Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France, et Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema 2
– Présences en réunion................................11
Mercredi
30 avril 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 22
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France, et Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons à présent M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France, et Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema.
Comme je l’ai fait au début de l’audition précédente, je souhaite exposer la situation en quelques mots.
Depuis l’automne dernier, la société Vencorex, fournisseur de sel dans le bassin grenoblois, est engagée dans une procédure de redressement judiciaire. Il y a quelques jours, toutefois, le tribunal de commerce de Lyon a autorisé la reprise de l’activité de l’usine du Pont‑de‑Claix par l’entreprise chinoise Wanhua.
La reprise de l’activité, très partielle, devrait se traduire par la suppression de 400 emplois environ.
Au début de l’année 2025, la société Arkema, quant à elle, a annoncé la réorganisation des activités sur le site de Jarrie en raison de l’arrêt de son approvisionnement en sel par Vencorex. Concrètement, l’arrêt des activités de production de chlore, de soude, de chlorure de méthyle et de fluides techniques devrait conduire à la suppression de 150 postes.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Thierry Parmentier et Mme Virginie Guérin prêtent serment.)
M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France. Je vous remercie pour cette invitation. Je précise que nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer devant la représentation nationale, il y a quelques semaines, sur le projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Née il y a vingt ans, la société Arkema est l’un des leaders mondiaux de la chimie de spécialité. Elle compte plus de 21 000 collaborateurs dans le monde, plus de 150 usines et est présente dans 55 pays. Notre stratégie a permis de conserver une empreinte industrielle et sociale forte en France, grâce à un recentrage sur trois grandes compétences, à plus forte valeur ajoutée, autour de la science des matériaux, qui représente 92 % de notre chiffre d’affaires.
Par ailleurs, nous ne sommes pas dépendants d’un seul marché et avons diversifié nos activités : construction, énergie traditionnelle et renouvelable, automobile, y compris le véhicule électrique, électronique, sport, emballage, médical. Notre diversification géographique nous protège. Nous sommes présents dans les trois grandes zones du monde : les Amériques, l’Europe et l’Asie. Nous produisons généralement localement pour les différents marchés. Du reste, l’innovation constitue notre ADN : nous y consacrons 3 % de notre chiffre d’affaires, disposons de 16 centres de recherche et développement (R&D) dans le monde et employons 1 800 chercheurs. Nous avons déposé 245 brevets en 2024, dont 90 % liés au développement durable. Nous investissons beaucoup, par exemple, dans les matériaux biosourcés. Nous sommes les seuls au monde à produire le polyamide 11, à base d’huile de ricin.
Arkema est un groupe solide, qui arrive à tirer son épingle du jeu malgré une conjoncture globalement difficile pour la chimie et un environnement international turbulent. Nous avons toujours soutenu, dans la mesure de nos possibilités, nos implantations françaises et préservé nos effectifs, en légère hausse au cours des dix dernières années. Le groupe ne réalise que 7 % de son chiffre d’affaires en France mais il y compte encore 35 % de ses effectifs, soit 7 100 salariés, et l’essentiel des organes de direction. La France compte pour 55 % de ses dépenses de R&D. 26 usines y sont implantées, qui concentrent 35 % de ses investissements industriels mondiaux, ce qui représente 3 milliards d’euros sur les quinze dernières années. Tout ceci fait d’Arkema un pilier industriel national et un fort contributeur à la balance commerciale française, puisque 75 % de la production est exportée.
Le projet de PSE sur le site de Jarrie n’était pas planifié, même si la situation financière dudit site est fragile depuis plusieurs années. Il s’est imposé à nous du fait de l’arrêt brutal de l’approvisionnement en sel par Vencorex, ce qui a mis fin à une collaboration de près de soixante ans. Notre usine n’est pas située sur la plateforme de Pont-de-Claix et représente seulement 3 % du chiffre d’affaires de Vencorex. Elle en était, en revanche, dépendante pour le sel. Le contrat courait jusqu’en 2027.
Sans sel, le site de Jarrie ne pouvait plus produire et devait fermer. Nous n’avions plus de sel depuis le 23 octobre 2024 et disposions d’un peu plus d’un mois de stock. L’arrêt de l’approvisionnement a été brutal et l’actionnaire de Vencorex, le groupe thaïlandais PTT Global Chemical (PTTGC), a refusé de nous accorder une période de transition pour repenser le schéma industriel du site. Nous regrettons cette situation, avant tout pour les salariés et leurs familles.
Les équipes ont travaillé avec acharnement et dans un délai très court pour trouver une solution technique d’approvisionnement en sel pérenne. Nous faisions face à une contrainte de taille : le sel de Vencorex est particulier et présente une qualité qui doit répondre au cahier des charges de certaines applications stratégiques. L’enjeu de souveraineté n’était pas entre les mains de Vencorex, mais entre celles d’Arkema, qui alimente ArianeGroup en perchlorate et Framatome en chlore. Nous avons réussi à établir un schéma industriel moyennant l’utilisation immédiate d’un autre sel, mais celui-ci n’était pas compatible avec l’ensemble de nos activités. Cela a conduit à l’établissement du PSE.
Nous avons annoncé que 154 postes seraient supprimés mais ce nombre devrait être réduit du fait de la reprise potentielle de 50 personnes par la société Framatome et du déploiement d’un ensemble d’actions en faveur de la réinternalisation d’activités. Nous ferons ce qu’il faut pour accompagner les salariés par le biais de mesures de reclassement interne sur d’autres sites du groupe, en France, mais également de reclassement externe. La solution était tout sauf évidente. Les équipes sont mobilisées sur le dossier depuis le 3 mai 2024, date de la première réunion au ministère de l’économie et des finances. Depuis, près d’une cinquantaine de réunions ont été organisées par les services de l’État, que ce soit par la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de l’armement (DGA) ou la préfecture de l’Isère, pour travailler sur différents scénarios. Nous avons répondu aux sollicitations de nos interlocuteurs et avons expliqué les schémas industriels et les interactions entre les différents acteurs. Vous comprenez que la situation sur le site de Jarrie est particulière, car elle a été provoquée par la défaillance d’un fournisseur. Le schéma en cours de finalisation permettra de donner un avenir à la majorité des activités du site, ce qui n’était pas acquis.
Je souhaite terminer mon propos en évoquant la situation de l’industrie chimique. Selon France Chimie, 47 sites industriels sont menacés en France, ce qui représente 15 000 à 20 000 emplois. Par ailleurs, 200 à 350 sites industriels sont menacés en Europe, ce qui représente 150 000 à 200 000 emplois. Or la chimie et la mère de toutes les industries : sans elle, la transition énergétique est impossible. L’industrie est prise en étau entre une demande particulièrement faible en Europe, un déficit de compétitivité du côté des usines et une concurrence chinoise croissante.
L’industrie française alerte depuis des années sur l’importance des efforts à faire en faveur de l’amélioration de la compétitivité. En France, un site chimique classé Seveso niveau haut, ce qui est le cas de l’essentiel de nos usines et en particulier de celle de Jarrie, est soumis à une très lourde réglementation. En vingt ans, le coût de mise en œuvre de la réglementation en Europe est passé de 4 % à 12 % de la valeur ajoutée. La France va souvent plus loin que ses voisins dans la transposition des textes européens. Ainsi, 75 % des investissements sur les sites chimiques en France sont consacrés à des opérations de mise en conformité réglementaire et de maintenance.
Simultanément, la Chine, qui considère, comme de nombreux pays, que l’industrie chimique est absolument stratégique, investit massivement dans le secteur en octroyant d’importantes subventions : 100 milliards d’euros par an sur les cinq dernières années, contre 25 milliards d’euros par an aux États-Unis et en Europe. Cela représente 300 millions de tonnes de capacités supplémentaires contre 40 millions de tonnes pour les États-Unis et seulement 5 millions de tonnes pour l’Europe.
Un grand nombre d’usines françaises ne peut pas rivaliser compte tenu du prix de l’énergie et du niveau des charges sociales. Le gaz, qui constitue deux tiers de notre consommation énergétique, est quatre fois moins cher aux États-Unis. Le prix de l’électricité augmentera avec la fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), en 2026. La pression fiscale est anormalement élevée : le poids des cotisations patronales et des impôts de production nets des subventions d’exploitation atteint 18 % de la valeur ajoutée, contre 11 % en moyenne en Europe. En conséquence, l’amont de la chaîne de valeur de la chimie souffre, ce qui entraîne un certain nombre de fermetures d’usines. Pour un chimiste de spécialité comme Arkema, il est important d’avoir une chimie de base forte. Si Arkema est un groupe très solide au niveau mondial, plusieurs de ses sites français sont fragiles.
Nous vivons un moment d’urgence. Il faut que l’énergie soit accessible. Les discussions entamées depuis deux ans avec l’État et EDF n’avancent pas ou avancent trop peu. Il faut aussi maintenir la compensation indirecte carbone, sous peine de précipiter la fermeture des sites les plus énergivores. Au demeurant, la recherche doit rester compétitive. Je rappelle que 55 % des dépenses de R&D d’Arkema sont effectuées en France. Or les modifications apportées par la dernière loi de finances sont regrettables car elles risquent de conduire au départ de chercheurs à l’étranger. Les brevets seront les premiers touchés, alors qu’ils sont indispensables à notre effort d’innovation.
Par ailleurs, la France et l’Europe doivent pouvoir jouer à armes égales avec leurs principaux concurrents au plan réglementaire. La Commission européenne promet une pause réglementaire. Mais je suis sceptique quand je pense au « paquet omnibus », à la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises ou à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. De même, la simplification annoncée du règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques (REACH) produit pour le moment des effets inverses.
Enfin, l’État et la Commission européenne doivent mieux protéger la production en accélérant les procédures antidumping en Europe. Leur mise en place prend aujourd’hui quinze à dix-huit mois, contre seulement quatre mois aux États-Unis.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous préconisons l’établissement d’un plan d’urgence pour la chimie, avant l’été.
M. le président Denis Masséglia. Je vous remercie pour ces propos liminaires. Vous avez évoqué les difficultés auxquelles la filière est confrontée. Vous avez notamment mentionné le poids des impôts de production, mais il me semble que ce poids diminue depuis quelques années. Par ailleurs, vous n’avez pas fait état des efforts déployés par les gouvernements successifs depuis 2017 pour essayer d’accompagner l’industrie et de protéger sa compétitivité.
Mes questions s’inscriront dans le prolongement de nos échanges avec les syndicats. À quel prix achetiez-vous la tonne de sel produite par Vencorex ?
Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema. Nous l’achetions au prix de 50 euros la tonne.
M. le président Denis Masséglia. Il nous a été indiqué que le prix d’achat serait désormais de 150 euros à 160 euros la tonne pour un produit en provenance de Pologne. Le confirmez-vous ?
Mme Virginie Guérin. Oui, nous le confirmons. Le sel est fabriqué en Allemagne par une entreprise polonaise. Le prix de départ est de 50 euros la tonne mais il faut y ajouter les frais de logistique qui, in fine, font tripler le prix.
M. le président Denis Masséglia. La société Arkema n’aurait-elle pas pu accompagner la reprise de Vencorex pour assurer une production locale et à moindre coût ? Pourquoi n’avez-vous pas déployé une stratégie industrielle consistant dans la maîtrise de vos approvisionnements ?
M. Thierry Parmentier. Comme je l’ai indiqué précédemment, nous travaillons depuis soixante ans avec Vencorex. En 2024, nous avons conduit des négociations en vue de pérenniser, après 2027, le contrat qui nous liait. Je rappelle que nous ne représentons que 3 % du chiffre d’affaires de Vencorex.
M. le président Denis Masséglia. Quelle part de la production de sel de Vencorex achetez-vous ?
Mme Virginie Guérin. Dans le contrat, il est spécifié que nous devons acheter environ 45 % de la production de sel de Vencorex.
M. le président Denis Masséglia. Pourquoi n’avez-vous pas repris uniquement l’entité de production des matières premières dont vous avez besoin, pour pérenniser l’emploi sur le site de Jarrie ?
M. Thierry Parmentier. Économiquement, cela n’avait pas de sens de racheter l’ensemble de la plateforme. Il est impossible de procéder au compartimentage que vous évoquez.
Il faut bien comprendre le déroulement des événements. Depuis le 23 octobre dernier, nous n’avons plus de sel, ce qui nous empêche de fabriquer du chlore pour nos clients. Il nous a fallu trouver une solution rapidement, qui ne pouvait pas résider dans la reprise d’une partie de l’activité de Vencorex. Il nous fallait trouver du sel, faute de quoi l’activité de l’usine se serait complètement arrêtée. Nos équipes ont travaillé dans des délais extrêmement resserrés pour « requalifier » le sel. Vencorex nous fournissait 140 kilotonnes de sel par an. Nous avons trouvé 40 kilotonnes, ce qui permet notamment de satisfaire ArianeGroup. Mais ce sel n’est pas compatible avec les procédés utilisés sur la partie sud du site. Nous avons réussi à sauver la moitié de notre usine. En octobre, nous n’avions plus qu’un mois de stock.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez dû trouver une solution en l’absence de stocks suffisants. Je le comprends. Cependant, lorsque l’on travaille dans l’aéronautique ou la défense, il est nécessaire de disposer de solutions de rechange, en cas de problème d’approvisionnement.
Vous expliquez que vous ne pouvez pas reprendre uniquement l’activité de Vencorex qui intéresse Arkema. Avez-vous toutefois étudié cette possibilité d’un point de vue technique ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous faire parvenir les documents ?
M. Thierry Parmentier. Je le peux. Toutes les solutions ont été examinées par les équipes en fonction des paramètres économiques, qui ne sont peut-être pas pris en compte de la même façon par les partenaires sociaux. Dans le délai imparti, la seule solution consistait à « qualifier » un sel pour une seule partie de l’usine et à redémarrer la production le plus vite possible. Les clients ne pouvaient pas attendre. Ceux qui achetaient du chlore sont tous partis. Et nous avons également perdu des clients dont les approvisionnements dépendaient de l’activité de la partie nord du site.
Il a fallu trouver des solutions rapidement. Nous avons continué à payer nos salariés alors que l’usine ne produisait plus. Nous n’avons rien demandé à l’État et avons tout pris en charge. Nous avons accompli notre travail correctement. Laissez-nous rester maîtres de nos choix technologiques. Nous n’avons pas pu agir autrement.
M. le président Denis Masséglia. Pouvez-vous nous transmettre ces documents à titre confidentiel ? Je rappelle à mes collègues qu’ils ne pourront pas les diffuser.
M. Thierry Parmentier. Bien sûr. Nous reviendrons vers vous la semaine prochaine.
Mme Virginie Guérin. Nous avons été appelés un peu plus tardivement que les autres acteurs à la table des négociations, à Bercy, le 3 mai. Nous avons commencé les négociations avant le placement de Vencorex en redressement judiciaire. Il nous a été demandé de faire un effort sur le prix du sel, ce que nous avons fait. Mais cela a eu peu d’impact sur la situation financière de Vencorex, puisque nous ne représentons que 3 % de son chiffre d’affaires.
Après le placement en redressement judiciaire, nous avons étudié plusieurs scénarios, parmi lesquels celui de la reprise des activités de Vencorex, notamment de la mine de sel de Chloralp. Nos équipes techniques ont découvert que de nombreux investissements étaient nécessaires sur le saumoduc qui relie la mine à l’usine. Surtout, l’actif purification‑cristallisation de Vencorex est dimensionné pour l’activité actuelle de l’entreprise. Une division des volumes de production rendrait celle-ci encore moins rentable qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Au regard du montant astronomique des investissements à consentir, ce scénario a été abandonné. Nous avons alors étudié d’autres pistes, évoquées avec les organisations syndicales, parmi lesquelles celle d’une reprise de la mine et, potentiellement, de la réalisation d’un investissement en purification, qui aurait pris trois ans. La société PTTGC n’a pas consenti à nous laisser ce temps de transition. Que pouvions-nous donc faire ? Nous n’avions plus de sel pour alimenter l’usine. Il nous a fallu trouver une solution n’impliquant pas la purification du sel. Nous l’avons trouvée avec le sel de la société Qemetica, produit en Allemagne, qui nous a permis de sauver une bonne partie de l’usine.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Nous connaissons le discours sur la pression fiscale dans notre pays et les difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées. Mais la société Arkema est tout de même installée sur un territoire au sein duquel les habitants consentent à vivre à côté d’activités qui présentent des risques. Elle est installée sur un territoire dans lequel les collectivités publiques ont investi de l’argent, notamment pour permettre l’achat d’électrolyseurs. Quelle somme avez-vous reçu pour cet achat ? Que vont devenir ces appareils ?
Par ailleurs, les aides publiques pèsent très lourd dans les dépenses de la Nation, à tel point que la Cour des comptes en ignore le montant précis. Quel est le montant des aides que vous avez reçues ces dernières années, de manière directe ou indirecte ? Quelle somme avez‑vous perçu, notamment, au titre du crédit d’impôt recherche (CIR) ?
La société Arkema n’est-elle pas liée à la puissance publique par une sorte de contrat moral ? Vous évoquez le poids de la fiscalité, mais vous profitez des infrastructures qu’elle permet de financer.
M. Thierry Parmentier. Je me suis permis d’évoquer ces questions compte tenu de l’objet de vos travaux : la recherche d’éventuelles défaillances des pouvoirs publics face aux plans sociaux.
La chimie vit une situation critique. Mais il ne faut pas imaginer que l’industriel ne cherche qu’à obtenir des subventions. Nous investissons avant tout parce que nous croyons dans un projet et nous réinvestissons une partie de la valeur ajoutée pour l’avenir. Nous sommes conduits, dans certains cas, à récupérer de l’argent parce qu’il est question de conserver des activités en France.
En 2024, nous avons reçu 19 millions d’euros de subventions et 32 millions d’euros au titre du CIR. Entre 2021 et 2024, l’entreprise a touché 58 millions d’euros de subventions et 124 millions d’euros au titre du CIR. L’aide consacrée aux équipements que vous avez évoquée, en partie destinée à la mise aux normes antipollution, s’est établie à 35 millions d’euros sur la période 2010-2015. Nous avons respecté nos obligations, en investissant également sur fonds propres.
Nous faisons tout pour rester en France. Pendant la crise sanitaire, nous pouvions bénéficier de subventions mais nous n’avons pas fait de demande en ce sens. Nous ne cherchons pas le profit à tout prix. En revanche, nous nous devons de faire preuve de cohérence dans notre stratégie. Conserver l’innovation en France est un enjeu majeur. N’abandonnons pas l’innovation dans la chimie ou dans les autres industries. Cela serait une catastrophe, qui nous coûterait cher à terme.
M. le rapporteur. Pouvez-vous garantir que les électrolyseurs qui ont bénéficié de subventions ne seront pas déménagés ou vendus ? Cet outil va-t-il bien demeurer au service de l’innovation et de l’emploi en France ?
M. Thierry Parmentier. Oui. Les équipements de chimie se prêtent peu à la mobilité.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Monsieur Parmentier, je connais mal l’organigramme de la société Arkema. Pouvez-vous préciser vos fonctions exactes ?
M. Thierry Parmentier. Je suis directeur général d’Arkema France et directeur général des ressources humaines et de la communication du groupe. Je suis membre du comité exécutif. J’interviens aujourd’hui en ma qualité de directeur général d’Arkema France.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Pouvez-vous confirmer que vous avez fait le choix de licencier 154 personnes ? Pouvez-vous confirmer également que le groupe verse des dividendes pour un montant qui augmente avec le temps, l’augmentation ayant atteint 10,9 % entre 2022 et 2025, le tout dans une stratégie de long terme ? Aujourd’hui, 44 % des bénéfices sont reversés en dividendes aux actionnaires. Cela offre une perspective globale sur le modèle économique choisi.
En tant qu’élue du territoire, je ne doute pas que différents scénarios ont été étudiés. Je pense que les salariés de Vencorex et d’Arkema méritent d’être informés dans le détail sur les travaux qui ont été conduits. Quel aurait été le coût du sel si vous aviez repris la filière « sel purificateur » ? Quelle aurait été la durée d’amortissement des investissements nécessaires à cette reprise ? Quel aurait été le coût de sortie du sel ? Aurait-il été inférieur à 150 euros la tonne ? Était-il envisagé de demander des aides financières à l’État, ce qui aurait semblé justifié pour conserver l’activité ?
Par ailleurs, il nous a été indiqué que le groupe aurait la volonté de réorienter son activité vers la chimie de spécialité, ce qui conduirait à la fermeture de certains ateliers de chimie de base.
Enfin, vous avez évoqué les contraintes dont vous souffrez, mais avez-vous évalué le coût sanitaire de la pollution liée aux substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS) pour la métropole de Lyon ? En effet, la société Arkema est responsable d’une pollution massive. Abordez-vous les questions de pollution autrement qu’en termes de contraintes d’investissement stricto sensu ?
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Parmentier, vous n’aurez sans doute pas le temps de répondre à toutes les questions. Pouvez-vous répondre par écrit aux questions qui vous sont posées à l’oral aujourd’hui ?
M. Thierry Parmentier. Bien sûr. Nous avons d’ailleurs préparé les réponses aux treize questions que vous nous avez transmises. Elles vous parviendront dans les meilleurs délais, tout de suite après cette réunion.
Madame Chatelain, il est effectivement question de 154 suppressions de postes mais cela ne signifie pas que 154 personnes seront licenciées. Comme je l’ai indiqué plus tôt, la société Framatome devrait embaucher une cinquantaine de personnes et certaines activités vont être réinternalisées.
Je confirme par ailleurs que le groupe déploie une stratégie de croissance des dividendes. Notre industrie ne se prête pas aux investissements de court terme et nous avons la chance de pouvoir compter sur un certain nombre d’actionnaires qui nous suivent depuis la création de l’entreprise. Je précise que 9 % du capital est détenu par les salariés, qui sont les premiers actionnaires de l’entreprise et qui touchent également des dividendes. Parmi les autres actionnaires de référence figurent Bpifrance et un groupement d’assureurs. Ce sont des actionnaires fidèles. Nous rémunérons nos salariés et nos actionnaires, car nous voulons qu’ils restent à nos côtés.
Nous vous fournirons dans les jours à venir une synthèse des scénarios envisagés en réaction aux difficultés rencontrées par Vencorex. Les réunions avec l’État ont été nombreuses. À ma connaissance, il n’y a pas eu de demande d’aide financière.
Mme Virginie Guérin. Nous avons étudié avec l’État l’hypothèse d’une aide à l’investissement et non pas d’une aide au capital. Les aides d’État sont très réglementées aujourd’hui, notamment à l’échelle européenne. Elles sont fournies, notamment, pour des projets d’investissement en lien avec la décarbonation, ce qui n’est pas forcément le cas dans cet exercice.
M. Thierry Parmentier. La stratégie du groupe est effectivement orientée vers la chimie de spécialité depuis une vingtaine d’années. Aujourd’hui, cela représente 92 % de nos activités.
Par ailleurs, Mme Guérin se tient à votre disposition pour vous donner notre point de vue sur les PFAS. En revanche, je ne pense pas que cette question entre dans le champ des travaux de la commission d’enquête.
Mme Virginie Guérin. À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas fournir un montant pour la dépollution du site. Notre premier objectif consiste à garantir la pérennité de l’activité sur la partie nord du site de Jarrie. Le sujet de la dépollution sera traité par la suite.
M. Thierry Parmentier. Malgré la réorganisation de notre portefeuille d’activités, nos effectifs sont en légère croissance. Nous employons un peu plus de 7 000 salariés.
Mme Virginie Guérin. J’ajoute que l’entreprise a créé 480 emplois en France, en dix ans.
M. Thierry Parmentier. Nous sommes parfois obligés d’adapter nos effectifs à la réalité de l’activité mais nous établissons très peu de PSE. Un plan de réorganisation est déployé sur le site de Feuchy mais il n’entraînera aucun licenciement. Nous avons le souhait de maintenir l’innovation, la production et les savoir-faire en France. Je le redis avec force.
M. le président Denis Masséglia. Nous vous adresserons un second questionnaire écrit en complément du premier questionnaire que vous avez déjà reçu.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Confirmez-vous que 74 % de la production du site de Jarrie est exportée vers des usines d’Arkema ?
Vous avez évoqué l’arrêt brutal de l’activité à la suite de la fermeture de l’usine Vencorex, mais les difficultés étaient connues depuis 2023. Vous ne les avez donc pas anticipées.
Pouvez-vous prouver qu’ArianeGroup accepte de reprendre le produit fabriqué en Allemagne ? D’après nos informations, l’entreprise serait très inquiète au sujet de la qualité du sel que vous êtes en capacité de fournir.
Par ailleurs, avez-vous mis en œuvre des investissements pour diminuer la consommation d’énergie et faire des économies ?
Enfin, vous indiquez que les électrolyseurs seront laissés sur place. Faut-il comprendre qu’ils pourriront sur place ?
Mme Estelle Mercier (SOC). Quel montant allez-vous consacrer au PSE mis en œuvre sur le site de Jarrie ?
Mme Virginie Guérin. 70 % de la production du site de Jarrie sud – pas du site de Jarrie dans son ensemble – est exportée, pour le chlore, vers des usines d’Arkema.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Votre manière de présenter les choses diffère de la mienne. Votre dépendance à l’égard de Vencorex est plus importante que ce que vous prétendez. Je rappelle, en outre, que la plateforme est gérée par Vencorex.
M. Thierry Parmentier. Nous discutions régulièrement avec la société Vencorex et, dès 2023, il y avait des négociations en vue de revaloriser le prix du sel. À partir du mois de mai, le prix d’achat de la tonne de sel a significativement augmenté. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où nous ne représentions que 3 % du chiffre d’affaires de Vencorex, nous ne pouvions pas jouer un rôle déterminant.
Nos spécialistes ont procédé à un travail de qualification pour le produit destiné à ArianeGroup, que le client a validé. Vous imaginez bien que nous ne prendrions pas le risque de propager de fausses informations en la matière.
Par ailleurs, les dépenses qui seront engagées dans le cadre de la mise en œuvre du PSE font encore l’objet de discussions. Des réunions sont prévues avec les organisations syndicales lors des deux prochaines semaines. Je ne peux donc pas vous donner un montant car il appartient aux parties qui négocient de le définir.
Enfin, nous répondrons en détail à la question sur les électrolyseurs. Tous nos collègues opérationnels mènent un combat permanent, partout dans le monde, pour faire baisser les coûts de l’énergie, notre industrie étant extrêmement énergivore. Nous faisons également des efforts pour développer l’énergie solaire et, plus généralement, les énergies renouvelables. Nous vous transmettrons le montant des investissements effectués dans ce domaine.
M. le président Denis Masséglia. Je propose à mes collègues de transmettre au rapporteur les questions complémentaires qu’ils souhaiteraient vous poser afin qu’elles vous soient transmises. Je vous remercie.
La séance s’achève à dix-sept heures quarante.
Présents. – M. Louis Boyard, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier
Excusé. – M. Éric Michoux
Assistaient également à la réunion. – Mme Cyrielle Chatelain, Mme Élisa Martin