Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins

– Table ronde, ouverte à la presse, en présentiel et visioconférence, sur « les perspectives internationales de l’organisation du système de soins » réunissant : M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Allemagne et M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Suède..              2

–  Présences en réunion............................11


Mercredi
28 mai 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 21

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président

 


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La séance débute à seize heures trente.

 

M. le président Jean-François Rousset. Nous accueillons pour cette table ronde sur les perspectives internationales de l'organisation du système de soins M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l'ambassade de France en Allemagne, et M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l'ambassade de France en Suède, qui nous rejoint en visioconférence. Je vous propose de commencer par une brève intervention liminaire de cinq minutes chacun, avant de passer aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Francis Bouyer et Xavier Schmitt prêtent serment.)

M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Allemagne. Je propose d'aborder directement les grands défis auxquels le système de santé allemand est actuellement confronté.

Il est intéressant de constater que, dans le cadre de la dynamique de relance de la relation franco-allemande et de la convergence des modèles sociaux souhaitée par le président de la République et le chancelier, les problématiques sanitaires et les agendas de politique publique en France et en Allemagne présentent de plus en plus de similitudes.

L'Allemagne, bien qu'étant le pays européen consacrant la plus grande part de son PIB aux dépenses de santé, fait face à des indicateurs de santé qui ne justifient pas ce niveau de dépense. L'espérance de vie moyenne a diminué, notamment à l'est de l'Allemagne où elle a chuté de 9 % en un an. L'espérance de vie en bonne santé à 65 ans est inférieure à celle de la France. Les maladies de l'appareil circulatoire constituent la première cause de décès en Allemagne, contrairement à la France. Les indicateurs oncologiques sont également moins favorables, avec 236 décès pour 100 000 habitants liés au cancer chaque année en Allemagne, contre 222 en France.

Le surpoids est plus fréquent en Allemagne, avec une augmentation du diabète de type 2 à tous les âges et une consommation de tabac plus élevée. Les indicateurs se dégradent fortement chez les plus de 65 ans en situation de pauvreté, qui représentent environ 20 % de la population allemande.

La démographie médicale et l'attractivité du secteur constituent un deuxième défi majeur, dans un contexte de croissance forte des besoins liée à l'évolution démographique. Paradoxalement, bien que le nombre de médecins conventionnés ait augmenté de plus de 23 % en dix ans et le nombre d'étudiants en médecine de 17 %, le nombre de patients par médecin atteint un niveau inédit. Un quart des patients relevant de l'assurance maladie publique doivent attendre plus de trente jours pour obtenir un rendez-vous médical, et 60 % patientent plus de quinze minutes avant une consultation.

Cette situation s'inscrit dans un contexte où le nombre de personnes de plus de 67 ans augmentera de 4 millions d'ici 2035, et où 31 % des médecins sont âgés de plus de 55 ans. L'hôpital et le secteur médico-social sont particulièrement touchés par les pénuries de main-d'œuvre.

Le troisième défi concerne l'équilibre des finances de l'assurance maladie, qui devient de plus en plus fragile au moment où la nouvelle coalition gouvernementale se met en place. L'assurance maladie légale est redevenue déficitaire en 2019, avec un déficit des caisses atteignant plus de 6 milliards d'euros en 2024. Leur trésorerie est désormais réduite à 20 % de la dépense mensuelle de santé. En 2023, 78 % des hôpitaux étaient déficitaires, avec un déficit global atteignant 9 milliards d'euros selon la Société nationale hospitalière.

Le taux légal de cotisation d'assurance maladie de 14,6 % peut être complété par un taux complémentaire décidé individuellement par chacune des 95 caisses d'assurance maladie en concurrence. Ce taux complémentaire moyen est passé de 0,9 % en 2019 à 2,5 % actuellement, portant le taux moyen global effectif de cotisation à 17,1 %.

Enfin, la digitalisation du système de santé représente un enjeu majeur. L'Allemagne accuse un retard dans son infrastructure digitale et numérique, qui n'est pas spécifique au secteur de la santé. Si la mise en place d'une ordonnance électronique fonctionne bien, le déploiement du dossier électronique du patient, équivalent du dossier médical partagé (DMP) français, n'en est qu'à ses débuts. Sa généralisation, désormais obligatoire avec une option de retrait, se heurte à de nombreuses failles de sécurité et à une certaine réticence de la profession médicale à s'approprier cet outil.

L'Allemagne, en tant qu'État fédéral, confère à chaque Land des compétences propres, y compris des parlements votant leurs propres lois, notamment dans le domaine de la santé. L'État fédéral allemand ne dispose pas de services déconcentrés. Cela signifie qu'il n'existe pas d'équivalent aux agences régionales de santé (ARS) françaises. Ce sont les collectivités territoriales, à savoir les Länder et les communes, qui sont chargées de l'exécution des lois fédérales, agissant en partie comme des circonscriptions administratives du Land.

Un autre aspect fondamental du système allemand réside dans la délégation par le législateur d'une grande partie de sa compétence normative aux organisations professionnelles. Dans le domaine des politiques de santé, nous observons un système largement autorégulé par les acteurs eux-mêmes, principalement à travers le comité fédéral conjoint. Cet organisme regroupe la fédération nationale des caisses d'assurance maladie, l'association nationale des médecins conventionnés, celle des dentistes conventionnés, et la fédération nationale hospitalière. Ainsi, de nombreuses décisions qui relèveraient du pouvoir politique en France sont, en Allemagne, du ressort de ce comité, auquel le législateur a délégué ses compétences.

M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Suède. Je vous remercie de me permettre d'apporter des précisions sur le système de santé suédois, ses atouts, ses lacunes et les éléments qui pourraient inspirer la France. Pour mieux appréhender la méthode suédoise, je propose de l'aborder à travers dix mots-clés.

Premièrement, la décentralisation. Le système de santé suédois est décentralisé, relevant de la compétence des 21 régions. Les activités médico-sociales, telles que la petite enfance, le handicap et le grand âge, sont du ressort des 290 communes. Les régions sont responsables de l'organisation et du financement de la santé, ce qui représente en moyenne 90 % de leur budget. Ces régions prélèvent une partie de l'impôt, faisant de la Suède le pays de l'Union européenne où la part des recettes fiscales revenant aux administrations locales est la plus élevée. Dans ce contexte, l'association des communes et des régions joue un rôle crucial dans l'administration territoriale des soins et dans les négociations avec les professionnels de santé.

Deuxièmement, l'agenciarisation. En Suède, les ministères sont de taille modeste. Le gouvernement et le parlement fixent la législation et les grandes orientations stratégiques, mais ce sont les agences, mieux dotées en ressources humaines, qui disposent de pouvoirs étendus et pilotent les politiques sanitaires et sociales. Chaque sujet est géré par une agence spécifique. Dans le domaine de la santé, deux agences jouent un rôle pivot, complétées par quatorze autres couvrant des domaines tels que la pharmacovigilance, l'inspection des établissements et le numérique en santé.

Troisièmement, le virage ambulatoire. La Suède a opté pour un transfert massif des activités hospitalières vers les soins primaires. Le pays ne compte aujourd'hui que deux lits pour 1 000 habitants à l'hôpital, le chiffre le plus bas des pays de l'OCDE. Parallèlement, 1 234 centres de soins primaires maillent le territoire, chacun prenant en charge en moyenne 8 400 patients.

Quatrièmement, le salariat. La médecine libérale existe en Suède, mais de manière très limitée. Sur les 46 000 médecins en activité, seuls 700 exercent sous forme libérale. La grande majorité des professionnels de santé sont salariés, exerçant soit à l'hôpital, soit dans un centre de soins primaires, presque toujours dans un cadre d'exercice collectif et coordonné.

Cinquièmement, l'horizontalité. Les systèmes de santé nordiques sont moins verticaux et cloisonnés que le système français. Le terme « paramédical » n'existe pas en suédois, il n’y a que des professionnels de santé exerçant l’une des 22 professions de santé prévues et encadrées par l’agence de la santé et des affaires sociales. Cette approche se traduit par une coordination plus directe et moins hiérarchique entre les professions, avec notamment la possibilité pour les infirmières de prescrire certains médicaments depuis 1994.

Sixièmement, la régulation. L'accès au système de santé est régulé par une plateforme nationale, le 1177, qui offre des conseils de santé publique et oriente les patients vers les services appropriés. Pour les soins non programmés, une stricte régulation est appliquée, limitant les arrivées non orientées aux urgences. Certaines régions, notamment celle de Stockholm, ont développé des urgences de proximité, intermédiaires entre les centres de soins primaires et les services d'urgence traditionnels.

Septièmement, la numérisation. La société suédoise est très numérisée, y compris dans le secteur de la santé. Chaque citoyen suédois dispose d'un dossier médical partagé, accessible immédiatement à tous les professionnels de santé qui l'accompagnent. À la sortie d'un centre de soins, le patient peut se rendre dans n'importe quelle pharmacie et, en fournissant son numéro personnel d'identification, le pharmacien accède à l'historique des prescriptions. Ce système, simple et efficace, repose sur le portail 1177 auquel le patient se connecte de manière sécurisée pour accéder à toutes ses informations de santé.

Huitièmement, les inégalités. Des disparités importantes existent entre les territoires et les catégories sociales, particulièrement entre les plus hauts et les plus bas revenus, comme l'a révélé la crise sanitaire. Bien que 87,5% des Suédois estimaient en 2024 avoir accès aux services dont ils avaient besoin, selon une enquête de l'association des communes et des régions, le sentiment d'une dégradation progressive du système est présent. Les enjeux d'accès aux soins dans les zones sous-denses, de démographie médicale et de files d'attente sont devenus des réalités en Suède. Pour répondre à ces défis, le législateur a instauré une garantie de soins, un droit des patients censé leur permettre d'accéder aux soins selon une approche graduée avec des délais fixes. Cette garantie prévoit un contact téléphonique ou par tchat dans la journée avec le centre de soins primaires, un rendez-vous dans ce centre dans les trois jours, un rendez-vous chez un spécialiste dans les quatre-vingt-dix jours, et l'accès à un traitement ou une opération également dans le même délai. Bien que pas totalement respectée, cette garantie constitue un outil de mesure et d'évaluation intéressant.

Neuvièmement, la prévention. Elle occupe une place prépondérante en Suède. Des politiques anti-tabac très restrictives et un monopole d'État sur la vente d'alcool sont en place. La promotion des modes de vie actifs et de la pratique sportive est fortement encouragée, avec la possibilité pour les employés de consacrer une heure par semaine sur leur temps de travail à des activités physiques. La couverture vaccinale est très élevée, malgré l'absence d'obligation, grâce à un haut niveau de confiance dans les institutions et la parole publique.

Dixièmement, la confiance. Cette confiance, atout considérable pour l'efficacité de l'action publique dans le domaine de la santé comme dans d'autres, a notamment permis aux autorités sanitaires de gérer la crise sanitaire de manière moins contraignante qu'ailleurs. Néanmoins, la Suède fait face à des défis similaires à ceux d'autres pays : pénurie de soignants, santé mentale des jeunes, délais d'attente, disparités sociales et territoriales, dans un contexte de vieillissement de la population qui met sous tension le système de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je souhaite aborder plusieurs points concernant les modèles allemand et suédois. Tout d'abord, concernant la formation des médecins, j'aimerais savoir comment elle se déroule dans ces deux pays. En Suède, vous avez mentionné une formation qui ne présentait pas de différences majeures pour les 22 professions de santé. Existe-t-il des modules de formation communs entre infirmières, aides-soignantes et médecins, quelle que soit leur spécialité, durant les premières années d'études ? Plus précisément sur la formation des médecins, pouvez-vous détailler la durée totale des études, la répartition entre théorie et pratique, et le moment où ils peuvent commencer à exercer sur le terrain ?

Ma deuxième question porte sur les différents types d'hôpitaux. Quelle est la répartition entre hôpitaux publics et privés ? La permanence des soins est-elle assurée de manière similaire dans les deux types d'établissements ? Enfin, le financement par la solidarité nationale est-il identique pour une clinique privée et un hôpital public ?

Je laisse de côté pour l'instant la question des centres de soins suédois, qui semblent avoir une organisation différente de ce que nous connaissons en France. Nous pourrons y revenir ultérieurement si nécessaire.

M. Xavier Schmitt. Concernant la formation des médecins en Suède, le processus est le suivant. L'admission aux études de médecine requiert l'équivalent d'un baccalauréat scientifique avec d'excellentes notes. Bien qu'il n'y ait pas de concours, la filière reste très sélective. La formation s'étend sur douze semestres, soit six ans. Elle comprend une période de formation de base, suivie d'un service général équivalent à notre externat, durant de dix-huit à vingt-et-un mois, puis d'un service spécialisé comparable à notre internat, d'une durée d'environ cinq ans. Les périodes d'apprentissage pratique se déroulent dans divers établissements et centres de santé ou accueils spécialisés. À l'issue de ces six années, les médecins peuvent s'engager dans un cursus de spécialité.

Concernant les blocs de formation communs entre les différentes professions de santé, il n'en existe pas à proprement parler, car ce sont des filières distinctes. Cependant, il est important de souligner que l'exercice collectif est fondamental dans le système de santé suédois. Que ce soit à l'hôpital ou dans les centres de soins primaires, il n'y a pas de cloisonnement entre les professions. On observe une réelle collaboration entre les professionnels de santé, qui n'hésitent pas à échanger et à se consulter mutuellement en cas de doute sur un diagnostic.

Cette approche horizontale ne se limite pas au domaine de la santé, mais caractérise la société suédoise dans son ensemble. On la retrouve dans le management des entreprises et des organisations à tous les niveaux, reflétant une culture de collaboration et d'échange qui transcende les hiérarchies traditionnelles. Cette horizontalité est profondément ancrée dans la société suédoise.

En Suède, l'approche des soins de santé est remarquablement directe. Dans les centres de soins primaires, on ne vous annonce pas l'arrivée d'un médecin spécifique, mais plutôt qu'un professionnel de santé, désigné par son prénom, va s'occuper de vous. Cette pratique illustre bien la culture suédoise de proximité et d'égalité.

Concernant l'organisation hospitalière, la Suède dispose de 60 hôpitaux régionaux, sept centres hospitaliers universitaires et six hôpitaux privés. Ces derniers ont un statut particulier : ce sont des établissements publics dont la gestion est confiée à des opérateurs privés.

La politique de santé suédoise vise à réduire drastiquement les durées d'hospitalisation. Par exemple, après un accouchement par voie basse, le séjour hospitalier moyen est de 2,3 jours, alors qu'en France, les recommandations de la Haute Autorité de santé préconisent entre 72 et 96 heures. Cette tendance à raccourcir les séjours hospitaliers est encore plus marquée au Danemark, où 25 % des femmes rentrent chez elles seulement 12 heures après avoir accouché.

Le financement des hôpitaux est assuré par les régions, qui perçoivent des impôts. La majeure partie de leurs budgets est consacrée aux dépenses de santé. Les élections régionales, qui se tiennent tous les quatre ans simultanément aux élections municipales et nationales, sont donc largement centrées sur les questions de santé. Ainsi, lorsque les citoyens votent aux élections régionales, ils sont pleinement conscients que leur choix aura un impact direct sur la gestion des soins de santé.

M. Francis Bouyer. En Allemagne, la formation médicale diffère significativement de celle de la Suède. Les cycles de formation sont distincts pour les différentes professions médicales, sans tronc commun entre infirmières et médecins, par exemple.

La durée standard des études de médecine en Allemagne est de douze semestres, soit six ans. Cette formation initiale est suivie d'une formation continue équivalente à notre spécialisation. Il est important de noter que la médecine générale est considérée comme une spécialité à part entière en Allemagne.

Le contenu et la durée de cette formation continue varient selon la spécialité choisie et le Land concerné, chaque région ayant ses propres règles. D'après nos recherches, cette formation complémentaire dure entre vingt-quatre et soixante-douze mois selon la spécialité et le Land, soit de deux à six ans supplémentaires après les six années d'études initiales.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Une fois les six années d'études de base achevées, les médecins allemands sont tenus de se spécialiser. Ils ne sont pas autorisés à pratiquer des actes médicaux sans cette spécialisation.

M. Francis Bouyer.  Effectivement, la spécialisation est obligatoire en Allemagne, y compris pour la médecine générale qui est considérée comme une spécialité à part entière.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je m'interroge sur la nature des six années initiales d'études médicales en Allemagne. S'agit-il uniquement d'enseignements théoriques ou y a-t-il également une composante pratique, similaire à ce qui se fait en Suède ou en France, avec des stages externes et internes ?

M. Francis Bouyer.  Les six années d'études médicales en Allemagne combinent théorie et pratique. Elles se divisent en trois phases distinctes. Les cinq premiers semestres sont principalement théoriques, dispensés à l'université, mais incluent néanmoins un stage pratique de soins aux patients d'au moins trois mois.

Du cinquième au dixième semestre, les étudiants effectuent de nombreux stages courts, d'une à six semaines, dans diverses spécialités médicales telles que la médecine interne, la chirurgie, la pédiatrie, la gynécologie et la médecine générale. Ces stages visent à développer leurs compétences en diagnostic clinique. Durant cette période, ils participent également à la Famulatur, un service au contact direct des patients pour améliorer leurs compétences relationnelles.

Les deux derniers semestres constituent une année pratique exclusive, réalisée dans des centres hospitaliers universitaires ou des hôpitaux d'enseignement dédiés, s'apparentant à une formation en alternance.

Concernant la permanence des soins en établissement de santé (PDSES), ce système n'existe pas en tant que tel en Allemagne. Le pays maintient une séparation stricte entre médecine hospitalière et médecine de ville, contrairement au modèle français des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

La permanence des soins est organisée différemment : d'un côté, le 116-117 gère les soins non urgents en ville, organisés par les associations régionales de médecins conventionnés, avec des disparités importantes selon les régions. De l'autre, le 112 est dédié aux urgences, tous les hôpitaux étant tenus d'accueillir les urgences avec un système de garde et d'astreinte.

Il faut noter que l'Allemagne dispose de 1,5 fois plus de lits d'hôpitaux par habitant que la France, ce qui facilite la gestion des urgences. Une réforme visant à créer des centres d'urgence intégrés, combinant médecine de ville et hospitalière, a été proposée mais reportée à la suite de changements politiques.

Enfin, concernant le statut des établissements hospitaliers, la part des hôpitaux privés a doublé en Allemagne au cours des vingt dernières années. Cependant, l'encadrement normatif, le système de tarification et le régime des contrats sont identiques quel que soit le statut juridique de l'hôpital, public ou privé. Il n'existe pas de fonction publique hospitalière spécifique comme en France.

Mme Géraldine Bannier (MoDem).  Ma question porte sur les zones les moins attractives pour les professionnels de santé. Existe-t-il, dans vos pays, des systèmes de solidarité, à l’instar des médecins solidaires en France ou de la possibilité d’installer, deux jours par mois, des médecins dans ces territoires ?

M. Xavier Schmitt. Je tiens à apporter des précisions concernant la situation des zones sous-denses en Suède et les dispositifs mis en place pour attirer les professionnels de santé. En comparant les densités médicales entre la région de Stockholm et celle du Norrbotten, la plus septentrionale de Suède, j'ai constaté que l'écart n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser. Stockholm compte 4,4 médecins et 9,5 infirmières pour 1 000 habitants, tandis que le Norrbotten en dénombre respectivement 3 et 11,8. Cette densité médicale du Norrbotten est comparable à celle de départements français comme le Haut-Rhin ou le Gard, qui ne sont certes pas en tête du classement national, mais ne sont pas non plus considérés comme des territoires en pénurie de professionnels de santé.

Pour attirer les praticiens dans ces zones, plusieurs leviers sont actionnés. Les régions, qui gèrent le financement de la santé, peuvent augmenter les salaires, un outil rapidement mobilisable. Il est important de noter que les écarts de rémunération entre médecins restent contenus à l'échelle nationale. Les régions confrontées à des difficultés de recrutement peuvent également instaurer des primes, notamment des primes de maintien en poste pour inciter les médecins plus âgés à prolonger leur activité de deux à trois ans.

Concernant la formation, l'université d'Umeå, dans la région du Västerbotten, a mis en place un programme spécifique intitulé « filière de médecine rurale », visant à former des médecins spécialisés dans l'exercice en zones rurales potentiellement sous-dotées.

Les centres de santé peuvent aussi proposer des avantages pour attirer les professionnels, tels que la gratuité de l'hébergement ou l'abonnement à une salle de sport, un élément particulièrement apprécié en Suède. Ces éléments, bien que pouvant paraître anecdotiques, peuvent peser dans la décision d'un jeune médecin quant à son lieu d'installation.

L'argument principal reste qu'il n'existe pas de différentiel significatif de rémunération entre les régions suédoises. Les collectivités territoriales, disposant du pouvoir de lever l'impôt, ont la capacité d'ajuster les rémunérations, si nécessaire, pour attirer les praticiens.

M. Francis Bouyer.  En ce qui concerne l'Allemagne, je n'ai pas connaissance d'un dispositif équivalent à celui des médecins solidaires. Il est important de souligner qu'en Allemagne, contrairement à la France, il n'existe pas de liberté d'installation pour les médecins. La question des déserts médicaux, bien que présente dans le débat public et dans le nouveau contrat de coalition, doit être relativisée au regard de la situation française.

En effet, l'Allemagne compte 4,5 médecins pour 1 000 habitants contre 3,4 en France, 116 spécialistes contre 82, et 12 infirmiers contre 2,3. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec la superficie de l'Allemagne, qui représente 65% de celle de la France, tout en ayant 22 % d'habitants supplémentaires. Cette configuration démographique et géographique différente implique naturellement une approche distincte de la problématique. Il est à noter que 90 % des patients allemands ont accès à un médecin en moins de dix minutes de route.

Le système de contrôle de l'installation des médecins en Allemagne a été mis en place il y a environ trente ans. La formation des médecins relève de la compétence des Länder, ce qui signifie qu'un médecin formé dans un Land donné exercera généralement dans ce même Land. Au niveau fédéral, le Gemeinsamer Bundesausschuss (G-BA) établit un modèle de planification des besoins, déterminant une échelle territoriale par spécialité avec un nombre de médecins à couvrir.

Sur cette base, les associations régionales de médecins conventionnés identifient les zones sous-denses et celles qui ne sont plus ouvertes à l'installation. Dès lors qu'une zone atteint 110 % de la cible de couverture, elle n'est plus ouverte à l'installation de nouveaux médecins conventionnés. À l'inverse, lorsqu'une zone est couverte à moins de 50 %, des dispositifs incitatifs sont mis en place pour encourager l'installation.

Il est important de noter qu'en Allemagne, lorsqu'un médecin dépasse de 150 % l'enveloppe d'actes négociée avec les caisses d'assurance maladie, le remboursement intégral des actes n'est plus assuré. Cette règle de régression du remboursement ne s'applique pas dans les zones sous-denses. De plus, un fonds de santé structurel au niveau fédéral, alimenté par une partie des cotisations, permet de financer des aides à l'installation.

Certains Länder, notamment à l'est de l'Allemagne, ont mis en place des dérogations au principe de sélection basé sur les notes pour les études de médecine, à condition que les étudiants s'engagent à exercer pendant au moins dix ans dans une zone sous-dense.

Malgré ces dispositifs, l'Allemagne fait face à des défis en matière de répartition des médecins. Une étude de la Fondation Bosch estime qu'il manquera 11 000 médecins généralistes en 2035 et que 40 % des territoires équivalents aux cantons seront sous-dotés. Cependant, il convient de relativiser ces projections, car le nombre de médecins et d'étudiants en médecine continue d'augmenter.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À la suite de l'audition de ce matin des représentants des industries du médicament, je souhaiterais obtenir des informations concernant le remboursement des médicaments dans chacun des deux pays. Plus précisément, je voudrais connaître la répartition entre la part remboursée par la solidarité nationale via les cotisations, celle prise en charge par les mutuelles, et le reste à charge pour la population, exprimée en pourcentage. De plus, si vous disposez de données similaires pour la consultation d'un médecin généraliste, cela serait également très intéressant à analyser.

M. Xavier Schmitt. En Suède, le financement du système de santé est très majoritairement public, les assurances privées ne couvrant que 12 % de la population. Le mécanisme de remboursement suédois, tant pour les médicaments que pour les consultations médicales, repose sur un système de franchise plafonnée, s'apparentant à un ticket modérateur dégressif. Concrètement, le patient s'acquitte d'une somme modique, généralement d'une vingtaine d'euros, à chaque consultation. Une fois atteint un plafond prédéfini, tous les soins ultérieurs deviennent gratuits grâce à la carte de gratuité. Ce système concerne aussi les médicaments. Le plafond est fixé, sur une période de douze mois, à 1 450 couronnes (environ 140 euros) pour les soins primaires et à 2 900 couronnes (environ 280 euros) pour les médicaments. Concernant les hospitalisations, le plafond est fixé à 12 euros par jour.

La philosophie sous-jacente à ce bouclier sanitaire est d'éviter que les contraintes financières ne deviennent un frein à l'accès aux soins. L'objectif est de protéger le patient d'une charge financière excessive tout en maintenant une forme de responsabilisation dans la consommation de soins.

M. Francis Bouyer.  En Allemagne, 90 % de la population relève de l'assurance maladie publique, tandis que 10 % bénéficient d'une assurance maladie privée. Cette dernière catégorie concerne principalement les fonctionnaires, les personnes dont les revenus dépassent certains plafonds, et quelques autres groupes spécifiques.

Le prix des médicaments est libre, mais la base de remboursement fait l'objet d'une négociation directe entre la fédération des caisses d'assurance maladie et les industriels. Si le prix de vente excède cette base, le patient assume la différence. Dans la pratique, l'accès aux soins et aux médicaments est quasiment gratuit pour le patient, ce qui explique l'absence de mutuelles complémentaires en Allemagne.

Le reste à charge pour le patient est plafonné à 10 euros par boîte de médicament, ou 5 % du prix du médicament dans cette limite. Les médicaments prescrits aux mineurs sont entièrement gratuits.

L'évaluation du service médical rendu est effectuée par le G-BA, et la base de remboursement est négociée entre l'assurance maladie et le fabricant, sauf durant les six premiers mois suivant l'autorisation de mise sur le marché, où le remboursement est intégral.

Concernant les consultations de médecins libéraux, une liste d'actes remboursés et leur tarification sont négociées entre la fédération nationale des associations de médecins conventionnés et la fédération nationale des caisses d'assurance maladie.

M. le président Jean-François Rousset. Qu'en est-il des transports sanitaires dans vos pays respectifs ?

M. Francis Bouyer. En Allemagne, les transports sanitaires relèvent de la compétence des Länder, avec des règles qui varient d'un Land à l'autre. Une réforme des transports sanitaires, initiée par le gouvernement précédent, est en cours de redéfinition. Cette question soulève des enjeux de coordination transfrontalière, notamment entre le Samu français et les services d'urgence allemands.

M. Xavier Schmitt. En Suède, les transports sanitaires sont une compétence des régions.

M. Francis Bouyer. Le système allemand fonctionne efficacement. À Berlin, par exemple, le système d'alerte est tel que plusieurs ambulances arrivent simultanément sur les lieux d'intervention. Bien que l'efficience de cette approche puisse être questionnée, elle assure une réponse rapide et visible. L'organisation des transports d'urgence varie selon les Länder : certains les gèrent en régie, d'autres les délèguent à des opérateurs comme la Croix-Rouge ou à des entreprises privées.

M. Xavier Schmitt. En Suède, le système de régulation par une infirmière via le numéro 1177 offre une gamme de réponses adaptées aux situations. Parmi ces options, l'envoi d'une équipe d'ambulanciers au domicile du patient pour effectuer des contrôles ou lever un doute médical est possible. Cette approche transforme le transport sanitaire en un outil de régulation et d'aide au diagnostic, permettant d'évaluer sur place la nécessité d'un transfert aux urgences.

M. le président Jean-François Rousset. Je tiens à vous remercier pour la qualité de vos interventions. Cette comparaison entre les systèmes allemand, suédois et français s'avère particulièrement enrichissante, mettant en lumière à la fois des différences significatives et des similitudes intéressantes. N'hésitez pas à compléter vos propos par des envois ultérieurs si nécessaire. Nous allons maintenant enchaîner avec la table ronde sur l'hospitalisation privée.

 

 

La séance s’achève à dix-sept heures trente.

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset