Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Table ronde, ouverte à la presse, sur « le transport médical et les urgences » réunissant : M. Marc Van Driesten, représentant le président de l’Association française des ambulanciers SMUR et hospitaliers (AFASH), le Dr Laurent Maillard, président de la Fédération des observatoires régionaux des urgences (Fedoru) et le Dr Marc Noizet, président de Samu urgences de France. 2
– Présences en réunion............................15
Mercredi
28 mai 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 20
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance débute à quinze heures.
M. le président Jean-François Rousset. Je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que cette séance est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Marc Van Driesten, le Dr Laurent Maillard et le Dr Marc Noizet prêtent serment.)
M. Marc Van Driesten, représentant le président de l’Association française des ambulanciers SMUR et hospitaliers (AFASH). Je suis ambulancier en structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) à Marseille et je représente le président qui n'a pu être présent
Dr Laurent Maillard, président des Observatoires régionaux des urgences (FEDORU). Je suis également responsable du Samu et des urgences à Agen et coordonnateur médical de l'observatoire régional des urgences de Nouvelle-Aquitaine.
Notre fédération vise à améliorer la qualité des soins en analysant les informations remontées par nos observatoires. Nous évaluons l'adéquation de l'offre de soins aux évolutions du système de santé et fournissons des données essentielles à nos institutions pour faciliter leur analyse de notre réalité quotidienne.
Dr Marc Noizet, président de Samu urgences de France. Je suis chef de service des urgences du Samu et du Smur à Mulhouse, dans le Haut-Rhin, et président de Samu urgences de France, principale organisation professionnelle et syndicale représentant les urgentistes sur le territoire français.
Depuis 2022, les urgences traversent une période particulièrement difficile, exacerbée par les conséquences de la crise du covid. Elles se retrouvent en première ligne d'un système de santé éprouvé, servant de tampon entre une population en difficulté d'accès aux soins et un système peinant à répondre à ses besoins.
Nous, urgentistes, appelons à une véritable transformation du système de santé, au-delà des réformes déjà engagées. Il est impératif de recentrer les urgences sur leur cœur de métier, en évitant de les solliciter pour des missions qui ne leur incombent pas. Le système et le maillage actuels, mis en place il y a plus de vingt-cinq ans, ne sont plus adaptés aux ressources actuellement disponibles. Nous manquons de 30 à 35 % des praticiens nécessaires au bon fonctionnement de nos services d'urgence. Cette pénurie a entraîné, depuis 2022, des fermetures de services, de Smur ou de ligne, et une dégradation globale de l'offre de soins, démontrant que le système est à bout de souffle. Nous avons besoin d'un véritable changement de paradigme et d'un véritable courage politique pour mettre en œuvre les outils dont nous disposons déjà, en dépassant les protectionnismes territoriaux qui, bien qu'animés de bonnes intentions, ne permettent pas toujours d'offrir la meilleure réponse possible à l'échelle nationale.
M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Pourriez-vous tout d’abord préciser quelles sont ces missions actuellement assumées par les urgences mais qui, selon vous, ne devraient pas leur incomber ?
Pensez-vous par ailleurs que la suppression du statut d'intérimaire, voire des motifs 2, pourrait contribuer à un fonctionnement plus fluide et moins stressant des urgences ?
Enfin, ne serait-il pas pertinent d'envisager une régionalisation de la formation médicale et de la première affectation, en imposant aux médecins nouvellement diplômés de rester dans leur région de formation pendant une certaine période ? Cette approche pourrait-elle, à terme, permettre d'adapter les formations aux besoins spécifiques des régions et ainsi pallier les déficits, non seulement dans les urgences, mais également dans d'autres spécialités ?
Dr Marc Noizet. Bien que les services d'urgence aient été structurés à la suite du rapport Steg de 1993, la spécialité de médecine d'urgence est relativement récente, puisqu’elle a été créée en 2017. Depuis 1995, nous avons construit un système autour de deux axes, qui sont le service rendu à la population et la viabilité financière. Initialement financés à l'activité, les services d'urgence ont progressivement élargi leur champ d'action pour répondre aux besoins tant de la ville que du système hospitalier. Aujourd'hui, nous prenons en charge de nombreux soins non programmés qui ne nécessitent pas nécessairement le plateau technique d'un service d'urgence ni l'expertise d'un urgentiste. Notre spécialité se concentre sur la prise en charge des détresses vitales, mais nous gérons également de nombreuses filières d'hospitalisation qui, il y a trente ans, ne passaient pas par les urgences.
Bien que nous soyons en partie responsables de cette évolution, il est aujourd’hui temps d’assumer la maturité du système et de recentrer chaque acteur sur ses compétences spécifiques. C'est dans cette optique que le service d'accès aux soins (SAS) a été initié, avec l’objectif d'orienter les patients vers la filière de soins la plus adaptée, évitant ainsi qu'ils ne se retrouvent dans un environnement technique ou de spécialité inadapté à leurs besoins. Le SAS vise à optimiser l'orientation des patients, les dirigeant vers l'offre de soins la plus appropriée, plutôt que de laisser le choix au patient qui, naturellement, tend à privilégier les structures les plus équipées, même si ce n'est pas toujours dans son intérêt ou dans celui du système de santé.
Concernant l'hospitalisation, la Cour des comptes préconise d'éviter le passage par les urgences pour les patients âgés, sauf en cas de détresse avérée. Cette recommandation se fonde sur des données statistiques probantes, puisque les services d'urgence s'avèrent être l'environnement le moins adapté pour cette catégorie de patients. Les personnes âgées y connaissent les séjours les plus longs et rencontrent davantage de difficultés à obtenir un lit d'hospitalisation. Une étude scientifique récente, menée dans 92 services d'urgence, a mis en évidence un risque accru de mortalité de 46 % pour les patients âgés contraints de passer une nuit sur un brancard. Le passage par les urgences représente donc une réelle perte de chances pour ces patients.
Paradoxalement, le fait que les urgences constituent aujourd'hui la principale, voire l'unique, voie d'admission hospitalière pour les personnes âgées dans certains établissements révèle un détournement flagrant de la mission première des services d'urgence. Nous devrions nous recentrer sur nos cœurs de métier, qui sont l'accueil des patients nécessitant une évaluation rapide de la gravité de leur état de santé, la réalisation des examens indispensables et leur orientation vers le service de soins approprié. Bien entendu, nous devons également assurer les gestes d'urgence vitale lorsque la situation l'exige.
Ces exemples illustrent la nécessité impérieuse de réorganiser nos filières de prise en charge. Même si le SAS constitue une piste intéressante, l'hôpital doit également repenser en profondeur son mode de fonctionnement. La problématique de l'aval des urgences reste également un enjeu majeur à adresser.
Dr Laurent Maillard. Je précise que nous parlons désormais de filières pour les personnes âgées, et non plus simplement de gériatrie, afin d’impliquer l'ensemble des spécialités d'un établissement dans la prise en charge de ces patients. Une segmentation excessive risquerait de concentrer la responsabilité sur un nombre restreint de professionnels, compliquant ainsi les hospitalisations ultérieures.
Nous observons une évolution sociétale marquée concernant les personnes âgées, caractérisée par une précarisation et un isolement croissants. La Fedoru a constaté, malgré les différents dispositifs mis en place, une augmentation significative des passages aux urgences des patients de plus de soixante-quinze ans. Force est de constater que l'organisation actuelle de nos établissements de santé ne répond pas adéquatement à cette problématique.
Deux facteurs principaux expliquent cette inadéquation. Premièrement, l'hôpital s'est orienté vers l'hyperspécialisation, ce qui conduit parfois au refus de patients polypathologiques. Deuxièmement, il existe un manque de dispositifs adaptés pour la prise en charge des problématiques médicosociales de ces patients. Il devient évident que l'hôpital n'est pas toujours la réponse la plus appropriée pour les personnes âgées en perte d'autonomie.
Une réflexion approfondie sur la prise en charge médicosociale au sein de nos établissements s'impose. Dans cette optique, le concept de Samu-SAS offre des perspectives intéressantes en développant une filiarisation en amont des structures d'urgence, permettant une évaluation optimale des patients dès la phase préhospitalière. L'objectif est de les orienter vers des filières spécifiques à leur pathologie, en envisageant éventuellement la création d'espaces tampons, au sein ou en dehors des établissements, dans l'attente d'une orientation définitive.
Il devient par ailleurs impératif, face à l'élargissement constant des missions de nos services d'urgence, de mettre en place une régulation efficace des admissions. Cette approche, déjà expérimentée avec succès dans plusieurs établissements, permet non seulement un filtrage pertinent des patients nécessitant réellement une prise en charge urgente, mais offre également des solutions adaptées aux personnes désorientées dans notre organisation actuelle.
Il est donc, en parallèle, nécessaire d'améliorer la compréhension du fonctionnement de notre système de santé par la population, car la complexité croissante de notre organisation engendre une confusion grandissante chez les usagers. Des efforts significatifs en matière de communication et d'organisation sont nécessaires, de même qu'une meilleure anticipation de l'évolution de nos établissements par rapport à l'hyperspécialisation.
Dr Marc Noizet. Lorsque nous parlons de régulation d'accès, notre objectif n'est en aucun cas d'entraver l'accès aux soins des patients, mais plutôt de les orienter vers les structures de soins les plus adaptées à leurs besoins spécifiques. Cette approche vise à construire un système qui accompagne véritablement le patient, avec potentiellement des vertus pédagogiques. Elle pourrait ainsi contribuer à réduire le nomadisme médical observé chez certains patients, notamment dans les zones où l'accès à un médecin traitant ou à un suivi des maladies chroniques est devenu problématique. Le système que nous envisageons a pour but de réintégrer ces patients dans un parcours de soins cohérent et adapté à leurs besoins.
Concernant la problématique de l'intérim et des contrats de motif 2, la question de la rémunération à l'hôpital public reste indéniablement un sujet de préoccupation constant. L'application de la loi Rist par François Braun en 2023 a considérablement perturbé l'écosystème de l'emploi à l'hôpital public. En effet, de nombreux services fonctionnaient auparavant avec des médecins remplaçants ou intérimaires, dont les rémunérations n'étaient pas encadrées et pouvaient atteindre des niveaux très élevés, même si cela ne concernait pas la majorité des praticiens. La suppression du système d'intérim médical a engendré des difficultés significatives pour de nombreux établissements de santé, mettant en lumière notre incapacité à attirer et retenir les médecins dans le secteur public, que ce soit par des conditions de travail attractives ou des rémunérations compétitives.
Nous devons nous attaquer à ces problèmes fondamentaux plutôt que de stigmatiser les médecins remplaçants, dont le rôle reste essentiel dans certaines situations, notamment dans les zones à forte affluence saisonnière ou pour pallier les absences imprévues. La solution des praticiens contractuels, bien que mieux rémunérés que les praticiens hospitaliers titulaires, présente ses limites avec une durée maximale et non renouvelable de six ans. Cette approche risque de créer une nouvelle crise en 2029, lorsque de nombreux établissements verront ces contrats arriver simultanément à échéance.
Le cœur du problème réside dans la rémunération des praticiens du service public. L’exemple frappant qui illustre cette problématique est celui du temps de travail additionnel des urgentistes, au-delà des quarante-huit heures hebdomadaires conventionnelles, qui est moins bien rémunéré que le taux horaire du premier échelon des praticiens hospitaliers. Cette situation est aberrante et démotivante. Comment peut-on inciter les médecins à effectuer des heures supplémentaires pour assurer le fonctionnement de leur service, alors qu'ils sont moins payés pour ce temps additionnel que pour leurs heures normales ?
Il est donc impératif de repenser en profondeur la valorisation et l'attractivité du travail médical dans le service public. La question n'est pas tant de débattre sur la pertinence de l'intérim médical, dont une certaine forme reste nécessaire, mais plutôt de réformer fondamentalement le système de rémunération des médecins dans le secteur public pour le rendre plus juste et plus attractif.
Dr Laurent Maillard. La problématique de l'intérim médical soulève la question essentielle de la répartition des médecins sur le territoire, particulièrement dans les services d'urgence. Nous constatons une hétérogénéité alarmante dans cette distribution, avec certaines zones qui se trouvent complètement démunies.
Notre approche actuelle d’évaluation de la situation des services d'urgence doit évoluer. Plutôt que de nous focaliser uniquement sur les fermetures de services, nous devrions analyser leur dégradation progressive en termes d'effectifs par rapport aux besoins théoriques. Un service ouvert mais sous-doté en personnel médical peut entraîner des conséquences tout aussi graves à moyen terme qu'une fermeture complète.
Le recours à l'intérim révèle une autre problématique, qui est celle de la dépendance de nos structures à un nombre restreint de médecins investis localement. Les médecins intérimaires, par définition, n'ont pas vocation à s'impliquer durablement dans l'établissement, ce qui fragilise l'organisation et la continuité des soins.
Un autre aspect à considérer concerne les responsables de service. Ces praticiens, qui s'investissent davantage dans le fonctionnement global de l'établissement et effectuent moins de gardes, se retrouvent paradoxalement moins bien rémunérés que leurs collègues. Cette situation mérite une réflexion approfondie pour valoriser justement leur engagement.
Il est enfin nécessaire de reconnaître la spécificité des services d'urgence au sein de nos établissements. Avec des équipes importantes et un rôle essentiel d'interface entre la ville et l'hôpital, ces services nécessitent une attention particulière dans l'organisation et la gestion des ressources humaines.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Au-delà de l'augmentation de la rémunération des urgentistes, comment pouvons-nous concrètement mettre en œuvre les suggestions évoquées ?
Concernant la médecine de ville et la réorientation des patients, il semble que l'objectif soit de responsabiliser davantage les médecins libéraux grâce aux SAS pour réduire l'afflux direct aux urgences et orienter de façon pertinente les patients en amont. Comment structurer efficacement ce lien entre médecine de ville et hôpital ?
Quant à la prise en charge des personnes âgées, nous devons définir clairement les critères d'orientation. Qu'entendons-nous exactement par « personne âgée » ? À partir de quel âge applique-t-on ce critère ? Si nous décidons de ne plus les orienter systématiquement vers les urgences, vers quels services spécifiques les diriger ? Ne risquons-nous pas de créer une discrimination basée sur l'âge plutôt que sur la pathologie ?
La régulation des entrées aux urgences fait consensus, mais sa mise en œuvre concrète reste à définir. Quelles sont vos propositions précises pour réaliser cette régulation efficacement ?
Enfin, concernant l'intérim médical et les contrats de praticiens contractuels, j'estime la réponse apportée insuffisante. Certes, la revalorisation des praticiens hospitaliers est nécessaire, mais elle ne peut à elle seule résoudre le problème, et aligner la rémunération des praticiens hospitaliers sur celle des intérimaires ou des contractuels serait financièrement insoutenable pour les hôpitaux. Aussi, si nous supprimions le statut d'intérimaire et les contrats de praticiens contractuels, que deviendraient ces médecins ? Se tourneraient-ils vers le secteur privé, renforçant ainsi l'argument en faveur d'une permanence des soins assurée par les établissements privés, ou opteraient-ils pour d'autres voies ? Il est essentiel de comprendre les conséquences potentielles de tels changements sur l'offre de soins globale.
Dr Laurent Maillard. Nous constatons actuellement des départs de plus en plus précoces des praticiens des services d’urgence. S’il était, auparavant, courant de voir des médecins urgentistes poursuivre leur carrière jusqu'à la retraite dans ces structures, cette réalité n'existe plus aujourd'hui. Les jeunes praticiens optent désormais majoritairement pour des temps partiels, ce qui témoigne d'une évolution significative des pratiques professionnelles.
Concernant la question de la rémunération, certains praticiens ont trouvé des alternatives en dehors des services d'urgence traditionnels, où ils peuvent continuer à exercer dans le domaine des soins non programmés. Ces opportunités existent car ils ne parviennent plus à exercer leur activité de manière satisfaisante au sein des établissements hospitaliers. La pénibilité du travail, avec des consquences tant sur le plan personnel que professionnel, est indéniable et impacte fortement leur qualité de vie. Une préoccupation récurrente concerne donc la possibilité de vieillir dans ces structures d'urgence, compte tenu des conditions de travail actuelles.
Dr Marc Noizet. Je ne préconise pas d'aligner la rémunération des praticiens hospitaliers sur celle des intérimaires, car une telle mesure serait financièrement insoutenable pour notre système de santé. Néanmoins, si nous souhaitons disposer de médecins du service public accomplissant leurs missions avec excellence, il est impératif de les rémunérer de manière adéquate.
Concernant la grille salariale actuelle, je la considère comme globalement satisfaisante. Les médecins hospitaliers ne peuvent pas affirmer être mal rémunérés, bien que l'on puisse toujours aspirer à une meilleure rétribution. Cependant, le véritable problème réside dans la rémunération du temps de travail additionnel. Il est inacceptable qu'un praticien expérimenté soit rémunéré pour ces heures supplémentaires à un taux inférieur à celui du premier échelon. Cette situation est unique dans notre société et n'est tolérée que par nécessité de maintenir le fonctionnement de nos structures de soins.
Face à cette problématique, certains établissements ont pris l'initiative de contourner les règles en doublant ou triplant les indemnités de temps additionnel. Cette pratique, bien qu'irrégulière, vise à préserver l'attractivité des postes qui, j’en suis convaincu, passe essentiellement par une juste rémunération, particulièrement pour le temps additionnel qui cristallise actuellement les tensions.
Un autre aspect essentiel est la reconnaissance de la pénibilité spécifique au métier d'urgentiste. Nous sommes les seuls professionnels de santé à travailler plus de nuits et de week-ends que de jours ouvrables. Dans un service d'urgence, l'activité nocturne est désormais quasiment équivalente à celle de la journée, nécessitant un effectif constant. Ainsi, environ 60 % de notre temps de travail s'effectue de nuit et les week-ends. Les études scientifiques démontrent clairement que ce rythme de travail à contre-courant impacte négativement l'espérance de vie. Cette pénibilité particulière doit être reconnue, comme pour d'autres professions bénéficiant soit d'un départ en retraite anticipé soit d'une majoration de l'abondement retraite. Compte tenu de la pénurie actuelle de médecins, il serait plus judicieux d'opter pour un abondement plus généreux de la retraite plutôt que pour des départs anticipés. Cette mesure serait particulièrement pertinente pour les médecins travaillant majoritairement de nuit et les week-ends, dans un contexte sociétal où le travail en horaires atypiques est de moins en moins prisé.
Ces enjeux d'attractivité sont cruciaux pour les nouvelles générations de praticiens, car les jeunes médecins aspirent aujourd'hui à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les carrières aux urgences telles que nous les avons connues, caractérisées par un volume horaire important, ne correspondent plus à leurs attentes.
Parallèlement à ces considérations, il est essentiel d'améliorer la qualité de l'exercice professionnel dans nos services. Nos structures font face à de réelles difficultés, notamment en termes de fluidité des parcours patients, en raison d'une organisation hospitalière parfois inadaptée. Ces dysfonctionnements contribuent à l'épuisement rapide des urgentistes, les poussant à se réorienter professionnellement après une dizaine d'années d'exercice.
Notre objectif n'est pas de mettre les établissements en difficulté ni de revendiquer des rémunérations exorbitantes. Nous ne cherchons pas à nous aligner sur les niveaux de rémunération du secteur privé ou de certains pays voisins. Notre demande porte sur une juste revalorisation de la pénibilité de notre métier, particulièrement lorsqu'il nous est demandé d'effectuer des heures supplémentaires.
Dr Laurent Maillard. Concernant la régulation des services d'urgence, je souhaite partager l'expérience de mon département, où nous avons mis en place depuis trois ans une régulation permanente de l'ensemble des services d'urgence, publics et privés, de dix-huit heures à huit heures du matin. Ce créneau horaire a été choisi pour optimiser la coordination avec les médecins libéraux.
Avant d'implémenter ce système, nous nous sommes assurés que le Samu avait la capacité d'assurer cette régulation, que la plateforme du SAS était opérationnelle, et que les médecins libéraux étaient prêts à collaborer. Ce dispositif fonctionne remarquablement bien, avec une diminution significative du nombre de passages aux urgences ne relevant pas de la médecine d'urgence en soirée. Des solutions alternatives sont proposées à l'ensemble des patients, avec un taux d'acceptation très élevé et des évaluations de satisfaction qui démontrent une appréciation positive du service. Cela souligne que de nombreux patients qui se présentaient auparavant aux urgences étaient en réalité désorientés dans notre système de santé et bénéficient désormais d'une meilleure prise en charge.
D'autres territoires ont étendu cette régulation à une couverture 24 heures sur 24.
Notre expérience nous a permis d'identifier les facteurs clés de réussite d'un tel dispositif, qui doit impérativement être pensé et mis en œuvre à l'échelle d'un territoire entier. La communication auprès de la population et des élus locaux est essentielle, nécessitant un message cohérent et unifié de la part de tous les acteurs impliqués.
Une fois ces organisations mises en place et comprises par tous, elles s'intègrent naturellement dans le fonctionnement quotidien de nos services de santé. Nous avons observé que, lorsque la régulation était limitée à un seul établissement, son impact restait limité. En revanche, l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire a entraîné, après quelques mois, une diminution significative des appels au niveau de la régulation. Cette baisse s'explique probablement par une meilleure compréhension du fonctionnement du système Samu-SAS par la population, qui privilégie désormais les appels depuis leur domicile plutôt que de se rendre directement aux urgences.
Le Samu-SAS joue aujourd'hui un rôle essentiel de tour de contrôle de notre système de santé, avec les moyens dont nous disposons. C'est un lieu où nous pouvons accomplir de nombreuses tâches, notamment des démarches de repérage, déjà initiées par plusieurs établissements. À titre d’exemple, nous rappelons les patients chuteurs, identifions leurs besoins et évaluons la possibilité de les orienter vers une filière appropriée sans passer par les structures d'urgence. Ces processus se mettent progressivement en place.
Il manque sans doute une coordination plus étroite avec la médecine libérale. Bien que nos principaux interlocuteurs soient aujourd’hui les médecins libéraux, nous devons également impliquer les professionnels paramédicaux pour être en mesure d'organiser le maintien à domicile en attendant de pouvoir intégrer les patients dans les filières adéquates.
Concernant les personnes âgées, j'ai précédemment affirmé qu'il ne fallait pas se limiter à la gériatrie. En effet, lorsque nous parlons de personnes âgées, nous incluons des individus de soixante-cinq ans qui peuvent présenter des troubles cognitifs, des problèmes psychiatriques ou des difficultés d'autonomie, et pas nécessairement des patients de plus de soixante-quinze ans. Dans nos services, nous sommes constamment confrontés à ce type de discussions. Un patient de soixante-quatorze ans et demi n'est pas considéré comme relevant de la gériatrie alors que, s'il a soixante-quinze ans et présente le même problème, il entre soudainement dans cette catégorie. Je le répète, si nous nous cantonnons à une dichotomie entre gériatrie et urgences, nous ne répondrons pas efficacement au problème. Or c’est précisément ce qui se passe actuellement dans les services d'urgence. En l'absence de solution adaptée, les patients sont systématiquement orientés vers les urgences, ou dirigés vers la gériatrie s’ils ont plus de soixante-quinze ans. Il s'agit là d'un problème institutionnel qui concerne l'ensemble du système de santé, et chaque acteur doit réfléchir à la manière dont il peut contribuer à sa résolution.
Les solutions peuvent prendre diverses formes telles que des hospitalisations directes, des consultations programmées ou encore un ensemble de propositions mises à la disposition des Samu-SAS ou des services d'urgence pour permettre une réorientation ultérieure. Nous avons récemment discuté d'une approche innovante adoptée par certains services d'urgence, qui développent un concept davantage médicosocial consistant à gérer le problème aigu et la problématique sociale, puis à permettre au patient de retourner à son domicile, avant d’organiser sa prise en charge vers la filière la plus adaptée.
Nous devons repenser nos modèles sans pour autant retomber dans la logique de silos qui constitue trop souvent notre écueil. Aujourd'hui, la gériatrie concerne l'ensemble du système de santé. En ce qui concerne le préhospitalier, nous avons effectivement d'importants progrès à réaliser dans nos organisations avec la médecine libérale.
Dr Marc Noizet. Notre objectif n'est pas d'opposer les systèmes. Vous évoquiez les liens entre la ville et l'hôpital, entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, mais je pense que le véritable enjeu se situe ailleurs. Dans la mesure où la demande de soins dépasse aujourd’hui largement ce que notre système de santé est en mesure d'offrir, il est impératif de répartir cette charge de manière équitable, tant pour les patients que pour les professionnels de santé. L'attractivité est un défi commun à l'hôpital et à la médecine de ville, particulièrement auprès des jeunes praticiens. Nous devons réfléchir collectivement pour apporter des solutions à l'échelle du système tout entier.
C'est pourquoi nous affirmons que les patients relevant des soins non programmés, qui n'ont pas réellement besoin de passer par un service d'urgence, doivent trouver leur place en ville, au sein de la médecine libérale. Dans mon département, j'ai coutume de dire que si chaque médecin libéral consacrait ne serait-ce qu'un créneau par semaine aux consultations non programmées, nous disposerions de 600 créneaux hebdomadaires. Cela suffirait amplement à répondre aux besoins de répartition des patients orientés par la régulation du Samu-SAS. Il apparaît clairement que le problème n'est pas tant quantitatif qu'organisationnel.
Les soins non programmés ne devraient plus être pris en charge à l'hôpital car, lorsqu'un patient se présente aux urgences pour une pathologie donnée, le coût est quatre à huit fois supérieur à celui d'une consultation en cabinet libéral. Cela s'explique par notre obligation de moyens, souvent source de reproches, car l'accès systématique à la biologie et à l'imagerie entraîne inévitablement un nombre d'actes plus élevé. De plus, le coût d'un service d'urgence inclut une masse salariale et des frais de structure différents de ceux d'un cabinet. Dans le contexte actuel de tensions financières, il est essentiel de rationaliser l'utilisation de l'offre de soins. Le SAS a précisément ce rôle à jouer.
Pour conclure, j'insiste sur la nécessité de développer des centres de soins primaires ou de proximité. J'évite délibérément l'expression « centres de soins non programmés » en raison de la multiplicité des structures existantes aux philosophies de fonctionnement diverses. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de centres dotés de ressources d'imagerie simples et d'un accès direct à la biologie pour assurer des soins de proximité. Je le répète, il ne s'agit pas de médecine d'urgence. Ces structures peuvent aisément mailler le territoire, comblant les lacunes actuelles en termes d'accès aux soins pour la population.
Les jeunes praticiens s'épanouissent dans ce type d'exercice, qui leur offre une alternative stimulante à leur pratique quotidienne en cabinet de médecine générale. Ils retrouvent un travail en équipe, bénéficient d'un plateau technique et ont la possibilité de réaliser des actes qu'ils ne peuvent pas toujours effectuer dans leur cabinet. Je reste convaincu que cette approche permet de répondre aux besoins de la population tout en évitant la multiplication de services d'urgence de faible activité, qui mobilisent souvent beaucoup de ressources pour peu de résultats. Cette organisation permettrait également un meilleur maillage territorial.
Il ne s'agit pas d'opposer la ville à l'hôpital, mais de répartir différemment l’activité afin que chacun puisse se concentrer sur son cœur de métier, y compris pendant les horaires de permanence des soins.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de rappeler que le sous-objectif de l'objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) concernant les établissements hospitaliers s'élève à 105 milliards d'euros. Aussi, sommes-nous réellement confrontés à un problème de moyens ou plutôt à un enjeu de répartition de ces moyens ?
Je regrette que nous n'ayons abordé qu'une partie de la problématique, malgré les questions soulevées sur le sujet de la revalorisation des praticiens hospitaliers. Certes, nous sommes tous d'accord sur la nécessité de revaloriser les heures supplémentaires. Il existe effectivement une cohérence avec ce qui peut être observé dans le secteur hospitalier privé, notamment concernant la majoration des heures supplémentaires. Je trouve cependant regrettable que nous ayons occulté la problématique qui, sur le terrain, est au cœur des préoccupations des praticiens hospitaliers, qui est la profonde injustice ressentie dans le traitement par rapport aux contractuels motifs 2 et aux intérimaires.
Il est temps de réfléchir, à budget constant, à une solution qui permettrait de remédier à cette situation. Il est certes nécessaire d'agir en faveur des praticiens hospitaliers, mais il faudrait également se pencher sur la question de l'intérim et des contrats motifs 2, dont les conditions sont perçues comme injustes au regard de l'investissement quotidien des praticiens.
Monsieur Van Driesten, la formation des ambulanciers vous paraît-elle adéquate, notamment pour intervenir en contexte d'urgence ? Selon vous, dans quelle mesure faudrait-il renforcer la coordination entre les ambulanciers, la médecine de ville et la médecine d'urgence dans la gestion des soins ?
M. Marc Van Driesten. La formation actuelle des ambulanciers est, à mon sens, totalement inadaptée face à l'évolution des urgences auxquelles nous sommes confrontés. Il existe une disparité flagrante entre le secteur privé et le milieu hospitalier. Dans le privé, une fois le diplôme obtenu, la formation continue est quasiment inexistante. Certains modules, notamment ceux concernant l'évaluation de l'état clinique, que je juge essentiels, devraient être considérablement renforcés. Nous constatons encore trop d'erreurs sur le terrain, non par incompétence, mais en raison de ce manque de formation. Le contenu actuel, qui est inadapté, insuffisant, et ne répond pas aux exigences du terrain, doit être revu en profondeur.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous préciser la différence entre la formation dispensée dans les établissements privés et celle des établissements publics ?
M. Marc Van Driesten. En tant qu'ambulancier au Smur, je peux affirmer que notre formation et notre activité diffèrent radicalement de celles du secteur privé. Bien que le terme ne soit pas officiellement reconnu, nous sommes de fait des urgentistes, spécialisés dans la prise en charge des urgences vitales. Notre formation au sein du Smur est nettement plus poussée et diversifiée que celle du privé, qui n'a aucune obligation de suivre ces formations complémentaires.
Il existe également une différence statutaire majeure, puisque nous sommes fonctionnaires, contrairement aux ambulanciers du privé, ce qui implique des grilles salariales distinctes. Je tiens à préciser que mon propos n'est nullement irrespectueux envers les collègues du privé, mais vise à clarifier les contextes d'exercice très différents, car notre travail s'effectue en étroite collaboration avec des infirmiers et des médecins. Notre champ d'action dans le domaine paramédical s'est récemment élargi avec l'introduction des transferts interhospitaliers paramédicalisés (T2IH) et des unités mobiles hospitalières paramédicalisées (UMHP). Ces dernières, bien qu’encadrées par des protocoles stricts, nous amènent à effectuer des missions sans médecin, ce qui représente une évolution significative de notre rôle.
Je peux personnellement témoigner de la différence de formation considérable entre le privé et le public. Après avoir obtenu mon diplôme d'État d'ambulancier (DEA) il y a plus de cinq ans, j'ai réalisé lors de ma première intervention dans le privé que ma formation initiale était largement insuffisante pour faire face aux réalités du terrain. Ce n'est pas une question de qualité de formation, mais plutôt de son inadéquation avec les exigences pratiques du métier.
Notre problématique principale reste la reconnaissance de notre statut car, malgré l'évolution de nos compétences et de nos responsabilités, nous sommes confrontés à un refus de revalorisation équitable de notre profession.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Si je comprends bien, la formation des ambulanciers du Smur est adéquate, mais celle du secteur privé présenterait d’importantes lacunes ?
M. Marc Van Driesten. En réalité, la formation initiale est inadaptée pour tous les ambulanciers, qu'ils se destinent au Smur ou au privé. Cette inadéquation est particulièrement problématique dans certaines régions où les ambulanciers privés sont fréquemment sollicités pour l'aide médicale urgente, notamment dans les zones où les pompiers ne peuvent intervenir rapidement. Ces ambulanciers peuvent être amenés à effectuer des interventions de prompt secours en tant que premiers intervenants.
La formation initiale doit être renforcée afin que tous les ambulanciers, quel que soit leur futur cadre d'exercice, soient véritablement préparés aux situations d'urgence qu'ils pourraient rencontrer. La différence majeure réside dans les formations complémentaires spécialisées que nous, ambulanciers Smur, suivons par la suite, telles que le PHTLS pour la gestion des polytraumatisés, ouvert également aux infirmiers et médecins, ou encore le TEC, une formation initialement militaire adaptée aux civils pour la médecine de catastrophe. Malgré ces compétences accrues, notre statut reste inadapté. En 2023, nous avons été officiellement reconnus comme soignants, mais sans aucune revalorisation salariale significative. Nous restons classés en catégorie C sédentaire, ce qui est en contradiction flagrante avec la réalité de notre métier, qui est tout sauf sédentaire, et avec le décret de 2011 sur les catégories actives, qui concerne les emplois exposant les agents publics à des fatigues exceptionnelles ou des risques particuliers.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Compte tenu de l'évolution significative du métier d'ambulancier Smur, la formation initiale de dix-huit semaines ne vous semble-t-elle pas être devenue largement insuffisante ? Ne faudrait-il pas envisager une professionnalisation accrue de la formation, peut-être en l'allongeant et en l'enrichissant, afin de répondre aux exigences actuelles du métier ? Ne serait-il pas pertinent d'aligner la durée et le contenu de votre formation sur ces nouveaux besoins, en incluant par exemple une partie en alternance, combinant théorie et pratique sur le terrain ? Cette approche pourrait-elle répondre aux nouvelles missions qui vous sont confiées, notamment en raison du manque d'urgentistes ?
M. Marc Van Driesten. Le DEA a été récemment revalorisé, passant à six mois de formation avec l'intégration de nouvelles techniques. Nous sommes désormais formés à l'aspiration endotrachéale ou encore aux électrocardiogrammes, des actes que nous pratiquons quotidiennement en Smur. En intervention, nous travaillons fréquemment en trinôme ou en binôme avec l'infirmier et sommes constamment actifs.
Pour intégrer un Smur, la formation d'adaptation à l'emploi (FAE) spécifique est obligatoire. Elle dure cinq semaines, ce qui porte la formation totale à environ sept mois. Une fois en poste, nous suivons des formations complémentaires, notamment l'attestation de formation aux gestes et soins d'urgence pour les situations sanitaires exceptionnelles (AFGSU SSE), particulièrement pertinente dans le contexte actuel de risque terroriste accru. L'attentat de Nice a malheureusement mis en lumière notre manque de préparation face à ce type de catastrophe.
Il serait toutefois complexe d'exiger ces formations spécifiques au Smur pour les ambulanciers privés, qui n'exercent pas en équipe médicale. Nous pourrions cependant envisager d'adapter certaines formations propres au Smur et au prompt secours pour les intégrer au cursus de base, car toute formation supplémentaire visant à améliorer la prise en charge des patients est bénéfique. Actuellement, la formation diplômante d'État d'ambulancier est la plus courte parmi les professions de santé.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous proposez donc que tous les ambulanciers reçoivent une formation minimale de type Smur. Vos arguments portent sur le fait que certaines formations ne sont dispensées qu'une fois en poste, ce qui signifie qu'un ambulancier pourrait potentiellement intervenir sans avoir reçu toutes les formations nécessaires. Vous suggérez donc d'intégrer ces formations en amont, dans la formation initiale, éventuellement sous forme de spécialité Smur optionnelle. Cela garantirait que les ambulanciers soient pleinement formés dès leur prise de poste au Smur, évitant ainsi le risque d'intervenir sur des cas nécessitant des compétences non encore acquises.
M. Marc Van Driesten. Votre suggestion est tout à fait pertinente. Les formations que j'ai mentionnées étant spécifiquement conçues pour les interventions médicales, elles devraient effectivement être adaptées pour intégrer la formation initiale. Toutefois, tous les ambulanciers ne feront pas du prompt secours car certaines sociétés privées se concentrent uniquement sur des rendez-vous programmés et des hospitalisations planifiées, sans jamais intervenir dans l'urgence.
Néanmoins, adapter la formation est nécessaire car un incident peut toujours arriver et nous avons malheureusement trop souvent vu des ambulanciers du privé mis en cause par manque de formation. Intégrer la FAE Smur dans la formation initiale pourrait donc être une bonne idée, car elle couvre les aspects de l'urgence et permettrait à ceux qui envisagent cette carrière de disposer d’une base solide.
Cependant, l'expérience sur le terrain reste essentielle, et le travail en Smur est probablement la profession qui confronte le plus à des situations difficiles. Nous sommes les premiers sur les lieux, devant gérer non seulement les patients mais également les familles dans des circonstances souvent traumatisantes.
Mme Géraldine Bannier (Dem). En tant que députée de la Mayenne, je peux témoigner de la complexité de l'organisation des services d'urgence et de la régulation dans notre département. Malgré de nombreuses réunions visant à assurer une couverture quotidienne des services d'urgence et du Smur, nous nous retrouvons en avril avec deux jours de fermeture des urgences et trois périodes de douze heures sans Smur. Cette situation est aggravée par des interventions tardives signalées par le centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers, dues à l’obligation d'envoyer des patients dans les départements voisins.
Selon vous, ne faudrait-il pas réformer le pilotage et la gouvernance lorsque le système dysfonctionne, afin de permettre une prise de décision efficace et la mise en place d'un calendrier opérationnel ? Par ailleurs, comment surmonter le problème récurrent de la pénurie de professionnels ?
La situation s'est encore détériorée avec la démission de cinq médecins sur quarante par suite de la mise en place de la régulation, nous laissant face à une situation extrêmement tendue. Les médecins libéraux, bien qu'engagés dans la permanence des soins, menacent de se retirer si la situation s'aggrave. De plus, nous constatons des pratiques différentes selon les hôpitaux, certains médecins acceptant de quitter leurs services pour travailler aux urgences, d'autres non, ce qui engendre des difficultés supplémentaires. Cette situation complexe affecte à la fois les patients et les soignants, mettant une pression considérable sur l'ensemble du système de santé local.
Dr Marc Noizet. L'investissement de Samu Urgences de France dans votre département a été considérable. Nous y avons consacré six mois, travaillant étroitement avec les communautés hospitalières, les urgentistes, les élus et les patients pour améliorer la situation. Cette expérience illustre parfaitement la problématique du courage politique que j'évoquais précédemment. Votre département incarne les difficultés d'un petit territoire rural confronté à une démographie médicale en souffrance, tant à l'hôpital qu'en ville, où l’on s'efforce de maintenir une offre de soins inchangée sur l'ensemble du territoire malgré les obstacles.
Les communautés médicales, qui souhaitent perpétuer leurs pratiques antérieures, représentent bien souvent le premier frein au changement. Les questions de rémunération représentent un autre obstacle majeur. À mon sens, les contrats motif 2 doivent effectivement être supprimés, car ils engendrent une concurrence déloyale au sein du système public. Il est néanmoins essentiel de conserver des remplaçants avec une rémunération encadrée, car nous avons toujours besoin de remplaçants.
Concernant la Mayenne, nous faisons face à trois principaux obstacles, qui sont le monde hospitalier lui-même, la population qui défend le maintien d'une offre de soins identique dans les trois secteurs du département, et le monde politique, particulièrement influent dans votre département, composé de personnalités ayant mené des carrières brillantes et dont l'autorité est reconnue. Ces acteurs s'opposent à toute réforme du système de santé sur le territoire.
Au niveau national, la France compte environ 700 services d'urgence, que nous ne sommes plus aujourd’hui en mesure de maintenir dans leur intégralité. Or si chacun refuse le changement, nous resterons dans l'impasse. Depuis la modification du décret relatif aux autorisations de médecine d’urgence, intervenue le 29 décembre 2023, les établissements peuvent désormais créer des antennes de médecine d’urgence. Cette disposition permet, par exemple, de fermer un service durant la nuit lorsque l’activité y est très faible, ce qui libère des ressources humaines précieuses pour d’autres besoins du territoire.
Pourtant, force est de constater que cette possibilité reste très peu utilisée. L’analyse conduite auprès des agences régionales de santé (ARS) montre que rares sont les territoires à avoir engagé cette réorganisation, alors même que de nombreux services affichent une fréquentation nocturne extrêmement limitée. Deux raisons principales expliquent cette situation. D'une part, les médecins apprécient le confort d'un service fonctionnant en continu, même avec une activité nocturne réduite, tout en bénéficiant d'une rémunération identique à celle de services plus sollicités. D'autre part, la population et les élus s'opposent fermement à toute modification de leur service d'urgence, invoquant des motifs de sécurité.
Il est impossible de maintenir le maillage territorial tel qu'il a été conçu il y a vingt ou vingt-cinq ans et nous devons désormais faire preuve de courage politique pour transformer notre système de santé et rationaliser l'accès aux soins. Cela implique la création de centres de soins de proximité répondant à 80 % des besoins actuellement traités par les services d'urgence. L'urgence vitale, quant à elle, reste assurée par le Smur, capable d'intervenir rapidement sur l'ensemble du territoire.
Cette approche reste malheureusement difficile à faire accepter, tant par la population que par les élus locaux. J’ai personnellement rencontré des maires et des députés résolument opposés à toute évolution de leur hôpital, y compris lorsque l’établissement présente une activité très faible. Nous portons pourtant une responsabilité collective face à cette transformation devenue indispensable. Si nous souhaitons éviter de reproduire les fermetures aléatoires de services observées au cours des derniers étés, parfois dans des départements particulièrement sollicités comme le Var, nous devons imaginer ensemble des solutions lucides et courageuses.
Je reste convaincu que l'approche que nous avons adoptée en Mayenne, si elle est poursuivie et approfondie par les professionnels, les établissements de santé et les élus, permettra de repartir sur des bases saines et stables, redonnant ainsi de l'attractivité au territoire. Car lorsqu'un territoire est en grande difficulté, il n'attire plus personne.
Dr Laurent Maillard. L'égalité d'accès aux soins doit impérativement être maintenue. Aujourd’hui, nous ne sommes même pas certains de pouvoir conserver 600 services sur les 700 actuellement recensés. Si nous devons nous limiter à 600 services, est-il juste que seuls les territoires ruraux en fassent les frais, ou tous les territoires doivent-ils contribuer à l'effort ? Cette réflexion est essentielle. Certains territoires sont convaincus d’être suffisamment attractifs et dotés pour ne pas être concernés par le risque de fermeture, mais des situations telles que celle du Var montrent que nous risquons de créer des déséquilibres majeurs au niveau régional. Nous devons adopter une vision globale et considérer que chacun doit contribuer équitablement aux efforts nécessaires dans nos régions.
M. le président Jean-François Rousset. Nous traversons effectivement une période de profonde mutation, tant sur le plan professionnel, les praticiens aspirant à de nouvelles méthodes de travail, que sur le plan organisationnel, les structures actuelles n'étant pas toujours efficientes.
Vous pouvez, au besoin, compléter nos échanges par écrit avec tout sujet ou toute recommandation que vous jugerez utile.
La séance s’achève à seize heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Romain Eskenazi, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset