Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Table ronde « Agences régionales de santé », ouverte à la presse, réunissant le Dr Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ARS Grand Est, le Dr Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie, le Dr Sergio Albarello, directeur général de l’ARS Mayotte et M. Yann Bubien, directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur... 2
– Présences en réunion............................22
Mardi
6 mai 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 9
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à dix-sept heures cinq
M. le président Jean-François Rousset. Dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête sur l’organisation du système de santé, nous abordons aujourd’hui l’accès aux soins à travers une table ronde avec les directeurs généraux d’Agences régionales de santé (ARS).
Chacun d’entre vous disposera d’environ dix minutes pour une présentation liminaire, avant que nous n’entamions nos échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Didier Jaffre, Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, M. Yann Bubien, M. Sergio Albarello prêtent successivement serment.)
M. Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie. Docteur en économie de la santé, je cumule plus de 25 ans d’expérience dans les agences régionales, qu’elles soient de santé ou d’hospitalisation, au sein de quatre régions différentes : la Bourgogne, la Basse-Normandie, la Bourgogne-Franche-Comté, et, depuis trois ans, l’Occitanie. J’ai occupé divers postes tout au long de ma carrière et soutenu une thèse de doctorat en 2002 sur l’arbitrage entre qualité et efficacité dans la planification hospitalière, en prenant pour exemple le cas de la Bourgogne. Cette expérience m’a permis de connaître la situation avant et après la création des ARS en 2010.
Ma conviction, qui je pense est aussi la vôtre, reste inchangée : il est crucial de sortir d’une logique centrée sur l’offre de soins pour adopter une approche populationnelle, c’est-à-dire partant des besoins de santé des habitants. C’est la thèse que j’ai soutenue en 2002 et que je continue à mettre en œuvre dans mes fonctions actuelles.
Je vous remercie de me donner l’opportunité d’exprimer, au nom de l’ARS Occitanie, notre engagement quotidien et opérationnel face aux difficultés d’accès à la santé. Notre action s’articule autour de l’équilibre entre la maîtrise des enjeux systémiques de santé publique et les réponses de proximité. Notre ambition est de garantir un accès effectif et équitable à la santé pour chaque habitant de la région Occitanie, malgré les fortes disparités territoriales. Notre région, à 88 % rurale et avec plus de 50 % de territoire montagneux, présente des défis considérables en termes d’accès aux soins. De plus, elle compte le plus grand nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec quatre départements figurant parmi les plus pauvres de France.
Les ARS, créées en 2010 par la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), ont mis fin à une organisation fragmentée entre différents services de l’État. L’objectif était d’établir une instance unique au niveau régional, cohérente et transversale, pour décliner l’ensemble des politiques de santé publique, réguler l’offre de soins, coordonner l’accompagnement médico-social et prévenir les risques sanitaires et environnementaux.
En tant qu’établissements publics à caractère administratif, les ARS sont les bras armés des ministères de la santé et des affaires sociales en région, sous leur tutelle directe. Leur gouvernance illustre l’articulation entre le pilotage national et la responsabilité locale. Elles disposent d’un conseil d’administration présidé par le préfet de région, incluant des représentants de l’État, des élus des collectivités territoriales, de l’assurance maladie, des usagers et du Parlement. Le directeur général, nommé en Conseil des ministres, agit avec une grande responsabilité et une large autonomie, lié par un contrat d’objectifs pluriannuel.
En Occitanie, nos relations avec les préfets sont étroites et structurées, avec des échanges réguliers et une présence active dans les comités de direction préfectoraux via nos directeurs départementaux. Nous entretenons également des relations quasi quotidiennes avec les élus locaux et les parlementaires sur l’ensemble des sujets de santé.
L’accès aux soins est une réalité multiforme. Il dépend non seulement de la densité médicale, mais aussi de la capacité des patients à s’intégrer dans des parcours coordonnés, à bénéficier d’une prise en charge en temps utile et à accéder à des services de qualité, dans un environnement parfois démographiquement, économiquement et socialement dégradé. Notre mission consiste à trouver un équilibre entre sécurité, qualité et accès à la santé, dans une perspective plus large que le simple accès aux soins.
Nous nous appuyons sur des indicateurs nationaux tels que le nombre de patients sans médecin traitant, les taux de renoncement aux soins, ou les files d’attente en régulation médicale. Sur cette base, l’agence analyse et organise, en collaboration avec les élus, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les professionnels de santé. Par exemple, en Occitanie, nous menons une politique volontariste d’implantation de scanners et d’IRM au plus près de la population, considérant que cette proximité réduit le renoncement aux soins et favorise la prévention et le diagnostic précoce.
Pour mener à bien ces actions, les ARS disposent de nombreux leviers, à commencer par le projet régional de santé (PRS) qui décline la stratégie sur dix ans à travers des schémas régionaux et départementaux adaptés.
En Occitanie, nous avons fait le choix de décliner le PRS de manière départementale. Nous disposons ainsi de schémas départementaux permettant une meilleure adéquation aux réalités locales et une articulation plus efficace de notre action avec celle des conseils départementaux.
Le fonds d’intervention régional (FIR), d’un montant national d’environ 5,5 milliards d’euros, représente 445 millions d’euros pour notre région. Cet outil majeur d’accompagnement nous permet de soutenir diverses initiatives : aides à l’installation, soutien aux maisons de santé, financement des CPTS, déploiement de la télémédecine, projets d’activité sur le territoire. En 2024, nous avons ainsi pu appuyer plus de 1 000 projets dans nos collectivités.
Le FIR fonctionne souvent en cofinancement avec l’ensemble des collectivités territoriales, principalement la région, les départements, les communautés de communes et les communes. J’applique un principe simple : pour chaque euro engagé par l’État via l’ARS, je sollicite un euro équivalent des collectivités territoriales, garantissant ainsi une parfaite équité dans l’accompagnement des projets.
La régulation s’exerce également à travers les autorisations, les inspections, les appels à projets, et le rôle crucial de nos délégations départementales. Ces dernières, au cœur de la proximité, accompagnent les projets, résolvent les tensions, dialoguent avec les élus et les acteurs de terrain. Elles incarnent l’interface de l’État en matière de santé au niveau infrarégional.
En termes de gouvernance, les ARS s’inscrivent pleinement dans une démarche décentralisée, mais à responsabilité partagée. La conférence régionale de santé et d’autonomie (CRSA) et le conseil territorial de santé (CTS) jouent véritablement le rôle de « parlement de la santé ». Leur légitimité a été renforcée par la loi du 27 décembre 2023. Ils participent à l’ensemble de nos décisions en matière de santé. J’ai même sollicité le CTS pour qu’il émette des avis, bien que non officiels car non prévus par la réglementation, sur les autorisations sanitaires par exemple. Cette démarche vise à impliquer l’ensemble des acteurs dans ces débats, au-delà du seul niveau régional.
Notre coopération avec les préfets s’inscrit dans une dynamique de transparence, de codécision et de représentation unifiée de l’État, un aspect auquel je suis particulièrement attaché. Le préfet de région préside notre conseil d’administration qui se prononce sur le projet régional de santé. Je co-préside avec lui un comité d’investissement hospitalier. Nous participons au comité d’administration régional, et les directeurs départementaux au comité d’administration départemental des préfets. Cette coordination nous permet de mener une action publique visible, coordonnée et cohérente.
Le budget de l’ARS Occitanie s’élève à environ 75 millions d’euros pour le fonctionnement et à 460 millions d’euros au titre du FIR. Ces ressources nous permettent de conduire des politiques ambitieuses, tout en respectant scrupuleusement le cadre réglementaire et législatif que vous élaborez.
L’ARS Occitanie compte un peu moins de 770 équivalents temps plein (ETP), avec une diversité de statuts reflétant son histoire et sa construction depuis 2010 : fonctionnaires, agents de l’assurance maladie, contractuels, etc.
Les critiques adressées aux agences régionales de santé doivent certes nous inciter à progresser, mais il convient de ne pas occulter la réalité : sans les ARS, il faudrait mettre en place une administration dédiée à la santé, engendrant des coûts similaires sans bénéficier de la même expertise ni de la mémoire acquise par nos collaborateurs. L’expérience de la crise du Covid a démontré la réactivité, l’adaptabilité et le caractère essentiel des ARS.
Nous sommes conscients de nos marges d’amélioration, notamment en termes de simplicité, de visibilité et de renforcement des contacts avec les élus et les professionnels. Nous considérons la santé comme un bien public constitutionnel, au même titre que l’éducation, nécessitant une régulation forte au plus près des territoires et une administration spécialisée.
L’ARS Occitanie œuvre quotidiennement pour rapprocher les soins des habitants, réduire les inégalités territoriales et sociales dans nos treize départements, garantir un pilotage stratégique régional adapté aux spécificités locales, tout en assurant l’égalité de traitement pour l’ensemble de nos citoyens.
Lors de ma nomination au poste de directeur général de l’ARS Occitanie, le premier ministre Jean Castex m’avait assigné deux objectifs : travailler en étroite collaboration avec les préfets et coconstruire avec les élus. C’est à cette mission que je m’attelle chaque jour avec l’ensemble des équipes de l’agence, tant au niveau régional que départemental. Je suis convaincu de la nécessité de consolider l’unicité de l’action publique en santé en s’appuyant sur trois acteurs essentiels : les élus, les professionnels de santé et les usagers. C’est ensemble que nous serons plus efficaces.
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ARS Grand Est. J’ai pris mes fonctions de directrice générale de l’ARS Grand Est le 4 juin 2024. Depuis lors, je parcours quotidiennement les territoires très contrastés de cette vaste région, mesurant les différentes facettes de l’accessibilité à l’offre de santé et constatant la richesse des initiatives de nos professionnels de santé, des élus et de l’ensemble de nos partenaires pour répondre, avec l’ARS, aux enjeux de santé.
Mon parcours est quelque peu atypique. Je suis docteur en immunohématologie et chercheuse de formation. Ma thèse, soutenue il y a plusieurs années, portait sur la xénotransplantation, un domaine particulièrement pointu. Je cumule plus de vingt ans, bientôt vingt-cinq ans, d’expérience en sécurité sanitaire au niveau national. J’ai notamment exercé des fonctions au sein de cabinets ministériels, notamment lors de l’élaboration de la loi Mediator, ce qui m’a amenée à participer à de nombreuses séances, y compris des commissions d’enquête. J’ai également travaillé à l’assurance maladie et j’ai eu l’honneur de diriger l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pendant plusieurs années, ainsi que d’occuper le poste de vice-présidente de l’agence européenne des médicaments (EMA).
Il y a un peu moins d’un an, j’ai choisi de rejoindre les territoires pour être au plus près des acteurs de terrain, des préfets, des élus et des patients, afin de contribuer à l’amélioration de notre système de santé. Mon parcours m’a inculqué l’importance de la rigueur méthodologique, de l’implication des parties prenantes (usagers, élus et préfets), de la transparence des informations et des décisions, ainsi que de l’analyse et de la maîtrise des risques. Ces éléments constituent pour moi les trois piliers indispensables à la conduite d’une politique publique efficace, notamment en matière d’accessibilité à l’offre de santé dans toutes ses dimensions, qui est le fil conducteur de notre action à l’ARS Grand Est.
La région Grand Est, caractérisée par son étendue et la diversité de ses territoires, illustre parfaitement la multiplicité et le caractère protéiforme des enjeux de santé auxquels nous sommes confrontés. Dans cette région, l’accessibilité à l’offre de santé varie considérablement selon la localisation géographique, qu’il s’agisse de la pointe de Givet, de la frontière luxembourgeoise, de Remiremont dans les Vosges, de l’Eurométropole de Strasbourg, ou encore de Saint-Louis, zone frontalière avec la Suisse.
La région Grand Est présente des caractéristiques uniques. Elle compte environ 5,5 millions d’habitants, dont 9,5 % ont plus de 75 ans. C’est la seule région française limitrophe de quatre pays, avec plus de 600 kilomètres de frontières partagées avec l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Ces deux derniers pays exercent une forte attraction sur nos professionnels de santé. De plus, la région se distingue par son nombre record de communes en France, soit 5 118, dont 91 % comptent moins de 2 000 habitants. Cette configuration territoriale souligne l’importance cruciale des enjeux de proximité et de territorialité.
Face à cette diversité démographique et géographique, l’ARS, en collaboration avec ses partenaires, doit élaborer des solutions sur mesure, adaptées à chaque bassin de vie, pour garantir une accessibilité optimale à l’offre de santé.
L’ARS s’est imposée comme un acteur incontournable du système de santé, particulièrement depuis la crise sanitaire du Covid-19. L’ARS Grand Est emploie plus de 700 personnes réparties sur dix sites physiques, avec des expertises variées. Environ 20 % du personnel se consacre à des missions d’expertise ou de conseil dans les domaines médical, juridique, d’inspection et transfrontalier. 18 % s’occupent du pilotage et de l’animation territoriale au plus près des acteurs locaux. 13 % travaillent sur l’organisation de l’offre de santé, 12 % sur la santé environnementale, 10 % sur le secteur médico-social, et 4 % gèrent les crises et les alertes sanitaires.
L’ARS dispose d’un levier financier important : le FIR, qui représente près de 200 millions d’euros dédiés au financement d’actions essentielles pour les territoires. En 2024, environ 30 % de ce fonds sont consacrés à la coordination des parcours de santé, 25 % à la permanence des soins, et près de 20 % à la prévention et à la promotion de la santé. La répartition de ces fonds s’adapte aux spécificités de chaque territoire, en tenant compte des besoins des usagers, de l’offre de soins existante et de la densité médicale.
Cette approche territoriale se concrétise notamment à travers les contrats territoriaux de santé (CTS) et les contrats locaux de santé (CLS), en collaboration étroite avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les délégations territoriales de l’ARS jouent un rôle crucial dans ce dispositif, disposant d’une certaine autonomie financière pour proposer et mettre en place des projets avec les collectivités territoriales.
Les récentes crises sanitaires ont mis en évidence l’importance d’une connaissance approfondie de l’écosystème tant au niveau territorial que régional et transfrontalier. C’est grâce à la collaboration de l’ensemble des acteurs du système de santé et des partenaires institutionnels (préfectures, services de l’État, collectivités territoriales, fédérations d’établissements et de professionnels de santé, usagers) que nous pouvons relever les défis qui se présentent à nous.
L’accès aux soins et à la santé étant multifactoriel, les réponses doivent être plurielles et multipartenariales. À titre d’exemple, l’ARS Grand Est a développé un outil de cartographie dynamique permettant de visualiser l’ensemble des maisons de santé pluriprofessionnelles et les données démographiques des médecins. Cet outil facilite l’identification des zones nécessitant l’implantation de nouvelles structures de santé.
Dans un souci de visibilité, de transparence et d’efficacité, nous avons également mis en place un comité des financeurs sur les soins de proximité. Ce comité réunit l’ARS, l’assurance maladie, la région et la préfecture pour coordonner les aides aux porteurs de projets, optimiser l’utilisation des fonds publics et offrir une meilleure visibilité aux initiatives locales.
L’accessibilité à l’offre de santé est un enjeu protéiforme qui participe à l’aménagement du territoire. Pour attirer des professionnels de santé, il est essentiel de proposer une offre de service public attractive. Cette accessibilité dépend également des attentes des citoyens et de leur acceptation des conditions de sécurité et de qualité des soins. Une approche graduée et partagée du diagnostic et des propositions de mesures est donc indispensable.
En conclusion, les ARS doivent continuer à progresser dans la territorialisation de leurs actions et dans le dialogue permanent avec les élus, les préfets, les représentants des usagers et les citoyens. Depuis leur création il y a 15 ans, les ARS n’ont cessé de se transformer et de s’adapter pour répondre au mieux aux enjeux et aux demandes sociétales. Dans le contexte actuel, où les enjeux de santé sont cruciaux, les moyens contraints et les demandes sociétales en expansion, il est impératif de simplifier nos processus et de démultiplier nos capacités d’action. Cela passe par une complémentarité renforcée entre l’État au sens large (ARS et préfectures), les collectivités territoriales et l’assurance maladie. Notre objectif commun est d’agir ensemble pour garantir à nos concitoyens un accès optimal à l’offre de santé, dans des conditions de qualité, de sécurité et de soutenabilité pour notre système de santé.
M. Yann Bubien, directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur. Je suis directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis quelques mois. Mon expérience dans le secteur de la santé s’étend sur vingt-cinq ans, incluant des postes de direction à la fédération hospitalière de France (FHF), à la tête de deux CHU (Angers et Bordeaux), ainsi que quatre passages en cabinet ministériel auprès de différents ministres de la santé. J’ai notamment contribué à l’élaboration de la loi HPST de 2009 sous le mandat de Roselyne Bachelot.
La création des ARS a été envisagée dès le début des années 2000, soutenue par l’ensemble du spectre politique. Cette initiative visait à résoudre le problème du cloisonnement entre les différents secteurs de la santé : médico-social, sanitaire, public, privé et libéral. À l’époque, huit structures distinctes géraient le système de santé, créant une complexité organisationnelle importante. L’objectif était de passer d’une approche verticale à une approche horizontale plus intégrée.
La campagne présidentielle de 2006-2007 a vu l’émergence de cette idée dans les programmes de tous les candidats. En 2007, la commission Larcher, composée de manière transpartisane et incluant de nombreux professionnels de santé et responsables politiques, a travaillé sur l’élaboration du concept des ARS. Ces agences ont été officiellement créées par la loi HPST en 2009 et mises en place en 2010.
Aujourd’hui, à la tête de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, je découvre le fonctionnement interne de cette structure dans une région majeure en termes de santé, caractérisée par une forte densité de professionnels et d’établissements de santé, tant publics que privés. Notre objectif est de favoriser une collaboration étroite entre l’ARS et l’ensemble des acteurs du secteur.
M. Sergio Albarello, directeur général de l’ARS de Mayotte. En tant que directeur général de l’ARS de Mayotte, je vous présente aujourd’hui un état des lieux actualisé de la situation sanitaire et démographique de l’île. Mon parcours atypique, issu du service de santé des armées et ayant occupé diverses fonctions au sein des plus hautes instances de l’État, m’apporte une perspective unique sur les défis auxquels Mayotte est confrontée.
Mayotte connaît une croissance démographique exceptionnelle, la plus rapide de France. En 2025, la population s’élève à environ 330 000 habitants, soit un doublement en dix ans. Le taux d’accroissement annuel moyen atteint 3,8 % depuis 2017, ce qui représente environ 7 700 nouveaux habitants chaque année. Cette progression est principalement due à une natalité très élevée, avec un indice de fécondité de 4,5 enfants par femme, le plus élevé de France. Les projections indiquent que la population pourrait atteindre entre 440 000 et 750 000 habitants d’ici 2050, soit un doublement, voire un triplement en une génération.
La structure démographique de Mayotte est fortement déséquilibrée : la moitié de la population a moins de 18 ans, tandis que seulement 5 % a plus de 60 ans, contre 25 % en métropole. Cette jeunesse représente à la fois un défi majeur et une opportunité, à condition que les politiques publiques anticipent les besoins futurs.
Cependant, cette population jeune évolue dans un contexte de grande précarité. Trois habitants sur quatre vivent sous le seuil de pauvreté national. Le taux de chômage est particulièrement élevé, touchant un tiers des adultes. Environ 25 % de la population, soit 82 000 personnes, est en situation irrégulière, ce qui complique l’accès aux soins. Le niveau d’éducation est également préoccupant : seul un adulte sur quatre de plus de 15 ans possède un diplôme qualifiant, contre sept sur dix en métropole.
Les conditions de logement reflètent cette précarité : deux habitations sur cinq sont construites en tôle, souvent sans accès direct à l’eau ni aux équipements sanitaires de base. Le coût de la vie, en moyenne 10 % plus élevé qu’en métropole, avec une « sur-inflation » atteignant 54 % sur les produits alimentaires, aggrave la situation.
Ces facteurs combinés engendrent une triple précarité : économique, résidentielle et sanitaire. Bien que Mayotte enregistre plus de 10 000 naissances par an, l’espérance de vie y est significativement inférieure à celle de la métropole : six ans de moins pour les hommes et jusqu’à douze ans pour les femmes. La mortalité infantile est trois fois plus élevée qu’en métropole.
L’accès à l’eau potable reste problématique dans certaines zones, et de nombreuses plages sont interdites à la baignade pour des raisons sanitaires. Les logements insalubres exposent leurs occupants à divers risques sanitaires, notamment liés à la chaleur pour 60 % d’entre eux. La pratique fréquente des brûlages sauvages contribue à la pollution de l’air.
Des progrès ont été réalisés dans le domaine de la santé, avec le renforcement du centre hospitalier de Mayotte, des centres de consultation, des maternités, des maisons de santé pluriprofessionnelles et des CPTS. Néanmoins, Mayotte souffre toujours d’un manque criant de professionnels de santé : elle compte cinq fois moins de médecins généralistes qu’en métropole, et les spécialistes sont rares. Le taux de renoncement aux soins atteint 45 %, contre 29 % en métropole.
L’offre hospitalière reste insuffisante, avec seulement 1,4 lit pour 1 000 habitants au centre hospitalier de Mayotte, contre 3,3 en métropole. En 2023, 1 800 évacuations sanitaires ont été nécessaires, chiffre en hausse de 13 % sur un an. Les difficultés d’installation durable des professionnels de santé, liées à l’insécurité, aux conditions de logement précaires et à l’insuffisance des infrastructures scolaires et de transport, expliquent en partie cette pénurie.
Il existe cependant des leviers d’action prometteurs. La diversité des cas médicaux, l’engagement des étudiants et l’aspect humain de la relation de soins constituent des moteurs puissants. Les jeunes professionnels en quête de sens peuvent y trouver un engagement significatif et porteur d’avenir.
Les indicateurs de prévention à Mayotte sont particulièrement préoccupants. En effet, 87 % des femmes n’ont jamais bénéficié d’une mammographie. Le dépistage du cancer colorectal n’a jamais été effectué chez 94 % des adultes. De plus, 39 % de la population n’a jamais fait contrôler sa glycémie. La santé nutritionnelle présente également des déséquilibres majeurs. L’obésité touche 30 % des jeunes adultes, avec une prévalence particulière chez les femmes, tandis que 20 % des enfants souffrent de maigreur.
Concernant la santé sexuelle et reproductive, la situation est tout aussi alarmante. Seules 30 % des femmes enceintes bénéficient des trois échographies recommandées. Par ailleurs, 44 % des femmes âgées de 18 à 44 ans n’utilisent aucun moyen de contraception. La santé mentale devient une préoccupation croissante, un jeune sur cinq présentant des syndromes dépressifs dans un contexte de grande instabilité sociale et familiale.
Les projections démographiques pour Mayotte en 2050 sont considérables. La population devrait atteindre entre 450 000 et 750 000 habitants. La structure de la pyramide des âges connaîtra une transformation significative. La proportion des moins de 25 ans diminuera de 40 %, tandis que celle des plus de 65 ans pourrait représenter 10 % de la population, soit environ 64 000 personnes âgées.
Mayotte fait face à une situation singulière dans le paysage national. Elle se caractérise par une jeunesse massive, une dynamique migratoire intense, une vulnérabilité sanitaire et une croissance démographique hors normes. Cependant, il serait réducteur de ne considérer Mayotte que sous l’angle de ses fragilités. L’île possède également des atouts considérables : une jeunesse pleine de ressources, des solidarités vivaces, des professionnels de santé engagés et une capacité institutionnelle à innover.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le directeur général, vous avez évoqué le rôle étendu de l’ARS. Ne pensez-vous pas que ce champ d’action est peut-être trop vaste ? Ne serait-il pas plus judicieux que les ARS se recentrent sur leur cœur de métier, à savoir le domaine de la santé, plutôt que de se disperser sur diverses missions annexes ? Je pense notamment à la dimension environnementale que vous avez mentionnée. Ne serait-il pas plus efficace de déléguer certaines de ces missions parallèles pour se concentrer sur l’essentiel ?
Ma deuxième interrogation porte sur les modalités d’attribution des autorisations d’exercice de spécialités, qu’elles soient pérennes ou temporaires. Nous avons l’impression, au fil de nos échanges dans le cadre de cette commission d’enquête, que les autorisations pour les spécialités les plus lucratives sont souvent accordées de préférence aux cliniques privées plutôt qu’aux hôpitaux publics. Pouvez-vous nous éclairer sur les critères objectifs et spécifiques qui président à l’octroi de ces autorisations ?
Par ailleurs, nous ne constatons pas d’évolution significative dans la prise en charge de la permanence des soins par les établissements privés, et ce malgré le vote de la loi RIST et la publication des décrets d’application relatifs à cette question. Comment expliquez-vous cette situation ? Quel est votre rôle dans ce domaine et quels leviers avez-vous à votre disposition pour faire appliquer cette permanence des soins par les cliniques privées ?
Madame Ratignier-Carbonneil, vous avez mentionné les délégués territoriaux. Pouvez-vous nous préciser quelles sont leurs délégations et leurs compétences ? Comment sont-elles définies ? Varient-elles d’une ARS à l’autre ?
M. Didier Jaffre. Au début de mon mandat, je me suis interrogé sur le large spectre des compétences des ARS. En effet, nos domaines d’intervention s’étendent de la qualité de l’eau potable jusqu’à l’accompagnement de la fin de vie, en passant par de nombreux autres aspects. Il est légitime de se demander s’il est raisonnable qu’une seule instance soit en charge de tous ces domaines.
Cependant, mon expérience de trois ans en tant que directeur général d’ARS m’a convaincu de l’importance d’une vision globale sur tous ces champs, en particulier sur la santé environnementale. Nous savons tous que ces facteurs sont déterminants pour l’état de santé de nos populations. Sans une agence de santé pour vérifier la qualité de l’eau, qu’elle soit de consommation courante ou thermale, pour contrôler la qualité de l’air, et pour évaluer l’impact de l’ensemble de la vie économique sur la santé, ces aspects risqueraient d’être négligés. Les autres services de l’État ne disposent pas des mêmes outils ni de l’expertise en santé que nous possédons.
Prenons l’exemple récent d’un incendie dans une usine de batteries dans l’Aveyron. Si nous ne nous préoccupions pas quotidiennement de l’impact de tels événements sur les populations, personne ne le ferait. C’est précisément la raison pour laquelle, lors de la création des agences, il a été décidé d’adopter cette approche globale de la santé de l’individu. L’être humain ne se compartimente pas, et son accès à la santé, dans toutes les acceptions du terme, doit être supervisé par une seule et même instance.
Cette approche est particulièrement pertinente en matière de prévention. Les besoins ne se révèlent pas automatiquement. Que ce soit pour le dépistage, la vaccination ou les comportements de santé, sans une instance dédiée pour s’en préoccuper, nous risquerions de passer à côté d’enjeux cruciaux. Dans ma région, fortement impactée par le réchauffement climatique, il est essentiel d’accompagner les populations dans leur mode de vie. Sans une agence de santé pour s’en occuper, nous pourrions faire face à des conséquences sanitaires graves.
Certes, ce large spectre de compétences peut sembler excessif, mais il oblige nos équipes à maintenir constamment cette vision globale. J’exige de mes collaborateurs en charge du médico-social qu’ils aient également une vision sur la santé environnementale et le développement durable. Toutes nos actions doivent prendre en compte l’impact sur la qualité de l’environnement dans lequel nous vivons, y compris lors de la reconstruction d’un hôpital.
En conclusion, je pense qu’il est crucial de maintenir ce champ d’action étendu. Cela est certes très exigeant et complexe, mais c’est la seule façon d’aborder l’accès à la santé dans toutes ses dimensions.
Concernant les autorisations d’exercice, je dirige une région atypique où le poids du secteur privé est particulièrement important. Globalement, l’offre est équilibrée, avec environ la moitié assurée par le secteur privé à but lucratif, à l’exception des départements très ruraux où l’offre privée est absente. Dans les métropoles de Toulouse, Montpellier, Nîmes et sur tout l’arc méditerranéen, nous veillons à maintenir un équilibre parfait entre le secteur public et le secteur privé. Notre projet régional de santé prévoit les mêmes autorisations pour le public et le privé.
Prenons l’exemple de la cancérologie. Dans un département comme l’Aude, avec Carcassonne d’un côté et Narbonne de l’autre, chaque hôpital pris individuellement n’atteindrait pas les seuils requis en cancérologie. Nous leur accordons donc des autorisations conditionnées à une collaboration sur deux ans, afin que les Audois puissent bénéficier d’une offre complète en cancérologie dans leur département.
Aucun privilège n’est accordé ni au secteur privé ni au secteur public dans l’attribution des autorisations. Notre priorité est de répondre aux besoins de santé des habitants dans chaque département, à l’exception des spécialités de niveau régional. Concernant le financement des soins et des établissements de santé, ma région présente une particularité : le secteur privé représente plus de 30 % de l’enveloppe allouée. Cette situation s’explique par la nécessité d’une participation active du privé pour répondre à la demande croissante.
La région Occitanie connaît une croissance démographique exceptionnelle, avec 50 000 nouveaux habitants chaque année. Cette tendance, qui dure depuis une décennie et devrait se poursuivre pendant dix ans encore, implique que nous accueillerons un million d’habitants supplémentaires sur vingt ans. Depuis le 1er janvier, nous sommes devenus la troisième région française, et cette progression ne faiblit pas. Notre défi majeur n’est donc pas de concentrer l’offre ou de réguler le personnel, mais bien de développer nos capacités. Mon objectif principal est de prendre aujourd’hui les décisions adéquates pour garantir, à l’horizon 2040, une offre de santé complète capable de satisfaire les besoins de près de sept millions d’habitants.
En ce qui concerne la permanence des soins ambulatoires, le secteur privé y participe pleinement. Suite à la publication des récents décrets, chaque agence régionale de santé travaille actuellement à la révision de son schéma de permanence des soins ambulatoires. Dans ma région, la concertation débute. Nous allons réviser le schéma des urgences et celui de la permanence des soins ambulatoires d’ici l’automne prochain. Nous délivrerons alors, si nécessaire, de nouvelles autorisations et déterminerons le financement de la permanence des soins ambulatoires. Mon approche vise à maintenir et renforcer l’implication du secteur privé, tout en cherchant à améliorer la collaboration entre public et privé dans certaines spécialités.
Dans les territoires dépourvus de secteur privé, nous devons veiller à ce que les établissements publics d’un même département collaborent efficacement. Cela concerne aussi bien les disciplines à permanence obligatoire que les autres, afin d’assurer des ressources médicales suffisantes pour garantir cette permanence. Dans ce contexte, nos centres hospitaliers universitaires jouent un rôle crucial. Les trois CHU de notre région sont essentiels pour l’universitarisation de nos territoires, l’apport d’externes, d’internes, de docteurs juniors et, à terme, de médecins. Leur mission est de soutenir le fonctionnement de nos hôpitaux périphériques.
Prenons l’exemple de l’ouest de l’Occitanie, avec Toulouse comme point central. Le CHU de Toulouse, tout comme les établissements privés, a tout intérêt à ce que les autres hôpitaux et tous les médecins des centres hospitaliers fonctionnent efficacement. En effet, face à l’afflux constant de nouveaux habitants (la métropole toulousaine gagne 15 000 habitants par an), nos hôpitaux doivent être en mesure de répondre à une demande croissante. Notre région est certes atypique, mais nous devons impérativement faire face à ce développement de l’offre de santé. Ainsi, concernant la permanence des soins ambulatoires, l’engagement du secteur privé est déjà très fort là où il est présent.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Monsieur Jaffre, votre remarque sur les incendies soulève une question importante que j’adresse également aux autres représentants des ARS. Lorsqu’une entreprise classée Seveso est présente sur un territoire, comme ce fut le cas dans le secteur de Viviez avec l’incendie d’une entreprise de batteries au lithium, quel suivi l’ARS envisage-t-elle de mettre en place ? De quels moyens disposera-t-elle ? Des prélèvements ont été effectués au moment de l’incident, mais qu’en est-il du suivi à long terme des habitants ?
Nous savons pertinemment que les problèmes de santé liés à ce type d’incident peuvent se manifester des semaines, des mois, voire des années plus tard. Quels sont donc les moyens dont dispose l’ARS pour assurer ce suivi ? L’ARS a-t-elle la volonté et la capacité de mener ce suivi sur plusieurs années ? De plus, ne serait-il pas pertinent d’effectuer ce type de suivi dans les zones abritant des entreprises Seveso n’ayant pas connu d’incident, afin d’établir un « point zéro » sur la santé des résidents ? Cela permettrait, en cas d’incident futur, d’avoir une base de comparaison pour un suivi précis de ces populations.
M. Didier Jaffre. Je rappelle que la gestion de crise s’effectue sous la coordination du préfet de département, impliquant l’ensemble des services de l’État, y compris l’ARS. Notre responsabilité, en collaboration avec les élus locaux, est d’assurer le suivi des impacts sur la santé des populations.
Nous avons mené ce suivi pendant un an, en étroite collaboration avec Santé publique France (SPF), notamment ses équipes régionales basées dans nos locaux. Dès qu’un doute surgit au vu des indicateurs de santé (que ce soit via les systèmes d’information de l’assurance maladie ou les remontées directes des médecins et les bases de données sur l’état de santé des populations), nous déclenchons une enquête approfondie. Nous l’avons fait sur plusieurs sites, comme à Gardanne, où une entreprise chimique avait suscité des inquiétudes. Des enquêtes ont été menées pour comprendre l’origine de taux de cancer apparemment anormaux.
Concernant spécifiquement le cas de l’Aveyron, dès que nous observerons des indicateurs anormaux, nous approfondirons l’analyse et lancerons une enquête de santé publique, comme nous le faisons systématiquement sur l’ensemble des territoires. À ce jour, je n’ai reçu aucune alerte particulière. Nous avons effectué un suivi quasi mensuel pendant un an pour vérifier l’impact réel sur les populations. Les premiers effets liés aux fumées ont été observés et pris en charge. Nous encourageons d’ailleurs les patients à se manifester auprès de leurs médecins ou de l’ARS s’ils ressentent le moindre problème.
Ce type de suivi est mis en place partout où cela est nécessaire. Par exemple, nous surveillons l’impact de l’arsenic dans l’eau dans la vallée de l’Orbiel, un sujet qui préoccupait déjà avant mon arrivée. À chaque épisode pluvieux, nous effectuons des contrôles et suivons rigoureusement l’état de santé des populations. Nous avons également des cas similaires dans la vallée du Lot et à Toulouse, que nous suivons systématiquement en collaboration avec SPF.
M. Sergio Albarello. Concernant les autorisations d’exercice à Mayotte, il est important de souligner la faible attractivité du territoire pour les promoteurs. L’offre de soins est principalement centrée sur l’établissement de santé hospitalier. Néanmoins, l’ARS a mis en place sa CPTS, et dans ce cadre, nous développons et facilitons les coopérations public-privé dans les domaines où l’hôpital est déficitaire, notamment en dialyse et en rééducation fonctionnelle post-AVC.
Nous poursuivons également ce partenariat de coopération public-privé avec une structure privée de La Réunion qui souhaite s’implanter à Mayotte. Les discussions sont en cours et le projet est quasiment finalisé, bien que l’acquisition des terrains soit encore en négociation.
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Concernant le rôle des délégations territoriales ou départementales, il convient de souligner leur fonction essentielle en tant que représentants locaux de l’agence. Ces délégations jouent un rôle crucial grâce à leur proximité avec les acteurs du terrain et leur connaissance approfondie des réalités locales. Cette expertise leur permet de porter efficacement divers projets, notamment au sein des instances régionales et départementales. Elles sont également en mesure d’accompagner les transformations nécessaires de l’offre de santé et médico-sociale. Il est important de noter que leur mission ne se limite pas à une simple application des directives du siège. Au contraire, elles prennent en compte les spécificités de chaque territoire pour élaborer, en collaboration avec le siège, des réponses adaptées aux besoins locaux. Cette approche est d’autant plus pertinente que nous observons des situations hétérogènes entre les départements, notamment en termes d’offre publique et privée. L’objectif est donc d’apporter des solutions sur mesure pour chaque territoire, visant à améliorer constamment l’offre de soins.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les auditions que nous avons menées révèlent que selon les CHU, les hôpitaux privés choisissent leur permanence des soins en fonction de ce qui est le plus rentable, laissant aux structures publiques la charge des services moins lucratifs, tels que les urgences. Comment l’ARS Grand Est gère-t-elle cette répartition ?
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Concernant la permanence des soins, nous sommes actuellement en phase de révision du schéma, ce qui implique une collaboration étroite avec l’ensemble des acteurs concernés. Je suis convaincu de l’importance cruciale de la transparence dans ce processus. Cette transparence, particulièrement en matière de permanence des soins et de gestion des urgences, permet d’établir un équilibre essentiel entre les secteurs public et privé. Elle offre à chaque institution la possibilité de démontrer et d’assurer ses responsabilités de manière visible et compréhensible pour les usagers et les patients. C’est un aspect fondamental de notre approche.
Il est également important de souligner que les autorisations sont intrinsèquement liées à l’obligation d’assurer la permanence des soins. Nous rappelons systématiquement cette exigence lors de l’octroi d’autorisations, que ce soit pour le secteur public ou privé. Ces autorisations sont délivrées en fonction des projets proposés, de l’évaluation des besoins réalisée en concertation avec tous les acteurs, et de l’analyse approfondie des dossiers. Nous veillons scrupuleusement à ce que la permanence des soins soit garantie et vérifiable, d’où l’importance de la transparence dans ce processus. Cette approche vise à assurer un équilibre équitable entre les secteurs public et privé dans la fourniture de cette indispensable permanence des soins.
Nous sommes conscients des préoccupations qui existent. C’est pour cette raison que le partage et la transparence des données relatives à la permanence des soins sont essentiels. Cette démarche nous permettra d’établir un diagnostic partagé, et, vraisemblablement, de parvenir à un équilibre vertueux dans la répartition des responsabilités.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes de 2023 met en lumière la répartition inégale des parts de marché entre établissements publics et privés selon les pathologies. Il souligne que le secteur privé lucratif prend en charge une part prépondérante de certaines interventions : 70 % des opérations de la cataracte, 77 % des interventions sur les prothèses dentaires, et 71 % des endoscopies digestives. Cette prédominance du privé lucratif semble étroitement liée aux autorisations délivrées par les ARS. Malgré vos assurances d’amélioration future, force est de constater qu’actuellement, tant dans la permanence des soins que dans l’attribution des autorisations, il semble y avoir une certaine complaisance envers le secteur privé au détriment du public. Cette observation est corroborée non seulement par le rapport de la Cour des comptes de 2023, mais aussi par les témoignages recueillis lors de nos auditions.
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Le processus d’autorisation repose sur une évaluation rigoureuse des dossiers soumis par les porteurs de projets. Dans certaines situations, nous nous trouvons face à des porteurs de projets exclusivement privés, sans alternative publique. Dans ces cas, l’autorisation est naturellement accordée à un établissement privé, faute d’autres options.
Lorsque nous sommes confrontés à des dossiers émanant de divers établissements, le statut public ou privé n’est pas un critère prépondérant dans notre décision. Notre priorité absolue est la qualité : qualité du dossier présenté et qualité du parcours de soins proposé par le porteur de projet, qu’il soit public ou privé. C’est sur cette base que nous accordons les autorisations et établissons les coordinations nécessaires.
À l’occasion du renouvellement des autorisations, nous procédons à une réévaluation complète, impliquant un nombre considérable de dossiers examinés, notamment avec l’appui de la commission spécialisée sur l’offre de soins. Nous mettons en place des coordinations et accordons parfois des autorisations sous condition de coopération entre établissements, notamment privés. Ces autorisations sont assorties d’une clause de revoyure, généralement dans un délai de deux ans, permettant à la commission de vérifier l’effectivité de cette coordination et son apport en termes de valeur ajoutée pour les usagers.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je m’interroge sur les critères d’attribution des financements publics aux établissements privés de santé, particulièrement les établissements à but lucratif. Quelles sont les pratiques de l’ARS en la matière ? Comment les ARS s’assurent-elles que ces aides répondent à une logique d’intérêt général et ne se font pas au détriment des établissements publics ?
L’ARS Bretagne a octroyé 300 000 euros à une maternité privée pour le recrutement de médecins, alors que les accouchements sont suspendus depuis deux ans dans la maternité publique de Guingamp. Quelles mesures envisagez-vous pour garantir une répartition équitable des ressources, en soutenant prioritairement les établissements publics et en assurant une prise en charge de qualité pour tous ?
De nombreux élus, dont je fais partie, rapportent des difficultés à obtenir des réponses de la part des ARS. Que prévoyez-vous pour remédier à cette situation ?
La question de la transparence a été évoquée. Permettez-moi de partager une expérience : lors d’une réunion de concertation concernant un nouvel hôpital, un communiqué a été diffusé par l’ARS avant même la fin de la concertation. Ce type de pratique nuit à l’instauration d’un climat de confiance. Comment envisagez-vous d’améliorer la communication avec les élus locaux et les parlementaires impliqués dans ces dossiers ?
M. Yann Bubien. Je souhaite apporter des précisions concernant les exemples de la Cour des comptes que vous avez mentionnés. Ces trois cas relèvent des soins programmés et pas des soins non programmés, ce qui constitue une différence fondamentale dans le cadre de la permanence des soins des établissements de santé et de la permanence des soins ambulatoires. Il est essentiel de bien distinguer ces deux aspects. Depuis des années, les cliniques privées, notamment lucratives, se sont orientées vers une activité programmée plutôt que non programmée.
En tant qu’ancien directeur d’établissement public, j’ai longtemps défendu l’idée que le secteur privé lucratif ne s’impliquait pas suffisamment dans la permanence des soins. Cependant, nous avons actuellement une opportunité historique de revoir cette organisation. Il faut reconnaître que si les établissements publics assurent une plus grande part de la permanence des soins, c’est aussi parce qu’ils prennent en charge toutes les activités de recours, les cas les plus complexes et les soins non programmés. L’on ne peut pas attendre d’une clinique privée spécialisée dans la chirurgie de la cataracte, par exemple, qu’elle assure la permanence des soins le week-end pour des urgences médicales diverses.
Il est vrai que les cliniques privées se sont concentrées sur des activités programmées à cadence rapide, qui permettent une rentabilité importante. Néanmoins, dans nos négociations actuelles sur la permanence des soins, nous constatons que les jeunes médecins et chirurgiens du secteur privé souhaitent également s’impliquer dans ce domaine. Nous avons là une opportunité de mener une discussion cruciale pour rééquilibrer la situation sur nos territoires.
Concernant les modalités de choix et d’autorisation, le processus est objectif. Les besoins sont identifiés par les médecins, les directeurs d’établissements publics et privés, ainsi que par les remontées des usagers. Une stratégie est ensuite élaborée dans le cadre du projet régional de santé. Nous définissons les besoins par territoire, lançons un appel à candidatures, et sélectionnons le meilleur candidat, indépendamment de son statut public ou privé. Le critère principal est la capacité à répondre rapidement et efficacement au besoin identifié, sachant qu’une autorisation est valable pour cinq ans.
Notre objectif est de rééquilibrer la permanence des soins des établissements de santé, tout en nous penchant sur la permanence des soins ambulatoires. C’est une préoccupation majeure des citoyens au quotidien, et nous devons y répondre de manière efficace.
M. Didier Jaffre. Dans ma région, le président de la fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui gère un groupe de cliniques, collabore étroitement avec le CHU, notamment dans les métropoles comme Montpellier. Cette coopération est cruciale pour répondre aux besoins, particulièrement durant les périodes hivernales et estivales, cette dernière étant marquée par un afflux important de touristes dans notre région. Sans la participation active du secteur privé, le système ne pourrait fonctionner efficacement.
Certaines cliniques privées jouent un rôle équivalent à celui d’un hôpital public. Par exemple, dans les hauts cantons de l’Hérault, les cliniques constituent souvent la seule offre de santé disponible. La clinique de Ganges, notamment, remplit la fonction d’un hôpital de proximité, ce qui justifie notre décision de contractualiser avec le groupe pour sa reconstruction.
Concernant les aides financières, qu’elles soient destinées au secteur public ou privé, elles sont systématiquement contractualisées avec des objectifs précis, notamment via le FIR. Ces contrats sont publics et transparents. Il n’y a pas de favoritisme ; chaque aide est liée à des actions spécifiques de santé publique, de reconstruction, ou autres. Il faut noter que le secteur public reçoit une part majoritaire de ces fonds, principalement en raison de sa présence plus importante dans les missions d’intérêt général et dans l’ensemble des disciplines.
Quant à nos relations avec les élus, elles ne se limitent pas à des commissions formelles. J’adopte une approche proactive en sillonnant régulièrement les treize départements de la région. Je m’efforce d’être accessible à tout moment pour les maires, les parlementaires et les présidents de conseils départementaux. J’ai également demandé à mes équipes de traiter les courriers dans un délai d’environ huit jours.
Nous avons développé de nombreux contrats locaux de santé, plus de 60 à ce jour, car je crois fermement en l’efficacité de cet outil de proximité. Cette approche permet de gérer efficacement les situations, même conflictuelles, comme nous l’avons fait dans le Gers avec la participation des élus locaux et des syndicats. Nous travaillons également sur le projet d’hôpital commun de Millau-Saint-Affrique. Cette présence sur le terrain et cette collaboration étroite avec les élus sont essentielles pour répondre efficacement aux besoins de santé de nos territoires.
Nous avons mis en place un comité de pilotage coprésidé par la préfète et moi-même, associant l’ensemble des élus. Aucune décision n’est prise sans l’aval de ce comité. Nos communiqués de presse sont systématiquement relus par tous ses membres, ce qui assure un fonctionnement efficace. Bien que nous puissions toujours nous améliorer, je suis convaincu que notre travail en parfaite confiance permet une relation totalement fluide entre les parties prenantes. C’est cette approche que je préconise et que j’exige de mes équipes.
Par ailleurs, j’ai initié une révision de notre communication envers les maires, particulièrement concernant les comités liés à la santé environnementale. J’ai constaté que notre ton n’était pas approprié et j’ai demandé une refonte de tous nos avis. En tant que directeur général, je considère qu’il est inacceptable de donner des injonctions abruptes aux maires, étant donné l’importance de leur responsabilité.
Prenons l’exemple d’un établissement thermal à Argelès-Gazost : au lieu d’envoyer un courrier comminatoire à la maire qui rencontrait des difficultés, je me suis personnellement rendu sur place et nous avons trouvé des solutions ensemble. Cette approche collaborative avec nos élus est essentielle.
Il est naturel que les citoyens s’adressent à leurs élus pour des problèmes tels que l’accès aux soins. Notre rôle est d’apporter des réponses conjointes à ces préoccupations. Cette collaboration étroite s’exerce quotidiennement, sept jours sur sept.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Vos effectifs sont-ils suffisants ? En effet, les délais de réponse peuvent être impactés par un manque de personnel dans les services.
M. Didier Jaffre. J’estime que nous disposons d’un effectif suffisant pour répondre aux élus. Notre cabinet est bien organisé, avec un directeur de cabinet récemment nommé, ce qui assure un fonctionnement optimal. Cependant, nous manquons peut-être de personnel pour certaines missions d’expertise spécifiques. Par exemple, il est difficile de recruter des ingénieurs sanitaires compétents sur le marché du travail. De même, nous sommes en pénurie de médecins. Néanmoins, pour ce qui est de la communication avec les élus et les autres instances, nos effectifs sont adéquats. Si ce n’était pas le cas, cela révélerait un dysfonctionnement interne.
M. Sergio Albarello. Concernant Mayotte, dès mon arrivée, j’ai pris l’initiative de rencontrer l’ensemble des maires et des élus de toutes les communes. Accompagné de mes directeurs, je vais à la rencontre des élus pour partager les projets du territoire et faire connaître les actions de l’ARS, ainsi que nos attentes vis-à-vis des élus. Mensuellement, nous organisons une rencontre avec un exécutif, impliquant l’ensemble du personnel de l’ARS et des différentes directions.
M. Lionel Tivoli (RN). J’ai examiné avec attention le rapport de la Cour des comptes sur les missions de contrôle des ARS. Les conclusions sont préoccupantes. À la suite du scandale Orpea, l’État a lancé une vaste campagne de contrôle des Ehpad. Cependant, 80 % de ces contrôles ont été effectués uniquement sur pièces, sans visite sur site, comme indiqué à la page 32 du rapport. Or, la maltraitance ne se détecte pas dans un tableau Excel ; elle se constate sur le terrain, dans les chambres, en échangeant avec le personnel soignant.
Les chiffres sont éloquents : 3 965 contrôles sur pièces n’ont abouti qu’à 285 injonctions, contre 1 449 injonctions pour seulement 1 486 contrôles sur site. Malgré des constats alarmants tels que la présence de médicaments périmés, des enfermements non autorisés, ou l’absence de médecins, seules 20 sanctions ont été prononcées.
Je suis conscient des contraintes auxquelles les ARS sont confrontées dans l’exercice de leurs missions de contrôle. Néanmoins, quelle est selon vous l’origine de ce blocage ? Est-ce un manque de moyens, de volonté, de coordination ? Les Français n’attendent pas des explications sur la complexité de la situation, ils exigent une protection effective de nos aînés.
M. Didier Jaffre. Notre politique d’inspection et de contrôle n’a pas pour objectif de fermer systématiquement des établissements, mais plutôt de les faire progresser. Vous avez évoqué la maltraitance, et je tiens à souligner que le nombre relativement faible d’injonctions témoigne de la grande valeur et du professionnalisme du personnel de ces établissements. C’est un point positif qui mérite d’être souligné.
Concernant les contrôles sur pièces, je peux vous assurer qu’ils permettent de détecter un grand nombre d’anomalies. Par exemple, si un établissement est incapable de fournir des documents essentiels tels que le contrat de travail du médecin coordonnateur ou de l’infirmière coordinatrice, cela révèle immédiatement un problème. Ces éléments peuvent être identifiés sans nécessité de visite sur place. À partir de ces constats, nos équipes d’inspection et de contrôle déterminent, sous la validation du directeur général, si une visite sur site est nécessaire.
À mon arrivée, j’ai créé une véritable direction de l’inspection et du contrôle, regroupant tous les aspects du service rendu à l’usager. Cette direction englobe la démocratie sanitaire, la gestion des événements indésirables graves, la qualité, les affaires juridiques et le traitement des réclamations. Cette centralisation permet une meilleure objectivation des situations nécessitant une intervention sur site.
L’Occitanie compte 820 Ehpad. Nos inspections et contrôles sont menés conjointement avec les conseils départementaux, car il s’agit d’une compétence partagée. Parmi les 20 établissements sanctionnés que vous avez mentionnés, trois étaient sous ma juridiction. Il s’agissait d’établissements communaux dont la gouvernance ne permettait plus un fonctionnement adéquat. Dans ces cas, nous avons décidé, en collaboration avec les maires concernés, de transférer les autorisations à d’autres partenaires pour redresser la situation. Ainsi, nous avons évité la fermeture tout en assurant une reprise en main efficace. J’ai personnellement suivi ces dossiers, constatant sur place l’amélioration du fonctionnement après quelques mois.
Notre approche de l’inspection-contrôle s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue de la qualité de prise en charge. Cela concerne non seulement les Ehpad, mais s’étend également au secteur du handicap, notamment pour les enfants en institution. Bien que des actions aient déjà été menées, nous devons anticiper davantage.
En termes de moyens, j’ai fixé comme objectif à chacun de nos 200 inspecteurs de réaliser au minimum trois inspections par an. Auparavant, ce n’était pas systématiquement le cas. Cela représente donc un total de 600 inspections annuelles sur l’ensemble de nos champs de compétences.
Notre périmètre comprend 820 Ehpad, plus de 1 000 structures pour personnes en situation de handicap, environ 500 établissements de santé, sans compter les nombreux services de santé, d’environnement et autres. Face à ce volume considérable, une inspection exhaustive s’avère impossible. Cependant, cela ne signifie nullement une inaction de notre part. Nous établissons des programmes d’inspection et de contrôle en collaboration avec d’autres services étatiques, l’assurance maladie et les conseils départementaux. Cette mutualisation de nos forces nous permet de détecter efficacement les dysfonctionnements.
Il convient de saluer l’excellent travail accompli par la grande majorité des personnels de santé. Nous constatons quotidiennement que 99 % des structures fonctionnent de manière satisfaisante, voire exemplaire. Néanmoins, notre devoir est d’intervenir lorsque des problèmes surgissent. Nous nous engageons à garantir aux résidents et à leurs familles une prise en charge optimale. Cette mission d’inspection et de contrôle, fondamentalement régalienne, constitue une priorité absolue pour l’ensemble de nos agences.
M. Yann Bubien. Le rapport de la Cour des comptes est exact. Il fait état d’une répartition 80/20 entre les contrôles sur pièces et les contrôles sur place. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous affichons un bilan légèrement supérieur avec 25 % de contrôles sur place et 75 % sur pièces. Bien que nous n’ayons pas pu inspecter physiquement tous les établissements, faute de moyens suffisants, l’intégralité des 600 Ehpad de notre région a fait l’objet d’un contrôle, que ce soit sur place ou sur pièces.
Nos actions de contrôle ont abouti à des sanctions concrètes. Nous avons notamment procédé à la fermeture de trois Ehpad, dont un récemment dans les Alpes-Maritimes. Une dizaine d’autres établissements ont été temporairement suspendus dans l’attente d’améliorations. Nos interventions sur place sont déclenchées en fonction des signalements reçus, qu’ils émanent d’usagers, d’élus, d’associations ou de professionnels de santé. Nous réagissons promptement à ces alertes.
J’ai personnellement insisté auprès de mes équipes pour intensifier les inspections sur site. Tout signalement fait l’objet d’un contrôle immédiat. La fermeture d’un établissement, bien que parfois nécessaire, reste une décision difficile à prendre.
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Il convient d’insister sur l’importance de l’analyse de risque préalable. Dans notre région, comme dans d’autres, nous avons élaboré, en concertation avec les conseils départementaux, une grille d’analyse basée sur des critères partagés. Cette approche nous permet d’évaluer la criticité de chaque établissement et de déterminer la nature du contrôle à effectuer, sur pièces ou sur place.
Notre méthode ne repose donc pas sur une répartition arbitraire, mais sur une évaluation rigoureuse des déterminants et des critères de risque. En cas de criticité élevée, nous mobilisons conjointement les forces de l’ARS et des conseils départementaux pour mener une inspection sur site et prendre les mesures qui s’imposent. Cette analyse de risque partagée constitue le fondement de notre stratégie d’inspection.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez l’opportunité d’observer divers types d’établissements. Selon votre expérience, quel modèle de gouvernance vous semble le plus efficient parmi les établissements publics, les structures associatives et les cliniques privées ? Comment évaluez-vous leur efficacité respective en termes de compétences, de structure organisationnelle et d’autorité sur le personnel ?
M. Yann Bubien. Cette question de la gouvernance optimale nous occupe depuis des années, sans qu’une solution définitive n’ait émergé, chaque modèle présentant ses avantages et ses inconvénients. La France a fait le choix, en 1945, d’une grande diversité d’établissements. Notre système de santé englobe des établissements publics, avec une variété allant des centres hospitaliers aux CHU, des hôpitaux privés à but non lucratif, des centres de lutte contre le cancer, et des établissements privés à but lucratif. Cette diversité rend notre système de santé à la fois très complet et extrêmement complexe, ce qui constitue notre principal défi.
Cette approche diffère significativement de celle d’autres pays européens. Le Royaume-Uni, par exemple, a opté pour un système presque entièrement public, tandis que l’Allemagne et les pays nordiques privilégient le modèle privé à but non lucratif. La France, quant à elle, a choisi en 1945 de maintenir cette grande variété tout en garantissant un accès universel aux soins, quel que soit le type d’établissement, grâce à notre système de sécurité sociale.
Ayant dirigé des établissements publics, j’ai pu constater à la fois une certaine liberté d’organisation et des contraintes importantes, notamment en matière de marchés publics et de construction. La réalisation d’un projet hospitalier dans le secteur public prend généralement deux fois plus de temps que dans le privé, ce qui s’explique en partie par les contraintes liées à l’utilisation de fonds publics.
Dans ma jeunesse, je défendais un modèle mixte, proche de celui des établissements privés à but non lucratif, similaire à ce que l’on trouve en Allemagne ou dans les pays nordiques. Aujourd’hui, je constate que la force de notre système de santé réside dans la concurrence entre établissements, qui stimule l’excellence malgré certains inconvénients. En comparaison avec d’autres systèmes européens, notamment anglo-saxons, qui rencontrent actuellement des difficultés en termes de qualité des soins et d’accueil des patients, notre modèle présente des avantages certains.
Néanmoins, je ne saurais affirmer quel est le meilleur modèle. Les attentes des Français ont évolué, et il serait difficile de revenir à un système radicalement différent.
M. le président Jean-François Rousset. En définitive, le modèle le plus efficace est celui qui fonctionne de manière harmonieuse au sein d’un territoire donné.
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Il n’existe probablement pas de modèle unique, compte tenu de la diversité des territoires au sein de notre région et dans l’ensemble du pays. Cette variété justifie sans doute le choix d’une approche flexible, adoptée dès 1945. Concernant la gouvernance, particulièrement entre corps médical et direction d’établissement, mon expérience montre que l’efficacité repose sur un véritable alignement et une coopération étroite entre le président de la commission médicale d’établissement (CME) et le directeur. Sans projet médical partagé, le fonctionnement est compromis. Cette synergie est cruciale dans tous les types d’établissements, qu’ils soient publics ou privés, et doit s’adapter aux spécificités territoriales. Bien que je ne puisse définir un modèle idéal, j’estime que cette collaboration entre direction et dynamique médicale, fondée sur un projet médico-soignant partagé, constitue un prérequis fondamental pour tout projet hospitalier. Force est de constater que nous n’avons pas encore pleinement atteint cet objectif.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour conclure, j’aimerais revenir sur la question des hôpitaux privés et publics, de la permanence des soins, et du rôle de l’ARS dans sa mise en œuvre. Il serait pertinent d’encourager une plus grande prise en charge des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S) par les établissements privés. Sans les accabler, force est de constater qu’ils n’accueillent pas majoritairement cette population, contrairement à l’hôpital public qui assume pleinement cette mission.
Il convient de rappeler que nous vivons en démocratie, et non en « administrocratie ». Ce sont le peuple et ses représentants élus qui doivent orienter les politiques, quelle que soit l’échelle de la collectivité. Comme vous l’avez justement souligné, et je vous en remercie, cette approche devrait être la norme partout. Nous avons peut-être laissé cette logique s’éroder ces dernières années, mais elle reste fondamentale dans toute démocratie digne de ce nom.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je suis étonnée par votre discours. Votre mission est de mettre en œuvre la politique de santé, et vous vous référez beaucoup à 1945. Or, il y a trente ans, notre système de santé publique était l’un des meilleurs au monde. Aujourd’hui, nos hôpitaux sont dans un état déplorable, les services d’urgence sont régulés en permanence, et tous les services de soins sont en souffrance. Je m’étonne que vous ne sonniez pas l’alarme sur cette situation critique, car je suppose que vous êtes informé par les différents services. Quelle est votre position face à cette dégradation ?
M. Didier Jaffre. Votre perception d’une dégradation du système de santé publique, et peut-être même privé, depuis trente ans est compréhensible. C’est d’ailleurs la raison d’être de cette commission d’enquête, face au constat d’un accès aux soins qui se détériore partout. Cependant, je ne partage pas l’idée que tout va bien, ni que tout va mal. Il y a toujours plusieurs façons d’appréhender une situation.
Certes, nous faisons face à un défi majeur de démographie médicale et soignante. Il est impératif de revaloriser l’ensemble des métiers de la santé, de fidéliser les professionnels actuels et d’attirer les jeunes vers ces carrières. Dans ma région, par exemple, nous avons mis en place, en collaboration avec les recteurs, des options santé dans les lycées dès la seconde ou la première. Cette initiative vise à faire découvrir les métiers de la santé aux jeunes, particulièrement dans les zones en pénurie de professionnels, et à les préparer aux différents concours.
L’attractivité de nos métiers reste un enjeu, même si nous commençons à observer des signes positifs. Certains établissements recommencent à recruter et à combler leurs postes vacants. J’ai pour principe qu’il vaut mieux avoir trop de personnel que pas assez, car le manque d’effectifs engendre absentéisme, surcharge de travail pour ceux qui restent, et recours coûteux à l’intérim.
Notre priorité est de recruter pour rouvrir les lits fermés faute de personnel, comme c’est le cas à Saint-Affrique. Nous manquons de médecins, d’infirmiers et d’aides-soignants dans certaines zones. Pour attirer ces professionnels, il faut rendre ces métiers attrayants.
Contrairement à ce que vous suggérez, je ne crois pas que le secteur de la santé se soit dégradé. Nous observons quotidiennement des prouesses médicales et chirurgicales. Nous investissons dans nos établissements pour offrir des conditions dignes du 21e siècle. Je ne suis pas convaincu que la situation était meilleure il y a trente ans. Aujourd’hui, nous diagnostiquons des maladies qui étaient inconnues il y a trois décennies. Nous permettons à nos concitoyens de vivre plus longtemps en meilleure santé. Notre système a démontré sa résilience, notamment lors de la crise du Covid-19, où la France a su répondre efficacement aux défis sanitaires.
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de difficultés. Chaque région connaît des situations plus ou moins complexes en termes d’attractivité. Le rôle de l’ARS est d’accompagner les établissements en difficulté, de soutenir les directions, les CME et les élus pour rendre ces structures à nouveau attractives et performantes.
Je suis convaincu que nous devons être vigilants quant aux messages que nous véhiculons concernant notre système de santé. Si nous nous contentons de manifester pour dénoncer les dysfonctionnements de l’hôpital sans mettre en avant ses aspects positifs, nous risquons de décourager les potentielles recrues. Il est crucial que même les directeurs généraux d’ARS évitent de dresser un tableau uniquement négatif de la situation. Notre objectif doit être de rendre les métiers de la santé attractifs, car ce sont des professions profondément humaines et parmi les plus nobles qui soient.
Il est impératif de valoriser ce qui fonctionne bien dans notre système de santé. Bien que nous soyons pleinement conscients des difficultés existantes, il est tout aussi important de mettre en lumière les réussites. Dans le domaine des soins primaires, par exemple, nous assistons à des initiatives remarquables de professionnels qui se mobilisent pour créer des maisons et des centres de santé. Notre rôle est de les soutenir, et les résultats sont probants. En Occitanie, j’ai pu constater la satisfaction des professionnels impliqués dans les 350 maisons de santé pluriprofessionnelles que compte la région.
Notre mission consiste également à valoriser ces réalisations. Lorsque nous rencontrons un professionnel de santé, il est essentiel de l’écouter et de reconnaître la valeur de son métier. Notre système de santé tire sa richesse de l’ensemble de ses spécificités, voire de ses complexités. Malgré ses défis, il reste un modèle envié par de nombreux pays. À titre d’exemple, nos partenariats transfrontaliers avec l’Espagne démontrent l’efficacité de notre système.
Nos centres hospitaliers universitaires, notre recherche et notre capacité d’innovation sont des atouts majeurs. En comparant objectivement la situation actuelle à celle d’il y a trente ans, force est de constater que nous avons réalisé des progrès considérables. Loin de régresser, notre système de santé a fait un bond en avant remarquable.
M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie sincèrement pour le temps que vous nous avez consacré et pour la richesse des informations que vous nous avez apportées. Vos explications ont mis en lumière l’ampleur de la tâche qui vous incombe dans la gestion de ces grandes régions sanitaires.
La séance s’achève à dix-huit heures quarante-cinq.
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Présents. - M. Laurent Alexandre, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Murielle Lepvraud, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset, M. Lionel Tivoli
Excusée. - Mme Sylvie Bonnet