Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop, Mme Lynda-May Azibi, déléguée aux affaires publiques et institutionnelles, et M. François Marciano, directeur général de Duralex 2
– Présences en réunion................................15
Lundi
19 mai 2025
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 38
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à quinze heures quarante.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop, Mme Lynda-May Azibi, déléguée aux affaires publiques et institutionnelles, et M. François Marciano, directeur général de Duralex.
M. le président Denis Masséglia. Nous allons consacrer notre seconde audition du jour à l’évocation d’un type particulier de sociétés : les sociétés coopératives et participatives (Scop).
À cette fin, nous recevons Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop, accompagnée de Mme Lynda-May Azibi, déléguée aux affaires publiques et institutionnelles, ainsi que M. François Marciano, directeur général de Duralex, transformée en Scop l’an dernier à la suite de son placement en redressement judiciaire.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Fatima Bellaredj, Mme Lynda-May Azibi et M. François Marciano prêtent serment.)
Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop. Le mouvement des Scop et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), que j’ai le plaisir de représenter, est un réseau d’entreprises qui fait pleinement partie de l’économie française. Il compte 4 600 entreprises et presque 90 000 emplois coopératifs, pour un chiffre d’affaires d’un peu plus de 10 milliards d’euros.
Le secteur a connu une progression notable. Le nombre d’emplois a été multiplié par deux au cours des dix dernières années, notamment grâce à des entreprises comme Duralex. L’ensemble des entreprises coopératives font partie du mouvement et versent des cotisations. Nous avons ainsi pu mettre en place un plan d’investissement qui nous a permis de développer le mouvement coopératif. J’aime à le souligner car, si nous ne pouvons bien sûr que regretter que les politiques publiques ne soient pas plus présentes dans notre domaine, en particulier s’agissant des reprises et des transmissions d’entreprises, nous sommes très fiers d’avoir pu agir par nous-mêmes, grâce à nos adhérents.
La spécificité du réseau coopératif réside essentiellement dans le fait que les salariés d’une Scop sont leurs propres patrons, puisqu’ils détiennent le capital de l’entreprise. Cela fait toute la différence, en particulier sur le sujet du partage de la valeur qui, tout comme à vous, nous tient à cœur.
La question des défaillances et des fermetures d’entreprises, notamment dans l’industrie, et des solutions à y apporter nous préoccupe beaucoup. Nous ne pouvons répondre à tout. Nous n’en avons ni l’ambition, ni les moyens. Nous pensons toutefois pouvoir apporter de bonnes solutions aux très petites, petites et moyennes entreprises, et parfois aussi à des sociétés aussi importantes que Duralex et ses 228 salariés.
Ce réseau a fait ses preuves, ainsi qu’en témoignent les taux de pérennité des sociétés coopératives que Lynda-May Azibi vous présentera et qui constituent une autre spécificité de ces entreprises.
Je souhaite pour ma part faire état des difficultés que nous rencontrons, à commencer par les idées reçues qui entourent les sociétés coopératives. Bien souvent, nous constatons que nos interlocuteurs ne savent pas réellement de quoi il retourne. Certains pensent que les coopératives ne sont pas réellement des entreprises, qu’elles ne sont pas soumises à la concurrence ou vivent de subventions. Cela ne correspond pas à la réalité : les coopératives font face à un marché et sont confrontées aux mêmes sujets que n’importe quelle autre entreprise.
Ces idées reçues sont tenaces et se retrouvent au niveau de la justice commerciale. Si un tribunal de commerce doit intervenir, comme ce fut le cas pour Duralex, on observe que les professionnels qui gravitent autour, comme les administrateurs ou les mandataires judiciaires, considèrent souvent que les coopératives ne sont pas de véritables entreprises, ou alors que les salariés ne sont pas capables de reprendre leur entreprise. Les taux de pérennité démontrent pourtant qu’une telle démarche est non seulement possible, mais surtout qu’elle donne de meilleurs résultats, car les salariés sont accompagnés par le réseau. Être coopérateur ne s’improvise pas. On ne naît pas coopérateur, on le devient, grâce à l’accompagnement proposé par le réseau de proximité. François Marciano pourra d’ailleurs évoquer le rôle joué par l’union régionale des Scop.
Une autre de nos préoccupations concerne l’accès des entreprises au droit commun, qui se révèle inéquitable – je pèse mes mots. Il existe en France des aides publiques destinées à accompagner la transmission-reprise d’entreprises. Celles que propose Bpifrance par exemple, la banque publique d’investissement, sont ce qu’il y a de mieux pour accompagner une transmission ou une reprise. Or les modalités d’accès à ces aides sont telles que les Scop et les Scic en sont exclues : vous faites une transmission saine, les prêts proposés vous correspondent parfaitement mais, comme ils ne peuvent être accordés qu’à une holding et que les Scop ne fonctionnent pas de cette manière, vous n’y avez pas droit. Les exemples sont nombreux, nous vous les transmettrons par écrit si cela vous intéresse.
Face à cette situation, nous formulons des préconisations afin que les aides existantes soient adaptées aux Scop et aux Scic, et que la conférence des financeurs organisée sous le haut patronage du ministère de l’économie nous permette d’en bénéficier.
Nous avons également en projet la création d’un fonds dédié à la reprise et à la transmission d’entreprises, que je pourrai vous présenter en détail si vous le souhaitez.
M. le président Denis Masséglia. Je ne sais pas si vos propositions entreront dans le cadre défini par la commission d’enquête. Je vous invite néanmoins à nous les faire parvenir, car le rapporteur et moi-même serons très intéressés. Il se trouve que la Scop Bouyer Leroux – 2 000 salariés, pour un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros – est implantée dans ma circonscription.
Mme Lynda-May Azibi, déléguée aux affaires publiques et institutionnelles de la confédération générale des Scop. L’analyse du taux de survie des Scop et des Scic est un élément important pour battre en brèche les idées reçues sur les sociétés coopératives.
Le taux de pérennité à cinq ans des entreprises saines transmises aux salariés est de 90 %. Il est de 76 % pour les reprises d’entreprises en difficulté et de 86 % pour les transformations d’associations. Les sociétés coopératives créées ex nihilo ont un taux de survie à cinq ans de 75 %. Ce taux atteint 77 % pour les entreprises coopératives du secteur industriel. À titre de comparaison, l’ensemble des entreprises françaises ont en moyenne un taux de pérennité à cinq ans de 61 %, soit environ vingt points de moins que celui des Scop et des Scic.
M. François Marciano, directeur général de Duralex. Il a été extrêmement compliqué pour Duralex de devenir une Scop. Nous nous sommes trouvés face à des acteurs, publics et privés, qui ignoraient ce qu’était une Scop et qui n’y comprenaient rien. Duralex Scop SA est pourtant une société standard : une société anonyme avec des actionnaires – à la différence près qu’ils ont chez nous des cols bleus –, un comité de suivi qui gère l’entreprise – l’équivalent d’un board – et un directeur général. Nous fonctionnons exactement de la même manière qu’une entreprise classique.
Rien n’a changé chez Duralex après sa transformation en Scop. Ou plutôt si : désormais, les gens veulent venir travailler chez nous, alors qu’auparavant nous ne trouvions aucun candidat. Il est vrai que les jeunes ne veulent plus travailler pour une entreprise et voir l’argent généré partir ailleurs. Le principe de la Scop les intéresse donc énormément.
J’ai été très surpris de ne pas recevoir de soutien financier de la part de l’État, qui n’a apporté que 750 000 euros au titre du fonds de développement économique et social (Fdes) – à mon avis parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. À titre de comparaison, pour y avoir travaillé pendant trente ans, je peux vous dire que les sommes versées au Groupe Arc sont sans commune mesure.
L’entreprise Duralex a été placée en redressement judiciaire pour 40 millions d’euros de dette. Après quoi nous avons appris que la maison mère à l’origine de la décision avait bénéficié d’un abandon de dette d’un montant équivalent. Vraiment, les salariés de Duralex ne comprennent pas. Ils se demandent comment il est possible d’effacer une dette de 40 millions d’euros, de verser à des entreprises des sommes astronomiques par l’intermédiaire de divers fonds et de les obliger, eux, à vendre leur usine pour pouvoir se financer.
La métropole d’Orléans a accepté de reprendre le site à hauteur de 5,8 millions d’euros. La Socoden et les banques nous ont prêté environ 1 million d’euros. La région Centre-Val de Loire nous a également apporté des financements. Nous avons dû nous bagarrer au quotidien pour trouver 10 millions d’euros, alors que nous avions besoin de 15 millions d’euros pour une reprise.
Tout cela pour vous dire combien il est compliqué de sauver une entreprise en France.
M. le président Denis Masséglia. Je tiens, au nom du rapporteur et de l’ensemble des députés je pense, à vous faire part de notre soutien à la société Duralex, à ses salariés, à leurs familles et aux sous-traitants qui subissent également les difficultés rencontrées par l’entreprise.
Pourriez-vous nous présenter la situation de Duralex lorsque vous êtes arrivé et son état actuel, tant d’un point de vue industriel qu’économique ?
M. François Marciano. Lorsque nous avons repris Duralex, nous avons cherché à obtenir des prêts afin d’apporter des capitaux à l’entreprise. Nous avons tout d’abord réussi à lever 4 millions d’euros, qui ont servi dès le 1er août 2024 à payer les salaires du mois.
Lorsque l’on reprend une entreprise, on se trouve face à une page blanche : il nous a donc fallu demander les autorisations d’exploiter et d’exporter, enregistrer la marque dans 140 pays, etc. Dans les faits, il ne s’agit pas de reprendre une entreprise, mais d’en créer une.
Nous avons pu commencer à exporter fin août. Depuis lors, l’entreprise ne vit que grâce à ses ventes. La situation est très tendue. Il est vraiment très difficile, chaque mois, de tenir la barre. Le plan de développement prévoit que l’équilibre sera atteint dans trois ans.
Nous avons créé un magasin d’usine afin de gagner des parts de marché. Un café et deux magasins vont également ouvrir leurs portes à Paris dans quinze jours. Nous avons découpé le monde en dix zones et embauché des commerciaux, qui sont arrivés en janvier 2025. L’équipe marketing est en train de repositionner la marque. Le fait est que, dans un marché où le verre, et plus globalement les arts de la table, sont en décroissance, Duralex croît à hauteur de 22 %.
Nous bataillons au quotidien, mais nous avançons exactement selon le plan présenté au tribunal. Nous le faisons malgré un manque de fonds considérable : si nous avions disposé dès le départ des sommes nécessaires, nous aurions pu investir dans les deux ou trois machines qui nous auraient permis de gagner des marchés supplémentaires et de redresser beaucoup plus rapidement la situation de l’entreprise.
L’effectif est en outre passé de 226 à 242 salariés. J’insiste sur ce fait parce que, parmi les trois repreneurs potentiels, deux avaient prévu des licenciements alors même qu’ils disposaient de financements, contrairement à nous. Cette absence de financement était-elle due à notre statut de Scop ? Je l’ignore.
Toujours est-il que Duralex a présenté au tribunal un plan de redressement qui est suivi mois après mois.
M. le président Denis Masséglia. Dois-je comprendre que, malgré les difficultés, vous êtes en adéquation avec le plan visant à atteindre l’équilibre financier sous trois ans ?
M. François Marciano. C’est exactement cela.
M. le président Denis Masséglia. Vous indiquez ne pas avoir reçu de fonds de la part de l’État. Ce dernier vous accompagne-t-il si vous rencontrez des difficultés de trésorerie, ne serait-ce qu’en reportant des échéances d’impôts ou de cotisations ?
M. François Marciano. Nous avons été confrontés à une difficulté de trésorerie en décembre dernier, car le montant alloué au titre du Fdes a tardé à nous être versé. Nous nous sommes alors trouvés dans l’impossibilité de régler les cotisations dues à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) et avons bénéficié d’un étalement du paiement sur dix mois.
M. le président Denis Masséglia. Avez-vous reçu un accompagnement de la part de structures comme le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) ?
M. François Marciano. Nous sommes suivis par l’équivalent du Ciri au ministère de l’économie et des finances, qui nous demande un état des lieux presque tous les quinze jours.
M. le président Denis Masséglia. Jugez-vous l’accompagnement proposé par l’administration en adéquation avec vos besoins ?
M. François Marciano. Aujourd’hui oui, mais au début non. Si l’État nous avait accordé dès le départ un prêt de 9 millions d’euros, nous n’aurions pas eu besoin de vendre notre usine et de payer un loyer, donc de nous affaiblir plus encore.
Nous devons par ailleurs régler une dette carbone de 1,2 million d’euros, datant de 2017 et contractée par le précédent exploitant.
Enfin, dès lors que nous vendons à la métropole d’Orléans pour nous financer, nous allons devoir nous acquitter de 1,4 million d’euros de plus-value. L’argent apporté par la métropole nous est donc repris par l’État. C’est compliqué.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Il était important pour nous de vous entendre afin d’avoir pleinement conscience de votre fonctionnement, des idées reçues à déconstruire, de vos objectifs et des difficultés qui sont les vôtres.
Il était également important de montrer, à travers l’exemple de Duralex, que des choses sont possibles malgré les difficultés, de comprendre comment elles le sont et de voir comment elles pourraient l’être plus souvent. Peut-être évoquerons-nous l’exemple de Vencorex.
Monsieur Marciano, vous avez indiqué ne pas bénéficier du soutien financier de l’État. Notre commission d’enquête s’intéresse précisément au rôle de la puissance publique et à la façon dont elle fait son travail. Elle interroge non seulement les choix politiques structurels – les lois, les décisions politiques – mais aussi l’attitude plus conjoncturelle des pouvoirs publics vis-à-vis de cas particuliers. Avez-vous eu, durant la phase de reprise de l’entreprise, des échanges avec des représentants gouvernementaux, ministres ou membres de leur cabinet ? Comment les qualifieriez-vous ? Avez-vous trouvé que l’on vous prêtait une oreille attentive, vous a-t-on proposé des solutions ? Autrement dit, ce que vous décrivez comme une défaillance, le manque de soutien de l’État, est-il le fruit de contraintes structurelles, d’une méconnaissance, d’un désintérêt pour votre cause ou d’une absence de volonté politique ?
M. François Marciano. Je ne pense pas que les pouvoirs publics aient été opposés à notre projet. Je pense simplement que Bercy a beaucoup trop de dossiers et ne peut pas tous les traiter.
J’en ai un exemple tout simple. Parmi les trois repreneurs intéressés par Duralex, le premier prévoyait de supprimer quatre-vingts postes et le deuxième cinquante ; la troisième offre était celle de la Scop. Les équipes spécialisées qui suivent ces dossiers, Bpifrance et autres, ont décidé d’allouer 7 millions d’euros à l’un des repreneurs : j’interprète cela comme une manière pour elles d’indiquer au tribunal de commerce quelle offre privilégier. Elles n’ont rien alloué au deuxième projet et ont proposé de prêter à la Scop quelque 683 800 euros à 8,5 % de taux d’intérêt, ce que j’ai toujours en travers de la gorge. Le tribunal, qui est expert en la matière, a analysé les trois offres et indiqué dans son jugement que seul le projet industriel de la Scop était viable. Cela signifie donc que le projet soutenu par Bercy ne l’était pas.
Bercy soutient donc un autre projet, alors que le président du tribunal considère que seul le nôtre tient la route ? Il y a quelque chose qui ne va pas. Je pense que Bercy devrait allouer des sommes à l’entreprise qui doit être sauvée et laisser le soin au tribunal de commerce de les affecter au repreneur de son choix. Chaque dossier doit être travaillé et étudié. La région et la métropole qui nous ont soutenus ont réuni de nombreux experts afin de vérifier si le projet industriel que nous présentions était robuste, et ils ont fait un travail considérable. Bercy n’a pas les moyens de procéder de la sorte pour chaque dossier. Il y a là quelque chose à corriger.
M. le rapporteur. Je comprends de votre récit que les collectivités sont venues en appui de votre projet. Pouvez-vous détailler comment s’est manifesté leur engagement, et pas seulement financier ?
L’histoire de Duralex a aussi été très médiatisée – vous nous parlerez, mesdames, des cas qui passent sous les radars des chaînes d’information continue. Dès lors, monsieur Marciano, avez-vous eu des échanges avec des responsables politiques ministériels ? Est-on venu vous voir, a-t-on cherché à vous contacter, vous a-t-on fait des promesses ? Quelle a été la nature de vos échanges ?
M. François Marciano. Vous l’avez vu dans les médias, plusieurs ministres et autres sont venus nous voir. Chacun est venu se faire mousser et dire : « On va sauver Duralex ! » Ils l’ont dit. J’attends toujours les faits.
M. le rapporteur. Qui est venu vous voir ? Quels engagements ont été pris ? Nous cherchons à établir une chronologie des interventions des acteurs politiques.
M. François Marciano. Personne n’a pris d’engagement. Les responsables politiques ont simplement dit qu’ils allaient nous aider. Disons, pour être politiquement correct, que c’était bien des politiques que j’avais devant moi.
M. le rapporteur. Il n’y a donc eu aucune réunion avec Bercy, avec le Premier ministre, avec des membres du Gouvernement, pour poser des éléments et des chiffres sur la table et voir ce qu’il était possible de faire avec votre projet ?
M. François Marciano. J’ai eu des réunions à Bercy avec l’équivalent du Ciri, qui nous a suivis et qui a finalement débloqué 750 000 euros. Il s’agissait donc de réunions avec l’équipe chargée de suivre Duralex, pas avec des ministres, bien que M. Roland Lescure soit venu nous dire bonjour.
Mme Fatima Bellaredj. Avec ce côté médiatique, il y a eu un certain nombre d’interlocuteurs. Beaucoup de ministres ou de membres de leur cabinet ont passé un coup de téléphone. Mais le nombre de rendez-vous n’a pas été le même, je le dis sous le contrôle de François Marciano, que pour l’offre concurrente.
François Marciano a évoqué l’intervention de Bpifrance. Nous-mêmes trouvons, pour le dire gentiment, qu’il y a quelque chose qui n’est absolument pas normal. François a partagé des documents avec la Cour des comptes et j’espère que des informations seront révélées en septembre. De toute façon, nous ne sommes pas là pour invectiver et nous n’avons pas tous les éléments au sujet des propositions faites aux autres projets ; nous avons récupéré des courriers qui vous ont été transmis. Mais il était tout de même assez surprenant de constater que telle offre suscitait des visites ministérielles, un vrai engagement, des propositions. J’ai d’ailleurs partagé ma surprise à travers nos réseaux.
Ainsi, pour l’une des offres, on est arrivé à trouver deux dispositifs de Bpifrance pour réunir 7 millions d’euros de prêts et de cautionnement, soit la moitié des 14 millions d’euros nécessaires. Pendant ce temps, la discussion de François Marciano avec le Fdes portait sur une somme de 683 000 euros, qui a finalement été portée à 750 000 euros. Cela nous a interpellés.
Le véritable besoin est celui de la capitalisation et des fonds propres, un besoin d’autant plus pressant qu’il est question de la reprise d’une entreprise industrielle. François Marciano ne rencontrerait pas autant de difficultés pour diriger son entreprise, il ne serait pas en train de courir après sa trésorerie ou de négocier des reports de charge si, dès le départ, il avait pu obtenir 15 millions d’euros.
La victoire des salariés a été acquise essentiellement grâce à l’intervention des collectivités territoriales, pas à celle de l’État, il faut le dire. La métropole et la région, qui sont pourtant de bords politiques différents, ont travaillé ensemble pour leur territoire. La métropole a racheté le terrain pour 6 millions d’euros et la région a avancé toute la partie garantie. Sans cela, le projet Duralex n’aurait pas pu se faire.
M. François Marciano. Il faut y ajouter le million d’euros accordé par la région, avec un report d’un an pour le remboursement. Sans ces deux acteurs, personne n’aurait suivi. On ne pouvait pas demander à nos ouvriers de mettre 30 000 euros chacun ! Ce sont des pères de famille qui ont du mal à boucler les fins de mois. Ils investissent déjà au quotidien, avec leur savoir-faire. Nous n’avons pu lever que 70 000 euros pour le capital, une somme que la région a doublée. C’est tout ce que nous avions pour reprendre Duralex. La situation était donc compliquée, nous n’étions pas dans les standards : on nous regardait comme des Martiens.
Les employés de Duralex sont allés chercher le fichier du Fdes – je n’y suis pour rien. Je me suis retrouvé face à toutes mes équipes qui me demandaient pourquoi une entreprise comme Arc avait reçu d’énormes sommes alors que nous n’avions rien ; pourquoi la holding qui nous a liquidés, qui a placé Duralex en redressement judiciaire pour une dette de 40 millions d’euros, a-t-elle vu cette dette effacée par l’État ? Ils ne comprennent pas. Que puis-je répondre ? C’est très compliqué.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas non plus.
Ce que vous dites sur le rôle des collectivités territoriales est particulièrement important. Elles ne vont pas toujours très bien, mais leur apport a été décisif en l’espèce. Ont‑elles toujours, mesdames, une approche plus facilitatrice que celle de l’État, peut-être parce qu’elles connaissent mieux les acteurs en présence ? Ou pensez-vous à l’inverse que l’État devrait intervenir davantage pour les inciter à soutenir des projets de reprise ? Quelle est l’implication des pouvoirs publics dans des cas moins médiatiques ?
Mme Fatima Bellaredj. Globalement, les collectivités territoriales ont une meilleure connaissance des difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. C’est avec elles que nos unions régionales, qui existent sur tous les territoires, ont des relations.
Il y a bien sûr des disparités : certaines collectivités conduisent des politiques plus volontaristes que d’autres. Au niveau du réseau, notre intérêt est que les collectivités territoriales travaillent main dans la main avec l’État. C’est indispensable.
Plusieurs dispositifs pour les entreprises en difficulté existent. Nous avons parlé du Fdes, mais je voudrais également mentionner l’assurance chômage. Nous travaillons main dans la main avec France Travail, l’administration du ministère du travail, les régions et les préfectures. Tout cet écosystème est très important.
À part quelques régions un peu en retrait qui ont toujours l’impression de donner trop d’argent, les collectivités territoriales sont présentes. Le problème ne vient pas d’elles. La sauvegarde de l’emploi reste au cœur de leur action.
Mais on peut aller beaucoup plus loin avec un travail main dans la main. Pour Vencorex par exemple, que vous avez évoqué, on ne peut que regretter l’échec du projet coopératif, victime des idées reçues. C’était inconcevable : comment des ouvriers pourraient‑ils gérer un groupe international dans le secteur de la chimie ? Il y a vraiment là un obstacle culturel, sur lequel nous avons encore un gros travail à effectuer. Dans ce dossier, notre réseau, qui avait déjà été mobilisé tardivement, a passé tout son temps à expliquer qu’une Scop est une vraie entreprise.
Je vais vous donner un autre exemple, celui de l’entreprise industrielle Sitek, en Alsace, pour laquelle le projet de Scop n’a pu aboutir malgré toute notre mobilisation. La région Grand Est a connu beaucoup de fermetures d’usines et a créé un écosystème dans lequel tout le monde travaille ensemble : l’État, les collectivités territoriales et notre union régionale, qui a sauvé beaucoup d’entreprises. En l’espèce, elle a accompli un gros travail d’accompagnement mais, lors du tour de table, une fois les besoins évalués, il s’est avéré que l’entreprise manquait de fonds propres. Tout le monde était d’accord pour sauver cette entreprise, la dernière sur le territoire français à fabriquer des volets isolants avec un procédé qu’elle avait développé.
Ce projet est emblématique de l’impuissance publique. Je pèse mes mots. C’était juste après la censure du Gouvernement de M. Michel Barnier, et nous n’avions plus d’interlocuteurs. Il nous a été demandé de patienter – mais, dans le cadre d’une reprise d’entreprise devant le tribunal, les délais sont très courts. Vous ne pouvez pas demander un délai de trois mois supplémentaires : le tribunal détermine les délais en fonction de ce qu’il reste dans les caisses, et il n’y a des reports que tant qu’il reste de l’argent pour payer les salaires.
Nous avons obtenu deux reports avant que ce ne soit plus possible. Nous avons donc décidé, avec l’État, la région et l’entreprise, de procéder à une expérimentation consistant à cumuler l’assurance chômage avec deux aides existantes, l’une pour le reclassement des salariés, l’autre pour la création et la reprise d’entreprise. Nous avions déjà testé ce dispositif sans que l’État ne s’en rende compte, ce qui avait permis de sauver cinq entreprises, dont Bergère de France.
Mais, quand les partenaires sociaux ont repris la gestion de l’Unédic, on nous a dit que ce n’était pas possible – alors que l’expérimentation n’aurait pas fait dépenser un euro de plus à l’assurance chômage. Figurez-vous que quelques acteurs ont fait le choix de sacrifier soixante‑sept emplois pour ne pas avoir à faire une exception, car ils craignaient que cela conduise à des dépenses de plusieurs millions d’euros. On nous a consolés en nous disant que ces personnes seraient accompagnées au mieux. Je vous assure qu’elles ne comprennent pas que l’on puisse arriver à ce type d’aberration.
M. le président Denis Masséglia. Je vous remercie d’avoir rappelé l’impact de la censure du Gouvernement sur nos territoires. Nous n’avons cessé de le dire, sans avoir été vraiment entendus.
Vous avez parlé d’une expérimentation. Il y a actuellement une réflexion sur la possibilité de laisser aux préfets la faculté de prendre des décisions, au cas par cas et dans certains domaines, qui s’écarteraient de la norme établie. Faut-il, selon vous, donner plus de proximité à la décision, tout en restant dans un cadre législatif clair, précis et stable ?
Mme Fatima Bellaredj. Je ne peux répondre que positivement à cette question. Le cas de Sitek montre bien qu’il est vraiment problématique de ne pas prendre en compte l’avis des acteurs locaux : la région, la métropole, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), France Travail, le préfet. Ils connaissent vraiment le tissu entrepreneurial. Je ne pousserais pas jusqu’à une décentralisation totale, mais ces acteurs peuvent affiner l’information dont dispose l’État, ce qui est essentiel.
M. le rapporteur. Pour ma part, je ne regrette pas d’avoir censuré le Gouvernement, malgré les difficultés que cela a pu causer, pour essayer d’en avoir un qui agisse plus fortement pour des entreprises comme Duralex ou Vencorex. Il appartient au Gouvernement en place de conduire des politiques conformes aux volontés des habitants du pays.
Comment expliquez-vous la décision du tribunal de commerce de Lyon au sujet de la société Vencorex ? Qu’a-t-il manqué pour que le projet de Scic soit mené à bien ? Seulement du temps ? On a parlé de quinze jours, c’est terrible ! L’implication plus forte de la puissance publique aurait-elle pu changer quelque chose ?
Mme Fatima Bellaredj. Les services de l’État et les collectivités territoriales ont d’excellents dispositifs. Des cellules, avec lesquelles nous travaillons régulièrement, permettent de prendre le pouls des entreprises pour détecter les signaux des premières difficultés. C’est à ce moment-là qu’il faut travailler. Dans le cas de Vencorex, les gens se sont soudain époumonés, un mois avant la fin, parce qu’il n’y avait pas de repreneur, et n’ont commencé à réfléchir à la solution coopérative que quand ils se sont rendu compte qu’il n’y avait vraiment personne. Il y a là une responsabilité publique.
Nous avons besoin d’un soutien transpartisan. Vous n’avez pas la même vision de l’entreprise, mais vous vous retrouvez sur la nécessité de sauvegarder l’emploi. Sur ce point, nous avons besoin d’une politique de soutien claire et stable. Cela fait vingt-cinq ans que je suis dans le mouvement coopératif et je peux vous dire que les engagements qui sont pris ne sont pas toujours tenus – un peu comme quand les ministres viennent sur les sites ! Et je vous garantis que 100 % des professionnels qui interviennent dans les dossiers de transmission ou de reprise d’entreprises trouvent cela dommage.
Ne parlons pas que des défaillances. Dans le cas des transmissions saines aussi, nous accompagnons les cédants dans le rachat de leur entreprise – ce n’est pas un don ! Les cédants se plaignent souvent de ne pas avoir été informés des solutions que nous proposons. C’est la même chose pour les entreprises en difficulté. Il y a là quelque chose de culturel à travailler. Si une politique claire de soutien à la solution coopérative est conduite, vous verrez que nous deviendrons un acteur parmi d’autres. Aux réunions avec la préfecture et la région pour évaluer la situation des entreprises en difficulté, il n’y aura pas que les acteurs consulaires classiques ; nous serons également présents pour discuter de nos solutions. Et cela nous évitera d’être informés très tardivement, comme dans le cas de Vencorex !
Prenons l’exemple de Duralex. L’évaluation initiale chiffrait les besoins à 20 millions d’euros, ce qui est hors norme pour nous, qui savons faire des tours de table jusqu’à 10 millions d’euros. Au-dessus, c’est compliqué, il faut avoir le bon outillage. C’est le serpent qui se mord la queue : quand Bpifrance ne vous a jamais accordé aucun prêt, vous savez que les banques ne seront pas très allantes. Elles ont besoin d’être rassurées et de savoir qu’il y aura trois ou quatre acteurs autour de la table.
Nous avons donc progressivement mis en place nos propres outils. Dans les régions avec lesquelles nous avons travaillé sur les entreprises en difficulté avec le concours de l’État, comme la région Grand Est, tout le monde nous connaît.
M. François Marciano. Au tribunal, j’étais assis à côté du président de la métropole, qui est de droite, du patron de la région, qui est de gauche, et de la préfète de région. Sans le soutien de ces trois personnes, le dossier n’aurait pas été retenu. C’est dire à quel point le soutien des acteurs locaux est important.
Dans l’imaginaire collectif, les Scop, c’est un jouet. Mais dans le cadre de notre offre de rachat, avec les ouvriers, nous avons mis 4,5 millions d’euros sur la table. Nous étions les seuls à proposer une telle somme. Nous avions en effet décidé de racheter les stocks car nous estimions que les banques ne pouvaient pas perdre une fois de plus de l’argent et qu’elles n’avaient pas à assumer cette charge.
Les Scop, ce n’est pas un jouet, c’est très professionnel. Après réflexion, je me suis rendu compte que l’unique moyen de garantir la réussite du projet était de transformer la société en Scop. C’était le seul modèle qui permettrait d’éviter ce qui s’était passé pendant vingt ans, période pendant laquelle les propriétaires n’ont pas investi dans Duralex.
Dans l’usine Duralex d’aujourd’hui, il n’y a pas d’assainissement – il y a dix‑sept fosses septiques – ni d’eau potable – nous pompons l’eau dans la nappe phréatique. C’est le résultat de ces vingt années de sous-investissement. La Scop n’est pas un jouet, c’est le modèle qui permet de sauver une entreprise à long terme.
M. le président Denis Masséglia. Vous avez souligné l’importance du soutien des collectivités territoriales et vous vous êtes réjoui du soutien de la préfecture. Pouvez-vous expliquer la différence que vous faites entre l’échelon national et la préfecture, qui représente pourtant l’État ? Quel accompagnement cette dernière vous a-t-elle fourni dans le processus de reprise ?
M. François Marciano. Quand vous créez une entreprise de cette taille, vous avez des documents à remplir et beaucoup de formalités à accomplir. Toutes les équipes de la préfecture, de la Dreets et de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) nous ont aidés à remplir les documents, comme l’autorisation d’exploiter, à nous diriger vers les bons services, à les contacter pour accélérer le processus. Sans capital, nous ne pouvions pas nous permettre d’engager des avocats pour nous accompagner. La préfecture a aussi, en lien avec Bercy, fait en sorte que les sommes versées par le Fdes nous parviennent en temps et en heure.
M. le président Denis Masséglia. Pour synthétiser, vous estimez ne pas avoir reçu le soutien financier que vous espériez, alors qu’en choisissant une autre structure vous auriez pu en bénéficier, mais vous jugez que l’accompagnement de l’État a été suffisant dans les démarches administratives.
M. François Marciano. Tout à fait.
M. le rapporteur. Quelle est l’ambiance aujourd’hui chez Duralex ? Y a-t-il des changements palpables dans l’organisation quotidienne, depuis la reprise de l’entreprise ?
M. François Marciano. Maintenant, les salariés éteignent la lumière ! Ils veillent à faire des économies. L’état d’esprit a changé.
Nous avons aussi désormais des représentants des salariés au comité de pilotage. Ils sont formés par l’union régionale des Scop, qui accompagne en permanence les ouvriers dans leur montée en compétences, pour les amener à la prise de décision. À ce jour, il n’y a pas de décision à prendre puisque nous nous contentons de suivre la feuille de route du tribunal. Cela nous laisse le temps de former ce comité tout doucement, auquel je soumettrai ensuite des budgets. C’est une véritable avancée pour les ouvriers.
Avant, à Orléans, on disait : « Ne va pas travailler chez Duralex, c’est là qu’on gagne le moins. » Certes, j’ai augmenté les salaires de 3 % pour les remettre à peu près à niveau, mais aujourd’hui, les gens viennent travailler chez nous parce que c’est une Scop et parce qu’ils savent que l’argent ne va pas sortir de l’entreprise. Nous avons 228 salariés qui disent que ce qu’ils veulent, ce ne sont pas des dividendes, mais sauver leur entreprise ! Imaginez un peu !
M. le rapporteur. Madame la déléguée générale, vous avez rappelé dans votre propos liminaire le poids économique des sociétés coopératives, qui est loin d’être négligeable. Vous avez rappelé la puissance et l’intérêt de ce modèle, sur les plans écologique et démocratique comme sur ceux de la qualité de vie au travail et de l’enracinement dans les territoires, où il est un motif de fierté. De fait, aujourd’hui, quand on pense à Orléans, on pense à la réussite de Duralex.
Ma question est un peu triviale : compte tenu de ce que vous représentez, considérez‑vous que vous avez suffisamment accès aux pouvoirs publics – à Matignon, à Bercy et, plus généralement, au Gouvernement ?
Mme Fatima Bellaredj. Non. Essayer de décrocher un rendez-vous, c’est beaucoup de temps et peu de résultats. En fait, chaque fois que nous obtenons des rendez-vous, c’est que nous avons mis le couteau sous la gorge de nos interlocuteurs. Pour Sitek, j’ai fini par obtenir un rendez-vous avec les conseillers de Matignon – j’avais rencontré le conseiller en charge des petites et moyennes entreprises (PME) voilà un an et demi – et c’est François Marciano qui m’a mise en relation avec le directeur de cabinet du ministre de l’industrie. C’est toujours comme ça.
M. le rapporteur. Mais votre secteur n’est pas négligeable, y compris sur le plan médiatique, comme on l’a vu avec Duralex. Vous ne sentez vraiment pas de la part des pouvoirs publics ou des membres du Gouvernement une volonté de vous courtiser, de vous avoir à portée de main, ou de valoriser votre action ?
Mme Fatima Bellaredj. Nous sommes un peu plus courtisés quand une proposition de loi est en préparation. Nous sommes très attentifs à la dimension collective de notre réseau d’entreprises. La force du collectif est un message politique puissant. Nous nous efforçons de ne pas être prisonniers de l’intérêt tout particulier qui se manifeste pour nous à l’occasion de l’examen d’un texte, et nous y parvenons à peu près.
Le plus difficile pour nous, c’est que nous voulons nous concentrer sur la dimension entrepreneuriale de notre mouvement. Il serait plus facile de communiquer sur la dimension sociale et solidaire de notre action, mais le caractère économique de nos enjeux fait que nos interlocuteurs se trouvent plutôt à Bercy, parfois au ministère du travail ou de l’industrie ou directement à Matignon. L’importance des aspects entrepreneuriaux se retrouve aussi dans nos relations avec les syndicats patronaux et de salariés.
Nous pouvons aussi appeler les copains, d’anciens ministres avec lesquels nous avons fait des choses et auxquels nous demandons de nous accompagner sur des points précis. C’est souvent comme cela qu’on décroche des rendez-vous.
Reste que notre modèle d’entreprise, qui est à l’opposé du modèle classique, peut faire peur – c’est du moins ce que je ressens. Il faut bien savoir que, dans ces entreprises, on ne se réunit pas tous les jours pour toutes les décisions ! Ce qui importe, c’est la démocratie dans l’entreprise. Dans une démocratie, on aimerait bien que tous les citoyens aillent voter ; dans une Scop, tous les salariés associés vont voter, parce qu’ils savent que leur vote sera pris en compte. Bien sûr, ce modèle interpelle, car il est évidemment plus facile de décider à trois qu’à deux cent vingt-huit. Nous passons donc beaucoup de temps à expliquer qu’on n’a pas besoin d’être là tous les jours pour prendre des décisions.
Quand l’entreprise va bien, cela est parfait, mais quand elle ne va pas bien, il faut que tout le monde soit au rendez-vous. C’est ce qui fait notre force. Notre taux de pérennité ne sort pas de nulle part. Quand les gens sont impliqués, ils viennent. Quand tout va bien et que nous distribuons de la participation, les gens sont très contents. Mais quand nous ne pouvons pas en distribuer parce que le bénéfice n’est pas au rendez-vous, certains salariés se parent de leur autre casquette et se demandent comment faire autrement. C’est une vraie force.
Les défaillances touchent principalement les jeunes entreprises – à cet égard, nous rejoignons le modèle commun – pour des raisons qui tiennent généralement aux fonds propres. Les pouvoirs publics font beaucoup ; ils mettent en place des outils qui nous font rêver. Tout ce que nous demandons, c’est de pouvoir y accéder au même titre que n’importe quelle entreprise. Il y a une vraie différence de traitement, que nous avons démontrée de façon factuelle lorsque nous avons été interrogés par la Cour des comptes. Nous ne demandons pas de dispositifs spéciaux. Nous faisons simplement remarquer que nous n’avons pas accès aux aides dont bénéficient les autres, comme les aides de Bpifrance ou de la Banque des territoires – qui sont des prêts, lesquels doivent donc être remboursés ! Cela n’est pas normal. Nous ne vous demandons pas de faire des miracles, mais simplement de rétablir une forme de justice. Tout le monde y gagnera – les salariés, les citoyens et les élus, qui font un travail remarquable.
M. le rapporteur. J’entends votre volonté de parvenir à une égalité de traitement entre les acteurs et votre point de vue sur la démocratie dans l’entreprise, que vous considérez comme le meilleur des systèmes.
Vous avez regretté de ne pas avoir l’oreille des pouvoirs publics. Or nous allons auditionner le ministre de l’industrie, et vous savez que le Parlement a la faculté de faire passer des messages aux représentants du pouvoir exécutif. Ma question est donc la suivante : songez‑vous à des exemples de cas dans lesquels une intervention de la puissance publique pourrait conduire à un dénouement positif, comme dans le cas de Duralex ?
Mme Fatima Bellaredj. Nous plaidons pour la création d’un fonds dédié qui nous permettra, en particulier pour les reprises d’entreprises en difficulté, de mobiliser des moyens importants. Nous devons faire en sorte que l’effet de levier soit plus fort lorsque nous prêtons de l’argent aux salariés des Scop. Avant la crise sanitaire, pour un euro prêté, nous en obtenions sept – en provenance des banques, des fonds solidaires, de l’État, des collectivités territoriales. Depuis la crise sanitaire, dans un contexte économique tendu dans lequel les banques sont beaucoup plus frileuses, pour un euro prêté, nous en obtenons quatre. La création de ce fonds permettrait de rendre le ratio plus favorable pour nous.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Marciano, nous avons reçu madame Pénicaud, avec qui nous avons abordé, de façon rapide, la question de l’accès aux contrats à durée indéterminée (CDI). Vous avez dit dans votre propos liminaire qu’il était aujourd’hui difficile d’attirer des jeunes sur des postes en CDI. Si je comprends bien, vous voudriez recruter en CDI mais vous ne trouvez pas de candidats, le CDI n’étant plus, pour les jeunes, le Graal qu’il était pour les générations passées. Pouvez-vous développer ce point ? Comme nous avons des opinions divergentes, il est toujours intéressant de nous appuyer sur l’analyse de ceux qui sont ancrés dans la réalité industrielle.
M. François Marciano. J’ai quarante ans de métier dans le verre – trente ans chez Arc et dix ans chez Duralex. Nous sommes en plein changement. Auparavant, on avait un travail, on en était fier, on « bossait » pour le patron et on faisait attention. Aujourd’hui, les jeunes nous disent que, pour eux, il est hors de question de travailler pour quelqu’un. Ils veulent être maîtres de leur destin.
Notre activité est technique ; nous avons de grands besoins en électromécaniciens, électrotechniciens et conducteurs verriers, qu’on ne trouve plus du tout sur le marché. Nous nous sommes donc dotés d’une classe en interne et travaillons avec France Travail pour former nos propres personnels selon un schéma associant une semaine de classe et une semaine en alternance sur le terrain. Les jeunes préfèrent signer des contrats à durée déterminée (CDD) ou des contrats intérimaires : ils gagnent plus d’argent et, si cela ne leur convient pas, ils peuvent partir.
C’est un vrai changement de culture. Les jeunes estiment que les salaires attachés aux CDI ne sont pas assez intéressants. Ils pensent au présent, pas à l’avenir. Être titulaire d’un CDI et acheter une maison, comme nous avons pu le faire dans notre jeunesse, ce n’est pas du tout ce qu’ils recherchent. Ils ont une autre vision des choses, et je ne suis pas assez calé pour dire si c’est la bonne.
Toujours est-il que les jeunes ne veulent plus travailler pour quelqu’un et que la situation va se compliquer si nous ne trouvons pas de solution pour relever ce défi. Peut-être faudra-t-il que, demain, une autre commission parlementaire trouve une idée pour concevoir un nouveau modèle pour l’avenir.
M. le président Denis Masséglia. Nous convenons tous que nous ne pourrons pas imposer à la jeunesse de s’adapter à notre système ; ce sera au système de s’adapter aux aspirations des individus. J’ai hâte de voir comment le système se sera adapté à ces aspirations dans quelques années, car c’est la jeunesse qui, demain, fera tourner nos usines.
Combien de temps faut-il pour former un professionnel à vos métiers très techniques ?
M. François Marciano. Pour former un verrier, il faut dix ans. C’est un métier très particulier ; en outre, chez Duralex, le savoir-faire est très pointu. C’est très compliqué.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à seize heures cinquante.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia