Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Table ronde, ouverte à la presse, sur « le parcours périnatal » réunissant : le Dr Margaux CREUTZ LEROY, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP), Mme Caroline COMBOT, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), le Dr Bertrand LACROIX DE VIMEUR DE ROCHAMBEAU, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France et M. Antony CORTES, journaliste à l’Humanité et coauteur du livre « 4,1. le scandale des accouchements en France ». 2
– Présences en réunion............................21
Jeudi
22 mai 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons nos travaux par une table ronde consacrée au parcours périnatal. L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi visant à lutter contre la mortalité infantile. Notre commission s’inscrit, quant à elle, dans une démarche plus large et plus systémique englobant tous les aspects du système de santé et de l’accès aux soins.
Mesdames, monsieur – le docteur Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau nous rejoindra ultérieurement –, avant de vous donner la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Margaux Creutz Leroy, Mme Caroline Combot et M. Antony Cortes prêtent successivement serment.)
Mme Margaux Creutz Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP). Pour la FFRSP, qui représente les dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité, les principaux enjeux sont au nombre de trois : la révision des décrets de périnatalité, qui datent de 1998, la réorganisation de l’offre de soins et la diminution de la mortalité périnatale. La périnatalité est une question d’actualité : elle fait l’objet d’un livre récent, dont l’auteur est présent parmi nous, ainsi que de nombreux rapports émanant tant de sociétés savantes que de l’Académie de médecine ou, pour le dernier en date, du Sénat et d’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui est en cours.
Je ne m’attarderai pas sur la révision des décrets.
La réorganisation de l’offre de soins, qui est actuellement en grande difficulté, doit faire l’objet d’un travail de fond car les modes d’exercice ont changé. Désormais, les professionnels de santé souhaitent exercer dans la sécurité, au sein d’équipes stables, complètes et compétentes, effectuer un nombre de gardes acceptable et être assurés de bénéficier du repos de sécurité. Or ce n’est plus le cas partout : de nombreux plateaux techniques de naissance ne sont plus sûrs, ce qui accroît, du reste, les inégalités territoriales d’accès aux soins et les inégalités sociales en matière de santé. De fait, lorsque l’équipe d’une maternité est instable et recourt aux intérimaires, le nombre des accouchements pratiqués dans cette maternité baisse et sa part de marché diminue. Les familles qui ont accès à ces informations préfèrent alors se rendre dans un établissement plus sûr, quitte à faire un trajet de trois quarts d’heure ou d’une heure, tandis que les familles les plus défavorisées continuent de recourir à ces équipes moins stables.
On observe également des fermetures de maternité non choisies et non anticipées. Soit la maternité concernée est isolée et sa disparition crée un désert médical, soit il s’agit d’une maternité de référence, de type 2 ou 3, et les patientes sont mises en danger du fait de la perte de cette expertise. Par ailleurs, selon une enquête de la FFRSP, en deux ans, 43 établissements, sur 468 maternités, ont suspendu leurs activités de maternité ou de néonatologie, à une ou à plusieurs reprises. Il s’agit, dans la majorité des cas, de maternités de type 1 – sans néonatologie – mais aussi de type 2A, 2B et 3. L’ensemble du territoire est touché, à l’exception du réseau de la région Normandie et de ceux de Mayotte, de la Guyane et de la Guadeloupe, qui sont cependant des territoires très spécifiques. Le nombre de naissances annuelles dans les maternités concernées, compris entre 121 et 2 800, est en moyenne de 797 – il ne s’agit donc pas de petits établissements – et la durée de la suspension, comprise entre 1 et 426 jours, est en moyenne de 33 jours, ce qui est long.
On recense, en outre, 19 fermetures définitives, soit 4 % des établissements. Elles concernent essentiellement des maternités de type 1 – quatre d’entre elles sont de type 2A –, qui sont également plus petites puisqu’on y réalisait 42 à 949 accouchements par an, soit une moyenne de 400.
Les suspensions sont majoritairement dues à un tableau de garde incomplet, faute de médecins ou de sages-femmes en nombre suffisant. On relève également quelques fusions d’établissements, mais c’est un phénomène marginal.
S’agissant de la mortalité périnatale, il est intéressant de noter que la moitié des nouveau-nés décèdent entre leur premier et leur vingt-septième jour. Les décès ont des causes multiples. Ils peuvent résulter, d’abord, de facteurs sociaux et démographiques, mais ceux-ci existent également dans les autres pays européens, et nous figurons parmi les derniers du classement. Ils peuvent s’expliquer également par la baisse du nombre des interruptions médicales de grossesse. Toutefois, d’autres pays européens ont connu la même évolution et sont néanmoins parvenus à faire baisser la mortinatalité. C’est pourquoi nous estimons, avec d’autres sociétés savantes telles que la Société française de néonatologie (SFN) et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), que la dégradation de l’offre de soins est la première cause de l’augmentation de la mortalité infantile.
Pour la faire diminuer, il est donc essentiel d’analyser les pratiques, afin de les améliorer, et les facteurs qualitatifs qui peuvent expliquer ces décès. Notre fédération s’est beaucoup intéressée aux cas des bébés nés à terme ou proches du terme. Dans ce cas, il s’agit d’événements indésirables graves. Il est donc primordial d’améliorer les pratiques ; c’est la mission que nous remplissons au sein des réseaux.
Pour remédier à ces problèmes, nous croyons beaucoup à la réalisation de diagnostics territoriaux partagés avec les agences régionales de santé (ARS), les réseaux et les politiques. Ces diagnostics permettraient d’établir les véritables besoins du territoire, d’identifier les solutions possibles, en gardant en tête les indicateurs de périnatalité, et de sécuriser les maternités essentielles. En effet, nous ne croyons pas aux seuils : une maternité doit fermer, non pas parce qu’elle réalise peu d’accouchements, mais parce que la sécurité des femmes et des enfants n’y est plus assurée, faute d’une équipe pluriprofessionnelle stable et compétente.
Une femme doit être suivie tout au long de sa vie par des professionnels de proximité exerçant en ville ou à l’hôpital ou par la protection maternelle et infantile (PMI). Une femme accouche en moyenne une à deux fois au cours de sa vie ; elle doit bénéficier, à cette occasion, d’un plateau technique sécurisé et être prise en charge par une équipe stable et compétente, dont les membres savent travailler ensemble et ont accès aux produits sanguins labiles, à la réanimation, à l’imagerie… Nous croyons donc aux équipes médicales hospitalières uniques de territoire, qui permettront d’assurer ce suivi de proximité et de sécuriser l’accouchement grâce à un plateau technique, même s’il est isolé.
Il est également urgent de développer la coordination des parcours par les sages-femmes référentes – la loi a été adoptée, mais cela ne se pratique pas encore beaucoup. Notre rapport consacré à l’analyse de la mortalité périnatale comporte des recommandations qu’il nous paraît essentiel de suivre.
Enfin, beaucoup de femmes se trouvent dans une situation de vulnérabilité médicale ou psychosociale ; elles doivent absolument être prises en charge de manière adaptée, car une femme en difficulté a besoin de consultations plus longues, plus nombreuses, et ses séjours sont plus longs. Or ce temps n’est pas valorisé financièrement, de sorte que la gradation des soins n’est pas toujours respectée.
L’offre d’accompagnement à domicile doit être développée, dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD), de la PMI ou du projet article 51 CoPa (coaching parental), qui vise à offrir à toutes les femmes un accompagnement à domicile par une auxiliaire de puériculture hospitalière à domicile.
Il convient enfin de valoriser les actions de prévention, de promotion et d’éducation à la santé, de renforcer le « aller vers », notamment dans les contextes d’addiction et de précarité, et de développer la littératie en santé car on ne communique pas de manière suffisamment adaptée en direction des populations les plus vulnérables.
Mme Caroline Combot, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). Je concentrerai mon propos sur la profession de sage-femme, qui a considérablement évolué au cours des dernières années. En effet, l’exercice hospitalier, d’abord majoritaire, diminue progressivement au profit de la ville, au point que la répartition territoriale des sages-femmes permettrait d’appliquer les préconisations des schémas régionaux de prévention (SRP) grâce à une prise en charge de proximité.
Il est actuellement difficile pour les établissements de recruter des sages-femmes. En outre, lorsqu’une maternité ferme, on n’observe pas forcément un transfert de son personnel vers l’établissement qui accueillera les futures naissances, lequel se retrouve, pour cette raison, dans une situation encore plus délicate : la charge de travail de ses équipes s’accroît, ce qui peut conduire à un défaut ou à un retard de prise en charge. Le ratio du nombre de professionnels rapporté à celui des naissances est en effet très inférieur en France à ce qu’il est dans d’autres pays d’Europe, où il est d’une sage-femme pour une femme. Or cette situation incite de nombreuses praticiennes à quitter les structures hospitalières : selon une enquête menée par notre syndicat l’an dernier, le départ d’un établissement est moins lié à la rémunération qu’à la qualité de la prise en charge des patientes.
Par ailleurs, nous avons besoin d’un réseau solide en ville pour faciliter la prise en charge de proximité, à savoir le suivi anténatal et postnatal par un professionnel qui connaît parfaitement le couple et la situation et peut intervenir aux côtés de la PMI notamment.
Le problème de l’exercice hospitalier tient à son manque d’attractivité. C’est pourquoi nous prônons, depuis plus de vingt ans, un changement du statut des sages-femmes hospitalières, qui sont fonctionnaires, afin de leur permettre d’avoir une activité mixte, libérale et hospitalière, pour laquelle elles manifestent une appétence. De même, beaucoup de celles qui ont une activité libérale après avoir exercé à l’hôpital regrettent de ne plus pouvoir assurer des gardes dans les établissements publics alors qu’elles peuvent le faire dans les établissements privés – c’est une pratique courante. Les y autoriser permettrait de remédier en partie au problème du manque de personnels.
Quant à la révision des décrets de périnatalité, qui est un enjeu majeur, nous y avons travaillé avec des médecins notamment. On a ainsi proposé d’augmenter le ratio soignants-patients mais, dans une période de pénurie d’effectifs, une telle augmentation pourrait mettre les établissements en difficulté. Toutefois, selon le Conseil national de l’ordre des sages-femmes, 70 % d’entre elles devraient avoir un exercice libéral dans les vingt à trente années à venir. De fait, pour nous, la prise en charge doit se faire le plus possible en ville par les personnels compétents de proximité, l’activité technique étant réservée aux plateaux sécurisés.
La typologie des naissances et de l’organisation des prises en charge a évolué du fait d’une réduction importante des durées de séjour. Or les sages-femmes disposent des outils conventionnels pour prendre en charge des femmes qui accoucheraient en ambulatoire. En effet, certaines patientes demandent un retour très précoce à domicile. Des expérimentations ont été menées ; il nous faut encore sécuriser le dispositif, mais cette pratique peut être envisagée pour diminuer les coûts.
Enfin, vous avez sans doute suivi la fermeture de la maternité d’Autun, qui a provoqué d’importants problèmes d’organisation. Une Smur (structure mobile d’urgence et de réanimation) obstétricale a été créée, qui mobilise des équipes vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; elle répond à un véritable besoin mais son coût est considérable. Nous proposons donc que certaines sages-femmes soient correspondantes du Samu : elles seraient formées à une prise en charge de proximité en collaboration avec les équipes pour transporter les patientes vers les plateaux techniques sécurisés, de façon à adapter la qualité de l’intervention aux besoins dès la prise en charge à domicile.
M. Antony Cortes, journaliste à L’Humanité et coauteur du livre 4,1. Le scandale des accouchements en France. Je tiens, tout d’abord, à saluer le docteur Creutz Leroy, Mme Combot et le docteur Lacroix de Vimeur de Rochambeau, qui nous alertent depuis de nombreuses années sur la dégradation de la situation des maternités et de la mortalité infantile. Pourtant, leur action a, hélas, provoqué moins de réactions dans le monde politique que la publication de notre livre. Il faut croire que le battage médiatique est bien plus audible que les alertes quotidiennes ; je m’en désole.
Le projet du livre que j’ai écrit avec Sébastien Leurquin est né d’un constat. Lorsque nous avons commencé notre enquête, à l’été 2023, le taux de mortalité infantile était de 3,9 décès pour 1 000 naissances, soit près de 2 700 bébés morts avant leur premier anniversaire. Il est désormais de 4,1 pour 1 000, et devrait, hélas, continuer d’augmenter. Nous avons donc voulu nous pencher sur les raisons structurelles de ce phénomène car, dans le monde médiatique et politique, on mettait surtout en avant des causes individuelles, liées à la santé des femmes, à leur âge, parfois à leurs addictions. Les questions du financement des établissements, des moyens et des conditions de travail du personnel hospitalier ainsi que le choix de fermer des maternités étaient totalement ignorés.
Or le fait est qu’en l’espace de cinquante ans, 75 % des maternités ont fermé. Nous n’affirmons pas que ce fait explique tout, mais c’est un point de départ. Ce mouvement de fermeture a été amorcé dans les années 1970, d’abord pour de bonnes raisons : il fallait élever les standards de sécurité. Cette politique a produit des résultats : le taux de mortalité, qui était de 18 pour 1 000 dans les années 1970, a été ramené à 9 pour 1 000 en 1998-1999. Mais on est allé beaucoup trop loin : à partir de 1998, on a appliqué une logique de seuil, en décidant de fermer les maternités pratiquant moins de 300 accouchements par an. On a, de ce fait, créé des déserts. Actuellement, 900 000 femmes en âge de procréer vivent à plus de trente minutes d’une maternité et le nombre de celles qui se trouvent à plus de quarante-cinq minutes d’un tel établissement a bondi de 40 % depuis le début des années 2000. En outre, cette évolution a entraîné un afflux vers les structures plus importantes. Celles-ci sont surchargées et leurs personnels, sous pression, dénoncent des cadences infernales et parlent de leurs établissements comme d’usines à bébés.
Nous nous retrouvons donc dans un entre-deux mortifère : d’un côté, des déserts provoqués par la fermeture des petites maternités et, de l’autre, de grandes structures inspirées du modèle suédois où se produisent pourtant des incidents.
On relève, par ailleurs, des problèmes de fonctionnement, des difficultés de recrutement et un recours massif à l’intérim qui met en péril les finances des plus petites maternités. Or les réponses politiques ne sont pas à la hauteur. La loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, a tenté de proposer des solutions, mais son application a été suspendue par le Conseil d’État, ce qui démontre qu’elle a été mal conçue.
Il convient de souligner également le rôle du secteur privé – peut-être y reviendrons-nous –, qui est un véritable impensé : il est totalement absent du débat politique et médiatique. Pourtant, dans ce secteur, on préfère, considérant que la maternité n’est pas assez rentable – en raison de la tarification à l’acte (T2A) –, fermer les petites structures pour privilégier des actes chirurgicaux qui le sont beaucoup plus, si bien qu’on ne compte plus que 107 maternités privées. Ces décisions contribuent à la désertification car les maternités qui ferment sont situées, pour la plupart, en zone rurale.
Enfin, je souhaite avoir un mot pour les parents endeuillés. S’il est évidemment beaucoup question, dans notre livre, du personnel soignant, en particulier des sages-femmes, qui tiennent les maternités à bout de bras, on ne parle pas suffisamment des parents. Le deuil périnatal, n’est, hélas, pas du tout reconnu. Dans ce domaine aussi, on observe des inégalités flagrantes : les structures sont en nombre insuffisant et les associations ont peu de moyens. Nos choix, nos abandons ont des conséquences : 2 800 bébés perdent la vie chaque année et autant de familles voient leur destin fracassé.
M. le président Jean-François Rousset. Docteur Lacroix de Vimeur de Rochambeau, nous vous souhaitons la bienvenue. Je dois vous demander, avant de vous donner la parole, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau prête serment.)
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France. Le syndicat que je représente est le seul syndicat représentatif de la spécialité de gynécologie-obstétrique, dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Pour comprendre la situation actuelle, il faut en faire l’historique. En 1990, lorsque je me suis installé, les enfants naissaient pour moitié à l’hôpital public, pour moitié dans les maternités privées. En 2024, selon les chiffres de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 82 % des naissances ont eu lieu à l’hôpital public. L’évolution de cette répartition est concomitante de la baisse du nombre de maternités.
Ce n’est pas nouveau : la désertification médicale est la conséquence d’un choix du législateur, qui, année après année, vote un budget de la santé qui contraint nos établissements à pratiquer la politique du rabot. À cet égard, le seuil des 1 000 accouchements annuels, longtemps considéré comme un totem, est en fait un seuil financier. En 1998, dès la publication du décret qui régit encore nos établissements, il a été calculé qu’au-delà de ce seuil, on pouvait rentrer dans ses frais : la maternité ne perdait pas d’argent et ne plombait donc pas les finances de l’établissement, qu’il soit privé ou public. Mais on ne gère pas les déficits de la même manière dans l’un et l’autre secteur : dans l’hôpital public, on creuse le déficit des comptes sociaux ; dans l’hôpital privé, on revoit les exigences à la baisse et, si ce n’est décidément pas viable, on finit par fermer l’établissement.
Cette politique du rabot explique la disparition progressive des maternités : dans le silence lorsque la décision concerne un établissement privé, en provoquant des manifestations d’élus locaux lorsqu’il s’agit d’un établissement public. De fait, il est difficile de fermer une maternité publique, car la représentation nationale se sent menacée. Pourtant, les conditions financières et l’organisation ne changent pas : notre activité est toujours régie par un décret datant de 1998.
Ce décret détermine les conditions dans lesquelles une maternité est autorisée à exercer son activité. Cette activité soumise à autorisation est la seule dont la réglementation n’a pas été revue depuis 1998 ! Les professions concernées – sages-femmes, pédiatres, gynécologues, anesthésistes… –, qui constatent depuis de nombreuses années des dysfonctionnements, ont longtemps discuté avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour que ce décret soit modifié et réponde aux attentes sociétales des patientes. Le texte est prêt depuis 2018, mais les négociations se sont arrêtées : à la crise du covid, a succédé l’instabilité politique que nous connaissons actuellement.
Encore une fois, les décrets régissant les activités soumises à autorisation ont tous été publiés, sauf celui concernant la maternité, dont la publication a été reportée sine die. Nous devons donc nous organiser selon un modèle issu de la croissance épidémiologique, alors que la natalité baisse et que les résultats périnataux se dégradent. C’est terrible !
Au cours des derniers mois, sept ministres différents se sont succédé. Notre syndicat a rencontré chacun d’entre eux, que j’ai alerté sur la nécessité de revoir le décret de 1998. Le blocage est dû au fait que nos demandes de réorganisation pour une maternité digne de 2025 coûtent de l’argent. Or, je ne vous fais pas un dessin, les déficits des comptes sociaux sont tels que la maternité n’est clairement pas une priorité. Je ne peux pas penser autre chose : on nous dit que ce n’est pas d’actualité. La situation actuelle, nous l’avons créée.
Ce n’est pas une question de seuil. La demande des patientes suppose, comme cela a été dit, que l’on respecte le ratio d’une sage-femme pour une maman, dans le privé comme dans le public. Or on est incapable de le financer. À l’heure actuelle, si une maternité dans laquelle le ratio est d’une sage-femme pour quatre patientes ne parvient pas à réaliser 1 000 naissances par an, son déficit se creuse. Il faut donc revoir l’ensemble du système, et c’est le rôle du gouvernement, stimulé par le législateur. Les textes sont prêts.
Le désert médical en périnatalité est terrible : 20 départements n’ont plus de maternité privée et 60 ont des maternités qui réalisent moins de 1 000 accouchements par an – certaines, qui en font moins de 400, vont disparaître dans les 5 ans, même si on établit un moratoire. Ce dernier figera la situation qui nous a conduits à ces mauvais résultats.
Les accidents surviennent dans ces maternités en raison d’un défaut de ressources humaines, qui concerne tant les sages-femmes que les médecins gynécologues-obstétriciens qualifiés, les anesthésistes et les pédiatres. Ces derniers sont le maillon faible de la chaîne. Quelle maman accepterait qu’à la naissance, son enfant, qui n’est pas forcément en très bon état, ne soit pas vu par un pédiatre ? Or, parfois, il n’y en a pas sur place. Lorsqu’un pédiatre exerce en ville, il est compliqué pour lui de se déplacer à toute heure du jour et de la nuit. Dans tous ces établissements, ne vous leurrez pas, il n’y a plus de pédiatres. Réanimer un enfant, lui apporter les soins grâce auxquels on a atteint ce niveau d’excellence quand on disposait des ressources humaines nécessaires, cela exige des médecins spécialisés et entraînés.
C’est à ce titre que le seuil de 300 accouchements – soit moins d’un accouchement par jour – est critique. Comment voulez-vous qu’une équipe soit performante vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept si elle effectue moins d’un acte par jour ? Comment peut-elle, dans ces conditions, s’entraîner sur des cas difficiles ? Il faut revoir notre organisation et faire de ces petites structures, situées au plus près de la population, des centres de suivi et de consultation composés de sages-femmes et de médecins qui consultent, surveillent, orientent les grossesses à risque vers les centres équipés.
Il ne faut toutefois pas s’illusionner : dans une grande partie des départements, un seul centre sera capable de subvenir à tous les besoins vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons en effet de grands départements et des moyens de transport parfois limités. C’est un dispositif qu’il faut imaginer, à l’instar de ce qu’on fait la Finlande et la Suède, qui connaissent des conditions de transport délicates une grande partie de l’année. Ils n’ont pas bâti cette organisation à coups de rabot : ils l’ont créée en faisant en sorte que les patients puissent être dirigés grâce à des moyens de transport adaptés.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Cortes, nous n’avons pas attendu le battage médiatique pour nous pencher sur cette question. La commission d’enquête avait en effet commencé ses travaux au cours de la législature précédente ; la dissolution nous a contraints de l’arrêter mais mon groupe a unanimement accepté de la recréer. Les députés ici présents sont en relation quasi quotidienne avec les forces vives de nos hôpitaux et avec nos médecins de ville. C’est une question qui nous concerne tous car les premières victimes en sont nos concitoyens.
S’agissant de l’intérim, les dispositions de la loi Rist restent en vigueur ; le Conseil d’État a simplement précisé des éléments de procédure. Les dispositions de la loi ont, à l’origine, engendré quelques problèmes – je pense en particulier aux services d’urgence – mais la gronde des médecins s’apaise quelque peu. La situation demeure très tendue mais c’est un peu moins le fait de la loi. Pour un hôpital, le fait de recruter quelqu’un au treizième échelon au titre du motif 2 coûte tout aussi cher, voire plus cher, que de recourir à un intérim. Il faudra sans doute aussi fixer ce cadre de manière un peu plus stricte.
On manque de professionnels dans tous les secteurs. En raison de la création du numerus clausus dans les années 1980, on a formé moins de 4 000 médecins par an pendant vingt ans, soit un nombre plus faible que dans les années 1970. Le numerus clausus est le fruit de la volonté commune des syndicats de médecins et des élus de l’époque : la responsabilité en est donc partagée.
On devrait être amené à fermer des maternités en raison du manque de professionnels, notamment de pédiatres et de gynécologues. Toutefois, le nombre d’étudiants est reparti à la hausse : on en compte 12 000 cette année. Par ailleurs, les maternités que l’on fermera ne rouvriront probablement pas. Dès lors, la question est de savoir quel équilibre trouver. Faut-il travailler au sein de ces maternités dans des conditions tendues ou vaut-il mieux les fermer, au risque qu’elles ne rouvrent pas ? La disparition de ces structures accentuerait, à long terme, la désertification médicale, que l’on espère réduire au cours des prochaines années.
Serait-il envisageable d’accroître encore les compétences des sages-femmes – qui font partie du personnel médical et ont fait six ans d’études – pour pallier le manque de pédiatres et de gynécologues ? On pourrait également parler des infirmières puéricultrices. Pourrait-on concevoir des formations en ce sens ?
Mme Caroline Combot. Les sages-femmes disposent déjà des compétences. En premier lieu, nous assurons le suivi de la grossesse. On parle toujours du suivi physiologique mais nous continuons à accompagner les patientes lorsque la grossesse n’est plus physiologique – autrement dit, lorsqu’un problème survient – en collaboration avec les spécialistes de la pathologie que sont les gynécologues-obstétriciens.
Au-delà de ce suivi, le champ de nos compétences s’est largement étendu à la santé génésique de la femme, plus précisément au suivi gynécologique de prévention et à la contraception, depuis 2009, et à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse, depuis 2016. Par ailleurs, depuis l’année dernière, les sages-femmes hospitalières peuvent pratiquer des IVG chirurgicales au sein des établissements. En outre, nous prenons en charge la réanimation du nouveau-né en salle de naissance dans l’attente du pédiatre. Nous assurons également le suivi du nouveau-né lors des visites au domicile ; nous effectuons des consultations et des examens cliniques complets du nouveau-né et de la maman. En revanche, nous n’avons pas le droit de signer le certificat de santé du huitième jour ni de faire la visite du quinzième jour dans les territoires où il manque des médecins généralistes et des pédiatres ; c’est une question sur laquelle on pourrait éventuellement avancer.
Ainsi notre domaine de compétences va-t-il de la très jeune fille à la ménopause et au-delà, en passant par la naissance et la prise en charge du nouveau-né. C’est un champ très large et très complet, qui n’est pas toujours connu : chaque jour, des patientes découvrent nos compétences en gynécologie. Nous ne demandons pas plus pour le moment.
Notre travail n’est pas de pallier l’absence des gynécologues-obstétriciens. Nous travaillons en collaboration avec eux. Nous suivons dans un premier temps, en toute autonomie, le déroulé de la grossesse, qui se passe bien dans 70 % des cas, heureusement. En cas de pathologie, nous avons besoin des médecins spécialisés en chirurgie gynécologique et obstétricale. Nous travaillons ensemble. Je ne vois pas comment nous pourrions aller gratter sur leur ligne : ce n’est pas absolument pas la volonté de la profession. Au contraire, nous souhaitons que les choses soient bien organisées et clairement définies.
Les femmes ont la liberté, dans notre pays, d’être suivies par différents types de professionnels de santé, qu’il s’agisse de sages-femmes, de médecins généralistes ou de gynécologues-obstétriciens. Il n’y a pas forcément de gradation des soins. Dans certains territoires, des consœurs regrettent parfois que des grossesses qui se passent particulièrement bien ne soient pas suivies par les bonnes personnes et que des grossesses pathologiques soient suivies par les mauvaises personnes. Il faut réécrire les textes et réorganiser cela. La profession a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour essayer de mettre les choses à plat.
Mme Margaux Creutz Leroy. Le collège des gynécologues a travaillé sur la question de la démographie des professionnels. On compte de plus en plus d’internes de gynécologie-obstétrique, depuis quelques années. Les jeunes médecins veulent majoritairement travailler en équipe dans des maternités de type 2 ou 3, au moins, du fait de la distinction réglementaire entre garde et astreinte. Beaucoup de jeunes professionnels ne veulent plus être d’astreinte et demandent à assurer des gardes sur place pour sécuriser le parcours des patientes. En effet, lorsque vous êtes d’astreinte et que l’on vous appelle parce qu’un accouchement se passe mal, il vous faut dix, quinze ou vingt minutes pour arriver dans l’établissement, ce qui peut être fatal. En revanche, si vous êtes de garde sur place et bénéficiez de la présence de l’anesthésiste et du pédiatre, c’est très sécurisant, tant pour le professionnel que pour la patiente.
Je ne suis pas sûre que le nombre de professionnels constitue le principal enjeu. Les données du problème résident plutôt dans le virage sociétal du mode d’exercice des médecins, qui veulent travailler dans un environnement sûr, ce qui implique des équipes complètes, des gardes sur place et un accès rapide à des produits sanguins labiles. En certains endroits, il est très difficile d’obtenir des plaquettes, ce qui, en cas de grosse hémorragie, placera la patiente, mais aussi le professionnel, en difficulté. Les médecins veulent également un accès à la réanimation maternelle et pouvoir compter sur un professionnel compétent en chirurgie obstétricale – car on peut parfois aller jusqu’à l’hystérectomie. Il faut renforcer l’attractivité du métier et la sécurité des prises en charge. Même si les gynécologues étaient plus nombreux, je ne suis donc pas sûre que cela résoudrait le problème : certaines maternités n’arriveraient pas à recruter des professionnels titulaires.
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La loi Rist, dont on peut penser ce que l’on veut, est contournée par les directeurs, qui arrivent à obtenir leurs remplaçants, leurs intérimaires en les finançant par d’autres moyens. J’ai été surpris par la vitesse à laquelle ils se sont adaptés.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. On est passé à des contrats motif 2.
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Exactement. L’intérim n’est pas la norme : c’est le début du mode dégradé. La norme, c’est une équipe de gens qualifiés au complet. Dans beaucoup de nos établissements publics, les gynécologues-obstétriciens qui assurent les gardes ne sont pas qualifiés : ils ne pourraient pas travailler, dans le privé, en leur nom propre. Ceux qui ont permis d’obtenir les bons résultats périnataux dans les années 1990 et 2000 sont devenus plus rares. On se contente de ce mode dégradé parce qu’on ne peut pas faire autrement ; lorsqu’on n’y arrive plus, on finit par fermer.
Les médecins ont poussé pour que l’on instaure le numerus clausus mais le drame est de l’avoir gardé trop longtemps. Or l’Assemblée nationale vote le budget. Chaque année, on devrait se poser la question. Voilà dix à quinze ans que nous alertons les pouvoirs publics. Il a fallu longtemps pour avoir le numerus apertus. C’est le cas à présent, mais on n’a plus les mêmes gynécologues-obstétriciens. On n’en a certes jamais formé autant, ce qui est positif, mais les études nous montrent que la durée moyenne de l’activité des jeunes en obstétrique, en salle de naissance – ce qui est le plus prenant et entraîne le plus de sujétions – est de dix ans. Pour ma part, lorsque j’ai commencé, je souhaitais faire de l’obstétrique pendant vingt ou trente ans. Pour former un gynécologue-obstétricien, il faut dix ans ; après avoir travaillé pendant dix ans en obstétrique, il va faire autre chose : de la chirurgie, de la PMA (procréation médicalement assistée), du diagnostic anténatal, etc. C’est parce qu’il a été très bien formé qu’il peut accomplir tous ces actes.
Les gynécologues-obstétriciens quittent la salle de naissance, qui est le cœur du métier, parce que les conditions qu’on leur réserve ne correspondent absolument plus à ce qu’ils espéraient ; de ce fait, on doit les remplacer à des postes de garde par des gens qu’on est parfois allé chercher très loin, qui n’ont ni notre formation, ni notre culture – on en est là. Cette situation est perverse. À l’heure actuelle, un gynécologue-obstétricien doit débourser en moyenne, chaque année, 30 000 euros au titre de la prime d’assurance responsabilité civile professionnelle : c’est une condition indispensable à l’exercice de la profession. Le renversement du système de la responsabilité civile remonte aux années 2000 ; il a été l’œuvre du législateur, en accord avec les assureurs. Résultat : dix confrères sont encore menacés de ruine du fait d’un trou assurantiel que le législateur n’a pas comblé. Il est difficile d’expliquer aux jeunes qu’ils devront verser, en moyenne, une prime de 30 000 euros alors que l’assurance maladie paie un accouchement 363 euros. Il faut réaliser un certain nombre d’accouchements ne serait-ce que pour payer sa prime, ce qui n’est pas tenable.
On a certes créé, conventionnellement, une aide au paiement de la prime, ce qui est astucieux. Toutefois, le législateur a posé des conditions qui ont pour effet d’empêcher ceux qui ont une activité modérée en obstétrique de percevoir l’aide, alors même qu’ils paient leur prime d’assurance plein pot. Pour l’assureur, en effet, on doit s’acquitter de la prime dès le premier accouchement. Les gens de ma génération ne sont plus incités à rester ; ils n’entendent pas continuer à exercer dans ces conditions. On essaie de faire changer ce très mauvais accueil, mais rien n’est fait. On se heurte au mur de Bercy. Les confrères et les consœurs quittent de plus en plus l’hôpital, du fait des conditions d’exercice qui y règnent, pour les établissements privés ; là, ils peuvent choisir leur activité, qui est rarement l’obstétrique : ils réalisent plutôt des actes autour de la naissance. Ils ne changent pas de métier : ils vont faire ce pour quoi ils ont été formés mais pas là où ils encourent le risque maximum, où ils ont été abandonnés, livrés à eux-mêmes sans que le système fasse quoi que ce soit pour améliorer leurs conditions d’exercice.
Nos confrères praticiens hospitaliers ont menacé de faire grève le 1er mai pour que leur astreinte soit réévaluée : elle l’a été avant même qu’ils ne cessent le travail. En revanche, on n’a pas touché à la rémunération de l’astreinte de nos confrères du privé. Assurer la sujétion de garde dans les maternités privées dans le cadre des horaires de la PDSES (permanence des soins en établissement de santé) au tarif opposable n’est pas viable. La réforme de la permanence des soins en établissement de santé, concernant les activités non réglementées, comme la maternité, est un sujet dans le sujet. Beaucoup d’établissements privés n’assureront pas la PDSES et continueront à bricoler parce qu’on refuse de leur financer une sujétion majeure. Il est vraiment dommage de se passer du privé mais ce sera de plus en plus le cas dans la mesure où nos effectifs fondent.
Une recherche rapide dans le Sniram (système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie) permet de savoir combien d’accouchements ont réalisé les gynécologues-obstétriciens année après année dans le secteur privé – on ne peut pas avoir accès à cette information dans le public, faute de traçabilité. En 2022, 943 obstétriciens ont codé pour au moins un accouchement ; en 2023, ils n’étaient plus que 900 et, en 2024, 843. Cette baisse régulière est l’illustration de ce que je vous expliquais.
Pour tenir une garde dans le secteur privé, il faut six accoucheurs, contre dix à l’hôpital public. Il en va de même pour les anesthésistes, et je ne parle pas des pédiatres. On ne trouve plus de pédiatres car c’est la spécialité médicale qui perçoit les revenus les plus faibles. Ils sont contestés systématiquement par les généralistes, qui disent que l’on n’a pas besoin de pédiatres. Dans les négociations conventionnelles que nous avons eues l’année dernière, nous avons eu beaucoup de mal à faire revaloriser les activités des pédiatres parce que les généralistes s’y sont opposés. Or les syndicats les plus influents sont ceux des généralistes. Il ne faut donc pas s’attendre à une augmentation du nombre de pédiatres dans les années à venir. Dès lors, il convient de les concentrer dans les maternités qui doivent demeurer, là où on a besoin de leur spécialisation au moment de la naissance. On ne les trouvera donc pas dans les petits établissements. Voilà le deal qui est devant nous.
M. Anthony Cortes. Je précise, monsieur le rapporteur, que je ne visais évidemment pas la commission et le pouvoir législatif mais le pouvoir exécutif. La loi Rist est toujours en vigueur, en effet, mais son application est suspendue pour une durée de six mois, le temps que l’on se conforme aux observations du Conseil d’État.
Les contrats conclus au titre du motif 2 ne sont pas le seul moyen de contourner cette loi. Au cours de l’enquête que Sébastien Leurquin et moi-même avons menée, on nous a souvent fait part d’une autre technique, qui consiste à déclarer de fausses heures supplémentaires. Un cadre d’un grand service de maternité, au sein d’un CHU, nous a expliqué les choses ainsi : « On passe des contrats de gré à gré pour une garde de vingt-quatre heures au plafond Rist mais avec la possibilité de faire des heures en plus. À la fin de la garde de l’intérimaire, on lui paie un certain nombre d’heures supplémentaires, sauf qu’en réalité, il ne les a pas faites. Le but, c’est de gonfler ses revenus artificiellement pour le rémunérer bien au-delà des plafonds. » Ce n’est qu’un exemple des possibilités de contournement existantes. Il y a de nombreuses failles dans le secteur de l’intérim. Ce sont souvent les structures les plus fragiles, les maternités de proximité qui paient le prix de l’absence de réponse face à la surenchère pratiquée autour des intérimaires, que certains appellent des mercenaires.
Dans certaines régions, telle la Bourgogne-France-Comté, 97 % des besoins sont comblés par l’intérim, ce qui a plusieurs conséquences. D’une part, c’est très coûteux. L’État assume une dépense comprise entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an. D’autre part, cela déstabilise les équipes, ce qui entraîne des conséquences très graves. La Cour des comptes a relevé, sur la base d’un échantillon de la HAS, qu’un tiers des événements graves surviennent en présence de personnels non habituels, autrement dit d’intérimaires.
Vous demandiez comment trouver un équilibre, ce qui est effectivement la bonne question à poser. Pour trouver l’équilibre, il faut d’abord se donner les moyens de constater l’étendue des dégâts, de partir des besoins. En décidant un moratoire sur la fermeture des maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, on se donne les moyens et le temps de constater concrètement, sur le terrain, ce qu’il en est. Certes, cela ne réglera pas les problèmes mais cela permettra d’objectiver une situation pour apporter des réponses, qu’il s’agisse de l’instabilité des équipes, de la possibilité d’incidents ou de la qualité des soins, notamment.
M. le président Jean-François Rousset. La loi met en danger les directeurs d’hôpitaux lorsqu’ils prennent le risque de recourir à l’intérim et que des heures supplémentaires ne sont pas effectuées. Ils sont responsables de la gestion de ces dernières et sont de plus en plus embêtés. Ceux que je rencontre me disent que cela leur pose un réel problème.
Lors de l’examen en commission de la proposition visant à lutter contre la mortalité infantile, nous avons réussi à faire adopter un amendement qui, au lieu d’instaurer un moratoire – ce qui suspend d’office toute fermeture de maternité et conduit à laisser fonctionner des structures qui n’offrent pas toutes les garanties de sécurité –, rend obligatoire une évaluation préalable des solutions de remplacement. Cette solution de bon sens a été votée presque à l’unanimité.
Il ne faut jamais sacrifier la sécurité à la proximité, en particulier dans le domaine qui nous intéresse.
Mme Margaux Creutz Leroy. Les maternités dans lesquelles les accouchements sont suspendus ne sont jamais choisies. Je suis très favorable aux diagnostics, mais il faut anticiper les mesures de suspension. Nous le disons depuis longtemps.
En Lorraine, les suspensions n’ont jamais été le fruit d’un choix mûri. Elles ont toujours eu lieu brutalement et parce que l’on n’arrivait plus à remplir le tableau de gardes. C’est d’autant plus désolant que l’on autorise ensuite de nouveau les accouchements, simplement parce que l’on a trouvé des gens pour assurer les gardes. Il n’y a aucune réflexion. On se contente de poser un sparadrap sur une fissure, en espérant que cela suffira.
On subit au lieu de réfléchir et d’anticiper. Le moratoire ne servira pas à grand-chose, parce qu’on ne suspend jamais l’activité d’accouchement au motif que le nombre de naissances est trop faible, mais bien en raison du tableau de gardes. Instaurer des moratoires ne permettra pas de trouver plus de professionnels.
En revanche, il est nécessaire d’établir des diagnostics territoriaux en associant les ARS et les réseaux de manière structurée, puis de prendre des décisions – ce qui ne signifie pas forcément fermer une maternité.
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La solution sera territoriale.
Nous étions très sceptiques lorsqu’on a supprimé les réseaux périnataux territoriaux en nous annonçant qu’on allait faire autre chose. Il faut réfléchir à la répartition territoriale des maternités et des services de la PMI. Ces derniers sont en déshérence, alors qu’il s’agit de structures qui travaillent au plus près des populations les plus défavorisées. On n’arrive plus à recruter des sages-femmes et des médecins pour y travailler. Si nos résultats étaient auparavant aussi bons, c’est parce qu’un travail de fourmi était fait par la PMI, aussi bien dans les zones urbaines que rurales.
L’ARS peut certes jouer un rôle actif, mais il appartient au réseau périnatal de réfléchir et de réorganiser les flux de patientes pour mieux accompagner la naissance. Dans la Drôme, le réseau périnatal avait fini par arriver à fermer la maternité de Die en orientant vers celle de Valence les flux de patientes qui habitent dans des vallées enclavées. Cela suppose, de prévoir des transports et de conserver des services à proximité. La maternité de Die a ainsi été transformée en centre de consultation périnatale. Cela doit être anticipé. Les praticiens de Die continuent à assurer des gardes dans le centre de référence, à Valence. Mais, comme elles sont beaucoup moins fréquentes, ils vont continuer à exercer.
C’est un exemple de ce qui peut être mis en place lorsqu’il y a une volonté et que l’on associe le réseau périnatal et tous les acteurs qui connaissent le sujet.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous dites que l’équipe doit être la norme. Je ne peux qu’être d’accord. Que proposez-vous pour réduire beaucoup plus largement le recours aux intérimaires, qui s’est développé depuis les années 1990 ? Comment faire pour éviter de survaloriser la présence d’un médecin – à laquelle beaucoup de praticiens et de syndicats sont attachés – alors que l’on tend dans beaucoup d’hôpitaux publics à renforcer le rôle des infirmières ? Il me semble que les sages-femmes exerçant dans les hôpitaux publics ne sont pour l’instant pas très concernées par ce mouvement. Quoi qu’il en soit, il correspond à un changement des mentalités et à des considérations financières.
Le procureur de la République d’Épinal a très récemment reçu un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale à propos d’heures supplémentaires qui ont été déclarées mais pas effectuées. Lorsque certaines personnes ne respectent pas la loi, il appartient à la justice de faire son travail.
Je voudrais connaître votre avis sur plusieurs propositions visant à réformer la formation.
En Allemagne, les études de médecine durent six ans, auxquels peuvent s’ajouter d’autres années pour devenir spécialiste. En France, ces études durent plutôt une dizaine d’années. Pourrait-on en réduire la durée ?
En outre, j’ai été surpris de constater qu’aucun enseignement n’était dispensé en matière de relations humaines ou de management au cours de cette formation de dix ans. On doit pourtant gérer sa petite entreprise lorsque l’on s’installe en tant que généraliste. De même, le travail à l’hôpital implique d’interagir beaucoup avec d’autres personnels, comme les infirmières, les aides-soignantes ou les sages-femmes. Ce manque de formation contribue-t-il aux tensions qui existent parfois entre différentes catégories de professionnels au sein des services hospitaliers ?
Sans aller jusqu’à mettre en place un cursus complet commun pour les études de santé, ne pourrait-on pas prévoir, lors du premier cycle, des périodes de formation théorique réunissant les différents étudiants, ce qui permettrait de les préparer au travail collectif quotidien qui les attend ensuite ?
Mme Caroline Combot. Je reviens sur le sujet central de la morbidité périnatale pour apporter des précisions sur la situation outre-mer. Les chiffres y sont encore plus mauvais car les problèmes médicaux et sociaux de la population sont plus importants. Comme l’a relevé M. Rochambeau, la PMI joue un rôle extrêmement important. Elle relève des départements et l’on observe des différences notables entre eux s’agissant des moyens consacrés aux équipes, avec des rémunérations qui ne correspondent pas toujours aux attentes des médecins et des sages-femmes.
Nous souhaiterions harmoniser les choses en matière médico-sociale et de PMI, afin d’appréhender le suivi médical des grossesses de manière beaucoup plus globale. C’est une question primordiale. Une naissance ne se résume pas au développement d’un fœtus dans un utérus. C’est une famille en train de se constituer autour d’un enfant, et il va falloir l’accompagner. Les aspects médico-sociaux sont essentiels. Il est vraiment nécessaire de progresser en la matière.
La réforme des études de maïeutique concerne les étudiants qui ont intégré une école de sage-femme à la rentrée 2024. La durée totale des études passe à six ans. Issue d’une proposition d’Annie Chapelier, la loi visant à faire évoluer la profession de sage-femme a été votée à l’unanimité – ce dont nous vous remercions. Elle répond à la demande des étudiants. Leur formation est en effet extrêmement exigeante, en raison du volume horaire de formation théorique et de stages. Le mal-être des étudiants était très important. Le champ des compétences qui sont désormais requises est très large et il était nécessaire de prévoir une année supplémentaire d’études.
La réforme est en cours de mise en place, même si les travaux du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le programme et la réorganisation des études ont pris un peu de retard.
Nous sommes surtout inquiets de ce que l’on va offrir aux jeunes diplômés qui auront un diplôme de docteur en maïeutique au bout de six ans. Quelles seront leurs conditions d’emploi ? Quel sera leur statut, notamment à l’hôpital ? Quelle rémunération pourront-ils obtenir ?
Vous avez évoqué la fuite des sages-femmes vers la médecine de ville. Les sages-femmes libérales sont très mal payées. Elles font partie des professionnels de santé les moins bien rémunérés, leur revenu moyen net s’élevant à 2 500 euros par mois. Des progrès ont certes été accomplis, notamment grâce à la signature avec l’assurance maladie d’un intéressant avenant à la convention. Néanmoins, les charges augmentent en permanence et la rémunération que j’ai évoquée n’est pas à la hauteur des compétences et des très vastes responsabilités confiées à des personnes qui auront suivi une formation en six ans. Nous avons donc du mal à recruter en formation initiale et à garder nos étudiants. Heureusement, des passerelles existent pour que ceux qui le souhaitent puissent se réorienter vers d’autres filières.
Le nombre de sages-femmes a augmenté de 4,3 % selon les dernières données publiées par la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). C’est assez satisfaisant, mais cette évolution résulte du retour de sages-femmes qui sont allées suivre leur formation à l’étranger. Leurs compétences sont très différentes de celles des sages-femmes formées en France. En effet, elles ne font pas de suivi gynécologique, assurent rarement des consultations et, parfois, ne participent pas aux accouchements. Le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes nous a alertés à propos du cas d’infirmières qui suivent un complément de formation de dix-huit mois dans des pays voisins pour devenir sage-femme. Cela peut suffire à peu près pour un exercice à l’hôpital limité à la naissance, mais elles ne peuvent pas assurer l’ensemble des fonctions d’une sage-femme qui a étudié en France. C’est un point qui nous inquiète beaucoup, car le fossé entre les deux types de formation va encore se creuser dans les années à venir. Il faut donc être très vigilant en ce qui concerne l’emploi de sages-femmes formées à l’étranger.
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Comment faire pour reconstituer les équipes ? Tout d’abord en arrêtant de les décourager. Et qu’est-ce qui les décourage le plus ? C’est l’ingérence des responsables politiques locaux.
Je prends un exemple. En Bretagne, il y a eu plusieurs cas de mort maternelle en cours d’été. Il a été mis en évidence qu’ils étaient liés à des insuffisances d’équipes locales. Tout le réseau périnatal local estimait qu’il était utile de fermer une maternité située dans un village de la côte de la Manche, parce qu’on n’avait pas les moyens de la maintenir et qu’il existait une offre de soins dans la zone. L’ARS était d’accord et tout était prêt.
À la fin des fins, l’ancien maire a appelé l’Élysée et a obtenu le maintien de sa maternité, à Guingamp. C’était au moment de la Coupe du monde de football, en 2022.
Qu’est-il arrivé ? On a remis des équipes en veux-tu en voilà, comme on pouvait. Et la maltraitance a continué. Dans ces conditions, les équipes ne veulent plus servir de prétexte au pouvoir des politiques sur les ARS et les directeurs d’hôpitaux.
Ma critique est claire et simple, tout en n’étant pas connotée politiquement. Ces ingérences découragent les équipes qui se démènent chaque jour pour faire fonctionner les maternités.
J’en viens à la formation. L’université est un modèle de maltraitance. Je suis désolé de le dire de cette manière, mais je tiens des propos qui sont assez souvent carrés.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Disons plutôt qu’ils sont parfois caricaturaux.
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La direction et le pouvoir de décision y sont organisés de manière verticale. Or l’université pilote l’ensemble de la formation des médecins.
Le taux de suicide des internes me préoccupe. Ces suicides ne devraient pas avoir lieu. Un soutien devrait être organisé pour les jeunes qui rencontrent des difficultés au cours de leur formation à des métiers difficiles. On n’y parvient pas.
Il n’y a aucun enseignement de management pour préparer l’après, qu’il s’agisse de l’installation en ville ou de l’exercice à l’hôpital. Durant les dernières années d’internat, il est possible de faire une partie de ses stages dans le privé. Mais, alors que des stages sont proposés, ceux qui coordonnent ces DESC (diplômes d’études spécialisées complémentaires) veulent garder les internes dans leurs établissements pour les faire fonctionner. C’est également vrai dans les maternités. Je suis responsable d’une URPS (union régionale des professionnels de santé) en Île-de-France et nous voyons que l’on n’y arrive pas. D’autres régions y parviennent mieux, dont notamment l’Occitanie.
L’université impose sa manière de voir.
Mme Géraldine Bannier (Dem). Je reviens sur le sujet de l’analyse de l’offre de soins dans les territoires. Des sages-femmes de la Mayenne m’ont indiqué qu’il était difficile de savoir combien d’entre elles sont installées dans le département. Aucun outil ne serait d’ailleurs disponible au niveau national. Ne faudrait-il pas en mettre un en place pour savoir où sont installés les gynécologues, les pédiatres et les sages-femmes ?
Mme Caroline Combot. Grâce à CartoSanté, on y voit désormais un peu plus clair s’agissant des sages-femmes qui ont une activité libérale. On peut aussi se référer aux annuaires de l’assurance maladie, disponibles sur Ameli (assurance maladie en ligne).
Les effectifs de sages-femmes sont très réduits, puisque l’on en compte 24 500 en France. Les conseils de l’Ordre des sages-femmes ont une vision exhaustive de la répartition des forces vives sur l’ensemble du territoire. Les DSRP (dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité) disposent également de ces informations et peuvent répondre aux questions des professionnels. Il en est bien entendu de même des organisations syndicales.
M. Antony Cortes. Je n’ai pas eu l’occasion de répondre à l’importante question précédente sur la formation.
Près de la moitié des services de soins intensifs et de réanimation ont un taux d’occupation supérieur à 95 %. Ils fonctionnent grâce à des pédiatres néonatologistes, mais aussi à des infirmiers. Ces personnels sont tous en nombre insuffisant. De plus, on sait qu’il faut deux années d’expérience pour qu’un infirmier soit pleinement efficace dans ce type de service. Or 80 % des infirmiers qui y sont employés ne disposent pas d’un tel bagage. S’ajoute à cela un problème de formation initiale, puisque la pédiatrie et la néonatologie ne font plus partie des programmes dans les écoles d’infirmiers depuis 2009. Il faut donc également se pencher sur ce sujet.
J’abonde dans le sens de Mme Combot : la PMI joue un rôle important, mais elle est dans un état de délitement absolu. Michèle Peyron l’a exposé très clairement dans son rapport remis en 2019 lorsqu’elle a relevé que, depuis 1995, on suit moitié moins de femmes et d’enfants. Elle a également pointé les inégalités territoriales et le manque de moyens. C’est encore un point à aborder.
Enfin, je ne partage pas du tout l’avis du Dr Lacroix de Vimeur de Rochambeau sur le rôle des élus. L’accouchement est certes une affaire médicale, mais c’est aussi un sujet politique et social. Il n’est pas réservé aux seuls représentants de la science. Il est tout à fait normal que les élus locaux se penchent sur cette question et essaient de sauver ce qui est le dernier patrimoine commun dans beaucoup de territoires.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je suis députée d’une circonscription des Côtes-d’Armor qui comprend Guingamp. Depuis 2018, les élus locaux et la population luttent pour sauvegarder la maternité. M. Le Graët avait en effet demandé à M. Macron de la sauver et il a obtenu un sursis de six mois.
Je suis élue depuis seulement trois ans et toutes mes questions au gouvernement ont porté sur le thème de la fermeture de cette maternité. – j’ai même demandé si M. Le Graët allait sauver toutes les maternités de France. Nous sommes d’accord : il ne s’agit pas de s’en remettre au fait du prince, mais bien de mettre en place une politique de santé publique.
Vous avez pointé du doigt l’insuffisance des crédits prévus par les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Je rappelle que je n’ai jamais eu l’occasion de voter sur ces textes, puisqu’ils sont chaque année adoptés en ayant recours au 49.3. Venez nous soutenir lors de l’examen du prochain PLFSS pour obtenir des moyens. Nous avons démontré qu’il était possible de financer la santé publique, mais on refuse de partager les richesses.
Vous avez reconnu que c’est une question de coût, docteur Rochambeau, puisqu’une maternité n’est pas rentable en dessous de 1 000 accouchements par an. Il est dramatique d’entendre ça, car notre pays est très riche et a les moyens de financer la santé.
Comment faire pour rendre plus attractives les petites maternités si un rapport de l’Académie nationale de médecine préconise de fermer toutes celles qui effectuent moins de 1 000 accouchements par an ? Les professionnels vont forcément être découragés d’y travailler. C’est un cercle vicieux. Nous avons besoin de maternités de proximité.
Votre vision médicale est évidemment plus que nécessaire et il faut agir si l’on constate des problèmes de sécurité. Mais il faut aussi se placer du point de vue des mamans, qui est tout autre. Devoir parcourir une longue distance lorsque l’on est enceinte et stressée n’est pas une bonne solution. D’autant que ce n’est pas beaucoup mieux s’agissant du coût si l’on doit avoir recours à des transports sécurisés spécialement pour l’obstétrique. N’est-ce pas contre-productif et ne vaut-il pas mieux conserver nos petites structures de proximité ?
M. Margaux Creutz Leroy. Notre fédération propose que des équipes territoriales assurent des consultations de proximité, pour éviter que les femmes aient à faire de longs trajets lors du suivi de leur grossesse. Ces équipes seraient notamment chargées des différentes échographies, de la préparation à l’accouchement et des entretiens.
L’accouchement a une tout autre importance, car en moyenne une femme n’en vit qu’une ou deux fois. Nous pensons que l’on peut s’organiser pour qu’elle accouche sur le plateau technique sûr le plus proche. Dans beaucoup d’endroits, les femmes resteraient à moins d’une heure de transport d’une maternité si celle de proximité disparaissait.
Je souhaite revenir sur la notion d’« usines à bébé ». C’est un terme horrible. On peut avoir de très bonnes maternités où ont lieu beaucoup de naissances, tout en ayant une prise en charge globale et un bel accompagnement.
Si l’on dispose des ressources nécessaires et que l’on concentre les moyens, on sécurise l’enfant tout en humanisant l’accueil. Nous sommes de toute manière contraints d’aller dans cette direction. Si nous le faisons de manière posée, réfléchie et structurée, en tenant compte de la réalité des établissements et des besoins, nous réussirons.
Par-delà les freins politiques, la principale difficulté réside dans la nécessité de faire travailler ensemble des équipes qui ont parfois du mal à collaborer. La création des GHT (groupements hospitaliers de territoire) nous aide un peu. Mais il appartient aussi aux réseaux de santé en périnatalité d’œuvrer au rapprochement d’établissements qui vont finir par devoir collaborer, afin de mettre en place une équipe territoriale chargée à la fois d’assurer les consultations de proximité et les gardes au sein d’un seul plateau technique – et non plus de trois, comme c’est parfois le cas. J’y crois beaucoup.
L’hébergement n’est pas un véritable problème. Des femmes qui habitent loin s’organisent déjà.
Il faut mettre fin au fantasme de l’accouchement extrahospitalier inopiné. Nous avons mis en place un observatoire au sein de notre fédération et l’analyse des données montre que ces accouchements sont très rarement liés à un temps de transport trop important. Ils ont fréquemment lieu dans les grandes métropoles, alors qu’une maternité n’est pas loin. Les accouchements extrahospitaliers s’expliquent le plus souvent par la précarité sociale, par un défaut de suivi de la grossesse ou par une éducation à la santé insuffisante.
Mme Caroline Combot. Comme l’a décrit M. Cortes dans son livre, l’une des difficultés réside dans le fait que des médecins ne veulent plus travailler dans les petites maternités, car l’organisation de celles-ci les met en danger. Je l’entends.
En revanche, des sages-femmes qui travaillent dans des maternités de niveau 1 ne veulent pas rejoindre celles de niveau 3. Ces dernières sont destinées à prendre en charge les pathologies sévères et sont réputées au sein de la profession pour la surcharge de travail – ce qui n’est pas toujours avéré.
On aurait tout à gagner à avoir des effectifs suffisants pour permettre un accompagnement de qualité, humain et qui corresponde aux souhaits des femmes.
La dernière enquête périnatale indiquait qu’environ 65 % d’entre elles souhaitent accoucher sans péridurale. En réalité, dans la maternité où je travaille, près de 90 % des femmes accouchent avec une péridurale. Peut-être ne se rendaient-elles pas compte de l’intensité de ce qu’elles allaient vivre. Mais on peut aussi se demander si l’équipe était suffisamment disponible pour les aider à aller au bout de leur projet. Si l’on examine le taux de péridurale en fonction du niveau des maternités, on s’aperçoit que ces anesthésies sont moins nombreuses dans celles de niveau 1.
Il y a quelques années, on s’était aperçu que le taux de péridurale était très faible à la maternité de Vitré. Beaucoup s’en étaient émus, pensant que cela traduisait un refus d’intervenir des anesthésistes. La véritable raison était que les femmes ne souhaitaient pas accoucher avec une péridurale et que les sages-femmes étaient suffisamment disponibles pour les accompagner dans ce projet. Une petite enquête avait été conduite : à chaque fois qu’une femme accouchait sans péridurale, un formulaire devait être rempli pour savoir si cela correspondait au désir de celle-ci, s’il était trop tard ou si l’anesthésiste n’était pas disponible.
La différence entre les attentes des couples et la réalité de ce que nous pouvons leur proposer me choque. Ce n’est pas normal. C’est une source de déception et, parfois, de dépression post-partum. Il faut trouver une solution pour mettre en adéquation la réalité de nos pratiques avec leurs demandes.
Je suis bien davantage inquiète à propos des accouchements non accompagnés que des accouchements inopinés. Même si l’on ne dispose pas de données précises, on constate que des couples évitent les maternités car ils n’ont absolument pas confiance dans le monde médical. Il s’agit encore heureusement d’une minorité, mais elle utilise les réseaux sociaux pour partager des recettes pour accoucher à domicile. Il faut avoir une réflexion globale sur ce phénomène très inquiétant.
Quant aux hôtels hospitaliers à proximité des maternités, c’est une fausse bonne idée. Ça ne marche pas. Le projet de décret nous avait été présenté. Il prévoyait que la femme pouvait être hébergée pendant cinq jours avant d’accoucher. Mais une femme est susceptible d’accoucher à n’importe quel moment dès lors que sa grossesse est arrivée à terme, c’est-à-dire au cours du dernier mois. Elle ne va pas tout quitter du jour au lendemain pour attendre dans un hôtel. Dans certains territoires, comme la Guyane, on peut anticiper ces séjours et cela peut marcher. Mais on voit bien que dans les cas où des conventions ont été signées entre des maternités et des hôtels, personne n’utilise ces derniers. Il faut peut-être rapprocher les femmes des maternités, mais il faut le faire en s’organisant de manière pragmatique, ce qui implique probablement d’améliorer les modalités de transport.
M. Antony Cortes. On entend beaucoup dire – comme vous l’avez fait vous-même, monsieur le président – qu’il faut privilégier la sécurité plutôt que la proximité. Il faut absolument en finir avec ces dogmes.
On peut parfaitement allier sécurité et proximité, même si, j’en conviens, cela demande un travail massif qui consiste tout d’abord à revoir complètement le maillage territorial.
Au cours de cette table ronde, on a beaucoup parlé de transformer en centres périnataux et de consultation les petites maternités que l’on estime ne plus pouvoir faire fonctionner. C’est prendre le problème à l’envers. Il ne faut pas renoncer à la possibilité d’accoucher sur tous les territoires – c’est-à-dire d’avoir au moins une maternité par département. Un territoire dans lequel on ne peut plus donner la vie est un territoire que l’on condamne à mort.
Encore une fois, le sujet de l’accouchement est également politique et démocratique. Il s’agit de l’égalité de tous les territoires. J’en sais quelque chose puisque je suis originaire des Pyrénées-Orientales. Je peux vous dire que la volonté du pouvoir central de transférer les accouchements vers les grandes métropoles suscite un véritable ras-le-bol. Nous voulons naître et vivre dans notre département.
Il est exact que le pourcentage des accouchements inopinés est très faible. Mais, dans certaines régions comme la Bourgogne ou la Franche-Comté, il a doublé en seulement dix ans. La précarité joue bien entendu un rôle, mais l’éloignement des maternités aussi. Les deux vont malheureusement de pair.
M. le président Jean-François Rousset. Je n’ai jamais dit que j’étais contre le fait de concilier la proximité et la sécurité. Tout le monde est d’accord avec ces beaux objectifs.
J’ai dit qu’il fallait évaluer au cas par cas et qu’il ne fallait pas tromper les gens si la sécurité n’est pas assurée – le plus souvent en raison de l’absence d’un anesthésiste ou d’un chirurgien capable d’intervenir en cas de rupture utérine ou d’hémorragie.
Nous avons tous les mêmes objectifs. Les atteindre est une affaire de moyens et d’organisation territoriale de la santé. Mais, en tant qu’ancien praticien, je ne transigerai jamais sur la sécurité.
Si l’on a mis en place des Samu et des Smur (structures mobiles d’urgence et de réanimation) mais aussi prévu des hélicoptères dans des territoires très ruraux, c’est justement parce qu’ils permettent de prendre en charge les patients et de les transporter de façon optimale. Dans l’Aveyron, plus personne ne meurt d’infarctus du myocarde, parce que les équipes du Samu pratiquent des fibrinolyses in situ et que l’hélicoptère amène le patient soit au centre hospitalier de Rodez – qui est parfaitement équipé –, soit à Toulouse ou à Montpellier.
Il est peut-être encore plus important de raisonner de cette manière en matière d’accouchement, car il s’agit de la vie de mères et d’enfants.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Quel est votre avis sur les conséquences de la T2A sur les conditions de travail des professionnels, et donc sur la qualité des soins ? Faut-il abandonner cette tarification dans le secteur périnatal ?
M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Je reviens tout d’abord sur votre question précédente. Le rapport de l’Académie nationale de médecine a fixé un seuil de 1 000 accouchements afin d’identifier les établissements qui sont menacés dans les cinq ans qui viennent. Comme l’a très bien expliqué ma consœur Creutz-Leroy, il s’agit de se faire une idée du nombre de ceux qu’il faudrait transformer en centre périnatal de proximité afin de ne pas amoindrir le suivi des grossesses dans le territoire concerné. Selon moi, ce rapport constitue une bonne feuille de route.
S’agissant de la qualité des soins, des progrès ont été réalisés en travaillant sur la qualité des équipes des plateaux techniques lourds– et donc dans les maternités comme dans les blocs opératoires. La HAS pilote des programmes d’amélioration de la qualité destinés à certifier les établissements et à accréditer les médecins. Cette accréditation peut être individuelle, mais elle peut aussi concerner une équipe médicale – c’est le cas depuis désormais sept ans. Nous soutenons cette procédure d’accréditation d’une équipe au sein d’une maternité, car c’est seulement grâce à l’équipe que l’on arrivera à améliorer la qualité.
Dans le cadre actuel, seules des équipes composées de médecins peuvent être accréditées. Nous demandons que l’on raisonne à l’échelle de la salle de naissance et que l’on inclue les sages-femmes, voire les puéricultrices. C’est sur leur travail collectif que repose la qualité.
Partant de ce constat, je défends depuis quelques années – même si mon point de vue est encore très minoritaire – l’idée d’une tarification des actes entourant la naissance assise sur les tâches réalisées par l’équipe collégiale. Ce n’est pas sans poser problème, mais si l’on veut organiser des projets autour d’une maternité, il faut inventer de nouvelles modalités pour les soutenir.
En tant que syndicaliste, je préviens tout de suite que cela ne doit pas servir de prétexte pour sous-financer l’équipe – d’autant qu’avec les tarifs acceptés par l’assurance maladie en matière de naissance tout est déjà sous-financé.
Dans certaines spécialités, on peut réduire le prix de l’acte en se disant que le praticien se rattrapera sur leur nombre. Avec la naissance, ce n’est pas possible. Pour un gynécologue-obstétricien, le tarif conventionnel d’un accouchement est fixé à 369 euros, que cet accouchement soit difficile ou pas. Et que l’on ne dise pas que l’on fait des césariennes pour gagner plus, car les honoraires ne changent pas par rapport à un accouchement normal. La tarification n’a donc jamais eu d’influence sur le nombre de césariennes. La décision de pratiquer une césarienne repose sur une analyse médicale. Cet acte est parfois programmé, afin de mieux faire face aux aléas. On nous a reproché pendant dix ans de programmer trop de césariennes. Mais les équipes effectuent tous les jours une balance bénéfice-risque.
On a fait baisser le nombre de césariennes programmées. Dans votre questionnaire écrit, vous avez demandé si cela avait eu un effet sur la qualité de la prise en charge périnatale. Vous avez raison de poser cette question, mais il est très difficile d’y répondre. D’autres pays ont réussi à avoir des taux de césariennes programmées très bas, avec des résultats périnataux corrects. Mais l’organisation n’est peut-être pas la même. Il faut travailler sur ce point, car c’est une affaire d’organisation – et cette organisation doit reposer sur l’équipe. C’est la raison pour laquelle je propose de renverser la perspective habituelle : ne pourrait-on pas envisager un financement par équipe ?
M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie pour cette conclusion qui synthétise d’une certaine manière ce que nous pensons tous : l’efficacité de l’équipe repose sur les compétences de tous ses partenaires.
Merci à tous.
La séance s’achève à dix heures quarante.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Thierry Frappé, Mme Murielle Lepvraud, M. Jean-François Rousset
Excusés. - M. Laurent Alexandre, Mme Sylvie Bonnet, M. Christophe Naegelen