Compte rendu

Commission d’enquête
sur les effets psychologiques
de TikTok sur les mineurs

– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) et des médecins présents sur TikTok :              2

 Docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM)

 Docteur Raphaël Dachicourt, président du collectif ReAGJIR

 Docteure Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation – centre hospitalier universitaire de Dijon

 Mme Marion Joud, co-fondatrice de Elema Agency

 M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue

 Mme Sophia Rakrouki, sage-femme

– Présences en réunion................................16


Jeudi
22 mai 2025

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n° 15

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Arthur Delaporte,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à treize heures cinquante.

 

La commission auditionne conjointement le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) et des médecins présents sur TikTok :

 Docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM),

 Docteur Raphaël Dachicourt, président du collectif ReAGJIR,

 Docteure Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation – centre hospitalier universitaire de Dijon

 Mme Marion Joud, co-fondatrice de Elema Agency

 M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue

 Mme Sophia Rakrouki, sage-femme

M. le président Arthur Delaporte. Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions avec une table ronde regroupant plusieurs professionnels de santé et collectifs de médecins qui apportent la contradiction et rétablissent la vérité face aux allégations médicales, parfois dangereuses, sur les réseaux sociaux. Je vous remercie pour votre engagement à apporter une parole de santé publique.

Permettez-moi d’accueillir :

• Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom),

• Dr Raphaël Dachicourt, président du collectif ReAGJIR,

• Dre Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon,

• Mme Marion Joud, cofondatrice de Elema Agency,

• M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue,

• et Mme Sophia Rakrouki, sage-femme.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Avant de vous céder la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Dr Jean-Marcel Mourgues, Dr Raphaël Dachicourt, Dre Nawale Hadouiri, Mme Marion Joud, M. Baptiste Carreira Mellier et Mme Sophia Rakrouki prêtent serment.)

Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. J’interviendrai en qualité de représentant du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), au sein duquel je suis chargé de la communication par délégation. J’ai notamment travaillé avec la présidente de la section santé publique sur une charte avec YouTube, qui a eu une certaine publicité.

Le Cnom, principalement par sa section santé publique, traite des signalements émis essentiellement par des particuliers, des médecins ou la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Il est important de préciser que nous n’avons pas de pouvoir de police et ne disposons pas des moyens pour surveiller les réseaux sociaux.

Concernant TikTok, nous constatons fréquemment des actes à visée esthétique illégaux, impliquant principalement des injectrices de toxines botuliques et d’acides hyaluroniques. La difficulté majeure réside dans l’identification des auteurs, qui utilisent généralement des pseudonymes. Le Cnom a pensé créer un faux compte pour traquer les auteurs de tels agissements, mais s’est heurté, en interne, à un avis défavorable du délégué à la protection des données et des services informatiques. Le Cnom demande aux auteurs des signalements de fournir des captures d’écran ou les adresses où ces actes délictueux seraient effectués afin de pouvoir, le cas échéant, saisir le procureur de la République. Les adresses sont parfois fixes, mais peuvent également être éphémères, dans des hôtels par exemple. La section santé publique traite de tels signalements au moins une fois par semaine.

Nous avons été très impliqués sur les réseaux sociaux pendant la longue période de la covid-19, qui a été un catalyseur.

Concernant les fausses informations en matière de santé, notre expérience montre qu’Instagram et YouTube sont davantage impliqués que TikTok. C’est d’ailleurs ce qui nous a incités à élaborer une charte avec YouTube, dont les représentants se sont montrés très compréhensifs et collaboratifs.

Ces fausses informations émanent souvent de prétendus médecins, certains n’hésitant pas à utiliser le titre de docteur ou de scientifique tout en révélant rarement leur véritable identité.

En ce qui concerne les mineurs, bien que cela ne soit pas spécifique à TikTok, nous sommes particulièrement vigilants sur les messages relatifs aux enfants autistes, notamment ceux diffusés par des médecins ou prétendus médecins aux pratiques particulières.

TikTok s’est davantage polarisé sur des propositions d’actes à visée esthétique. Nous pensons que la raison est que l’application se distingue par sa forte popularité auprès des adolescents, une population vulnérable. Nous observons, tant dans nos fonctions au sein du Cnom que dans notre pratique médicale, une augmentation des troubles alimentaires, des troubles dépressifs, des automutilations et des préoccupations à visée esthétique chez cette population. Une psychologue m’a confirmé que les demandes d’adolescents concernent souvent des interventions à visée thérapeutique. Nous constatons des problèmes de déscolarisation, de désocialisation et d’addictions multiples, y compris aux réseaux sociaux.

Récemment, nous avons signé une charte avec YouTube établissant dix règles de bonne conduite pour les médecins-influenceurs. Cette initiative, sollicitée par des médecins-influenceurs eux-mêmes, vise à leur permettre d’avoir un rôle de santé publique vis-à-vis des publics de ces réseaux sociaux.

Mme Marion Joud, cofondatrice de Elema Agency. En tant que directrice générale de l’agence Elema, qui dispose d’un département dédié à l’accompagnement des professionnels de santé, je suis présente aujourd’hui pour représenter deux professionnels de notre agence. Notre rôle consiste à les accompagner dans leurs activités sur les réseaux sociaux en tant que médecins-influenceurs.

Nous sommes également adhérents à l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (Umicc), une organisation qui a fortement travaillé sur ces questions.

Nous nous réjouissons de ces initiatives visant à développer des chartes de bonne conduite, comme celle déjà mise en place avec YouTube, qui a été très bien accueillie.

M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue. Je suis psychologue clinicien exerçant en cabinet. Je reçois des patients en population pédiatrique, de 6 à 18 ans et au-delà. Parallèlement, je crée de la vulgarisation autour de la psychologie. Je rappelle que je ne suis pas médecin, mais bien psychologue. Je suis confronté quotidiennement aux problématiques liées aux réseaux sociaux et à l’utilisation excessive des écrans et des téléphones.

J’ai mené une analyse des études scientifiques sur le sujet. Sans surprise, ces recherches mettent en évidence des liens de corrélation entre l’utilisation des écrans et la santé mentale, notamment en termes de dépression, d’anxiété et de stress. Les résultats sont significatifs, avec une taille d’effet modérée, ce qui semble révéler un véritable impact.

Ma démarche de vulgarisation sur les réseaux sociaux vise à rendre la psychologie plus accessible et à la démystifier. La psychologie est avant tout une discipline scientifique et la santé mentale une grande cause nationale. Je souhaitais montrer que, loin d’être un panier garni réunissant des sciences plus ou moins alambiquées, la psychologie est une science rigoureuse qui suit des recommandations de santé, notamment celles de la Haute Autorité de santé (HAS), et que notre démarche est de nous inscrire le plus possible dans le parcours médical, en collaborant avec les psychiatres, les médecins et les institutions.

Je constate d’importantes dérives dans la création de contenus sur les plateformes comme TikTok. Les algorithmes favorisent malheureusement les contenus polémiques, générant plus d’engagement, au détriment d’un discours scientifique rigoureux. Par exemple, aborder des sujets complexes, comme le rôle du lobe préfrontal dans le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et ses implications dopaminergiques ne suscite que peu d’intérêt auprès du grand public. Il est essentiel de comprendre que la psychologie, comme la santé en général, ne propose pas de solutions miracles. Les parcours thérapeutiques sont souvent longs, laborieux et compliqués. Malheureusement, les réseaux sociaux encouragent la recherche de solutions miracles en une minute. Nous ne sommes donc pas toujours mis en avant et nous trouvons donc sur la même ligne que les autres créateurs de contenu, alors que nous essayons de sourcer nos propos.

Cette situation a des conséquences. J’ai reçu en consultation une adolescente de 14 ans persuadée d’avoir un trouble borderline. Or ce type de trouble n’est pas diagnostiqué à 14 ans, encore moins chez un psychologue qui n’en a pas le droit. Elle m’a expliqué qu’elle a reçu ce diagnostic de sa « psychologue » faisant de la création de contenu sur les réseaux sociaux. En réalité, cette personne est thérapeute et propose, par le biais des réseaux sociaux ou de sites internet, des consultations.

Ce cas illustre parfaitement les problématiques auxquelles nous sommes confrontés : l’auto-diagnostic basé sur des informations trouvées en ligne — concernant particulièrement le TDAH, le haut potentiel intellectuel (HPI), le haut potentiel émotionnel (HPE), les addictions ou les troubles du comportement alimentaire (TCA) —, l’automédication inspirée par des tendances sur les réseaux sociaux et l’errance, entraînant un retard avant la consultation d’un psychologue ou, mieux encore, d’un psychiatre.

Mme Sophia Rakrouki, sage-femme. J’exerce en tant que sage-femme depuis huit ans au sein de l’hôpital de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) Jean-Verdier, où je coordonne le service de préservation de la fertilité pour des raisons médicales, notamment oncologiques. Concrètement, notre mission consiste à trouver rapidement la meilleure solution pour préserver la fertilité des patients, comme récemment pour une patiente diagnostiquée d’un cancer trois jours avant sa consultation. Parallèlement, j’ai développé depuis environ un an et demi ou deux ans une pratique libérale à hauteur de 20 % de mon temps de travail, soit une journée par semaine.

Depuis un an et demi, je prends la parole sur les réseaux sociaux, motivée par l’évolution législative de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ouvrant la possibilité à toutes les femmes de 29 à 37 ans de congeler leurs ovocytes, qui a considérablement accru la charge de travail des centres de procréation médicalement assistée (PMA), déjà saturés. Face à cette situation, nous avons dû adapter nos pratiques, notamment en recourant à la téléconsultation, ce qui a malheureusement conduit à une prise en charge non optimale, les patientes ne se rendant à l’hôpital que le jour de l’intervention. Nous avons essayé d’en parler avec le service communication, mais ce type de démarche prend du temps. Ainsi, j’ai pris l’initiative d’offrir une information sur le parcours de soins afin d’améliorer la prise en charge en interne. J’ai constaté sur ces plateformes une prolifération de comptes traitant de santé, dont beaucoup ne sont pas tenus par des professionnels. Cependant, il est encourageant de noter que les comptes gérés par des professionnels de santé gagnent rapidement en visibilité, car ils répondent à un besoin d’information dû aux déserts médicaux et à la diminution du nombre de gynécologues, mais aussi de sages-femmes et de médecins généralistes assurant un suivi gynécologique.

Au regard de ces éléments, j’ai pensé qu’il est important de diffuser ces informations. J’ai choisi le réseau social Instagram en raison de mon âge. À 32 ans, je ne consulte pas spontanément les sites officiels de l’État, bien qu’ils soient de qualité. Les retours positifs reçus sur Instagram m’ont encouragée à étendre ma présence à TikTok, où les vidéos sont plus longues et où les lives offrent une diffusion beaucoup plus étendue. Cette amplification présente à la fois des avantages et des risques : elle permet de toucher rapidement un large public avec des informations pertinentes, mais peut également propager massivement des informations erronées.

Mon expérience sur ces plateformes m’a confrontée à un tsunami de désinformation. J’ai observé un millier de comptes promouvant des compléments alimentaires censés déboucher les trompes, donner 98 % de chances d’avoir un enfant ou améliorer la qualité des ovocytes. Certains compléments alimentaires « prophétiques » intègrent même un aspect religieux. J’ai également vu des offres pour des « coachings en fertilité ». Si je ne constate pas une usurpation du titre de médecin ou de sage-femme, de prétendus « experts en cycle » ou « experts en fertilité » proposent des prestations à plusieurs centaines ou milliers d’euros. Ces pratiques retardent la prise en charge médicale des patientes, impactent négativement leur état psychologique et, potentiellement, réduisent leurs chances de grossesse.

De plus, j’ai constaté l’émergence d’une méfiance inquiétante envers les professionnels de santé. J’ai entendu des affirmations sans nuances, qui ne tiennent pas compte de l’évolution constante de la recherche médicale. Mon objectif sur ces réseaux sociaux est donc de fournir des informations fiables tout en développant l’esprit critique des utilisateurs.

Enfin, une patiente m’a récemment alertée sur un nouveau phénomène préoccupant : l’utilisation de l’intelligence artificielle pour créer des contenus, rendant encore plus difficile la distinction entre le vrai et le faux.

M. Raphaël Dachicourt, président du collectif ReAGJIR. Je suis président du syndicat ReAGJIR, représentant les jeunes médecins généralistes. Début mars, nous avons lancé la campagne de communication « Health Buster », visant à déconstruire certains conseils de santé jugés dangereux, notamment diffusés sur TikTok.

Un sondage IFOP de 2023 révèle que 49 % des 15-24 ans utilisent TikTok quotidiennement, que 59 % s’en servent comme moteur de recherche, qu’une proportion similaire le considère comme une plateforme d’apprentissage comme une autre et que 45 % ne vérifient pas les informations qu’ils y trouvent.

Ces données corroborent ce que nous, médecins généralistes, observons dans nos cabinets. Les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux canaux d’information sur la santé, prenant une ampleur sans précédent ces dernières années. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte de contournement du système de soin et de défiance envers les professionnels de santé. Les difficultés d’accès aux soins peuvent également jouer, renforçant l’utilisation de ces nouveaux outils.

On trouve sur ces plateformes des conseils non seulement inutiles, mais particulièrement dangereux. Nous avons, par exemple, pu alerter sur les risques liés à l’ingestion de térébenthine.

La diffusion de ces contenus s’appuie sur des leaders d’opinion, avec un effet de tendance. La popularité d’un contenu dépasse malheureusement sa légitimité aux yeux des utilisateurs pour juger de sa pertinence. L’algorithme de ces plateformes, en créant un effet de chambre d’écho, renforce les croyances, particulièrement chez les mineurs qui ne disposent pas des clés pour débunker toutes ces idées et sont donc des cibles faciles. Ces leaders d’opinion utilisent des systèmes d’accroche sur des conseils, avec des interprétations simplistes et des arguments d’autorité, qui ne sont pas remis en question.

Face à cette situation, nous estimons qu’il est crucial que les professionnels de santé soient présents sur ces espaces numériques. Nous devons contrebalancer ces messages dangereux par une parole posée et sourcée en dehors des cabinets médicaux. Il est difficile, sur ce type de réseaux sociaux, de nuancer les propos. Pourtant, en matière de santé, comme dans tout domaine scientifique, les nuances sont essentielles. Notre mission est de vulgariser des messages complexes.

C’est ce que nous avons essayé de faire en utilisant les codes des réseaux sociaux dans notre campagne, créée notamment avec l’aide de l’intelligence artificielle. En effet, on constate désormais sur TikTok l’apparition de comptes usurpant l’identité de médecins — parfois même de praticiens connus — pour promouvoir des produits prétendument miraculeux. J’ai observé sur TikTok des vidéos utilisant l’image du docteur Marine Lorphelin ou du docteur Didier Raoult, pour vanter les mérites du shilajit, une résine présentée comme miraculeuse, bien qu’aucune donnée n’appuie cette idée.

Ces désinformations concernent principalement la santé mentale ou des maux du quotidien, avec la promotion de purges ou de cures détox. Ces messages s’appuient souvent sur des idées liées au naturel, reflétant une certaine défiance envers la médecine allopathique actuelle.

Dr Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et de réadaptation au CHU de Dijon. Je suis praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et de réadaptation, spécialisée en neurologie, au CHU de Dijon. Je suis également créatrice de contenu sur diverses plateformes, telles que TikTok, Instagram et YouTube. Je n’ai aucun conflit d’intérêts ni partenariat financier à déclarer. De plus, j’ai participé à l’élaboration de la charte de bonnes pratiques pour les médecins-créateurs de contenu, aux côtés de représentants du Cnom, d’experts YouTube et d’autres confrères.

Notre objectif initial, en tant que professionnels de santé sur les réseaux sociaux, est de diffuser une information de qualité, scientifiquement validée, référencée, sourcée et conforme aux recommandations nationales. Mon but personnel était de faire connaître ma spécialité, la médecine physique et de réadaptation neurologique. J’ai constaté un intérêt croissant du public pour des questions relatives aux pathologies neurologiques et aux situations de handicap, domaines où la désinformation se propage.

Au fil de mon activité de production de bonnes informations, j’ai été amenée à réagir à des vidéos de désinformation afin de rétablir la vérité. À la suite de la période covid-19, nous avons vu une accélération exponentielle de la création de contenu, rendant difficile l’identification des vidéos trompeuses. Il est important de noter que la production de désinformation est bien plus rapide que celle relayant des informations de qualité et que les fausses nouvelles se propagent plus vite que les informations fiables. Dans ce contexte, le rôle des professionnels de santé, notamment des médecins, dans le débunkage est crucial.

La charte mentionnée vise à rétablir la balance en objectivant le rôle des médecins dans la création de contenu sur les réseaux sociaux, en leur donnant des règles de bonnes pratiques pour produire une information médicale de qualité.

La plateforme TikTok présente des spécificités notables.

Les contenus sensationnels et les challenges sont ceux qui génèrent le plus de likes et d’interactions, ce qui tend à propulser les fausses informations au premier plan. Pour qu’une vidéo de désinformation soit visible, elle doit devenir virale, ce qui constitue un premier danger.

Je note, sur TikTok, une présence très importante de non-professionnels de santé diffusant des contenus, parfois teintés d’un esprit complotiste à l’égard de la communauté des soignants. Ces personnes peuvent prodiguer des conseils pour éloigner des bonnes pratiques, avec un esprit presque sectaire.

Un autre danger de cette plateforme est que je constate que certains professionnels de santé et de l’éducation, qui devraient être des sources fiables d’information pour les mineurs notamment, se laissent parfois entraîner dans la promotion de désinformation. Il est crucial de rester critique, même envers les contenus produits par certains professionnels à la recherche de popularité.

TikTok est l’une des plateformes les plus utilisées par les jeunes, avec plus de 60 % des moins de 30 ans qui y sont présents et un temps de visionnage moyen dépassant 3 heures par jour. Cette popularité exige donc une vigilance accrue et des mesures pour cette plateforme, en raison de ses spécificités.

Mme Laure Miller, rapporteure. Nous serions tentés de décentrer quelque peu le propos et de vous interroger sur l’impact des réseaux sociaux et du numérique sur la défiance de certains citoyens envers la médecine et la santé en général. En effet, les professionnels de santé rapportent que des patients arrivent en consultation avec un diagnostic préétabli, basé sur leurs recherches, accordant parfois plus de crédit à leur ordinateur qu’à l’avis médical.

Cependant, dans la mesure où notre commission d’enquête se concentre sur TikTok, j’aimerais approfondir certains points.

Tout d’abord, pouvez-vous expliciter en quoi TikTok pourrait être plus problématique que les autres réseaux sociaux ?

Ensuite, nous constatons que l’algorithme conduit à la mise en avant des contenus les plus problématiques. Avez-vous des discussions relatives à la stratégie afin de concurrencer les contenus problématiques ? Privilégiez-vous des contenus positifs pour expliquer des sujets de santé ou créez-vous des contenus visant à contrer de fausses informations qui circulent ?

Prenons l’exemple du Paracétamol Challenge, qui incite à ingérer une quantité excessive de paracétamol pour finir aux urgences. Avez-vous envisagé de produire des contenus expliquant les conséquences graves de cette pratique, y compris les dommages cérébraux potentiels, même en l’absence de décès ? Avez-vous réussi à réfléchir à des façons de concevoir des contenus plus percutants et moins nuancés pour concurrencer ces défis dangereux ? Avez‑vous identifié certains types de contenus ayant mieux fonctionné que d’autres ?

Mme Sophia Rakrouki, sage-femme. J’ai récemment mené une expérience en recherchant le terme « infertilité » sur YouTube, TikTok et Instagram. Sur YouTube, j’ai constaté que les contenus de professionnels de santé labellisés étaient mis en avant, reléguant les informations non vérifiées en bas de page. En revanche, sur Instagram et TikTok, les résultats prioritaires étaient des vidéos virales, souvent axées sur la peur et les tendances du moment.

Concernant notre approche pour concurrencer ces contenus, c’est une question difficile. Il est complexe de donner une information scientifique légère. Chaque mot a son importance et peut modifier significativement le message. Condenser une explication médicale en 30 secondes, format privilégié par l’algorithme, s’avère difficile.

Notre stratégie consiste à débunker des vidéos virales. J’ai personnellement eu l’occasion de le faire à deux reprises, pour une vidéo virale affirmant à tort que l’Antadys, utilisé en cas de suspicion d’endométriose ou de règles douloureuses, causait la stérilité et une vidéo prétendant que la pilule contraceptive provoquait forcément le cancer, exposant potentiellement les femmes à des interruptions volontaires de grossesse (IVG) répétées. Notre méthode consiste à décortiquer ces vidéos, en nous appuyant sur des études scientifiques. Cependant, ce processus est chronophage et empiète souvent sur notre temps personnel.

M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue. Nous utilisons en effet tous cette approche de recontextualisation. Cependant, il n’existe pas de gros compte de désinformation comptant des centaines de milliers d’abonnés et faisant des millions de vues, mais plutôt des milliers de petits comptes, rendant impossible une réfutation systématique, car nous passerions nos journées à jouer à la police.

Hier soir, j’ai repéré une vidéo déconseillant formellement le traitement médicamenteux pour le TDAH, qui a suscité un fort engagement. J’ai signalé ce contenu, mais je pense qu’il serait crucial que les signalements émanant de professionnels de santé identifiés par leur numéro du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) soient traités en priorité et conduisent à une suppression plus rapide des contenus.

La création de contenus de réfutation est extrêmement chronophage et peut parfois attirer un lot de commentaires négatifs et peu agréables à lire. Face à cette situation, nous pouvons être tentés de privilégier la diffusion de contenus de prévention et de sensibilisation plutôt que la déconstruction de ces tendances, qui me semble impossible à niveau.

Mme Marion Joud, cofondatrice de Elema Agency. Dans le cadre de mon activité en agence, je réalise un important travail de communication et de présentation auprès des différents acteurs de santé publique pour devenir une référence. Les professionnels de santé ne peuvent consacrer tout leur temps à surveiller les réseaux sociaux. C’est pourquoi nous les accompagnons pour travailler sur les réseaux sociaux, leur permettant ainsi de se concentrer sur leurs consultations et leurs patients.

Nous essayons de prendre attache avec certaines autorités pour collecter les alertes et les informations. Nous transmettons ainsi régulièrement aux professionnels de santé des signalements et des actualités importantes sur les réseaux sociaux, leur permettant de réagir rapidement si le sujet relève de leur expertise et si leur emploi du temps le permet. Chaque semaine, nous recevons quelques alertes et signalements.

Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. Je partage entièrement les propos qui ont été tenus. La situation à laquelle nous sommes confrontés est extrêmement complexe, avec des déterminants multifactoriels et protéiformes. Il est impératif d’adopter une vision systémique.

Premièrement, il est crucial d’agir dès la petite enfance. La surexposition aux écrans affecte le neurodéveloppement et la plasticité cérébrale, favorisant ainsi la vulnérabilité. Nous constatons une augmentation des troubles de l’attention, de la concentration et de la persévérance chez les enfants. Cette prévention universelle concerne tant le milieu familial que scolaire.

Dans le contexte familial, la tâche s’avère ardue. Avec environ un foyer sur deux étant monoparental ou composé de parents séparés, le recours aux écrans devient une solution de facilité pour gérer les tâches domestiques. De plus, la première génération du numérique, désormais parents, ne montre pas toujours l’exemple requis, comme en témoigne l’omniprésence des smartphones dans les transports en commun.

Concernant la prévention scolaire, il est essentiel d’intervenir dès la maternelle et le primaire. Nous devons revenir aux fondamentaux de l’éducation, car nous observons un déclin de la capacité de raisonnement logique et d’analyse critique chez les enfants. Cette lacune les rend plus vulnérables face à l’exposition aux contenus en ligne.

Les adolescents, principaux consommateurs de TikTok, sont particulièrement exposés. S’ils présentent des troubles de l’attention et n’ont pas développé une structuration de la pensée logique, ils se trouvent dans l’incapacité d’avoir un avis critique et pertinent sur l’information qu’ils pourraient recevoir.

Pour les autres réseaux sociaux, il serait judicieux d’envisager la généralisation de chartes, sans nécessairement les rendre obligatoires — cette décision incombant au législateur. Ces chartes permettraient d’identifier clairement les professionnels de santé signataires et d’améliorer leur référencement. Actuellement, ces professionnels, peu nombreux comparés aux influenceurs, se retrouvent relégués dans les dernières pages des résultats de recherche.

Une multiplicité des moyens est sans doute nécessaire tant la tâche est immense.

Dr Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation au CHU de Dijon. Je rejoins l’avis de mes collègues créateurs de contenu. Avec nos moyens limités, il s’avère extrêmement difficile de contrer toutes les vidéos de désinformation en tant que professionnels de santé. De plus, notre activité quotidienne de soignants ne nous permet pas de consacrer tout notre temps à scroller et à filtrer les contenus problématiques sur les réseaux sociaux.

Concernant notre stratégie pour tenter de démêler le vrai du faux, je produis personnellement environ trois à quatre contenus par semaine, dont au moins une vidéo de débunkage.

La semaine dernière, j’ai découvert le compte TikTok et Instagram d’un professeur de mathématiques suivi par 1,5 million de personnes. Ce dernier a publié une vidéo sur la gestion de l’anxiété, du stress et de la santé mentale, dans laquelle il présentait l’ostéopathie comme solution miracle pour réduire le stress lié aux évaluations scolaires. J’ai été assez choquée par cette affirmation. Ma méthode de débunkage consiste généralement, dans les trente premières secondes, à engager une sorte de « questions-réponses » avec l’auteur de la désinformation, puis j’explique pourquoi l’information est erronée. Les réactions des auteurs initiaux varient : certains gardent le silence, tandis que d’autres, comme ce professeur, refusent toute remise en question. L’ostéopathie n’a pas encore reçu de recommandations de la HAS et sa pratique reste problématique, même si certains ostéopathes s’efforcent d’améliorer leurs pratiques. La vidéo en question, qui a même choqué des ostéopathes, était une promotion déguisée d’une praticienne. J’ai par la suite reçu des messages un peu envahissants.

Lorsque nous faisons du débunkage, nous, professionnels de santé, n’avons pas de défense vis-à-vis des personnes effectuant de la désinformation, n’hésitant pas à utiliser des méthodes d’intimidation. Pour le moment, nous ne disposons pas d’assez de moyens techniques et nous ne sommes pas suffisamment protégés quand nous nous lançons dans ce type d’activité. Ainsi, il peut être compliqué de se lancer dans le débunkage du fait de toutes les conséquences que cela peut occasionner.

M. Raphaël Dachicourt, président du collectif ReAGJIR. Concernant la particularité de TikTok par rapport aux autres réseaux sociaux, cette application se distingue par son audience particulièrement jeune. Les statistiques révèlent que 70 % des 15-17 ans utilisent quotidiennement cette plateforme, avec une durée moyenne d’utilisation de deux heures par jour. Cette tendance contraste nettement avec d’autres réseaux sociaux, comme Facebook, qui attirent davantage la génération des millenials.

De plus, TikTok se caractérise par des contenus courts, privilégiant des idées percutantes pour favoriser la viralité, contrairement à des plateformes comme YouTube où les vidéos sont plus longues.

En tant que professionnels de santé, notre objectif est la santé publique. Cependant, notre approche se heurte souvent à celle de certains influenceurs dont les motivations sont clairement financières. Notre charge de travail quotidienne ne nous laisse ni le temps ni les ressources pour mettre en place une stratégie de débunkage systématique. En outre, en tant que professionnels de santé, nous manquons généralement des compétences nécessaires, bien que certains collègues les aient développées. De notre côté, nous avons fait appel à une agence de communication, reconnaissant que nous n’avions pas les codes et que nous avions besoin d’innover dans ce domaine. Cette démarche nous a fait prendre conscience que nous ne pouvons pas faire le poids face à ces influenceurs.

L’enjeu crucial réside dans le passage du « débunk » au « prébunk ». Le « débunk » consiste à réagir en démontrant pourquoi une idée est erronée. Le « prébunk », quant à lui, vise à sensibiliser en amont à l’esprit critique, en fournissant aux utilisateurs les outils nécessaires pour évaluer la fiabilité des contenus qu’ils rencontrent. Cette stratégie devrait être développée non seulement sur les réseaux sociaux, mais également au sein de l’éducation nationale. Ce sujet semble devenir de plus en plus un enjeu de santé publique.

Mme Laure Miller, rapporteure. Premièrement, pensez-vous qu’il est illusoire d’envisager les réseaux sociaux comme un véritable vecteur de santé publique dans notre pays ? Serait-il envisageable que des institutions s’emparent de ces plateformes pour diffuser des messages fiables ?

Deuxièmement, concernant les signalements effectués par le Cnom ou à titre personnel, obtenez-vous des retours ? Avez-vous le sentiment que vos interventions conduisent effectivement à la suppression des contenus problématiques ?

Enfin, troisièmement, compte tenu de la vulnérabilité des plus jeunes et de leur esprit critique en construction, pensez-vous qu’instaurer une limite d’âge pourrait protéger les publics les plus sensibles des contenus les moins appropriés ?

Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. Il n’existe pas de solution unique.

Concernant l’exposition aux écrans, un communiqué commun de la Société de pédiatrie, de neuropédiatres et de Santé publique France recommande de limiter autant que possible l’exposition des enfants de moins de six ans.

L’éducation joue un rôle crucial. Dans la mesure où l’enjeu est de sauver une génération, il me semble que ce sujet doive être intégré aux objectifs prioritaires des contenus de l’éducation nationale, dès la grande section de maternelle et surtout à l’école primaire, sous une forme plus ou moins ludique. Nous pourrions imaginer des espaces où les apports des réseaux sociaux pourraient être abordés, de façon critique, mais nuancée. Au collège, cette approche pourrait être approfondie en analysant des exemples concrets des effets pressentis pervers des réseaux sociaux.

Concernant les plateformes comme YouTube et Instagram, nous avons signé une charte. Qu’est-ce qui empêche les autres de suivre cet exemple ? Sans être liberticides, nous devrions leur dire qu’il existe des objectifs communs de bien supérieur de santé publique. Il faudrait leur demander quelle place ces plateformes comptent donner à la promotion de professionnels de santé influenceurs ayant adhéré à une charte, notamment en matière de référencement. L’objectif serait d’intégrer dans ces algorithmes du contenu critique, offrant ainsi aux utilisateurs une perspective alternative.

Bien que je n’aie pas de solution magique, je crois qu’il ne faut pas être défaitistes. Il est essentiel que tous les acteurs concernés, y compris les législateurs, se réunissent pour élaborer des stratégies efficaces.

Mme Sophia Rakrouki, sage-femme. Tout d’abord, nous sommes face à un enjeu de santé publique. Notre impact quotidien se manifeste à travers les nombreux messages de remerciement que nous recevons et les témoignages de personnes qui nous abordent dans la rue pour nous dire que nous avons changé leur prise en charge. Cela confirme que nous avons notre place et que cette approche constitue l’avenir.

Cependant, nous avons souvent un temps de retard sur les évolutions numériques, nous plaçant en position réactive. Il serait judicieux d’organiser des réunions afin d’être en avance et d’avancer ensemble, plutôt que de subir. Actuellement, nous réagissons aux défis posés par les réseaux sociaux, mais nous devrions déjà nous préparer aux enjeux liés à l’intelligence artificielle, notamment en termes d’esprit critique.

Concernant les signalements, le problème principal réside dans la capacité du grand public à identifier la désinformation. Si le signalement de contenus manifestement violents ne pose généralement pas de difficulté, la détection de fausses informations médicales nécessite souvent des connaissances spécifiques. Par conséquent, seule une poignée de professionnels de santé actifs sur les réseaux sociaux effectue ces signalements, ce qui limite leur impact. Pour être efficace, le système d’alerte devrait mobiliser un plus grand nombre d’utilisateurs. Une solution potentielle serait d’accorder un poids plus important aux signalements émanant de professionnels de santé référencés. Lorsque nous qualifions une information de désinformation, c’est qu’elle l’est très certainement.

Enfin, l’impact de TikTok sur les jeunes est indéniable, mais il ne se limite pas à eux. Mes statistiques sur TikTok révèlent une audience diversifiée, incluant des parents. J’ai récemment eu une conversation révélatrice avec ma tante, âgée d’une quarantaine d’années, qui m’a partagé une vidéo TikTok manifestement générée par intelligence artificielle, sans pouvoir discerner sa nature artificielle. Cela démontre que la problématique concerne l’ensemble de la population, pas uniquement les jeunes. Il est donc impératif d’informer et d’éduquer, quel que soit l’âge.

M. Baptiste Carreira Mellier, psychologue et neuropsychologue. Nous avons notre place sur les réseaux sociaux, même si nous ne pouvons pas faire face.

Nous avons tous expérimenté la frustration des signalements qui n’aboutissent qu’à un simple message : « merci d’avoir signalé ». Nous pourrions disposer de davantage d’outils, notamment une reconnaissance de nos numéros de répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) et une certification. Nous jouons le jeu de la création de contenu. Nous pourrions donc également jouer le jeu d’effectuer une veille des réseaux sociaux, en consultant et signalant les contenus problématiques.

Concernant l’éducation au numérique dans les établissements scolaires, ne pourrions-nous pas envisager de l’intégrer directement sur les réseaux sociaux ? Par exemple, lors de la création d’un compte pour mineur, un quiz ou une vidéo de prévention pourrait être proposé, sensibilisant aux risques potentiels. Cette approche pourrait s’inspirer de l’évolution des pratiques dans le domaine sportif, où certaines associations ont remplacé l’exigence d’un certificat médical par un quiz, libérant ainsi des créneaux de consultation médicale.

Dans ma pratique clinique, je constate les effets néfastes de la surexposition aux écrans, souvent chez les jeunes patients que je reçois pour des hypothèses de diagnostic de TDAH. Après cinq minutes d’utilisation d’écrans en salle d’attente, leur capacité d’attention est considérablement altérée, nécessitant des adaptations pendant la consultation. J’insiste auprès des parents sur l’importance de limiter l’usage des écrans avant les rendez-vous.

Notre rôle, tant en consultation que sur les réseaux sociaux, est d’informer. Il serait judicieux d’envisager un système de signalisation distinctif pour les contenus de santé, similaire à ce qui a été mis en place pendant la pandémie de covid-19. Une bannière d’alerte pourrait rediriger vers des sources d’information gouvernementales fiables dès qu’un contenu relatif à la santé est abordé.

Dr Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation au CHU de Dijon. Concernant l’utilisation des réseaux sociaux comme outil de santé publique, notre engagement en tant que professionnels de santé sur ces plateformes témoigne de leur potentiel. Nous considérons cela comme une nouvelle façon d’exercer notre métier, complémentaire à nos consultations, permettant de diffuser des informations de santé publique au-delà de nos cabinets et des hôpitaux.

Quant à la stratégie à adopter, mon expérience en recherche m’incite à privilégier une approche préventive, en commençant par une information primaire ciblant à la fois les enfants, les adolescents et leurs parents. Les sondages IFOP révèlent que de nombreux parents ne savent pas utiliser ou n’utilisent pas les outils de contrôle parental disponibles, soit par manque de connaissance, soit par difficulté à les intégrer avec leurs enfants. Il est donc crucial d’inclure les parents dans la boucle de décision pour les rendre acteurs du chemin de leurs enfants. Des programmes éducatifs doivent être mis en place, que ce soit via des plateformes ou dans le cadre de travaux dirigés. L’objectif est de créer un programme pour les enfants et les parents. Nous pourrions nous inspirer des pays nordiques, plus avancés sur ces questions. Par exemple, le programme éducatif néerlandais sur ce thème pourrait être adapté au contexte français.

Afin de contrer la désinformation, il est nécessaire d’indiquer les contenus fiables. YouTube, par exemple, a lancé un programme de labellisation des professionnels de santé, avec la mise en évidence de leur numéro RPPS. Cette initiative pourrait être étendue à TikTok et à d’autres plateformes, permettant ainsi aux utilisateurs d’identifier facilement les comptes de professionnels de santé.

Il est également nécessaire de développer des moyens techniques pour lutter contre les contenus inappropriés. Nous devons réfléchir à la manière de faire comprendre aux créateurs de ces contenus qu’ils font fausse route. Dans la mesure où nous sommes en France, il faudra peut-être envisager des sanctions, y compris pénales, pour les récidivistes. Bien que les plateformes doivent être tenues responsables, les créateurs de ces contenus doivent également comprendre que leur production n’est pas sans conséquence.

Il est donc impératif de trouver une approche pour cibler toutes les problématiques et, surtout, prévenir ces dérives qui affectent toute une génération.

M. le président Arthur Delaporte. Avez-vous un exemple de contenu que vous auriez signalé à TikTok et qui n’aurait pas été retiré ?

Dr Nawale Hadouiri, praticien hospitalo-universitaire en médecine physique et réadaptation au CHU de Dijon. Il s’agit notamment de contenus liés à des challenges. J’en ai signalé de nombreux, qu’ils soient peu ou très visionnés. Par exemple, j’ai récemment vu une vidéo relative au « Labello Challenge ». Des adolescents appliquent du baume à lèvres et, à chaque événement négatif dans leur vie, ils en coupent une partie. J’avais pu lire dans les médias que ce défi pouvait parfois mener à des idées à tendance suicidaires une fois le baume entièrement consommé. Ce type de défi existe depuis environ un mois et de nombreuses vidéos y sont consacrées. J’ai également signalé des défis liés à des régimes dangereux, comme la suppression totale du sucre. Malgré mes signalements, je n’ai jamais reçu de message ni constaté leur retrait de ces vidéos.

Mme Sophia Rakrouki, sage-femme. Pour ma part, j’ai signalé une publicité pour un complément alimentaire « prophétique », censé résoudre tous les problèmes de fertilité. Malgré mon signalement, la vente de ce produit se poursuit.

Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. Le Cnom souhaiterait bénéficier, au même titre que d’autres institutions et acteurs, d’une voie prioritaire pour les signalements. Nous demandons également que les signalements ne restent pas sans réponse et qu’une réponse argumentée soit fournie dans les meilleurs délais.

Lors de notre unique rencontre avec TikTok, on nous a expliqué qu’ils utilisent des analyses par intelligence artificielle pour examiner leurs contenus, avec une seconde lecture humaine pour les contenus suspects. Cependant, certains contenus nous semblent très suspects.

Nous sommes conscients que certains utilisateurs peuvent fermer un compte et en ouvrir un autre sous un pseudonyme différent. Néanmoins, nous demandons cette facilité d’alerte et l’obligation d’un retour dans les meilleurs délais, afin d’éviter des semaines d’attente pour obtenir une réponse aléatoire.

Mme Marion Joud, cofondatrice de Elema Agency. Je souhaite ajouter que nous sommes actuellement confrontés à un problème : des vidéos sur TikTok mettant en scène le docteur Marine Lorphelin sont générées par intelligence artificielle pour promouvoir des compléments alimentaires douteux. Cela fait déjà une à deux semaines que nous signalons ces contenus. Marine utilise ses autres réseaux sociaux pour inciter son audience à les signaler également. Malgré cela, à ce jour, tout est encore en ligne. Je reçois des messages de personnes ne voyant pas que le contenu a été créé à l’aide d’une intelligence artificielle et disant avoir acheté ces produits. Il existe clairement un business qui s’est développé autour de cette pratique.

M. le président Arthur Delaporte. J’adresse un message aux affaires publiques de TikTok, qui suivent probablement cette audition avec intérêt. