Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, et Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes              2

– Présences en réunion................................13

 


Mercredi
26 mars 2025

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à seize heures quinze.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête auditionne Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, et Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes.

M. le président Denis Masséglia. Nous recevons à présent Mmes Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, et Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la même Cour, pour évoquer, notamment, le contenu de deux documents produits par la Cour des comptes qui traitent de sujets entrant dans le champ des investigations de la commission d’enquête.

Le premier document, publié en juillet 2020, est un rapport sur les dispositifs de l’État en faveur des salariés des entreprises en difficulté.

Le second document, publié en juillet 2023, prend la forme d’une note thématique intitulée « Garantir l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises ».

Ces documents sont consultables sur le site internet de la Cour.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Carine Camby et Mme Anne-Laure de Coincy prêtent serment.)

Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes. En préambule, je précise que la 1re chambre est compétente sur les questions de finances publiques et d’économie tandis que la 5e chambre est compétente sur les questions liées à l’emploi.

L’approche de la Cour sur ces enjeux repose à la fois sur les travaux d’évaluation des politiques publiques et sur les enquêtes que nous menons, qui nous permettent d’approfondir notre compréhension du tissu économique. Ce travail s’appuie également sur un croisement des approches portées par les différentes administrations de l’État et les collectivités territoriales, en particulier les régions, qui jouent un rôle structurant dans l’accompagnement des entreprises en difficulté.

Depuis 2020, les entreprises françaises, et tout particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME), ont été confrontées à une succession de chocs majeurs, incluant la crise sanitaire, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement, l’inflation et la crise énergétique. Ces événements ont incontestablement entraîné une hausse significative des défaillances d’entreprises, dans un contexte où les modalités du soutien public ont elles-mêmes connu des transformations.

L’évaluation de l’efficacité de l’action publique en matière de soutien à l’activité économique et de prévention des défaillances peut être envisagée sous plusieurs angles complémentaires. Tout d’abord, le contexte économique actuel est marqué par une remontée notable des défaillances, en particulier parmi les PME, et par une évolution préoccupante du nombre de licenciements. Ensuite, les conclusions de notre rapport de septembre 2024, intitulé La détection et le traitement des difficultés des TPE et PME, fournissent un éclairage précieux. Enfin, notre note thématique de juillet 2023, qui dresse un bilan des aides aux entreprises en période de crise, complète ce panorama.

Les données fournies par la Banque de France révèlent une augmentation spectaculaire du nombre des défaillances d’entreprises, passé de 28 000 en janvier 2022 à 42 000 en janvier 2023, et qui a même dépassé 65 000 à la fin du mois de janvier 2025. Ce niveau historique dépasse celui qui prévalait avant la crise sanitaire, lorsque l’on recensait environ 55 000 défaillances chaque année. Cette évolution traduit probablement un effet de rattrapage puisqu’en 2020, les mesures de soutien avaient conduit à une réduction sans précédent du nombre de défaillances, tombé à 27 000 à la fin de l’année 2021. Bien que les micro-entreprises concentrent à elles seules 92 % des défaillances recensées, ce qui reflète leur poids dans le tissu productif français, ce pourcentage est à relativiser puisque plus d’un million d’entreprises ont été créées dans le même temps, dont 716 000 sous ce statut.

L’augmentation significative des défaillances de PME nous préoccupe davantage. En janvier 2025, on en recensait 5 342 sur les douze derniers mois, soit plus que lors de la crise financière de 2009. La disparition de ces entreprises, de taille plus significative et plus profondément insérées dans les chaînes de valeur, entraîne des répercussions bien plus importantes sur l’économie locale et sur l’emploi. Cette évolution, qui traduit des fragilités structurelles pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et engendre des conséquences plus significatives en matière d’emploi, mérite une attention particulière.

En septembre 2024, nous avons publié un rapport sur le bilan des dispositifs de détection et de traitement des difficultés rencontrées par les très petites entreprises (TPE) et les PME, qui représentent 99 % des entreprises et 40 % de la valeur ajoutée du secteur marchand, en insistant notamment sur les enjeux d’organisation et l’efficacité des mesures de droit commun.

En France, le traitement des difficultés des grandes entreprises relève du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), de la direction générale du Trésor (DGT) et de la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire). Le soutien aux TPE et PME relève d’un dispositif décentralisé historiquement structuré autour des comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi), placés sous l’autorité des préfets.

Notre travail d’enquête a mis en lumière une forte fragmentation et un manque de lisibilité du système de détection et de traitement des difficultés des TPE et PME. De nombreux acteurs interviennent dans ce champ et, bien qu’un point d’entrée unique ait été mis en place en 2021 avec les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté, cette diversité d’intervenants continue à complexifier les dispositifs.

La Cour a également constaté que les bilans de ces dispositifs étaient décevants, les intervenants départementaux étant mal identifiés par les chefs d’entreprise, les contacts initiés par l’administration peu concluants et l’orientation vers les structures insuffisantes. La multiplication des structures et des instances rend ainsi le parcours usager peu lisible. Nous avions recommandé, afin de mieux coordonner la réponse des services et de mieux articuler les interventions, la mise en place de conventions de partenariat locales.

Quant aux procédures de traitement des difficultés, elles sont nombreuses et adaptées aux difficultés spécifiques de chaque entreprise. Il s’agit des rééchelonnements de dette sociale et fiscale par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) et les directions départementales des finances publiques (DDFIP), des prêts, des audits, de la médiation du crédit pilotée par la Banque de France, des procédures amiables des tribunaux de commerce ou encore des différentes formes d’accompagnement. L’étalement des créances publiques, fortement utilisé en sortie de crise, ne permet pas d’assurer un bon taux de redressement des entreprises puisque, lorsqu’elle est mesurée deux ans après, leur viabilité financière ne s’améliore pas. Nous avions ainsi recommandé une amélioration de l’information auprès des chefs d’entreprise ainsi qu’un encouragement de la dynamique associative portée par des pairs. La zone de faiblesse de ce dispositif se situe en effet, selon nous, dans l’accompagnement et la formation des dirigeants d’entreprise, particulièrement des plus petites.

Je tiens, pour terminer, à évoquer la note thématique sur l’efficacité des aides de l’État. Publiée en juillet 2023, elle porte sur les politiques de soutien mises en place en 2020, pour faire face à la crise sanitaire, et en 2022, dans le cadre de la crise énergétique.

Sur l’ensemble de la période 2020-2022, le soutien total apporté par l’État a été estimé à 260 milliards d’euros, dont 92,4 milliards sous forme d’aides directes. Le reste correspond essentiellement aux prêts garantis par l’État (PGE), qui ne constituent pas, en principe, une dépense budgétaire, sauf dans les cas où l’État est appelé en garantie en cas de non‑remboursement. Ce niveau d’intervention situe la France parmi les pays de l’Union européenne ayant mobilisé les montants les plus importants.

Deux grandes phases peuvent être distinguées. La première, qui correspond au plan d’urgence de 2020, a été marquée par la mise en place de dispositifs conçus avant tout pour leur rapidité de déploiement. Il s’agissait du fonds de solidarité, de l’activité partielle, des exonérations de cotisations sociales et des prêts garantis par l’État. Si ces mesures ont permis de préserver le tissu économique et de limiter le nombre de défaillances d’entreprises, en autorisant des versements massifs et rapides, cette simplicité d’accès, conjuguée à un ciblage initial peu précis et à des contrôles a priori limités, a en revanche généré des risques significatifs de versements indus et de fraudes. Le cumul possible des aides issues de différents dispositifs a également soulevé des interrogations quant à l’adéquation entre le montant des aides perçues et les besoins réels des entreprises bénéficiaires.

La seconde phase, lancée en 2022 à travers le plan de résilience destiné à faire face à la crise énergétique, a été marquée par le recours à des mesures générales et automatiques, telles que le bouclier tarifaire, la baisse de la fiscalité sur l’électricité, et à des aides visant certains secteurs spécifiques tels le bâtiment, les travaux publics ou encore les entreprises énergo-intensives. Ce second plan a toutefois rencontré davantage de difficultés de mise en œuvre, l’évaluation des besoins réels des entreprises s’étant révélée encore plus complexe, entraînant dans certains cas une surestimation des enveloppes budgétaires. Par ailleurs, les critères d’éligibilité à certaines aides se sont avérés particulièrement complexes à définir. En l’absence d’un système automatisé de partage des données avec les fournisseurs d’énergie, pourtant chargés de mettre en œuvre ces aides, il a été difficile d’évaluer précisément les risques de surcompensation ou de versements injustifiés.

