Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

 

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel 2

– Présences en réunion................................22

 


Mardi
2°avril°2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 7

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à quinze heures quinze.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête auditionne les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel : Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Olivier Guivarch, secrétaire national, et M. Éric Mignon, secrétaire confédéral au service emploi et sécurisation des parcours professionnels ; Confédération générale du travail (CGT)  Mme Sophie Binet, secrétaire générale, et M. Baptiste Talbot, responsable confédéral de la coordination des luttes ; Force ouvrière (FO)  Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation et des affaires juridiques, et M. Sébastien Dupuch, assistant du secrétaire général ; Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)  M. Bertrand Maé, délégué national en charge de l’emploi, et M. Franck Boissart, responsable du service emploiformationtravail ; Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  M. Cyril Chabanier, président, et M. Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi et de chômage

M. le président Denis Masséglia. Notre commission d’enquête reçoit aujourd’hui les partenaires sociaux, dont l’éclairage sera précieux pour nos investigations. Je précise qu’il nous a semblé opportun que les deux tables rondes de ce jour, étape essentielle de notre programme de travail, interviennent au début du cycle d’auditions. Nous entendrons, dans un premier temps, les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel et, dans un second temps, les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Je souhaite la bienvenue aux représentants des salariés qui témoigneront devant nous :

– pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Olivier Guivarch, secrétaire national, et M. Éric Mignon, secrétaire confédéral au service emploi et sécurisation des parcours professionnels ;

– pour la Confédération générale du travail (CGT) : Mme Sophie Binet, secrétaire générale, et M. Baptiste Talbot, responsable confédéral de la coordination des luttes ;

– pour Force ouvrière (FO) : Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation et des affaires juridiques, et M. Sébastien Dupuch, assistant du secrétaire général ;

– pour la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) : M. Bertrand Mahé, délégué national en charge de l’emploi, et M. Franck Boissart, responsable du service emploi-formation-travail ;

– pour la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) : M. Cyril Chabanier, président, et M. Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi et de chômage.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Olivier Guivarch, M. Éric Mignon, Mme Sophie Binet, M. Baptiste Talbot, Mme Patricia Drevon, M. Sébastien Dupuch, M. Bertrand Mahé, M. Franck Boissart, M. Cyril Chabanier et M. Frédéric Belouze prêtent serment.)

M. Olivier Guivarch, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Il est crucial de souligner que le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) mis en œuvre connaît une diminution constante depuis près de deux décennies. Cette tendance est significative et nous oblige à nous intéresser à d’autres modes de rupture du contrat de travail, les PSE pouvant apparaître comme plus protecteurs que d’autres dispositifs.

Il y a eu un pic en 2009 avec 2 245 PSE et une parenthèse en 2020 avec 861 PSE. En 2024, il y a eu une légère augmentation du nombre de PSE avec 664 PSE initiés. Les licenciements économiques ne représentent qu’environ 2 % à 3 % des fins de contrats à durée indéterminée (CDI), un pourcentage très faible. Parmi ces licenciements économiques, seule une fraction minime implique l’établissement de PSE.

À la CFDT, nous estimons qu’il faut porter une attention particulière aux nombreuses restructurations « à bas bruit ». Depuis les ordonnances dites « Macron », de nouveaux outils ont été développés, notamment les ruptures conventionnelles collectives (RCC) et les accords de performance collective (APC).

Pour ce qui est du lien entre les difficultés économiques sectorielles et les PSE, on observe un enchevêtrement complexe de causes structurelles et conjoncturelles, avec des disparités territoriales marquées. Parmi les causes structurelles, on peut citer la transition vers l’électrique dans l’industrie automobile et l’évolution des modèles économiques dans le commerce. Les causes conjoncturelles incluent, par exemple, la baisse des mises en chantier de logements neufs, secteur dans lequel on peut espérer un rebond après le niveau atteint en 2024.

On constate un nombre élevé de PSE depuis le dernier trimestre 2024, une tendance qui se poursuit en 2025. Cependant, de nombreuses petites entreprises sont également touchées, sans que cela ne se traduise par des PSE, ce qui rend le phénomène moins visible. Les territoires éloignés des grandes agglomérations semblent particulièrement affectés.

Il est possible que certains employeurs profitent du contexte médiatique focalisé sur les grandes restructurations pour prendre des décisions moins visibles dans d’autres entreprises. Le contexte politique actuel peut également détourner l’attention de ces enjeux.

En ce qui concerne les RCC et les APC, il faut noter que les premières sont principalement utilisées par des grands groupes, les petites entreprises, qui emploient pourtant la majorité des salariés, n’y ayant pas recours. L’évaluation des seconds s’avère plus complexe, les organisations syndicales ayant peu d’informations à leur disposition.

Nous formulons plusieurs revendications sur ces sujets. Nous demandons un renforcement des exigences en matière d’information et de consultation du comité social et économique (CSE) et de recours à l’expertise, en vue d’améliorer le dialogue social. Nous souhaitons interdire les APC à durée indéterminée et instaurer un bilan d’étape obligatoire après une certaine durée dans le but d’éviter les contournements des obligations liées aux PSE.

Nous plaidons pour des négociations loyales, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Les délais actuels contraignent souvent les représentants du personnel à se focaliser sur la négociation des indemnités, au détriment de la recherche d’autres solutions pour préserver l’emploi. Enfin, nous avons une revendication forte au sujet des reconversions, un sujet que nous pourrons approfondir ultérieurement si vous le souhaitez.

L’évolution du droit du travail a indéniablement facilité les ruptures de contrats pour les employeurs. Encore une fois, il est crucial de souligner que les licenciements économiques ne représentent qu’une faible proportion desdites ruptures. Il faut aussi regarder les démissions, les fins de période d’essai, les ruptures conventionnelles individuelles et tous les autres types de licenciements. Cette approche est d’autant plus pertinente que certains licenciements pour un autre motif que le motif économique peuvent masquer des difficultés économiques. La complexité de cette analyse est considérable.

En ce qui concerne la conditionnalité des aides aux entreprises, la CFDT préconise une approche rigoureuse. Nous demandons une transparence totale sur les montants alloués et les engagements pris par les entreprises. En amont, nous exigeons que des objectifs soient clairement définis, soumis à la négociation d’un accord ou, à défaut, à un avis conforme du CSE. Nous revendiquons également la mise en place d’un contrôle strict de l’utilisation de ces aides, tant par le CSE que par l’administration, cette dernière devant être dotée de moyens de contrôle adéquats. Nous réclamons le remboursement des aides si l’entreprise en restructuration qui met en œuvre un PSE réalise des bénéfices. De plus, nous demandons que ne soient pas validés ou homologués les plans établis par les entreprises qui n’auraient pas rendu public ce bilan et qui distribueraient des dividendes ou financeraient des rachats d’actions.

Plus largement, notre objectif est d’optimiser l’utilisation de tous les outils existants pour prévenir les licenciements. Nous plaidons pour la création de trois socles universels dédiés aux reconversions, un sujet que je ne peux malheureusement pas développer davantage, faute de temps.

Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la Confédération générale du travail (CGT). Je tiens à saluer la création de votre commission d’enquête dans un contexte de forte augmentation du nombre des plans de licenciements. La CGT alerte sur cette situation depuis mai dernier, malheureusement sans grand écho. Notre recensement initial faisait état de 130 plans de licenciements en mai 2024. Aujourd’hui, nous en comptabilisons 354, un chiffre qui reste néanmoins en deçà de la réalité, notre organisation n’ayant pas les moyens de l’État pour faire un recensement exhaustif. Ces 354 plans concernent potentiellement 220 000 emplois directs et indirects.

Ces plans de licenciements ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les ruptures conventionnelles collectives, les accords de performance collective et les départs individuels, facilités par les récentes réformes, comptent désormais pour la majorité des ruptures de contrat de travail. Fait alarmant, la moitié des plans de licenciements recensés implique de grands groupes français économiquement sains.

Les réformes successives conduites depuis une dizaine d’années, notamment la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et les ordonnances dites « Macron » de 2017 ont considérablement assoupli les procédures de licenciement. Le contrôle du motif économique des licenciements a été significativement réduit.

Cette vague de licenciements s’explique principalement par deux facteurs : un déficit d’anticipation et de planification, notamment sur les enjeux environnementaux et numériques, et la priorité donnée à l’augmentation des profits au détriment de la demande, particulièrement dans les secteurs du logement et de l’agroalimentaire. Les salaires n’ont pas suivi l’augmentation des prix.

L’industrie est particulièrement touchée. Elle représente environ 40 % des plans de licenciements recensés, une proportion inquiétante au regard de sa part déjà réduite dans le produit intérieur brut (PIB) français. La France se distingue par une balance commerciale structurellement déficitaire, une forte internationalisation et financiarisation de ses grandes entreprises et un coût du capital plus élevé qu’ailleurs en Europe.

Les dividendes atteignent des niveaux records en 2024, comme en 2023. Depuis 2017, la part des profits versés aux actionnaires a augmenté de trois points, tandis que la même part consacrée à l’investissement a chuté de cinq points. Les entreprises du CAC40 ont redistribué près de 98 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2024, pour 116 milliards d’euros d’investissements productifs, une tendance alarmante alors que des investissements massifs sont nécessaires pour financer la transition environnementale et numérique.

Le tissu productif français se caractérise par un déficit d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), coincées entre de très grandes entreprises plus industrialisées et des petites et moyennes entreprises (PME). Ce secteur intermédiaire est particulièrement affecté par les stratégies des grands groupes et des donneurs d’ordre, les équipementiers dans l’automobile par exemple.

Ces constats mettent en lumière l’échec de la politique de l’offre menée depuis 2014, qui s’est matérialisée par un affaiblissement du droit du travail, la facilitation des licenciements et une augmentation massive des aides aux entreprises, dont le montant dépasse aujourd’hui 200 milliards d’euros. Malgré ce volume considérable d’aides publiques, la Cour des comptes constate dans son rapport de novembre 2024 que la France n’a pas réussi à inverser la dynamique de désindustrialisation.

Nous tirons la sonnette d’alarme sur la situation depuis 2024. Après une période de stabilisation industrielle, nous entrons dans une nouvelle phase de désindustrialisation et de destruction de l’outil productif. La politique de l’offre actuelle laisse une liberté excessive aux multinationales, sans stratégie étatique, notamment face aux plans de licenciements. L’État, bien qu’actionnaire dans certains secteurs, reste passif et dépourvu de stratégie industrielle, particulièrement dans l’automobile. La France détient 15 % de Renault, mais qu’avons-nous fait pour anticiper les transformations et prévenir la catastrophe industrielle en cours ? La Cour des comptes a d’ailleurs fait ce constat.

Selon nous, le premier enjeu est d’avoir un État stratège à nos côtés dans la lutte contre les plans de licenciements. Nos batailles syndicales visent principalement la préservation de l’emploi et la recherche de repreneurs en cas de fermeture d’établissements, plutôt que l’augmentation des indemnités pour les salariés. Nous avons quelques succès à notre actif, mais ils ont nécessité des efforts démesurés pour sauver quelques centaines d’emplois. Malheureusement, nous avons aussi enregistré de nombreux échecs. En effet, malgré d’excellents projets élaborés par les salariés, ni les acteurs patronaux, ni l’État n’ont été au rendez-vous pour sauvegarder des fleurons industriels.

J’appelle votre attention sur plusieurs dossiers en cours. Les salariés de Vencorex ont dû concevoir un projet de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour garantir l’avenir de l’entreprise, mais l’État n’y participe pas encore, ce qui pose un problème majeur. Par ailleurs, selon nos informations, le groupe ArcelorMittal se prépare à quitter la France et l’Europe d’ici 2030 pour recentrer sa production en Inde et au Brésil. Sans stratégie française et européenne, ArcelorMittal va disparaître. Cette situation illustre l’échec de la politique de l’offre. Sans réaction rapide, nous allons subir un second acte de désindustrialisation dans un contexte de transformations géopolitiques résultant notamment de la guerre commerciale conduite par les États-Unis. Il est urgent d’élaborer une véritable stratégie et d’obtenir une réponse concrète de l’État.

La CGT propose de conditionner toutes les aides publiques à l’avis conforme du CSE et d’instaurer une restitution automatique de ces aides en cas de fermeture de site ou de PSE injustifié. Nous demandons également un bilan des ordonnances « Macron » et des déréglementations des modes de rupture du contrat de travail. Il faut que les licenciements économiques soient justifiés par de réels motifs. Les accords de performance collective, actuellement non encadrés, doivent être réformés.

Nous militons pour le renforcement de la place des salariés dans la gouvernance des entreprises, notamment en accordant aux CSE des droits suspensifs sur les projets ayant un impact sur l’emploi et en renforçant la présence des salariés dans les conseils d’administration. Nous plaidons pour la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle et environnementale ainsi que pour une véritable planification industrielle et environnementale face aux grandes transformations en cours. Enfin, nous insistons sur la nécessité de responsabiliser les donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants.

Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation et des affaires juridiques de Force ouvrière (FO). Ces dernières années, nous avons observé une diminution du nombre de PSE. Cependant, le nombre de chômeurs ne baisse pas et tend même à augmenter. Cela indique que les entreprises recourent à d’autres modes de rupture du contrat de travail. Nous avons constaté une utilisation accrue des ruptures conventionnelles collectives, des accords de performance collective, ainsi qu’une augmentation du nombre des ruptures conventionnelles individuelles qui, dans certains cas, peuvent être qualifiées de PSE déguisés.

Certains secteurs et régions sont plus touchés que d’autres. En Île-de-France, les bureaux d’études, les transports hors statut, l’habillement, le cuir et le textile sont particulièrement affectés. En Auvergne-Rhône-Alpes, les PSE touchent principalement les industries de la chimie et de la pharmacie, le bâtiment et les travaux publics (BTP), l’habillement, le cuir et le textile. Dans le Grand-Est, la métallurgie, l’automobile et la sidérurgie sont les plus touchées, avec l’agroalimentaire et l’habillement.

Les catégories professionnelles les plus concernées sont les ouvriers et les employés, qui subissent la majorité des suppressions de postes, suivis des techniciens et agents de maîtrise. Les cadres sont généralement moins affectés.

Les licenciements économiques ont suivi une tendance similaire à celle des PSE, avec un pic en 2020 suivi d’une baisse progressive.

Certaines évolutions ont été mal anticipées par les entreprises et insuffisamment accompagnées par l’État. La crise de l’automobile et la transition vers la voiture électrique en sont des exemples flagrants. Malgré des discussions de longue date sur ces sujets, l’adaptation de notre industrie automobile aux enjeux qui s’élèvent n’est pas au rendez-vous.

Nous disposons pourtant d’outils tels que la formation professionnelle et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Malheureusement, peu d’accords de GPEC sont négociés aujourd’hui, ce qui témoigne d’un manque de projection à long terme. Nous sommes actuellement dans une politique de court terme qui ne forme pas suffisamment les salariés aux métiers de demain.

Je considère que la réforme de la formation professionnelle, que nous avons vivement critiquée, porte une part de responsabilité dans la situation actuelle. En effet, pour les entreprises de moins de trois cents salariés, les opérateurs de compétences (Opco) n’accompagnent plus l’élaboration des plans de formation. Cela réduit inévitablement la volonté des entreprises d’accompagner les salariés dans leurs évolutions professionnelles et les poussent parfois à privilégier des PSE et le recrutement externe plutôt que la formation interne.

Par ailleurs, le cadre légal a considérablement facilité les licenciements depuis 2013. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ont simplifié les procédures de licenciement et réduit la protection des salariés. L’ordonnance du 22 septembre 2017 a notamment créé le dispositif de rupture conventionnelle collective, souvent utilisé pour réduire les coûts du côté des employeurs. Cette option, bien que présentant des avantages à court terme pour les salariés, peut s’avérer problématique à long terme. En effet, contrairement aux PSE, elle n’oblige pas les entreprises à fournir un accompagnement en formation professionnelle ou des solutions plus structurées.

Pour lutter efficacement contre les PSE, une véritable politique de réindustrialisation du pays s’impose. Malgré les discours, il n’y a pas eu de créations massives d’emplois en France. Les perspectives dans le secteur de l’armement, par exemple, ne semblent pas garantir la pérennité des emplois.

Nos revendications incluent un renforcement des pouvoirs et des moyens des CSE. Nous demandons plus d’heures de délégation, plus d’élus, mais surtout une vision sociale à plus long terme, au-delà des trois ans actuellement prévus. Il est préoccupant que les entreprises ne se projettent pas au-delà de cette période. Les présentations économiques fournies aux CSE sont sommaires et ressemblent trop souvent à celles qui sont destinées aux acteurs externes, la Bourse ou les actionnaires. Elles ne donnent pas les informations nécessaires pour anticiper l’avenir de l’entreprise.

Le dialogue social se limite souvent au respect des obligations légales et il n’y a pas de réelle discussion permettant une projection à long terme pour protéger les emplois. Pourtant, des solutions existent, à court ou long terme, pour préserver l’emploi : réduction du temps de travail, recours au chômage partiel ou encore mobilisation des accords de performance collective. Cependant, sans obligation de formation, l’efficacité de ces dispositifs reste limitée.

Il est crucial d’aller plus loin en incitant, voire en obligeant, les entreprises à former leurs salariés, notamment sur les métiers en mutation ou en tension. Les aides aux entreprises, qui s’élèvent actuellement à plus de 210 milliards d’euros et qui ne sont pas conditionnées, n’ont pas démontré leur efficacité pour réduire le chômage ou éviter les licenciements. Nous proposons de conditionner l’octroi de ces aides à des engagements en matière de formation et de maintien de l’emploi et d’organiser le remboursement obligatoire des sommes versées en cas de licenciements injustifiés lorsque les entreprises sont en bonne santé financière.

Nous suggérons également que les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) aient accès aux données nécessaires pour évaluer la légitimité des licenciements économiques, en comparant par exemple la rentabilité de l’entreprise à la rentabilité moyenne des entreprises du secteur. Si une entreprise procède à des licenciements alors qu’elle se situe significativement au-dessus de la moyenne de rentabilité de son secteur, le remboursement des aides publiques devrait être envisagé.

Nous demandons aussi que les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt recherche (CIR) soient obligées de produire sur le territoire français, plusieurs années durant, les innovations développées grâce à l’aide reçue.

La « loi Florange », grâce à laquelle la reprise d’un établissement est possible dans 10 % à 20 % des cas, doit être améliorée. Il faut allonger les délais pour la recherche d’un repreneur. Il est également crucial de donner plus de moyens aux salariés qui ont des projets de reprise, comme cela a été fait avec succès chez Duralex. L’État doit jouer un rôle plus proactif dans l’accompagnement de ces initiatives.

M. Bertrand Mahé, délégué national en charge de l’emploi de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). L’année 2024 a été marquée par une reprise significative des restructurations et des licenciements collectifs. Nous avons observé ce phénomène dans plusieurs grandes entreprises telles que Valeo, Michelin, Auchan, Sanofi et ExxonMobil. Des ruptures conventionnelles collectives ont également eu lieu chez Stellantis. Toutefois, la majorité des ruptures de contrat de travail et des licenciements se produisent discrètement dans les petites entreprises.

Les perspectives pour 2025 s’annoncent encore plus sombres. En 2024, nous avons recensé 66 000 entreprises en faillite. Une étude du groupe BPCE prévoit au moins 68 000 défaillances d’entreprises en 2025, qui menacent 240 000 emplois et risquent d’affecter un nombre bien plus important de personnes si l’on prend en compte les familles concernées.

Notre organisation n’est pas favorable aux APC. Nous considérons que le dispositif porte atteinte aux droits des salariés et dénature le rôle des accords d’entreprise. Les APC deviennent un outil de gestion qui fait peser l’intégralité des sacrifices sur les salariés. Nous préconisons l’instauration de clauses de retour à meilleure fortune, avec une échéance définie, pour éviter que les salariés ne soient indéfiniment pénalisés. Nous proposons également un retour à la philosophie des accords de maintien dans l’emploi, plus équilibrés dans la mesure où sont exigés des efforts de la part des dirigeants, des actionnaires et des mandataires.

La philosophie des PSE a considérablement évolué depuis l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 et la loi qui a suivi. L’introduction de délais préfix de deux à quatre mois, selon l’effectif de l’entreprise, a réduit la durée de la procédure d’information‑consultation du CSE. Parallèlement, il était prévu de donner aux élus les moyens d’accéder à une information complète et sincère sur les aspects économiques et stratégiques de l’entreprise, notamment par l’intermédiaire de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Malheureusement, l’expérience montre que ce dispositif n’a pas atteint son objectif. Dans de nombreuses entreprises, la BDESE est peu ou pas mise en place et l’information fournie est souvent partielle, voire partiale.

Le recours aux APC, RCC et PSE démontre un manque d’anticipation.

Selon nous, il est nécessaire de conditionner l’octroi de fonds publics aux entreprises. Celles-ci devraient s’engager durablement à fournir des contreparties économiques, sociales et environnementales. Nous préconisons l’adoption, par le dialogue social, de critères de conditionnalité au niveau territorial. Le CSE pourrait jouer un rôle central dans le contrôle de l’utilisation des fonds publics pour garantir le respect des objectifs fixés.

Nous considérons également que le mécanisme de rachat d’actions nuit au partage de la valeur, en réduisant la part qui revient aux salariés et en hypothéquant les capacités de développement économique de l’entreprise.

M. Cyril Chabanier, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Je vais m’efforcer de ne pas simplement répéter les propos de mes collègues, car je partage nombre de leurs observations.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu une diminution globale du nombre de PSE, avec un pic en 2020 dû à la crise sanitaire et une reprise significative depuis 2024. Il est crucial de mettre en perspective cette baisse des PSE avec l’augmentation marquée des RCC et des APC. Cette évolution ne traduit pas nécessairement une amélioration de la situation économique.

Les causes de la recrudescence des PSE sont multiples. Le contexte géopolitique international a indéniablement eu un impact, notamment à travers la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, qui a mis en difficulté de nombreuses entreprises. Les mutations sectorielles liées à la transition écologique, numérique et à l’essor de l’intelligence artificielle ont également joué un rôle. Malheureusement, ces évolutions ont souvent été perçues comme des problématiques plutôt que comme des opportunités.

Cependant, certaines causes sont particulièrement préoccupantes car elles relèvent de choix stratégiques et politiques ayant des conséquences directes sur l’emploi. Le cadre légal actuel, qui manque de garde-fous, a facilité cette recrudescence. Dans les grands groupes, par exemple, les réorganisations d’entreprises ou d’activités peuvent résulter de choix stratégiques à long terme qui ne sont pas nécessairement motivés par des difficultés économiques immédiates ou de moyen terme. Pourtant, ces décisions entraînent des suppressions d’emplois significatives. C’est ce que l’on appelle des « licenciements boursiers », c’est-à-dire des licenciements qui interviennent en l’absence de réelles difficultés économiques.

Je souhaite souligner un phénomène préoccupant : il n’est pas rare de constater que des entreprises dégageant d’importants bénéfices mettent simultanément en œuvre des plans de départ collectif massifs. Cette situation soulève de sérieuses interrogations.

Parmi les facteurs expliquant la tendance, les choix politiques ne doivent pas être oubliés. Les ordonnances dites « Macron » ont considérablement réduit les moyens des représentants du personnel tout en facilitant la rupture des contrats de travail pour les entreprises. Cette approche repose sur le postulat discutable selon lequel la flexibilisation extrême du licenciement serait le meilleur moyen de favoriser l’embauche et l’emploi dans notre pays.

Si le nombre de PSE diminue, le nombre de RCC et d’APC augmente fortement. Selon nous, les RCC sont rapidement devenues un outil de restructuration privilégié dans les grands groupes. Nous sommes très réservés sur ce dispositif, qui s’apparente souvent à un instrument de réorganisation et qui peut constituer une première étape avant un PSE, d’autant que sa mise en place ne suppose l’existence d’aucun motif économique.

Nous restons également mesurés au sujet des APC car le dispositif se distingue des autres accords collectifs en ce qu’il a un impact direct sur le contrat de travail des salariés. Des garde-fous supplémentaires seraient certainement nécessaires.

Ces deux dispositifs, concurrents des PSE, sont trop souvent instrumentalisés pour activer les leviers de la flexibilité. Cette dernière semble davantage profiter aux actionnaires qu’aux salariés et à la pérennité de leur emploi. On peut même considérer que ces dispositifs incitent les entreprises à réagir et à réparer plutôt qu’à anticiper et à se projeter.

Prenons l’exemple des mutations technologiques : plutôt que d’être perçues comme une opportunité nécessitant de l’anticipation, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et une planification à long terme, elles sont subies. Ainsi, ces bouleversements, qui pourraient être une source formidable de développement économique, deviennent un motif de licenciements plutôt qu’un vecteur de projection vers l’avenir.

Nous estimons qu’au moins deux des quatre motifs prévus par la loi pour justifier un licenciement économique doivent être encadrés plus strictement. La sauvegarde de la compétitivité est un motif utilisé parfois alors qu’il n’y a pas de risque avéré, voire pour des raisons de pure opportunité. Les mutations technologiques, dans un monde en constante évolution, peuvent être invoquées pour justifier un licenciement de manière abusive à tout moment.

Il faut lutter contre les licenciements boursiers déclenchés en dehors de toute difficulté économique. À la CFTC, nous proposons qu’une entreprise ayant versé des dividendes conséquents à ses actionnaires et envisageant la mise en œuvre d’un PSE soit dans l’obligation de provisionner un montant équivalent pour renforcer le PSE ou rembourser ses aides publiques.

Nous souhaitons que les RCC soient mieux encadrées. Si le dispositif peut être généreux sur le plan de l’accompagnement financier, cela ne doit jamais se faire au détriment d’un accompagnement solide vers le retour à l’emploi, notamment par la formation. Il est nécessaire de mettre en place des garde-fous pour contrôler la réalité du volontariat des salariés intéressés, s’assurer de l’existence d’un projet professionnel sérieux chez les candidats et garantir un accompagnement efficace en termes de formation, de reconversion et de retour à l’emploi.

Il est crucial de sécuriser les droits des salariés concernés par les APC, actuellement insuffisamment protégés. Nous devons également mieux anticiper, notamment en développant la présence des administrateurs salariés dans les conseils d’administration. Les CSE doivent être informés sur les financements publics perçus par l’entreprise, donner leur avis sur leur utilisation et exercer un contrôle.

Enfin, il est nécessaire de conditionner l’octroi des aides publiques aux entreprises, ce qui pourrait aller jusqu’au remboursement en cas de non-respect des engagements.

M. le président Denis Masséglia. Je vous remercie pour vos interventions. J’ai deux questions à vous poser.

Premièrement, vous évoquez la conditionnalité de l’octroi des aides publiques. Ne serait-il pas plus pertinent d’envisager une suppression des aides couplée à une réduction significative des impôts de production qui pèsent lourdement sur nos entreprises ? Je rappelle que ces impôts représentent 3,1 % du PIB en France contre 1,5 % au sein de la zone euro et 0,7 % en Allemagne. Un allègement de la fiscalité ne permettrait-il pas de réduire le besoin d’aides pour assurer la pérennité des entreprises sur le territoire français ?

Deuxièmement, avez-vous mesuré l’impact potentiel du conditionnement des aides sur l’attractivité de la France et les éventuelles pertes d’emplois qui pourraient en résulter ? Disposez-vous d’études à ce sujet que vous pourriez transmettre à la commission d’enquête ?

M. Cyril Chabanier. Permettez-moi de répondre sur la conditionnalité des aides. Avant toute chose, il me semble primordial que soit réalisé un audit approfondi des aides publiques existantes. Je ne suis pas opposé par principe aux aides aux entreprises, mais il est essentiel d’en évaluer l’efficacité.

On estime que le montant des aides publiques sociales est compris entre 80 milliards et 90 milliards d’euros et qu’un montant équivalent est dépensé au titre des aides fiscales. Au total, le montant des aides publiques serait compris entre 180 milliards et 200 milliards d’euros. Au-delà du débat sur les montants, imaginons qu’un audit indépendant et rigoureux démontre que seulement 10 % de ces aides sont inefficaces. Cela permettrait de récupérer environ 8 milliards d’euros du côté des aides sociales et autant du côté des aides fiscales, soit une somme suffisante pour garantir l’équilibre des régimes de retraite.

L’essentiel est d’évaluer l’efficacité des aides. Il y a trois cas de figure : des aides efficaces qu’il convient de maintenir, des aides qui ne fonctionnent pas du tout et dont il faut interroger la pertinence et des aides qui produisent un effet différent de celui qu’elles devraient produire. Cette dernière catégorie mérite une attention particulière : les dispositifs en question doivent être ajustés pour que leurs objectifs initiaux soient atteints.

Par ailleurs, les entreprises se plaignent constamment d’être les plus taxées, ce qui n’est pas totalement inexact. Cependant, elles sont également les plus aidées. L’impôt de production soulève un véritable débat. Il est vrai que le fait que les entreprises soient taxées avant même d’avoir produit mérite une réflexion approfondie. Taxer massivement pour aider massivement est un principe qui peut être discuté. Toutefois, pour organiser ce débat sereinement, il est crucial de mesurer l’efficacité des dispositifs. Un audit exhaustif des aides publiques s’impose donc. Ainsi, nous pourrons prendre des décisions éclairées : maintenir les aides qui fonctionnent, mettre un terme ou transformer les aides inefficaces.

M. le président Denis Masséglia. Je me permets d’insister sur la pertinence d’un audit qui porterait à la fois sur les aides publiques et sur la surcharge fiscale pesant sur les entreprises. Il serait regrettable de se concentrer sur un seul de ces deux aspects.

Mme Sophie Binet. Je confirme les propos de Cyril Chabanier sur la nécessité qu’il soit procédé à un audit. Il convient toutefois de souligner que de nombreux audits existent déjà et devraient être exploités. Prenons l’exemple du crédit d’impôt recherche. Ce dispositif est devenu un véritable secteur économique à part entière, avec des entreprises spécialisées dans l’optimisation des dossiers pour les grandes sociétés. Le cas de Sanofi est particulièrement révélateur : 1 milliard d’euros de CIR pour une réduction de moitié de ses effectifs de chercheurs. L’efficacité du CIR est donc discutable.

Un audit complet serait effectivement bénéfique, mais il existe déjà une littérature conséquente sur le sujet qui mériterait d’être exploitée. Le rapport Bozio-Wasmer traite notamment des exonérations de cotisations sociales et de leurs effets pervers, tels que les « trappes à bas salaires ». Ses recommandations n’ont malheureusement pas été suivies, en dépit du contexte budgétaire tendu. Sur les 80 milliards d’euros d’exonérations, 1,6 milliard d’euros seulement a été supprimé.

Le poids des impôts de production a déjà considérablement diminué. Il serait judicieux d’évaluer l’impact de cette diminution. Depuis 2017, la fiscalité des entreprises a été nettement allégée, avec une forte réduction de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production. Nous restons attachés à l’idée qu’il y ait un lien entre la production et le territoire. La baisse des impôts de production coïncide avec l’asphyxie financière des collectivités territoriales, ce qui a des incidences graves pour des secteurs cruciaux comme l’aide sociale à l’enfance, la culture et les investissements locaux.

Il est impératif d’adopter des stratégies françaises et européennes pour protéger notre industrie. Face aux politiques américaines, nous sommes à un carrefour : soit nous nous engageons dans une course au moins-disant fiscal, social et environnemental, ce qui n’est ni viable ni souhaitable, soit nous optons pour une véritable stratégie de protection de notre modèle social et environnemental. Nous préconisons la mise en place de protections au niveau européen, basées sur des normes fiscales, sociales et environnementales communes, pour mettre fin au dumping. Il est crucial de s’attaquer aux paradis fiscaux qui se trouvent au cœur de l’Europe, comme le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas, et de mettre un terme à ce chantage permanent à l’emploi exercé par les grandes entreprises internationales qui font pression sur le coût du travail et se désengagent de plus en plus du « made in France ».

M. Olivier Guivarch. Il faut en effet examiner les conclusions des études existantes, notamment les recommandations du rapport Bozio-Wasmer. Ce rapport recense des marges de manœuvre au sujet des exonérations de cotisations sociales. J’insiste sur un point évoqué précédemment : puisque nous parlons d’entreprises privées bénéficiant d’aides publiques, il est essentiel de recourir au dialogue social. La CFDT plaide pour une transparence totale, tant sur le montant des aides que sur les projets ayant permis de les obtenir. Cette transparence permettrait aux représentants du personnel d’avoir une connaissance approfondie de la situation. Nous pourrions ainsi évaluer efficacement la politique de l’entreprise, et notamment son impact sur la protection de l’emploi.

Les premiers concernés sont les salariés, représentés par leurs élus. Ces derniers doivent disposer des moyens et des informations nécessaires pour exercer pleinement leur rôle. Il faudrait également faciliter le recours à l’expertise, particulièrement dans les moyennes entreprises où cette pratique est moins répandue que dans les grandes. En résumé, il faut donner sa chance au dialogue social et fournir aux représentants du personnel les moyens adéquats pour qu’ils remplissent leur mission.

Mme Patricia Drevon. Je tiens à clarifier notre position. Nous ne prônons pas la suppression des aides publiques aux entreprises, mais la conditionnalité de leur octroi, ce qui est fondamentalement différent. Nous reconnaissons la nécessité de ces aides face à la concurrence, notamment extra-européenne. Prenons l’exemple de l’industrie automobile : lorsque les entreprises délocalisent, elles ne produisent pas nécessairement en Europe. Le Bangladesh n’est pas un exemple !

Les bénéfices des entreprises du CAC40 ont atteint 100 milliards d’euros, soit une augmentation de 60 % depuis 2019. Selon nous, ces entreprises n’ont peut-être pas besoin d’exonérations de cotisations sociales ou d’aides supplémentaires. C’est précisément sur ce point que la conditionnalité des aides doit être examinée. De plus, ces grandes entreprises, souvent donneurs d’ordre, réalisent ces bénéfices considérables en exerçant une pression sur leurs sous-traitants, qui se retrouvent en difficulté et ont besoin d’exonérations de cotisations sociale pour survivre.

Le taux de marge des entreprises a augmenté de deux points de PIB depuis 2019. Cela démontre que le problème n’est pas uniquement lié à la compétitivité. Il n’est donc pas nécessaire d’accorder des exonérations de cotisations à toutes les entreprises sans distinction.

Le rapport Bozio-Wasmer démontre clairement que, jusqu’à 1,6 Smic, les aides ne sont pas productives. Elles ne permettent ni d’augmenter les salaires, ni de maintenir l’emploi.

Nous avons de nombreuses propositions pour conditionner l’octroi des aides. Les impôts, assis sur un résultat et progressifs, ne nous posent pas de problème.

M. le président Denis Masséglia. Je faisais une comparaison avec l’Allemagne et vous avez mentionné le Bangladesh. Nous sommes tous d’accord pour affirmer que la France ne doit pas avoir le même niveau de protection sociale que le Bangladesh. Cependant, la question de la comparaison avec l’Allemagne reste pertinente. Ce pays parvient, avec une fiscalité moindre, à maintenir un niveau de protection sociale relativement proche du nôtre. Il y a donc matière à réflexion sur les impôts de production.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je ne m’attarderai pas sur la situation en Allemagne car cela n’est pas l’objet de notre discussion du jour. Nous sommes ici principalement pour vous écouter.

Je tiens à souligner l’importance de cette audition dans le contexte actuel de crise sociale et démocratique. Il était crucial d’entendre rapidement les partenaires sociaux, garants d’une démocratie sociale vivante.

Permettez-moi de clarifier certains points et de vous demander des précisions sur vos propos. Tout d’abord, je constate qu’il y a un consensus sur la nécessité de revoir les règles relatives à l’octroi des aides publiques. Cela fait écho aux recommandations de la Cour des comptes, qui appelle à conditionner, contrôler et plafonner les aides, tout en assurant une plus grande transparence.

Ma première question porte sur la facilitation des licenciements. Considérez-vous que les réformes successives dans ce domaine ont entraîné des destructions d’emplois qui auraient pu être évitées ?

Par ailleurs, pensez-vous que la situation actuelle – 354 plans sociaux et 220 000 emplois menacés, selon les chiffres présentés par madame Binet – était prévisible ? L’État aurait-il pu anticiper et agir en conséquence ? Comment qualifieriez-vous l’attitude de l’État dans sa stratégie, son anticipation et son accompagnement de la situation sociale actuelle ? Vous avez notamment parlé d’Arkema et de Vencorex. Avez-vous eu des retours sérieux de la part de l’État sur les propositions de création d’une société coopérative d’intérêt collectif, de prise d’actifs stratégiques ou de nationalisation temporaire ?

Dans un registre différent, quels leviers proposeriez-vous d’actionner pour rééquilibrer le rapport de force dans la négociation d’un PSE ? Que pensez-vous de l’hypothèse d’un droit de veto du CSE ? Comment gagner du temps, anticiper, dans le cadre d’un plan social ? Quelles améliorations suggéreriez-vous d’apporter à la « loi Florange » ?

Enfin, quelles sont vos revendications en matière de responsabilisation des donneurs d’ordre ?

Pourriez-vous nous fournir, pour rester optimistes, des exemples d’entreprises ayant réussi récemment à préserver des emplois malgré des difficultés conjoncturelles ? Quelles solutions ont-elles adopté et quel a été le rôle des pouvoirs publics dans ces situations ?

M. Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi et de chômage à la CFTC. Pour répondre à votre première question, je dirais qu’il est difficile d’affirmer que la situation aurait été différente si les mesures qui ont été prises ne l’avaient pas été. Cependant, on constate que les mesures de libéralisation qui ont vu le jour, notamment au sujet de la gestion de la masse salariale, n’ont pas conduit aux améliorations escomptées.

On observe aussi que les chefs d’entreprise ont tendance à opter pour la solution la plus simple face aux difficultés. Ils utilisent les leviers offerts par la législation, notamment les ordonnances dites « Macron », pour agir sur la masse salariale et se séparer des salariés. Cette approche révèle un manque flagrant d’anticipation et de prévision.

Je ne pense pas qu’il existe un modèle de gestion du marché du travail dans lequel la libéralisation des règles conduirait à une hausse du nombre des emplois et à une meilleure sécurisation des salariés, que ce soit sur le plan économique, social ou environnemental. Si un tel exemple existait, je serais curieux de le connaître.

Par ailleurs, il faut reconnaître que certains événements, comme la crise du covid‑19 et ses conséquences économiques, étaient difficilement prévisibles. Les aides mises en place ont maintenu en vie artificiellement de nombreuses entreprises, particulièrement les PME, et leur disparition a entraîné des difficultés.

Néanmoins, certains changements, comme l’évolution vers la voiture électrique, étaient prévisibles depuis longtemps. On peut s’interroger sur l’attentisme de certains grands groupes, peut-être dans l’espoir d’une intervention de l’État, sachant que la France est un pays où l’imposition est forte mais les aides nombreuses.

Supprimer les aides et alléger les impôts nécessiteraient un changement de mentalité de la part des employeurs. L’expérience montre que l’allègement des cotisations sociales sur les bas salaires n’a pas conduit à une augmentation des embauches et a même freiné la hausse des salaires.

Force est de constater que les grandes entreprises semblent davantage focalisées sur l’augmentation de leurs profits que sur l’enrichissement des salariés ou de l’économie nationale.

M. Olivier Guivarch. Il est effectivement difficile d’imaginer la situation qui aurait résulté de la conduite d’une politique différente.

L’État ne peut pas tout faire mais il pourrait accorder davantage d’espace aux partenaires sociaux pour développer une économie de qualité, capable de relever les défis qui nous attendent, notamment la transition écologique et les transformations technologiques. Le rôle stratégique de l’État devrait reposer sur l’anticipation de ces transformations.

Dans cette optique, la CFDT demande une concertation et des négociations sur la reconversion. Nous estimons que la sécurisation doit être organisée au niveau de l’individu et non plus seulement au niveau de l’entreprise, compte tenu de la mobilité professionnelle croissante dans le secteur privé.

La CFDT propose une assurance « transition emploi » reposant sur trois piliers. Le premier est la sécurisation financière, cruciale pour permettre aux salariés d’anticiper et de s’adapter aux transformations, indépendamment de leur situation patrimoniale ou familiale. L’État pourrait jouer un rôle en aidant les partenaires sociaux à organiser financièrement cette assurance. Le deuxième pilier concerne le temps disponible pour la transition, qui peut varier selon la complexité du changement professionnel envisagé. Le troisième pilier repose sur l’accompagnement personnalisé, indispensable pour traiter ces problèmes complexes. Cet accompagnement nécessite des moyens importants et devrait porter sur tout un ensemble de volets, y compris la mobilité, qui représente une difficulté particulière sur le marché du travail.

Cette proposition offre une opportunité de collaboration entre les partenaires sociaux et l’État pour apporter une réponse concrète aux défis de l’emploi et des transitions professionnelles.

Mme Sophie Binet. Je souhaite aborder plusieurs points au sujet de la déréglementation du droit des licenciements et de ses conséquences. Tout d’abord, il est important de souligner qu’aucun économiste sérieux ne peut quantifier précisément le nombre d’emplois créés grâce à cette politique, contrairement à ce qui a été avancé pour la justifier.

Nous pouvons néanmoins identifier trois effets majeurs. Premièrement, certains grands groupes ont pu procéder à des licenciements sans réelles difficultés économiques, ce qui était auparavant beaucoup plus complexe. Deuxièmement, on constate une diminution du nombre des PSE au profit des APC, RCC ou des ruptures conventionnelles individuelles. Cette évolution a pour conséquence une diminution des obligations de reclassement et de revitalisation des territoires, ainsi qu’une réduction des indemnités pour les salariés concernés. Troisièmement, on assiste à une précarisation générale du salariat, la facilitation des licenciements exerçant une pression accrue sur les employés.

Il est intéressant de comparer cette approche à celle retenue par l’Espagne, qui a opté pour une politique de la demande plus vigoureuse ces cinq dernières années. Ce pays a notamment augmenté le salaire minimum de 20 % à 30 %, engagé une réduction du temps de travail et supprimé certains contrats précaires. Les résultats économiques de l’Espagne sont positifs, ce qui permet de mettre en perspective deux politiques économiques distinctes dans un contexte macroéconomique similaire.

Face à la multiplication des plans de licenciements, nous avons alerté successivement trois Premiers ministres – Gabriel Attal, Michel Barnier et François Bayrou – en leur présentant une liste actualisée des entreprises concernées. Malheureusement, aucune action concrète n’a suivi ces interpellations. Nous avons systématiquement demandé l’organisation d’une table ronde d’urgence, avec le patronat, afin de confronter les différentes propositions et d’identifier rapidement des solutions viables.

Les conséquences sociales et environnementales des plans de licenciements sont désastreuses. Prenons l’exemple de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois : dix ans après sa fermeture, le site reste une friche industrielle. De même, les locaux de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), sous-traitant de Renault, ont connu une occupation de près de deux ans à la suite des licenciements, sans qu’aucune reconversion du site n’ait été effectuée à ce jour. Sur le plan environnemental, certains sites, comme celui de Vencorex, représentent de véritables bombes à retardement au regard des coûts de dépollution.

Face à ces enjeux, il y a un dysfonctionnement de l’État et nos alertes restent lettre morte.

L’accompagnement des entreprises par Bercy est très chronophage pour une efficacité malheureusement limitée. Plusieurs exemples l’illustrent. Le cas d’Atos s’apparente à une catastrophe industrielle et stratégique. L’État a choisi de ne sauvegarder qu’une infime partie de l’entreprise, pour un coût équivalent à une nationalisation complète, compte tenu de la chute du cours de l’action. Des choix plus ambitieux auraient pu être envisagés pour garantir une véritable souveraineté numérique, indispensable dans le contexte géopolitique actuel.

Le projet de Chapelle-Darblay, porté par la CGT et les collectivités territoriales depuis cinq ans, vise à recréer une papeterie permettant le recyclage du papier en France plutôt qu’en Allemagne. Malgré l’identification d’un repreneur, Fibre Excellence, et le soutien des collectivités, nous attendons depuis un an que Bpifrance ou la Caisse des dépôts et consignations investisse 20 millions d’euros pour concrétiser ce projet créateur de deux cents emplois.

En ce qui concerne Vencorex, nos trois propositions ont été rejetées, ce qui menace 450 emplois directs et plus de 5 000 emplois indirects. Les conséquences en cascade que nous avions anticipées il y a six mois se matérialisent aujourd’hui, sans réaction de la part de l’État.

La cession d’Opella par Sanofi illustre également le refus de l’État d’utiliser les outils à sa disposition pour intervenir, par crainte de dissuader les investisseurs. Dans le cas de Valdunes, dernier fabricant français de roues et d’essieux de trains, nous avons réussi à trouver un repreneur après un an de lutte. Cependant, notre proposition initiale de reprise par Alstom, cohérente sur le plan de la chaîne de valeur, n’a pas été retenue, l’État n’ayant pas utilisé son influence en tant qu’actionnaire pour l’imposer. Les investissements du repreneur Europlasma peinent à venir et l’entreprise reste dans une situation très fragile.

En conclusion, il apparaît que l’État refuse d’utiliser les leviers à sa disposition pour mettre en œuvre une stratégie volontariste sur le tissu productif. Nous préconisons l’instauration d’un droit de veto du CSE sur les licenciements et une modification des dispositions de la « loi Florange ». Nous avons proposé en novembre dernier un moratoire sur les licenciements, assorti d’une relance de l’activité partielle et d’une obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture d’établissement pour les entreprises de cinquante salariés et plus. Nous recommandons également le renforcement des obligations liées à cette loi, en donnant au CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce et en interdisant toute suppression d’emploi pendant la durée de la procédure. Nous avons rédigé une proposition de loi en ce sens, dont une partie a été reprise par les parlementaires. Nous vous la transmettrons de nouveau.

La CGT de GM&S, sous-traitant de Renault dans la Creuse, a rédigé une proposition de loi visant à responsabiliser les donneurs d’ordre. Cette initiative, reprise par plusieurs parlementaires, est cruciale pour empêcher les dérives actuellement à l’œuvre. Aujourd’hui, les donneurs d’ordre se déchargent de leurs responsabilités, ne financent pas les plans de départ et ne reclassent pas les salariés. L’exemple de la SAM en Aveyron est catastrophique : Renault, donneur d’ordre exclusif, aurait dû être contraint par l’État de reclasser les salariés et d’explorer d’autres solutions industrielles pour éviter les licenciements.

Malheureusement, la France, à l’inverse d’autres pays, manque d’une stratégie industrielle dans le secteur automobile. Au Japon, par exemple, l’État impose aux constructeurs automobiles, dont Nissan, partenaire de Renault, de produire un véhicule électrique vendu environ 14 000 euros. Il est regrettable que l’État français n’impose pas de telles orientations stratégiques à nos groupes industriels, alors que d’autres nations industrialisées le font.

Mme Patricia Drevon. Les motifs qui autorisent la mise en œuvre d’un licenciement économique mériteraient d’être revus, la loi actuelle étant trop permissive. Il faudrait que les critères soient plus précis.

Nous sommes favorables à ce que les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés soient soumises à l’obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture d’établissement. Nous avons récemment été auditionnés à ce sujet.

Face à la fermeture de sites entiers, notamment chez Valeo, et dans un contexte de réarmement industriel, il y a certainement des opportunités pour sauver des emplois dans la métallurgie. Nous vous soumettrons des propositions détaillées sur les modifications à apporter à la « loi Florange ».

La confiance accordée aux organisations syndicales et patronales est essentielle. L’article L. 1 du code du travail permet aux partenaires sociaux de négocier, de fixer des objectifs et d’aboutir à des accords, comme cela a été démontré sous le gouvernement de Michel Barnier. Malheureusement, le dialogue social a été négligé ces dernières années, ce qui constitue une erreur majeure.

Nous avons récemment sollicité l’ouverture de nouvelles négociations, sous le régime de cet article, portant sur la reconversion professionnelle, la formation et la gestion des fins de carrière. Je rappelle qu’une augmentation de dix points de l’emploi des seniors aurait pu éviter le débat actuel sur le déficit des retraites.

Mme Estelle Mercier (SOC). Je tiens à remercier le président et le rapporteur de la commission d’enquête d’avoir organisé rapidement cette table ronde réunissant les organisations syndicales.

Il est crucial de rappeler que de nombreuses restructurations d’entreprises sont d’ordre managérial plutôt que liées à des défaillances économiques. En France, il est encore possible de licencier pour des raisons tenant à la volonté de conduire une réorganisation et en l’absence de difficultés économiques.

On observe également une tendance à la substitution des APC et des RCC, voire des ruptures individuelles, aux PSE, plus encadrés.

Par ailleurs, le dialogue social semble avoir perdu de son importance ces dernières années au sein de l’entreprise.

Premièrement, on nous a rapporté que les CSE, issus de la fusion des instances représentatives du personnel à la suite des ordonnances de 2017, abordent de moins en moins les questions économiques. La transparence sur les projets ou les subventions reçues par l’entreprise ne sont plus systématiquement évoquées. Constatez-vous effectivement un affaiblissement du dialogue social sur ces questions économiques cruciales pour les salariés et l’emploi ?

Deuxièmement, vous avez évoqué les difficultés qui existent en matière de reconversion professionnelle depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Pourriez-vous évoquer les défaillances observées actuellement dans l’accompagnement des reconversions professionnelles, notamment dans le cadre de licenciements ou de restructurations sur le terrain ?

M. Olivier Guivarch. Je souhaite répondre à votre première question. Il est difficile d’affirmer que seule l’expertise économique est affaiblie. C’est l’ensemble du dialogue social qui souffre, en raison de problèmes de proximité et de moyens insuffisants accordés au CSE.

Les représentants du personnel, confrontés à des annonces de licenciements, se retrouvent dans une situation très compliquée. Ils en sont réduits à négocier les indemnités supra‑légales. Cette focalisation n’est pas due à un manque de volonté, mais à des contraintes de délais préfix et d’expertise. Cette configuration ne permet pas une réflexion approfondie pour trouver des solutions pertinentes, alors que certaines situations économiques mériteraient que soit pris le temps nécessaire à la résolution des difficultés.

Pour remédier à ce problème majeur du dialogue social, il est impératif de revoir les délais préfix dans lesquels sont enserrées l’information et la consultation du CSE lorsqu’un PSE est élaboré. Nous devons également, comme je l’ai mentionné précédemment, renforcer les moyens alloués à l’expertise en l’encourageant fortement et donner aux représentants du personnel le temps d’explorer des pistes pour éviter les licenciements.

J’ajoute que cette problématique comporte une dimension liée au travail, car emploi et travail sont intrinsèquement liés. Il faut tenir compte de la situation des salariés qui restent dans l’entreprise. Fréquemment, on observe une intensification du travail, avec des conséquences graves pour ces salariés. Cela engendre souvent un coût pour la collectivité, notamment en termes de dépenses de santé et de charges pour la protection sociale.

M. Bertrand Mahé. Je tiens à rappeler qu’une commission d’évaluation des ordonnances de 2017 a été mise en place mais n’a pas restitué ses travaux. Quand on préfère l’ignorance, on ferme le livre ! Il serait peut-être opportun de le rouvrir maintenant. Les ordonnances méritent certainement une analyse approfondie. Nous sommes disposés à y participer, bien que cela risque d’être tardif à ce stade.

Le constat est simple au sujet de la fusion des instances : fusionner deux instances revient à les affaiblir. Au sein du CSE, les questions économiques sont moins abordées. La disparition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a eu des conséquences désastreuses sur le plan sanitaire. Nous avons beaucoup évoqué le sort des salariés qui partent, mais il est crucial de se préoccuper de celui des salariés qui restent, souvent dans des conditions dégradées. La santé mentale est actuellement un enjeu majeur en entreprise. Si l’objectif est de prolonger la vie professionnelle, ce qui n’est pas nécessairement notre vision, il faudra nécessairement améliorer les conditions de travail.

La politique de l’offre qui a été conduite induit une logique de gestion par les coûts. Cette approche, combinée à la recherche de subventions et d’aides publiques diverses, semble entraver la réflexion sur la création de valeur. Nous ne devrions pas chercher à nous aligner sur les standards du Bangladesh, mais plutôt faire mieux. Cela implique notamment d’adapter les qualifications et les compétences aux besoins de l’économie.

N’oublions pas le rôle de l’État stratège. En tant que donneur d’ordre, l’État influence également la chaîne de valeur. Certains pays, plus libéraux que le nôtre, ont développé de véritables stratégies en matière de commande publique. Il serait judicieux de s’en inspirer. Il faut reconstruire les stratégies de l’État actionnaire.

Mme Patricia Drevon. Je réitère mes propos : la dernière réforme de la formation professionnelle a eu des conséquences néfastes. Nous portons une grande responsabilité dans cette situation. Lorsque les entreprises de moins de trois cents salariés ne bénéficient plus de l’accompagnement des Opco et voient dans la contribution à la formation professionnelle une taxe plutôt qu’un investissement, il y a une problématique majeure.

Il est impératif que les entreprises forment leurs salariés et collaborent avec les Opco sur les prévisions en termes de mutations des métiers et d’évolutions économiques. Les Opco produisent de nombreuses études prospectives. Que fait-on de ces informations ? Sans une véritable politique de formation professionnelle au service de l’économie, des salariés et des entreprises, il n’y aura pas de progrès.

Il y a déjà des blocages dans le secteur automobile et dans d’autres secteurs. A‑t‑on réellement anticipé, dans la formation professionnelle des salariés, le virage de l’intelligence artificielle qui s’amorce ? Je n’en suis pas convaincue. De nombreux autres domaines sont concernés. Il est crucial d’inciter, voire d’obliger les entreprises à former leurs salariés.

M. Cyril Chabanier. La fusion des instances a effectivement contribué à réduire l’attention portée aux questions économiques. Cependant, ce phénomène est bien antérieur à la réforme de 2017. Les questions économiques ont toujours été reléguées au second plan, souvent à la demande de la direction. Elles étaient fréquemment évoquées à la fin des réunions, lorsque le temps était épuisé. La commission économique des CSE est probablement celle qui se réunit le moins souvent. La fusion des instances n’a fait qu’amplifier une tendance préexistante.

Les questions économiques sont perçues comme un domaine réservé de la direction, opaque, à propos duquel les discussions approfondies et la transparence ne sont pas la règle. La situation s’est certes aggravée, mais elle n’était déjà pas idéale auparavant.

Quant à la formation, nous sommes face à un défi majeur, particulièrement en matière de reconversion. Comme je l’ai mentionné, dans de nombreux plans de départ volontaire, l’accent est souvent mis sur l’indemnisation du salarié. Bien que cet aspect soit crucial, il s’avère que la direction se préoccupe rarement de l’avenir de la personne. Par conséquent, sont souvent négligés les aspects liés à sa formation, sa reconversion et son accompagnement.

Je constate que l’on ne se préoccupe pas suffisamment de donner aux salariés licenciés le maximum de chances pour retrouver rapidement un emploi. Dans le meilleur des cas, on se contente de leur offrir une indemnité convenable, ce qui est certes le minimum, mais ce qui est insuffisant. L’essentiel est de leur fournir toutes les capacités et possibilités de reconversion.

J’insiste sur un problème plus global : celui de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Même dans les grandes entreprises où un plan en la matière est obligatoire, celui-ci n’est souvent pas mis en œuvre. Comment anticiper les mutations, donner un cap à son entreprise, impliquer les salariés et éviter certains licenciements sans cette gestion prévisionnelle ? Cela ne devrait pas être perçu comme une contrainte par l’employeur, mais comme un véritable atout. Une entreprise est d’autant plus performante qu’elle anticipe, prévoit et gère efficacement ses ressources humaines.

Les organisations syndicales sont conscientes de l’importance de cette démarche. Je ne comprends pas les réticences du côté patronal, alors que c’est manifestement bénéfique pour toutes les parties.

Mme Sophie Binet. Je partage entièrement ce qui vient d’être dit.

Un comité de suivi des ordonnances de 2017 a été mis en place. Ce comité a produit un rapport critique, ce qui a malheureusement conduit à sa disparition immédiate. Une mission d’évaluation desdites ordonnances serait donc particulièrement pertinente, tant sur le volet consacré aux licenciements que sur le volet consacré à la négociation collective et au dialogue social.

La semaine prochaine, les résultats de la mesure d’audience des organisations syndicales seront disponibles. Nous anticipons une progression inquiétante des déserts syndicaux, que nous mettons en relation directe avec les ordonnances.

J’aimerais également aborder la question du dialogue sur les enjeux économiques. Olivier Guivarch a souligné que, lors des négociations à l’occasion des PSE, la question des indemnités occupe une place centrale au détriment de la recherche d’autres solutions. Récemment, il y a eu plusieurs exemples, notamment chez ExxonMobil en Seine-Maritime ou Yara en Loire-Atlantique. Nous avions élaboré d’excellents projets alternatifs, moins coûteux que la dépollution des sites. Malheureusement, ces projets n’ont même pas pu être examinés, faute d’un droit opposable garantissant qu’ils le soient.

L’augmentation des licenciements touche particulièrement les seniors. Cela est flagrant dans le cadre des PSE, la suppression de l’ordre des licenciements ayant fragilisé ce public, ou dans le cadre d’autres procédures impliquant la rupture du contrat de travail. Ils sont désormais les premiers licenciés en raison de leurs salaires plus élevés. Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’âge de départ à la retraite a été porté à soixante-quatre ans et qu’il est question qu’il recule encore à l’avenir. Il est urgent de trouver des moyens pour empêcher les licenciements abusifs de seniors.

Nous défendons l’idée de la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle et environnementale. Concrètement, cela supposerait la création d’une cotisation basée sur la masse salariale, applicable aux entreprises de plus de deux cent cinquante salariés. Un fonds mutualisé à l’échelle des branches serait créé pour permettre aux entreprises en transformation environnementale de former leurs salariés, de financer la modernisation de leur outil productif et de maintenir leur production avec le même personnel.

Je voudrais conclure sur une note positive en évoquant l’exemple de la centrale à charbon de Gardanne, fermée brutalement en 2012. Les salariés se sont battus pendant dix ans avec la CGT pour maintenir l’emploi et transformer l’usine. L’activité a finalement redémarré, autour de la biomasse notamment, avec les mêmes salariés. Cela a été rendu possible grâce au déploiement d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) sur-mesure obtenu par la force de la mobilisation. Ce modèle devrait être généralisé, moyennant une accélération considérable du processus. Il faut cesser d’opposer le social et l’environnemental.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Nous avons beaucoup évoqué la question des aides publiques, dont le montant s’élève à plus de 200 milliards d’euros. Pourriez-vous nous fournir des exemples d’entreprises ayant bénéficié d’importantes aides publiques qui auraient reversé les sommes aux actionnaires plutôt que de les consacrer à l’emploi ?

Mme Sophie Binet. Michelin constitue un exemple frappant. L’entreprise a supprimé 1 254 emplois après avoir bénéficié de 42 millions d’euros de crédit d’impôt recherche en 2023, 65 millions d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) depuis 2013 et 12 millions d’euros d’aide au chômage partiel en 2020. Parallèlement, Michelin a réalisé un bénéfice de 2 milliards d’euros et versé des dividendes massifs à ses actionnaires.

Michelin n’aurait probablement pas pu procéder à ces licenciements sous l’empire de l’ancienne législation applicable aux PSE. La réforme permet d’apprécier les difficultés économiques à l’échelle choisie par l’entreprise. Michelin a choisi de les apprécier à l’échelle française alors que le groupe affiche d’excellents résultats à l’échelle mondiale, avec 2 milliards d’euros de profit, dont une part importante est redistribuée aux actionnaires.

M. Cyril Chabanier. Les exemples sont nombreux et certaines situations au sein d’un même groupe sont particulièrement choquantes. Prenons le cas d’Auchan, qui annonce la suppression de 2 000 emplois alors que Decathlon, qui appartient au même groupe, déclare verser 100 millions d’euros de dividendes la même semaine. Cette contradiction flagrante est incompréhensible pour les salariés. Bien que certaines fermetures d’établissement puissent être justifiées, le fait que ces annonces interviennent simultanément – suppressions d’emplois d’un côté, versement de dividendes de l’autre – soulève de sérieuses questions, d’autant plus que ces entreprises ont bénéficié de fonds publics.

M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.

La séance s’achève à dix-sept heures dix.


Présences en réunion

Présents. – M. Louis Boyard, M. Pierrick Courbon, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier