Compte rendu
Commission d'enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant M. Mathias WARGON, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine, M. Arnaud FONTANET, directeur d’unité épidémiologique à l’Institut Pasteur et M. Emmanuel VIGNERON, géographe, membre du Haut conseil de la santé publique (HCSP). 2
– Présences en réunion............................24
Mardi
18 mars 2025
Séance de 17 heures 00
Compte rendu n° 2
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à dix-sept heures.
Sous la présidence de M. Jean-François Rousset, président de la commission, la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins s’est réunie en vue de procéder :
M. le président Jean-François Rousset. Nous commençons aujourd’hui les travaux de cette commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je rappelle que, peu de temps avant la dissolution de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête semblable, mais dont le périmètre était davantage resserré sur l’hôpital public, avait commencé ses travaux sous la supervision de Christophe Naegelen et de Paul Midy, respectivement rapporteur et président.
Or, si les mois ont passé, les difficultés persistent et, si l’hôpital public est évidemment incontournable, il apparaît nécessaire de recourir à une approche plus large et plus systémique pour porter un diagnostic sur les dysfonctionnements que présente notre système de soins. D’où la volonté de cette commission d’aborder plus globalement les différentes composantes de notre système de santé, ainsi que les solutions diverses que nous pouvons apporter aux problèmes d’accès aux soins, en dehors des seuls établissements publics.
Pour nous éclairer dans cette démarche, nous recevons aujourd’hui trois « grands témoins », dont l’expérience et les analyses peuvent nous permettre d’identifier des pistes de réflexion pour la suite de nos travaux.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Matthias Wargon, Arnaud Fontanet et Emmanuel Vigneron prêtent serment.)
M. Mathias Wargon, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine. Je suis médecin urgentiste, spécialité probablement la plus difficile à exercer actuellement à l’hôpital pour ce qui est de la charge de travail. Je travaille en Seine-Saint-Denis, département qui, bien qu’il touche Paris et soit desservi par le métro, est un désert médical. On pourrait en effet imaginer qu’à proximité de Paris, on n’ait de problèmes ni dans la médecine libérale ni à l’hôpital, mais on en a, en fait, dans les deux secteurs, pour le personnel tant médical que paramédical. En outre, la population de ce département est pauvre, avec des pathologies variées et souvent plus avancées qu’ailleurs – ce qui se traduit par une plus grande nécessité des soins – et de réelles difficultés d’accès à ceux-ci.
Je rappelle, parce qu’on l’oublie souvent, que je suis non seulement le chef du service des urgences et de la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) de l’hôpital Delafontaine, mais aussi président de l’observatoire régional des soins non programmés d’Île-de-France, structure qui englobe l’observatoire régional des urgences, que l’on retrouve dans chaque région. Cela me donne donc une idée du fonctionnement non seulement des urgences de toute l’Île-de-France – soit 4 millions de visites et 20 % de l’activité de la France entière –, mais aussi des Samu de la région. L’impact des mesures visant la médecine de ville se répercute sur ces structures de soins, qu’il s’agisse des urgences ou des Samu centre 15, avec les services d’accès aux soins.
Se pose en outre la question de savoir si les urgences doivent rester des structures de premier recours ou redevenir des structures uniquement réservées aux urgences – j’espère que nous en parlerons. Les métiers et les pratiques ont changé et les prises en charge se sont accélérées. De fait, je fais de la médecine depuis environ trente-cinq ans et je vois que les outils dont on se sert aujourd’hui étaient d’accès beaucoup plus restreint lorsque j’étais étudiant. Les professionnels aussi ont changé, comme tout le monde : ils ne consacrent plus leur vie à leur métier, même s’il est encore une passion, et demandent une certaine qualité de vie.
Par ailleurs, les paramédicaux demandent plus de responsabilités et les médecins les plus jeunes ou les plus avancés sont prêts à leur en donner. On voit bien qu’il y a là un problème, mais aussi l’une des solutions. Que faire des paramédicaux, quelles responsabilités leur donner – et avons-nous le choix ? En la matière, notre pays est à la traîne et les débats que nous avons sur cette question sont résolus depuis des décennies dans d’autres pays par la délégation de tâches ou la prise en charge paramédicale – peu importe le nom qu’on lui donne.
Bien sûr, la population a changé, elle aussi, et ses demandes sont différentes, frôlant parfois le consumérisme. Il ne faut pas oublier que l’accès aux soins est un problème majeur de santé publique, qui a des effets sous forme de retard de diagnostic et de non-traitement des pathologies.
Quant au système, il n’a probablement pas changé et il évolue avec des petits bricolages par-ci par-là. Les solutions sont souvent simplistes, certains pensant que le fait de former et d’embaucher à tout prix n’importe qui n’importe comment permettra de résoudre les problèmes, et d’autres qu’il faut s’organiser et qu’on pourra toujours faire mieux avec moins. Surtout, les mesures adoptées sont rarement évaluées et, quand elles le sont, ne conduisent jamais à l’arrêt des dispositifs, même si ceux-ci sont peu satisfaisants, ni au retrait de leur financement. Le système se complexifie donc, les mesures s’entassent et nécessitent l’embauche notamment de coordinateurs, ajoutant des couches de complexité et de financement qui ne sont pas dédiées aux soins, à l’hôpital comme en ville. Souvent, on décide d’imposer du haut vers le bas des solutions qui ne sont pas adaptées, sous prétexte qu’elles sont efficaces quelque part – on me l’a fait ! –, sans tenir compte du contexte ni des soignants qui doivent faire fonctionner chaque nouveauté organisationnelle.
Derrière le vocabulaire technocratique des réseaux et des injonctions à travailler ensemble, les financements sont surtout l’occasion de diviser les différents secteurs : les médecins contre les paramédicaux, les libéraux contre l’hôpital et à l’intérieur de l’hôpital – comme, je le suppose, parmi les libéraux. L’excellence, qui devrait être la base de notre système, n’est plus une exigence, même si on en parle beaucoup. Derrière la demande de qualité des soins, on trouve surtout un système bureaucratique à base de points, qui sanctionne ceux qui sont déjà en difficulté et qui n’améliore pas la qualité – mais il y a du financement derrière.
Je suis un spécialiste des indicateurs, en tant que patron l’observatoire, mais aussi parce que j’ai fait une thèse de science sur les flux aux urgences. Or on croit que les indicateurs vont résoudre tous les problèmes. Le reporting est permanent, avec des indicateurs pléthoriques, mais qui ne sont pas validés – tout le monde a toujours une idée. On croit que ces indicateurs vont remplacer le management, le leadership et l’humanité, et tout le monde se planque derrière eux. En la matière, tous les hôpitaux ne sont pas égaux. En changeant d’hôpital à plusieurs reprises au fil des évolutions de ma carrière, j’ai remarqué que les CHU, les centres hospitaliers universitaires, toujours cités en exemple par les politiques, sont parmi les moins efficients et, surtout, sont souvent ceux qui limitent le plus l’accès aux soins, comme en témoignent les nombreux patients en attente de lit dans des établissements spécialisés, qui n’en veulent pas. Il ne faut pas oublier que ce système repose sur des femmes et des hommes qui s’épuisent dans un système complexe, où chacun s’organise avec difficulté et voit midi à sa porte.
Nous devons retrouver nos valeurs. Or le système de santé – et cela ne concerne pas seulement l’hôpital public – est un des derniers refuges de la République, universaliste et laïque, où chacun est soigné sans distinction de race ou de milieu social, du moins jusqu’à récemment. De fait, ce système s’étiole et on commence à remettre en cause l’AME, l’aide médicale de l’État, qui est une goutte d’eau dans le financement de la santé, mais dont la suppression entraînerait le transfert de sa charge vers les hôpitaux publics, qui accusent un déficit frôlant les 3 milliards d’euros. Soyons égoïstes : il s’agit d’un problème de santé publique et il faut conserver l’AME pour nous protéger, nous !
Quant à la situation de la psychiatrie, c’est un désastre total. Elle n’est jamais suffisamment financée et les patients peinent à trouver des prises en charge. C’est une catastrophe dans mon département, où des patients psychotiques graves ne sont pas pris en charge et sont rejetés, en outre, par le reste du système, c’est-à-dire ce qu’on appelle la médecine somatique. L’espérance de vie d’un schizophrène est ainsi diminuée de vingt ans ! J’ai d’ailleurs vu un article indiquant que l’espérance de vie des urgentistes et de 58,7 ans, soit aussi vingt ans de moins que l’ensemble des médecins : peut-être devrait-on nous traiter, nous aussi, dans le système psychiatrique.
Il faut citer aussi les personnes âgées, dont le maintien à domicile – ou, pour ce qui me concerne, la sortie de l’hôpital – n’est jamais envisagé. On évoque sans cesse les demandes de lits pour les patients âgés, mais il faudrait déjà que l’on puisse faire sortir les patients de l’hôpital pour avoir une idée du besoin en lits. Faisons-les sortir ! Les structures de SMR (soins médicaux et de réadaptation), les Ehpad ou le maintien à domicile avec de la HAD (hospitalisation à domicile), coûtent moins cher que l’hôpital, mais personne n’en parle jamais. On ne parle que des lits d’hospitalisation que, de toute façon, on ne parvient pas à ouvrir, et dont les plateaux techniques sont complètement inutiles pour la prise en charge de ces patients.
Aujourd’hui, en région, il est très fréquent de ne plus trouver de médecin traitant et de spécialiste. Moi-même, bien que j’aie un réseau, je ne parviens parfois pas à trouver un spécialiste pour mon propre compte. J’espère donc qu’à l’issue des travaux de votre commission d’enquête, vous présenterez des propositions innovantes, et peut-être aussi une remise en cause du système, au-delà des sempiternels discours sur l’augmentation des personnels et des lits, qu’on sait pertinemment ne pas pouvoir réaliser.
M. Arnaud Fontanet, directeur d’unité épidémiologique à l’Institut Pasteur. Je précise tout d’abord que j’ai fait savoir que je n’étais pas compétent s’agissant des questions relatives à l’accès aux soins, pour la raison que, bien qu’étant médecin épidémiologiste à l’Institut Pasteur, j’ai travaillé toute ma vie en Afrique et en Asie sur les virus émergents. J’ai ainsi couvert de nombreuses crises sur les virus émergents depuis le Sras, (syndrome respiratoire aigu sévère), en 2003, en Chine, et jusqu’à très récemment. Toutefois, lors de la crise de la covid-19, j’ai travaillé pour la première fois en France, et j’ai accumulé en trois ou quatre ans une expertise très spécifique sur la gestion d’une crise pandémique sur notre territoire national. Il a donc été convenu que je centrerais mon propos sur les éléments à propos desquels il pourrait être pertinent. Je vais ainsi brosser assez rapidement le paysage de l’épidémiologie des maladies infectieuses sur le territoire national et, surtout, évoquer les problèmes que peuvent poser de futures crises pandémiques du point de vue de la mise en tension du système hospitalier, telle qu’on a notamment pu l’observer lors de la crise de la covid-19.
Le panorama épidémiologique de la France est celui de nombreux pays industrialisés : avec une population un peu vieillissante, les maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, le cancer et les maladies neurodégénératives y prennent une part croissante. Mais cette population vieillissante est aussi plus vulnérable aux maladies infectieuses, comme on l’a bien vu pendant la pandémie de covid-19, où les personnes les plus touchées étaient les plus âgées.
Pour ce qui est donc des maladies infectieuses, on observe toute une série de maladies endémo-épidémiques présentant des poussées saisonnières telles que, durant l’hiver, des épidémies de grippe, une poussée épidémique liée à la covid-19, le virus respiratoire syncitial, responsable de la bronchiolite, ou, l’été, des salmonelloses. Ces éléments sont assez constants dans le temps : nous aurons, tous les hivers, notre épidémie de grippe, dont on sait à peu près qu’elle démarra fin décembre ou début janvier et qu’elle durera de deux à trois mois. On pourrait dire la même chose pour plusieurs de ces autres pathologies. Des systèmes de surveillance sont en place, suivis par Santé publique France, l’agence sanitaire, et par des centres nationaux de référence répartis sur le territoire national, qui nous permettent d’exercer un contrôle sur ces pathologies infectieuses.
Mais il y a aussi ces éléments très disruptifs que sont les grandes pandémies, comme l’a été la covid-19, qui, du jour au lendemain, changent complètement le panorama. Ce domaine, qui est celui dans lequel j’ai le plus de pertinence, est celui sur lequel j’insisterai donc.
Mon premier message est que, malheureusement, nous aurons de nouvelles pandémies. Dans l’histoire récente, les vingt-cinq premières années du XXIe siècle ont vu dix émergences infectieuses notables : trois betacoronavirus – le Sras, le Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) et la covid-19 –, la grippe H1N1 en 2009, puis des virus comme Zika, Ebola en Afrique de l’Ouest ou la peste pulmonaire à Madagascar, ou encore le mpox, arrivé sur le territoire national en 2022. À cela s’ajoutent quatre émergences pour les quarante dernières années du XXe siècle, parmi lesquelles le sida prend une place majeure, mais pour lesquelles on n’observe pas du tout l’accélération actuelle.
Cette dernière s’explique par de nombreux facteurs qu’il serait trop long de détailler, mais dont le plus préoccupant est qu’ils ne soient pas traités aujourd’hui. Ainsi, les marchés d’animaux sauvages en Asie étant toujours opérationnels, comme ils l’ont été dans les vingt dernières années, je n’ai aucune raison d’écarter la possibilité de l’émergence de nouveaux betacoronavirus dans les années qui viennent – je rappelle que nous en avons eu trois en vingt-cinq ans. Quant à la grippe, elle touche des élevages domestiques de volailles et de porcins, et elle frappe même aujourd’hui les vaches laitières aux États-Unis. Malgré la surveillance dont font l’objet les conditions d’élevage et les progrès réalisés, compte tenu de la densité des animaux et des mélanges d’espèces animales, par exemple entre volailles et porcins, dans d’autres régions du monde, les possibilités de réassortiment de nouveaux virus de grippe sont toujours aussi présentes. Nous sommes vraiment sous la menace d’une pandémie grippale et surveillons de très près le virus H5N1, du moins autant que nous pouvons le faire aujourd’hui aux États-Unis. Ce virus, qui circule notamment chez les vaches laitières et dans les élevages alentour, est, pour nous, une menace tout à fait réelle.
Enfin, j’ai beaucoup analysé les débuts de la crise de la covid-19 et les réponses qui ont été données sur l’ensemble de la planète. Je suis prêt à discuter avec vous de celles qu’ont apportées les pays d’Europe de l’Ouest, avec lesquels on peut plus facilement s’identifier puisque nous partageons globalement les mêmes structures d’âge des populations, les mêmes systèmes de soins, les mêmes types de régimes démocratiques et la même saisonnalité. Regarder ce qu’ont fait nos voisins est probablement l’attitude la plus pertinente en vue de la réponse que nous pourrons apporter à une prochaine pandémie, notamment liée à un virus respiratoire car ce sont les pandémies de ce type qui seraient les plus susceptibles de nous mettre à nouveau à genoux, comme la covid- 19.
Pour moi, les pays qui ont le mieux géré la crise sont ceux qui n’ont pas rempli leurs hôpitaux, comme le Danemark, qui a gardé ses hôpitaux vides pendant les deux premières années parce qu’il avait anticipé. C’est vraiment dans cette direction que je souhaiterais nous pousser. En effet, au regard des difficultés d’accès aux soins et des tensions qu’a connues notre système hospitalier – c’était aussi le cas au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie, notamment – savoir que certains pays ont pu gérer cette crise sans avoir de patients hospitalisés, ou très peu, est un message important
M. le président Jean-François Rousset. Il est en effet important de parler de l’expérience de la covid et de l’avenir du futur H5N1.
M. Emmanuel Vigneron, géographe, membre du Haut conseil de la santé publique (HCSP). Le problème auquel vous vous attaquez est pendant depuis des décennies. À titre personnel, j’ai participé ou ai contribué à la rédaction de très nombreux rapports parlementaires et j’ai été très souvent auditionné au cours des vingt-cinq dernières années. Il faut aussi souligner qu’en septembre 1789, la santé et l’organisation des soins ont été l’un des tout premiers sujets traités par l’Assemblée nationale, à l’initiative de La Rochefoucauld-Liancourt et qu’il y a aujourd’hui encore des choses à tirer des données versées au Journal officiel et du traitement qui en a été fait, jusqu’aux années 1880-1890, où ont été proposées de grandes lois sur l’aide médicale gratuite et l’aide médicale dans les campagnes.
Mathias Wargon a évoqué la nécessité d’affirmer et d’illustrer par l’action les valeurs de la République. C’est en effet la chose la plus importante. Il est temps que ces valeurs soient affirmées, déclinées et mises en œuvre, et pas seulement énoncées dans la présentation d’un projet de loi ou dans les cinq premières lignes d’un rapport pour être finalement abandonnées sans que les conséquences en soient pleinement tirées. C’est en repartant de ces valeurs de la République – qui, au fond, correspondent à ce que nous voulons et à ce que nous pouvons –, que l’on peut repenser l’organisation du système de santé.
Pourquoi le repenser ? Parce que l’objet de la commission d’enquête porte sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins. S’il y a difficulté, c’est que l’organisation n’est pas bonne : c’est la première antinomie fondamentale. C’est donc en cherchant à régler ces difficultés d’accès aux soins, qui sont non seulement réelles, mais aussi durement ressenties par nos concitoyens que nous pourrons organiser mieux le système de santé. Nous allons cependant vite constater que, pour réparer ce système, il ne suffira pas de mettre des rustines – qui sont, du reste, peut-être impossibles à trouver dans les circonstances actuelles – mais qu’il faudra le repenser complètement.
Je ne vais pas pouvoir reprendre toutes les questions que vous m’avez adressées, dont certaines sont parfois en débat depuis vingt ou cinquante ans. Je reste toutefois prêt à répondre à celles que vous pourriez me poser cet après-midi. Vous avez, de toute façon, accès à toutes mes publications.
Tout est dans tout : toucher à l’hôpital, c’est toucher à l’accès aux soins, et la question se pose différemment lorsqu’on se trouve, comme M. Fontanet vient de l’exposer, confronté à une épidémie. Contrairement à ce qu’on peut avoir tendance à penser, l’hôpital n’est pas tout, il n’est pas l’exutoire. Cela vaut pour l’afflux aux urgences, qui augmente depuis les années soixante-dix – on n’a pas attendu les rapports d’Adolphe Steg de 1989 et 1993 pour le constater –, mais également pour la démarche adoptée par exemple par le Danemark et consistant à ne pas tout demander à l’hôpital pour pouvoir, au moment opportun, le solliciter parce qu’il est prêt à fonctionner.
À partir de la liste de tous les dysfonctionnements et des graphes qui les traduiraient, il apparaîtrait que tout est lié. La santé est en effet un très gros système, qui mobilise 1,5 million de personnes et des budgets colossaux. Réparer les difficultés de l’accès aux soins, c’est repenser la place de l’hôpital et des médecins dans le système de soins mais aussi le financement, en faisant la part de ce qui doit revenir respectivement à la solidarité et à l’assurance individuelle. Nous ne pourrons pas apporter de réponse en quelques heures. Peut-être repartirons–nous avec un lot de questions…
M. le président Jean-François Rousset. Bien sûr, nous n’allons pas tout aborder en cinq minutes, mais il est déjà très important d’échanger, et c’est la raison pour laquelle nous vous avons fait venir. Vous pouvez répondre par écrit au questionnaire que vous avez reçu : vos réponses seront analysées et le rapporteur y aura accès.
M. Emmanuel Vigneron. J’ai traité bon nombre de ces questions dans mon dernier livre, intitulé La Santé au XXIe siècle. J’ai apporté à votre intention, mesdames et messieurs, les députés, une présentation de cet ouvrage.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Docteur Wargon, que pensez-vous de la création du diplôme d’études spécialisées de médecine d’urgence (Desmu) en 2015 ? A-t-elle contribué à la pénurie de médecins dans les services d’urgences ? Comment sont rémunérés les médecins hospitaliers, notamment les urgentistes, qui bénéficient d’un système de primes – je pense notamment aux primes multisites – assez complexe ?
Monsieur Fontanet, quelles ont été les conséquences de la pandémie de covid sur l’organisation de notre système de santé ? Quels enseignements en avons-nous tirés ? Que faudrait-il mettre en place si une épidémie similaire survenait ?
Monsieur Vigneron, quel regard portez-vous sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? Comment les établissements privés y sont-ils associés, et comment pourraient-ils mieux contribuer à la permanence des soins ? Est-il envisageable d’aller plus loin que les lois Rist 2 et Valletoux ?
Enfin, de nombreuses autorisations d’activité, notamment parmi les plus lucratives, comme les dialyses et les opérations de la cataracte, sont accordées à des établissements privés. Comment pourrait-on attribuer un plus grand nombre de ces actes « rentables » – même si je n’aime pas ce terme –, du fait des modalités de la tarification à l’activité (T2A), à l’hôpital public ?
M. Mathias Wargon. Pour comprendre ce qui a mené à la création du Desmu, il faut revenir un peu en arrière. On a déjà évoqué le rapport Steg. Lorsque j’ai commencé ma carrière de médecin, dans les années 1990, aux urgences de l’hôpital Cochin, il n’existait pas d’urgentistes. Une capacité en médecine d’urgence (Camu) a été créée, dont l’intérêt était assez faible avant que ce diplôme soit rendu obligatoire pour devenir urgentiste. Les internes de toute spécialité ont ensuite eu la possibilité de prolonger leurs études d’une année, sanctionnée par un diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC), pour exercer ce métier ; la plupart étaient des médecins généralistes, même si je connais une cardiologue qui a fait ce choix. Ce n’est qu’après ces premières étapes qu’a été créé le Desmu.
La création de ce diplôme n’est pas un hasard. Il existe une vraie demande de médecins urgentistes, et la médecine d’urgence est d’ailleurs reconnue comme une spécialité dans la plupart des pays occidentaux. Elle n’a rien à voir avec la médecine générale : les généralistes conviennent d’ailleurs qu’ils ne travaillent pas de la même façon que les urgentistes. Ces derniers ne dispensent pas de soins primaires, car ils ont vocation à réagir à des situations d’urgence, réelle ou ressentie. Pour ma part, je serais nul dans un cabinet, alors que j’espère être potable en tant que médecin urgentiste. Il était donc nécessaire de mettre en place une formation spécifique, prévoyant des passages dans les services de médecine interne et de réanimation, dans les services d’urgences et dans les structures mobiles d’urgence et de réanimation.
Ce n’est pas la création de cette spécialité qui a entraîné une pénurie de médecins. Certains ont exercé dans ce domaine en prévoyant de s’installer comme généralistes par la suite. Or il n’est désormais plus possible de se tourner vers la médecine de ville après avoir exercé en médecine d’urgence : pour ce faire, même un urgentiste de 50 ans devra suivre un stage de six mois et surmonter de nombreux obstacles.
En réalité, la pénurie vient de la difficulté à exercer cette spécialité. Une étude anglaise publiée il y a quelques mois estime l’espérance de vie des urgentistes à 58,7 ans : j’espère qu’elle se trompe, car vous auriez devant vous un mort vivant ! Il n’empêche que le métier est très pénible, pour deux raisons.
La première, difficilement contrôlable, est l’afflux massif de patients qui ne sont pas pris en charge en ville. Ainsi, le nombre de passages annuels dans mon service, qui était de 55 000 en 2017 ou 2018, est monté à 65 000 en 2024. Nos journées sont monstrueuses. Nous aurions besoin d’embaucher plus d’infirmières, d’aides-soignantes, de brancardiers et de médecins. Faudra-t-il réguler ces arrivées de patients ? Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Ce n’est toutefois pas la prise en charge de ces patients qui tue les urgentistes. Ne croyez pas que les urgences sont débordées par l’afflux de patients non pris en charge en ville. Mon service compte un médecin qui, toute la journée, fait de la médecine ambulatoire, de basse gravité, que certains qualifient de « bobologie » : nous pouvons donc nous organiser. Le véritable problème, c’est que les services d’urgences sont pleins de patients qui attendent, parce que le reste de l’hôpital n’est pas adapté à leur prise en charge. On ne peut pas passer un scanner en un claquement de doigts : je ne dispose d’ailleurs pas de manipulateurs ni d’appareils dédiés, même si je m’arrange bien avec les radiologues de l’hôpital. Surtout, de nombreux patients sont contraints d’attendre parce que l’on n’arrive pas à les faire rentrer chez eux ou dans un autre service de l’hôpital.
Nous nous débrouillons plutôt bien dans mon hôpital, qui est un centre hospitalier général (CHG). Les centres de ce type, ainsi que les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les établissements participant au service public hospitalier (PSPH), parviennent à s’organiser afin de prendre en charge leurs patients, bien qu’ils n’aient pas toujours le volume nécessaire pour ce faire. En revanche, les centres hospitaliers universitaires (CHU), comme ceux de Grenoble-Alpes et de Caen-Normandie, doivent accueillir énormément de patients, de l’ordre de trente à quarante par matinée. On peut créer de nouvelles structures, des boîtes à outils ou mettre en place des indicateurs, mais un patient qui attend un lit aux urgences est toujours un patient de trop.
Voilà ce qui explique la pénurie d’urgentistes : nous n’arrivons pas à gérer l’afflux massif de patients, puisque nous devons déjà gérer ceux qui devraient relever du reste de l’hôpital. C’est donc un enfer de bosser aux urgences ! Je vous invite à regarder la série The Pitt, qui, comme Urgences, montre la réalité quotidienne de ce que les soignants appellent « la mine ».
Les jeunes urgentistes que nous formons ont l’ambition d’exercer au Samu ou dans un Smur, où la pression est moindre – six sorties d’une heure toutes les vingt-quatre heures –, mais les « smuristes » travaillent maintenant aussi aux urgences. Devenus docteurs juniors après avoir été internes, un nombre croissant d’entre eux ne restent pas dans les services d’urgences. Beaucoup se dirigent vers les services de réanimation, qui manquent eux-mêmes de médecins – mais il y a peut-être là un problème que je ne connais pas bien, qui tient à la différence entre médecins d’intensive réanimation (MIR) et médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR). D’autres s’orientent vers les centres de soins non programmés, qui ferment à 22 heures en semaine et à 18 heures le dimanche, et où ils sont bien payés.
La création de la spécialité de médecine d’urgence nous a pourtant permis d’atteindre l’excellence dans ce domaine. Nous travaillons énormément et publions beaucoup d’articles. Il existe même des professeurs de médecine d’urgence.
Le Samu et les Smur devront probablement évoluer. François Braun a lui-même proposé, quand il était ministre – il n’était pas du même avis lorsqu’il était syndicaliste –, de paramédicaliser certains Smur, ce qui les rendrait plus intéressants mais moins attractifs pour les urgentistes.
Pour revaloriser la médecine d’urgence, il faudra poser la question de la qualité de vie au travail. Une nuit aux urgences n’est pas la même chose qu’une nuit en réanimation. Une journée aux urgences ne peut être comparée à une nuit en médecine interne. Quand un urgentiste quitte son travail pour rentrer chez lui, il est lessivé et va se coucher.
L’argent est évidemment le nerf de la guerre. Vous avez évoqué les primes multisites, qui sont intéressantes en province, mais pas forcément en région parisienne – à une époque, il fallait exercer dans un établissement situé à plus de 20 kilomètres du site principal pour y prétendre, mais les règles ont peut-être un peu évolué. Il y a pourtant des hôpitaux en grande détresse, qui ont besoin d’être aidés – ce que font les urgentistes, mais gratuitement.
Un urgentiste gagne globalement mieux sa vie qu’un autre médecin à l’hôpital, parce qu’il assure des gardes, dont la rémunération a été récemment doublée. Est-ce suffisant ? Je n’en sais rien, mais tout n’est pas qu’une question d’argent. Le véritable enjeu, c’est de garder nos urgentistes, qui sont excellents. Quand vous arrivez aux urgences, le médecin qui vous prend en charge doit être à la fois capable de vous intuber, de vous faire une échographie, de penser immédiatement à toutes sortes de pathologies, de soigner votre diabète qui décompense, de lire un scanner… Il faut donc maintenir la spécialité de médecine d’urgence, et retenir les urgentistes.
M. Arnaud Fontanet. Vous m’avez interrogé sur la mise en tension du système de soins pendant la pandémie de covid-19. Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à cette question : Mathias Wargon, qui travaille dans un service d’urgences et a donc vécu cette crise en première ligne, pourrait vous donner davantage d’éléments. Je relèverai, pour ma part, certains problèmes qui sont remontés au niveau du Conseil scientifique, dont je faisais partie à l’époque.
Au début de la crise, les services de soins intensifs se sont remplis très vite, notamment dans le Grand Est, et les services de maladies infectieuses ont suivi la même tendance. Peut-être vous rappelez-vous qu’il était difficile de réguler les patients : le 15 s’est retrouvé complètement saturé d’appels, et certaines personnes atteintes de symptômes respiratoires ont dû attendre jusqu’à quatre heures avant de pouvoir parler à un opérateur. Il y a donc certainement des problèmes à anticiper pour qu’en période de crise, une telle situation ne se reproduise pas.
M. Mathias Wargon. Pas seulement en situation de crise ! Cela arrive aussi actuellement !
M. Arnaud Fontanet. Nous avons également eu du mal à intégrer la médecine de ville dans la réponse apportée à la crise pandémique. Nous savions que les médecins généralistes avaient un rôle très important à jouer, mais nous n’avons pas vraiment réussi à articuler leur action avec celle des autres acteurs du système de santé. Nous avons levé des freins législatifs afin de permettre le recours aux téléconsultations et d’éviter ainsi que des patients potentiellement contagieux ne se rendent aux urgences.
J’ai été surpris qu’il ne soit pas possible d’approvisionner les Ehpad en oxygène, du fait du statut de ces établissements, alors qu’il était devenu très difficile d’acheminer des patients très âgés dans des hôpitaux déjà saturés. Peut-être faudrait-il réfléchir, avec des spécialistes, à des évolutions sur ce point.
J’aimerais maintenant vous sensibiliser à un sujet important, à savoir la nécessaire anticipation des crises, qui est à mon sens la réponse la plus logique pour y faire face.
Le Danemark est l’un des pays d’Europe de l’Ouest qui a le mieux réagi face à la crise du covid. La politique qui y a été menée me semble absolument exemplaire. Ce pays a mis en œuvre les préconisations que l’on pouvait tirer de la théorie épidémiologique, et il a prouvé de manière empirique l’efficacité de telles mesures.
Comme je l’ai dit lors de mon propos liminaire, les agents infectieux les plus préoccupants sont les virus respiratoires, car ils touchent toute la population et sont donc les plus susceptibles de provoquer une crise sanitaire majeure.
La première vague d’une épidémie est la plus importante. Rappelez-vous ce qui s’est passé aux alentours de mars 2020, partout dans le monde, avec un ou deux mois d’écart : c’est ce qui pourrait se produire à nouveau lors d’une prochaine pandémie. Pendant cette période, on ne dispose pas encore de l’outil biomédical – vaccin ou traitement – permettant de s’attaquer de front à l’épidémie : il faut alors faire face, avec les moyens du bord. On sait fabriquer des vaccins contre la grippe et, désormais, contre les betacoronavirus, mais il faudra toujours compter le temps de leur développement, parfois très court, le temps de leur production, beaucoup plus long, le temps de leur évaluation, toujours nécessaire – même s’il peut être un peu plus bref quand on les connaît déjà –, et le temps de leur distribution, potentiellement aux 7 milliards d’habitants que compte la planète. Il y aura donc toujours un délai incompressible, d’au moins six mois, si l’on est optimiste, qui correspond à la première vague de l’épidémie et pendant lequel il me paraît absolument essentiel de mettre en œuvre des mesures sanitaires. C’est là que l’expérience danoise me paraît tout à fait intéressante.
Lors d’une première vague, l’objectif recherché, du point de vue épidémiologique, est de rester sur un plateau, autrement dit de faire en sorte que le nombre de nouveaux cas détectés chaque jour n’augmente plus. Qu’il y ait 300, 3 000 ou 30 000 nouveaux cas par jour, comme lors de la première vague de covid-19 en France, le niveau des contraintes imposées à la population sera exactement le même. La différence réside dans le niveau de mortalité : à 30 000 cas par jour, il y aura 300 morts tous les jours ; à 3 000 cas, trente morts ; à 300 cas, trois morts. Il n’est donc pas rationnel d’attendre que soient atteints les 30 000 nouveaux cas et 300 morts par jour, et que les hôpitaux soient saturés, pour se mettre en plateau, alors que les mêmes mesures auraient dû être prises avec 300 cas et trois morts par jour, en laissant les hôpitaux peu affectés. C’est ce qu’ont compris les Danois : ils ont donc refusé de laisser se remplir leurs hôpitaux, qui ne doivent pas être considérés comme une variable d’ajustement.
Quand la courbe des contaminations est exponentielle, avec un doublement du nombre de nouveaux cas tous les trois jours, comme lors de la première vague de covid-19, il est vain de déplorer que la France ne dispose que de 5 000 lits de réanimation, et non de 10 000. En doublant le nombre de lits disponibles, nous n’aurions gagné que trois jours, ce qui paraît dérisoire compte tenu des enjeux et de la durée de la vague épidémique. Je le répète, l’hôpital ne doit pas être une variable d’ajustement : rien ne sert de le surcharger, d’autant que des mesures contraignantes devront être adoptées à un moment ou un autre. Autant les prendre le plus tôt possible, pour que le plateau se situe à un niveau très bas !
L’audition est suspendue de dix-sept heures cinquante à dix-huit heures dix.
M. Arnaud Fontanet. Le 11 mars 2020, seules dix personnes étaient hospitalisées au Danemark, sur les 6 millions d’habitants que compte le pays, lorsque la première ministre s’est exprimée à la télévision, annonçant la fermeture des bars, des restaurants et des écoles, et demandant aux Danois pouvant travailler à domicile de rester chez eux. Les sorties à l’extérieur sont restées autorisées, à condition que la population n’en profite pas pour se rassembler. La première ministre a mis en avant l’exemple du Nord de l’Italie, qui, à cette époque, était déjà dans une situation extrêmement critique, et expliqué que le Statens Serum Institut (SSI) craignait, après analyse des données de surveillance, que le Danemark se retrouve dans le même état en quatre à six semaines.
Pendant onze jours, le pays a connu une augmentation du nombre d’hospitalisations, du fait du développement, par certaines personnes déjà infectées, de formes graves de covid-19. Cependant, après ce pic, dont le niveau était très inférieur à celui observé ailleurs en Europe, la situation hospitalière s’est très rapidement améliorée, au point que le Danemark a pu mettre fin aux mesures contraignantes deux à quatre semaines avant les autres pays d’Europe de l’Ouest.
Ainsi, pour avoir réagi une semaine avant les autres, les Danois ont pu sortir des contraintes sanitaires deux à quatre semaines plus tôt. Le bilan humain a été bien meilleur qu’ailleurs, puisque les formes sévères de covid-19 et les décès dus à la pandémie ont été peu nombreux ; en l’absence d’épidémie de grippe, le Danemark a même enregistré un « déficit » de mortalité. Le bilan économique a été bon, car les périodes de restrictions ont été plus courtes qu’ailleurs : le pays a perdu 1,8 % de PIB alors que les États d’Europe de l’Ouest les plus touchés ont subi une croissance négative de 7 % à 10 %. S’agissant de la santé mentale et de l’éducation, les indicateurs danois ont été à la même hauteur que ceux des pays voisins ; quoi qu’il en soit, ils n’ont pas été pénalisés par ces mesures très précoces. En somme, le Danemark a gagné sur presque tous les tableaux.
Pour agir de la sorte, il faut une confiance forte de la population dans ses institutions et son gouvernement, une culture de la santé publique, un sens de la responsabilité collective et un système de surveillance opérationnel. Tout cela existe au Danemark, où les bases de données populationnelles sont par ailleurs très bien organisées, ce qui a permis aux autorités sanitaires de détecter l’augmentation du nombre de cas de façon fiable, bien qu’assez approximative, puisqu’elles manquaient, comme nous, de réactifs. L’évolution de la situation a pu être anticipée, grâce à un dialogue avec les scientifiques du SSI qui a très bien fonctionné.
Nous avons publié un bilan de cette expérience, qui a été médiatisé dans certains journaux, afin que nous nous en souvenions lorsque surviendra la prochaine crise, qui pourrait être tout à fait différente. La plus grande menace reste celle d’un virus respiratoire. Je l’ai dit, il faudra faire front lors de la première vague, pendant la période très critique des six premiers mois, tant qu’il n’existera ni traitement ni vaccin. Nous devrons alors nous souvenir que les mesures contraignantes à prendre sont exactement les mêmes suivant qu’on laisse se remplir les hôpitaux ou qu’on agit au plus tôt, et qu’une action précoce permet à la fois de lever les restrictions plus tôt et d’améliorer le bilan humain, économique, ainsi que tous les indicateurs. Nous aurons alors tiré des leçons utiles de la crise du covid-19.
M. Emmanuel Vigneron. Sans être tout à fait dupes, nous pouvons considérer les GHT comme un bon exemple de dispositif pouvant être amélioré. La création de ces groupements, en 2016, n’avait rien de novateur : une loi de 2009 avait déjà instauré des communautés hospitalières de territoire (CHT), qui succédaient aux territoires de santé, créés par une ordonnance de 2003, après qu’une loi de 1991 avait mis en place des schémas régionaux d’organisation des soins (Sros), sachant que la loi de 1970 portant réforme hospitalière permettait déjà la création de syndicats interhospitaliers. Je pourrais même remonter à la loi de 1893, qui organisait une coordination entre les hôpitaux et opérait un classement de ces établissements. Cela montre bien que cette idée, continûment creusée, exploitée, ravivée, est bonne.
Il faut cependant aller plus loin. Les GHT doivent-ils être dotés de la personnalité morale ? La question a déjà fait l’objet de débats. J’ai moi-même beaucoup milité en faveur de cette proposition, qui n’a pas été retenue par le Parlement, notamment parce que le Sénat s’y opposait pour des raisons tenant à la représentation des territoires.
Dans sa bienveillance, la loi a prévu que les établissements privés pourraient être associés aux GHT, bien que seuls les établissements publics aient la possibilité de créer de tels groupements. Cette mesure a été un fiasco total, car la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui représente les établissements privés lucratifs, n’en a pas voulu. Son président, Lamine Gharbi, a même déclaré dès juillet 2016, soit quelques mois après la publication du décret du 27 avril 2016, qu’il allait créer des GHT privés, ce qu’il a d’ailleurs répété à plusieurs reprises à l’automne sans que cette annonce se concrétise d’aucune façon. En revanche, les GHT publics existent, et ils mériteraient d’être davantage soutenus. Il conviendrait notamment de mieux évaluer et orienter leurs projets médicaux territoriaux.
L’idée de la coordination est bonne : on voit bien qu’on ne peut pas tout proposer partout, et que ce qui compte, c’est que le bon soin soit dispensé au bon endroit et au bon moment. Ce principe n’est pas compliqué à énoncer, même s’il peut être difficile à mettre en œuvre… Mais comme l’a dit Mathias Wargon dans son exposé liminaire, les principes sont faits pour être appliqués, déclinés, par le législateur. Je plaide donc une nouvelle fois pour que les GHT se voient accorder la personnalité morale et qu’ils soient davantage soutenus, car il faut avoir confiance en leurs capacités.
En revanche, penser que le privé peut s’organiser comme un GHT, c’est nier les principes mêmes qui sous-tendent l’entreprise libérale et imposent une certaine concurrence entre les établissements. Dans ma récente intervention devant l’Académie nationale de médecine au sujet des pénuries de spécialistes, lesquelles sont très liées aux autorisations d’exercice, j’ai expliqué que le privé ne pouvait pas jouer le rôle du public, en raison d’une dichotomie fondamentale entre ces deux secteurs. Les établissements publics maintiennent un semblant d’équité territoriale, car ils sont soumis aux règles et aux exigences du service public hospitalier, difficiles à mettre en œuvre mais très gratifiantes du point de vue de la morale, au contraire des établissements privés, auxquels on ne saurait cependant jeter la pierre, car leur survie dépend de leur rentabilité.
M. le président Jean-François Rousset. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Hendrik Davi (EcoS). J’ai bien compris que, pour l’hôpital, le meilleur patient c’est celui qui ne s’y rend pas ! Si seulement, à la prochaine pandémie, on pouvait appliquer le triptyque « confinement, mesures barrières, vaccins », comme l’a fait le Danemark… Personnellement, je signe tout de suite ! Cela m’amène à une première question sur les vaccins. Est-ce un problème pour vous, au regard de la confiance des citoyens dans les vaccins que la France n’ait plus de service public du médicament ? Que les entreprises pharmaceutiques fassent des milliards de bénéfices ?
Pour éviter que les patients tombent malades, il faut faire de la prévention – alcool, tabac, autres addictions, sucre et sport, pour faire simple. L’ARS (agence régionale de santé) de ma région me dit que c’est déjà le cas, même si l’on pourrait faire beaucoup mieux comme dans d’autres pays. Le problème de l’addiction à l’alcool persiste néanmoins : comment agir ?
Ceux qui tombent malades se rendent souvent aux urgences faute d’avoir accès à un médecin de ville – un cas de figure bien connu de tous les parents d’enfants en bas âge malades en pleine nuit. Pourquoi ne pas prévoir des permanences nocturnes dans les centres de santé publics, à l’instar de ce qui se développe déjà dans les centres de santé privés ? Il y en a à Marseille, et l’ARS y a d’ailleurs mis un coup d’arrêt, car ces centres en profitent pour pratiquer des dépassements d’honoraires, ce qui pose des problèmes financiers. Je note aussi que les médecins ne se déplacent plus à domicile, comme ils le faisaient lorsque j’étais enfant.
Restent les autres malades, qui sont hospitalisés. Le principal problème, vous l’avez souligné, réside dans la sortie de l’hôpital, en particulier pour les personnes âgées. Souvent, on n’arrive pas à les renvoyer chez elles ou à l’Ehpad après une hospitalisation. Faudrait-il que les Ehpad soient davantage médicalisés ? Plus largement, cela pose la question d’un service public du quatrième âge.
Un grand service d’urgences est-il plus difficile à vivre qu’un petit ? Des médecins et soignants marseillais m’ont dit à plusieurs reprises qu’il était plus difficile de gérer les urgences de l’hôpital de la Timone que celles de l’hôpital Nord, plus petites, qui sont pourtant fréquentées par le même type de population. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, j’ai été surpris de vous entendre dire qu’il fallait accepter le manque de moyens – du moins, c’est ce que j’ai compris. En dix ans, nous avons perdu 43 000 lits, soit 10 % de l’offre de soins : pourquoi devrait-on s’en satisfaire ? Pourquoi ne serions-nous pas capables de former davantage de médecins ? Depuis 1996, on a perdu 1 000 enseignants-chercheurs dans les CHU (centres hospitaliers universitaires) : peut-être faut-il commencer par là.
M. Mathias Wargon. Le retour à l’Ehpad n’est pas un problème. Les patients qui en viennent sont même mes meilleurs patients, car j’ai l’assurance de pouvoir les coller dans n’importe quel service de médecine de l’hôpital, puisqu’il est possible de les faire sortir à n’importe quel moment : il suffit d’appeler l’Ehpad, ou, quand il y en a un, le coordonnateur. Parfois, certes, les Ehpad ne sont pas médicalisés mais nous arrivons à faire de l’hospitalisation à domicile dans ce type d’établissement. Ce n’est peut-être pas possible partout, mais je suis sûr qu’à Marseille, ça l’est.
Sur le sujet des urgences, je ne connais pas la taille de celles de Marseille, mais mon service voit passer 65 000 personnes par an et j’ai également travaillé aux urgences de l’hôpital Bichat. D’expérience, je peux vous dire que ce n’est pas un problème de taille, mais d’organisation et de personnel. Les urgences s’organisent en flux : dans mon service, il y en a un pour les patients ambulatoires, un autre pour les patients dits de niveau 4, dont la pathologie n’est pas grave mais nécessite des examens complémentaires ou des gestes – petite traumato, crise d’appendicite, crise d’asthme sans gravité –, un troisième pour les patients médicaux plus graves, et un quatrième pour les patients très graves – ceux que l’on doit déchoquer, par exemple. À chacun de ces flux correspond un niveau et un temps de prise en charge, et un personnel dédié.
Puisque vous me demandez la vérité, je vais vous la dire – même si le conseil de l’Ordre risque encore de me coller un procès au motif que je suis anticonfraternel : en réalité, les urgences sont souvent mal organisées. Je suis passé par Bichat, où l’on apprend à ne pas mettre les patients dans le couloir : et de fait, dans mon service, il n’y en a pas.
Enfin, je n’ai jamais dit que l’on devait accepter le manque de moyen. Seulement, je suis pragmatique : je ne suis pas Harry Potter, je n’ai pas de baguette magique et je ne peux pas faire apparaître des amis ! Donc, il faut s’organiser. Certains réclament toujours plus de moyens, à l’image du collectif Inter-Hôpitaux créé par des PU-PH (professeurs des universités-praticiens hospitaliers) de l’assistance publique. À les écouter, ils n’ont jamais assez de personnel, alors que leurs hôpitaux sont les mieux dotés ! « On va changer pour que rien ne change », en somme. Mais ce n’est pas étonnant qu’ils n’aient jamais assez de personnel, puisqu’ils ne sont pas organisés.
Quand j’ai repris les urgences de Saint-Denis, personne n’en voulait – je n’ai pas très bonne réputation, et il faut vraiment n’avoir pas été gentil pour se retrouver avec moi. J’ai diminué le temps d’attente de trois heures, sans augmenter le personnel, puisqu’on n’en trouve pas d’un claquement de doigts. La réorganisation du service m’a permis d’identifier où il manquait du personnel, et où il n’y en avait pas besoin – votre collègue Romain Eskenazi, qui travaillait alors dans mon hôpital, peut en témoigner. Fort de cette information, j’ai alors demandé à ma direction des moyens supplémentaires, que j’ai obtenus, et que je savais où placer. Demander du personnel en permanence ne marche pas car, comme j’ai coutume de le dire, mettre plus de monde dans le bordel, c’est juste avoir du bordel avec plus de monde.
Vous m’interrogez sur le nombre de lits : c’est un sujet qui m’exaspère, car c’est l’antienne des gens qui n’ont pas d’imagination – des lits, des lits, des lits ! Il y a besoin de lits, oui, mais pas n’importe où. Vous parliez des difficultés à renvoyer les patients dans les Ehpad : c’est bien la preuve que ces patients n’ont plus rien à faire à l’hôpital, et que le lit, ce n’est pas à l’hôpital qu’il est nécessaire, mais à l’Ehpad, en SMR, voire en HAD, si le patient peut rentrer à domicile. Et il y coûterait beaucoup moins cher !
Cela m’amène à un sujet dont nous n’avons pas encore parlé : le virage ambulatoire. Il se trouve que je fais de la moto – très mal, puisqu’il y a vingt-cinq ans, je me suis cassé le poignet gauche en tombant de scooter. Résultat : cinq jours d’hospitalisation, puis à nouveau trois ou quatre jours pour faire enlever le matériel. Or il se trouve que je me suis cassé l’autre poignet, juste au début de la crise du covid. Pour la même pathologie, je n’ai été hospitalisé qu’une demi-journée, à laquelle il faut ajouter deux heures pour enlever le matériel. On ne peut donc pas raisonner à moyens constants. Le virage ambulatoire est très intéressant pour les soins programmés – et tous les jours, le personnel de mon service reprogramme pour le lendemain des patients qui se sont présentés aux urgences, ce qui permet de gérer la petite traumato en ambulatoire –, mais il reste insuffisamment financé.
Pour les soins non programmés, il faut effectivement augmenter le nombre de lits, notamment en médecine polyvalente et en gériatrie. Mais ça ne fait pas tout : le problème, c’est que pour prendre les patients, les services ont besoin de personnel qui accepte de travailler à l’hôpital. Sauf qu’ils n’en trouvent pas ! C’était la conclusion de mon propos liminaire – mais peut-être n’étiez-vous pas encore arrivé : il faut renoncer aux solutions simplistes. Et dire qu’il faut augmenter le nombre de lits, ou de personnels, en est une.
Je n'accepte absolument pas le manque de moyens, mais pour gérer un service d’urgences, je sais très bien qu’on ne les obtient pas d’un claquement de doigts et qu’il faut savoir les distribuer au bon moment, au bon endroit.
M. le président Jean-François Rousset. Je vais vous demander d’être plus brefs, car nous avons encore beaucoup de questions.
M. Mathias Wargon. Pardonnez-moi, je me suis emporté !
M. Arnaud Fontanet. S’agissant des vaccins, nous devons effectivement réfléchir à notre autonomie et notre indépendance. Prenons un exemple : à travers la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority), Trump vient d’investir 525 millions d’euros dans le développement d’un vaccin à ARN messager contre la grippe aviaire, qui serait beaucoup plus efficace que les vaccins existants. À combien le vendront-ils ? À titre de comparaison, la dose de vaccin contre le covid coûtait 16 euros. Cette fois, je pense que ce sera beaucoup plus cher. Nous sommes dépendants de pays qui investissent des moyens considérables dans la recherche et le développement de vaccins, et cela m’inquiète d’autant plus que nous ne sommes pas à l’abri d’un changement de leur état d’esprit en cas de crise. La situation actuelle donne matière à réflexion.
M. Emmanuel Vigneron. Je rappelle qu’en 1970, il y avait, en France, 10 000 entreprises pharmaceutiques, certes essentiellement de petites structures assises sur le droit de préparation magistrale des pharmaciens mais ce nombre considérable de laboratoires produisaient des médicaments. Les choses ont bien changé. La puissance publique peut aider à reconstituer une industrie pharmaceutique plus réactive et plus résiliente.
S’agissant des centres de santé publics (CSP), ils ont été créés par la loi de 2016. Le titre IV, dont le rapporteur était Richard Ferrand, prévoyait que les établissements publics de santé (EPS) pouvaient créer des centres de santé. C’est une très bonne chose, car ces structures s’articulent bien avec les GHT, qui assurent l’égalité et la continuité du service public hospitalier à l’échelle territoriale. Bien entendu, les entreprises privées de santé, qui y voient une concurrence, sont opposées à leur développement. Mais dans de nombreux endroits du territoire, ce n’est pas tant de plateaux techniques qu’on a besoin, que d’une porte d’entrée vers ces plateaux.
Dans mon livre, L’hôpital & le territoire : de la coordination aux GHT, j’explique, schémas à l’appui, cette disposition en étoile qui avait été pensée par des grands noms des années 1930 et 1940. Dans l’esprit d’un central téléphonique gérant les flux entrants et sortants de conversations téléphoniques, le plateau technique serait central et alimenté par des centres périphériques – les CSP gérés par l’hôpital public. C’est une très bonne piste, qui mériterait d’être creusée.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Monsieur Wargon, y a-t-il des infirmières en pratique avancée (IPA) dans votre service ? Si oui, est-ce que cela vous aide ? Et si vous n’en avez pas, pourquoi ?
Vous vous êtes engagé auprès des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), que l’on a beaucoup de mal à maintenir dans le système. Malgré de nombreuses évolutions législatives, des difficultés demeurent. Selon vous, quelle est la solution à ce problème ?
Monsieur Fontanet, ces dernières semaines ont été marquées par une épidémie de grippe qui a eu un retentissement très important sur l’accès au soin, ce qui confirme la pertinence de cette commission d’enquête. Or il semblerait que les données scientifiques à notre disposition ne soient pas suffisantes pour imposer la vaccination contre la grippe aux professionnels. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Monsieur Vigneron, vous avez insisté sur la nécessité de réorganiser un système dans lequel on investit massivement – 266 milliards –, notamment pour faire face au vieillissement de la population. Pour ma part, je pense que nous avons trop de lits d’hospitalisation. Avez-vous des données comparatives avec des pays étrangers à nous fournir, en particulier s’agissant du nombre de lits d’hospitalisation par habitant ?
M. Mathias Wargon. Les infirmières en pratique avancée existent dans de nombreux pays, et bien que je sois moi-même enseignant dans le cursus des IPA en médecine d’urgence, je n’en ai pas dans mon service, pour une raison simple : mes infirmières les plus motivées, qui sont aussi les plus anciennes dans la profession – il faut justifier de cinq ans d’exercice pour passer le concours –, perdraient leur ancienneté si elles devenaient IPA. C’est l’un des principaux obstacles – avec, bien sûr, l’opposition du conseil de l’Ordre et des syndicats de médecins. La mobilisation d’IPA dans des centres de soins non programmés serait pourtant l’une des solutions à la situation actuelle, notamment pour gérer les pathologies pédiatriques qui conduisent les parents aux urgences alors qu’elles ne présentent souvent pas de gravité.
S’agissant des Padhue, c’est bien grâce à ces médecins étrangers que j’ai réussi à remonter mon service : sans eux, les urgences de Saint-Denis seraient fermées. Mais il y a deux difficultés : déjà, ils ne sont pas bien payés, et d’autres pays, comme l’Allemagne, nous font une concurrence défavorable. Ensuite, s’ils souhaitent rester, les Padhue doivent se soumettre à des épreuves de validation des connaissances. Or il y a des inégalités selon les spécialités : bien qu’il s’agisse d’un examen, certains jurys se permettent de fixer une barre d’admission, comme dans un concours, et de ne pas admettre à l’examen des gens qui ont pourtant la moyenne. J’aimerais bien savoir si les médecins qui font passer ces concours, ou les praticiens en exercice, sont capables de les réussir : en tout cas, pas moi ! Et quand, enfin, ils arrivent à la fin de la procédure « stock », on demande à ceux qui sont en médecine générale d’aller effectuer un stage en ville, tout en leur expliquant qu’il n’y avait pas de maître de stage disponible.
Bref : on ne peut pas à la fois déplorer le manque de médecin, faire venir des praticiens étrangers pour pallier ce manque, et leur barrer ensuite l’accès à l’installation ! Les premiers Padhue que j’ai recrutés ont pris la nationalité française, sont devenus praticiens hospitaliers et permettent aujourd’hui de tenir les hôpitaux.
M. Arnaud Fontanet. L’efficacité de la vaccination contre la grippe est difficile à évaluer, car elle évolue d’une année sur l’autre en fonction de l’adéquation du vaccin aux souches qui circulent. Cette année, il y en avait trois, ce qui a complexifié la situation.
Je ne peux pas vous apporter de réponse scientifique car je n’ai pas travaillé sur ce sujet, mais à titre personnel, la vaccination contre la grippe d’un soignant pour protéger les populations très vulnérables avec lesquelles il est en contact me semble relever du bon sens.
M. Emmanuel Vigneron. On dispose de nombreuses données sur le taux d’équipement en lits dans d’autres pays, mais est-ce vraiment intéressant ?
Mme Stéphanie Rist (EPR). Les lits coûtent cher !
M. Emmanuel Vigneron. Il en va des lits comme des médecins spécialistes : y en a-t-il trop ou pas assez ? En réalité, l’essentiel, c’est leur répartition géographique et en fonction des spécialités, car les taux d’occupation et les besoins diffèrent : par exemple, il est évident que l’on manque de lits en psychiatrie. Il faut écouter les personnels dans les services. Or, ils sont de moins en moins nombreux à réclamer des lits.
Pendant 1 000 ans, l’hôpital ça n’a été que des lits. Mais du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, la fonction de ces lits a évolué, pour passer de la simple hospitalité au développement des soins. C’est au début des années 1980 que l’hôpital est devenu principalement un lieu de soins et, dans une moindre mesure, un lieu d’hospitalité. On peut donc gager que le virage ambulatoire va s’accélérer.
Dès lors, la question n’est plus celle des lits, mais des plateaux techniques et de leur répartition sur le territoire. Le législateur ne s’y est d’ailleurs pas trompé : au début des années 2000, il a substitué à la notion d’autorisation de lits celle d’autorisation d’activité de soins, qui se traduit par des objectifs quantifiés de l’offre de soins (Oqos). Le régime des autorisations a encore fait l’objet d’une réforme en 2023. Il faut sortir de l’idée que l’hôpital, c’est un ensemble de services, dirigés par des patrons : c’est avant tout un lieu de soins. À cet égard, les Oqos ont l’avantage de conduire à un réaménagement sanitaire du territoire.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). J’ai été très intéressée par votre comparaison avec le Danemark, monsieur Fontanet. Je pense que la résilience des pays du Nord de l’Europe tient à leur préparation continue aux crises, y compris sanitaires. Pensez-vous que la France présente le même niveau de résilience et, si ce n’est pas le cas, que pouvons-nous faire pour éviter l’engorgement des hôpitaux en cas de nouvelle crise sanitaire ?
Monsieur Wargon, j’ai beaucoup aimé vos propos sur l’organisation ; je partage cette conviction. Mais les chefs de service et directeurs d’hôpitaux sont-ils formés à rationaliser et organiser les choses ? Vous vous y êtes employé avec succès mais visiblement, ce n’est pas le cas partout.
M. Arnaud Fontanet. D’une certaine manière, la Bretagne a été le Danemark de la France : grâce à des mesures précoces, elle n’a pas connu le « choc hospitalier » qui a frappé d’autres régions. Elle a même pu envoyer des spécialistes dans d’autres hôpitaux et accueillir des patients venus de l’est de la France. Lors de la prochaine crise, j’aimerais vraiment que l’on anticipe les mesures de protection, ce qui nécessite de détecter le plus tôt possible le démarrage d’une épidémie, à partir de quelques signaux faibles. En la matière, les agences de sécurité sanitaire ont un rôle majeur à jouer. Or, en France, elles sont sous-dotées.
Autre élément intéressant : après chaque confinement, il y a eu une période réfractaire de quatre à six semaines, pendant laquelle on a pu contrôler la circulation du virus malgré la levée des mesures les plus contraignantes, car la population a conservé les habitudes adoptées pendant le confinement. Il n’y a donc pas de fatalité : notre pays est capable de maintenir la circulation d’un virus à un niveau très bas.
En vue de la prochaine épidémie, il faut donc à la fois documenter la façon dont les pays qui s’en sont bien sortis ont procédé, et, en lien avec les agences sanitaires, développer des systèmes de surveillance permettant la détection très précoce des débuts d’une épidémie. À cet égard, on sait aujourd’hui que la surveillance des eaux usées peut être très utile.
L’autre vertu des mesures précoces, c’est que la réponse peut être graduelle et proportionnée. En imposant des mesures contraignantes lorsque les hôpitaux sont encore vides, vous avez le temps d’évaluer leur efficacité : pour les virus respiratoires, il faut onze jours. Si elles sont suffisantes, on s’en tient là, si ce n’est pas le cas, vous pouvez les durcir un peu. Si on attend que les hôpitaux soient saturés, il n’y a plus d’autre choix que de prendre directement des mesures fortes, les plus pénalisantes pour l’ensemble de la population. J’espère que l’on aura appris de l’expérience du Danemark et de la Norvège et que nous saurons gérer la prochaine crise de manière plus rationnelle et efficace.
M. Mathias Wargon. Les directeurs d’hôpitaux sont formés à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), souvent après un passage par Sciences Po, qui n’est pas connue pour fabriquer des leaders. Je me concentrerai donc sur les chefs de service.
Les chefs de service n’ont pas fait des études de management, mais de médecine. Or, un service comme le mien, où travaillent une centaine de personnes qui gèrent 65 000 patients par an, c’est comme une grosse entreprise avec des millions de budget. Sauf qu’on demande au chef de service d’être un médecin qui s’occupe des patients, et s’il a le temps, d’être un peu chef de service. Or être chef de service devrait être son métier principal. On ne demande pas au patron d’une entreprise de 100 personnes avec 65 000 clients d’aller visser des boulons et en plus, quand il a le temps, de participer à des réunions ! Peut-être des cadres seraient-ils de meilleurs chefs de service que les médecins ?
Il faut aussi savoir qu’on a essayé d’annihiler les chefs de service en créant des chefs de pôle, c’est-à-dire des pseudo-directeurs auxquels ils doivent rendre compte. Mais ce n’est pas du management : c’est du reporting, qui ne résoudra rien. Il en va de même pour tout ce qui relève de la certification qualité. Il faut redonner la main aux chefs de service et changer leur culture. Cela étant, ces derniers sont des sortes de petits barons, qui seront sans doute en guerre contre les barons d’à côté, ce qui est très problématique. Il va donc falloir réorganiser l’hôpital.
Actuellement, il est géré par une CME (commission médicale d’établissement), à la tête de laquelle on ne met pas toujours des leaders, mais plutôt ceux qui foutront la paix aux autres. Il faut arrêter de placer des élus à la tête des hôpitaux, et nommer des gens pour leurs qualités : on sait que les structures qui ont les meilleurs résultats sont celles dirigées par des médecins. Peut-être faudrait-il réfléchir à la création d’un exécutif bicéphale ? Cela pourrait être une solution pour avoir enfin des hôpitaux qui fonctionnent.
M. Emmanuel Vigneron. Le Danemark comme la Bretagne sont beaucoup plus petits que la France et donc plus aisément organisables. Au reste, la Bretagne est un cas d’école dans de nombreux domaines en matière d’organisation sociale : historiquement, son Ceser (conseil économique, social et environnemental régional) a été l’un des plus anciens et des plus vivants, et cette région a été pionnière dans le développement de l’intercommunalité à la suite des lois Voynet et Chevènement. On y trouve une grande habitude de la vie collective et encadrement, qui favorisent sans doute la diffusion des mots d’ordre et la bonne application des mesures.
M. le président Jean-François Rousset. Je suis navré de vous couper, mais il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je suggère que les députés restants posent leurs questions, et les intervenants y répondront ensuite de façon groupée.
M. Lionel Tivoli (RN). Monsieur Wargon, en tant que chef de service des urgences, vous êtes en première ligne face à la crise qui frappe l'hôpital. Si j’en crois ce que vous dites, il n’y a pas de brancards dans les couloirs ni d’attente dans votre service : vous êtes manifestement l’exception qui confirme la règle. Pour y avoir accompagné des proches ces derniers temps, j’ai pu constater que, dans la plupart des services d’urgence, il faut attendre des heures – parfois une nuit entière – sur un brancard avant d’être pris en charge, faute de médecin disponible.
Depuis la réforme de 2015, le nombre d'urgentistes est passé de 7 000 à 4 400, laissant un quart des postes vacants et entraînant la fermeture de 600 services la nuit. Dans le même temps, les urgences sont saturées, alors que 75 % des patients s’y rendent seulement faute de pouvoir consulter en ville. Quelles sont les conséquences concrètes de cette situation sur les patients accueillis aux urgences, et sur les soignants, qui enchaînent des gardes épuisantes, souvent sans renfort, et dont la fatigue est un risque à elle seule ?
La capacité à la médecine d'urgence, qui permettait aux généralistes d'être formés à la prise en charge des urgences de proximité, a récemment disparu, alors qu’elle a été maintenue pour les médecins militaires. Sa réintroduction permettrait-elle de soulager les services d'urgence et d’améliorer l'accès aux soins en faisant traiter les petites urgences par la médecine de ville ?
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Monsieur Vigneron, vous avez insisté sur la nécessité de mieux orienter les GHT. À l’hôpital de Guingamp, le projet médico-soignant partagé pour les années 2023 à 2028, qui prévoyait la fin de la permanence des soins, de la chirurgie vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des accouchements, a été rejeté par la commission médicale d’établissement, le comité social et économique et le conseil de surveillance, au motif qu’il ne répondait pas aux besoins. Il a pourtant été validé par le GHT.
Dans un rapport publié en 2020, la Cour des comptes indiquait d’ailleurs que les GHT n’avaient pas permis de réduire des inégalités de santé, mais seulement de réaliser des économies. Ne serait-ce pas là l’objectif non avoué de ces structures ? Selon vous, quel doit être l’espace décisionnel ?
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Je suis député de l’Aveyron. Dans certains hôpitaux, les urgences sont régulées, parfois même fermées certains jours par manque de médecins urgentistes. D’autres services, comme la chirurgie, la biologie et la maternité, peuvent également y être fermés faute de lits, alors que l’hôpital le plus proche se trouve à plus d’une heure et quart de route. De l’aveu même des médecins, c’est un frein à l’installation de nouveaux médecins. Partagez-vous cette analyse ?
M. Théo Bernhardt (RN). Il existe plusieurs dispositifs de surveillance épidémiologique, comme le réseau Obépine, qui permet de vérifier la présence microbiologique de virus dans les eaux usées. Monsieur Fontanet, est-ce un bon moyen d’anticiper les vagues épidémiques et d’organiser notre système de santé en conséquence ?
M. Romain Eskenazi (SOC). D’après mon expérience à l’hôpital public – avec M. Wargon ! –, une des difficultés majeures est le manque d’attractivité de l’hôpital public pour les personnels paramédicaux. Pour pallier ce manque de professionnels, les hôpitaux ont recours à l’intérim, mais les personnels envoyés ne sont pas intégrés aux équipes ni associés aux projets du service. En outre, c’est un dispositif coûteux : le recours à l’intérim est ainsi passé de 500 000 euros avant le covid à plus de 2 millions d’euros par GHT, ce qui ne fait qu’aggraver la crise financière de l’hôpital public. En tant que professionnels, avez-vous identifié des leviers pour répondre à cette crise de l’attractivité ? Pour faire face au manque de médecins, on fait massivement appel à des Padhue – à Saint-Denis et Gonesse, ils représentent plus de 40 % des effectifs –, avec toutes les difficultés déjà évoquées pour pérenniser leur situation.
Par ailleurs, il y a un problème de libération des lits. Les patients qui devraient être sortants, et donc libérer des lits pour les patients en attente d’hospitalisation, restent à l’hôpital faute de lits en aval, par exemple en soins de suite, ou au nom de problèmes davantage sociaux que médicaux. Avez-vous identifié des évolutions législatives susceptibles de répondre à cette problématique ?
M. Mathias Wargon. La durée du passage aux urgences, c’est encore une question d’organisation. À charge de travail et conditions égales, certains services s’organisent, d’autres moins. L’organisation de l’hôpital est aussi en cause : si les patients stagnent aux urgences, c’est parce qu’ils ne sont pas pris dans les étages, c’est-à-dire dans les services spécialisés. Or, dans certains CHU, il y a des services qui ne sont pas pleins. La T2A (tarification à l’activité), dont nous n’avons pas encore parlé, présentait l’avantage d’obliger les services à prendre des patients. J’ai assisté aux discussions annuelles sur le budget, j’ai bien vu ce qui s’y passait : chacun négocie dans son coin et les plus puissants obtiennent toujours les meilleurs budgets, mais ça ne les empêche pas de ne pas prendre de patients le week-end, quitte à les envoyer en permission et à les faire officiellement sortir le lundi ! Mais le problème vient aussi des directeurs d’hôpitaux, qui prennent rarement leurs responsabilités. En réalité, ce sont eux, et non les médecins, qui sont responsables des admissions : un chef de service ne peut pas refuser d’admettre un patient.
Enfin, s’agissant des postes vacants, on assiste effectivement à une fuite des urgentistes, liée notamment aux conditions d’exercice, devenues très compliquées : travailler dans un centre de soins non programmés, par exemple, est très attractif, car c’est tranquille et il n’y a pas de gardes. La réanimation absorbe aussi beaucoup d’urgentistes, car les réanimateurs, eux, vont anesthésie.
Il n’est pas exact de dire que 75 % des patients pourraient être pris en charge en ambulatoire. D’après l’étude de la Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le chiffre serait au maximum de 40 % à 45 %. Cette prise en charge supposerait qu’il y ait des médecins, mais on n’en a pas. On pourrait éventuellement y affecter des IPA (infirmières en pratique avancée), mais on ne les forme pas. De même, au lieu d’affecter systématiquement aux SAS (services d’accès aux soins) des médecins pour répondre au téléphone, on pourrait recourir à des infirmières pour donner des conseils, car c’est tout ce dont ont besoin une partie de ces patients. Or on n’évalue pas les SAS, qui disent aux patients de ne pas venir aux urgences. C’est là le problème des urgences régulées, à propos desquelles j’ai d’ailleurs écrit une tribune. En effet, il faut bien accueillir les patients – qui sont vos électeurs et les gens avec qui vous vivez – lorsqu’ils n’ont pas de médecin généraliste et que les urgences sont fermées. Par ailleurs, si ces urgences fermées arrêtent d’accueillir des patients, dans l’hypothèse, par exemple d’une réduction de moitié, des petits services d’urgences qui traitent quarante patients par jour – et ils sont nombreux – n’en auront plus que vingt. Or l’investissement en personnel ne pouvant pas être déterminé, il faudrait donc, pour de petits services, énormément de personnel – je rappelle qu’un médecin fait une garde par semaine. Vient donc un moment où l’on se heurte à la réalité, avec des centres situés loin des patients.
Peut-être faut-il confier certains centres à des infirmières ou, en « nuit profonde » – c’est-à-dire après minuit –, se limiter à une garde et prévoir de transporter rapidement les patients. Toujours est-il que cette question a un impact non seulement sur le fonctionnement des urgences, mais aussi sur leur financement. Il faut donc arrêter de fermer les urgences.
Se pose, en outre, un problème de valeurs, un problème éthique. En effet, certains de mes patients sont des clodos qui n’ont rien à faire aux urgences, mais je ne vais pas les laisser crever dans la rue. Cela aussi fait partie, hélas, de mon boulot.
Quant à la Camu, elle peut sans doute apporter des solutions, mais j’ai besoin de gens qui sachent gérer à la fois des patients très graves – ce que la Camu ne permet pas – et des patients moins graves. Je pourrais recourir à des généralistes, mais la médecine générale s’y oppose. Il faudra donc voir avec les généralistes.
Pour ce qui est de l’intérim, la loi Rist 2 l’interdit aux jeunes infirmiers – et il est vrai que nos intérimaires ne devaient pas seulement s’adapter à l’hôpital, mais qu’ils ne connaissaient même pas leur métier d’infirmière, faute d’expérience, ce qui est très embêtant. Peut-être faut-il les faire venir en les payant mieux et différencier les conditions selon les territoires, car la vie en Île-de-France est beaucoup plus chère que dans d’autres régions et les infirmières parisiennes sont obligées de se loger très loin de leur travail – elles n’ont, en outre, pas toujours envie d’habiter en Seine-Saint-Denis.
Quant aux problèmes d’aval, on observe en effet un développement des HAD, notamment privées. Les SMR ont également des problèmes d’embauche, parce qu’ils ont des problèmes d’attractivité. En fait, tous les problèmes d’attractivité remontent jusqu’aux urgences. En région, les urgences sont régulées, mais ce n’est pas le cas en Île-de-France, où il n’existe pas, sauf exception, d’urgences régulées toutes les nuits, alors que de nombreux urgentistes le souhaiteraient.
Certaines personnes n’appelleront pas le 15. Une étude que nous avons réalisée dans notre service a montré qu’il y avait dans la salle d’attente des gens qui auraient pu aller ailleurs, mais qui étaient là tout de même parce qu’ils rencontraient des problèmes de langue ou de compréhension, et parfois de sécurité sociale ou d’argent. Une partie de ces gens vont donc échapper aux soins : ils ne se rendront plus aux urgences, mais ils n’iront nulle part. Il n’est, du reste, pas certain que les patients qui appelleront le 15 aillent ensuite chez le généraliste.
Peut-être est-il possible de recourir directement aux kinésithérapeutes pour toute la petite traumatologie et aux IPA pour le reste. En tout cas, il va falloir être inventifs, même si on ouvre grand les vannes de la médecine, comme dans les années 1960 et 1970. Les médecins sont les premiers à avoir voulu instaurer le numerus clausus, mais il y avait alors des médecins dans tous les petits villages : ils s’installaient pour avoir quelque chose à bouffer, et faisaient du consumérisme. Lorsque j’étais enfant, ils se déplaçaient la nuit, même pour une visite qui aurait pu attendre le lendemain, et s’ils ne venaient pas, on appelait un autre médecin. Faisons attention : je ne suis pas certain que nous ayons besoin d’autant de médecins que dans les années 1970.
M. Emmanuel Vigneron. Je vais répondre bien plus brièvement, et simultanément, à M. le député de l’Aveyron et à Mme la députée des Côtes-d’Armor. Ce sont deux départements que j’adore – j’adore en fait tous les départements français et je crois qu’une partie du mal vient aussi de ce qu’on oublie les disparités qui constituent la France. Qui connaît bien la situation de l’Aveyron, département qui est l’un des plus grands de France, mais qui n’est pas non plus le plus commode, du fait de sa topographie de moyenne montagne ? Il existe un point commun entre Guingamp et l’ouest aveyronnais : l’impression pitoyable, pathétique, que donnent les fermetures sauvages, dont les justifications sont toujours peu ou prou liées à la force ou à la faiblesse politique de telle ou telle personnalité locale. Alors même que ces fermetures pourraient être expliquées, on ne prend pas la peine de le faire. Il importe donc de réfléchir collectivement, pour la France de demain, à la localisation et à la répartition des plateaux techniques, en nous demandant de quoi nous avons besoin et pour combien de personnes.
Cela conduit inévitablement – et dans l’Aveyron plus encore que dans les Côtes-d’Armor, car ce département est situé à la frontière de plusieurs régions et dans une situation déjà un peu périphérique – à la nécessité d’accepter, au nom de cette belle valeur qu’est la solidarité nationale, l’idée d’exception territoriale. J’ai beaucoup écrit là-dessus, et nous publierons bientôt dans Le Monde, lorsque la proposition de loi Garot visant à lutter contre les déserts médicaux viendra en discussion, deux pages de cartes sur l’accès aux plateaux techniques et aux urgences.
M. Arnaud Fontanet. Grâce à Obépine, nous allons bénéficier d’un nouveau système de surveillance des eaux usées. La covid-19 nous a en effet fait découvrir qu’on pouvait récupérer dans les eaux usées de nombreux virus susceptibles d’être testés, qui ne sont pas seulement entériques, mais aussi respiratoires, puisque la salive est déglutie : on peut donc suivre ainsi la grippe et des coronavirus tels que celui qui est responsable de la covid. L’intérêt de cette méthode se manifestera particulièrement au début d’une nouvelle crise, alors que nous nous trouverons à nouveau en situation de pénurie, avec très peu de tests disponibles pour couvrir le territoire national. Un seul test permettra de couvrir une population très large et d’anticiper puisque la positivité précède d’environ une semaine celle des premiers patients arrivant dans les hôpitaux. Obépine et Sum’eau sont très importants pour la préparation de la prochaine pandémie.
M. le président Jean-François Rousset. J’ai connu une époque où les urgences étaient organisées par organe : un médecin généraliste avait son circuit court et, s’il suspectait une appendicite, il envoyait directement le patient vers un service de chirurgie digestive, ce qui ne marchait pas si mal. Nous sommes finalement allés très loin dans l’organisation, mais nous pouvons garder ce souvenir à l’esprit.
M. Mathias Wargon. On reconnaît le chirurgien ! À l’hôpital Cochin, où j’ai travaillé, on distinguait les urgences chirurgicales et les urgences médicales : les patients qui venaient pour un mal au ventre traversaient l’hôpital sur un brancard à capote, tandis que chaque service disait que ce n’était pas pour lui !
M. le président Jean-François Rousset. Il ne s’agit pas d’idéaliser le passé mais il est souvent bon de s’y référer.
Merci messieurs.
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La séance s’achève à dix-neuf heures dix
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Présents. - M. Laurent Alexandre, Mme Béatrice Bellamy, M. Théo Bernhardt, M. Jorys Bovet, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, M. Romain Eskenazi, M. Thierry Frappé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, M. Christophe Naegelen, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. Lionel Tivoli