Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail, M. Jean-Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi, et Mme Virginie Met, responsable du département dispositifs spécifiques et inclusion par l’emploi au sein de la direction des services aux demandeurs d’emploi 2
– Présences en réunion................................13
Mardi
1er°avril 2025
Séance de 11 heures 45
Compte rendu n° 6
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail, M. Jean-Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi, et Mme Virginie Met, responsable du département dispositifs spécifiques et inclusion par l’emploi au sein de la direction des services aux demandeurs d’emploi.
M. le président Denis Masséglia. Nous accueillons M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail, M. Jean‑Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi, et Mme Virginie Met, responsable du département dispositifs spécifiques et inclusion par l’emploi au sein de la direction des services aux demandeurs d’emploi.
Je rappelle que l’opérateur France Travail, qui a succédé à Pôle emploi à la faveur de la réforme portée par la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, compte parmi ses missions l’accueil, l’information et l’orientation de toutes les personnes dans la recherche d’un emploi, d’une formation, d’un conseil professionnel, d’une aide à la mobilité ou à l’insertion sociale et professionnelle mais aussi la collecte des offres des entreprises et la mise en relation de ces dernières avec les demandeurs d’emploi ou encore l’indemnisation des ayant-droits pour le compte de l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage et pour le compte de l’État.
Je vous informe que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Aymeric Morin, M. Jean-Pierre Tabeur et Mme Virginie Met prêtent serment.)
M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail. Je vais débuter par un propos liminaire avant d’aborder plus précisément les questions qui nous ont été transmises. Il est essentiel de rappeler le contexte dans lequel intervient France Travail. Je souhaite également évoquer la conjoncture actuelle.
Nous observons actuellement une dégradation de la conjoncture, une augmentation des défaillances d’entreprises et une hausse des inscriptions à France Travail à la suite de licenciements économiques. Sur les deux dernières années, nous avons enregistré plus de 48 000 inscriptions pour ce motif. Cependant, il est important de souligner que le contexte reste incertain. Le taux de chômage actuel, qui oscille entre 7,6 % et 7,8 % selon les prévisions de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et de la Banque de France, est l’un des plus bas de ces quarante dernières années. De plus, les tensions de recrutement et les difficultés anticipées par les entreprises demeurent élevées. Nous publierons prochainement une nouvelle enquête sur les besoins en main-d’œuvre des entreprises.
L’action de France Travail porte principalement sur le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) proposé dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Ce dispositif conventionnel, négocié par les partenaires sociaux en 2011, a fait l’objet de plusieurs avenants, le dernier prolongeant son application jusqu’à décembre 2025. La convention définit le contenu, les conditions d’octroi et les modalités de déroulement du CSP. Notre action est encadrée par cette convention, contrairement à d’autres domaines où nos objectifs et indicateurs sont fixés par l’État et les partenaires sociaux. Nous sommes donc dans l’exécution stricte des stipulations de cette convention.
France Travail n’est qu’un acteur parmi d’autres dans l’accompagnement des mutations économiques. Les entreprises de plus de mille salariés sont soumises à la législation sur le congé de reclassement et ne sont donc pas tenues de proposer le CSP. Notre intervention s’articule avec celle de l’employeur, qui reste le premier responsable de l’accompagnement de ses salariés, ainsi qu’avec l’État, notamment par l’intermédiaire des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), qui valident ou homologuent les PSE.
Le dispositif du CSP n’a pas été touché par la récente réforme introduite par la loi pour le plein emploi et la transformation de Pôle emploi en France Travail. Cependant, une négociation est prévue avant la fin de l’année 2025, ce qui pourrait être l’occasion d’envisager des modifications pour le dispositif.
Le CSP s’inscrit dans une logique proactive d’accompagnement intensif et limité dans le temps, qui mobilise les leviers les plus efficaces pour le retour à l’emploi. Depuis sa création, environ deux millions de salariés ont bénéficié du dispositif, qui affiche des résultats encourageants en termes d’accès à l’emploi et d’insertion durable. À partir de neuf mois, le taux d’accès à l’emploi des bénéficiaires dépasse celui du « tout public », y compris pour des profils généralement plus favorisés sur le marché du travail. De plus, le taux d’insertion durable dans l’emploi, c’est-à-dire sur des contrats de plus de six mois ou à durée indéterminée (CDI), est significativement supérieur à celui que l’on observe avec les dispositifs d’accompagnement classiques, l’écart étant d’environ dix points.
Ce dispositif peut être complété par une action plus spécifique de France Travail quand les situations le nécessitent. J’évoquais la mise en place de cellules d’appui à la sécurisation professionnelle (Casp). Pour certains PSE, en raison de leurs caractéristiques, sont nécessaires une action, une coordination renforcée de France Travail. On a eu récemment le cas de l’entreprise Milee, caractérisée par un très grand nombre de salariés assez autonomes qui exerçaient une activité pour l’entreprise en complément d’une autre activité et qui étaient installés à des endroits différents sur le territoire. Dans ce cadre-là, France Travail a mis en place une action particulièrement renforcée : coordination de l’ensemble des acteurs au moyen d’une task force, démarches pour présenter le dispositif aux salariés, traitement des demandes d’indemnisation raccourci dans le temps, compte tenu de la situation financière du public concerné. On pourrait y revenir, mais il nous arrive aussi d’adapter le dispositif au regard des spécificités de la situation.
Je voudrais également vous dire que l’action de France Travail en matière de prévention des difficultés économiques, au-delà du CSP et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, suit deux axes importants.
Premièrement, une anticipation à moyen terme des difficultés, comme l’illustre le « plan auto », cofinancé par l’État et les acteurs de la filière, qui offre des dispositifs renforcés d’accompagnement, de formation et d’indemnisation.
Deuxièmement, une anticipation à long terme des besoins en compétences des territoires, visant à prévenir les inadéquations entre l’offre et la demande d’emploi. France Travail renforce sa capacité à anticiper l’évolution des besoins en compétences, à coordonner l’achat de formations pertinentes et à organiser des événements promouvant l’attractivité des métiers.
Nous envisageons de renforcer l’intervention précoce de France Travail, un point souligné dans le rapport de Thibaut Guilluy, préfigurateur de France Travail. L’idée serait de s’inspirer du modèle allemand pour anticiper les fins de contrat de travail au-delà du cadre du CSP. À court terme, nous réfléchissons à améliorer l’articulation entre les services de l’État et France Travail dans l’anticipation des difficultés économiques et la gestion des PSE.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je suis particulièrement intéressé à l’idée d’obtenir une première série de données sur les inscriptions à France Travail résultant d’un licenciement économique, d’un PSE ou d’une rupture conventionnelle au premier trimestre 2025, ainsi que sur les prévisions pour le reste de l’année. Ces informations éclaireraient considérablement nos travaux et nos réflexions.
M. Jean-Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi. Nous ne disposons pas de données pour le premier trimestre 2025. Les données pour le dernier trimestre 2024 sont encore prévisionnelles et doivent être corrigées pour éviter qu’il y ait des doublons dans les inscriptions. L’inscription étant un acte de gestion, elle peut être modifiée à la suite du travail des conseillers, notamment lorsque le motif déclaré par la personne s’inscrivant s’avère inexact. Ce travail de vérification est en cours. France Travail n’a pas vocation à faire de la prospective sur ce sujet, ce qui explique que nous n’ayons pas de données complémentaires à fournir.
M. le rapporteur. Pourriez-vous nous éclairer sur l’évolution des inscriptions depuis 2013, en distinguant les différents motifs d’inscription ? Selon vous, quels sont les éléments marquants et comment pourrait-on caractériser ces évolutions sur la période ?
M. Jean-Pierre Tabeur. Nous vous fournirons bien sûr un tableau détaillé avec l’ensemble des données. Entre 2013 et 2024, le nombre global d’inscriptions recensées à France Travail s’échelonne entre 4,6 millions et 5,1 millions, selon les années. Le plus haut niveau fut atteint en 2015 avec 5,1 millions d’inscriptions et le plus bas niveau fut observé en 2013 avec 4,6 millions d’inscriptions. En 2024, on en compte 5 millions. Il y a donc une variation assez faible du nombre d’inscriptions, qui est liée à l’élargissement des missions de France Travail et notamment, sur la dernière année, aux tests réalisés en préfiguration de la récente réforme. Nous avons inscrit de manière automatique des jeunes de moins de 26 ans, des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) qui viennent augmenter le nombre de ces inscriptions. Il y aura donc un effet mécanique d’augmentation dans l’année compte tenu de ladite réforme.
En 2022, on recensait 113 299 inscriptions consécutives à des licenciements économiques, le volume le plus faible d’inscriptions recensé. Le volume le plus élevé fut atteint en 2013, avec 196 957 inscriptions. La variation est relativement faible. Par ailleurs, le nombre d’inscriptions consécutives à une rupture conventionnelle est passé de 285 816 en 2013 à 474 293 en 2024. La fluctuation est plus forte. Il y a également une augmentation importante, notamment ces dernières années, des démissions. Le chiffre a doublé en dix ans pour passer de 160 974 en 2013 à 322 879 en 2024.
Les inscriptions consécutives à des licenciements économiques représentent, en fonction des années, entre 2,3 % et 4,2 % du total des inscriptions, ce qui est faible. En volume, les inscriptions les plus nombreuses – entre 1,6 million et 1,5 million par an – sont le fait des fins de contrats à durée déterminée (CDD) et de contrats d’intérim.
C’est en 2022 que les inscriptions consécutives à des licenciements économiques ont été les moins nombreuses. Depuis, le nombre augmente – 135 765 inscriptions en 2023 et 161 000 en 2024 – bien qu’il n’atteigne pas le niveau du début des années 2010.
M. le rapporteur. Pouvez-vous préciser le profil des demandeurs d’emploi inscrits à France Travail à la suite d’un licenciement économique, leur répartition par secteur d’activité, par région, par âge, par genre, par catégorie socioprofessionnelle ?
M. Jean-Pierre Tabeur. Nous vous transmettrons un tableau qui détaille l’ensemble de ces caractéristiques.
Je peux vous indiquer qu’il y a une surreprésentation des hommes (+ 4,8 points) et des seniors de 50 ans et plus (+ 15,5 points). À l’inverse, il y a une plus faible représentation des moins de 25 ans (– 17,7 points).
Ces demandeurs d’emploi travaillent dans les secteurs du support à l’entreprise (20,6 % des cas), du commerce, de la vente et de la grande distribution (16 % des cas), de la construction ainsi que du bâtiment et des travaux publics (BTP) (11,7 % des cas). Ils travaillent aussi dans les secteurs du transport et de la logistique (10,4 % des cas) ou des services à la personne et à la collectivité (9,8 % des cas).
Il est difficile de faire une distinction en fonction du niveau de diplôme. La part des demandeurs d’emploi sans diplôme inscrits après un licenciement économique est de 20,6 %, la part des inscrits titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou d’un brevet d’études professionnelles (BEP) est de 22 %, la part des inscrits titulaires du baccalauréat est de 20,2 %, la part des inscrits ayant un niveau d’études équivalent à « bac + 2 » est de 14,2 % et la part des inscrits ayant un niveau d’études équivalent à « bac + 3 » et plus est de 23,1 %.
Enfin, les employés non qualifiés sont sous-représentés dans la catégorie des demandeurs d’emploi inscrits à la suite d’un licenciement économique (– 14,4 points). En revanche, les techniciens, les agents de maîtrise et les cadres sont surreprésentés. Les cadres sont en revanche moins concernés par d’autres types de rupture du contrat de travail.
M. le rapporteur. Pouvez-vous présenter les dispositifs d’accompagnement et d’indemnisation destinés aux salariés licenciés économiquement, notamment dans le cadre d’un PSE, et préciser en quoi ils se distinguent des dispositifs prévus pour les autres types de rupture du contrat de travail ?
Mme Virginie Met, responsable du département dispositifs spécifiques et inclusion par l’emploi au sein de la direction des services aux demandeurs d’emploi. Le CSP est un dispositif qui vise à organiser un retour rapide à un emploi durable, défini comme un CDI, un CDD de plus de six mois, la création ou la reprise d’une entreprise. Il s’agit d’un accompagnement intensif sur douze mois, qui offre un suivi renforcé et personnalisé par des professionnels dédiés.
L’allocation de sécurisation professionnelle (ASP) est particulièrement avantageuse, son montant étant généralement supérieur à celui de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Elle équivaut au salaire net pour les salariés ayant au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise. Des aides spécifiques complètent le dispositif : l’indemnité différentielle de reclassement (IDR), qui compense une éventuelle perte de salaire sur douze mois, et la prime de reclassement en cas de reprise d’un emploi. La protection sociale est également renforcée.
Le CSP est le dispositif le plus avantageux parmi ceux proposés par France Travail. Outre un accompagnement renforcé, il offre un accès immédiat aux formations, sans délai d’attente. Le seul inconvénient pourrait être l’abandon de l’indemnité de préavis, mais cela est largement compensé par les autres avantages.
L’efficacité du CSP est confirmée par la satisfaction de ses bénéficiaires. Selon la dernière enquête trimestrielle réalisée par Ipsos en janvier 2025, 85 % des répondants estiment que les informations relatives au dispositif sont claires et 86 % les jugent suffisantes. Du reste, 85 % se déclarent globalement satisfaits du suivi, 92 % de la qualité des échanges avec leurs conseillers et 94 % de leur disponibilité. Enfin, 87 % sont satisfaits du traitement de leurs dossiers d’indemnisation.
M. le rapporteur. Le baromètre de la perception du chômage et de l’emploi, réalisé par l’Unédic, révèle que les Français ont une connaissance partielle des situations ouvrant droit au chômage et de leurs propres droits. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Pouvez-vous préciser la situation particulière des licenciés économiques, notamment dans le cadre d’un PSE ?
M. Jean-Pierre Tabeur. En préambule, je tiens à souligner que l’ensemble de la réglementation sur le chômage est directement consultable sur nos sites. Nous mettons à disposition des outils de simulation de calcul des droits, qui permettent de comparer les dispositifs. Ces ressources sont essentielles pour éclairer les choix du salarié, notamment au sujet du contrat de sécurisation professionnelle proposé par l’employeur.
Nous disposons de nombreuses ressources pédagogiques, telles que des vidéos explicatives produites par l’Unédic, qui détaillent l’ensemble des dispositifs, y compris les principes d’un PSE et d’un projet de reclassement. Cependant, nous sommes conscients que ces informations ne suffisent pas toujours.
Il est important de rappeler que l’employeur a l’obligation légale de proposer le CSP, lorsque l’entreprise compte moins de mille salariés, dès lors que les salariés y sont éligibles. Cette obligation vaut pour chaque salarié dont le licenciement économique est envisagé. En cas de manquement, une pénalité sous forme de contribution spécifique est appliquée et recueillie par France Travail. La sanction pour non-respect équivaut à deux mois de salaire brut.
Nos conseillers savent identifier les situations dans lesquelles le CSP n’aurait pas été proposé à une personne éligible lors de son inscription. Dans ce cas, ils proposent le bénéfice du CSP et, si le salarié accepte, la contribution de l’entreprise défaillante est portée à trois mois de salaire brut.
Nous organisons au bénéfice des salariés des séances d’information, souvent en collaboration avec les services des ressources humaines des entreprises. Ces séances peuvent se tenir dans les locaux des entreprises, dans nos agences, chez un partenaire territorial ou à distance.
En complément, nous fournissons des informations par téléphone – au numéro 3949 –ou dans nos agences de proximité. Notre approche proactive vise à sécuriser l’entrée dans le dispositif de sorte qu’un bénéficiaire potentiel ne soit pas orienté par erreur vers le régime général.
M. le rapporteur. Les licenciés économiques qui bénéficient d’un contrat de sécurisation professionnelle apparaissent dans les statistiques du chômage en catégorie D, en tant que stagiaires de la formation professionnelle, et non dans les catégories A, B ou C, qui regroupent les demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Pensez-vous que cette classification pourrait fausser la réalité statistique des licenciements économiques ?
M. Jean-Pierre Tabeur. Cette question sur les catégories statistiques soulève régulièrement des débats et nourrit diverses analyses, parfois partisanes. Il est important de souligner que cette classification n’est pas une invention de France Travail. Elle a été établie dans la convention portant sur le CSP signée par les partenaires sociaux, dont la dernière version, qui date de 2015, est renouvelée chaque année.
L’origine de cette classification remonte aux années 2000, époque où elle a été retenue pour deux dispositifs : le contrat de transition professionnelle (CTP) et le contrat de reconversion professionnelle (CRP). Ces dispositifs mettaient l’accent sur la reconversion professionnelle et la formation. C’est probablement ce qui a motivé les partenaires sociaux et l’État dans leur choix à l’époque, bien qu’il puisse sembler moins pertinent aujourd’hui.
Je reconnais que la lisibilité des règles en la matière peut être complexe pour le grand public. Cependant, pour les économistes et les professionnels, l’ensemble des données est accessible. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail publie sur son site Internet des données trimestrielles détaillées, qui permettent de faire une analyse précise des dispositifs publics d’accompagnement des restructurations.
En conclusion, je dirais que cette classification ne fausse pas la réalité statistique, puisque toutes les données sont accessibles. Néanmoins, elle peut effectivement rendre compliquée la lecture des chiffres du chômage pour le grand public.
M. Aymeric Morin. L’évolution des catégories d’inscription est un sujet traité en collaboration avec le conseil national de l’information statistique (Cnis). À France Travail, nous avons créé de nouvelles catégories, au 1er janvier, à la suite de la mise en œuvre de la loi pour le plein emploi. Nous venons de modifier ces catégories et nous avons intégré environ un million de demandeurs d’emploi depuis le 1er janvier 2025. Ce chiffre comprend les personnes sollicitant le bénéfice du revenu de solidarité active et les jeunes qui ont besoin d’un accompagnement. Nous sommes donc dans un contexte d’instabilité statistique. Au vu de cette situation, il est tout à fait pertinent de remettre en question l’inscription en catégorie 4. Cependant, il sera nécessaire de prendre le temps de consulter le Cnis et d’accorder une période d’adaptation aux différents acteurs de la statistique et de l’économie pour qu’ils se familiarisent avec les nouvelles catégories, notamment les catégories 9 et 10. Cela permettra d’assurer que ces changements soient assimilés à un rythme acceptable par tous les intervenants.
M. Jean-Pierre Tabeur. Je rappelle que ces catégories sont avant tout des outils de gestion opérationnelle. Les données que nous en tirons reflètent la réalité de l’ensemble des demandeurs d’emploi inscrits à France Travail. Une part significative de ces personnes se trouve dans des situations d’activité variées. Par exemple, certaines viennent de retrouver un contrat à durée déterminée mais restent inscrites pendant leur période d’essai. L’existence de ces catégories nous permet d’offrir un service adapté à chaque situation, dans une optique très opérationnelle. C’est pour cette raison que le ministère du travail a, il y a quelques années, mis en avant le taux de chômage calculé à travers l’enquête emploi de l’Insee, qui est plus conforme aux normes internationales de comparaison. Ce taux n’est pas basé sur nos catégories administratives. Nous sommes conscients que ces nuances sont souvent réservées aux experts et que l’opinion publique peut avoir du mal à les appréhender, ce qui explique l’intérêt porté à ce sujet.
M. le rapporteur. Une dernière question : jugeriez-vous pertinent d’associer France Travail à l’analyse des PSE afin de renforcer les synergies entre les différents acteurs dans les bassins d’emploi ?
M. Aymeric Morin. Comme je l’ai mentionné en introduction, il y a un réel enjeu à renforcer notre coopération avec les services de l’État. Cependant, il convient de préciser ce que l’on entend par « intégrer France Travail à l’analyse des PSE ». Un PSE, avec son « livre 1 » et son « livre 2 », comporte des mesures techniques et précises qui dépassent le seul cadre de l’insertion professionnelle et de l’accompagnement vers l’emploi des personnes concernées. Je ne pense pas que France Travail ait vocation à émettre un avis sur l’ensemble du PSE. Cette compétence est bien établie au sein des Dreets, avec une jurisprudence administrative stable. Le processus d’homologation et de validation des PSE fonctionne efficacement aujourd’hui. Je doute que nous ayons une réelle valeur ajoutée sur cet aspect analytique.
En revanche, il serait pertinent de renforcer les coopérations territoriales pour anticiper les PSE à venir. Souvent, des liens existent déjà entre l’entreprise et les services de l’État en prévision des mutations économiques. Nous devrions intensifier cette anticipation, notamment au sujet des volumes de personnes concernées, en distinguant le reclassement interne et externe. Ces données sont cruciales pour France Travail. D’ailleurs, nous travaillons déjà étroitement avec Business France pour anticiper les implantations étrangères et nous pourrions étendre cette approche aux potentiels départs d’entreprises et aux « décrutements » dans les territoires.
Nous sommes tout à fait favorables à une association plus structurelle et à un partage d’informations renforcé dans ce cadre. À l’inverse, nous impliquer dans l’analyse détaillée et concrète du PSE ne me semble pas être un rôle que nous avons vocation à jouer.
M. le rapporteur. Existe-t-il des territoires dans lesquels la coopération renforcée que vous évoquez serait déjà expérimentée de manière plus poussée ? Y a-t-il des situations particulières que nous devrions observer attentivement ?
M. Aymeric Morin. Je n’ai pas d’exemple précis en tête, mais je peux vous exposer des cas de coopération efficace. La diversité des situations repose sur plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a une dimension géographique : l’importance des PSE varie selon les territoires. Par exemple, l’Île-de-France est particulièrement active en la matière, ce qui implique probablement des coopérations plus structurées du fait de la récurrence des cas. Ensuite, la qualité de la coopération dépend évidemment des relations interpersonnelles qui se nouent entre les acteurs. Enfin, la relation avec l’entreprise joue un rôle crucial, certaines étant très attentives à la circulation de l’information, notamment dans les cas de reprise d’entreprise, pour faciliter les plans d’investissement ou les procédures collectives.
Ces trois facteurs expliquent l’hétérogénéité des situations sur le territoire, variables dans le temps et l’espace. Nous pouvons néanmoins vous fournir des exemples concrets de coopération. Il faut distinguer deux niveaux : la coopération avec France Travail dans le cadre du processus d’homologation ou de validation du PSE et la nouvelle gouvernance du réseau pour l’emploi, instaurée par la loi pour le plein emploi. Cette dernière prévoit des comités locaux pour l’emploi à l’échelle des bassins d’emploi, des comités départementaux et régionaux. Ces instances, qui réunissent l’ensemble des acteurs du réseau pour l’emploi, peuvent être pertinentes pour aborder les enjeux de mutation économique. Par exemple, dans un bassin d’emploi confronté à la fermeture d’un site important, le comité sera le lieu privilégié pour articuler et coordonner l’action des différents acteurs.
M. Jean-Pierre Tabeur. Je souhaite aborder un enjeu très opérationnel que j’ai expérimenté dans la Somme il y a quelques années. La question fondamentale, en lien avec votre dernière interrogation, est de trouver le juste équilibre dans la coopération entre les obligations de l’employeur et l’action des pouvoirs publics, notamment des opérateurs publics. La finesse de cette collaboration est cruciale.
Il faut d’abord éviter qu’un employeur cherche à limiter les mesures de son PSE en comptant excessivement sur les dispositifs publics, notamment l’accompagnement délégué par France Travail. Même lorsque cela n’est pas l’intention de l’employeur, il est essentiel que les salariés comprennent correctement cette collaboration et n’en aient pas une perception erronée.
J’ai en mémoire des situations dans lesquelles l’intervention de France Travail auprès des salariés s’est révélée extrêmement délicate, en raison du calendrier de la négociation ou de l’ambiance dans l’entreprise. L’arrivée d’un représentant de France Travail peut envoyer un signal qui, s’il n’est pas correctement interprété, peut être mal vécu par les salariés.
Il y a donc un enjeu de temporalité à prendre en compte, y compris en complémentarité des actions des collectivités. Dans certains PSE, l’intervention du conseil régional était à considérer. L’objectif est de trouver le juste milieu pour éviter d’interférer, parfois contre notre gré, soit dans le dialogue social, soit dans les intentions de l’employeur quant aux dispositions qu’il compte prendre.
Cet équilibre n’est pas simple à trouver. Il s’agit d’un aspect fondamental à prendre en compte dans l’analyse de ces coopérations.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez indiqué qu’une part importante des PSE est mise en œuvre en Île-de-France, principalement en raison de la localisation des sièges sociaux. Cependant, force est de constater que les salariés concernés ne sont pas nécessairement rattachés à ces sièges. Disposez-vous de données précises sur ce point ? Mon hypothèse est que le nombre de personnes affectées par les PSE hors d’Île-de-France pourrait être supérieur à celui des personnes affectées qui se trouvent en région parisienne.
Cela me conduit à poser une autre question. Ne serait-il pas judicieux d’envisager la mise en œuvre des PSE dans les zones géographiques où se concentre la majorité des employés concernés ? Pour illustrer mon propos, je prends l’exemple de l’entreprise Michelin : le PSE semble être élaboré à Clermont-Ferrand alors que les salariés concernés se trouvent principalement à Cholet et Vannes.
M. Aymeric Morin. Cette problématique comporte plusieurs aspects. Certains sujets dépassent les attributions de France Travail en tant qu’opérateur, notamment les règles du code du travail régissant le déroulement des PSE, leur négociation et la détermination de l’autorité compétente pour leur validation ou leur homologation.
Votre question m’invite à évoquer le dispositif baptisé « prestation grand licenciement » (PGL). Lorsqu’un licenciement affecte non seulement le siège d’une entreprise, mais aussi des salariés répartis sur l’ensemble du territoire, notre défi est d’assurer un accompagnement uniforme et de qualité partout en France. Ce dispositif, décidé par l’État et déployé par France Travail, s’applique dans le cadre de l’accompagnement proposé, quel qu’il soit.
Quant à la question de savoir si le PSE devrait être défini et décidé au niveau de chaque site ou établissement au sens du code du travail, je pense que cette réflexion relève davantage des services de l’État, forts de leur expérience dans la négociation des PSE. Cela soulève des interrogations sur le lieu de négociation du PSE et sur les rôles respectifs du comité central et des comités d’établissement.
M. le président Denis Masséglia. Je précise que je ne préconise pas une multiplication du nombre des PSE. Mon intention est plutôt qu’il soit tenu compte des zones géographiques dans lesquelles le nombre de salariés concernés est le plus élevé.
M. Jean-Pierre Tabeur. Il y a de nombreuses situations dans lesquelles les projets de licenciements touchent plusieurs sites. Les cellules de reclassement interviennent alors avec des antennes locales pour assurer une proximité maximale. Il y a là une préoccupation récurrente.
La proximité des accompagnateurs peut être garantie dans ces situations. Lorsque l’entreprise gère le reclassement, elle a toute latitude pour organiser cette proximité. Le réseau de France Travail est suffisamment étendu pour que ses agents soient proches de l’ensemble des salariés à l’occasion de la mise en œuvre d’un projet de licenciement de grande ampleur.
Dans un cas « extrême », plusieurs centaines de conseillers de France Travail ont été mobilisés et répartis sur le territoire. La grande majorité d’entre eux intervenait à proximité du lieu de résidence des salariés concernés. Il est évident que le fait d’obliger un salarié à se déplacer sur plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres pour accéder à sa cellule de reclassement située au siège de l’entreprise serait peu opérant. J’ai constaté que la pratique inverse est courante et qu’aucun obstacle majeur ne s’y oppose.
M. Aymeric Morin. Il est effectivement crucial de distinguer le niveau de négociation du PSE de sa mise en œuvre opérationnelle.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Ma question porte sur le mouvement de grève en cours à France Travail, sujet que je ne peux aborder en détail dans le cadre de cette audition. Un nombre important de personnes ont été inscrites à France Travail, ce qui engendre une surcharge de travail significative. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le patronat évoque régulièrement des difficultés de recrutement.
C’est sur la base de ces difficultés supposées qu’ont été justifiés des licenciements massifs sans réelle justification économique, ainsi que la réduction des droits à l’assurance chômage et l’assouplissement du droit du travail.
Pouvez-vous confirmer les chiffres avancés par la Dares lors de son audition par notre commission d’enquête, selon laquelle il y aurait 5,7 millions de demandeurs d’emploi inscrits à France Travail pour seulement 480 000 emplois disponibles ?
M. Aymeric Morin. Votre question soulève plusieurs points. La mise en œuvre de la loi pour le plein emploi confie effectivement à France Travail de nouvelles missions d’envergure, tant dans l’accompagnement des publics que dans celui des entreprises. Nous sommes notamment chargés d’accompagner toutes les entreprises exprimant des besoins de recrutement, ainsi que l’ensemble des personnes nécessitant un accompagnement.
Il est crucial de comprendre que cette réforme se déploie progressivement. Depuis le 1er janvier 2025, nous avons élargi l’inscription à toutes les personnes sollicitant le RSA et à l’ensemble des jeunes en recherche d’emploi. Cela a effectivement entraîné l’inscription ou la réinscription d’environ un million de personnes à France Travail. Certains de ces publics avaient déjà pu être inscrits par le passé.
Cette évolution représente un défi majeur, notamment en termes de collaboration avec nos partenaires de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour la mise en place de flux de données informatiques. Cependant, en ce qui concerne la charge de travail, notre effort se concentre actuellement sur ce que nous appelons les « nouveaux demandeurs d’emploi », soit les personnes sollicitant pour la première fois le RSA ou les jeunes s’inscrivant pour la première fois. Nous avons ainsi réalisé des entretiens et signé des contrats d’engagement avec environ 200 000 personnes dans ce cadre.
Aux termes de la loi, la redynamisation de l’accompagnement de l’ensemble des personnes inscrites doit se faire d’ici 2027. Nous procédons donc par étapes, en nous concentrant d’abord sur les nouveaux inscrits avant d’étendre progressivement notre action à l’ensemble des bénéficiaires.
Je tiens à souligner la distinction qu’il faut faire entre l’inscription et l’accompagnement. Il est essentiel de noter que la charge de travail issue de la réforme progresse graduellement. Le directeur général a présenté les objectifs de France Travail pour l’accompagnement des entreprises. Nous devons accroître notre capacité à mener des prospections pour contacter davantage d’entreprises et renforcer les services que nous pouvons leur proposer.
Je n’ai pas de commentaires à faire sur les moyens alloués à l’opérateur, que ce soit par l’Unédic ou par l’État dans le cadre de la loi de finances. L’opérateur bénéficie de moyens relativement stables. Pour relever le défi, l’opérateur a mis en place un plan d’efficience visant principalement à automatiser les activités qui s’y prêtent, notamment celles présentant le moins de valeur ajoutée, et à simplifier son organisation et ses procédures. L’objectif consiste à pouvoir, au cours des trois prochaines années, redéployer des ressources auprès des demandeurs d’emploi et des entreprises.
L’opérateur a une stratégie claire et le dialogue social avec les organisations syndicales est permanent. Nous devons remplir des missions plus nombreuses dans un contexte budgétaire contraint, ce dont nous avons tous conscience.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). La Dares a fait état de 480 000 emplois disponibles et vos données font état de 5,7 millions de personnes demandeuses d’emploi. Ces données sont‑elles exactes ? Pouvez-vous les confirmer ?
M. Aymeric Morin. Il convient d’être prudent dans la comparaison de ces chiffres. Effectivement, on cite souvent le chiffre de 5,7 millions de demandeurs d’emploi, mais il faut le nuancer. Cet ensemble comprend des personnes en intérim, certaines ayant déjà une activité, d’autres alternant des périodes d’activité et de chômage, et un certain nombre d’individus qui n’ont pas nécessairement de freins périphériques à lever et ne sont pas directement en recherche d’emploi. Il faut éviter d’analyser les chiffres des inscrits à France Travail trop hâtivement.
Par ailleurs, environ un million d’offres sont comptabilisées sur le site de France Travail. Il existe donc différentes manières d’appréhender ces chiffres. Il est important de souligner que le volume d’offres d’emploi évolue constamment.
Il faut noter que le nombre d’inscrits a récemment augmenté. Nous aurions pu avoir le même débat il y a quelques mois. Le fait marquant est qu’environ quatre millions de demandeurs d’emploi retrouvent un emploi chaque année. Je pense que la simple confrontation des deux chiffres que vous évoquez est peut-être trop réductrice et que cela mériterait une analyse plus approfondie.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à douze heures quarante-cinq.
Présents. – M. Louis Boyard, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia
Excusée. – Mme Anne-Cécile Violland