Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. François‑Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), M. Sébastien Velez, directeur général du CNAJMJ, M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), Mme Céline Domenget Morin, vice‑présidente de l’ARE, et Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire 2
– Présences en réunion................................22
Mardi
29 avril 2025
Séance de 18 heures 30
Compte rendu n° 20
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à dix-huit heures trente-cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), M. Sébastien Velez, directeur général du CNAJMJ, M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), Mme Céline Domenget Morin, vice-présidente de l’ARE, et Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire.
M. le président Denis Masséglia. Nous terminons notre programme de travail de la journée par une table ronde consacrée aux restructurations d’entreprises. Il s’agit d’un thème que nous avons abordé à l’occasion de plusieurs auditions, et notamment, il y a quelques instants, avec les services de l’État qui interviennent dans ce domaine, le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire).
Il est à présent utile que nous examinions le sujet sous un angle différent, en convoquant le point de vue de professionnels dotés d’une expertise issue du terrain.
Je souhaite ainsi la bienvenue à :
– M. François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), accompagné de M. Sébastien Velez, directeur général du CNAJMJ ;
– M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France ;
– M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), et Mme Céline Domenget Morin, vice-présidente de l’ARE ;
– Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire.
(M. François-Charles Desprat, M. Sébastien Velez, M. Michel Peslier, M. Xavier Bailly, Mme Céline Domenget Morin et Mme Hélène Bourbouloux prêtent serment.)
M. François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires exercent deux professions juridiques réglementées, en libéral, sans charge ministérielle. Nous intervenons auprès des entreprises en difficulté en qualité de tiers de confiance, généralement sur mandat de justice et de manière exclusive. Les 330 mandataires judiciaires représentent l’intérêt collectif des créanciers dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire tout en assurant le rôle de représentants légaux des entreprises en liquidation judiciaire. Les 170 administrateurs judiciaires assistent les dirigeants dans la gestion de leur entreprise afin de relancer l’activité ou, si cela s’avère nécessaire, d’en organiser la cession totale ou partielle. Nos 270 études regroupent environ 3 000 salariés.
Le conseil national, établissement d’utilité publique institué par une loi de 1990, a pour mission de représenter les professionnels auprès des pouvoirs publics, notamment les ministères de la justice et de l’économie, et d’organiser ainsi que de réguler la vie des deux professions. Il est composé de seize membres élus pour un mandat de quatre ans et sa présidence est assurée alternativement, pour deux ans, par un mandataire judiciaire ou un administrateur judiciaire.
En tant qu’acteur institutionnel du monde de la restructuration, le conseil national entretient des relations étroites avec de nombreux partenaires nationaux et internationaux. Il collabore notamment avec la Conférence générale des juges consulaires de France, l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), les syndicats professionnels, l’Association pour le retournement des entreprises, diverses associations d’aide aux entrepreneurs en difficulté, Apesa ou Second Souffle, ainsi qu’avec des organisations internationales telles que le VID allemand et INSOL Europe.
Depuis vingt ans, le conseil national dispose d’un observatoire des données économiques qui publie des informations mensuelles, trimestrielles et annuelles à destination des pouvoirs publics, y compris du Parlement. Les données publiées, fiables et exhaustives, concernent à la fois les procédures collectives rendues publiques et les procédures amiables qui demeurent confidentielles.
Quelques précisions sémantiques et juridiques essentielles s’imposent à ce stade. Les procédures collectives, dont le fait générateur est l’état de cessation des paiements de l’entreprise, se déclinent en trois catégories : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. Elles sont ouvertes par décision de justice et relèvent du tribunal de commerce pour les commerçants, artisans et sociétés commerciales ou du tribunal judiciaire pour les autres structures. Depuis le 1er janvier 2025, douze tribunaux des activités économiques en phase expérimentale regroupent les compétences des tribunaux de commerce et des tribunaux judiciaires, y compris pour le traitement des difficultés rencontrées par les agriculteurs.
Il existe par ailleurs deux dispositifs dits amiables ou de prévention : le mandat ad hoc et la conciliation. Ces derniers sont engagés à l’initiative du chef d’entreprise, généralement en amont de l’état de cessation des paiements. La procédure relève alors de l’autorité du président du tribunal, qui l’ouvre et désigne les intervenants. Dans le cadre des procédures collectives, les administrateurs et mandataires judiciaires sont désignés par le tribunal et perçoivent une rémunération fixée par un tarif réglementé tandis que, dans le cadre les procédures amiables, ils interviennent sur la base d’une convention d’honoraires.
Chaque année, nous traitons en moyenne entre 50 000 et 55 000 procédures collectives, bien que les cinq dernières années aient été marquées par des évolutions notables. En 2020 et 2021, le nombre de procédures a diminué à un niveau inédit, à hauteur de 28 000 par an environ, conséquence directe des mesures gouvernementales mises en place pendant la crise sanitaire, qui ont permis de différer la défaillance d’un grand nombre d’entreprises fragilisées.
Ce creux a été suivi d’une nette augmentation du nombre de défaillances, un sommet ayant été atteint en 2024. Cette année-là, le nombre de procédures collectives a dépassé 65 000, soit près de 18 % de plus qu’en 2023 : plus de 44 000 liquidations judiciaires directes, près de 20 000 redressements judiciaires et un peu plus de 1 500 sauvegardes. En 2024, 94 % des entreprises concernées emploient moins de dix salariés et génèrent un chiffre d’affaires inférieur à cinq millions d’euros, une proportion stable dans le temps. Sur les 6 % restants, on recense 408 entreprises comptant entre 50 et 250 salariés, ce qui représente une hausse de 18 % par rapport à 2023, 33 entreprises comptant entre 250 et 500 salariés, un nombre stable, et 12 entreprises de plus de 500 salariés, contre 20 en 2023. L’âge moyen des entreprises en défaillance s’établit à un peu moins de dix ans.
Certains secteurs sont plus touchés que d’autres : dans le secteur de l’immobilier, par exemple, il y a eu, entre 2023 et 2024, une progression du nombre des procédures collectives quasiment deux fois supérieure à la moyenne.
Notre bilan annuel, profondément remanié, s’accompagne pour la première fois d’une analyse universitaire issue d’un partenariat entre le conseil national et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cette collaboration a donné naissance au Centre d’analyse des données de défaillances d’entreprises (Cadde). L’étude qui en résulte attribue la hausse générale du nombre de procédures collectives à un ensemble de facteurs : l’effet de rattrapage provoqué par la disparition des mesures déployées pour faire face à la crise sanitaire, l’inflation, la montée des taux d’intérêt et les arbitrages contraints opérés par les ménages et les entreprises selon les secteurs d’activité.
Nous avons également publié, pour la première fois, un taux de défaillance rapportant le nombre de procédures collectives au nombre d’unités légales Sirene – hors micro-entreprises. Ce taux s’est élevé à 0,71 % en 2024, un niveau stable par rapport à 2019 et même inférieur à celui de 2018. Cette donnée permet donc de relativiser la portée du pic constaté en matière de procédures collectives.
L’observatoire recueille également des données permettant d’estimer le nombre d’emplois théoriquement menacés par une procédure collective. Un emploi menacé n’équivaut pas à un emploi supprimé. La préservation de l’emploi constitue d’ailleurs un objectif fondamental dans les procédures collectives et un enjeu central pour les professionnels du secteur. En 2024, plus de 193 000 emplois ont été concernés, la majorité d’entre eux relevant des plus petites structures.
Une étude comparative menée il y a cinq ans sur les dispositifs de traitement des difficultés d’entreprises dans plusieurs pays voisins a démontré que, grâce aux efforts de l’ensemble des intervenants, 68 % des emplois étaient préservés dans les procédures collectives françaises.
Il est prématuré de se prononcer sur les perspectives pour l’année 2025. Nous observons néanmoins une légère hausse du nombre des procédures collectives : à la fin du premier trimestre 2025, ce nombre était supérieur de 2,3 % par rapport à la fin du premier trimestre 2024.
Depuis plusieurs années, nous œuvrons également au développement des procédures de prévention, qui permettent d’anticiper les difficultés et de mieux préserver les entreprises et leurs emplois. En 2024, près de 9 000 procédures de prévention ont été enregistrées, ce qui représente une augmentation de près de 54 % par rapport à 2018. Ces procédures affichent un taux de réussite élevé, estimé entre 70 % et 75 %, ce qui démontre que l’anticipation favorise grandement la capacité à surmonter les difficultés.
Dans le questionnaire que vous nous avez transmis, vous évoquez un amendement du Gouvernement au projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement examiné par votre Assemblée. Cet amendement, qui visait à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour simplifier le code de commerce, notamment son livre VI, résultait des travaux d’un groupe coordonné par le Conseil d’État, auquel le conseil national a participé. L’objectif poursuivi était de proposer, à droit constant, une réorganisation de la structure et de la présentation d’un code devenu difficilement lisible. Cet amendement a été déclaré irrecevable dès son dépôt et ne sera donc pas examiné.
Si le chantier de la simplification des procédures collectives devait être prochainement lancé, le conseil national y contribuerait activement, car cet objectif apparaît à la fois louable et nécessaire. Il en va de même de la clarification du paysage institutionnel, dont la Cour des comptes a souligné la complexité dans un rapport récent. Le conseil national a été auditionné dans le cadre de la préparation de ce rapport. Il semble difficile de ne pas souscrire au constat établi par la Cour, bien qu’il faille reconnaître que la multiplication des intervenants, qui s’est faite au fil du temps, procédait initialement d’une intention positive.
M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France. Notre effectif est conséquent, puisque nous comptons 134 juridictions réparties sur l’ensemble du territoire national et environ 3 400 juges. Le statut des juges consulaires est défini par le code de commerce. Les juges sont élus par leurs pairs, la première année pour un mandat de deux ans, puis pour un mandat de quatre ans. Ils suivent une formation dispensée conjointement par la conférence générale et l’École nationale de la magistrature (ENM).
Le juge consulaire incarne une spécificité française, souvent enviée à l’étranger. Sa singularité réside dans sa compréhension directe et intuitive du monde des affaires, ce qui lui confère une compétence naturelle pour appréhender les difficultés qui lui sont soumises.
L’activité des juridictions consulaires ne se limite pas aux procédures collectives, qui ne représentent qu’environ 50 % de celle-ci. Le juge consulaire connaît également des différends intervenant dans les relations d’affaires, qu’il s’agisse de recouvrement de créances, d’actions en responsabilité, de garanties, de sûretés ou encore de contentieux liés au droit du transport.
Cette diversité de compétences revêt une importance majeure dans le champ du droit des procédures collectives, puisqu’elle permet d’identifier les signaux précoces d’une défaillance potentielle. Le contentieux général vient ainsi nourrir le regard du juge consulaire qui dispose, grâce à celui-là, d’une capacité de détection en amont des difficultés. Cette aptitude se révèle d’autant plus précieuse que la compétence des tribunaux a récemment été étendue, aux questions agricoles notamment, dans le cadre d’une expérimentation. Toutefois, le tribunal judiciaire demeure seul compétent pour traiter du contentieux général relevant du livre VI du code de commerce.
Les juridictions commerciales ont fait la démonstration de leur efficacité. Les juges consulaires, grâce à leur connaissance approfondie des réalités économiques et à leur indépendance, sont en mesure de statuer avec discernement. Les administrateurs judiciaires, investis d’un mandat de justice, trouvent en la personne du juge consulaire un interlocuteur à la fois expérimenté et réactif, ce qui garantit l’efficacité des procédures.
Je souhaite également insister sur l’importance que revêtent les procédures de prévention, à l’image du mandat ad hoc et de la conciliation. Bien qu’elles soient encore insuffisamment sollicitées, ces procédures, confidentielles par nature, s’avèrent particulièrement efficaces dès lors qu’elles sont mises en œuvre. Le chef d’entreprise, souvent plongé dans une forme de déni face à ses difficultés, peut compter sur un climat de confiance instauré par le président du tribunal. Cela favorise l’échange entre le débiteur et le créditeur.
M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE). L’ARE a été fondée en 2002 à l’initiative de professionnels animés par la volonté de promouvoir la prévention des difficultés des entreprises, bien avant la promulgation de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Notre mission consiste à encourager la détection précoce des signaux de fragilité, à améliorer la diffusion et la compréhension des dispositifs de prévention et de traitement, ainsi qu’à renforcer l’efficacité opérationnelle des restructurations, afin de favoriser des retournements d’entreprises durables et réussis.
Initialement composée d’une vingtaine de membres, l’ARE rassemble aujourd’hui 320 professionnels spécialisés dans le retournement d’entreprises. Notre fonctionnement repose sur une approche strictement associative. Chaque membre est un professionnel aguerri qui s’engage à contribuer activement aux travaux, en particulier en matière de formation. Nous avons pour ambition de maintenir les standards les plus élevés dans la pratique du droit des entreprises en difficulté, tout en intégrant les disciplines connexes telles que le droit des contrats, le droit social, le droit fiscal ou le droit des sûretés.
Nous avons développé des partenariats universitaires visant à sensibiliser le grand public ainsi que les dirigeants de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME) aux outils de prévention. Ces collaborations, menées avec des écoles de commerce et des universités implantées à Paris, Lyon et Marseille, ont pour objectif de former les étudiants à ces enjeux afin de favoriser une prise de conscience ancrée dans la durée. L’animation de cours dans le cadre de ces partenariats mobilise environ la moitié de nos 320 membres.
Parmi nos actions structurantes, figure l’organisation de deux colloques annuels : le premier, organisé en partenariat avec le Centre de droit des affaires et de gestion (Cedag), repose sur une approche académique approfondie du droit des entreprises en difficulté ; le second, qui a lieu en région, est destiné à renforcer notre ancrage territorial. Nous disposons par ailleurs d’un comité des lois et des pratiques, mobilisé pour formuler des réponses argumentées aux consultations relatives aux réformes législatives.
Créé en 2009, le prix Ulysse vient récompenser chaque année un retournement d’entreprise exemplaire, en mettant en lumière la mobilisation de l’arsenal juridique au service de la pérennisation de l’activité et de la préservation de l’emploi.
Notre association fédère des professionnels issus d’horizons divers : avocats, administrateurs judiciaires, investisseurs, managers, conseillers financiers ou encore spécialistes du droit social.
Enfin, nous entretenons des relations suivies avec les pouvoirs publics, notamment en assurant bénévolement la formation des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) et en siégeant au comité national de sortie de crise.
Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire. J’interviens ici en tant que cofondatrice de la société FHBX. Cette structure est implantée sur l’ensemble du territoire national. Elle regroupe douze associés, pour la plupart d’anciens collaborateurs ayant passé l’examen d’administrateur judiciaire. Elle dispose de dix‑huit bureaux en France, ce qui lui permet d’intervenir auprès d’une grande diversité d’entreprises, de la TPE aux grands groupes, et devant un nombre croissant de juridictions.
Celles-ci se sont progressivement affranchies de la stricte logique de territorialité, longtemps critiquée. Ce mouvement, s’il a pu entraîner une certaine perte de proximité, a en retour favorisé une émulation et une meilleure capacité de comparaison entre territoires. Notre profession s’est largement structurée, notamment à travers la création de sociétés comptant de nombreux associés, comme la nôtre, présentes sur tout le territoire.
En 2023, nous avons traité environ 700 nouvelles procédures collectives. 147 ont abouti à un plan de redressement ou de sauvegarde. En parallèle, nous avons été saisis de 650 dossiers relevant de procédures amiables. Notre activité se répartit donc assez équitablement entre ces deux champs d’intervention. À cela s’ajoutent, plus ponctuellement, des missions de gestion de situations complexes concernant, par exemple, des administrateurs provisoires de copropriétés ou des successions vacantes. Ces interventions relèvent de notre cœur de métier, à savoir la gestion des biens d’autrui dans des contextes exceptionnels.
Je pratique ce métier depuis vingt-cinq ans, en région parisienne comme en province. L’objet de cette commission d’enquête revêt une signification particulière puisque les administrateurs judiciaires interviennent dans un moment de crise, souvent lorsque l’entreprise est déjà au bord du gouffre. Il ne s’agit plus d’anticipation mais bien de sauvetage, avec les outils que le législateur met à notre disposition.
Le droit des entreprises en difficulté constitue un droit d’exception. Il atténue, voire suspend, certaines règles de droit commun, notamment en matière contractuelle ou sociale. Le juge peut, par exemple, résilier un contrat, suspendre le paiement des dettes antérieures et mettre en place une période d’observation pendant laquelle l’entreprise ne paie que ses dettes postérieures à l’ouverture de la procédure. Cette période vise à offrir un espace de sérénité pour se réorganiser, retrouver de la profitabilité ou préparer une reprise.
La reprise est un point majeur de notre réflexion, en particulier en ce qui concerne ses conséquences sociales. Les pouvoirs publics jouent un rôle essentiel. L’État, les collectivités territoriales et les élus locaux interviennent à plusieurs titres : ils sont des relais d’information, soutiennent l’activité économique locale, mettent en place des dispositifs d’aide financière ou jouent le rôle de créanciers. Depuis la réforme d’octobre 2021, les créanciers publics disposent d’un poids accru dans l’adoption des plans. Ils peuvent les imposer aux créanciers de rang inférieur, ce qui était impossible auparavant.
Les pouvoirs publics facilitent également la reprise, notamment par l’intermédiaire des commandes publiques. Ils sont aussi des régulateurs, puisque ce sont eux, en particulier ceux qui font les lois, qui ont la capacité d’améliorer les dispositifs en vigueur.
Le droit des entreprises en difficulté est sans doute l’un des droits les plus consensuels. Bien qu’il puisse être complexe à appréhender, il est en effet traité avec beaucoup de pragmatisme et de réalisme. Le texte fondateur de la discipline, porté par Robert Badinter en 1985, a placé l’entreprise au cœur du dispositif. Peut-être était-ce à l’époque au détriment des créanciers, dans un contexte d’opposition marquée entre ces deux mondes ? Cette opposition s’est aujourd’hui largement estompée. Lorsque nous évoquons l’emploi, il ne s’agit pas uniquement de celui des salariés de l’entreprise en difficulté, mais également de celui des salariés des entreprises sous-traitantes ou du créancier impayé. La question de l’emploi dépasse donc largement le seul périmètre de l’entreprise défaillante.
Avec la réforme la plus récente, on est passé, en matière de reprise d’entreprise, d’une logique centrée sur le plan de cession à une logique bien différente. Reprendre une entreprise suppose désormais de disposer de la capacité de mobiliser un besoin en fonds de roulement. Le repreneur concurrent est souvent bien placé car il connaît les rouages de l’entreprise, ce qui lui permet de composer avec un niveau d’information plus limité.
Historiquement, les plans de cession permettaient de reprendre le fonds de commerce, les contrats de travail ainsi que les stocks et de verser un prix tout en étant exonéré du paiement du passif. Ces dispositifs vont probablement disparaître au profit des plans de redressement, dans lesquels l’entreprise subsiste juridiquement, parfois moyennant un changement d’actionnaire. Si les créanciers privilégiés votent le plan, il importe peu que les créanciers chirographaires s’y opposent, dès lors qu’ils ne sont pas fondés à en attendre un retour. L’évaluation de l’entreprise devient alors centrale et le pouvoir de décision passe des mains du juge à celles des créanciers.
Ce point me semble fondamental pour introduire la question sociale, susceptible d’évoluer positivement à l’avenir. Les plans de redressement, en effet, impliquent souvent une plus grande prudence dans la mise en œuvre des réductions d’effectifs, car il faut en assumer le coût. La nécessaire continuité de l’activité tend également à limiter l’ampleur de ces restructurations.
L’expérience montre que les salariés des entreprises en difficulté anticipent généralement les annonces de réduction d’effectifs et souhaitent entamer un dialogue à ce sujet. Ils nous sollicitent parfois pour envisager la négociation de ruptures conventionnelles, entre autres. Nous devons être particulièrement vigilants à ce que les règles relatives au licenciement collectif ne soient pas contournées.
La question sociale dans les procédures collectives fait donc l’objet d’un large consensus et s’inscrit pleinement dans la volonté du législateur de maintenir un dialogue social fort. Comme cela a déjà été souligné, la voix des comités sociaux et économiques (CSE) est essentielle. Nous avons accompagné environ soixante plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en cinq ans, dont certains étaient de grande ampleur. Ces plans sont techniquement complexes à mettre en œuvre, en raison notamment des délais imposés par l’AGS. Trente jours sont laissés pour organiser lesdits plans. L’un des enjeux majeurs est d’assurer l’accompagnement des salariés et leur reconversion, malgré des moyens financiers limités. Le dialogue avec les syndicats est constant, dans un climat empreint de réalisme.
Les entreprises en difficulté ne sont pas toujours des entreprises qui emploient des salariés. Beaucoup d’auto-entrepreneurs font défaillance. Ainsi, près de 40 000 entrepreneurs ou dirigeants de sociétés sont touchés par une liquidation judiciaire.
Sur les 60 000 procédures annuelles, environ 20 000 relèvent du champ du sauvetage, mais un grand nombre aboutit à une liquidation. Ce chiffre doit être analysé avec prudence car une liquidation judiciaire peut concerner une structure d’un salarié ou une entité de 15 000 personnes. C’est pourquoi l’on observe un taux de sauvegarde de l’emploi de 68 %. Cela s’explique par la taille des entreprises.
Je souhaite insister sur la situation des entrepreneurs individuels et des TPE qui sont, à ce jour, les grands oubliés du système. Nous avons participé à plusieurs travaux sur la notion de « rebond » et l’accompagnement au retour à l’emploi fait partie des mesures prévues dans les PSE. Les salariés expriment une attente forte quant au financement de projets de création d’entreprise ou de mobilité dans le cadre des dispositifs de reclassement. Cela aboutit à la constitution d’une population nouvelle d’entrepreneurs, parfois sans couverture sociale. Lorsque la liquidation judiciaire survient, la situation peut donc s’avérer critique.
Cela étant dit, la liquidation judiciaire ne constitue pas nécessairement un drame et permet, dans bien des cas, l’effacement des dettes. Elle peut s’apparenter à une forme de clôture, qui n’est pas punitive, mais bien salvatrice. Nous devons simplement veiller à ce que l’ensemble des personnes concernées soient réellement accompagnées.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Ma première question porte sur les procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises en vigueur. Pourriez‑vous revenir sur les enjeux de préservation de l’emploi, qui sont au cœur de nos préoccupations, compte tenu de l’actualité ?
M. François-Charles Desprat. Les procédures de prévention s’adressent principalement à des entreprises d’une certaine taille, en raison notamment de la structuration plus élaborée de ces entités et de la présence de conseils les accompagnant dans l’identification précoce de leurs difficultés. Par construction, ces entreprises regroupent un volume significatif d’emplois. Les difficultés que rencontrent les entreprises de grande dimension font généralement l’objet d’un traitement prioritaire dans un cadre préventif et donnent lieu de manière plus marginale à l’ouverture de procédures collectives.
Mme Hélène Bourbouloux. Les procédures collectives se révèlent particulièrement adaptées lorsqu’il s’agit de traiter des problématiques liées à l’exploitation et au compte de résultat, tandis que les dispositifs amiables apparaissent plus appropriés pour répondre aux enjeux relevant du bilan. Nous constatons d’ailleurs une porosité croissante entre ces deux catégories : il est désormais fréquent de passer d’une procédure amiable à une procédure collective ou d’articuler les deux.
Les procédures du mandat ad hoc et de la conciliation se caractérisent avant tout par la confidentialité qui, paradoxalement, est la garante de la transparence. Cette discrétion est essentielle pour stabiliser une situation de crise car elle permet d’alerter les partenaires de l’entreprise selon un schéma par cercles successifs. Le premier cercle, celui de l’urgence, implique en général les établissements bancaires : il leur est demandé de ne pas dénoncer leurs concours ou, si cela est déjà fait, de suspendre l’effet des préavis. L’objectif est de stabiliser la situation et de gagner du temps. Dans ce cadre, toute intervention suit invariablement quatre grandes phases.
La première est celle du diagnostic. Il s’agit de comprendre où se situe l’entreprise, pourquoi elle se trouve dans cette situation et comment elle peut en sortir. Ce travail d’analyse repose, d’une part, sur un regard rétrospectif porté sur les comptes, afin d’identifier les causes des difficultés, et, d’autre part, sur une projection stratégique à travers l’élaboration d’un plan de développement. L’adhésion de l’ensemble des parties concernées au diagnostic conditionne la possibilité d’avancer vers l’étape suivante. Tant qu’un consensus ne se dégage pas sur ce point, aucune solution n’est véritablement envisageable.
La seconde phase consiste à recenser les besoins de l’entreprise. A-t-elle besoin de temps ? Dans ce cas, il conviendra de réaménager les concours bancaires. A-t-elle besoin de liquidités ? D’un changement de gouvernance ? D’une opération de croissance externe ? Faut‑il envisager une cession d’actifs, la fermeture d’un site, ou toute autre mesure stratégique ? C’est à partir du diagnostic que se dégage un véritable cahier des charges et l’expression d’un besoin opérationnel clair.
Lorsque ce besoin est identifié, la phase de négociation peut débuter. Elle peut être portée par l’entreprise elle-même, par un investisseur ou par les créanciers, selon différents scénarios qui dépendent des difficultés rencontrées. Ce processus, bien que complexe, permet souvent de parvenir assez rapidement à un accord sur les grands équilibres. Les échanges permettent de trancher un certain nombre de points. Qui remettra des fonds ? Dans quelle proportion ? Quelle dette pourra être supportée par l’entreprise ? Quelle sera la durée du redressement ? Il convient de souligner que la temporalité n’est pas la même pour une entreprise industrielle et pour une entreprise de services.
La quatrième et dernière phase est celle de la mise en œuvre. Celle-ci peut, dans certains cas, nécessiter le recours à une procédure collective. Il s’agit d’éviter toute panique ou désorganisation chez les parties prenantes. D’où l’importance de la confidentialité que j’ai évoquée, car il ne faut pas annoncer trop tôt aux clients, aux fournisseurs ou aux collaborateurs que l’entreprise traverse une crise majeure, au risque d’aggraver la situation.
Ce temps de travail entre parties initiées permet de poser les bases de la restructuration. Une fois la situation stabilisée, il devient possible d’élargir le cercle des personnes informées, en intégrant progressivement les collaborateurs, surtout lorsque la phase de révélation des difficultés ou l’ouverture d’une procédure collective devient inévitable. Il est également possible de rechercher des repreneurs dans un cadre confidentiel, en amont de toute communication publique. Toutefois, dès lors qu’une insuffisance d’actifs est constatée et qu’il devient clair que l’ensemble des créanciers ne pourra pas être payé, la transparence devient impérative.
C’est dans cette perspective que les procédures collectives ont la vertu d’être publiques. Cette visibilité garantit une forme de protection, par la vigilance collective qu’elle suscite, y compris de la part de l’opinion et des pouvoirs publics.
M. Michel Peslier. Les apparentes contradictions évoquées précédemment ne sont en réalité qu’illusoires. Le commerce repose fondamentalement sur la confiance. Dans ce cadre, la confidentialité revêt une importance capitale. Si elle venait à être rompue, nous assisterions inévitablement à un effondrement de la confiance, avec des conséquences particulièrement délétères pour les entreprises concernées. Il convient en effet de rappeler que le crédit fournisseur constitue l’une des principales sources de financement des entreprises. Toute altération de la relation de confiance entraînerait mécaniquement une contraction de ce crédit, exposant l’entreprise à un risque accru. Celle-ci se trouverait alors dans une position plus précaire encore, compromise dans sa capacité à financer son besoin en fonds de roulement, lequel demeure un levier indispensable à la poursuite de son activité.
M. Xavier Bailly. Ni le mandat ad hoc, ni la conciliation ne comporte de dispositions dérogatoires au droit social. Ces procédures ne permettent en aucune manière de faciliter les licenciements collectifs ou les ruptures conventionnelles.
Je fais miens, sur ce point, les propos de madame Bourbouloux au sujet des « restructurations silencieuses ». Les professionnels, en particulier les mandataires ad hoc et les conciliateurs, font preuve d’une vigilance constante devant ce risque.
Il y a une dizaine d’années, certains ont pu envisager une simplification des restructurations à travers les procédures du mandat ad hoc ou de la conciliation. L’ensemble de la profession s’est alors prononcé d’une seule voix pour réaffirmer que ces dispositifs devaient rester des instruments de prévention et de préservation des entreprises, et non pas devenir des vecteurs de restructuration facilitée.
Il est impératif de maintenir cette ligne de conduite. Certes, certaines démarches, telles que la récupération de crédits d’impôt, sont rendues plus fluides dans le cadre d’une conciliation mais, en matière sociale, aucune entorse au droit commun n’est prévue.
M. le rapporteur. Je souhaiterais revenir sur les questions du dialogue social et du rôle des CSE. Au cours de nos auditions, un constat est souvent revenu. De nombreux salariés expriment un sentiment de déséquilibre dans la relation sociale, qui se trouve accentué en période de difficultés. Les témoignages convergent pour souligner que l’information parvient souvent de manière tardive aux représentants du personnel et que leur implication dans les processus décisionnels reste limitée, en particulier dans les premiers moments de la réflexion stratégique.
Quel regard portez-vous sur ce déséquilibre ressenti par de nombreux salariés ? À vos yeux, quelles dispositions concrètes permettraient d’établir un meilleur équilibre entre l’employeur et les salariés et d’améliorer la qualité du dialogue social dans le contexte d’une restructuration ?
Mme Hélène Bourbouloux. Il importe de faire une distinction nette entre, d’une part, le champ des procédures amiables, qui concernent des entreprises in bonis, et, d’autre part, le champ des procédures collectives. Dans le cadre des procédures collectives, l’information est rendue publique, ce qui facilite l’implication constante des salariés, des organisations syndicales et des CSE dans les discussions. Le sentiment d’être mis à l’écart et d’être mis devant le fait accompli est plus fréquent à l’occasion des procédures amiables, qui échappent bien souvent au périmètre d’intervention des administrateurs judiciaires.
En matière de procédures collectives, notamment lorsqu’elles incluent un PSE, le cadre juridique est structuré et encourage le dialogue social. La véritable interrogation porte davantage sur les phases antérieures, en amont de la défaillance. Il convient de se demander s’il serait souhaitable d’intensifier le niveau d’informations transmises aux représentants du personnel. Cette perspective comporte toutefois un risque non négligeable, celui de la divulgation prématurée d’informations à un moment où aucune solution stabilisée n’est définie.
Le législateur a expressément prévu que la procédure de conciliation conserverait son caractère confidentiel jusqu’à un certain point. Lorsque les contours d’un protocole commencent à se dessiner, le CSE doit en être informé et être associé à l’audience d’homologation. À ce moment-là, on se situe encore en amont de la constatation formelle de la défaillance. Une fois celle-ci avérée, le cadre juridique de l’information devient bien plus strict. Les offres de reprise, par exemple, sont immédiatement transmises au CSE.
C’est donc dans l’univers des procédures amiables qu’il reste nécessaire de trouver un point d’équilibre entre la diffusion d’une information suffisante et la préservation de la confidentialité, afin de ne pas compromettre la situation de l’entreprise. Une diffusion prématurée d’informations pourrait en effet inciter certains clients ou fournisseurs à retirer leurs crédits ou à suspendre leurs commandes, aggravant ainsi la fragilité de l’entreprise.
M. François-Charles Desprat. En complément, je souhaite insister sur un point essentiel à propos du redressement judiciaire, en particulier lorsque celui-ci implique une éventuelle cession de l’entreprise. Le représentant des salariés, dont la fonction a été instaurée par la loi encadrant les procédures collectives, assiste aux audiences et intervient pour défendre les intérêts du personnel. L’avis qu’il émet revêt une réelle importance.
Aujourd’hui, les salariés sont systématiquement invités à exprimer leur préférence parmi les différents candidats. Il est relativement rare que le tribunal ne suive pas l’avis formulé par les représentants du personnel ou que l’absence de consensus empêche l’émergence d’une solution claire. Le tribunal accorde une attention particulière à la position exprimée par les salariés. Aussi, même si ces derniers ne participent pas directement à la prise de décision, leur voix est entendue et prise en compte de manière substantielle.
M. Michel Peslier. Il est important de rappeler que l’article 3 de la loi portée par Robert Badinter affirme avec force la priorité accordée à la pérennité de l’entreprise et à la préservation de l’emploi. Même si le législateur n’a pas établi expressément un ordre hiérarchique entre les objectifs, l’examen des travaux parlementaires permet de comprendre que le paiement des créanciers occupe une place secondaire.
Il est exact que les salariés, dont la représentation est prévue par la loi, sont entendus lors des audiences. Toutefois, il importe d’aller au-delà de cette simple reconnaissance formelle pour souligner que la valeur d’un salarié excède de loin son statut juridique. Il incarne, au sein de l’entreprise, le porteur du capital immatériel que constitue le savoir-faire attaché à sa fonction. Ce savoir-faire, qui ne figure pas à l’actif du bilan comptable, constitue pourtant une ressource stratégique dont la préservation est aussi essentielle que celle des actifs matériels.
Mme Céline Domenget Morin, vice-présidente de l’ARE. Je souhaite insister sur l’importance des mesures de prévention, en particulier dans le cadre des procédures du mandat ad hoc et de la conciliation. Ces dispositifs préventifs constituent une part significative de notre activité.
La confidentialité, pierre angulaire de ces procédures, est un atout majeur que nous envient nos homologues européens. Depuis la mise en œuvre de la directive européenne, certains États commencent d’ailleurs à développer des instruments de prévention destinés à faciliter les restructurations bilancielles. En France, cette exigence de discrétion revêt une importance particulière, car le crédit fournisseur joue un rôle déterminant dans le financement des entreprises.
La confidentialité implique qu’un cercle très restreint de personnes soient informées, y compris dans l’entreprise. Dans la majorité des cas, les échanges ont principalement lieu avec les partenaires bancaires et, même dans ce cadre, seule une fraction très limitée des collaborateurs des établissements est impliquée. Ces interlocuteurs, spécialisés et aguerris, sont familiers de certaines pratiques, telles que la suspension temporaire des effets d’une exigibilité, déployées le temps d’établir un diagnostic précis.
Cette discrétion est indispensable pour préserver la confiance des fournisseurs. Une rupture de confiance, accompagnée d’un retrait brutal du crédit, peut produire des effets dramatiques. Nous avons observé, dans certains dossiers d’envergure, que la moindre fuite dans la presse pouvait générer un doublement immédiat des besoins de financement. Une telle détérioration de la situation peut précipiter l’entreprise dans une procédure de redressement judiciaire, voire dans un plan de cession immédiat, en raison de l’impossibilité de maintenir l’activité faute de trésorerie suffisante.
La confidentialité constitue également un rempart essentiel pour préserver la clientèle. Si la clientèle composée de particuliers se montre généralement plus stable, il en va tout autrement dans les relations avec les clients professionnels. Leurs réactions peuvent être beaucoup plus rapides et produire un effet immédiat sur la situation de l’entreprise.
Il est vrai que l’exigence de discrétion peut susciter certaines frustrations. Toutefois, les procédures en question n’emportent pas de mesures sociales spécifiques et se concentrent exclusivement sur la restructuration bilancielle. C’est précisément la raison pour laquelle le maintien de la confidentialité demeure une condition essentielle à l’efficacité de ces dispositifs.
M. le rapporteur. J’aimerais aborder deux points supplémentaires au sujet de l’emploi. Premièrement, dans quelle mesure les engagements en matière de maintien de l’emploi constituent-ils un critère déterminant dans le choix du repreneur ? Deuxièmement, que pensez-vous du rachat d’entreprises en difficulté par des fonds d’investissement ?
Mme Hélène Bourbouloux. Il me paraît essentiel de revenir sur la question des engagements en matière de maintien de l’emploi. Bien que ces engagements ne soient pas expressément prévus par la loi, une pratique solidement établie s’est développée à l’échelle nationale. Dès l’élaboration du cahier des charges destiné aux candidats à la reprise, nous demandons systématiquement que ces derniers s’engagent à ne procéder à aucun licenciement pour motif économique pendant une période minimale de vingt-quatre mois. Toute dérogation à cet engagement requiert une autorisation préalable du tribunal, accompagnée d’une justification circonstanciée.
Il convient toutefois de souligner que nous ne disposons d’aucune base légale permettant d’imposer de telles obligations à la nouvelle entité. Une fois la cession réalisée et le prix versé, l’entreprise reprise est en effet considérée comme juridiquement autonome, ce qui limite considérablement notre pouvoir d’intervention. Néanmoins, cet engagement initial représente pour les salariés une forme de garantie puisqu’il leur ouvre la possibilité, en cas de manquement du repreneur, de faire valoir individuellement leurs droits et d’obtenir réparation du préjudice subi. Cette pratique concerne exclusivement les plans de cession.
Dans le cadre des plans de redressement, à l’occasion desquels l’entreprise conserve son autonomie juridique et opérationnelle, la dynamique est différente. L’État peut, en contrepartie d’un soutien financier ou d’avantages spécifiques, négocier directement des engagements de maintien de l’emploi. La difficulté réside cependant dans la détermination des sanctions applicables en cas de non-respect des engagements pris.
De manière quelque peu paradoxale, cette problématique s’avère moins prégnante dans les entreprises en difficulté que dans les autres. Cette différence s’explique par le haut degré de transparence qu’imposent les procédures collectives. Les audiences du tribunal se tiennent en présence du ministère public, des représentants du personnel, des repreneurs potentiels, de l’entreprise et des créanciers. Une telle visibilité rend pratiquement impossible toute manœuvre « à bas bruit », en particulier sur les questions sensibles telles que l’emploi.
Les représentants du personnel, pour leur part, se montrent particulièrement attentifs à ces enjeux. Notre expérience confirme que, lorsqu’un candidat à la reprise propose de préserver 70 % des effectifs, tout en apportant les garanties financières nécessaires et en présentant un projet crédible, il sera en général préféré à un concurrent promettant de maintenir l’intégralité des emplois sans disposer des moyens requis. La crédibilité du plan et sa viabilité à long terme constituent donc les véritables fondements du maintien durable de l’emploi.
À l’avenir, l’implication croissante de l’État en tant que créancier dans les décisions liées aux plans de redressement pourrait favoriser l’introduction de clauses de retour à meilleure fortune, qui pourraient être articulées autour des engagements en matière d’emploi.
On distingue trois grandes catégories de repreneurs.
Le repreneur industriel constitue, à nos yeux, le candidat idéal. Lorsqu’il s’agit d’un concurrent direct, son avantage réside dans sa capacité à s’accommoder d’un niveau d’information limité. Comme je l’ai évoqué précédemment, c’est celui qui connaît déjà l’environnement de l’entreprise, ses produits, son positionnement sur le marché et qui peut, dès lors, prendre une décision rapidement, avec peu d’éléments formels. De nombreuses annonces de cession sont publiées, le délai de dépôt des offres étant fixé à quinze jours ou trois semaines. Cette brièveté suscite souvent la suspicion, beaucoup s’imaginant qu’un repreneur a déjà été identifié. En réalité, ces délais sont strictement encadrés et contraints. Dès le lendemain de la décision d’ouverture de la procédure, nous devons fixer un calendrier qui tienne compte d’une multitude de paramètres tels que les délais de convocation des cocontractants, les délais laissés pour l’amélioration des offres ou les délais nécessaires à la décision du tribunal. Lorsqu’une entreprise ne dispose que de deux mois de trésorerie, il devient indispensable de fixer une date limite de dépôt des offres à très court terme, pour permettre les consultations obligatoires du CSE ainsi que, le cas échéant, l’établissement d’un PSE. La temporalité est donc extrêmement resserrée et la qualité de l’information disponible est souvent faible. Les comptes ne sont pas systématiquement à jour, les documents ne sont pas consolidés et, dans le cas des plus petites structures, les éléments comptables sont parfois lacunaires.
La deuxième catégorie regroupe les fonds d’investissement volontaires. Il est intéressant de noter, bien que cela puisse paraître contre-intuitif, que les reprises effectuées par des fonds d’investissement s’avèrent généralement plus favorables à la préservation de l’emploi que celles effectuées par des concurrents industriels. En effet, ces derniers disposent déjà de leurs propres structures administratives, comptables et managériales, ce qui les conduit à rationaliser immédiatement leur organisation. À court terme, cette stratégie, bien qu’efficace, s’effectue au détriment du nombre d’emplois repris. Cela ne signifie pas, bien entendu, que les recrutements ne reprendront pas ensuite, parfois de manière significative. Pour apprécier correctement l’impact réel d’une reprise sur l’emploi, il conviendrait d’observer les effets à un horizon de deux ans.
À l’inverse, les fonds d’investissement ne sont pas dotés, pour la plupart, de structures centralisées ou de services mutualisés et ne cherchent donc pas à créer immédiatement des synergies d’organisation. Ils maintiennent en général un plus grand nombre d’emplois lors de la reprise initiale. Par ailleurs, ils disposent souvent de ressources mobilisables rapidement. Il n’est pas rare que ces fonds s’associent aux créanciers dans une logique de restructuration capitalistique.
La troisième catégorie est composée des « repreneurs malgré eux ». Dans les grands dossiers, les créanciers, lorsqu’ils constatent l’impossibilité d’être remboursés dans les conditions prévues initialement, acceptent de convertir leur créance en titres de capital. Il s’agit, en réalité, d’une forme de détention économique. Ces créanciers ne souhaitent pas nécessairement devenir propriétaires mais se résolvent à accepter une transformation de leur créance en participation.
Lorsque l’entreprise est cotée, cette transformation offre une liquidité immédiate. Lorsqu’elle ne l’est pas, les créanciers conservent une position de contrôle en attendant une amélioration de la situation. Il n’est pas rare qu’ils consentent à abandonner une part substantielle de leur créance pour entrer au capital.
Le dossier Vallourec en est une illustration emblématique. Le fonds Apollo a pris le contrôle de l’entreprise en rachetant de la dette. Celle-ci a été convertie et le fonds a obtenu la majorité du capital. Par la suite, il a restructuré l’entreprise, redressé sa trajectoire puis procédé à une revente. Je ne me prononcerai pas sur les choix stratégiques ultérieurs, mais le mécanisme d’acquisition, fondé sur la détention de dette convertie, reflète bien l’évolution en cours. Le poids des créanciers dans les dispositifs actuels est croissant, y compris dans le choix du repreneur final.
Ainsi, il est probable que la capacité des salariés à influer sur le choix du repreneur s’amenuise dans le futur. En effet, les créanciers, désormais appelés à se prononcer sur le traitement de leur créance dans le cadre des plans, exerceront une influence déterminante sur la solution retenue. Leurs intérêts sont néanmoins fréquemment alignés sur ceux des salariés. Tous ont la volonté de garantir la pérennité de l’entreprise, mais il y a tout de même là un point de vigilance.
M. Xavier Bailly. La qualité du projet présenté et de son financement est essentielle, au-delà de la qualité du repreneur.
J’ai mentionné le prix Ulysse, qui s’est révélé être un événement particulièrement marquant. J’ai identifié, sans prétendre à l’exhaustivité, cinq lauréats qui ont soit fait l’objet d’une reprise par un investisseur professionnel, soit bénéficié d’un nouvel apport en capital de la part d’un actionnaire déjà impliqué dans l’entreprise.
Parmi les exemples les plus significatifs figurent Jardiland, qui avait déjà été repris par un fonds d’investissement, mais également Vertbaudet, Carbone Savoie ou Arcole. Je peux également citer Pierre et Vacances, un dossier de grande envergure qui figurait parmi les finalistes de cette année.
Je perçois dans vos propos une interrogation sur le rôle des fonds d’investissement qui interviennent en qualité de repreneurs, notamment dans le cadre d’opérations à prix négatif. Il est indispensable, dans ce type de situation, de faire preuve de vigilance quant à la solidité du projet présenté. Je recommande vivement le recours aux procédures de conciliation, car elles offrent un cadre permettant à des professionnels tels que les conciliateurs et les tribunaux de commerce d’évaluer en amont la qualité du plan de reprise et de son financement. Cette approche vise à éviter les écueils qui surviennent parfois dans certains dossiers, lorsque des repreneurs n’ont pas respecté les engagements qu’ils avaient pris.
Toutefois, nous évoluons dans un environnement dans lequel les professionnels du traitement des entreprises en difficulté sont fréquemment tenus à l’écart. Certaines transactions s’effectuent entièrement de gré à gré, en dehors de tout cadre structuré.
M. le rapporteur. J’ai évoqué la question des fonds d’investissement à partir d’un cas qui m’a été signalé par d’anciens salariés de l’entreprise Lapeyre. Lors de certaines auditions, nous avons discuté du fonds allemand Mutares, dont les méthodes suscitent de vives inquiétudes depuis de nombreuses années. Ce fonds est régulièrement critiqué pour ses pratiques destructrices d’emplois, menées sous couvert de restructuration. Ces agissements, à en croire les analyses relayées par la presse, semblent obéir à une logique de profit immédiat, au détriment de toute stratégie de redressement à long terme.
Le recours systématique à des prestations de conseil internes est l’un des reproches les plus fréquemment adressés au fonds. Selon les représentants syndicaux de Lapeyre, l’entreprise disposait pourtant d’un potentiel de relance réel, à condition de bénéficier des investissements nécessaires à sa restructuration. Au lieu de cela, Mutares aurait privilégié une politique de réduction des coûts, accompagnée d’une suppression de 10 % des effectifs, ce qui a pu compromettre durablement les perspectives de redressement de la société.
Existait-il d’autres solutions viables de reprise de Lapeyre ? Comment est-il possible que des fonds d’investissement dont la réputation est loin d’être bonne parviennent à s’imposer face à d’autres repreneurs potentiels, au demeurant plus vertueux ?
Il me semble qu’il serait utile d’envisager la mise en place de garde-fous destinés à éviter que de telles situations ne se reproduisent, en particulier lorsque les enjeux sociaux et industriels sont aussi considérables.
Mme Hélène Bourbouloux. Le caractère public de cette audition m’oblige à taire certaines informations, même si je souhaiterais vous en faire part.
Dans le cadre d’une procédure de conciliation en mandat ad hoc, nous intervenons dans un environnement in bonis. Le conciliateur mandaté n’exerce que les pouvoirs que lui confère le président du tribunal. La décision de céder l’entreprise appartient exclusivement à l’actionnaire. Nous pouvons produire un rapport sur une situation donnée, dans lequel nous exprimons un avis, mais, en définitive, le tribunal intervient uniquement pour homologuer l’accord dès lors que trois conditions sont remplies. Il lui revient de s’assurer que l’accord contribue à garantir la pérennité de l’entreprise, que celle-ci n’est pas en état de cessation des paiements au moment de la conclusion de l’accord et que le contenu de ce dernier ne porte pas atteinte aux droits de tiers non-signataires. Lorsque ces trois conditions sont remplies, l’homologation s’impose au tribunal.
Ce cadre diffère fondamentalement de celui des procédures collectives. Lorsqu’il s’agit de statuer sur plusieurs offres de reprise, le tribunal exerce un pouvoir de sélection, après avoir recueilli l’avis de diverses parties, notamment celui du CSE.
Dans le cadre d’une conciliation, en revanche, le tribunal ne se prononce que sur une seule solution. Si elle satisfait aux conditions prévues, il lui appartient de l’homologuer.
En amont, le conciliateur est associé à la stratégie de cession. Le diagnostic, dans ce type de contexte, est souvent assez simple : l’actionnaire finance tant qu’il le souhaite et cesse de le faire lorsqu’il ne souhaite plus assumer ce rôle. Nous disposons d’exemples de réussite sur lesquels je veux m’attarder un peu. Le dossier La Redoute est emblématique à cet égard. À l’époque, les actionnaires nourrissaient certaines craintes sur la manière dont serait perçue l’idée consistant à confier l’entreprise à ses managers. Dans ce dossier, c’est le cédant qui a apporté 500 millions d’euros. Il souhaitait que cette somme soit affectée à la mise en œuvre du plan de développement et ne vienne pas enrichir un repreneur qui pourrait se désengager rapidement en cas d’échec. La difficulté résidait dans le fait que l’actionnaire ne financerait plus la société. Il devenait donc urgent de trouver un nouvel actionnaire, dans les conditions les plus favorables à l’ensemble des parties prenantes : salariés, clients, fournisseurs, créanciers et actionnaire. Or plus les difficultés s’aggravent, plus les intérêts tendent à diverger, mais l’intérêt des salariés demeure toujours prioritaire.
Mon intervention dans ce dossier a été très précoce. Elle a porté notamment sur le choix de la banque d’affaires et sur l’analyse du contenu de la base de données. L’actionnaire m’a, de sa propre initiative, donné accès aux différentes offres. Nous avons alors constaté que les offres disponibles n’étaient pas satisfaisantes et que les acteurs les plus investis étaient les managers. Tout ceci s’inscrivait dans un climat social tendu, marqué par la présence de plusieurs groupes de salariés aux positions divergentes. Malgré cette complexité, la situation a pu évoluer favorablement et l’accord a finalement été homologué par le tribunal.
En tant que conciliateurs, nous sommes parfois confrontés à des désaccords profonds entre les parties prenantes. Il nous revient alors d’en faire rapport au président du tribunal. Tant qu’aucun échec formel n’est constaté, ce rapport demeure strictement confidentiel. Notre mission consiste à favoriser la qualité de la négociation, même dans des contextes difficiles. Si nous jugeons que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre notre mission, nous avons la possibilité d’y mettre un terme, une décision également soumise à la confidentialité.
Il est important de rappeler que, dans une procédure de conciliation, le choix du candidat à la reprise appartient à l’actionnaire. Cette réalité peut engendrer une forme de frustration, que nous nous efforçons d’expliquer aux salariés. Bien que la solution retenue ne soit pas toujours la plus favorable en matière d’emploi ou de structuration industrielle, elle est la solution la plus opérationnelle.
Le cadre est très différent dans le cas d’un plan de cession. Nous disposons d’une marge de manœuvre plus importante pour rechercher la meilleure solution, tant pour les salariés que pour l’entreprise elle-même. Si une entreprise dépourvue de dette présente certains avantages objectifs, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun enjeu. Il ne faut pas oublier que les créanciers sont, eux aussi, des acteurs économiques et, pour certains, des employeurs. Notre défi, dans de telles circonstances, consiste à trouver un équilibre entre le sauvetage immédiat de l’emploi au sein de l’entreprise en difficulté et la préservation de l’ensemble de la chaîne économique. Cette attention portée aux effets en cascade a toujours été au cœur de nos préoccupations.
M. le rapporteur. Durant la crise sanitaire, certains fonds, pas toujours recommandables, ont pu acquérir des entreprises employant des centaines, voire des milliers de salariés. Certaines de ces entreprises font aujourd’hui faillite. Estimez-vous que les pouvoirs publics ont failli en se montrant trop complaisants avec les repreneurs, compte tenu de l’urgence et des difficultés du moment ?
Mme Hélène Bourbouloux. Avez-vous des exemples précis en tête ?
M. le rapporteur. Je vous propose de vous transmettre ces éléments par écrit. Je pose tout de même la question en des termes généraux : avez-vous perçu une forme de laisser‑aller de la part des pouvoirs publics durant la crise ou estimez-vous, au contraire, que les règles appliquées étaient assez proches de celles qui étaient en vigueur avant la crise et de celles qui sont en vigueur aujourd’hui ?
M. Xavier Bailly. Cette période fut exceptionnelle. Il y a eu une raréfaction sans précédent du nombre de dossiers. Le contexte était globalement figé.
Les pouvoirs publics se sont fortement mobilisés. Certains dispositifs ont été créés, d’autres ont été renforcés. Les mesures déployées, comme le gel des cotisations sociales, visaient prioritairement à préserver la trésorerie des entreprises. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), quant à elle, demeurait théoriquement exigible. Des aides complémentaires ont été versées tout au long des années 2020 et 2021.
Cette dynamique a eu pour effet d’accentuer la charge de travail de l’ARE. Nous avons été obligés de réapprendre notre métier puisque les schémas classiques étaient rendus obsolètes par l’ampleur et la nouveauté des mesures adoptées.
À mon sens, ces dispositifs se sont révélés efficaces à un double titre. D’une part, ils ont permis de contenir l’afflux de défaillances que nous redoutions dans les premiers jours de la crise. D’autre part, la pertinence des mesures, enrichies par les retours du terrain, a été remarquable. Nous étions consultés chaque semaine par des représentants de la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises, du comité interministériel de restructuration industrielle et même de Bpifrance. Cette dernière avait d’ailleurs mis en place une ligne dédiée pour répondre aux interrogations des entreprises, certaines de ces questions nous étant relayées pour que nous puissions centraliser l’information.
Il me semble difficile, en toute objectivité, de dire que les pouvoirs publics ont fait preuve de légèreté dans le traitement de la crise. Au contraire, leur implication pour soutenir les entreprises a été exemplaire à bien des égards.
M. le rapporteur. Ma question était motivée par une étude de la direction générale des entreprises (DGE) de février 2025, qui explique que la hausse des défaillances d’entreprises en 2024 serait une conséquence différée de la baisse des défaillances pendant la crise sanitaire. La première serait donc le contrecoup de la politique dite du « quoi qu’il en coûte ».
Mme Céline Domenget Morin. En réalité, un amortisseur de grande ampleur a été mis en place pendant la crise sanitaire. Les procédures collectives déclenchées de manière brutale durant cette période ont été relativement peu nombreuses. Les cas les plus notables concernaient le plus souvent des entreprises déjà fragilisées de longue date, connues pour avoir traversé plusieurs crises et pour lesquelles l’accès à un prêt garanti par l’État (PGE) n’était plus envisageable en raison de difficultés structurelles avérées.
Depuis lors, nous avons été confrontés à une succession de crises majeures, la guerre en Ukraine étant venue bouleverser les équilibres existants et provoquer une poussée inflationniste significative. Les taux d’intérêt ont connu une augmentation brutale.
Cette accumulation d’obstacles a conduit certaines entreprises à entrer dans la « zone rouge ». L’endettement est devenu plus lourd à supporter et chaque modification des conditions relatives aux PGE a entraîné une révision des taux d’intérêt applicables. Dans un contexte économique particulièrement contraint, marqué par une instabilité persistante, il devient naturellement difficile pour nombre d’entreprises d’honorer leur dette.
Il faut souligner que la politique du « quoi qu’il en coûte », si elle avait été déployée dans un environnement plus stable, sans la crise ukrainienne ni l’explosion des taux d’intérêt, aurait sans doute produit des effets sensiblement différents. Ce que nous observons aujourd’hui est le résultat d’un enchaînement de chocs successifs qui, dans un contexte économique et géopolitique toujours incertain, provoque un phénomène de rattrapage des défaillances.
M. Xavier Bailly. L’année 2020 a été marquée par la mise en place de mesures d’accompagnement centrées principalement sur les PGE, auxquels sont venues s’ajouter, en 2021, des aides relatives aux coûts fixes. Les prêts garantis par l’État constituent une dette à part entière. Le remboursement devait être effectué sur quatre ans, après une puis deux années de franchise. Le montant des prêts pouvait atteindre 25 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Une telle structuration implique, toutes choses égales par ailleurs, qu’une entreprise ayant souscrit au plafond maximal dégage une marge supplémentaire équivalente à 5 % de son chiffre d’affaires pour être en mesure de faire face à ses obligations de remboursement.
L’année 2021 a continué de porter les stigmates de la crise sanitaire. La consommation est restée faible et les restrictions ont été prolongées jusqu’à la fin de l’année. Le premier semestre de l’année 2022 a connu une reprise significative de la consommation, avant l’apparition des premières tensions inflationnistes. Cette période a engendré une dynamique favorable, perçue comme une bulle de performance, qui a suscité un regain d’optimisme et repoussé dans le temps certaines défaillances. De nombreuses entreprises de biens et de services ont profité de l’amélioration de leurs résultats opérationnels, soutenue également par la réouverture progressive des échanges internationaux. Jusqu’en 2021, la situation était en effet caractérisée par la faiblesse de la demande et de l’offre, cette dernière étant fortement contrainte par la désorganisation des chaînes logistiques mondiales.
Ce n’est qu’à la fin de l’année 2022, puis au début de l’année 2023, que les échanges internationaux ont véritablement repris, au moment de l’apparition d’une inflation d’une ampleur inédite depuis plus de quinze ans. Cette hausse généralisée des coûts a mécaniquement contracté les marges des entreprises, réduisant leur capacité à dégager les 5 % de rentabilité supplémentaires requis pour rembourser les PGE.
Des ajustements ont été apportés afin d’allonger la durée des remboursements, mais cette période a également coïncidé avec une hausse marquée des taux d’intérêt. Ainsi, un prêt initialement consenti à un taux inférieur à 1 % doit être remboursé à un taux compris entre 3,5 % et 4 % après renégociation, ce qui alourdit considérablement la charge financière des entreprises.
La crise ukrainienne, amorcée en février 2023, a renforcé les tensions existantes dans les secteurs industriels et énergétiques, contribuant à l’accumulation des contraintes sur la demande, en raison de l’inflation persistante, ainsi que sur l’offre et la rentabilité des structures.
À titre d’exemple, une étude effectuée dans la distribution textile a mis en évidence que, pour préserver la rentabilité nette face à l’augmentation des coûts de production, de main‑d’œuvre, de transport et de loyer, il devenait nécessaire d’augmenter les prix de vente de 13 %, sans même tenir compte de la charge représentée par les PGE. Si ces hausses tarifaires ont pu être absorbées, dans une certaine mesure, à la fin de l’année 2022 et au début de l’année 2023, elles sont devenues bien plus difficiles à maintenir à partir de l’été 2023.
Il n’est pas facile de savoir si l’augmentation actuelle du nombre de défaillances doit être interprétée comme un effet différé de la politique conduite pendant la crise sanitaire. Bien que la pandémie ait indéniablement agi comme le déclencheur d’une série d’événements graves pour les entreprises, il serait réducteur d’établir un lien de causalité direct entre les 20 000 défaillances enregistrées en 2020 et 2021 et les 66 000 défaillances actuelles. La réalité s’avère, en vérité, bien plus nuancée.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Je souhaite avant tout exprimer ma profonde gratitude pour l’engagement dont vous faites preuve au quotidien. Avant d’être députée, j’exerçais en tant qu’avocate et je peux témoigner de l’importance que revêt votre action pour la survie des entreprises.
Monsieur le président Desprat, vous avez indiqué que les données issues des procédures de redressement et de liquidation judiciaires sont collectées par votre observatoire tous les huit jours. Vous avez également précisé que le nombre moyen de procédures collectives s’établit autour de 50 000 par an, même si ce nombre atteint actuellement 65 000.
Pouvez-vous nous indiquer les raisons pour lesquelles certaines entreprises s’orientent aujourd’hui vers les procédures collectives plutôt que vers les procédures de conciliation ? Existe‑t‑il, selon vous, des indicateurs particulièrement significatifs qui démontreraient qu’il y a une rupture par rapport aux périodes antérieures ?
J’aimerais également revenir sur vos propos selon lesquels le contentieux général vous permettrait de détecter des signes avant-coureurs de difficultés. Je souhaiterais que vous puissiez nous éclairer davantage sur ce point, car j’avoue que je ne saisis pas bien le lien.
Plus globalement, votre observatoire, qui centralise les données relatives à l’ensemble des entreprises en difficulté, est-il en mesure de produire des statistiques détaillées sur les causes premières de ces difficultés ? Avez-vous déjà entrepris une telle analyse ? Cette démarche me paraît particulièrement importante, car chacun d’entre nous sait qu’une entreprise en situation critique est une menace pour les personnes qu’elle emploie. Bien que la gestion de l’emploi ne relève pas directement de votre compétence, il me semble que vous êtes en mesure de nous apporter un éclairage précieux sur les facteurs qui, aujourd’hui, fragilisent les entreprises.
M. François-Charles Desprat. Notre observatoire constitue un outil d’analyse statistique et les statistiques s’expriment, par définition, à travers des chiffres. Ces chiffres peuvent naturellement donner lieu à des interprétations diverses, mais ils permettent néanmoins de discerner certaines tendances. C’est précisément l’objectif que poursuivent les universitaires associés à nos travaux. Ils se sont attachés à identifier les raisons de l’augmentation significative des défaillances constatée depuis la fin de l’année 2022. Cette période marque un tournant, puisque c’est à ce moment-là que la courbe, après avoir connu une baisse prolongée, a commencé à remonter.
Pour répondre de manière plus détaillée à votre question, il serait sans doute nécessaire de conduire des études plus approfondies, centrées sur des cas particuliers. Quelques analyses ont déjà été effectuées. Nous nous accordons à dire que les déterminants macroéconomiques tels que l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont été largement identifiés. Au-delà de ces facteurs exogènes, d’autres éléments relèvent des dynamiques propres à chaque entreprise. Il peut s’agir d’erreurs d’investissement, de mauvais choix stratégiques, de difficultés internes ou de failles dans la gouvernance et la gestion. Chaque situation étant singulière, toute tentative de généralisation s’avère délicate.
En tant que professionnels intervenant directement auprès des entreprises en difficulté, nous savons d’expérience que chaque dossier appelle un traitement individualisé.
M. Michel Peslier. Vous avez compris que la première cause de défaillance des entreprises réside dans la défaillance du compte client. C’est précisément ce constat qui éclaire la remarque que j’ai formulée précédemment, à propos du contentieux général envisagé comme un indicateur précoce des difficultés rencontrées par les entreprises. Il y a des indices très concrets : assignations, injonctions de payer, inscriptions de privilèges au bénéfice du Trésor, nantissements éventuellement pris sur les fonds de commerce, etc. À cela s’ajoutent d’autres signaux tout aussi révélateurs, qui résultent de décisions prises par le président du tribunal. Je pense ici aux mesures conservatoires, qu’il s’agisse de saisies conservatoires ou d’hypothèques judiciaires provisoires. Ces indices sont autant de signes irréfutables d’une fragilité imminente.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à vingt heures cinq.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Sophie-Laurence Roy
Excusé. – M. Éric Michoux