M. le président Denis Masséglia. Les motifs de fermeture des 5 342 PME qui ont connu une défaillance au cours des douze derniers mois ont-ils été identifiés ?

Mme Carine Camby. La Cour n’a pas mené d’investigation spécifique sur les raisons précises ayant conduit à ces défaillances d’entreprises.

M. le président Denis Masséglia. Une étude permettant d’estimer le nombre d’entreprises qui auraient pu disparaître en l’absence des dispositifs publics mis en œuvre a‑t‑elle été conduite ? En d’autres termes, combien d’emplois ces dispositifs financés par le contribuable ont-ils permis de sauvegarder ?

Mme Carine Camby. Les enquêtes menées sont relativement anciennes et les plus récentes datent de 2023. D’une manière générale, en ce qui concerne les dispositifs d’aide aux entreprises mis en place lors des deux crises, nous n’avons pas relevé de garanties ni de critères spécifiquement orientés vers le maintien de l’emploi. Cela n’était vraisemblablement pas l’objectif principal de ces mesures au moment de leur conception.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je souhaiterais tout d’abord connaître vos recommandations pour améliorer l’efficacité des aides publiques, tant en période de crise qu’en dehors de ces périodes.

Ensuite, quel est votre constat sur l’efficacité des dispositifs de soutien aux entreprises en difficulté, tels que le chômage partiel, les aides à la relocalisation ou les dispositifs de reconversion pour prévenir les licenciements ? Avez-vous identifié des cas de mauvaise gestion ou de détournement de fonds publics par des entreprises ayant malgré tout procédé à des licenciements massifs ? Quels sont les mécanismes de contrôle existants pour prévenir de tels abus ?

Par ailleurs, la Cour a-t-elle procédé à une évaluation du coût global des plans de licenciement pour les finances publiques, en incluant les indemnités, la formation, l’accompagnement social et la perte de recettes fiscales ?

Enfin, disposez-vous d’éléments vous permettant d’apprécier la responsabilité des entreprises ayant perçu des aides publiques et procédant malgré tout à des licenciements ? Avez-vous formulé des recommandations visant à mieux conditionner ces aides à des engagements sociaux en matière d’emploi ?

Mme Carine Camby. À l’issue des travaux réalisés en 2023 sur l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pendant la crise, la Cour a formulé trois recommandations.

Il nous a tout d’abord semblé essentiel de limiter ces aides dans le temps. Nous avons en effet constaté, notamment dans un rapport remis au Premier ministre en janvier dernier, que de nombreuses aides avaient été prolongées sans qu’aucune évaluation de leur pertinence ou de leur efficience n’ait été menée. Cette prolongation interroge, d’autant plus qu’elle peut entrer en contradiction avec d’autres priorités de politique publique telles que la transition écologique.

Nous avons également insisté sur la nécessité d’éviter toute logique de saupoudrage ou de captation des aides. Pour ce faire, il nous paraît indispensable que les entreprises soient tenues de justifier a priori leurs besoins, en apportant notamment des éléments relatifs à l’évolution de leur excédent brut d’exploitation. Nous avons également recommandé que l’administration se dote d’outils d’analyse microéconomique permettant de mieux apprécier la situation de trésorerie des entreprises bénéficiaires.

S’agissant enfin de la lutte contre la fraude, nous avons constaté que ces dispositifs conçus dans l’urgence n’intégraient pas, dès leur mise en œuvre, des mécanismes de prévention efficaces. Il serait donc souhaitable que les administrations concernées renforcent l’échange de données afin d’améliorer la détection des fraudes et que de tels dispositifs soient intégrés dès la conception des mesures d’aide.

Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes. En complément sur l’efficacité des dispositifs de prévention des difficultés des entreprises ou d’aide au reclassement, nos travaux ont porté sur la période allant de 2008 à 2019. S’agissant de la prévention, nous avions relevé l’existence des accords de performance collective (APC) négociés au sein des entreprises. Faute de recul suffisant, nous n’avions toutefois pas pu établir un bilan complet du dispositif. La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) continue en revanche à suivre régulièrement ces accords.

Nous avions également mis en avant l’intérêt du dispositif de plateforme numérique orientée vers les signaux faibles. Lors du suivi de nos recommandations, trois ans plus tard, nos interlocuteurs nous ont fait part d’une certaine déception quant aux perspectives de cette plateforme. Nous avions demandé que le réseau de veille soit ouvert aux régions, mais cela s’est avéré impossible en raison du caractère confidentiel des données utilisées par l’algorithme. Les régions participent néanmoins aux cellules de veille et d’alerte précoce mises en place auprès des commissaires à la restructuration et à la prévention des difficultés des entreprises.

Les travaux réalisés en 2023 et 2024 par d’autres organismes ont permis d’approfondir certains éléments, notamment sur la question du secret fiscal, avancé comme argument pour justifier la non mise en œuvre de nos recommandations. Il a ainsi été rappelé que, dans le cadre de la détection et de la prévention des difficultés des entreprises, l’administration fiscale pouvait transmettre aux préfets, aux commissaires à la restructuration, aux responsables territoriaux de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), aux Urssaf et à la Banque de France la liste des entreprises identifiées comme étant en difficulté.

Il me semble qu’un potentiel important d’amélioration existe, en particulier sur le plan du décloisonnement. Les publications de 2024 ont mis en évidence des progrès en matière de coopération entre les réseaux de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de la direction générale des entreprises (DGE). Bien que ce travail de mise en réseau ait permis d’associer de nombreux acteurs territoriaux compétents, un cloisonnement persiste toutefois, sur lequel nos interlocuteurs reconnaissent travailler. Il me semble que renforcer la coordination entre l’État et les régions, tout en réduisant le cloisonnement interne à l’administration centrale, pourrait donc améliorer l’efficacité des dispositifs de prévention.

Parmi les outils mobilisés, figurent également les crédits du fonds national de l’emploi (FNE)-formation, qui permettent de financer la reconversion de salariés dont l’emploi est fragilisé, ainsi que le dispositif d’activité partielle. Ce dernier a pris une ampleur considérable depuis la fin de nos travaux en 2019. Je ne dispose pas des données les plus récentes sur la lutte contre la fraude dans le cadre de l’activité partielle, ni sur les évolutions des dispositifs de contrôle mises en place à la suite de nos recommandations adressées à la DGEFP et à l’Agence de services et de paiement (ASP).

Nous devions initialement conduire, cette année, une étude sur la lutte contre la fraude dans les dispositifs mis en œuvre par l’État. Ce travail a été reporté car l’Assemblée nationale, par l’intermédiaire du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), nous a confié une autre mission portant sur la fraude aux prélèvements sociaux et le travail dissimulé. Cela étant dit, les dispositifs déployés dans l’urgence ne prennent pas toujours en compte, dès leur conception, les risques de détournement, car la priorité est généralement donnée à la rapidité de l’aide.

En ce qui concerne les dispositifs d’aide au reclassement, nous avions identifié cinq leviers principaux.

Le premier concerne les conventions de revitalisation financées par les employeurs, pour lesquelles nous avions relevé un manque d’outils d’évaluation et une faible qualité des données disponibles. S’ajoutent à cela les indemnités de licenciement, les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui offrent un cadre véritablement protecteur, le financement de ces mesures, ainsi que le contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Ce dernier dispositif comprend plusieurs volets, parmi lesquels une allocation spécifique, un accompagnement renforcé, une mise en œuvre conjointe entre France Travail et des opérateurs privés, ainsi que le financement d’actions de formation. En comparant le CSP avec des dispositifs similaires mis en place à l’étranger, nous avions remarqué que d’autres pays (Australie, Canada et Danemark) ciblaient plus précisément les publics les plus éloignés de l’emploi, plutôt que d’ouvrir le dispositif à l’ensemble des salariés licenciés pour motif économique, comme c’est le cas en France.

En réponse à notre rapport, l’Unedic avait indiqué avoir expérimenté un élargissement du bénéfice du CSP aux titulaires de contrats à durée déterminée (CDD), sans que cette expérimentation ne soit concluante. L’Unedic n’était pas convaincue de la pertinence d’ouvrir le dispositif à des publics plus précaires, en alternance entre emploi et chômage, et estimait que France Travail proposait déjà des solutions et des accompagnements adaptés à ces publics.

S’agissant des PSE, nous avions recommandé d’améliorer la qualité et l’exhaustivité des données transmises par les entreprises, notamment sur les aspects financiers, sur le portail Rupco mis en place en 2019. Cette recommandation n’a malheureusement pas donné lieu à des suites satisfaisantes, puisque les entreprises ne saisissent pas de manière systématique leurs données sur ce portail. Bien que la mise en œuvre de la recommandation ait débuté en 2021, elle nécessitait un arbitrage ministériel favorable à certaines évolutions réglementaires, qui n’a pas été obtenu. En l’absence de données complètes en provenance des entreprises, la possibilité de conduire une évaluation des mesures de reclassement demeure donc limitée.

Nous avions également souligné l’absence d’évaluation des résultats concrets du CSP, en particulier sur l’efficacité de l’accompagnement et les trajectoires professionnelles des bénéficiaires. Nous avions recommandé que des évaluations précises soient menées sur les performances de France Travail et des opérateurs privés, tant sur la qualité que sur la pérennité du retour à l’emploi. Cette recommandation s’appliquait aussi bien au CSP qu’aux cellules de reclassement. Bien que la DGEFP ait engagé des travaux avec France Travail à ce sujet au printemps 2023, nous ne disposons pas d’éléments sur l’avancement de cette démarche.

Par ailleurs, nous avions mis en évidence une spécificité française : les entreprises de moins de 1 000 salariés recourent au CSP, tandis que celles de plus grande taille peuvent mobiliser d’autres outils tels que le congé de reclassement. Ce cloisonnement nous paraît regrettable en ce qu’il prive les PME de l’accès à une plus grande diversité de dispositifs d’accompagnement. En Suède, par exemple, nous avons observé un modèle assurantiel fondé sur un financement mutualisé, où les grandes entreprises contribuent au financement des mesures de reclassement bénéficiant aux plus petites. Même si nous n’avions pas formulé de recommandation explicite à ce sujet, ce modèle nous semble intéressant.

S’agissant enfin du fonds européen d’ajustement à la mondialisation, un premier bilan avait été dressé en 2019 sur les deux premières périodes de mise en œuvre. L’utilisation de ce fonds est aujourd’hui marginale puisque seuls Air France et Airbus y ont récemment eu recours. L’expérience des premières années, marquée par des procédures longues, complexes et une fourniture insuffisante de documents justificatifs qui a pu entraîner des coûts pour l’État, a sans doute dissuadé de nombreux acteurs.

Mme Estelle Mercier (SOC). Je trouve intéressant que deux chambres distinctes soient en charge, pour l’une des finances publiques et de l’économie, pour l’autre de l’emploi. Cette répartition est symboliquement forte, bien qu’elle puisse parfois masquer les liens étroits entre ces domaines. Il me semblerait utile de recommander à la Cour des comptes d’adopter une approche plus transversale sur ces enjeux, qui gagneraient à être traités de manière plus intégrée.

En me référant à votre rapport de juillet 2023, je constate une remontée du nombre des défaillances d’entreprises à partir de 2022, le niveau étant proche de celui observé entre 2017 et 2019. Peut-on interpréter ce phénomène comme le simple report dans le temps des pertes d’emplois initialement évitées grâce aux dispositifs d’aide ? Ce report, s’il est avéré, soulèverait des interrogations sur l’efficacité réelle de ces aides, tant dans le contexte de la crise sanitaire que face à la crise énergétique.

Ensuite, disposez-vous d’éléments permettant d’évaluer l’impact du crédit d’impôt recherche (CIR) en matière de préservation de l’emploi dans les secteurs de l’innovation et de la recherche ? Quelle responsabilité incombe à l’État dans la régulation de ce dispositif ?

Je souhaite enfin savoir si les aides de l’État aux entreprises incluent également les soutiens apportés par des acteurs tels que Bpifrance ou Sfil ? Avez-vous effectué une analyse croisant ces soutiens avec les pertes d’emplois observées ?

Mme Carine Camby. Bien que chaque chambre ait ses propres domaines de compétence, nous travaillons régulièrement ensemble sur des sujets transversaux.

À propos du crédit d’impôt recherche, un travail va bientôt être lancé avec une autre chambre, compte tenu du poids important de ce dispositif dans les dépenses fiscales. Ce sera l’occasion d’en analyser également les effets en matière d’emplois, mais les résultats de ces travaux ne seront disponibles qu’au début de l’année prochaine.

En ce qui concerne les dispositifs d’aide et leur lien avec la hausse des défaillances d’entreprises, nous partageons l’idée d’un effet de report. Pour autant, d’autres facteurs touchant à l’évolution globale de la situation économique doivent être pris en compte, notamment des problèmes de compétitivité persistants dans certains secteurs tels que l’industrie manufacturière. Nous avons par ailleurs observé ces derniers mois un comportement de rétention de l’emploi de la part de certaines entreprises, qui pourrait expliquer une part de la baisse de productivité observée.

S’agissant enfin des soutiens publics, notamment sous forme de participation au capital, accordés par des structures telles que Bpifrance, il n’existe à ma connaissance aucune conditionnalité formelle en matière d’emploi. Lors de l’octroi de PGE à certaines grandes entreprises, des engagements de responsabilité ont été requis, portant principalement sur l’interdiction de distribuer des dividendes, la limitation des rachats d’actions ou encore le respect des délais de paiement aux fournisseurs. En revanche, aucune clause spécifique relative au maintien de l’emploi ne figurait dans ces accords. Les travaux que nous avons menés sur les prises de participation n’ont donc pas mis en évidence l’existence d’engagements formels en termes de maintien de l’emploi.

Mme Anne-Laure de Coincy. Nous travaillons effectivement en concertation sur de nombreux sujets. L’étude menée sur le soutien à l’industrie automobile entre 2008 et 2013 est un exemple concret et récent de cette coopération puisqu’à l’époque, c’est la chambre chargée de l’industrie qui pilotait et j’avais personnellement participé à ces travaux. Nos compétences sont étroitement liées aux budgets des ministères avec lesquels nous travaillons. Chaque budget étant complexe en soi, il est utile d’avoir des équipes distinctes qui maîtrisent respectivement le budget du ministère de l’emploi et celui du ministère des finances.

En ce qui concerne les licenciements, notre étude de 2020 avait révélé une nette diminution de la part des licenciements pour motif économique dans l’ensemble des ruptures de contrat de travail. Un graphique datant de 2017 montrait déjà que ces licenciements ne représentaient qu’une minorité du total, la majorité des ruptures de contrat provenant des démissions et des ruptures conventionnelles, ces dernières connaissant une progression continue.

Les données les plus récentes de la Dares confirment cette tendance. J’ai d’ailleurs apporté plusieurs graphiques issus de leur site retraçant l’évolution des ruptures conventionnelles entre 2010 et 2025, qui montrent une hausse significative de leur nombre. S’agissant des licenciements économiques, on observe un pic marqué en 2008, suivi d’une légère remontée. Cette hausse reste toutefois modérée lorsque les données sont analysées à l’échelle des deux dernières décennies. Pour suivre ces évolutions, nous utilisons la base de données sur les mouvements de main-d’œuvre produite par la Dares, qui fournit des informations fiables sur ces sujets.

M. Pierrick Courbon (SOC). Vous avez mis en avant les effets positifs de certaines aides publiques, notamment les PGE, tout en soulignant l’absence totale de conditionnalité dans leur attribution. Vous avez également indiqué que certains dispositifs permettent d’atténuer ou de différer dans le temps les difficultés sociales. Malheureusement, d’autres aides, telles que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), présentent des effets positifs nettement moins évidents.

Il convient de rappeler que le CICE avait été présenté, lors de sa création, comme un levier destiné à générer un million d’emplois. Cet objectif n’a pas été atteint. Le discours a alors évolué, et l’accent a été davantage mis sur la préservation des emplois existants plutôt que sur la création de nouveaux postes. Pourtant, nous observons aujourd’hui des cas très concrets de grandes entreprises ayant largement profité du CICE tout en distribuant des dividendes à leurs actionnaires et procédé à des vagues de licenciements, notamment dans le secteur de la grande distribution.

Je souhaite donc savoir si vous disposez d’informations précises sur le volume financier du CICE, ses modalités d’utilisation, l’absence de conditionnalité qui l’a caractérisé, ainsi que sur les outils éventuels permettant d’en évaluer l’effet sur la préservation de l’emploi. Par ailleurs, serait-il envisageable de comparer le coût du CICE pour les entreprises qui en ont le plus bénéficié à la réalité actuelle des plans sociaux massifs qu’elles mettent en œuvre ?

Mme Anne-Laure de Coincy. La Cour des comptes n’a conduit aucun travail spécifique sur le CICE. C’est, à ma connaissance, France Stratégie qui s’est emparée de cette question et qui en a analysé les impacts. Il convient également de rappeler que ce dispositif a été intégré dans le cadre plus large des exonérations de cotisations sociales, un domaine que nous n’avons pas récemment examiné. Certains économistes ont cependant publié, à l’automne dernier, des propositions visant à réorienter ces masses d’exonérations de cotisations sociales qui tendent à se prolonger dans le temps. Nous ne disposons malheureusement pas, à ce jour, de travaux actualisés sur ce sujet spécifique.

M. le président Denis Masséglia. Le CICE a pris fin le 31 décembre 2018. Votre question fait donc référence au dispositif lui-même mais également aux baisses de charges qui lui ont succédé.

M. Pierrick Courbon (SOC). Je faisais principalement référence au dispositif tel qu’il est connu du grand public. Plus largement, il s’agit des mécanismes d’exonération de certaines cotisations, conçus pour favoriser la création ou la sauvegarde de l’emploi. Or, force est de constater que certaines entreprises, qui ont pleinement bénéficié de ces dispositifs au fil des années, continuent de verser des dividendes tout en mettant en œuvre des plans sociaux d’envergure. Cette contradiction me semble problématique et mérite, à mon sens, un examen attentif.

M. le rapporteur. Estimez-vous que la rigueur budgétaire et l’exigence de justification des dépenses publiques sont exercées avec le même niveau de vigilance pour les aides aux entreprises que pour d’autres politiques publiques, telles que les aides sociales ou les dotations aux collectivités territoriales ? Cette question se pose d’autant plus que vous avez rappelé l’ampleur des aides économiques aux entreprises et la nécessité de mieux les cibler et les encadrer.

Pourriez-vous également nous éclairer sur les moyens d’améliorer l’efficacité du suivi et du remboursement des PGE ?

Mme Carine Camby. La Cour avait, dès 2022, peu après la mise en œuvre du dispositif, publié un rapport spécifique sur le sujet des PGE. Depuis, grâce au compte général de l’État, nous disposons d’une vision consolidée de l’encours des PGE encore actifs, ainsi que des montants pour lesquels l’État est appelé en garantie par les établissements financiers ayant consenti les prêts. Au 31 décembre 2024, le capital restant dû s’élevait à 36 milliards d’euros. Ce chiffre demeure élevé mais marque une nette diminution par rapport à l’année précédente, où l’encours atteignait 61 milliards d’euros. Les provisions constituées au titre de l’exercice 2024 s’élèvent à 1,7 milliard d’euros. Depuis l’origine du dispositif, les garanties appelées représentent un montant cumulé de 5 milliards d’euros. L’ensemble de ces montants traduit un impact budgétaire significatif.

Ces données couvrent à la fois les « PGE covid » et les « PGE résilience », bien que ces derniers soient plus récents et moins nombreux. Il convient de noter que les entreprises qui rencontrent le plus de difficultés à rembourser sont les PME et les TPE. Alors qu’elles représentaient environ 60 % du volume total d’encours de PGE, elles constituent aujourd’hui 98 % des cas de défaillance. Cette situation met en lumière les vulnérabilités du tissu économique.

En ce qui concerne le niveau d’attention porté aux aides de l’État, il faut noter que celles-ci prennent des formes très variées, allant des subventions directes aux allègements de charges en passant par les exonérations de cotisations sociales. Il demeure difficile de disposer d’une vision d’ensemble consolidée.

La Cour des comptes mène régulièrement des travaux ciblés sur certains de ces dispositifs, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer le rapport entre leur coût budgétaire et les résultats obtenus. Cette année, la 1re chambre a d’ailleurs lancé plusieurs revues de dépenses consacrées aux dispositifs fiscaux, dont le plus important est le crédit d’impôt recherche. L’analyse de ces aides révèle une insuffisance globale des évaluations menées par les administrations. Trop souvent, les résultats attendus au regard des montants engagés par le contribuable ne sont ni clairement définis, ni effectivement mesurés.

La Cour avait proposé, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié il y a deux ans, une méthodologie pour évaluer la qualité de la dépense. Cette approche mériterait d’être systématisée de la part des administrations, en particulier pour les aides aux entreprises. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’utilité de ces soutiens, mais bien de veiller à leur bon ciblage et à leur efficience globale.

Mme Anne-Laure de Coincy. En ce qui concerne les aides aux entreprises, je souhaiterais évoquer plus précisément celles inscrites au budget du ministère du travail. À plusieurs reprises, nous avons appelé l’attention sur le caractère non soutenable du financement de l’alternance. Plusieurs de nos travaux mettent en lumière le fait que la crise a considérablement élargi le périmètre d’intervention initialement prévu par la réforme de 2018 en matière d’aides à l’apprentissage, sans que l’on soit revenu au cadre antérieur à la crise. C’est un sujet sur lequel la Cour alerte régulièrement l’État et les parlementaires car elle considère qu’un réexamen de certains dispositifs paraît nécessaire.

M. le rapporteur. Disposez-vous de bases de données, de travaux ou d’analyses portant sur le soutien apporté par les collectivités territoriales aux entreprises ? Je pense ici aux aides directes, aux subventions ou encore aux dispositifs d’accompagnement à travers les infrastructures. Ce sujet nous intéresse, notamment pour repérer d’éventuelles dérives et évaluer la qualité du contrôle exercé. Disposez-vous d’éléments relatifs à la présence de clauses de conditionnalité ? Tout renseignement de nature à éclairer notre réflexion sur le rôle des collectivités serait utile car notre commission d’enquête s’intéresse à l’ensemble des actions de la puissance publique, et pas uniquement à celles de l’État.

Mme Carine Camby. Ce sujet relève plus spécifiquement de la compétence des chambres régionales des comptes (CRC), avec qui nous menons parfois des contrôles conjoints. Il y a trois ans, nous avions consacré un chapitre du rapport public annuel aux aides au développement économique, qu’elles soient mises en œuvre par l’État ou par les collectivités territoriales. Il convient néanmoins de rappeler que les montants engagés par les régions sont sans commune mesure avec ceux mobilisés par l’État. Pour obtenir des informations plus détaillées et actualisées, je vous encourage à consulter les publications des CRC.

M. le président Denis Masséglia. Lors des opérations de contrôle, qui sont parfaitement légitimes, des coûts sont générés, tant pour les services de l’État que pour les entreprises concernées, lesquelles doivent se conformer à certaines normes et transmettre des données aux services. La Cour a-t-elle mené une analyse chiffrée de ces coûts, qu’il s’agisse de leur impact sur l’administration ou sur le contribuable ?

Mme Carine Camby. Je n’ai connaissance d’aucune étude globale qui pourrait permettre d’obtenir une estimation consolidée du coût des opérations de contrôle. Je peux en revanche affirmer que nous nous trouvons en permanence dans une tension entre deux exigences : la simplification des démarches administratives d’une part, la nécessité de prévenir les risques de fraude d’autre part. Il reste indispensable de maintenir un minimum de contrôle a priori, afin de garantir que l’argent public, dont la rareté est particulièrement aiguë en cette période, ne soit pas capté par des entreprises qui n’en ont pas réellement besoin.

M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.

La séance s’achève à dix-sept heures vingt.
Présences en réunion

Présents. – M. Louis Boyard, M. Pierrick Courbon, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Océane Godard, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback