Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

 

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant Mme Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’université Paris Cité, Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg, et M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 PanthéonSorbonne               2

– Présences en réunion................................13

 


Lundi 
7°avril°2025

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à seize heures.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête auditionne Mme Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’université Paris Cité, Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg, et M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

M. le président Denis Masséglia. Nous allons aujourd’hui entendre, à distance, trois universitaires dont les témoignages, assurément complémentaires, alimenteront utilement notre réflexion. Je souhaite la bienvenue à Mme Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’université Paris Cité, dont les travaux portent en particulier sur le droit public des affaires, et notamment le droit des aides publiques, à Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg, spécialiste des questions touchant au droit du travail, et à M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne, spécialiste de droit social.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Anémone Cartier-Bresson, Mme Hélène Cavat et M. Pascal Lokiec prêtent serment.)

Mme Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’université Paris Cité. En l’absence de définition générale, en droit interne, de la notion d’aide aux entreprises, il convient de se référer au droit européen. Ainsi, si le montant de l’aide excède 300 000 euros, il s’agit d’une aide d’État.

Au sens du droit européen, l’aide d’État constitue un avantage sélectif accordé à une entreprise, financé par les pouvoirs publics, qui fausse la concurrence et affecte les échanges. En droit interne également, l’aide se conçoit comme une mesure avantageuse à caractère sélectif puisqu’elle ne bénéficie pas à toutes les entreprises. Il faut la distinguer de la commande publique : l’aide n’est pas une rémunération pour une prestation effectuée pour le compte de l’administration, mais un avantage octroyé par elle. Cet avantage devrait être accompagné de contreparties.

Bien que la jurisprudence soit limitée sur le sujet, l’idée selon laquelle les avantages accordés aux entreprises devraient être accompagnés de contreparties, sous peine d’être considérés comme des libéralités interdites, progresse. Ces exigences de contreparties sont particulièrement présentes en ce qui concerne les avantages liés aux propriétés publiques, comme la vente ou la location de biens à des prix inférieurs à ceux du marché.

La possibilité de conditionner l’octroi d’une aide au maintien de l’emploi dépend de son objet. Pour les aides à l’embauche, cela va de soi. Il y a une tendance croissante à la conditionnalité en termes de maintien de l’emploi, notamment pour les aides à l’investissement ou les aides octroyées par les collectivités territoriales aux entreprises en difficulté. Cependant, cette conditionnalité peut s’avérer plus complexe à établir pour des aides dont l’objet n’est pas directement lié à l’emploi, comme celles qui vont à la recherche. Il n’empêche que les conditionnalités transversales progressent et qu’elles touchent à des questions de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Il serait donc envisageable de conditionner un plus grand nombre d’aides, même si elles ne portent pas spécifiquement sur l’emploi.

En France, les principales lacunes dans ce domaine résident dans le manque de précision et d’exigence quant aux conditionnalités. Ce phénomène a été observé, par exemple, avec certains crédits d’impôt ou durant la crise du covid‑19, la France s’étant montrée moins exigeante que ses voisins européens, particulièrement vis-à-vis des grands groupes.

Des contrôles sont effectués, mais ils pourraient être renforcés et mieux coordonnés. En outre, il existe des leviers pour récupérer des aides auprès d’entreprises procédant à des liquidations ou des fermetures de sites. La question de la récupération partielle des montants correspondant aux aides en cas de non-respect des engagements mérite d’être approfondie.

Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg. La création de cette commission d’enquête se comprend aisément au vu des récentes annonces de suppressions d’emplois chez Michelin, Vencorex, Auchan, ArcelorMittal, entre autres. Ces cas médiatisés ne représentent cependant que la partie émergée d’un phénomène bien plus vaste. En effet, à côté de ces licenciements, il y a de nombreuses faillites touchant principalement les très petites entreprises (TPE) et d’autres évolutions inquiétantes sur le marché du travail, comme le congédiement silencieux des intérimaires. Renault se sépare actuellement de mille intérimaires.

Au-delà, on assiste à une dégradation plus discrète mais tout aussi préoccupante de la qualité de l’emploi.

L’objet de la commission d’enquête peut surprendre au regard de l’évolution du droit du travail au cours des trente dernières années. En effet, loin d’être défaillant, le législateur s’est montré particulièrement actif dans la construction d’un droit sur-mesure facilitant les licenciements. Deux mouvements principaux caractérisent cette évolution : le premier concerne l’affaiblissement du régime du licenciement économique ; le second porte sur la création d’accords collectifs visant à contourner ce régime.

Le droit du licenciement économique s’est initialement construit autour de certaines garanties limitant la liberté d’entreprendre. Ce processus assurait l’information et la consultation des représentants du personnel, l’élaboration d’un plan social, devenu en 2002 plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la recherche du reclassement interne et externe des salariés et la mise en place de mesures d’accompagnement à leur profit. Jusqu’à la fin des années 1990, le droit du travail s’efforçait de rattacher toutes les opérations de nature économique au régime du licenciement économique, y compris les départs volontaires. Le principe était que relevait du domaine économique tout ce qui n’était pas d’ordre personnel. Depuis le début des années 2000, la tendance a connu un renversement radical. Des pans entiers de ces opérations ont été soustraits au droit du licenciement économique et le champ d’application de ce droit s’est donc considérablement réduit. La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a notamment remis en cause la jurisprudence Framatome et Majorette, qui imposait l’engagement d’une procédure de licenciement économique dès la proposition de modification du contrat de travail. Désormais, la procédure ne s’applique qu’en cas de refus de la modification par le salarié.

De son côté, la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a introduit en droit français la rupture conventionnelle, dont le succès considérable a encore réduit le nombre de ruptures soumises au régime du licenciement économique. Par ailleurs, les départs volontaires ont été progressivement soustraits à ce régime, la loi ayant autorisé les accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à organiser ces départs tout en prévoyant un régime fiscal et social privilégié. Au fil du temps, seules certaines règles du régime du licenciement économique ont continué à s’appliquer aux départs volontaires. L’obligation d’établir un ordre des licenciements ou de procéder à des reclassements a été supprimée dans certains cas, notamment pour les plans de départ volontaire (PDV) excluant les licenciements, depuis un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 26 octobre 2010.

Depuis 2013, le rythme des réformes s’est considérablement accéléré, celles-ci ayant achevé de démanteler ce qui subsistait du droit du licenciement économique. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, adoptée sous un gouvernement socialiste, a marqué un tournant significatif. Sous prétexte de soumettre le PSE au contrôle de l’administration et à la signature des syndicats, la loi a en réalité facilité les suppressions d’emplois. Elle encourage la négociation des PSE, mais ceux-ci sont moins contrôlés que les documents unilatéraux établis par les employeurs. La loi impose à l’autorité administrative de vérifier que des mesures d’accompagnement sont prévues pour les salariés, pas d’évaluer leur pertinence, ce qui offre une grande latitude aux employeurs. Il n’est donc pas surprenant que seuls 4 % des plans soient refusés par l’administration. La loi a également réduit les délais d’information et de consultation du comité social et économique (CSE), fixés à deux, trois ou quatre mois. Elle a par ailleurs limité la possibilité de former un recours judiciaire pendant la phase de réorganisation. Les chiffres sont révélateurs : en 2011, avant la réforme, on comptait soixante-dix-huit référés contre des réorganisations et des PSE ; en 2015, après la réforme, ce nombre était tombé à quatre.

La validation administrative du PSE ne constitue pas une autorisation de licencier comparable à celle qui existait dans les années 1980. Le motif économique au fondement du licenciement n’est pas contrôlé, ce qui peut conduire à des situations paradoxales. Ainsi, deux ans après la fermeture de l’usine Goodyear à Amiens, la cour d’appel de Paris a estimé qu’aucun motif économique ne pouvait justifier cette fermeture. De plus, la signature des syndicats, conçue pour apporter une caution aux PSE, a pour effet de désarmer en partie les salariés qui souhaiteraient défendre leurs emplois. Elle donne aux plans une forme d’impunité, leur contestation devant les tribunaux devenant très difficile. Mais les syndicats sont souvent soumis à un chantage à l’emploi lorsqu’ils sont conduits à signer ces accords.

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a drastiquement réduit les obligations d’information et de consultation du CSE à l’occasion de l’établissement d’un PSE. Elle a également limité l’obligation d’établir un ordre des licenciements. L’obligation de rechercher un repreneur, introduite par la « loi Florange » du 29 mars 2014, s’est révélée d’une portée limitée. Elle ne s’applique qu’aux entreprises de plus de mille salariés, pour une durée de quelques mois seulement, et ne concerne pas les entreprises en faillite.

La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a encore facilité les licenciements économiques. Désormais, une simple baisse du chiffre d’affaires durant quelques mois peut suffire. Cette loi a également ouvert la possibilité de licencier de manière préventive, même en l’absence de difficultés économiques, au nom d’une nécessaire réorganisation de l’entreprise visant à sauvegarder sa compétitivité. Cette loi autorise aussi les licenciements pour faciliter une reprise, ce qui ouvre la voie à la mise en œuvre de licenciements en amont d’une cession d’entreprise.

Enfin, les ordonnances de 2017 ont créé le barème d’indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié, une mesure largement critiquée du fait de sa contradiction avec le principe de la réparation intégrale du préjudice. Le plancher est passé de six à trois mois de salaire, quelle que soit l’ancienneté du salarié. Or, l’ancien plancher, instauré en 1975, correspondait à la durée moyenne nécessaire pour retrouver un emploi après un licenciement. Aujourd’hui, cette durée est estimée à dix-huit mois, ce qui rend le nouveau barème particulièrement inadapté à la réalité des choses. Les ordonnances de 2017 ont également supprimé l’obligation pour l’employeur de chercher à reclasser ses salariés à l’international.

De leur côté, les accords collectifs de réorganisation permettent de contourner le droit du licenciement pour motif économique. Auparavant, ce droit s’appliquait à toute opération susceptible d’entraîner une suppression ou une modification de poste. Cela n’est plus le cas aujourd’hui, en raison de la multiplication de dispositifs tels que les accords de performance collective (APC) ou les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Ces dispositifs peuvent être mis en œuvre sans que l’entreprise connaisse des difficultés économiques. Ils tirent leur légitimité du fait qu’ils impliquent la participation des syndicats mais ils n’en conduisent pas moins à des reculs significatifs pour les salariés.

Ces accords représentent un danger réel pour les droits des travailleurs. Les chiffres sont frappants : depuis 2014, le nombre de plans sociaux a globalement diminué, hormis pendant la crise du covid‑19, car les suppressions d’emplois se font désormais par l’intermédiaire de ces accords. Une étude de janvier 2024 de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail révèle que 60 % des ruptures de contrat de travail dans les entreprises de plus de mille salariés se font par la voie des départs volontaires.

M. le président Denis Masséglia. Mme Cavat, pouvez-vous nous faire part de tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations ? Avez-vous un engagement politique ? Si tel est le cas, avec quel parti ?

Mme Hélène Cavat. Je n’ai pas d’engagement politique à l’heure actuelle mais je me suis présentée aux dernières élections législatives sous les couleurs du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) révolutionnaire.

M. le président Denis Masséglia. Merci pour cette précision, qui est utile pour le débat.

M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 PanthéonSorbonne. Dans le contexte actuel, notamment au regard de la situation aux États‑Unis, il est essentiel de mettre en avant le modèle social français. Celui-ci se caractérise par une forte protection de l’emploi, contrairement au modèle américain dans lequel le licenciement sans motif est la norme. Cette différence s’est particulièrement manifestée lors de la crise du covid‑19, au cours de laquelle les entreprises américaines ont pu licencier très facilement. Il s’agit là d’un trait fondamental de notre modèle social auquel nous devons rester attachés.

Par ailleurs, en France, on a tendance à se focaliser excessivement sur les questions d’emploi au niveau législatif, au détriment parfois de la question du travail en lui‑même. Bien que l’emploi soit crucial, il ne faut pas perdre de vue l’importance des conditions de travail. Nous sommes actuellement confrontés à une dégradation inquiétante de ces conditions, avec une explosion des risques psychosociaux, du stress et du harcèlement. Prenons l’exemple de la montée en puissance du télétravail et de l’attrait pour la semaine de quatre jours. Si ces évolutions répondent en partie à une aspiration légitime des salariés, notamment des jeunes, à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, elles traduisent également un mal-être au travail profond. La France est particulièrement mal classée dans ce domaine selon les enquêtes internationales. Il est donc impératif de repenser le modèle du salariat pour reconnaître davantage l’autonomie des travailleurs. Cela permettrait de répondre aux aspirations des jeunes sans les pousser vers le travail indépendant, qui offre moins de protection et peut s’avérer préjudiciable pour notre système de protection sociale.

Il faut aussi être vigilants à ne pas utiliser les difficultés réelles des petites entreprises comme prétexte pour réformer le droit du travail de manière générale, y compris au profit des grandes entreprises. Les réalités des petites et des grandes entreprises sont fondamentalement différentes. Les appels récurrents à la simplification du droit du travail, notamment en période de crise, doivent être examinés avec la plus grande prudence. Je vous invite à être particulièrement attentifs aux propositions visant à modifier les seuils sociaux ou les seuils d’effectifs, comme celles qui visent à décaler les seuils pour la mise en place des CSE. Ces mesures pourraient avoir des conséquences néfastes. La réponse aux difficultés des petits entrepreneurs ne réside pas dans un changement du droit, mais plutôt dans un accompagnement pour son application. En effet, les petits patrons font souvent face à des défis considérables en matière de gestion administrative et juridique.

Comme l’a souligné Hélène Cavat, le législateur accorde une place prépondérante à la négociation collective, au-delà du seul cadre des restructurations. Cette évolution est, sur le principe, positive. Cependant, il faut faire attention. Généralement, lorsque le législateur accorde une place accrue à la négociation collective dans le domaine des restructurations, c’est pour limiter l’intervention du juge. Ainsi, le contenu des accords, conclus par les partenaires sociaux, ne doit pas être soumis à son appréciation. Et, en effet, le contrôle des plans de départ volontaire ou des accords de rupture conventionnelle collective s’avère léger. Il est important d’encourager la négociation collective mais il faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas un prétexte pour réduire les protections existantes.

On ne peut accorder une telle importance à la négociation collective qu’à la condition de rééquilibrer les rapports entre salariés et employeurs au sein de l’entreprise. Cela implique la mise en place d’une véritable cogestion. En 2017, le renforcement du poids des salariés dans l’entreprise faisait partie des objectifs poursuivis par la réforme et le principe figurait dans la loi d’habilitation à légiférer par ordonnances. Malheureusement, l’ambition n’a pas été tenue ou alors de manière anecdotique. Aujourd’hui, en France, deux administrateurs au plus représentent les salariés sur un total de huit au conseil d’administration, ce qui est nettement insuffisant pour leur conférer un réel pouvoir dans les décisions économiques.

Il est crucial de revoir la répartition du pouvoir au sein de l’entreprise avant même d’aborder la question des licenciements. Nous sommes de plus en plus confrontés à des suppressions d’emplois liées au remplacement de femmes et d’hommes par des robots, des machines ou l’intelligence artificielle. Cette problématique est difficilement gérable par le seul biais du licenciement pour motif économique. La solution réside dans un rééquilibrage du pouvoir au sein de l’entreprise, afin que la politique menée par la direction ne favorise pas systématiquement le remplacement des humains par des machines. Il est urgent d’agir en ce sens. Les syndicats ont considérablement évolué sur ce sujet. Pendant longtemps, l’idée consistant à donner du pouvoir aux salariés était perçue comme un moyen de les rendre responsables des décisions. Les mentalités ont changé, même si un consensus n’est pas encore atteint.

Les évolutions du droit ont malheureusement conduit à l’affaiblissement du concept du motif économique qui sert à justifier un licenciement. Pourtant, ce concept est essentiel : il repose sur l’idée qu’on ne peut licencier des salariés coupables d’aucune faute ou insuffisance professionnelle que pour des raisons économiques avérées, notamment des difficultés économiques ou des enjeux de compétitivité. Plusieurs réformes ont contribué à cet affaiblissement. Les ordonnances de 2017 ont par exemple supprimé la prise en compte du périmètre international dans l’appréciation du motif économique, ce qui est discutable dans le contexte de la mondialisation.

Enfin, la question des départs volontaires mérite une attention particulière. Bien que je ne sois pas opposé par principe à cette pratique si elle résulte d’un véritable choix des salariés, elle soulève des interrogations. Il faut s’assurer du caractère réellement volontaire de ces départs et être conscient que cette approche évacue la question du motif économique, puisqu’elle repose sur un accord entre les parties.

En conclusion, ces évolutions appellent à une grande vigilance pour préserver l’équilibre entre flexibilité pour les entreprises et protection pour les salariés.

M. le président Denis Masséglia. Je rappelle que l’objet de la commission d’enquête n’est pas d’examiner le projet de loi de simplification de la vie économique.

M. Pascal Lokiec. J’en suis pleinement conscient.

M. le président Denis Masséglia. Vous avez évoqué des évolutions législatives récentes qui auraient, selon vous, créé un déséquilibre dans les rapports de force entre les salariés et les employeurs. Pourriez-vous nous fournir des indicateurs chiffrés démontrant que ces évolutions législatives ont effectivement entraîné une augmentation significative du nombre de PSE ces dernières années ? Il me semble essentiel, dans le cadre d’une commission d’enquête, que les arguments avancés reposent sur des données scientifiques.

Vous suggérez aussi de travailler sur des indicateurs ou des règles qui prendraient en compte le contexte de la mondialisation. Ne craignez-vous pas que cette approche puisse avoir un effet dissuasif sur l’implantation des entreprises en France ? Certaines entreprises, redoutant de ne pouvoir adapter leurs effectifs en fonction des évolutions du marché, ne risquent-elles pas d’hésiter à s’installer dans notre pays ? Je pense notamment au secteur automobile et à la transition vers le moteur électrique ou à l’émergence de la voiture autonome. Il semble logique, bien que regrettable, qu’une entreprise puisse ajuster ses effectifs en fonction du volume de production.

M. Pascal Lokiec. Les chiffres que vous souhaitez obtenir portent sur les PSE, n’est‑ce pas ?

M. le président Denis Masséglia. Effectivement, je cherche à savoir s’il y a eu une augmentation significative du nombre de PSE en France au cours des dix dernières années. Si j’interprète correctement vos propos sur la remise en question de certains acquis, cela devrait logiquement se traduire par une hausse de ce nombre.

M. Pascal Lokiec. Je ne suis pas en mesure de vous fournir les chiffres précis. Quoi qu’il en soit, ce que je peux dire, c’est que les licenciements économiques représentent une part relativement faible du total des ruptures de contrat de travail. Ces ruptures sont majoritairement faites de démissions. Mais ce constat ne minimise en rien l’importance des PSE, dont le nombre reste significatif. On le sait, les entreprises ont tendance à privilégier d’autres modes de rupture. Ainsi, le simple décompte des licenciements économiques ne reflète pas fidèlement la réalité de la situation. Des études ont mis en lumière l’existence de stratégies d’évitement en la matière. Outre le recours aux PDV, le recours au licenciement pour motif personnel comme alternative est fréquent. Cette pratique complique considérablement la quantification précise du phénomène. En effet, pour obtenir des chiffres exacts, il faudrait que tous les salariés licenciés pour insuffisance professionnelle, quand le motif est en réalité économique, intentent une action aux prud’hommes. Une telle démarche permettrait d’évaluer l’ampleur du phénomène. Je ne dispose pas de chiffres précis à ce sujet. Néanmoins, il est important de souligner que si le pourcentage de licenciements économiques est relativement faible, chaque cas implique souvent un nombre conséquent de salariés.

Votre remarque sur l’attractivité de la France soulève une interrogation qui revient souvent : le droit du travail constitue-t-il un frein à l’attractivité du pays ? Cette interrogation relève davantage du domaine politique que juridique. Notre modèle est fondé sur la protection de l’emploi, ce qui n’empêche pas la France de rester attractive. Il y a quelques années, les investissements en France étaient plutôt satisfaisants, et ce malgré les réformes visant à assouplir certaines protections des salariés en matière de licenciements économiques. Je suis convaincu que notre modèle de protection de l’emploi est un élément essentiel de notre identité. Il serait illusoire de penser que nous pourrions rivaliser avec les États-Unis ou la Chine en démantelant notre protection sociale. Cette position est certes politique et il faudrait l’avis d’économistes pour étayer ce point de vue par des données chiffrées.

M. le président Denis Masséglia. Vous dites que cela relève du politique. Je crois que trop de décisions politiques sont prises en l’absence de données précises justifiant leur bien‑fondé. Certes, la décision finale appartient à l’autorité politique mais il faut qu’elle repose toujours sur une réalité scientifique.

Mme Hélène Cavat. Les données publiées par la Dares montrent qu’il y a une stagnation, voire une diminution, du nombre de plans sociaux depuis 2014. Cette tendance s’explique par l’augmentation du nombre de suppressions d’emplois effectuées par d’autres voies que celle des PSE. D’après une étude de la Dares de janvier 2024, 60 % des ruptures de contrat de travail se font par le biais de départs volontaires. Ce phénomène explique la baisse apparente du nombre de licenciements économiques. On assiste parallèlement à une augmentation significative du nombre des ruptures conventionnelles individuelles ou collectives.

Les ruptures conventionnelles individuelles ont connu, depuis leur apparition, une croissance exponentielle, ainsi que le démontrent les données publiées par le ministère du travail. En revanche, on manque de données précises sur les entrées au chômage qui font suite à des ruptures conventionnelles collectives ou des accords de performance collective. On sait toutefois, grâce à la direction générale du travail (DGT), que leur nombre augmente significativement.

Le manque de transparence sur les accords de performance collective est un problème majeur. Il est, à mon sens, illégitime que ces accords ne soient pas rendus publics, contrairement à la majorité des autres accords. La loi les soustrait à l’obligation de publicité au nom du secret industriel, mais la plupart des accords de ce type que j’ai examinés ne contenaient aucune information sensible, notamment sur le processus de production. Si ces accords étaient accessibles publiquement, ils pourraient être étudiés en détail. Je n’y ai eu accès que dans le cadre de travaux menés avec France Stratégie, en collaboration avec la Dares. Le caractère confidentiel de ces accords nous prive d’informations cruciales sur leur nombre, leur contenu et leurs impacts réels sur l’emploi.

M. le président Denis Masséglia. Nous avons débuté notre cycle d’auditions avec la Dares afin de disposer de données chiffrées sur l’objet de notre étude.

Vous évoquez la croissance du nombre des ruptures conventionnelles. Il est complexe de savoir si elles sont principalement initiées par les entreprises ou les salariés. Nous manquons de données en la matière et cela entrave notre réflexion.

Les APC peuvent contenir des éléments relevant du droit des entreprises, voire des éléments sur les procédés industriels. J’en ai consulté certains qui contenaient ce genre d’informations. Néanmoins, il pourrait être envisagé d’autoriser les chercheurs et les universitaires à y accéder dans le cadre de leurs travaux, à condition que les intérêts des entreprises soient préservés. Il serait judicieux d’explorer cette piste pour trouver un équilibre satisfaisant.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Madame Cartier-Bresson, vous avez évoqué l’existence de leviers pour récupérer les aides publiques. Pourriez-vous donner le détail de ces leviers et expliquer comment ils pourraient être activés ?

Mme Anémone Cartier-Bresson. Il y a effectivement des leviers. Si une entreprise ne respecte pas ses engagements, précisément définis, la restitution de l’aide peut être prévue par le droit. Plusieurs textes le précisent. C’est notamment le cas du code des relations entre le public et l’administration. De la même manière, une aide autorisée par la Commission européenne peut être récupérée.

La difficulté survient lorsque des entreprises aidées licencient et que les actifs sont transférés ailleurs par les repreneurs. Des outils existent toutefois pour récupérer les aides dans ces situations. C’est une préoccupation de la Commission européenne. Il serait pertinent de renforcer les outils déjà mis en place.

M. le rapporteur. Madame Cavat, vous suggérez de tenir compte, à l’occasion de l’établissement d’un PSE, des moyens du groupe plutôt que de l’entreprise. Comment cette proposition pourrait-elle être mise en œuvre ? Cette problématique revient fréquemment dans nos auditions et dans l’actualité.

Mme Hélène Cavat. Permettez-moi d’abord de revenir sur la question précédente. J’ai écouté avec grand intérêt les propos de madame Cartier-Bresson. Pendant la crise sanitaire, le bénéfice de l’activité partielle de longue durée (APLD) excluait que l’entreprise procède à des licenciements pour motif économique mais lui laissait la possibilité de conclure des plans de départ volontaire, des accords de performance collective ou des ruptures conventionnelles collectives. Il serait judicieux d’imposer des conditions plus strictes lorsque des aides sont versées aux entreprises et d’interdire, par exemple, toutes les formes de ruptures à caractère économique si l’objectif est de garantir l’emploi.

En réponse à votre question, je veux dire que la jurisprudence antérieure permettait au juge d’apprécier la teneur du PSE en fonction des moyens du groupe, y compris à l’international. Il s’agissait de vérifier si les ressources de la société mère ou d’autres filiales avaient été mobilisées pour le reclassement des salariés ou pour contribuer financièrement aux mesures d’accompagnement. Cette approche, validée par la Cour de cassation, imposait que soient examinés les moyens de l’intégralité du groupe et non de la seule filiale française concernée par le plan.

M. le rapporteur. Monsieur Lokiec, j’approuve votre remarque sur l’importance de ne pas se focaliser uniquement sur les plans de licenciement médiatisés, mais de s’intéresser également à la question plus large du travail. Dans cette optique, je souhaiterais recueillir l’avis de chacun d’entre vous sur une éventuelle nouvelle étape de réduction du temps de travail. Celle-ci pourrait permettre de préserver des emplois en partageant le travail, tout en repensant son organisation pour travailler moins mais mieux.

Monsieur Lokiec, vous avez évoqué les difficultés spécifiques des petites entreprises face à la législation actuelle. Pourriez-vous donner le détail de ces difficultés ? En effet, bien que moins médiatisées, les micro-catastrophes sociales dans les petites et moyennes entreprises forment une problématique majeure pour nos territoires.

Vous avez également abordé la question de la cogestion. Auriez-vous des préconisations concrètes pour faire évoluer la situation ? Nous sommes particulièrement intéressés par les solutions qui permettraient de rééquilibrer rapidement le rapport de force entre salariés et employeurs.

Enfin, vous suggérez de donner davantage de capacités d’initiative aux salariés, une suggestion que vous développez dans votre ouvrage Salariés, libres… et heureux ?, publié en 2024. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette approche et son impact potentiel sur l’équilibre entre travail et emploi ?

M. Pascal Lokiec. Les enquêtes récentes révèlent un manque d’autonomie préoccupant chez les salariés français. Cette situation est déplorable tant pour les employés que pour les entreprises. En effet, la qualité de vie au travail dépend largement de la capacité des salariés à avoir leur mot à dire. Qui mieux que le salarié lui-même peut savoir ce qui est bon pour son travail ? Cette absence d’autonomie a inévitablement un impact négatif sur la rotation des effectifs. Il est temps d’adopter un dispositif inspiré du flexible work anglo-saxon, qui accorde davantage d’initiative aux salariés. Cette approche pourrait notamment faciliter la mise en place de la semaine de quatre jours. Notre retard en matière d’autonomie au travail est considérable. Si nous ne progressons pas sur ce point, les jeunes générations, en quête d’autonomie et soucieuses de préserver leur vie personnelle, risquent de se détourner du salariat au profit du travail indépendant. Or ce dernier n’offre pas la même protection sociale.

Par ailleurs, il est évident que les petites entreprises rencontrent des difficultés dans l’application du droit du travail. Cette problématique, loin d’être nouvelle, existe dans de nombreux pays. Les États-Unis, par exemple, ont instauré dès 1953 un dispositif spécifique pour les petites entreprises, avec une administration dédiée, grâce au Small Business Act. La France accuse également un retard dans ce domaine. Cependant, je ne préconise pas la création d’un sous-droit du travail pour les petites entreprises. Ces dernières peinent déjà à attirer les meilleurs talents, qui préfèrent souvent les grandes structures. Instaurer un droit du travail au rabais pour les PME ne ferait qu’aggraver la situation. Ce dont les petits patrons ont réellement besoin, c’est d’une assistance dans l’application du droit du travail en vigueur. Il s’agit fondamentalement d’une problématique d’accès au droit.

Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de renforcer l’aide judiciaire, notamment pour faciliter l’accès aux services des avocats. Ces derniers jouent un rôle crucial de conseil, particulièrement auprès des grandes entreprises. Malheureusement, les petits patrons n’ont généralement pas les moyens de bénéficier de tels services. Un véritable effort doit être accompli pour améliorer l’accès au droit des petites entreprises, en tenant compte de leurs ressources limitées par rapport aux grands groupes.

J’ai formulé des propositions concrètes au sujet de la cogestion. Dans Une autre voie est possible, un ouvrage écrit avec Éric Heyer et Dominique Méda, je préconise de porter la proportion d’administrateurs salariés à 30 % dans un premier temps. Cela serait déjà une avancée significative, l’objectif étant de parvenir à 50 %, ce qui est la norme dans certaines des plus grandes entreprises mondiales. S’ils représentaient 30 % des administrateurs dans les conseils d’administration, les salariés commenceraient à disposer d’un réel poids dans les décisions.

Cette évolution devient essentielle face aux défis actuels, notamment la substitution des machines à l’homme et la transition écologique. Les décisions de licenciement liées à la suppression de produits nocifs pour l’environnement, par exemple, devraient être traitées par les instances de direction. Le droit du travail intervient souvent trop tard, une fois que les décisions de suppression de produits ou de délocalisation ont été prises. Ce sont les personnes qui travaillent sur le terrain qui sont directement touchées par l’environnement de travail, pas les fonds d’investissement étrangers ou les actionnaires distants. Il est donc urgent de modifier la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », qui n’est pas allée assez loin sur la question du nombre d’administrateurs salariés.

Cette approche n’a rien de révolutionnaire. Elle est déjà appliquée en Allemagne et aux Pays-Bas. Il est logique que ceux qui contribuent à la prospérité de l’entreprise, tant par leur travail que par leur capital, soient équitablement représentés dans sa gouvernance. De nombreux économistes et juristes soutiennent cette approche. Un tel changement permettrait d’affirmer la spécificité du modèle social européen par rapport au modèle américain.

M. le rapporteur. J’aimerais avoir vos avis sur l’impact de la mise en place des barèmes prud’homaux. Plus précisément, je souhaiterais connaître votre analyse sur leurs effets sur la facilitation des licenciements.

Mme Hélène Cavat. En 2023, Camille Signoretto et Raphaël Dalmasso se sont penchés sur l’effet de ces barèmes en examinant les jugements, particulièrement les jugements en appel. Leurs conclusions sont éclairantes. Elles montrent qu’il y a une baisse significative du montant des indemnisations depuis la réforme. Les salariés les plus affectés sont ceux dont l’ancienneté est comprise entre deux et cinq ans et qui travaillent dans des entreprises de grande taille.

Cette situation soulève des inquiétudes quant à l’accès à la justice prud’homale. On peut craindre que seuls les salariés disposant d’une grande ancienneté et de salaires conséquents jugent pertinent d’engager une procédure judiciaire. Il faut aussi noter que la démarche est devenue plus complexe à la suite de la réforme des conseils de prud’hommes il y a quelques années. L’étude que j’évoque s’appuie sur une comparaison des arrêts de cours d’appel rendus avant et après la réforme et repose sur des données chiffrées précises.

Il faut reconnaître que certaines cours d’appel continuent d’interpréter le barème de manière souple malgré la jurisprudence de la Cour de cassation, qui impose une interprétation stricte de la règle. Par exemple, la cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 16 mars 2023, a jugé que ce barème était contraire à la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Elle a affirmé que les juges devaient chercher à assurer une réparation intégrale du préjudice.

Ces éléments montrent que le débat juridique sur l’application et l’interprétation des barèmes prud’homaux reste ouvert, en dépit de la position de la Cour de cassation.

M. Pascal Lokiec. Le premier objectif du barème était d’harmoniser les indemnisations entre les conseils de prud’hommes. Le second, plus fondamental et discutable, portait sur la lutte contre le chômage. Le raisonnement était le suivant : en sécurisant le coût du licenciement pour les entreprises, on favoriserait l’embauche. Cette théorie, soutenue par certains économistes, est très contestable.

Le barème français est inspiré du droit italien. En Italie, le chômage a sensiblement baissé dans les années qui ont suivi l’instauration d’un barème équivalent. Mais la mesure s’était accompagnée d’importantes exonérations de charges pour les entreprises concluant des contrats concernés par le barème. Il est donc impossible d’attribuer avec certitude la baisse du chômage au plafonnement des indemnités de licenciement plutôt qu’aux exonérations de cotisations sociales. De manière générale, établir un lien de causalité direct entre une réforme du droit du travail et l’évolution du chômage s’avère extrêmement complexe.

L’instauration du barème a également engendré des effets pervers. En tant que membre du comité d’évaluation des ordonnances de 2017, j’ai constaté qu’il y a eu une augmentation significative du nombre d’allégations de harcèlement moral et de discrimination dans les conclusions des avocats. Bien que ces allégations soient fondées pour l’essentiel, il est évident que certains salariés, dans l’incapacité d’obtenir une juste réparation de leur préjudice, ont fait usage de ces griefs. Cette instrumentalisation n’est pas saine pour notre système juridique.

Je suis très critique envers le barème. Il repose sur une logique de violation efficace. Cela fait appel à une théorie économique selon laquelle la transgression de la règle de droit peut être économiquement efficace. Le barème permet aux entreprises de calculer précisément le coût d’un licenciement et de savoir s’il est plus avantageux, au plan économique, de conserver les salariés ou de les licencier.

Pour conclure, je veux souligner que l’impact du barème sur la baisse du chômage reste très discutable.

Mme Hélène Cavat. En 2022, le Comité européen des droits sociaux a rendu une décision dans laquelle il indique que ce dispositif est contraire à la Charte sociale européenne.

M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.

La séance s’achève à dix-sept heures dix.


Présences en réunion

Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Sophie-Laurence Roy