Compte rendu

Commission d’enquête
sur les effets psychologiques
de TikTok sur les mineurs

– Audition, à huis clos, de MM. X et Y. et de Mme Z.............2

 Audition, ouverte à la presse, de maître Laure Boutron-Marmion, avocat au barreau de Paris, fondatrice du collectif Algos victima, et de plusieurs familles              11

– Présences en réunion................................43


Jeudi
15 mai 2025

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Arthur Delaporte,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à treize heures trente.

 

La commission auditionne, à huis clos, MM. X et Y, et Mme Z.

M. le président Arthur Delaporte. Je souhaite la bienvenue aux personnes mineures qui ont bien voulu venir témoigner pour enrichir notre démarche d’une parole qui, sans conteste, sera très précieuse pour nos travaux. Nous avons lancé cette commission d’enquête pour les jeunes, pour essayer d’agir pour eux. C’est pourquoi leur participation est indispensable. Merci d’avoir accepté de parler et d’avoir pris le temps de venir ici. Mme la rapporteure et moi-même sommes très intéressés par ce que vous pourrez nous dire. Je sais que ce lieu peut être intimidant, mais vous êtes ici chez vous, dans la maison du peuple, où doivent se faire entendre vos paroles et vos préoccupations.

Au vu de l’âge des personnes venues témoigner, il nous a semblé préférable, pour leur offrir le cadre le plus serein possible et protéger leur parole, que cette audition se tienne à huis clos. Un compte rendu sera établi, mais il préservera l’anonymat des personnes entendues.

Mme Laure Miller, rapporteure. Avec plusieurs collègues parlementaires, nous avons estimé que nous devions agir et qu’une commission d’enquête nous permettrait de prendre le temps de réfléchir et de vous rencontrer, vous et tous les acteurs concernés de près ou de loin par ces questions.

Cette audition sera donc fondamentale, en ce qu’elle nous permettra de vous laisser nous faire part de votre expérience, et peut-être de vos souhaits. Votre parole est très précieuse pour nous. Merci infiniment pour votre courage.

Maître Laure Boutron-Marmion, avocate au barreau de Paris, fondatrice du collectif Algos victima. Les enfants témoigneront de manière spontanée, mais, si vous m’y autorisez, peut-être les ferai-je rebondir sur un ou deux points qu’ils ont pu évoquer avec moi et qu’il me semble important de porter à votre connaissance.

M. le président Arthur Delaporte. Dans ce cas, je me dois de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Maître Laure Boutron-Marmion prête serment.)

Mme X. J’ai été victime de TikTok. J’ai reçu un téléphone pour noël. J’étais alors en quatrième, ce qui est assez tard par rapport à la moyenne des gens de mon âge. J’ai installé TikTok sur le conseil d’une amie qui m’a dit : « tu verras, c’est super ».

Au début, je voyais beaucoup de contenus qui me ressemblaient – de musique, d’art, de crochet, de cinéma –, mais, de fil en aiguille, ces contenus se sont obscurcis. On m’a proposé des musiques plus tristes, qui parlent de sujets plus sensibles, comme le mal-être ou la dépression, des vidéos d’artistes parlant de leur santé mentale. Je suis assez vite tombée dans une sphère mortifère, parce que j’ai « liké » certaines de ces musiques, qui me parlaient : j’allais déjà un peu mal avant d’aller sur TikTok, mais cela s’est aggravé avec ces contenus.

Jusqu’en avril 2024, je me suis beaucoup renfermée sur la plateforme. Cela a été un peu comme un refuge, même si, en même temps, je savais que c’était malsain.

J’ai fait plusieurs tentatives de suicide. Je me suis aussi beaucoup scarifiée, parce que j’ai vu des gens qui ont banalisé le fait de se faire du mal, d’avoir des comportements autodommageables. J’ai été hospitalisée plusieurs fois ; en tout, pendant vingt-cinq semaines sur une période de deux ans et demi.

Je continue à aller sur TikTok, mais avec un contrôle parental qui limite l’usage à trente minutes par jour. Certains mots sont aussi censurés par ma mère, si bien que je ne tombe plus vraiment sur certains contenus. Quand je vois tout de même des contenus qui peuvent être nocifs, je les signale, mais ils ne sont pas toujours – et même jamais – censurés : on me dit que « la vidéo n’enfreint aucune règle de la communauté ». Je ne suis pas allée regarder ce que sont exactement les règles de la communauté, mais je sais que ces vidéos peuvent être nocives et aggraver la santé mentale des jeunes, comme elles ont aggravé la mienne.

Je me suis aussi rendu compte, à l’occasion d’une visioconférence avec le collectif Algos victima, que lorsque je tombais sur une vidéo de quelqu’un qui allait mal, je « likais » ce contenu, parce que je trouvais une communauté. Je me disais : « cette personne me comprend ». J’avais en quelque sorte envie de devenir amie avec elle, pas dans le sens où nous aurions pu devenir meilleurs amis, mais dans le sens où elle me comprendrait mieux que ceux qui m’entourent. Je « likais » des contenus pour dire aux personnes qui les postaient : « ça va aller, tu vas y arriver, on y croit, on est ensemble », mais elles les interprétaient sûrement comme un signe qu’elles avaient raison d’aller mal, comme un encouragement à continuer.

Ce qui est très nocif sur TikTok, ce sont les tutos qui expliquent comment se faire du mal, comment faire un nœud pour se pendre, plein de choses de ce genre. Ces images sont imprégnées dans ma rétine, je ne peux plus les enlever : même si je ne vais plus sur TikTok, j’ai toujours ces vidéos qui me viennent en tête.

M. Y. J’ai 17 ans et ma grande sœur a été victime des réseaux sociaux ; j’ai réussi à sauver ma petite sœur de 14 ans et moi-même de ces derniers.

Ma grande sœur s’est pendue en février 2024. Avant cela, elle avait effectué quatre tentatives de suicide avec des médicaments. C’est pour ça que je dis qu’elle a été victime des réseaux sociaux : cette idée de se pendre ne lui est pas venue toute seule.

En plus de cela, avant de passer à l’acte, elle avait le corps détruit par les mutilations, les scarifications et les cicatrices – sur toutes les parties du corps, visibles ou non. Je sais, parce que je l’ai vu sur son fil TikTok, qu’elle regardait des vidéos qui lui disaient que c’était en quelque sorte positif de se mutiler, parce que cela pouvait signifier qu’elle allait s’en sortir, tout en ayant traversé une épreuve : ce serait marqué sur son corps, mais elle s’en serait sortie. Au final, elle ne s’en est pas sortie et elle s’est juste abîmé le corps.

C’est pour cette raison que je m’adresse à vous aujourd’hui : je trouve qu’il y a un gros problème dans la censure des vidéos sur TikTok. Il ne servirait à rien de supprimer les réseaux sociaux, parce qu’ils peuvent être très positifs et instructifs. Cependant, sur les sujets aussi sensibles, la limite est très fine entre les vidéos qui sont là pour dire aux jeunes souffrant de dépression ou ayant des problèmes de santé mentale qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils peuvent se faire aider et s’en sortir, et les vidéos qui les confortent dans ces maladies ou ces situations. Vous savez sans doute tous que TikTok fonctionne avec un système d’algorithme, si bien que quand on like une publication, des publications du même genre reviennent très fréquemment dans notre fil « Pour toi ». Si jamais on like une publication triste, où sont exprimées des tendances dépressives ou autres, elle risque de revenir.

Malheureusement, je m’y suis pris trop tard : je n’ai pas eu la chance de trier le fil TikTok de ma grande sœur quand j’aurais pu le faire, parce que je n’avais pas encore conscience de ce qu’il se passait. C’est lorsqu’elle est partie et que j’ai dû m’occuper de ma petite sœur que j’ai compris que je ne pouvais pas la perdre aussi. Je suis donc allé sur son fil. J’ai compris que comme elle venait de perdre sa sœur et qu’elle éprouvait une grande tristesse, et même du désespoir, si elle allait voir des publications contenant des propos comme « j’ai perdu une personne qui m’est chère, je me sens incomprise », elle risquait de les « liker », précisément parce qu’elle se sentait incomprise et qu’elle devait se sentir terriblement seule à ce moment-là. On ne peut pas lui en vouloir : ce n’est pas de sa faute, d’autant qu’en plus de ça, elle n’avait que 14 ans.

J’ai donc décidé, après la mort de ma grande sœur, de prendre le téléphone de ma petite sœur et de passer chaque soir une heure ou une heure et demie à regarder toutes les vidéos qui étaient proposées, d’avoir le courage de cliquer encore et encore sur « Pas intéressée », jusqu’à ce que son fil redevienne normal et que je puisse, le matin, me réveiller en me disant que ma sœur aurait un téléphone propre, qui lui permette de se divertir ou de s’instruire, plutôt que de la tirer vers le bas.

J’espère que mon témoignage fera une différence et qu’il débouchera sur une vraie éducation pour les jeunes qui utilisent ces applications et une vraie gestion des vidéos qui tournent sur ces plateformes.

M. Z. J’aurai 17 ans le 19 mai et j’ai été déclaré en dépression en décembre 2023. J’ai reçu mon premier téléphone en sixième. J’ai dû le changer en cinquième parce qu’il était cassé ; c’est alors que j’ai installé l’application Instagram. Au moment de mon passage de la troisième à la seconde, mon frère est parti à Paris pour réviser, alors que nous habitons dans le Sud : j’étais un peu triste, parce que ça faisait comme un manque dans la famille. Je suis tombé sur une vidéo qui prônait l’automutilation. Étant naïf, jeune, un peu triste, j’ai décidé de franchir le pas et d’essayer.

Je tombe alors dans cette spirale qui me tire toujours plus vers le bas : je regarde de plus en plus de vidéos de ce genre – je les cherche, parce que je me sens compris. À l’école, j’étais seul, je voyais tous mes amis qui étaient heureux, et moi j’étais le seul à être triste et à vouloir quitter ce monde. Trouver des vidéos de ce genre me permettait de me sentir bien. Un jour, un de mes amis voit mes marques sur les bras et décide d’appeler mes parents. L’annonce a été compliquée, parce que mon père – on a tous un père ; souvent, ils ne sont pas très affectueux – m’a en quelque sorte dit que je leur gâchais la vie, que ce que je faisais n’était pas bien, que c’était quelque chose de mauvais. Je l’ai très mal pris et j’ai fait ma première tentative de suicide. Heureusement que ma mère est passée dans ma chambre ce soir-là et lui a dit que j’avais fait une bêtise.

J’ai donc été hospitalisé pour la première fois. J’étais un peu triste, parce que j’étais éloigné de tout le monde, mais, en même temps, j’ai pu me reconcentrer sur moi-même : je n’avais plus trop mon téléphone à disposition et je ne tombais plus sur ce genre de vidéos. Je suis ensuite passé en pédiatrie. J’étais suivi : après la déclaration de mon ami, j’ai vu une psychologue et un psychiatre. Dès le premier rendez-vous chez le psychiatre, on m’a prescrit des antidépresseurs, parce que j’étais diagnostiqué comme souffrant de dépression et qu’il fallait passer par là. J’avais aussi un rendez-vous tous les mercredis avec ma psychologue : je venais la voir, je lui racontais ce qu’il se passait et elle m’écoutait. Ce personnel médical m’a aidé, mais ces vidéos nocives m’ont tiré vers le bas et j’ai développé une sorte d’addiction : à mesure que je tombais sur plus de vidéos, c’était de pire en pire.

Après ma deuxième tentative de suicide, on a décidé de m’hospitaliser au sein du CEOA, le centre d’évaluation et d’observation de l’adolescent. J’ai rencontré des gens comme moi et je me sentais compris, mais, dans le même temps, je voyais leur mal-être et c’est là que j’ai eu un déclic. Je me suis dit : « Je ne veux plus être comme ça, ça ne me correspond pas, je suis un garçon joyeux. Je ne peux pas être aussi mal, avoir un moral aussi bas, je dois m’en sortir. » Du coup, nous avons mis en place des thérapies familiales.

J’ai essayé de quitter ce genre de vidéos, de dire que je n’étais pas intéressé et que je ne voulais plus les voir. Je me suis aussi désabonné des comptes qui me correspondaient avant. Progressivement, je tombais sur des vidéos plus joyeuses. C’est grâce à cela que je suis ici aujourd’hui, debout, face à vous, pour expliquer que la censure est absente des réseaux et qu’il faut la mettre en place.

M. le président Arthur Delaporte. Merci à tous les trois pour vos témoignages empreints de sincérité et très éclairants pour notre commission.

Maître Laure Boutron-Marmion. Pour donner un exemple précis, pourriez-vous, monsieur Z., nous parler de la story d’une de vos amis, qui n’a jamais été censurée ?

M. Z. À l’hôpital psychiatrique, je me suis fait des amis, dont l’une était en grande dépression. Étant resté en contact avec elle après être rentré chez moi, je suis tombé sur une de ses stories Instagram où on voyait son cou mutilé, avec des points de suture, presque le sang qui coulait. La deuxième photo montrait un sol avec des taches de sang partout. Il y avait aussi des stories d’elle à l’hôpital avec des points de suture. Ces images sont gravées dans ma rétine. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il y avait un problème et qu’il fallait censurer ces contenus.

Maître Laure Boutron-Marmion. Pouvez-vous aussi confirmer que les vidéos TikTok sont partagées sur Instagram ?

M. Z. Toutes les vidéos Instagram que je voyais, on pouvait les retrouver sur TikTok : c’étaient des utilisateurs de TikTok qui les postaient sur Instagram. Tout est lié.

Mme Laure Boutron-Marmion. Monsieur Y., pouvez-vous décrire une vidéo ou un contenu de votre sœur que vous avez pu voir à l’époque et qui vous a interpellé ?

M. Y. Ma grande sœur, même si elle n’avait plus le recul nécessaire pour distinguer entre les vidéos bonnes ou mauvaises, restait intelligence et avait compris, il y a un an, je crois, qu’il y avait un manque de censure sur la plateforme. D’après ce que j’ai vu, les vidéos qu’elle publiait portaient surtout sur la mutilation. Je pense qu’elle parlait aux gens de sa « communauté » en leur disant : « Ne voyez pas ça comme quelque chose de négatif, mais comme quelque chose de positif. N’arrêtez pas forcément, car ce sera une marque de ce que vous avez réussi à vous en sortir. »

Une autre vidéo sur laquelle j’étais tombé datait d’un jour, peu avant Noël, où elle s’était mutilée le poignet – je pense que c’était une de ses mutilations les plus profondes. On voyait les photos des plaies ouvertes et du sang. Je ne trouve pas normal qu’elle ait pu l’insérer sur la plateforme, sans qu’il y ait d’avertissement, de censure ou de conséquences.

Maître Laure Boutron-Marmion. Même question pour vous, madame X. : vous expliquiez que toutes ces images étaient restées gravées dans votre mémoire, malgré vos efforts pour vous en sortir. Pourriez-vous nous en décrire une ?

Mme. X. Beaucoup de trends sont consacrés à la santé mentale et au mal-être. Je pense notamment à une vidéo où la première image dit : « la nuit porte conseil », et la deuxième : « moi, elle m’a dit de prendre une corde et un tabouret ». Sous-entendu : « elle m’a dit que je devais mourir ». Cette vidéo a été relayée par plein de personnes.

Il y avait aussi des vidéos expliquant quels médicaments prendre pour en finir, comment cacher ses cicatrices à ses parents, comment se fournir en médicaments, etc. Il y a énormément de vidéos de ce genre, même si toutes ne me reviennent pas à l’esprit à cet instant. Il faut une régulation de ces contenus.

Mme Laure Miller, rapporteure. Merci pour vos témoignages précieux, qui font écho aux auditions des professionnels, qui nous expliquaient qu’on peut en effet, en consultant ces contenus, se sentir appartenir à une communauté et se sentir rassuré, voire protégé, même si l’on sait, au fond de soi, que c’est malsain.

Je voulais vous interroger sur ce que vous attendez de nous. J’entends que vous ne souhaitez pas qu’on interdise les réseaux sociaux, mais qu’on les régule et qu’ils censurent ce qui doit l’être. C’est néanmoins très difficile, car on se heurte à des plateformes qui n’ont aucun intérêt économique ou commercial à cette régulation, puisque ces contenus leur permettent de prospérer. Une solution pourrait consister à les tenir pour responsables de ce qu’elles diffusent – elles sont actuellement considérées comme de simples hébergeurs de contenus et se retranchent derrière une prétendue neutralité, dont on voit bien qu’elle n’est pas réelle –, mais on a surtout le sentiment qu’on tâtonne sans que, pour l’instant, rien de très concret se passe pour protéger les jeunes.

Vous paraîtrait-il envisageable que les enfants n’aient pas accès aux réseaux sociaux en deçà d’un certain âge, par exemple avant l’entrée au lycée, en attendant qu’ils soient peut-être plus mûrs ? Verriez-vous une telle interdiction d’un mauvais œil, sachant qu’elle permettrait de mettre l’accent sur le problème de santé mentale que vous décrivez, et même si toute règle est susceptible d’être transgressée ?

M. Y. De nombreux sites ou applications ne sont accessibles qu’à partir d’un certain âge – pour TikTok, c’est 13 ans. Certains sites exigent une pièce d’identité ou imposent un contrôle par reconnaissance faciale, ce qui permet de vraiment vérifier l’âge des utilisateurs, alors que, pour aller sur TikTok, il suffit de cocher une case. Je trouve ça absolument ridicule : ça ne sert à rien, autant ne pas mettre de limite d’âge.

À 13 ans, on peut être plus mature que certaines personnes de 15 ans. Je ne vois pas pourquoi on fixerait une limite d’âge plus haute : 13 ans, c’est bien.

Mme X. Il serait déjà important que les réseaux comme TikTok se rendent compte de ce qu’ils font. C’est ce que j’attends de la commission d’enquête. S’il pouvait y avoir des réglementations en ce sens, ce serait l’idéal.

Les enfants reçoivent des téléphones de plus en plus jeunes et beaucoup vont sur les réseaux sociaux, dont TikTok. C’est effectivement assez ridicule : ils n’ont qu’à renseigner une fausse date de naissance. Il faudrait donc qu’il y ait une vraie réglementation sur l’âge.

Je ne pense pas qu’il faille interdire les réseaux, parce qu’il y a aussi de bonnes choses à prendre : on peut apprendre, découvrir des choses, on peut faire partie d’une communauté bienveillante, on peut être créateur de contenus – c’est maintenant un métier à part entière dans notre société. Il ne faut pas tout jeter, il y a des choses à garder, mais il faut vraiment faire un tri, en écartant notamment les contenus mortifères.

M. Y. Demander la carte d’identité permettrait de décourager ceux qui n’ont pas l’âge. Si l’enfant arrivait à en faire passer une, ce serait sûrement celle de l’un de ses parents : celui-ci serait au courant, donc responsable. Je pense que ça devrait être la seule réglementation. Je ne devrais même pas avoir à trier le fil de ma petite sœur. Il faut que TikTok redevienne une source de divertissement et d’instruction et non pas d’inquiétude.

M. Z. Ce n’est surtout pas à nous de faire ce tri. En tant qu’enfant, on n’a pas le recul. Ce sont des robots qui devraient détecter ces contenus sensibles et les supprimer directement au lieu de les laisser se balader dans les centres de données.

Mme Anne Genetet (EPR). Je suis médecin de formation et je me suis occupée pendant plusieurs années de patients en situation d’addiction – à des substances plutôt qu’aux réseaux sociaux, qui n’étaient pas très fréquents il y a vingt ans. Je voudrais d’abord vous remercier. Ce que vous venez de faire est absolument formidable. Je mesure combien c’est lourd pour vous, combien c’est difficile de vous exprimer. Je veux vous remercier du fond du cœur, parce que vous nous apportez un éclairage et vous me faites mesurer à quel point il y a parfois un sacré abîme entre le monde des adultes et celui des plus jeunes. Nous avons beau être des parents super ouverts et très accessibles, nous ne le sommes sans doute pas complètement. Nous pouvons passer à côté de choses très graves, peut-être très belles aussi. Il est normal que vous ayez votre jardin secret, car c’est aussi comme ça qu’on grandit, mais quand le jardin secret conduit à des drames tels que ceux que vous avez évoqués, les parents se sentent très démunis. J’ai été très sensible, monsieur Z., à votre remarque sur votre père. Je mesure bien sa réaction première, parce que je pense qu’en tant que parents nous ressentons un sentiment d’échec, nous nous disons que nous n’avons pas été capables de voir, alors que nous avons tellement envie que nos enfants soient parfaits, soient heureux et que tout aille bien. Quand nous sommes, en tant que parents, mis en échec, c’est super dur à encaisser. Je ne veux pas l’excuser mais j’entends ce qu’il dit. Je vous remercie encore pour vos témoignages, qui vont nourrir notre réflexion et nous éclairer.

Madame X., je suis très sensible au contrôle que vous avez instauré avec votre maman. J’imagine qu’il faut une sacrée relation de confiance pour réussir à bâtir cela. Vous avez parlé de trente minutes d’accès par jour, mais j’entends aussi, grâce à ce qu’a dit M. Y, que, même en une demi-heure, on peut déjà se faire embarquer dans des trucs qu’on n’a pas forcément demandés. J’entends votre demande de régulation de la part des plateformes ainsi que l’importance du rôle des parents. En fait, vous devez vous autocontrôler et faire preuve de recul pour vous rendre compte que vous êtes face à quelque chose de potentiellement très nocif : c’est très difficile. Quels conseils avez-vous pour sensibiliser les parents ? Pour ma part, je suis incapable de me servir de TikTok.

Monsieur Y., vous nettoyez le soir le téléphone de votre petite sœur pendant une heure trente. Devez-vous passer autant de temps chaque soir ou, à force de nettoyage, le fil finit-il par être plus propre, en quelque sorte ?

M. Y. Encore aujourd’hui, je fais très attention au fil TikTok de ma sœur. Quand on est allé sur un tel terrain, avec un sujet aussi sensible, ça ne s’effacera pas – surtout que les réseaux n’oublient rien.

Pour ce qui est des parents, le sujet n’est pas directement lié à la maîtrise de TikTok. Quand on voit une vidéo au caractère suicidaire ou dépressif, on en a tous la même perception. C’est aux parents de parler à leurs enfants et de leur dire que TikTok est un outil qui peut être très dangereux. Comme la majorité des parents n’ont pas conscience de la dangerosité des réseaux sociaux et qu’ils n’y vont pas beaucoup, c’est compliqué pour eux d’en parler à leurs enfants. Il suffit en vérité que les parents disent à leurs enfants que, si quelque chose ne leur semble pas normal, il faut venir leur en parler.

Mme X. Les parents sont responsables de donner un téléphone, mais ils ne sont pas coupables des contenus. Lorsque nous faisons la démarche de signaler un contenu, il faut que TikTok nous croie. Beaucoup de vidéos sont remises en circulation et peuvent faire d’autres victimes.

M. Kévin Mauvieux (RN). Je vous remercie pour tout ce que vous nous avez expliqué et pour le courage dont vous faites et avez fait preuve. Nous avons parlé de la limite d’âge : à quel âge vous êtes-vous inscrits sur TikTok ? Il ne s’agit évidemment pas de faire votre procès mais de mieux comprendre comment TikTok fonctionne et de savoir si vous avez pu vous inscrire facilement. Et si vous aviez moins de 13 ans, comment avez-vous fait ?

Mme X. J’ai installé TikTok en janvier 2021 : j’allais avoir 14 ans quelques mois plus tard.

M. Y. J’ai installé TikTok quand j’étais en sixième. Je devais donc avoir 11 ans. Il faut aussi prendre en compte que ce qui tournait sur les réseaux sociaux avant, ce n’était pas du tout la même chose que maintenant. Je ne me souviens plus de la façon dont je me suis inscrit.

M. Z. J’ai installé Instagram quand j’étais en cinquième, aux alentours de 12 ou 13 ans, et TikTok récemment.

M. Kévin Mauvieux (RN). Quel type de contenus cherchiez-vous ? À quelle vitesse les « mauvais » contenus ont-ils pris le pas sur les « bons » ? Y a-t-il, à votre sens, un lien entre les contenus que vous auriez appréciés et ceux sur lesquels vous avez atterri ?

M. Z. Quand j’ai installé Instagram, je cherchais des contenus sur l’art, la mode, des musiques qui me plaisaient, des sujets qui me correspondaient. Je pense que ça a dû venir petit à petit par les musiques, surtout les musiques tristes.

M. Y. Quand on s’inscrit sur TikTok, on nous demande nos centres d’intérêt. Jusqu’à la mort de ma sœur, ça a toujours été très propre et ça m’a toujours intéressé. Un ou deux jours après la mort de ma sœur, l’application a tout de suite commencé à me proposer des vidéos un peu limites, mais j’ai toujours fait en sorte de les trier pour m’éviter de tomber là-dedans.

Mme X. Il y a d’abord les centres d’intérêt : des musiques, des vidéos satisfaisantes, des vidéos bêtes, avec des pandas par exemple – ce n’est pas très intelligent un panda. L’engrenage a commencé avec des musiques tristes, qui étaient réutilisées par des personnes pour parler de leur mal-être. Comme je « likais » un contenu de mal-être, on me proposait d’autres contenus de mal-être. C’était un cercle vicieux, encore et encore.

M. le président Arthur Delaporte. Vous souvenez-vous d’une musique triste en particulier ?

Mme X. Le morceau « Mr/Mme » de Loïc Nottet, par exemple. Il parle de son mal‑être. C’est une musique très intéressante et les paroles sont très profondes, mais elle a été utilisée à mauvais escient.

M. le président Arthur Delaporte. Vous recherchiez cette musique ? Elle apparaissait directement dans votre fil ?

Mme X. Je suis tombée sur cette musique parce qu’elle venait de sortir, je pense. Elle a un peu fait l’effet d’une bombe sur les réseaux. Ensuite, je n’ai pas particulièrement cherché à voir d’autres contenus dessus mais comme je « likais » des gens qui en faisaient des reprises, on me proposait d’autres vidéos avec cette musique ou ce son.

M. le président Arthur Delaporte. Y a-t-il eu un effet de mode ? Certains ont-ils utilisé cette musique pour véhiculer un message ? Voulaient-ils s’inscrire dans une tendance triste ?

Mme X. Il y avait un peu de tout. Certaines personnes disaient que, si l’on ressentait les mêmes sentiments que ceux exprimés dans la chanson, il fallait se tourner vers un professionnel – un psychologue, un psychiatre, un médecin. D’autres s’en sont servis sur le trend de « La nuit porte conseil », par exemple. C’est un contenu qui est beaucoup revenu.

M. le président Arthur Delaporte. Y avait-il un hashtag ?

Mme X. Je pense qu’il y avait des hashtags qui jouaient avec l’algorithme. Il faut savoir que certains émojis sont utilisés pour détourner les contenus, comme le drapeau suisse pour parler du suicide, le zèbre des scarifications. Il y a plein d’émojis qui ont des connotations relatives au mal-être et qui sont utilisés comme hashtags. L’algorithme les utilise pour nous proposer des vidéos similaires.

M. le président Arthur Delaporte. De manière générale, vous laissez-vous guider par l’algorithme ou allez-vous rechercher des hashtags ?

Mme X. Non, même si ça m’est déjà arrivé de chercher une vidéo en particulier, soit parce que je l’avais déjà vue et que je voulais la revoir soit parce que je cherchais un créateur de contenus qui m’avait plu. Je n’ai jamais vraiment cherché ce genre de contenus.

M. Z. Je cherchais #ts pour « tentative de suicide » ou #$h pour « self-harm », « automutilation ». Je tombais sur certaines vidéos, mais aussi sur des vidéos de Taylor Swift dont « ts » est le diminutif…

M. Kévin Mauvieux (RN). TikTok vous a fait, à vous ou à votre entourage, du mal voire beaucoup de mal. Pourtant, on a l’impression qu’il est impensable pour vous de l’interdire aux mineurs ou aux enfants de moins de 15 ans. Comment expliquez-vous que vous, qui avez vécu le côté très noir de TikTok, souhaitiez conserver son accès aux enfants à partir de 13 ans et ayez du mal à imaginer être heureux sans l’application ? Dans l’hypothèse d’une interdiction complète de TikTok aux moins de 15 ans, de 16 ans ou de 18 ans, il n’y aurait plus de crainte d’une déconnexion sociale : pensez-vous que vous auriez encore du mal à vivre sans TikTok ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?

Mme X. J’arrive à vivre sans TikTok. Il y a certaines semaines où je ne vais pas sur l’application. Cependant, je continue à y aller pour ne pas être en décalage complet avec les gens de mon âge, pour rester à la page. C’est un outil qui fait désormais partie de notre société et de ma génération. Je ne suis pas forcément pour la limite d’âge à 13 ans, qui me semble très basse. L’élever serait une bonne chose, parce qu’à 13 ans, on n’a pas encore les armes pour affronter ce monstre qu’est TikTok.

M. Y. Supprimer les réseaux sociaux, ce serait vraiment génial. J’ai déjà essayé, comme beaucoup d’amis. Mais si on se détache de TikTok une semaine, on est vraiment en décalage avec le reste de notre groupe d’amis. Je pense qu’il y a aussi beaucoup de positif. Moi qui m’intéresse beaucoup à la mode, je trouve mes informations en majorité sur TikTok. Je ne regarde pas trop les journaux, mais je peux suivre l’actualité grâce à HugoDécrypte.

Pour la limite d’âge, comme je vous l’ai déjà dit, je n’y vois pas trop d’intérêt.

M. le président Arthur Delaporte. À supposer que l’on interdise TikTok aux moins de 15 ans, faut-il interdire tous les réseaux sociaux à cette population ? Est-ce que l’on interdit YouTube, WhatsApp et Telegram ?

M. Z. Il faudrait interdire TikTok, Instagram et Telegram. Ce sont des réseaux sociaux nocifs si l’on est trop jeunes. On peut tomber sur des horreurs sur Telegram, notamment des canaux pour vendre de la drogue, des médicaments, des armes.

M. le président Arthur Delaporte. Cela vous est déjà arrivé ?

M. Z. Non, mais des amis de l’hôpital étaient sur ces sites pour trouver de la cocaïne ou du shit.

Je continue à regarder TikTok, parce que maintenant j’ai du recul. On y trouve des contenus plaisants. Mettre une limite d’âge, c’est une bonne idée, mais l’important, c’est de supprimer les contenus trop violents.

M. le président Arthur Delaporte. Qui suivez-vous sur TikTok ? Suiviez-vous des influenceurs mal-être ?

Mme X. Je ne connais plus les noms. Je ne sais pas si on peut qualifier d’influenceurs certaines personnes que je suivais, mais elles m’ont influencée dans des décisions que j’ai prises. Il y a des influenceurs santé mentale bienveillants et d’autres qui sont un peu entre les deux. Je pense à Miel Abitbol, qui peut faire des contenus suscitant des émotions négatives – trigger comme on dit sur les réseaux – ; ils partent d’un bon sentiment mais ils peuvent mettre mal à l’aise certaines personnes.

M. Y. Je pense qu’il y a trois grands réseaux sociaux à supprimer : TikTok, à cause des contenus suicidaires et dépressifs, Instagram, pour la même raison, et Snapchat à cause de la nudité et de la pornographie.

Mme Anne Genetet (EPR). Je connais bien Miel Abitbol. Je ne partage pas du tout sa façon de faire, qui est indirectement toxique, à mon avis.

On voit sur ces réseaux des enseignants qui ont envie de donner des cours ou de faire du soutien scolaire. Vous ou vos camarades regardez-vous de tels contenus ? Y voyez-vous quelque chose de potentiellement dangereux ?

Mme X. Je suis aussi tombée sur ces contenus de soutien scolaire. Ils m’ont déjà aidée quand j’avais un contrôle de maths. Je tapais mon chapitre et j’avais des réponses à certaines questions. Je ne vois rien de problématique là-dedans. Quant aux contenus de santé mentale bienveillants, j’en publie. Je pense que ça me permet aussi d’aller de l’avant. Je ne pense pas qu’il y ait de contenus délétères et je fais très attention aux mots que j’emploie pour ne blesser personne.

Mme Laure Miller, rapporteure. Lorsqu’il vous est arrivé de voir des contenus problématiques, en avez-vous parlé avec vos amis ou votre famille ?

M. Y. J’en avais parlé avec ma grande sœur. Encore aujourd’hui, j’en parle beaucoup avec mes amis.

Mme X. Je n’en parlais pas à l’époque parce que j’en avais honte, mais je suis maintenant en mode « combat » et j’en parle à tout le monde autour de moi pour lever ces tabous. J’ai relayé mes interventions dans les médias sur mes propres réseaux. Quand des gens me félicitaient, je leur demandais s’ils avaient aussi été victimes de ces contenus : 99 % d’entre eux me répondaient qu’eux aussi avaient été victimes de TikTok. Tout le monde n’est pas touché avec la même violence, mais tous les jeunes sont concernés.

M. Z. Je partageais ces contenus avec mes amis pour leur montrer mon mal-être. Sinon, je n’en ai pas vraiment parlé. Une fois, avec ma mère, nous avions parlé de la nocivité des réseaux avec des amis, mais ils n’avaient pas dit qu’ils recevaient des contenus nocifs.

M. Emmanuel Fouquart (RN). Madame X., vous avez signalé certaines vidéos. Quelle a été la proportion de retraits opérés par TikTok ?

Mme X. Sur une vingtaine de contenus signalés dans les trois derniers mois, un ou deux ont été supprimés définitivement. Je n’en ai pas signalé beaucoup mais, quand je le faisais, c’est que ces vidéos étaient vraiment dangereuses.

M. le président Arthur Delaporte. Merci pour votre courage, pour vos mots. Merci aussi d’avoir dit qu’il n’y avait pas à avoir honte, qu’il fallait lever les tabous et en parler. Venir en parler avec nous a été essentiel.

Puis la commission auditionne maître Laure Boutron-Marmion, avocat au barreau de Paris, fondatrice du collectif Algos victima, et de plusieurs familles.

M. le président Arthur Delaporte. Cette audition sera consacrée au recueil de témoignage de familles victimes de l’algorithme de TikTok. Je tiens notamment à remercier maître Boutron-Marmion d’avoir accepté d’être accompagnée de familles – beaucoup d’entre elles appartenant au collectif Algos Victima – pour témoigner auprès de la représentation nationale. Nous vous remercions de vous être déplacés et d’avoir répondu à nos questions sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Vous faites preuve de courage, alors que vous avez été confrontés à un deuil ou à des difficultés extrêmement lourdes : vos témoignages seront précieux et utiles à nos travaux.

Cette commission d’enquête, destinée à apporter un écho à vos préoccupations, est aussi un moyen de reconnaître la souffrance et les victimes. Elle n’est pas un tribunal – nous n’avons pas vocation à nous substituer aux affaires judiciaires en cours –, mais elle cherche à faire évoluer le droit et la capacité d’action des pouvoirs publics, et plus largement à sensibiliser la société aux dangers des réseaux sociaux. Nos travaux sont empreints de gravité, de solennité et d’une certaine émotion. Leur objectif est de répondre à la demande sociale que vous incarnez, de faire la lumière et d’apporter des solutions pour l’avenir. Si l’on peut considérer que l’Assemblée nationale s’est saisie tardivement de ce sujet, il n’est jamais trop tard pour lutter contre les effets pervers des réseaux sociaux.

Cette audition obéit au régime de celles d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cet article impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Par ailleurs, je vous remercie de déclarer, préalablement à votre intervention, tout conflit d’intérêts – par exemple, la perception d’une rémunération – de nature à influencer vos déclarations.

(Maître Laure Boutron-Marmion, Mme Gaëlle Berbonde, Mme Delphine Dapui, M. Arnaud Ducoin, Mme Géraldine Fur-Ducoin, Mme Christina Goncalves da Cunha, Mme Virginie Guguen, Mme Géraldine Denis, Mme Stéphanie Mistre, M. Jérémy Parkiet et Mme Morgane Jaehn prêtent successivement serment.)

Maître Laure Boutron-Marmion. Dans quel monde voulons-nous vivre, mesdames et messieurs les députés ? Cette question s’impose à tous. Le travail d’investigation courageux que vous avez choisi d’entamer est une étape majeure pour notre pays, pour que nos jeunes et leurs parents cessent de souffrir en silence, en raison d’un diktat numérique selon lequel la vie ne vaudrait d’être vécue en dehors des réseaux sociaux lorsque l’on est adolescent.

Oui, ayons le courage de reconnaître que les réseaux sociaux, tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, tuent nos jeunes. Plutôt que de les unir, ils les isolent. Plutôt que de les faire grandir, ils les abîment irrémédiablement. La première raison est celle de l’addiction extrême à l’outil lui-même. Comment résister à ce flot continu d’images et de vidéos qui ne s’arrête jamais ?

La deuxième est celle de l’emprise algorithmique. Je vais vous confier mon quotidien, depuis 2021, aux côtés des familles abîmées qui ont rejoint Algos Victima. Je vis dans un monde où les parents se lèvent quatre fois par nuit pour vérifier que leur progéniture respire toujours dans leur chambre, mettent sous clé tous leurs médicaments et les comptent à la pilule près, le soir, en rentrant du travail ; ils répètent cette opération inlassablement, jour après jour. Je vis dans un monde où des papas, émus et désemparés, me parlent de leur enfant de 11 ans, déjà insomniaque, où des mères se créent des faux comptes TikTok pour vérifier l’activité de leurs ados, et consacrent leur pause déjeuner à signaler des contenus, toujours plus sanguinolents, faisant l’apologie du suicide, en vain. Je vis dans un monde où des parents emmènent leur fille de 10 ans et demi aux urgences, pour une tentative de suicide par absorption de Doliprane. Je vis dans un monde où des parents doivent retirer le corps sans vie de leur enfant, suspendu à la porte d’une armoire de chambre ou d’une salle de bains. Je vis dans un monde où des parents doivent enterrer leur enfant de 12 ans : à cause de l’algorithme de TikTok et des réseaux sociaux, il a choisi de ne plus aimer la vie, à l’âge où il ne la connaît pas encore.

Les foyers sont au bord de l’implosion. Il est temps d’ouvrir les yeux. Je vous remercie pour votre invitation : de nombreux parents y ont répondu favorablement. Ils sont là pour témoigner. Ils vont vous raconter, avec leurs mots, leur calvaire et celui de leurs enfants. Certains parents du collectif n’ont pas pu venir – restés au chevet de leur enfant hospitalisé ou en raison de contraintes professionnelles ; nous portons leur voix aujourd’hui. D’autres parents encore ne peuvent être là, bien malgré eux.

Marie est née le 21 octobre 2005. Son bijou porte-bonheur est la main en corail que lui a offerte sa grand-mère, qui vit en Corse et qu’elle adore plus que tout. Elle aime tellement jouer avec ses chiens, les laver, faire des chorégraphies et des figures de gymnastique avec sa petite sœur. Elle veut devenir avocate. Elle dit que personne n’aurait d’arguments plus solides qu’elle. Elle n’est pas devenue avocate. Elle s’est pendue dans sa chambre le 16 septembre 2021. Elle n’est pas là aujourd’hui.

Emma est née le 24 août 2004. Résolument tournée vers les autres, sa passion est la mode. Elle donne des conseils vestimentaires à qui veut bien les entendre, surtout à sa maman, dont la tenue quotidienne doit être validée par son œil affûté. En véritable petit dauphin, elle nage toutes les semaines avec son père. Amoureuse de la Bretagne, elle y retrouve ses cousins à toutes les vacances. Les vacances de noël 2020, dans le berceau de son enfance, ont été les dernières. Elle s’est suicidée le 12 janvier et est décédée le 16 janvier 2021. Elle n’est pas là aujourd’hui.

Charlize est née le 12 octobre 2008. Très sportive, elle préfère la natation artistique au judo, car elle serait peinée de faire mal à son adversaire. Elle est fan de skincare – soins de la peau – et collectionne les produits de beauté, autant que les répliques de Stranger Things et Friends, qui n’ont pas de secret pour elle. Elle veut devenir psychologue, pour aider les autres à comprendre ce qu’elle perçoit souvent d’eux, dès la première seconde. Elle n’est pas devenue psychologue. Elle s’est pendue dans sa chambre le 22 novembre 2023. Elle n’est pas là aujourd’hui.

Pénélope est née le 26 décembre 2005. Elle est tout ce qu’attendaient ses parents, lorsqu’elle arrive en France et chamboule leur vie à jamais. Fan de Taylor Swift et One Direction, elle aime blaguer avec ses amis et sa fratrie. Elle lit de la littérature uniquement dans la langue de Shakespeare. Elle adore le sport et la boxe, mais c’est TikTok qui la mettra KO. Elle s’est suicidée le 29 février 2024. Elle n’est pas là aujourd’hui.

Lilou est douce et calme. Elle peut dessiner pendant des heures. Elle rejoint sa mère dans sa microcrèche tous les mercredis après les cours et y passe ses après-midi. Elle se dit que c’est auprès des bébés qu’elle voudrait travailler. Elle n’a pas passé son certificat d’aptitude professionnelle (CAP) à la petite enfance. Elle s’est pendue le 23 avril 2023. Elle n’est pas là aujourd’hui.

Avant de donner la parole à tous ces parents meurtris, je tiens à vous dire que toutes les histoires que vous allez entendre ne sont pas des cas isolés, ni extrêmes. Ils représentent l’universalité de ce que vit notre jeunesse. Retenez une chose essentielle : tous les parents dont vous allez entendre les témoignages ne sont pas restés sans agir, ni réagir. Ils accompagnaient leurs enfants dans leur usage du numérique. Ils ont mis en place des contrôles parentaux. Il serait vain de réduire tous les drames qui vont être évoqués au résultat d’une prétendue non-gestion des outils numériques de leur enfant. Celui-ci n’est rien face à la dynamique algorithmique : visionner, encore et encore, toujours plus de contenus mortifères, jusqu’à l’étouffement, atteint la psyché en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Le cynisme de l’outil TikTok est tel que, lorsque vous êtes émotionnellement plus fragile, la plateforme vous propose jusqu’à douze fois plus de contenus mortifères.

En conclusion, si vous êtes bien dans votre peau, la plateforme vous proposera tout de même des contenus morbides, en moins de cinq minutes, sans que vous souhaitiez les voir : le défilé en continu de ces vidéos vous rendra addict et vous fera plonger. Si vous êtes déjà fragilisé par la vie, la plateforme ne vous laissera aucune chance. Dès la première minute d’utilisation, vous serez inondé de ce type de contenus, dont vous ne pourrez plus vous sortir. En tant que parent, vous aurez beau alerter votre enfant, la spirale est telle qu’il se dira – je l’ai entendu maintes fois : « Il n’y a que TikTok qui me comprenne ». C’est un isolement fou et une spirale dont on ne peut sortir sans casse : c’est TikTok et moi contre le reste du monde.

Je finirai par cette phrase tirée du livre de George Orwell, 1984, dont la lecture de certains passages peut donner des frissons, tant ils correspondent à notre malheureuse réalité, sous l’ère des réseaux sociaux non régulés : « Maintenant, comprends-tu quelle sorte de monde nous créons ? […] Le progrès dans notre monde sera le progrès vers plus de douleur. […] Si tu veux une image de l’avenir, imagine une botte, qui écrase un visage humain, indéfiniment. »

Mme Stéphanie Mistre, mère de Marie. Merci de nous accueillir et de nous permettre de vous faire part de ce que nous avons vécu. Marie était une jeune fille solaire, pleine de vie. Elle aimait chanter, danser, s’amuser et profiter de la vie, avec une personnalité imposante. Vers l’âge de 13-14 ans, elle a subi du harcèlement scolaire, traité par le collège. L’évolution de son corps et de ses attributs féminins était compliquée, mais elle se sentait épaulée. À son arrivée en seconde, Marie est tombée sur des harceleurs avérés : ils avaient déjà harcelé beaucoup de personnes et se sont attaqués à elle.

Elle nous en a beaucoup parlé. Nous avons fait notre maximum. Marie a demandé un entretien avec la directrice, mais elle n’est pas retournée à l’école : elle n’y a pas été reprise, tandis que les harceleurs l’ont été. Pour elle, c’était monstrueux – un échec. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était mise de côté. Elle le vivait comme un abandon du monde des adultes, qui ne la soutenait pas. Elle avait été victime de cyberharcèlement, sous forme de revenge porn : cela était très compliqué à assumer. Nous n’avons pas trouvé le soutien nécessaire pour que ma fille se sente épaulée par d’autres personnes que son papa et moi.

Nous étions en période de confinement : elle a pu accéder aux réseaux sociaux. Il y a quatre ans, comme beaucoup d’autres, je ne me doutais absolument pas des contenus de TikTok. À la suite du départ de Marie, j’ai réussi à accéder à son téléphone – avant, cela était trop difficile pour moi : les contenus qu’elle regardait étaient mortifères, ils montraient comment se scarifier et faire un nœud pour se pendre, mettant en avant des chansons qui prônent le suicide comme une libération – « suicide-toi et tu iras beaucoup mieux ». Mon enfant, reconnue comme hypersensible et empathique par le test neuropsychologique Wisc – Wechsler Intelligence Scale for Children –, a vécu un enfermement dans une sorte de communauté dépressive : en plus des problèmes de harcèlement et de contenus sur les réseaux, elle a pris sur elle la charge de ce collectif en souffrance.

L’algorithme de TikTok a une grosse part de responsabilité dans le mal-être de ma fille. En effet, la bulle de filtre sélectionne le contenu qui parvient à l’enfant en fonction de ses supposés centres d’intérêt, s’immisçant ainsi dans sa vie privée. Ma fille était harcelée sur son poids : elle a effectué une recherche sur TikTok au sujet des troubles alimentaires et nous en avons parlé. Or cela n’est pas un problème de santé mentale. Pourquoi ne pas lui avoir proposé des contenus positifs – un programme sportif, un régime alimentaire, aller voir ses amis ? Les seules options qui lui ont été présentées sont celles du suicide, de l’automutilation et de la scarification, du fait de se libérer de tout son poids en partant.

Cet algorithme est créé par l’humain – par TikTok – pour avoir le plus de captations possible. Toutes les personnes ayant un centre d’intérêt sont susceptibles de s’y faire enfermer. Nos enfants sont considérés comme des souris de laboratoire : les plateformes font des études sur leur cerveau pour les garder le plus longtemps possible, voire les enfermer dans l’horreur et les contenus délétères qui les ont perdus, jusqu’à l’irréparable. Pour protéger nos enfants, il faut obliger ces plateformes – en l’occurrence, TikTok – à poser des limites et à investir dans des modérateurs, plutôt que dans des recherches pour savoir comment utiliser l’enfant ou le fidéliser au plus tôt. L’enfant a le droit de vivre sa vie, sans intrusion dans sa vie privée. Je suis en colère contre le modèle économique utilisé par TikTok, qui considère nos enfants comme des produits commerciaux : en restant connectés à ce réseau, ils continuent à générer de l’argent pour ce type de plateforme.

Or nous parlons d’enfants, de nos entrailles, de nos futurs citoyens. Nous voulons tous que le monde change et que nos enfants soient davantage considérés. Quels adultes deviendront-ils ? Quelle société allons-nous créer ? Nous constatons l’émergence de la violence chez les plus jeunes et l’isolement des adolescents, qui passent leur temps dans leur chambre et ne discutent plus avec leurs parents : leurs réseaux sont devenus leurs référents. Les jeunes souffrent d’isolement, de dépression et ont des problèmes cognitifs, de concentration et d’attention : ils n’arrivent plus à apprendre, ni à regarder de film long. Le flux de dopamine généré par cet algorithme agit comme une drogue sur eux – à dessein, pour les contraindre sans qu’ils s’en rendent compte. Ce sont des enfants et ils n’ont pas le recul nécessaire pour faire la part entre ce qui est bien et ce qui est mal – le virtuel. La roue qui tourne en permanence et revient toutes les quatre ou cinq secondes ne leur laisse pas l’espace pour réfléchir, leur enlevant toute notion de réflexion, d’analyse, de créativité. Cela s’apparente à un lavage de cerveau, dans un collectif qui nourrit la détresse de chacun.

J’évoquerai également la glamourisation de la dépression. D’après mes recherches, en 2021, TikTok a estimé que son modèle n’était pas bon pour la santé mentale des enfants. La version de l’application utilisée en Chine – Douyin – a donc été totalement modifiée : les enfants sont très contrôlés et ne disposent que de quarante minutes jusqu’à l’âge de 18 ans, avec un couvre-feu de 22 heures à 7 heures du matin ; les contenus sont éducatifs, scientifiques et ludiques. De quels contenus disposons-nous, à part la dépression ? Elle s’installe et nos enfants s’isolent de plus en plus, ont des problèmes pour apprendre à l’école, n’arrivent plus à se concentrer.

Nos enfants ont des droits. Les parents et l’État doivent les protéger dans leur sécurité, leur santé mentale et physique ainsi que leur moralité, assurer leur éducation et leur gestion, permettre leur développement dans le respect dû à leur personne. Nos enfants n’ont pas été respectés. Mon plus grand vœu est que nous montrions l’exemple, à l’instar des autres pays qui sont en train de se rebeller et de poser des limites, pour préserver la santé mentale de leurs enfants, de leurs tripes, de leurs futurs citoyens. Suivons le modèle de l’Australie, de l’Espagne, de l’Albanie, avec des mesures fermes. Prenons des mesures législatives fortes.

J’ai 52 ans et j’ai beaucoup de mal à suivre ma dernière, car le monde numérique ne m’est pas familier. Elle a eu son téléphone à 14 ans, comme Marie. Je me suis rendu compte qu’elle ne me réclamait plus de temps d’écran supplémentaire – je l’admets, je suis aliénée sur ce sujet, qui me rend folle. Elle a en fait trouvé sur les réseaux – YouTube, TikTok – comment supprimer le contrôle parental. Il nous est donc difficile de les protéger, car ils sont plus au courant que nous. Je n’ai plus de ressources : j’ai voulu télécharger une autre application mais je n’y arrive pas, et il semble qu’il soit facile de la débloquer également. De quels moyens disposons-nous, en tant que parents, pour protéger nos enfants ?

J’aimerais qu’un travail soit réalisé en synergie, entre les pouvoirs publics, les plateformes, les opérateurs, les parents et les constructeurs de téléphones. Tous ensemble, faisons en sorte de protéger nos enfants. Mon souhait le plus cher serait que les réseaux soient interdits jusqu’à l’âge de 16 ans au moins, et qu’il leur soit imposé de réglementer et sécuriser leurs plateformes.

M. le président Arthur Delaporte. Merci pour ce témoignage et pour ces positions.

M. Jérémy Parkiet, père de Charlize. Tout d’abord, nous aimerions vous remercier de nous entendre aujourd’hui. Nous sommes ici non pas pour accuser mais pour témoigner, en tant que parents d’une adolescente, Charlize, qui s’est suicidée le 22 novembre 2023, après avoir été harcelée et exposée à du contenu toxique sur TikTok.

Dans un premier temps, j’aimerais vous parler de notre fille et vous dire à quel point elle était parfaite à nos yeux, à quel point elle était heureuse, active, extrêmement intelligente, hypersensible, très empathique, et évoquer tous ces merveilleux moments passés avec elle, toutes les passions que nous avons pu transmettre à nos enfants – le cinéma, le sport –, les voyages que nous avons faits, jusqu’au moment où tout a basculé.

À ce moment-là, il n’était pas très difficile pour nous d’imaginer ce qui avait pu causer ce changement car nous avons traversé une année difficile, au cours de laquelle Charlize a été confrontée au deuil, puisque mon père est décédé d’un cancer assez subitement. Cette même année, nous avons subi les confinements à répétition, puis il y a eu l’entrée dans l’adolescence. Donc, je vous avoue qu’en tant que parents, nous pensions que cela suffisait largement à expliquer le mal-être de notre fille, qui était déjà suivie par une psychologue depuis que mon père avait déclaré son cancer. Ce suivi n’a jamais cessé, jusqu’à son décès.

Mme Delphine Dapui, mère de Charlize. Je vais prendre le relais pour expliquer la spirale dans laquelle est tombée notre fille. La sixième s’est très bien passée, malgré le confinement. Elle est entrée en cinquième et une amie l’a rejointe dans son collège et dans sa classe. Pendant cette année de cinquième, ses résultats scolaires ont baissé. Elle faisait des crises d’angoisse, ne voulait plus aller à l’école : elle développait une phobie scolaire. Elle a commencé à tomber dans l’anorexie et à se scarifier – c’est notre psychologue qui nous a avertis pour les scarifications, et conseillé de prendre rendez-vous avec des psychiatres pour le suivi de l’anorexie. Nous pensions qu’avec l’été, tout allait se remettre en place. À son entrée en quatrième, elle retombe avec sa copine dans la même classe. Les professeurs voient très bien qu’elle ne va pas bien, puisqu’ils nous en parlent et son état se dégrade énormément, jusqu’à sa première tentative de suicide, au mois de janvier qui a suivi.

C’est à ce moment-là qu’elle met des mots sur ce qui s’est passé dans son collège et qu’elle explique qu’elle a été harcelée par sa soi-disant copine, qui était dans sa classe. C’est la première fois qu’elle nous parlait de cela. Le suivi a été intensifié, mais le mal était fait. Son état n’a fait qu’empirer. Elle s’est réfugiée de plus en plus sur son téléphone, qu’elle avait eu tardivement et sur lequel nous avions installé un contrôle parental. Mais, comme à l’école, tout se fait sur le téléphone, y compris le suivi des devoirs via la plateforme ENT (espace numérique de travail) – je ne sais pas comment cela s’appelle dans les autres collèges –, que certains ont même des tablettes et qu’il y a aussi des groupes de classe, elle devait toujours avoir son téléphone avec elle ; nous avons donc dû faire sauter quelques contrôles, alors que nous contrôlions les applications qu’elle voulait télécharger.

C’est en communiquant avec ses copines qu’elle a commencé à tomber et à vouloir TikTok. On ne savait pas ce que c’était. On pensait que c’était juste un moyen de se divertir puisque, malgré son mal-être, on la voyait souvent sur son téléphone en train de sourire. On s’est dit que c’était comme un refuge, qu’elle y trouvait des choses rigolotes pour la changer un peu de ses idées noires.

Son état ne faisait qu’empirer, continuellement. Elle a fait trois autres tentatives de suicide, jusqu’à celle qui fut fatale. C’est lors de la réunion, le lendemain de sa mort, avec ses meilleures copines et leurs parents qu’on nous a annoncé qu’elle avait republié, la veille, un post montrant une jeune fille toute souriante, avec des mots écrits qui disaient ceci : « La nuit porte conseil. Moi, elle m’a conseillé de prendre un tabouret et une corde. » Nous étions sidérés. Nous n’avons pas compris ce qui se passait, en fait. On s’est dit : « C’est quoi, TikTok, en fait ? C’est ça qu’elle regardait ? » Son téléphone a été récupéré par la police pour l’enquête, et c’est par l’intermédiaire de ses copines ainsi que des parents de celles-ci, qui nous ont envoyé les captures d’écran qu’ils avaient faites de ce qu’elle postait, que nous avons compris. Que dire ? C’étaient des contenus dans lesquels on lui proposait, pour se faire du mal sans que cela se voie, de prendre des douches bouillantes, ou encore des moyens pour démonter les taille-crayons. Les enfants, avec nous en tout cas, ne parlent pas de TikTok. Elle ne nous parlait pas beaucoup ; elle ne voulait rien nous dire, comme pour nous protéger. Par contre, elle exprimait sur TikTok tout ce qu’elle pensait, en repostant des publications. Il y en a certaines qui disaient qu’on lui avait proposé de se jeter sous les roues d’une voiture, que la vie ne valait pas d’être vécue, et j’en passe.

Après cela, j’ai voulu voir comment il était possible d’arriver à ce résultat, sur une plateforme censée être consultée par des jeunes. J’ai donc créé un compte. Il faut savoir qu’on ne peut pas y entrer directement. Souvent, on nous a dit qu’elle avait trouvé ce qu’elle cherchait ou, plutôt, que c’est elle qui a voulu se mettre là-dedans et que, donc, elle l’a bien voulu. En fait, non. Quand on tape les mots « suicide » ou « scarification », par exemple, il y a un message d’alerte qui nous stoppe. Sauf que, en fait, il existe des moyens détournés, comme les émoticônes, pour y accéder : le zèbre pour les scarifications, le drapeau suisse pour le suicide. Moi, mon fil a été de taper simplement « perte de poids » en me mettant dans la tête d’une adolescente. Et très rapidement, en cinq minutes, j’ai commencé à avoir des contenus sur l’anorexie, les scarifications, le suicide.

Encore maintenant, j’ai gardé l’application ; je la regarde pour montrer aux gens ce qu’on peut trouver sur TikTok parce que, souvent, on ne nous croit pas, ou on ne l’imagine pas. Lorsque j’ouvre mon téléphone, je n’ai que des contenus sur l’anorexie, sur les moyens de se donner la mort, sur les doses létales, sur quels médicaments on peut prendre et combien. Je n’ai rien d’autre. En plus, il y a des gens qui laissent des commentaires. Par exemple, quelqu’un écrit : « Moi, j’ai essayé d’en prendre six, cela n’a pas marché ; peut-être qu’il faut que j’en prenne plus ? » « Oui, essaie d’en prendre plus ». Ils s’encouragent entre eux, dans cette communauté ; ils se donnent des conseils l’un à l’autre. Qu’y avait-il encore comme contenus ? Il y a souvent des contenus avec de la musique angoissante, des images sombres, des gens qui pleurent ou qui crient ; c’est vraiment anxiogène de regarder ça. Moi-même, cela m’a mise mal à l’aise. J’imagine, dans le cas d’une enfant fragilisée, comme Charlize, par du harcèlement, ce que cela fait de regarder de tels contenus : son cerveau vrille. Sa réalité à elle, c’est ce qu’elle voit sur les réseaux. Et si c’est ça, la vie, en effet, cela ne sert plus à rien de vivre.

M. Jérémy Parkiet. J’aimerais vous donner aussi le contexte et expliquer pourquoi notre fille a fini par passer un peu plus de temps sur son téléphone. Il se trouve qu’à partir de son changement de collège – parce que, forcément, c’est la victime qui a changé de collège et qu’il ne s’est rien passé pour les harceleuses –, elle a eu un emploi du temps aménagé, c’est-à-dire qu’elle ne passait que des demi-journées au collège. Moi, j’ai cessé de travailler ; ou, plutôt, je travaillais pendant ses horaires de cours.

Au bout d’un moment, il est difficile de savoir s’il faut lui laisser un peu d’intimité, combien de temps et comment on doit la cadrer. Nous avons demandé de l’aide, à plusieurs reprises, au psychiatre, parce que nous avons vu qu’elle passait du temps sur son téléphone et qu’elle était moins ouverte à la discussion avec nous. Nous lui avons expliqué clairement que, dans cette situation, il nous était difficile de remplir notre rôle de parents : comment faire pour être strict si on a peur de retrouver sa fille morte ? Parce que, une fois qu’il y a eu une première tentative de suicide, ça laisse la place à une possibilité que nous n’avions absolument pas envisagée auparavant. La seule réponse que nous avons obtenue, c’est : « Je comprends, mais… ». Et c’est tout. Comment est-il possible que des parents qui s’adressent à un professionnel doivent quémander, à chaque fin de rendez-vous, un petit compte rendu pour savoir comment cela se passe ? Cela se déroule toujours de la même manière : « Comment trouvez-vous votre fille ? » – systématiquement en présence de notre fille. On ne sait pas trop quoi répondre, on a l’impression que ça va à peu près. « Non, non, vous vous trompez, votre fille va mal, elle a des idées noires ; on se revoit dans deux mois ». Comment fait-on pour vivre avec ça quotidiennement, avec cette peur de perdre son enfant ? J’imagine les parents qui ont une activité professionnelle à plein temps et qui ne peuvent pas se libérer : comment font-ils si leur enfant a un emploi du temps aménagé ? Est-ce qu’ils prennent le risque de le laisser seul, quitte à le retrouver mort à leur retour ?

J’en viens à la fin. Il se trouve que, le 21 novembre, Charlize a reposté cette fameuse vidéo – évidemment, nous n’étions pas du tout au courant. Nous n’avons jamais laissé notre fille seule, jamais. Mais il se trouve que, le 22 novembre, il fallait que je m’absente une heure pour sa sœur. Sa sœur que nous avons délaissée, parce que Charlize nous demandait énormément d’attention, forcément ; on culpabilisait énormément parce que ce temps passé avec Charlize, on ne le passait pas avec sa sœur. Il se trouve donc que sa sœur avait besoin qu’on prenne du temps pour elle et qu’on la conduise à un rendez-vous médical. Il aura suffi d’une heure pour que notre fille parte. Et pour que ce soit bien concret pour tout le monde, j’étais avec sa sœur quand on a découvert Charlize pendue dans sa penderie ; sa sœur a dû appeler les secours pendant que j’essayais de la réanimer. Donc, non, cela n’arrive pas qu’aux autres.

Mme Delphine Dapui. En effet, cela n’arrive pas qu’aux autres. Il faudrait que tout le monde en prenne conscience, qu’on en parle, que tout le monde soit au courant de ce qui peut se passer et que les gens arrêtent de fermer les yeux et comprennent que cela n’arrive pas qu’aux autres et qu’il faut vraiment faire attention. C’est pour cela qu’il faut que des mesures concrètes soient prises, comme celles que Stéphanie a citées tout à l’heure : créer un système d’identification qui ne laisse aucun doute sur l’âge de la personne – notamment mineure – qui se connecte à un compte. Stéphanie l’a très bien dit tout à l’heure.

M. Jérémy Parkiet. J’ajoute que la limitation de l’âge n’enlève en aucun cas la responsabilité des hébergeurs sur le contenu qu’ils proposent. Qu’on soit mineur ou majeur, on n’a pas à voir ce genre de contenu, on n’a pas à le subir. Ce sont ces plateformes qui hébergent ça et qui l’autorisent. Mais il n’y a pas d’âge pour ça.

M. le président Arthur Delaporte. Merci pour votre témoignage.

Mme Christina Goncalves da Cunha, mère d’Emma. Merci beaucoup de nous écouter. C’est un très grand, je ne dirai pas soulagement, mais c’est très important pour nous de savoir qu’il commence à y avoir une prise de conscience.

Notre fille Emma est partie en quatre mois. Vous verrez que, dans tous ces témoignages, on en revient toujours aux mêmes choses. Cela commence par des soucis à l’école. Ce que je voudrais vraiment mettre en lumière ici, c’est le problème générationnel. Nous sommes tous adultes. Et quand je dis générationnel, je parle même des gens de 30 ans qui n’ont pas vécu ce que vivent nos ados : mon fils aîné a 34 ans, mon deuxième fils a 30 ans. Emma avait 16 ans lorsqu’elle nous a quittés en 2021. Jamais ses frères n’ont subi cela. Ce sont donc deux générations qui nous séparent.

La violence à l’école a toujours existé. On sait très bien que les enfants et les adolescents sont cruels. On a tous entendu : « T’es grosse », on a tous entendu ce qu’Emma a entendu. Mais la grande différence, aujourd’hui, c’est que tout cela est relayé sur les réseaux sociaux. Cela crée une souffrance, comme c’était déjà le cas à notre époque, si vous traversez un moment de spleen dans votre adolescence. Le spleen de l’adolescence, cela existe depuis des années, voire des générations : on en a entendu parler dans la littérature, ce n’est pas nouveau. Mais ce qui est nouveau, c’est le relais dans les réseaux sociaux et l’utilisation que TikTok fait de ce spleen et de ce mal-être. Tous nos enfants qui sont partis n’étaient pas malades. Par contre, ils ont traversé des difficultés à l’école, ils ont parfois été isolés – mais, encore une fois, cela nous est arrivé, à tous.

Par conséquent, qu’est-ce qui change aujourd’hui ? Ce qui change, c’est qu’ils ont accès à des contenus qui les confortent et les entraînent plus loin. Lorsqu’on n’est pas bien, qu’est-ce qu’on fait ? Nous-mêmes, nous écoutons de la musique pas super, de la musique douce ou autre, qui ne nous rendra pas forcément mieux. Mais je ne sais pas si vous avez écouté les musiques qu’ils entendent sur TikTok : c’est de l’incitation au suicide. Le problème, et j’en reviens au fossé générationnel, c’est que personne de notre génération ne sait ni n’a vu ce qu’ont vu nos enfants. Allez-y ! Même dans ma famille, personne n’en a conscience.

Il y a donc, avant tout, un devoir d’information. Regardez ce qui s’y passe. Est-ce acceptable ? Acceptons-nous que nos enfants regardent ces choses-là ? La deuxième chose, c’est que ces plateformes, TikTok et autres, se déclarent comme des hébergeurs de contenus. Donc, il n’y a pas de poursuites ; tout va bien, ils sont protégés par la loi. Mais ce qui me dérange, c’est qu’ils imposent du contenu à nos enfants qui ne l’ont pas choisi. C’est le problème de l’algorithme. Or ce sont eux qui le mettent en place. Ce sont eux qui le choisissent. Ils sont donc bien plus que de simples hébergeurs. Je suis désolée, ce n’est pas la réalité. Ces algorithmes imposent à nos enfants des choses qu’ils ne devraient pas voir. Est-il normal de trouver des tutos pour se suicider ? Est-ce que vous, en tant que parents, vous donneriez à vos enfants un livre expliquant comment faire un nœud et se pendre à la patère de la salle de bains ? Je ne savais même pas que cela pouvait exister, la façon dont ma fille est partie ! Je ne savais pas que cela existait ! Elle ne l’a pas appris toute seule. On lui a donné l’arme pour se suicider. Qui accepte ça ? Qui, dans cette salle, l’accepterait ?

On va dire : « Il y a de plus en plus d’enfants qui ont un téléphone à 10 ans ». Mais pourquoi ? Parce que les parents n’ont pas conscience de ce qui s’y passe. S’ils le savaient, c’est évident qu’ils ne donneraient pas de téléphone à leur enfant de 10 ans. Je suis donc ici pour dire que nous devons prendre conscience, tous ensemble, de ce qu’on est en train de déverser sur nos enfants, que nous-mêmes n’accepterions jamais de voir. Prenons-en conscience et refusons qu’au nom de leur intérêt économique certaines sociétés, pour s’enrichir, mettent des armes dans les mains de nos enfants. Parce que c’est bien de cela que nous parlons. Est-ce que nos enfants ont le droit d’avoir des armes ? Est-ce que nous-mêmes, en tant qu’adultes, avons le droit d’avoir des armes en France ? Non ! Cependant, on en met dans les mains de nos enfants. On en met dans les mains de nos enfants pour attaquer d’autres enfants. Et on en met dans les mains de nos enfants pour tourner ce téléphone vers eux comme ils tourneraient un pistolet vers leur tempe. Moi, je n’accepte plus cela et je suis ici pour dire qu’il faut en prendre conscience. Arrêtons cela ; nous sommes en train de tuer nos enfants, de tuer une génération, parce qu’on ne sait pas ce qui se passe sur ces plateformes. Mais, croyez-moi, certains le savent : les gens de la Silicon Valley et de TikTok le savent parfaitement. Et, étonnamment, les enfants de ceux qui sont dans ces sociétés, eux, n’ont pas de téléphone. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?

M. le président Arthur Delaporte. Merci pour votre témoignage.

M. Arnaud Ducoin, père de Pénélope. Nous vous remercions de nous accueillir aujourd’hui et de nous donner cette parole si précieuse pour dénoncer le fléau des réseaux sociaux et, plus précisément, de TikTok, dont le nom revient souvent.

Je suis ici avec ma femme et mon fils pour témoigner en mémoire de notre fille, Pénélope, qui s’est suicidée le 28 février 2024, il y a un peu plus d’un an. Elle s’est pendue dans sa chambre.

Permettez-moi, pour commencer, de parler un peu d’elle et de nous. Nous avons adopté nos trois enfants en Asie et je peux dire que nous avons vécu quinze années assez extraordinaires. Nous étions très loin de nous douter qu’un drame allait nous heurter, nous percuter, comme ce suicide. Pénélope était très brillante. C’était une jolie petite fille, joyeuse. Elle marchait très bien à l’école et, en seconde, elle nous a demandé de faire une année de césure aux États-Unis. Au bout d’un moins, on nous a demandé de la faire rapatrier parce qu’on avait découvert qu’elle se scarifiait. Nous, nous ne l’avions pas vu car elle a commencé à se scarifier au pli de la hanche, caché par le maillot de bain – vous ne le voyez pas. On ne se doutait pas de ça. Elle a été diagnostiquée borderline, un an avant son décès. Elle souffrait aussi de troubles du comportement alimentaire et elle se mutilait. Quand je dis qu’elle se mutilait, c’est qu’elle avait peut-être une centaine de cicatrices sur les bras, les jambes, les hanches. Elle se faisait du mal ; elle s’est fait du mal.

Elle s’est enfermée dans cette souffrance. Elle partageait de moins en moins de choses avec nous et elle se réfugiait dans son téléphone, sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok. TikTok, qui laisse des vidéos de jeunes prônant le suicide avec, on en parlait tout à l’heure avec Christina, un commerce qui se met en place : des chanteurs, des rappeurs postent des chansons qui prônent le suicide. Il y a une chanson d’un rappeur français, dont le titre est « Dernière tentative ». Je ne vous lirai pas toutes les paroles, mais en voici quelques lignes : « Lame de rasoir, première ouverture, deuxième ouverture, troisième ouverture / Fait pleurer mon sang sur la couverture, frérot c’est dur / Mais cette fois c’est sûr… / Que ce soir, j’fais ma dernière tentative / À l’heure où tu m’écoutes, je serai parti / Ouais, c’est ma dernière tentative. » TikTok laisse ce genre de contenus être diffusé. Et nos jeunes savent bien déjouer les pseudo-censures pour pouvoir les lires et eux-mêmes contribuer en publiant leurs propres vidéos de leur détresse.

Tout cela, nous l’avons découvert trop tard. Elle passait des heures à consulter des contenus de scarification, d’anorexie ou de suicide. Jamais, jamais TikTok ne lui a proposé une solution. TikTok lui a simplement offert un miroir sombre, dans lequel sa douleur se reflétait. Voilà ce que la plateforme lui a offert. Elle tombait sur des témoignages de jeunes en souffrance comme elle, et qui banalisaient l’acte de se faire du mal, y compris le suicide. Certains contenus expliquaient comment faire. Nous, nous avons vu un contenu sur le suicide par pendaison qui expliquait, chronologiquement, au bout de combien de secondes on commence à perdre conscience. Voilà ce qu’on trouve sur TikTok : des tutos pour savoir comment se suicider.

Elle est rentrée doucement dans ce mouvement de sadfishing, comme disent les jeunes – c’est un mouvement pour montrer sa tristesse sur les réseaux. Elle a montré elle-même ses scarifications. Elle participait. C’est ce qui est tout de même incroyable. Non seulement une multitude de contenus abreuve nos enfants par le biais du téléphone, mais ils en publient aussi : ils se filment, ils filment leur souffrance. Tout cela alimente cette communauté du mortifère. Voilà ce qu’est TikTok.

Nous l’avons encadrée du mieux possible. Elle a fait deux séjours au centre hospitalier universitaire Saint-Jacques à Nantes, spécialisé dans l’accueil des jeunes. Elle y a été très bien reçue. Nous l’avons bien sûr fait suivre par des psychologues et des psychiatres. Là, nous pourrions aussi discuter de l’accompagnement des parents dans la thérapie de leurs enfants. Parce que même si votre enfant de 16 ans n’est pas majeur, vous ne pouvez pas obtenir le contenu des séances avec le psy. Cela relève du secret médical. Donc, nous sommes tout seuls. Nous n’avons pas d’aide, même de la part du corps médical. Durant son séjour dans cet hôpital, on lui a même permis d’utiliser le téléphone. Jamais la question des effets néfastes du téléphone dans sa thérapie n’a été abordée. Si cela se trouve, elle continuait, lorsqu’elle était à l’hôpital, à visionner ce genre de contenus.

Face à nous, il y a un algorithme et il est bien plus fort que nous, les parents ; il est plus fort que l’accompagnement que l’on peut donner à ses enfants. Cet algorithme la renvoyait jour après jour à sa douleur et il creusait de plus en plus le trou dans lequel elle tombait. Nous, ses parents, nous n’avons jamais pu contrôler les contenus. Parce que, si vous dites à un enfant qui est en souffrance psychologique « Je vais t’enlever le téléphone », vous mettez le feu à la forêt ! Nous vivions dans la peur qu’elle se suicide. Elle a fait quatre tentatives. Elle a ingurgité quinze Doliprane, parce qu’elle avait vu des contenus expliquant qu’il fallait faire comme ça – c’était sa première tentative. Elle est partie avec les pompiers plusieurs fois. Et même dans le camion des pompiers, elle se filmait, un peu comme un trophée, en disant « Je ne suis pas morte », mais voilà, cela alimente les réseaux ; cela alimente TikTok. Car c’est ça, TikTok ; il ne faut pas aller chercher plus loin, vous êtes tous des parents. C’est ça, TikTok.

Je terminerai en faisant part de mon expérience avec TikTok. Un peu avant le décès de Pénélope, j’avais ouvert un compte TikTok mais je n’y étais vraiment jamais allé. Je l’ai fait la semaine dernière pour préparer cette réunion. Je n’avais jamais rien publié ni rien « liké » : mon compte TikTok était vierge. J’ai commencé à taper « suicide » et TikTok alors fait apparaître sur mon téléphone un message de censure disant « Tu n’es pas tout seul. Voici le numéro de SOS Amitié. Ce n’est pas bien. » On voit là l’hypocrisie de TikTok : dans le langage TikTok, c’est l’emoji représentant le drapeau de la Suisse – une croix blanche sur fond rouge – qui est le mot pour parler de suicide : arrivent alors toutes les vidéos de suicide, sans censure, alors que l’algorithme a compris de quoi on parle, car l’intelligence artificielle (IA), aujourd’hui, lit et comprend les vidéos. On n’a jamais vu ça ! Si vous voulez parler de scarification, vous ne tapez pas : « scarification », mais « zèbre », et vous voyez arriver des vidéos. Si voulez parler d’anorexie, vous tapez #SkinnyTok. Vous avez un lexique à votre disposition sur Google. Vous pouvez faire vous-même l’expérience : si vous avez un compte TikTok, ouvrez-le. À midi, j’ai consulté le mien, où j’ai « scrollé » quinze vidéos qui ne parlaient que suicide, avec des messages comme : « J’en ai marre de la vie » et « Je serai mieux quand je serai morte », avec des musiques correspondantes. Il y a tout un environnement pour que l’enfant soit addict à tout cela, qu’il entre dans cette communauté, dans cette spirale néfaste, délétère. Il est pris au piège. C’est une addiction et TikTok est un prédateur. En quelques clics, l’algorithme a compris que je m’intéressais au suicide et ne m’envoie donc que des infos sur le suicide. Voilà ce qu’est TikTok.

Il est un autre point important à souligner devant vous, mesdames et messieurs les députés, vous qui votez les lois. Nous avons en face de nous une force politique chinoise, et peut-être russe, qui est en train d’abrutir nos gamins. Projetez-vous à vingt ans : notre jeunesse, qui est aujourd’hui en souffrance – depuis le covid, un jeune sur deux présente des troubles psychologiques plus ou moins importants –, notre jeunesse que nous biberonnons à TikTok et aux vidéos, nous dirigera dans vingt ans. Or c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une génération a un quotient intellectuel (QI) inférieur à celui de ses parents. Ce n’est jamais arrivé – l’humanité a toujours connu une croissance du QI, de l’intelligence. Aujourd’hui, vos enfants font leurs devoirs scolaires avec de l’IA : il n’y a plus de notion de rédaction ou de réflexion. Pourquoi permettons-nous cela ? Voulons-nous faire de nos enfants des crétins ? Il faut nous dire que nous sommes en guerre. Ce TikTok-là est une arme politique pour nous asservir. C’est une question parallèle à celle qui nous occupe aujourd’hui, mais c’est une réalité.

Si ma fille avait eu ces problèmes voilà vingt ans, je ne sais pas si elle serait morte. Je ne dis pas que c’est TikTok qui l’a tuée, mais TikTok y a fortement contribué. Aujourd’hui, elle est morte, et notre vie s’est arrêtée avec elle. Cependant, nous ne sommes pas là uniquement pour raconter notre douleur, mais pour vous demander, puisque nous sommes, avec vous, au cœur du réacteur, d’empêcher que d’autres parents traversent la même douleur que nous. Il faut encadrer ces plates-formes, les contrôler, les interdire peut-être jusqu’à 16 ans – mais 16 ans, c’est encore très jeune, on manque de maturité, ce n’est pas encore l’âge de prendre du recul, et encore moins quand on a un problème psychologique.

Il y a urgence. C’est votre devoir, individuellement et collectivement. C’est vous qui pouvez nous aider. Il faut urgemment faire quelque chose. Il faut légiférer et interdire. Il faut condamner financièrement TikTok si des contenus inappropriés sont envoyés à nos enfants mineurs. Touchez-les au portefeuille et interdisez que des enfants de 13 ans puissent y aller. Faites passer des spots à la télé pour mettre les parents en éveil face à ces dangers et prenez de bons exemples. Il y a urgence.

Il faut aussi que vous nous donniez des outils pour protéger nos enfants. Il faut que TikTok assume ses responsabilités, car ces algorithmes ont plus d’influence sur nos enfants que nous-mêmes, et ce n’est plus acceptable.

M. le président Arthur Delaporte. Aujourd’hui, le législateur vous a, sinon entendus, du moins écoutés.

 

 

L’audition est suspendue de seize heures à seize heures quinze.

 

 

Mme Morgane Jaehn, mère de Zoé. Je vais vous raconter l’histoire de ma fille adolescente, qui résonne énormément avec celle des enfants dont on a parlé précédemment. En décembre 2020, elle est en quatrième. Elle a son premier téléphone, qu’elle attendait depuis longtemps. Deux mois après, elle installe TikTok. Au cours de l’année, elle voit des contenus, des chansons qui lui plaisent puis, petit à petit, des chansons tristes, puis encore, au fur et à mesure du fonctionnement de l’algorithme, elle tombe dans des contenus morbides, horribles, qui lui donnent des techniques pour se scarifier, pour perdre du poids, pour se suicider. Évidemment, je n’avais absolument pas conscience de tout cela à l’époque.

Son état de santé se dégrade. En septembre 2022, première hospitalisation. Elle vient d’entrer au lycée. Très vite, elle est mise dehors par l’hôpital, où on lui dit que c’est un mal-être fluctuant. Elle enchaîne ensuite les hospitalisations. En un peu plus de deux ans, elle sera hospitalisée à six reprises, pour un total de vingt-six semaines, soit une demi-année. Quand on a 17 ans, c’est énorme.

Je lui ai même dit un jour : « Ça suffit, maintenant ! Tu vas me faire tout le catalogue du mal-être adolescent ? » Elle l’a mal pris, mais, quand on est parent, on veut parfois faire réagir notre enfant.

Je me demandais comment elle apprenait tout cela, et je pensais qu’elle devait aller sur des forums. Mais, les forums, c’est le temps jadis ! J’étais complètement à côté de la plaque. J’aurais dû me douter qu’elle allait trouver des contenus sur les réseaux sociaux, mais mon esprit, plutôt bienveillant et Bisounours, ne pouvait pas imaginer que, sur des réseaux auxquels nos enfants ont accès si facilement, il puisse y avoir de tels contenus. L’année dernière, quand j’ai entendu maître Boutron-Marmion déclarer à la radio qu’elle allait monter un collectif de parents, ma fille était par hasard à côté de moi. Je lui ai dit : « Mais toi, quand même, tu n’as jamais vu ça ! ». J’ai son visage se décomposer et elle m’a dit que si. Là, c’est votre vie qui s’effondre.

En même temps, vous commencez à avoir une clé pour comprendre ce qui ne va pas, pour remonter son histoire. Comme les autres enfants, elle a été victime de harcèlement au collège. Du harcèlement très larvé, pas du tout identifié – nous avons mis deux ans à comprendre que c’était du harcèlement. Elle avait donc, au début, un mal-être, qui s’est vraiment amplifié avec les réseaux sociaux – spécifiquement TikTok. Ce harcèlement a entraîné une sorte de stress post-traumatique. Elle a été diagnostiquée borderline. Or les borderline ont une très faible estime d’eux-mêmes et ont du mal dans les relations interpersonnelles. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils cherchent des communautés sur les réseaux. Ils pensent qu’ils ne méritent pas d’exister, ressentent un grand vide en eux et, souvent, tentent de mettre fin à leurs jours.

Évidemment, ma fille ne m’a jamais parlé de tout cela. D’une part, elle avait honte et elle voulait me protéger – car un enfant, un ado, ça veut protéger ses parents, et c’est difficile de parler de toutes les horreurs. Et puis, elle a aussi reconnu que, d’une certaine manière, elle se confortait dans ce mal-être. Cet algorithme surpuissant est une forme de harcèlement car l’enfant ou la personne qui consulte n’a pas forcément demandé à voir ces contenus qui, à force, banalisent la mort et l’automutilation. Se pendre devient une option comme une autre, comme aller chez le psy ou acheter un paquet de bonbons. Ma fille était devenue addict, non pas aux réseaux sociaux, mais aux contenus mortifères. Il me semble qu’il y a là une petite nuance.

Quand j’ai découvert le pot aux roses, j’ai installé le contrôle parental de TikTok sur l’appli, ce qui supposait que j’installe moi-même l’appli en suivant un parcours très sinueux. J’avais négocié avec ma fille une durée d’utilisation d’une demi-heure. Elle me disait que, de toute façon, si on lui enlevait l’appli, elle trouverait des façons de la remettre. Or, au lieu d’une demi-heure par jour, j’ai constaté en consultant l’appli qu’elle pouvait y passer une heure. Il y a là quelque chose que je n’ai pas compris et que personne n’a su m’expliquer.

Je me suis énormément projetée dans les témoignages des autres parents car, tous les matins, je me lève avec la boule au ventre. Quand je l’appelle, j’ai toujours peur de son silence. J’ai peur qu’elle ne me réponde pas. Je monte les escaliers en tremblant pour voir si elle est là, si elle ouvre les yeux. On devient un peu parano. Si votre enfant ne vous répond plus, c’est qu’il lui est arrivé quelque chose. Et puis, comment faire pour aller travailler la boule au ventre ? Il faut lui faire confiance, mais vous avez toujours tellement peur ! C’est une peur qui ne vous quitte pas.

Nous, parents, sommes responsables du téléphone que nous mettons entre les mains de nos enfants, mais nous ne sommes pas coupables des contenus auxquels ils sont exposés, de ce qu’ils voient.

Il s’agit aussi d’un problème de société beaucoup plus large : celui de la prise en charge de la santé mentale. Si nos enfants, quand ils ont mal, pouvaient trouver plus facilement des interlocuteurs, s’il y avait plus de pédopsychiatres et de structures, peut-être éviterait-on à certains de sombrer dans les algorithmes. Nous avons besoin de places en hospitalisation et de médecins qui soient au courant de ce que vivent nos enfants, de ce qu’ils voient sur les réseaux. Comme je l’ai dit, ma fille a connu vingt-six semaines d’hospitalisation. Lorsqu’elle n’était pas hospitalisée, elle était suivie par des psychologues et des psychiatres, mais jamais personne ne lui a demandé ce qui se passait sur les réseaux. Il ne s’agissait pas du harcèlement, mais de lui demander si elle avait été exposée à des contenus qui lui auraient fait peur ou qui lui auraient donné des idées. Jamais personne ne lui a demandé.

Alors, je mène la croisade et j’en parle à tous ceux que je vois. J’ai vu des soignants et des psychologues ouvrir des grands yeux de hibou en disant que ce n’était pas possible. On dit que nos jeunes vont plus mal en période post-covid, mais peut-être y a-t-il une réponse à trouver de ce côté-là. Quant aux errances médicales dont il a été parlé tout à l’heure, c’est long ! On nous culpabilise, nous parents, en nous disant que nous surprotégeons nos enfants, que nous devons les lâcher et qu’il faut qu’ils vivent leur jeunesse, mais qu’est-ce que c’est que vivre sa jeunesse ? Se scarifier et se pendre dans sa chambre ? Quand vous êtes parents, vous vivez dans l’angoisse la plus totale, vous ramassez toutes les cordes, toutes les ceintures et toutes les ficelles de peignoir qui traînent chez vous. Vous mettez tous les médicaments sous clé et, devant la moindre vitamine C, vous vous dites : « Et si jamais… » Malgré tout, ils arrivent à leurs fins. Il est important que les médecins prennent conscience de ce qui se joue là.

Troisième point : à l’école, personne – ni les profs ni les enseignants d’élémentaire – n’est au courant. Personne ne sait à quoi sont exposés les élèves. Je suis sûre que 95 % des ados qui sont au collège ou au lycée tombent sur ces contenus. Peut-on également parler du fait que certains collèges obligent les enfants, à l’entrée en sixième, à avoir une tablette ou un ordinateur portable pour récupérer les devoirs sur le bureau numérique ? Une collègue me disait : « Tu te rends compte, on a obligé mon fils à avoir une tablette, et maintenant, tous les jours, c’est la guerre, parce qu’il veut sa tablette pour aller sur les réseaux sur Internet. » Il faut nous demander si nous ne pouvons pas revenir au bon vieux cahier de texte ! J’aimerais vraiment parler de tout cela avec le ministère de l’éducation nationale, car nous avons beaucoup de questions à leur poser à ce sujet.

S’ajoutent évidemment à ces mécanismes, comme cela a également été dit, des problèmes de concentration, parce que le système de dopamine lessive le cerveau de nos enfants. Une maman qui me disait que son fils n’avait même pas pu regarder le match de foot jusqu’au bout et à qui je répondais que ce n’était pas très grave, m’a expliqué que c’était parce qu’il n’avait plus assez d’attention pour cela et qu’il ne parvenait plus à regarder un film de Disney en entier. Au-delà des contenus, posons-nous donc aussi la question de savoir ce qu’on fait du cerveau de nos enfants.

Je terminerai avec un petit sondage informel que j’ai effectué autour de moi, de façon anonyme, avec l’aide d’amis et de collègues, auprès d’élèves entre le CP et le CM2 sur leur accès au téléphone. Des chiffres circulent mais, lorsque j’en parle avec les enfants, je constate qu’ils en ont tous. Il faut voir la réalité des choses. Ce sondage est, je le répète, informel et comporte certainement des biais mais il révèle qu’en CM2, 70 % des enfants ont leur propre téléphone. Au total, plus de 80 % des enfants ont accès à un appareil, que ce soit le leur ou celui d’un proche. En CM2, 75 % des enfants déclarent aller sur les réseaux sociaux. Même s’il faut enlever à ces chiffres 10 % à 20 %, vous rendez-vous compte de la proportion ? Le réseau le plus regardé est, de loin, YouTube, puis Snapchat, puis TikTok, avec 25 % : il y a là un petit problème de chiffre car, à l’école élémentaire, les enfants ont moins de 13 ans. Comment est-ce possible ?

On voit aussi de plus en plus de parents mettre leur téléphone entre les mains des plus petits, pour les occuper. Cela m’inquiète, car il s’agit alors du téléphone des parents, qui ne s’imposent pas à eux-mêmes un contrôle parental pour le cas où ils le prêteraient à leurs enfants ! Il y a, là aussi, des questions à se poser. En tant que citoyens, nous devons donner l’alerte autour de nous. Les gens sont plutôt réceptifs à ce que nous disons. Ils ne se rendent pas compte et tombent du cocotier, comme je l’ai fait moi-même un mardi matin.

Même si ma fille semble aller un petit peu mieux aujourd’hui, je pète de trouille à longueur de temps.

Mme Virginie Guguen, mère d’Élisa. Merci de nous écouter, car je me doute qu’au bout de huit heures d’écoute, vous n’en pouvez plus.

M. le président Arthur Delaporte. Permettez-moi de vous interrompre : au contraire, nous sommes là pour vous et nous prenons le temps qu’il faut.

Mme Virginie Guguen. Je comprends bien que c’est long et répétitif, mais c’est à peu près ce que tous nos enfants ont vécu. Pour ma part, je n’ai pas seulement une fille qui en a souffert, mais deux : une qui avait 13 ans et une qui en avait 18.

Cette dernière était venue faire ses études en région parisienne et se sentait seule. Elle s’est mise sur les réseaux sociaux et s’est fait avoir par un pervers qui s’est installé chez elle, qui a récupéré tous ses réseaux et qui avait accès à tous ses comptes. Chaque fois qu’elle venait nous rendre visite en Bretagne, il lui disait qu’il allait se faire passer pour elle, qu’il allait dire à tout le monde des choses horribles et que, comme ça, tout le monde allait la détester. Il avait même accès à son compte bancaire. La dernière fois que ma fille est revenue à son appartement, elle était heureusement accompagnée du meilleur ami de sa sœur, car le pervers en question l’attendait avec un marteau et une masse qu’il avait achetés exprès pour la tuer. (Mme Virginie Guguen montre une photographie.) Ça, c’est ma grande. Heureusement, elle est encore en vie, et je remercie le meilleur ami de sa sœur, qui est vraiment un amour et qui l’a sauvée.

J’ai aussi ma petite puce, qui aura 16 ans au mois d’août. (Mme Virginie Guguen montre une deuxième photographie.) On m’a forcé la main pour qu’elle ait un téléphone et un ordinateur dès l’entrée en sixième, alors que j’étais totalement contre. J’ai cinq enfants, dont des triplées – ma grande, qui s’est fait avoir, est l’une des trois. On me reproche – je l’ai entendu tant et plus – d’être une mauvaise mère ou on me dit que je suis trop mère poule, mais dès que vous demandez de l’aide, on vous dit que c’est la faute de la mère. Merci, Freud ! Les soucis commencent lorsque vous découvrez que vous n’avez pas le choix et que vous êtes obligée de donner un téléphone à votre fille, alors que, pour les grandes, vous avez tenu jusqu’au lycée.

J’ai toujours fait énormément de choses avec mes enfants et les écrans n’apparaissaient que de temps en temps, pour voir un DVD – il n’y avait pas de télévision dans la salle à manger. C’est peut-être extrême mais, ayant grandi moi-même avec la télévision, je m’étais dit qu’il valait peut-être mieux faire des activités ensemble, sortir, se promener.

Au bout du compte, malheureusement, ce n’est pas tellement mieux. Au collège, les choses ont changé peu de temps après qu’elle ait eu son téléphone. Nous y avions pourtant installé tout ce qu’il fallait, avec un contrôle parental et des règles : un temps d’utilisation convenu et l’interdiction de s’inscrire sur les réseaux sociaux, parce que nous la trouvions trop jeune pour cela. Nous essayions de surveiller un peu son utilisation sans être trop intrusifs – parce qu’on nous demande à la fois de respecter la vie privée de l’adolescent et de surveiller ce qu’il fait, ce qui n’est pas simple. Progressivement, j’ai vu ma fille changer, elle qui était très joyeuse et qui avait un sacré caractère – et il en faut pour se faire sa place avec trois grandes sœurs du même âge. Je ne sais pas si vous avez déjà imaginé ce que c’est que d’avoir des triplées. Ça prend énormément de place, les gens ne font attention qu’à elles. La puce s’est battue pour avoir sa place et a toujours eu le mot, même avec son papa. Combien de fois elle l’a mouché avec des petites phrases comme : « Tu sais, papa, tu devrais mettre une casquette, parce que, là, il n’y a plus beaucoup de cheveux et tu vas prendre un coup de soleil » !

Elle avait un sacré caractère, mais je l’ai vue changer. Elle dévorait des romans, comme Tolkien, Harry Potter ou Héros de l’Olympe, des pavés de 600 pages, et peu de temps après avoir eu son téléphone, c’était fini. Dans notre famille, nous avons toujours dévoré les livres mais, pour ma fille, du jour au lendemain, c’était fini. Je l’ai vue se renfermer. Nous étions pourtant très complices, très proches. Avec les triplées, j’avais l’impression de faire un boulot à la chaîne – j’avais à peine fini avec l’une qu’il fallait que je reprenne avec l’autre. J’ai plus profité de ma petite dernière et nous étions donc très liées mais, du jour au lendemain, c’était fini : plus de conversations, de petits moments ensemble ni d’activités manuelles. Plus de patience pour quoi que ce soit. Elle était toujours sur la défensive, énervée ou triste. Avant, elle pouvait tout me confier et, du jour au lendemain, c’était fini.

J’ai mis cela tout de suite sur le compte du téléphone. J’ai demandé de l’aide. On m’a dit que ce n’était rien, que c’était l’adolescence et que ça allait passer, ou on m’a servi le fameux : « C’est dans votre tête, madame », que j’entends depuis des années.

Le 19 janvier 2023, mon chéri reçoit un message d’un inconnu qui lui dit : « Votre fille se scarifie et, en plus, elle a fait plusieurs tentatives de suicide. » Pour preuve, il envoie des photos de ma fille sur les toilettes, scarifiée du haut en bas. Je peux vous dire que, quand vous recevez ça, votre monde s’écroule. Votre petite puce – même si ce n’est plus un bébé, car elle a grandi –, c’est fini. Vous avez l’impression qu’il s’est passé quelque chose et que vous n’avez rien vu. Nous n’avons quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Nous avons essayé de déverrouiller le téléphone, alors qu’elle n’avait en principe pas le droit de le verrouiller ou d’y mettre un code, mais nous n’avons pas pu. Nous nous sommes demandé toute la nuit ce que nous avions fait de mal et pourquoi elle en était arrivée là.

Le lendemain matin, nous l’avons levée comme si c’était l’heure d’aller au collège, et nous lui avons expliqué que nous avions reçu ce message avec des photos. Elle s’est refermée comme une huître, et c’était fini. Nous lui avons dit que c’était trop grave et qu’il fallait que nous fassions quelque chose, parce que nous ne pouvions pas la laisser comme ça. Notre premier réflexe a été de l’emmener en urgence chez notre médecin de famille, qui a essayé de lui parler. Nous lui avons même proposé de sortir et de la laisser seule avec le médecin, mais elle n’a rien voulu dire ni montrer ses cicatrices. Nous étions complètement traumatisés. Le médecin nous a regardés et a regardé notre fille, puis il lui a dit : « Maintenant, regarde comment sont tes parents. Ils ont peur pour toi. On voit qu’ils sont complètement traumatisés. Ils vont t’emmener aux urgences, parce que ce n’est pas normal de se faire du mal comme ça. Il faut qu’on sache pourquoi tu fais ça et qu’on vérifie que tu n’as rien de grave. »

Et c’était parti pour un enchaînement qui m’a paru durer une éternité. Les mesures liées au covid étaient toujours en vigueur et un seul parent était autorisé à rester. Je suis donc restée avec ma fille. Les médecins lui ont dit qu’il fallait qu’ils l’examinent et qu’elle n’avait pas le choix, mais qu’elle pouvait choisir de respirer un gaz pour se détendre. Elle a fini par accepter.

D’après l’inconnu auteur du message, elle avait, en plus, avalé sept comprimés de paracétamol. Les médecins ont vérifié en faisant des prises de sang et autres examens. C’est à ce moment qu’ils ont retroussé ses manches. C’était la première fois que je voyais ses cicatrices. Au collège, j’ai remarqué qu’elle changeait d’attitude dans sa façon de s’habiller, qu’elle était toujours couverte. Elle qui aimait les couleurs ou les paillettes, ne portait plus que du noir et était couverte des pieds à la tête. Je pensais que c’était seulement à cause des réflexions des autres, mais ce n’était pas ça. Quand j’ai vu les cicatrices, mon monde s’est écroulé. Je me suis effondrée. J’étais en larmes. J’ai passé ma journée entière à pleurer. J’avais déjà pleuré quasiment toute la nuit et je n’ai pas arrêté depuis. Je ne pensais pas que c’était à ce point-là.

Quand elle reçoit le gaz, j’en profite pour lui soutirer le code de son téléphone – je sais que ce n’est pas bien mais il fallait que je comprenne pourquoi. Elle m’a donné le code et on a découvert d’où ça venait : de TikTok – toutes ces vidéos dont vous ont parlé les autres parents ; toutes ces horreurs, sans compter les pervers qui avaient contacté ma fille. L’un d’eux, qui était fétichiste des pieds, lui a demandé s’il pouvait venir à la maison en notre absence pour lécher mes chaussures. Un autre lui a fait croire qu’il était amoureux d’elle ; elle l’a cru au point qu’elle lui a envoyé des photos et des vidéos d’elle nue – elle n’avait que 13 ans ! Il lui envoyait tous les jours des messages pour lui demander des photos et des vidéos d’elle nue, usant du chantage affectif : « mais tu sais, je t’aime, on est en couple, toi tu n’y connais rien encore, je vais t’apprendre » ou du chantage pur et simple : « De toute façon si tu ne me donnes pas ça, je vais demander à une autre. J’en ai une autre de 10 ans qui, elle, accepte. » Au secours !

M. le président Arthur Delaporte. Ces échanges se faisaient par le biais de TikTok ?

Mme Virginie Guguen. J’ai 8 kilos de preuves si vous voulez, ce que j’ai pu sauver de son téléphone avant qu’elle efface – il lui a demandé d’effacer leurs conversations. J’ai pris en photo tout ce que j’ai pu.

J’ai aussi trouvé un planning qu’elle s’était fait. Cela disait : premier jour, tant de cachets, pas encore morte ; deuxième jour, tant de cachets, toujours pas morte. C’est horrible. On a l’impression de plonger de plus en plus dans l’horreur. Votre petite fille, votre petite princesse, vous pensez juste qu’elle est en crise d’adolescence ? Et ben non, c’est encore pire.

J’ai passé la nuit du jeudi à fouiller tous les placards, à ramener dans ma chambre tous les médicaments. Je me balade avec un trousseau de clés énorme car je mets tout sous clé. Je suis terrorisée. Après une journée passée à l’hôpital avec ma fille, on m’a dit : « Surveillez-la comme le lait sur le feu ; quand on aura de la place en unité psy – il n’y a que cinq lits pour les adolescents –, on vous rappelle ». Vous rentrez chez vous la boule au ventre, vous êtes mort de trouille. Vous regardez dans le téléphone et vous voyez tous les contenus horribles, tout ce que le pervers a pu lui demander – il lui a demandé de se filmer et de se prendre en photo quand elle avait ses règles, quand elle changeait de serviettes. Des exemples comme celui-là, j’en ai 8 kilos, je l’ai dit. C’est affligeant.

TikTok est censé proposer du contenu ludique et amusant. Moi qui suis handicapée et mère de famille, je peux faire nettement mieux que ce qu’ils proposent. J’en ai fait des activités manuelles avec les enfants. TikTok, c’est juste ce qu’il y a de pire au monde. Et les autres plateformes ne sont pas mieux.

Autre problème, je me suis rendu compte que ce fameux pervers avait accès à ma fille, non pas seulement par le téléphone mais aussi par l’ordinateur, par sa messagerie et par les consoles de jeux, parce que malheureusement tout est connecté désormais. Vous avez beau installer le plus cher des logiciels de contrôle parental, ça ne sert à rien. Les gamins se passent les trucs entre eux pour contourner les contrôles. Donc qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Lors de son séjour en unité psy, ils nous ont dit : « On n’a rien pu tirer d’elle », et quand vous leur demandez conseil, ils suggèrent d’essayer la musicothérapie ou l’art-thérapie. J’ai appelé tous les numéros d’aide que j’ai pu trouver pour ce genre de cas. Chaque fois, on m’a répondu : « Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse, madame ? ». Je suis allée au CMP – centre médico-psychologique –, où on m’a dit « Vous êtes une mère trop possessive, vous êtes trop sur son dos ; c’est rien, c’est l’adolescence, ça va passer. » La psychologue du CDAS – centre départemental d’action sociale – a mis entre les mains de ma fille le contrat suivant : cinq séances, ensuite, si tu n’as plus envie de venir, c’est fini. Ma fille n’a rien dit. La psy m’a dit : « Vous savez, les scarifications, c’est rien, c’est un effet de mode, ça va passer. » Un effet de mode ! Ma fille était scarifiée de la tête aux pieds, elle avait tout le corps lacéré, et, aujourd’hui encore, je pense qu’elle continue.

Je ne suis même pas sûre qu’elle n’est pas encore en contact avec le pervers parce que je ne peux plus contrôler. Elle aura 16 ans au mois d’août, c’est difficile. Quand elle avait 13 ans, je pouvais encore dire : « Je vérifie ce que tu mets parce que je m’inquiète. » Maintenant elle me répond : « J’ai le droit à une vie privée. » On nous demande à la fois de surveiller nos enfants et de leur laisser le champ libre parce qu’ils ont le droit à une vie privée. Je ne sais pas comment faire. Si vous avez des solutions, je suis preneuse. J’ai emmené ma fille à l’art-thérapie, et au final, c’est moi qui ai fini par faire les séances. Malheureusement, elle dessinait ce qu’elle pensait que l’art-thérapeute attendait. L’art-thérapeute est géniale, elle m’aide beaucoup. C’est très lourd à porter quand on a deux enfants qui sont dans cet état-là, sans compter le papa qui se planque derrière son état de choc, et qui est aussi addict que les enfants. Vous avez l’impression de vivre avec des zombies avec l’écran bleu. Et dès que vous dites non, malheureusement on vous rétorque : « Ben papa il est bien sur son écran, lui ! »

On me rappelle à l’ordre, donc je vais laisser ma place mais j’espère que vous changerez les choses.

Mme Gaëlle Berbonde, mère de Juliette. Je vais vous parler de ma fille, qui, jusqu’à la classe de cinquième, était une enfant gaie, sociable, très curieuse, très bonne élève. Elle faisait plein d’activités – de la musique, de la danse, du théâtre – ; elle était invitée à tous les anniversaires ; bref, une vie normale.

Elle était aussi très hardie pour défendre ses droits dans la famille et ceux de son frère, qui a deux ans de plus qu’elle. Elle avait construit un argumentaire extrêmement concret et sans faille pour avoir un téléphone en classe de cinquième. Nous achetons ce téléphone et je crois qu’elle rédige une notice d’usage familial du téléphone énumérant les droits et les engagements des parents et des enfants ; elle nous demande d’installer un contrôle parental. On se dit alors que nous avons des enfants très raisonnables ; on a toujours eu des enfants très raisonnables ; d’ailleurs, on est une famille très raisonnable. On prend un forfait à 2 euros, donc les données numériques ne sont accessibles qu’à la maison. Le wifi s’éteint à 21 heures et mon mari contrôle l’installation de sites.

En début d’année de cinquième – on ne fait pas tout de suite le lien –, l’endormissement commence à être un peu compliqué. Je le rappelle, l’extension des feux a lieu à 21 heures. À la rentrée, la famille connaît des problèmes de santé – cancer chez son grand-père et chez moi, Alzheimer chez ma mère.

Au mois d’avril, la prof de danse classique de ma fille nous m’envoie un message dans lequel elle parle de scarifications sur tous les bras. Effectivement, nous avions constaté les habits qui s’allongent, plus jamais de manches nues, cette humeur qui devient taciturne, beaucoup d’excitation avec les copines et plein d’histoires hypercompliquées. Mon mari et moi nous disons : « C’est ça, l’adolescence. » Je vous avoue que, moi je suis dans la maladie, c’est compliqué. Du fait des scarifications, on commence un suivi psy.

Pendant l’année de cinquième, elle commence à nous parler du DSM – Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – et de la théorie du genre – je le rappelle, elle a 12 ans.

En quatrième, au mois de novembre – je me souviens parfaitement de la date puisque c’était la fin de ma chimio et mon mari et moi sortions pour la première fois –, elle était seule à la maison avec son frère, elle fait une tentative de suicide en avalant dix Doliprane. Dans un sursaut, elle appelle elle-même les pompiers et elle est sauvée. Commence alors la peur au ventre, tous ces jours à surveiller les objets contondants et à se demander ce qui va se passer.

Au début de l’année suivante, je constate qu’elle a certainement perdu un tout petit peu de poids. Jusque-là, ses courbes étaient tout à fait normales. Nous allons chez le médecin et effectivement elle a perdu quelques kilos. En l’espace de quatre mois, elle passe à 35 kilos pour 1 mètre 70 environ. Commence une période d’hospitalisation qui va durer un an. Elle est dans un état de dépression profonde ; elle ne s’alimente plus du tout, donc elle est nourrie par sonde. Pendant toute cette période, elle est déscolarisée. À la fin de sa troisième, année qu’elle a faite partiellement dans un établissement soins-études, ça va mieux.

À cette époque, je me dis : « Il y a un truc qui ne va pas. » Je lis des articles sur le procès contre TikTok aux États-Unis et cet enchaînement : scarifications, tentatives de suicide, anorexie. J’en parle à l’époque aux équipes de soins, qui balayent mes interrogations en me disant : « Ça se saurait. »

J’entends parler d’Algos Victima, donc je comprends que je ne suis pas folle en fait. Et là, c’est comme si on refaisait l’histoire à l’envers, notre fille nous dit qu’en cinquième, elle était la seule à ne pas avoir TikTok. Dès qu’elle a eu son téléphone, elle s’est mise sur TikTok et, là, la spirale a commencé – je n’y reviens pas, c’est toujours la même. Nous nous mobilisons au sein du collectif, alors que notre fille va mieux, en pensant à tous les autres enfants.

À l’heure où je vous parle, ma fille a fait une rechute, elle est à nouveau hospitalisée. Elle sort ce soir, et j’ai cette peur au ventre en pensant que demain, potentiellement elle va rester toute seule à la maison.

Je voudrais revenir sur les parents. Dans notre famille, il n’y a pas de tablette. Nous avons un téléphone comme tout le monde pour téléphoner et pour quelques usages professionnels. Nous avons une télé au grenier, donc jamais allumée. Nous ne sommes pas sur les réseaux sociaux, nous ne connaissons pas. Notre fils joue un peu aux jeux vidéo, mais plutôt d’une façon assez raisonnée et raisonnable.

Quand ma fille était à l’hôpital, j’étais morte de peur parce que, il faut le savoir, un enfant déscolarisé, a fortiori à l’hôpital, a beaucoup de temps et selon les établissements, les téléphones sont autorisés ou non. J’ai constaté aussi que certains établissements mettent à disposition du wifi. On m’a expliqué que c’était parfois un critère de notation des établissements hospitaliers et qu’au nom de la liberté du patient, on ne peut pas interdire les téléphones. Dans son lieu d’hospitalisation actuel, les téléphones sont autorisés tous les jours de 16 heures à 23 heures.

Vous avez certainement auditionné le docteur Servane Mouton. Toute la littérature est absolument explicite : au-delà des réseaux sociaux, il y a juste l’écran. Notre posture en tant que parents consistait à dire que les réseaux sociaux, c’est bête, ce sont des contenus stupides – c’était notre a priori. Mes parents disaient la même chose de la télé, alors évidemment j’avais envie de la regarder la télé, donc j’allais chez mes copines et je regardais Dallas et même assez tardivement Hélène et les garçons. C’était stupide mais ce n’était pas létal.

Pourquoi avons-nous accédé à la demande d’un téléphone ? Parce qu’en cinquième, le monde scolaire et social était totalement organisé autour du téléphone. Les devoirs, la vie de classe, les plannings de répétition pour la danse et la musique, toute l’organisation de la vie sociale, les anniversaires, etc. : tout se passait sur mon téléphone et à un moment, ma fille a manifesté une volonté de s’autonomiser.

Je constate, et cela a été le cas très récemment dans son aménagement de scolarité, qu’il n’y a plus de planification. Avant on savait planifier les choses, on savait écrire les choses, on savait se passer un coup de fil pour se mettre d’accord. J’invite à une réflexion sur une réelle décroissance digitale.

Je reviens sur les emplois du temps aménagés de nos enfants. Ma fille a fait une partie de sa classe de seconde en horaires aménagés. Ce qui générait le plus de stress pour elle était de récupérer les cours. Il y a beaucoup de digital et de numérique à l’école, mais il est impossible de récupérer de façon homogène les cours, et potentiellement les devoirs. J’en appelle à la responsabilité de chacun. Comment des adultes responsables peuvent, d’un côté, dépenser l’argent de l’État pour donner des ordinateurs aux enfants, avec l’effet létal que l’on sait, et de l’autre, ne pas utiliser ces supports numériques pour ce à quoi ils devraient servir, c’est-à-dire pour un enfant scolarisé en horaires aménagés, juste récupérer ses cours ? Cela a été impossible à mettre en œuvre dans une école par ailleurs très bien, comme si le devoir de l’enseignant ne comptait pas.

Ensuite, je voudrais vous parler un peu de l’hospitalisation. J’ai longtemps questionné les soignants autour de moi : comment pose-t-on un diagnostic compte tenu de toute la littérature sur le sujet – je pense à Génération anxieuse ? On sait, maintenant. Comment est fait le diagnostic quand un enfant vient consulter son médecin traitant pour un problème de sommeil ou pour des scarifications ?

J’ai constaté que le ministère de la santé et de l’accès aux soins avait publié un document présentant les critères de notation de l’addiction aux écrans. Néanmoins, il n’était connu d’aucune des équipes soignantes des nombreux établissements qui ont diagnostiqué ma fille.

Quel est le protocole de soins ? Les soins psy – par exemple, le psychodrame – sont-ils adaptés à la réalité à laquelle sont confrontés nos enfants ?

Et puis il y a l’accompagnement des parents. J’ai participé avec ma famille à un extraordinaire programme de thérapie multifamiliale. À aucun moment ce sujet, pourtant très clair et documenté scientifiquement, n’a été abordé.

Pour revenir au sujet de la nurse numérique, c’est-à-dire l’éviction du téléphone qui permet de créer un lien social, à l’hôpital, par exemple, les interactions entre les jeunes ont lieu pendant les périodes d’éviction du téléphone et, parfois, lors de la présence d’animateurs. J’en appelle à la responsabilité de tous les adultes responsables pour agir car, là, on a besoin d’agir.

En écoutant nos témoignages, qui sont similaires alors que nous venons d’endroits différents, je me suis rendu compte que le diagnostic du trouble borderline avait été évoqué à de nombreuses reprises. Je remets en question ce type de diagnostic. Il colle en effet avec les critères du DSM. Mais est-ce l’œuf ou bien la poule ?

J’en appelle également à la responsabilité du monde médical qui décide de la médication. Nos enfants qui ont traversé ces épreuves sont aujourd’hui sous drogues dures – ils en ont besoin – ; celles-ci entraînent une addiction. Je suis inquiète pour ma fille, pour son avenir et pour la dépendance à ces médicaments qu’elle pourrait avoir développée.

Pour paraphraser le docteur Servane Mouton, il faut sortir de l’hypnose collective. Les enfants et tous les adultes responsables sont hypnotisés. Il faut se réveiller et agir. Il faut promouvoir résolument l’éviction du téléphone. Dans Génération anxieuse, Comment les réseaux sociaux menacent la santé mentale des jeunes, le professeur Jonathan Haidt propose des mesures très concrètes et simples à mettre en œuvre à l’école et dans les lieux de soins. Sur le reste, il convient de légiférer et d’attaquer en justice les personnes malveillantes, car ce sont des bandits qui agissent de manière très organisée.

C’est un questionnement personnel : je ne vois pas comment on pourra éradiquer ce grand banditisme sans conditionner l’accès au numérique à la vérification de l’identité numérique, afin de savoir qui agit. C’est déjà le cas pour les applications bancaires et celles relevant de l’État. Je suis certaine que, mécaniquement, de nombreux actes commis de manière masquée ne pourraient plus l’être. Je ne vous cache pas que je n’ai pas réussi à créer mon identité numérique.

Du reste, nous avons évoqué la question de la complexité numérique. Mon mari travaille dans la tech, il gère la sécurité des réseaux de l’industrie du médicament. Il a donc une connaissance assez pointue des sujets technologiques. Or l’installation du contrôle parental, qui est d’une complexité innommable, lui a pris de nombreuses heures. J’en étais absolument incapable. Je ne vois pas qui dispose des compétences techniques pour le faire.

Mme Stéphanie Mistre. J’ai essayé d’installer Qustodio ; je ne comprends pas, je n’y arrive pas. Cela nécessite les compétences d’un ingénieur professionnel. Rien, et surtout pas le contrôle parental d’Apple, ne protège nos enfants.

Mme Gaëlle Berbonde. Enfin, ce qui est en jeu, c’est non seulement la santé mentale de nos enfants, leur santé tout court, mais c’est également leur capacité d’apprentissage, leur capacité à vivre en société, dans une société réelle et non virtuelle ; c’est leur sens critique – la démocratie est ici en jeu –, c’est leur sens des réalités et des nécessités vitales, c’est l’économie et l’écologie de demain – je n’entrerai pas dans des considérations d’ordre géopolitique –, c’est notre avenir tout entier. J’en appelle à un réveil national sur ce sujet. Évidemment, nous sommes là pour ça.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie pour la force de votre témoignage.

Mme Géraldine Denis, mère d’Édouard. Je tiens également à vous remercier de prendre le temps d’écouter nos témoignages, d’écouter ce que nous avons traversé en tant que parents d’adolescents qui ont été victimes de l’addiction aux réseaux sociaux.

Je suis la maman d’Édouard, qui était un adolescent comme les autres, un enfant joyeux, gai. Il a été victime d’un harceleur au collège car il était multi-dys – il rencontrait des difficultés d’apprentissage liées à la dyslexie. Le collège a écouté d’une oreille ce qu’on avait à dire. Il fait sa rentrée en seconde. Il se retrouve encore dans la même classe que ce jeune garçon, on arrive à le faire changer de classe.

Sur ce, notre fils aîné part étudier à Paris, il y a donc un vide dans la famille. Mon mari et moi ne nous rendons pas véritablement compte qu’Édouard commence à aller un petit peu plus mal. Il est un peu moins gai, un peu plus renfermé et il se coupe davantage de ses amis.

À la fin de l’année, mon mari reçoit le coup de fil d’un papa d’un copain d’Édouard qui lui annonce qu’Édouard va mal et qu’il se scarifie. C’est brutal, c’est le choc, car les parents que nous sommes n’avaient rien vu. Il arrivait à donner le change, à être présent, à avoir une vie de famille normale.

C’est vrai, mon mari réagit plutôt mal. Il a du mal à comprendre le mal-être d’Édouard. Cela dit, on appelle rapidement une psychologue qui nous prend en urgence. En parallèle, j’appelle le centre médico-psychologique (CMP) de la petite ville dans laquelle nous vivons. La secrétaire me dit qu’elle comprend tout à fait notre désarroi mais qu’elle n’a pas de place pour recevoir votre fils car ils sont débordés. Ils établissent une liste et, en fonction des urgences, ils reçoivent les enfants et les parents.

Nous nous rendons chez la psychologue qui me dit qu’Édouard va très mal, qu’il faut le surveiller, qu’il se scarifie. Je lui demande quelle est la solution pour mettre fin aux scarifications. Elle me dit qu’il n’y en a pas, c’est sa soupape, il faut le laisser faire. Très bien. Vous rentrez chez vous avec un enfant qui se scarifie et qui va mal.

La situation ne s’améliore pas. Au contraire, il sombre dans la scarification et dans cet état où il va de plus en plus mal. J’arrive finalement à obtenir un rendez-vous au CMP. Après l’avoir reçu, le psychiatre me dit que mon fils fait une grave dépression qui s’accompagne d’automutilations et d’une perte de confiance en lui. On met en place un protocole comportant des antidépresseurs, des anxiolytiques, des somnifères, vu qu’il ne dort plus et qu’il est très anxieux.

Il se coupe de ses amis, il ne dort pas davantage. Les nuits sont blanches, il n’arrive plus à aller à l’école. J’arrête de travailler, et je vis dans son ombre. On retire toutes les clés de la maison et tous les couteaux, on met les médicaments au coffre et je vis derrière lui.

Il se lève, je le suis. Il va à la salle de bains, je reste derrière la porte et j’écoute si l’eau coule, s’il parle. Voilà. On vit comme ça dans cette angoisse permanente. Mon mari continue à travailler. Il me dit qu’il n’arrive pas à gérer son activité professionnelle qui réclame une certaine implication de sa part. Il me demande d’être forte pour nous deux, pour accompagner notre fils. Et là, je me dis que je ne peux pas pleurer, que je ne peux pas m’effondrer, que je suis obligée de le porter, de l’accompagner et d’essayer d’être là pour lui sans pour autant l’empêcher, d’essayer de le comprendre, et d’essayer de comprendre pourquoi il se scarifie.

Il y a la première tentative de suicide. Il est admis aux urgences, il reste quelques jours en pédiatrie. Il n’y a pas non plus de place dans l’unité de psychiatrie pour les adolescents. Le psychiatre nous renvoie à la maison en nous disant que la pression est retombée, il nous invite à rentrer chez nous et à gérer au mieux. Édouard rentre à la maison et met en place un emploi du temps aménagé avec l’école parce qu’il n’arrive plus à aller à l’école vu qu’il ne dort plus malgré les somnifères.

Et là, c’est la descente aux enfers car les mutilations sont quasi quotidiennes. Le psychiatre me dit que quoi qu’il en soit, il trouvera la solution pour se scarifier ou pour se donner la mort et que nous n’empêcherons rien. Avec l’accord d’Édouard, je mets en place une forme d’encadrement de ses mutilations. Je récupère ses lames de rasoir, je dors avec et quand ça ne va pas, il me demande ses lames et j’attends derrière la porte de sa chambre. Il se scarifie en écoutant des chansons qui prônent l’automutilation, le suicide. Lorsqu’il a terminé, il m’appelle. Je rentre dans la chambre, je le console et je le désinfecte. C’est une illusion de vie familiale. Voilà, on essayait de continuer.

La situation dégénère. Il ne va vraiment pas bien malgré les traitements. Et il me dit : « Maman, tu ne m’empêcheras pas. Si je veux mourir, je sais comment me couper la carotide, je sais où couper. » Je dis alors à mon mari qu’on ne peut plus le laisser, on va le perdre, on n’y arrivera plus. Il retourne aux urgences. Les médecins n’ont pas non plus de solution mais on arrive malgré tout à avoir une place au centre d’évaluation et d’observation pour adolescents de l’hôpital de Toulon – il y a, pour tout le Var, dix places. Là, le professeur en psychiatrie qui le suit arrive à faire le lien entre les réseaux sociaux et le mal-être de notre fils.

Il est alors hospitalisé. Il n’a plus de téléphone, il n’y a plus de lien avec les parents. On avait la possibilité d’appeler pour prendre de ses nouvelles, mais on ne l’a pas eu en ligne pendant une dizaine de jours, le temps qu’il aille un petit peu mieux et que la pression redescende.

Pendant ce temps, on a pris le téléphone d’Édouard et on a vu les contenus auxquels il était exposé quotidiennement : des chansons qui prônent le suicide ou l’automutilation, et dont les paroles affirment que la vie n’a pas d’importance et que la mort est la seule solution pour alléger les souffrances. Et là, c’est le choc.

Il y a aussi le chantage au suicide. Il menace de faire une bêtise si on ne lui laisse pas son téléphone un minimum de temps pour être connecté, notamment avec ses amis. Nous n’avons plus le rôle de parents, nous n’arrivons plus à exercer une quelconque autorité, nous sommes submergés par ce courant qui nous emporte, par cette vague qui met sa famille en péril.

Nous nous questionnons sur notre rôle en tant que parents : qu’est-ce qu’on a raté ? Qu’est-ce qu’on n’a pas vu ? C’est terrible, y compris pour la fratrie : au départ, mon fils aîné ne comprenait pas ; il pensait que son frère mettait en danger notre famille et nous faisait souffrir. Lors de la thérapie familiale, il a discuté avec le psychiatre et a compris que son frère était malade et avait besoin d’aide. Il m’a dit : « C’est moi qui me suis trompé, je suis dans l’erreur ; c’est Édouard qui souffre, ce n’est pas nous. » Nous, nous sommes là pour l’accompagner, avec le peu d’armes que nous avons ; nous sommes là pour essayer de le faire sortir de la dépression et de cette spirale mortifère dans laquelle il est pris.

Lors de son hospitalisation, Édouard s’est retrouvé avec d’autres adolescents qui partageaient la même souffrance que la sienne ; il a eu un petit sursaut et s’est dit qu’il devait essayer de s’en sortir. Il va nettement mieux, mais je vous avoue que chaque jour, quand je n’arrive pas à le joindre à la sortie du collège, j’ai peur. Quand il ne se lève pas le matin, on a la boule au ventre. On vit dans une anxiété constante parce qu’on a toujours peur d’une rechute. On met dans leurs mains des téléphones avec des réseaux où l’on pense qu’ils peuvent trouver un espace ludique, sans s’imaginer qu’ils seront captés par des contenus qui leur feront perdre pied et qui leur proposeront la mort comme la solution.

Maître Laure Boutron-Marion. L’universalité de ces témoignages est frappante. Je voudrais que vous reteniez que ce n’est pas l’affaire de quelques-uns, mais de tous. Toutes ces familles, réparties partout en France, avec des histoires de vie différentes et des jeunes différents, ont dû faire face à l’horreur. Cela ne peut que vous inciter à creuser dans le bon sens et à imaginer autre chose pour les générations à venir.

M. le président Arthur Delaporte. Je vous remercie pour la clarté, la dignité et la force de vos témoignages, qui nous ont instruits et ont renforcé notre conviction qu’il faut agir.

Mme Laure Miller, rapporteure. Vous nous avez remerciés d’avoir créé cette commission d’enquête, mais c’est à nous qu’il revient de vous remercier : nous l’avons lancée parce que vous êtes mobilisés. Notre responsabilité est d’être à la hauteur et de cheminer, grâce à vos témoignages et aux auditions de professionnels, pour trouver des solutions juridiques et techniques. Il faut bien sûr s’accorder sur le diagnostic ; le premier objectif de la commission d’enquête est de faire la lumière et de susciter une prise de conscience dans la société – car, comme vous l’avez tous dit, beaucoup de gens ignorent ce qu’il y a derrière TikTok et l’addiction que le réseau suscite. Au-delà, il faut agir au plus vite. J’admire votre capacité à prendre du recul par rapport aux drames que vous avez vécus pour formuler des préconisations et parler au nom de la société.

Vos témoignages soulèvent la question fondamentale de la prise en charge de la santé mentale des jeunes, qui n’est pas à la hauteur. Deux de nos collègues, Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau, ont récemment rendu un rapport sur le sujet. Elles bataillent pour se faire entendre et pour faire évoluer les choses avec le gouvernement ; nous sommes nombreux à les soutenir dans ce combat et nous serons prêts à monter au créneau le moment venu.

Vous avez aussi beaucoup parlé de harcèlement. La société commence à s’emparer du problème et le Gouvernement l’a pris en main, mais il reste beaucoup à faire.

Je retiens que vous avez manqué d’accompagnement. De toute évidence, il n’est pas aussi facile de fixer des interdits à un enfant de 3 ou 4 ans qu’à un adolescent. Les professionnels qui s’occupaient de vos enfants n’ont pas su vous donner les clés. Quand on ne sait pas ce qui se passe dans le cabinet d’un psychiatre et qu’il ne vous donne pas des pistes, on est particulièrement démuni. Nous devons réfléchir à l’accompagnement dû aux parents qui traversent des situations comme les vôtres.

Nous nous interrogeons sur l’âge minimal pour accéder aux réseaux sociaux : 15 ans, 16 ans, voire davantage ? Pensez-vous que votre enfant aurait été mieux armé face à TikTok s’il avait été plus âgé ?

Enfin, vos enfants ont-ils parlé avec vous ou avec leurs psys des contenus problématiques qu’ils voyaient sur TikTok ?

M. le président Arthur Delaporte. Je vois sur vos visages un non collectif et unanime.

Mme Laure Miller, rapporteure. Les professionnels de santé et le corps enseignant ne semblent pas savoir ce qu’est TikTok. C’est l’éléphant au milieu de la pièce : votre enfant va mal, vous en parlez avec les professeurs et les médecins, mais à aucun moment ils n’identifient le problème. Ne faudrait-il pas engager une sensibilisation massive des enseignants et des médecins pour qu’ils aient le réflexe d’interroger les jeunes qui vont mal sur leur utilisation des réseaux sociaux ?

M. le président Arthur Delaporte. Peut-être avez-vous d’ailleurs des éléments à apporter sur d’autres réseaux que TikTok.

Maître Laure Boutron-Marion. De la même manière que la société doit comprendre que les réseaux sociaux, tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, nuisent à la santé des enfants, le monde de la santé doit faire sa prise de conscience. Je tire un constat de l’expérience de tous les parents que j’accompagne : la prise en charge, les effets et les conséquences – dramatiques ou pas – pour le jeune diffèrent selon le degré de prise conscience du médecin qu’il a face à lui. Il suffit que le psychiatre ou le psychologue soit un tant soit peu conscient du problème et qu’il pose les bonnes questions pour que la donne change : « Est-ce que tu as des réseaux sociaux ? Lesquels ? Qu’est-ce que tu fais dessus ? » Les jeunes ne diront peut-être pas tout, mais ils pourront apporter des bribes de réponses qui permettront de faire germer des solutions. Nous avons des illustrations de la différence radicale de prise en charge selon le degré de connaissance du problème par les professionnels. C’est la première clé ; toute la société française doit savoir ce que sont les réseaux sociaux : on n’y voit pas seulement des petits chats qui tombent des frigos. Si toute la société avance sur ce sujet, on avancera sur le reste.

Par ailleurs, l’expérience des parents que j’accompagne me permet d’affirmer que la spirale mortifère est la même sur pratiquement tous les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de X, des bébés de Meta ou de SnapChat. La particularité de TikTok est que la viralité y est plus forte ; le graphisme et la dynamique de l’outil sont tels que le fil « Pour toi » vous impose vos contenus au carré.

Mme Stéphanie Mistre. Quand Marie est partie, je suis allée voir sa psychologue car j’avais envie de parler avec elle – maître Laure Boutron-Marmion est au courant. Je lui ai demandé ce que Marie lui avait dit. Elle m’a répondu que Marie voulait absolument porter plainte. Je suis tombée des nues : pourquoi n’avais-je pas été mise au courant ? « Secret professionnel. » : je vous confie ma fille et je n’ai pas de retour ! Si j’avais pu emmener Marie porter plainte et se défouler en déversant les horreurs que ses harceleurs lui avaient faites, peut-être aurait-elle été allégée de sentir une prise de conscience de l’adulte et de savoir qu’on l’aidait. Ça n’a pas été le cas.

Le nombre de suicides chez les filles a augmenté de 133 %. C’est bien la preuve que les réseaux sociaux sont un désastre psychique pour nos enfants, notamment pour les filles, avec l’hypersexualisation. Cela montre aussi la désinformation des médecins et des parents. Il faut faire le maximum pour informer le public sur les effets des réseaux sociaux sur la santé mentale des enfants, y compris par la publicité.

Enfin, Marie m’avait parlé de l’infirmière à l’école, cette oreille bienveillante à qui on peut se confier, qui est là pour vous écouter, qui ne vous juge pas, qui n’est ni la directrice ni le conseiller principal d'éducation (CPE).

Mme Christina Goncalves da Cunha. On parle de construire des hôpitaux psychiatriques pour prendre en charge les enfants, mais c’est traiter les symptômes, pas la source du problème. Si vous construisez des hôpitaux, ils seront tous remplis ! Tout l’enjeu est d’empêcher la circulation de ce genre de contenu sur les réseaux sociaux.

Mon fils de 34 ans, qui a vu sa sœur mourir, m’a dit : « Tu vas demain à l’Assemblée, mais c’est perdu d’avance. » Je ne suis pas d’accord. Si tout le monde en France savait ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux, nous aurions face aux géants du numérique la puissance nécessaire pour changer les choses.

Mme Morgane Jaehn. Ce n’est pas seulement un problème français, c’est un problème européen, et même global, puisque nous avons été contactés par des médias japonais.

Ma fille a arrêté de consulter ces vidéos le jour où je l’ai découvert. Quand on commence à en parler, il y a une prise de conscience. Pourtant, je n’imaginais pas que ce type de contenus existait. Il faut que les soignants soient au courant et abordent la question avec les jeunes. En trente minutes, on peut voir 120 vidéos de 15 secondes. C’est beaucoup ! On a le temps de voir du contenu qui vous terrasse ; il ne faut pas longtemps pour être complètement ratatiné.

Mme Gaëlle Berbonde. Les outils de diagnostic existent : le professeur Benyamina a élaboré une liste de questions qui tient sur une page. J’ai été stupéfaite d’apprendre que ni au collège, ni au lycée, ni dans les cabinets médicaux, ni à l’hôpital, on ne trouve cette grille qui permet d’aborder le sujet avec les parents.

Enfin, il faut certainement définir un âge minimum d’accès aux réseaux sociaux, mais comment le contrôler quand c’est le créateur du compte qui s’attribue lui-même un âge ?

M. le président Arthur Delaporte. C’est toute la question.

Mme Anne Genetet (EPR). Je vous remercie à nouveau d’avoir pris la parole. Vous avez pointé du doigt plusieurs sujets, à commencer par le contenu. C’est la difficulté principale à laquelle nous sommes confrontés depuis le début de la commission d’enquête : comment agir sur les fournisseurs et les diffuseurs de contenu ?

Il y a aussi la question des outils que sont les ordinateurs, les tablettes, les téléphones, et même les montres connectées. La consommation d’écrans est considérable. En ce moment même, il y a un écran de retransmission entre vous et moi, et je me rends compte que j’ai tendance à le regarder plutôt que vous… C’est dire à quel point le circuit de la récompense, qui fonctionne à la dopamine, alimente la dépendance aux écrans.

Enfin, même le sujet est à la marge de la commission d’enquête, vous avez évoqué la difficulté d’être parents et un besoin d’accompagnement. Je pense aux parents qui sont actuellement dans la situation qui était la vôtre il y a quelques mois, quand il se passait des choses, mais vous ne le saviez pas encore. La sensibilisation à cet enjeu est largement insuffisante, comme vous l’avez dit, et ce n’est pas en quelques semaines que nous réglerons la question des contenus. Que peut-on faire dès à présent pour dire à ces parents de rechercher le soutien de professionnels ? On manque terriblement d’infirmières scolaires – il y a 10 000 infirmières pour 10 millions d’élèves –, mais peut-être des éducateurs spécialisés ou des assistants sociaux pourraient-ils être cette oreille attentive dont vous avez parlé. Les jeunes ne se confient pas toujours au moment où on l’attend et pas toujours à la personne que l’on imagine. Jusqu’à l’âge de 8 ans, on peut leur imposer notre agenda, mais ensuite, quand ils nous disent « ça va mal », il faut répondre tout de suite, sans attendre d’avoir terminé sa réunion ou son coup de fil. Cela vaut aussi bien pour les parents que pour le milieu scolaire et associatif.

M. Kévin Mauvieux (RN). Je n’ai pas de question à poser mais je tenais à vous remercier pour vos témoignages poignants, même s’il n’est pas facile de les entendre. Ils nous ouvrent les yeux sur des sujets que nous n’avions pas forcément à l’esprit.

J’ai été frappé par la minimisation de la scarification par les soignants et par les psychologues, alors qu’il s’agit d’un acte particulièrement grave qui indique un mal-être profond, qu’il soit dû aux réseaux sociaux, à la vie sociale ou à autre chose. Je ne sais pas si cette minimisation existe encore ou si elle date d’il y a trois ou quatre ans, quand on commençait tout juste à mettre en lumière ces phénomènes. Il y a un important travail de sensibilisation à mener auprès des familles qui constateraient un recours à la scarification au sein du foyer et auprès des professionnels.

Je constate également que, depuis le début des auditions, nous nous sommes focalisés sur l’interdiction des réseaux sociaux aux mineurs de moins de 15 ou 16 ans, mais nous avons assez peu évoqué d’autres solutions, comme la nécessité d’un système permettant de condamner TikTok ou ses représentants lorsque les contenus sont maintenus sur la plateforme. L’incitation au suicide est interdite par la loi ; manifestement, elle ne l’est pas sur TikTok, puisque les procédures lancées n’aboutissent pas à la suppression des contenus. Il faudrait aussi poursuivre les créateurs de ces contenus.

M. le président Arthur Delaporte. La commission d’enquête se penchera bientôt sur le contrôle des plateformes. Je me rendrai prochainement à Bruxelles avec Mme la rapporteure pour rencontrer les services de la Commission européenne qui enquêtent sur TikTok. Nous recevrons également l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et les autorités judiciaires pour discuter des moyens de contrôle et de pénalisation.

M. Emmanuel Fouquart (RN). En tant que retraité de la gendarmerie et officier de réserve, je sais que la provocation au suicide est un délit. Le fait que ces contenus circulent librement sur les réseaux sociaux est intolérable. Il faudra entamer des actions judiciaires afin que les signalements soient pris en compte.

J’ai également noté dans vos témoignages que le problème débute souvent hors des réseaux sociaux par le harcèlement que subissent les enfants, lequel les amène à se renfermer sur les réseaux ; le contenu qu’ils y trouvent est la dernière goutte.

Mme Constance Le Grip (EPR). Je ne reviendrai pas sur l’intégralité de vos témoignages, qui sont extrêmement émouvants. On comprend que plusieurs aspects du problème relèvent de la régulation européenne, notamment la possibilité de transférer la responsabilité aux plateformes en passant du statut d’hébergeur au statut d’éditeur. C’est un combat que nous aurons à mener ensemble. Maître Boutron-Marmion, avez-vous connaissance de l’existence de collectifs ou d’initiatives similaires à celle-ci dans d’autres pays européens ? Y a-t-il eu une prise de conscience ailleurs qu’en France ?

Maître Laure Boutron-Marmion. Je ne voudrais pas qu’il y ait de méprise. Vos interventions m’interpellent, madame, messieurs les députés, car il ne faudrait pas que l’on croie, après avoir entendu ces témoignages, que les jeunes concernés par la spirale mortifère que nous avons décrite sont tous fragilisés psychologiquement lorsqu’ils arrivent sur la plateforme : d’autres n’ont absolument aucune difficulté, sont très bien insérés, ont un cercle d’amis… Je ne voudrais pas que l’on puisse dire que les réseaux sociaux nuisent à la santé des seuls jeunes qui sont déjà fragilisés émotionnellement. Autour de la table, il y a des enfants qui sont arrivés sur la plateforme alors qu’ils étaient victimes de harcèlement, mais d’autres ne sont pas du tout dans cette situation.

Partout en Europe, il y a des initiatives populaires ou familiales. En Espagne, un groupe de parents très actif a réussi à faire bouger les choses, notamment en ce qui concerne l’interdiction des téléphones portables en milieu scolaire – les Espagnols étaient moins avancés que nous dans ce domaine. En Angleterre, les chiffres sont beaucoup plus terrifiants qu’en France. L’âge moyen auquel on accède pour la première fois aux réseaux sociaux est inférieur à ce qu’il est dans notre pays, puisqu’il est de 8 ans. Des initiatives sont prises par des familles qui cherchent, comme nous, à conscientiser la population. C’est un élément décisif : si la population est convaincue de ce qui se passe, elle se mettra en ordre de marche. Car il y a des parents parmi les ministres, les médecins, les psychiatres, les directeurs d’établissement …

Pour ce qui est de l’Europe, ce sont les seules initiatives dont j’ai connaissance. Le seul recours judiciaire mettant en cause la responsabilité de TikTok est celui qui a été formé par certaines des familles qui composent Algos Victima. Aux États-Unis, les collectifs sont plus anciens ; des actions en justice sont en cours, dont nous connaîtrons l’issue avant la fin de l’année.

M. le président Arthur Delaporte. Merci pour ces précisions. L’un des objets de notre commission d’enquête est précisément de faire œuvre pédagogique, d’alerter la population et de contribuer à sa conscientisation.

Mme Virginie Guguen. Je souhaite ajouter une chose. Le problème ne se pose pas seulement au niveau médical ou scolaire. Quand j’ai voulu porter plainte pour ma fille, qui n’avait que 13 ans, j’ai produit des preuves. Or les gendarmes m’ont répondu qu’ils ne prendraient pas ma plainte parce que les applications ne sont pas basées en France. Quand j’ai enfin trouvé maître Boutron-Marmion, elle les a court-circuités. Ils n’ont pas apprécié, et se sont vengés en se pointant chez moi un dimanche à 19 heures pour embarquer ma fille de force et la faire parler.

Maître Laure Boutron-Marmion. Dans certains postes de gendarmerie ou commissariats, on ne souhaite pas recevoir les plaintes, considérant qu’il s’agit de méfaits commis par des plateformes dont la responsabilité ne peut pas être mise en cause en France.

Mme Gaëlle Berbonde. J’ai envie de réagir à propos de la difficulté d’être parent et de l’accès de nos enfants à des adultes responsables, notamment à l’école. Effectivement, il n’y a pas d’infirmières scolaires, ou alors elles sont en nombre insuffisant. Je suis presque surprise par votre question : tous les parents souhaiteraient que des adultes responsables – éducateurs spécialisés ou tout autre adulte référent – soient davantage présents. J’ai donc envie de vous retourner la question, car cela relève d’un arbitrage qu’il ne nous appartient pas, à nous, contribuables, de rendre.

M. le président Arthur Delaporte. Je ne ferai pas de commentaires. Il est difficile pour des députés confrontés à l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de prendre position sur ces questions.

Mme Stéphanie Mistre. Ce qui est important, c’est d’informer le plus grand nombre possible de parents pour leur faire prendre conscience des dégâts commis, par les réseaux sociaux de manière générale, sur la santé mentale. Comme disait Christina, s’il n’y en a plus, il n’y aura peut-être plus de problèmes de santé mentale et on n’aura peut-être plus besoin d’en faire autant. Il faudrait prendre cette mesure forte pour que nos enfants puissent avoir une adolescence et une vie normales, revenir aux choses basiques que nous avons pu vivre nous-mêmes, retourner dans les stades … J’ai entendu cette phrase, criante de vérité : nos parents nous demandaient de rentrer à la maison parce que nous étions trop souvent dehors ; nous, nous demandons à nos enfants de sortir de leur chambre. Il y a un petit souci !

Pour nous aider, nous, parents, face à des ados qui ne sont pas faciles, faisons, s’il vous plaît, quelque chose en matière de contrôle parental. Je vous en supplie ! Je « névrose » complètement pour protéger ma fille. Je ne veux pas qu’il lui arrive quoi que ce soit – maintenant, j’en suis consciente. Mais, à part me disputer toute la journée avec elle et lui arracher le téléphone des mains, je n’ai aucun contrôle.

Ces plateformes ont un but lucratif. Pour les punir, il faut les punir via le règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE dit Digital service act (DSA), leur infliger des sanctions économiques, les faire payer, pour qu’elles comprennent. Comme les harceleurs ou les ados violents, tant qu’on ne les punit pas, qu’on ne les met pas au coin, qu’on ne les éduque pas en leur faisant comprendre que ce qu’ils ont fait est mal, ils recommencent. Pourquoi se gêner, s’il n’y a pas de sanction ? Pardon, mais je voulais vous dire ce que j’ai sur le cœur.

M. Jérémy Parkiet. Depuis deux jours, on voit tourner une publicité pour le Festival de Cannes, qui a pour partenaire TikTok. Et, ce matin, on a découvert une autre publicité, pour Instagram celle-là, qui alerte les parents sur le fait que leurs enfants peuvent avoir accès à des applications inappropriées. C’est quand même hallucinant ! Je propose qu’avant que des décisions soient prises, la communication la plus large possible soit faite dans ce sens, mais par les bonnes personnes – ce serait plus logique. Les parents doivent être alertés sur ce qui se passe sur les écrans, sur des situations réelles dont ils ne se doutent pas, mais pas par Instagram, qui n’est pas le gentil de l’histoire. Évidemment, cette plateforme ne parle pas des contenus qui peuvent se trouver sur sa propre application : elle vise d’autres applications « inappropriées ». C’est un peu marrant, quand on sait que la leur n’est pas du tout appropriée à nos enfants.

Mme Christina Goncalves da Cunha. En ce qui concerne la conscientisation, il y a bien des pubs à la télévision qui disent que fumer tue ou que boire au volant est dangereux, avec des images chocs. Je comprends bien qu’il est difficile d’établir une relation de cause à effet entre l’accès aux réseaux sociaux et à leurs contenus mortifères et le suicide d’un jeune. Mais, ce suicide, je refuse totalement qu’on le considère comme une mort choisie. Mince ! On fait de la prévention pour la cigarette, pour l’alcool. Et les réseaux sociaux, qui tuent nos jeunes ? Je sais que ce n’est pas simple et qu’on mettra du temps à interdire tout cela, parce qu’on sait très bien ce qui passe autour, mais alertons – je ne sais pas comment, mais il faut le faire !

Maître Laure Boutron-Marmion. Je conclurai en disant qu’il est urgent de réagir. Cela fait quatre ans que je reçois, chaque semaine, à mon cabinet, des appels de familles qui me demandent de l’aide. Je fais un peu office de vigie sur ces sujets. Or nous sommes passés à une étape supérieure. Puisque rien n’a été fait pour arrêter la spirale mortifère que nous avons décrite et empêcher la publication de ces contenus innombrables qui pullulent sur les réseaux sociaux, on est passé à l’étape supérieure, celle de la marchandisation de ces contenus. Les jeunes se voient désormais offrir de l’argent pour se filmer en train de se scarifier, de vomir, bref : pour se mettre en scène.

M. le président Arthur Delaporte. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous entendez par « offrir de l’argent » ?

Maître Laure Boutron-Marmion. Selon les témoignages que j’ai reçus récemment – cette étape a été franchie il y a environ six mois –, des personnes de plus en plus nombreuses – s’agit-il d’influenceurs, de fétichistes ? Je l’ignore – ouvrent des comptes sur ces réseaux sociaux et proposent de l’argent aux jeunes qui se scarifient, par exemple, dont ils repèrent les comptes. Je le sais par des parents qui découvrent cela avec horreur. Par ailleurs, j’invite votre commission d’enquête à se pencher sur la bulle du TikTok live, qui est une boîte noire dans la boîte noire. Il s’y passe des choses absolument ahurissantes, dont nous ne pouvons bien entendu avoir aucune preuve puisqu’il s’agit de captations en direct. Là aussi, on constate une marchandisation de nos jeunes, rémunérés pour toutes sortes d’actes : strip-tease, corruption de mineur et, toujours, mise en scène de contenus mortifères. Cela, je l’ai vu sur TikTok et sur d’autres réseaux sociaux.

Encore une fois, une nouvelle marche a été franchie : des jeunes se voient proposer par d’autres jeunes ou des adultes qui les contactent par messagerie afin de leur proposer de l’argent pour qu’ils se filment en train de faire telle ou telle chose. Certains jeunes voient l’appât du gain.

M. Arnaud Ducoin. Lorsque notre fille s’est suicidée, on a retrouvé son téléphone portable posé sur un meuble en face d’elle. On peut imaginer qu’elle se soit filmée pendant son acte. Je pensais que, comme dans les séries américaines, il suffirait de dix secondes pour ouvrir son téléphone. Mais cela fait un an que les gendarmes s’y essaient, en vain – c’est un Apple. Il n’est pas impossible qu’elle ait mis en scène sa mort ; je ne le sais pas et je ne le saurai peut-être jamais. Toujours est-il que l’on a passé un cap nauséabond. Il est urgent que l’on réagisse et que l’on fixe enfin des règles.

M. le président Arthur Delaporte. Avez-vous demandé à TikTok que l’on vous communique les contenus qui avaient été mis en ligne ?

M. Arnaud Ducoin. Le problème est que nous n’avions pas accès aux codes TikTok de notre fille car elle avait 18 ans. Elle était donc majeure. Par contre, son compte est toujours actif et on peut voir une cinquantaine de ses vidéos.

On a aussi pu avoir accès à son ordinateur personnel, où elle avait enregistré des choses qui devaient lui servir, et peut-être aussi des vidéos qu’elle a pu diffuser ou qu’elle avait enregistrées.

M. Jérémy Parkiet. Vous allez forcément vous intéresser à l’option live de TikTok, et ce que vous allez découvrir est complètement aberrant. Des enquêtes ont déjà été faites. Une, en particulier, m’a beaucoup intéressé. Des Anglais ont voulu voir quelle commission prenait TikTok sur les dons. Quelqu’un a fait un live, un ami a fait un don et ils se sont rendu compte que TikTok prenait 70 % des dons.

Intéressez-vous à cette option, parce qu’en fait c’est une mine d’or pour TikTok. Ils n’ont absolument aucun intérêt à arrêter ça.

M. le président Arthur Delaporte. Vous-même, avez-vous été confronté à ces lives ? Quelqu’un dans une famille l’a-t-il été ?

M. Jérémy Parkiet. Non.

M. le président Arthur Delaporte. Nous sommes preneurs de la référence de l’enquête que vous avez mentionnée.

M. Jérémy Parkiet. Vous finirez de toute façon par la trouver.

Maître Laure Boutron-Marmion. Je vous mettrai en contact avec les parents dont je vous avais parlé au sujet de TikTok live, si cela vous intéresse de creuser.

M. le président Arthur Delaporte. Nous organiserons une audition spécifique.

Maître Laure Boutron-Marmion. Pour moi, c’est la boîte noire de la boîte noire.

Mme Stéphanie Mistre. Je veux dire quelque chose qui me tient à cœur. Profiter de la fragilité des enfants, ça s’appelle de l’abus de faiblesse. Et pour moi c’est intolérable. L’abus de faiblesse est l’un des points sur lesquels je voulais attaquer TikTok.

Profiter d’un enfant, je trouve ça intolérable. Je voulais simplement terminer là-dessus.

M. le président Arthur Delaporte. C’est ainsi que s’achèvera cette audition.

Nous vous remercions collectivement pour le temps que vous nous avez consacrés et pour les déplacements que vous avez faits, certains d’entre vous étant venus de l’autre bout du pays.

J’en profite pour rappeler que nous avons lancé une grande consultation citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale. N’hésitez pas à populariser le lien. Nous avons déjà reçu plus de 25 000 réponses, ce qui témoigne d’un fort engagement. La moitié de ces réponses proviennent de lycéens. La consultation rencontre donc un écho chez les jeunes et beaucoup d’entre eux répondent au questionnaire en ligne.

C’est le signe que nos travaux rencontrent un intérêt dans la société et que les mener à bien est une nécessité publique.

Merci infiniment.

 

La séance s’achève à dix-huit heures cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents. M. Arthur Delaporte, Mme Anne Genetet, Mme Constance Le Grip, M. Kévin Mauvieux, Mme Laure Miller