bâtisseurs de la réindustrialisation.

Les emplois industriels nécessitent des compétences spécialisées, des savoir-faire qui contribuent à élever les niveaux de qualification, donc de rémunération. Je suis très investi dans tous les sujets liés à l’éducation – je viens justement de terminer une mission flash sur l’évaluation de l’accompagnement des élèves à la découverte des métiers et à l’orientation : il est grand temps de faire de la voie professionnelle une orientation choisie. Trop souvent encore, la voie professionnelle et les métiers industriels sont associés à de mauvais résultats scolaires. Ce genre de choses ne devrait plus avoir cours, a fortiori dans les établissements scolaires.

La réindustrialisation est aussi une question de dynamique territoriale. L’industrie doit être envisagée comme un ensemble : il faut penser à la fois l’industrie de rupture et l’industrie de base, en lien avec les élus locaux.

Il reste cependant des freins à la réindustrialisation, personne ne peut le nier. Tout d’abord, à l’échelle internationale, la crise géopolitique actuelle, qui fragilise les approvisionnements, crée des incertitudes et fait exploser les prix de l’énergie, doit inciter la France et l’Europe à intensifier leurs investissements dans les secteurs clés. Dans ce contexte, le Rassemblement national prône le repli sur soi, mais l’industrie française ne pourra rien sans une stratégie européenne. On ne peut pas se permettre d’avoir vingt-sept plans de réindustrialisation ; ce serait se priver des capacités massives de l’Europe, qui nous offre un vaste espace d’échanges, d’investissements et de coopération technologique, et permet à nos entreprises d’avoir des chaînes de valeur intégrées, des normes communes et un accès privilégié à plus de 400 millions de consommateurs.

Face à la concurrence déloyale de la Chine et des États-Unis, il nous faut des politiques commerciales protectrices mais raisonnées et équilibrées, à la fois au niveau français et à l’échelle européenne. J’ai salué, en son temps, le rapport de Mario Draghi, qui appelait à juste titre à un choc d’investissement. Nous serions favorables au fait de conditionner les aides publiques à des clauses de localisation et l’accès au marché européen à des transferts de technologies, et d’imposer une réciprocité des normes quasi systématique.

À l’échelle nationale, la crise structurelle marquée par la double pénurie de foncier et de compétences, les difficultés d’accès aux financements, les complexités administratives et normatives, coûte cher à l’industrie française. Comme l’a affirmé le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale, il est impératif d’opérer un choc massif de simplification, un changement de culture administrative – une révolution industrielle, en somme. Nous vivons dans un pays suradministré, surbureaucratisé : loin de soutenir la capacité à faire et la prise d’initiatives, c’est source de découragement et d’inefficacité. L’extension du pouvoir dérogatoire des préfets, annoncée il y a deux jours par le Premier ministre, devrait simplifier l’installation de nouvelles industries.

En conclusion, je ne crois pas en la décroissance mais en la valeur travail : il y va de l’avenir et de la prospérité de la France. Ne dénigrons pas systématiquement notre pays et ne le laissons pas être spectateur de la révolution industrielle du XXIe siècle : il a tous les atouts pour redevenir une grande nation industrielle, innovante, fière de ses territoires et de ses entreprises. J’espère que nos débats auront été à la hauteur du défi qui se dresse devant nous pour redonner à notre pays les moyens de sa souveraineté, de sa prospérité et de son rayonnement.

M. le président Charles Rodwell. Vos compétences en matière de formation et d’enseignement professionnel et la qualité de vos travaux sont unanimement reconnus.

M. Éric Michoux (UDR). Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour la bonne tenue des débats tout au long des travaux, et à remercier le rapporteur, mon ami Alexandre, pour son travail extraordinaire.

Permettez-moi de commencer par m’excuser auprès de Pierre Cordier si mes propos – ou mes non-propos – ont pu être blessants. J’ai commencé ma modeste carrière comme tourneur-fraiseur, après avoir obtenu mon certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au (collège d’enseignement technique (CET) de Sarcelles. Si j’ai depuis développé mon activité, je tiens à rassurer toutes les bonnes âmes qui pourraient penser que je suis riche : ce n’est pas le cas, tout l’argent que j’ai gagné a été réinvesti dans mes entreprises. Je serais ravi de venir dans les Ardennes, monsieur Cordier, mais les usines sont mon quotidien, je vais d’ailleurs y passer les deux prochains mois. Si j’ai réagi, c’est parce que l’industrie a beaucoup changé par rapport à ce que vous décrivez. À une époque, pour faire la promotion des métiers industriels, on montrait un jeune avec son tablier en cuir, sa casquette et sa torche, et on disait « Viens chez nous, tu verras comme c’est bien ! ». Mon fils est soudeur, comme l’était mon père, mais l’industrie, ce n’est pas que ça : c’est aussi beaucoup d’autres choses. Je m’excuse à nouveau si j’ai été blessant d’une quelconque manière, monsieur Cordier, ce n’était pas du tout mon intention.

Notre rapporteur a réalisé un travail extraordinaire. J’ai lu son rapport à la fois avec mes yeux d’homme politique – je le suis depuis peu, mais j’ai été maire pendant vingt ans –, et avec ceux de l’entrepreneur, chef d’une petite entreprise qui a ensuite grandi : il est d’une acuité incroyable et d’une richesse totale. Chacun y trouvera des réponses aux problèmes qui le concernent. J’ai apprécié la quasi-intégralité des 130 propositions du président, à l’exception peut-être de la cinquantième, qui propose de développer, entre autres, l’hydrogène vert. Ce rapport est extraordinaire, il va désormais falloir le faire vivre, lui donner une âme, une direction.

En dehors de quelques travaux extraordinaires comme ceux menés par cette commission, l’économie repose sur deux éléments principaux : la confiance et la connaissance de l’avantage concurrentiel.

Tout d’abord, il faut restaurer la confiance. Malheureusement, depuis de nombreuses années, la défiance domine. Or la défiance alimente la défiance et engendre le déclin. Cette défiance se traduit par de très nombreuses normes – pas moins de 400 000, soit quatre fois plus qu’en Allemagne –, donc par une augmentation incroyable du nombre de fonctionnaires. Elle se traduit aussi par des polices de toutes sortes – police des entreprises, police administrative, police fiscale – qui rappellent à l’envi que « nul n’est censé ignorer la loi » – c’est quand même extraordinaire –, renforçant la crainte permanente de faire une bêtise. Instaurer la confiance est très difficile, mais cela permet d’enclencher une dynamique économique vertueuse : le consommateur consomme, l’industriel investit.

Il est tout aussi important de connaître son avantage concurrentiel car, en toutes choses – dans le sport, en entreprise, en politique –, on n’avance que sur ses forces. Or quel est l’avantage concurrentiel de la France ? Hier, le Haut-Commissaire à la stratégie et au plan a expliqué – à juste titre – que décarbonation et réindustrialisation devaient aller de pair. Et je lui ai demandé s’il parlait bien de la réindustrialisation de la France. Prenons l’exemple des éoliennes, tout à fait caricatural – mais il en va de même des voitures électriques ou des composants électroniques : on investit des milliards et des milliards – on ne sait même pas combien exactement : dix ? Cent ? – pour importer des machines dont les écologistes ne veulent plus entendre parler au prétexte qu’elles tuent les oiseaux et défigurent les paysages – même la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a presque honte de voir l’installation d’éoliennes se profiler dans la baie de Morlaix. En réalité, nos investissements financent l’industrie chinoise et alimentent les fonds de pension américains qui créent de la richesse pour leurs retraités. Dès lors, quel lien entre décarbonation et réindustrialisation ? Il aurait mieux valu investir ces milliards dans le développement de notre industrie nucléaire, en particulier dans Superphénix, ce qui nous aurait permis ensuite d’exporter des centrales et de réinvestir l’argent dans le reste de notre industrie. Si j’ai 1 euro, je préfère l’investir dans la construction d’une usine en France plutôt qu’en Chine.

Il faut désormais que quelqu’un se saisisse de ce rapport pour le faire vivre. Peut-être, cher Alexandre, deviendras-tu un jour ministre chargé de l’industrie ? Je te le souhaite. Il faut des gens comme toi, des passionnés qui donnent de l’âme aux choses.

M. le président Charles Rodwell. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Thierry Tesson (RN). Je m’associe à tous les compliments. Hier, j’ai lu très attentivement cette excellente synthèse, que j’ai trouvée très documentée – c’est une somme à lire et à relire, qui fera date.

J’ai particulièrement apprécié les explications sur la disparition de notre industrie. Nous devons nous interroger en particulier sur l’impôt paperasse, qui semble avoir conduit à une sorte de suicide industriel : il y a eu un petit frémissement, il y a quelques années, mais les gains que nous avions alors obtenus ont été totalement annulés par la folie écologiste, comme les travaux de la commission le montrent bien.

En tant qu’ancien inspecteur d’académie, j’ai immédiatement consulté la partie du rapport consacrée à la formation. La formation professionnelle est un sujet très compliqué, autour duquel l’Éducation nationale tourne depuis de très nombreuses années. Une proposition, en particulier, me semble très intéressante : confier au ministère de l’industrie la responsabilité des filières industrielles au sein des lycées professionnels. Pour avoir passé presque cinquante ans dans l’éduc’, je sais combien on s’épuise parfois à chercher des solutions, en vain. Mieux vaut s’appuyer sur les compétences et obliger la structure à évoluer, les autres voies sont trop difficiles.

Conjuguées, ces 130 propositions sont sans nul doute un moyen de renouer avec l’industrie. N’oublions pas l’œuvre de la IIIe République et de la IVe République, qui, à partir de 1945, ont su remettre en route le pays, qui était alors au plus bas. Je suis persuadé que si on réussissait à appliquer l’ensemble de ces propositions, notre industrie serait non seulement sauvée, mais aussi dynamisée.

Mme Florence Goulet (RN). Je veux moi aussi remercier le président et le rapporteur pour l’excellent travail fourni et ce rapport ancré dans une vision gaulliste à laquelle je suis très attachée.

J’ai une pensée pour tous les salariés qui, malheureusement, subissent depuis des années les mauvais choix politiques des gouvernements successifs – j’en connais beaucoup dans ma circonscription –, ainsi que pour toutes les petites entreprises qui seraient heureuses de partager ce document. C’est aussi pour elles que nous nous devons de travailler à renforcer l’attractivité de notre ruralité.

J’espère que ces propositions seront bientôt appliquées – peut-être dès 2027 : notre candidate, Marine Le Pen, est prête à répondre aux attentes des salariés et des petites entreprises.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Madame Goulet, vos propos sur la dimension gaullienne de mon rapport me vont droit au cœur. Je suis partisan de ce qu’on pourrait appeler une planification incitative ou un libéral-colbertisme : l’État fixe un cap, à charge pour les acteurs de l’industrie – ceux qui mettent les mains dans le cambouis ou portent les godasses de sécurité, selon l’expression de Pierre Cordier – de faire le reste. Nos industriels s’inscrivent dans le temps long, l’État doit les soutenir mais ce n’est évidemment pas lui qui produira et créera la richesse.

Monsieur Tesson, je suis ravi d’entendre que l’ancien professeur que vous êtes semble m’accorder une note au-dessus de la moyenne. Je vous remercie également pour votre appréciation sur le volet formation du rapport.

Monsieur Michoux, je vous remercie de m’avoir reconnu les qualités d’un être passionné qui donne de l’âme aux choses. La réindustrialisation est un combat qui mérite que l’on s’y engage corps et âme, à l’instar du combat politique. Votre témoignage d’homme politique et d’industriel légitime les travaux de la commission.

S’agissant de l’hydrogène vert, je reconnais avoir quelques réserves mais la solution mérite d’être explorée. J’invite néanmoins à nous concentrer sur l’hydrogène blanc dont le plus grand gisement au monde a été découvert à Folschviller, dans ma circonscription. J’espère de tout cœur voir ce gisement exploité.

Monsieur Croizier, je salue la sérénité et le caractère constructif de vos propos. Je souscris à l’ensemble de vos constats sur les freins à l’échelle nationale et européenne, à l’exception de celui sur l’absence de stratégie industrielle européenne unifiée. Le jour où une stratégie unique sera définie pour l’ensemble de l’Europe, l’industrie de base – il n’y a aucun mépris, ni aucune hiérarchie de ma part dans ce terme – partira vers des pays beaucoup plus compétitifs que le nôtre, en particulier ceux de l’Europe de l’Est. Je parle là des PME et des ETI de nos territoires, sur lesquelles reposent les deux tiers de notre potentiel de réindustrialisation. La France serait condamnée à se concentrer sur les innovations de rupture et les services, reproduisant ainsi l’une des erreurs qui est à l’origine de la désindustrialisation de ces dernières décennies : avoir négligé les industriels de base.

Mon second désaccord porte sur le repli que traduisent à vos yeux nos propositions et sur le risque que soient mis de côté les enjeux écologiques. J’ai la conviction que l’industrie est la solution aux défis écologiques du XXIe siècle. Je déplore à cet égard la victoire idéologique d’une certaine gauche, qui a trop souvent conquis le centre, voire la droite. D’une part, c’est au secteur de l’industrie que nous devons l’essentiel de l’innovation dans notre pays – les dépenses dans ce domaine y représentent deux tiers du total. Si l’on veut innover en matière écologique, il faut donc développer l’industrie. D’autre part, la moitié de l’empreinte carbone de la France provient de nos importations. Autrement dit, moins on relocalisera, moins on accompagnera la réindustrialisation de notre pays, plus on émettra de CO2.

Enfin, l’industrie peut aussi contribuer à relever certains défis environnementaux tels que la pollution plastique, qui touche les océans et les sols. Lorsque nous parviendrons à valoriser les déchets plastiques, la pollution sera moins importante.

Je vous remercie de vous abstenir sur le rapport afin de permettre son adoption.

M. Laurent Croizier (Dem). J’approuverai le rapport. Tout travail mérite publication, en dépit des désaccords éventuels.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous en suis reconnaissant. Je ne manquerai pas de le souligner lors de la conférence de presse cet après-midi.

Monsieur Cordier, je partage votre constat sur le socle industriel de base. Vous le lirez dans le rapport, la négligence dont il a été l’objet est l’une des causes de la désindustrialisation à laquelle nous avons assisté. C’est l’une des raisons pour lesquelles je propose une solution assez ambitieuse, qui s’inspire de plusieurs modèles en France mais aussi en Italie, parmi lesquels, d’une certaine manière, le crédit d’impôt recherche. Notre plan massif de soutien à l’industrie serait fondé sur deux piliers : le premier, à l’instar de France 2030 – à condition de définir de nouvelles priorités et d’autres méthodes – aurait pour fonction de soutenir les investissements de rupture et les start-up ; le second pilier serait un système de crédit d’impôt unifié : l’exemple italien le montre, cela permet à toute entreprise, même de petite ou moyenne taille, de demander un crédit d’impôt par le biais de la déclaration fiscale, au lieu de solliciter les conseils coûteux d’un cabinet et de perdre du temps à constituer des dossiers pour obtenir des subventions. Ce crédit d’impôt aurait vocation à financer des investissements destinés à moderniser l’appareil productif, à gagner en productivité et à rattraper notre retard compétitif dans trois domaines : la robotisation – nous disposons de deux fois moins de robots que l’Allemagne : dix-huit robots pour 1 000 salariés contre une quarantaine –, la numérisation – nous avons cinq points de retard par rapport à la moyenne européenne –, la décarbonation – c’est un enjeu vital et cela participe au rayonnement de nos valeurs. Je ne parle même pas de l’intelligence artificielle : nous ne mesurons pas encore les bouleversements qui en résulteront mais nous devons prendre le tournant dès maintenant.

Je vous remercie de voter en faveur d’adoption du rapport et sachez que M. Rodwell et moi-même nous rendrons avec plaisir dans les usines des Ardennes pour évoquer les propositions des uns et des autres.

Monsieur Tanguy – le meilleur pour la fin –, je n’ajouterai rien à vos brillants propos. Je suis touché que vous ayez contribué à nos travaux et que vous ayez fait référence au génie des mains. Je me souviens de ce tract que nous avions préparé ensemble en 2013 ou 2014, dans lequel vous mettiez déjà en avant la nécessité de valoriser le génie des mains, expression qui m’avait particulièrement séduite. Douze ans après, celle-ci reste d’actualité et nous rabâchons les mêmes idées. J’ose espérer que ce rapport démontre à quel point nous avons raison.

Je remercie les députés des groupes RN et UDR ainsi que l’ensemble des membres de la commission pour leur implication.

Enfin, monsieur le président, nous avons des désaccords, notamment sur les retraites, dont la réforme, outre qu’elle relève selon moi d’un choix de société, ne répondra pas aux besoins de financement de l’industrie.

Je me suis efforcé dans ce rapport de concilier, autant que faire se peut, les impératifs écologiques et la nécessité de réindustrialiser. Face aux tensions que connaît l’économie mondiale, nous avons un devoir de pragmatisme. Oui, nous devons tendre vers la décarbonation et vers des solutions écologiques pour lutter contre le réchauffement climatique, mais nous devons être pragmatiques.

Notre principal désaccord, qui concerne les instruments extra-financiers de l’Union européenne tels que la CSRD et la CS3D, persistera.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour la qualité et la sérénité des débats. Votre décision de vous abstenir sur l’adoption du rapport vous honore. Ce faisant, vous pérennisez la coutume républicaine et démocratique qui consiste à laisser l’opposition s’exprimer. Je ne manquerai pas de le souligner.

J’ai été ravi de travailler à vos côtés. Peut-être aurais-je un jour prochain le privilège de présider à mon tour une commission d’enquête dont vous seriez le rapporteur.

M. le président Charles Rodwell. Rendez-vous est pris.

La commission adopte le rapport.

M. le président Charles Rodwell. En application des dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et du règlement de l’Assemblée, le rapport sera publié après un délai de cinq jours francs après l’annonce de son adoption au Journal officiel, soit le jeudi 17 juillet, sauf si l’Assemblée, saisie par un de nos collègues, débat et décide à huis clos de renoncer à cette publication. Avant cette date, il reste sous embargo et les exemplaires consultés devront être rendus.

Je vous rappelle qu’il vous est possible d’insérer une contribution écrite, individuelle ou collective, destinée à être annexée au rapport. Ces contributions devront être transmises au secrétariat de la commission d’enquête au plus tard le mercredi 16 juillet à midi.

La séance s’achève à onze heures quinze.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Pierre Cordier, M. Laurent Croizier, Mme Florence Goulet, M. Sébastien Huyghe, M. Robert Le Bourgeois, M. Alexandre Loubet, M. Éric Michoux, M. Charles Rodwell, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Michaël Taverne, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber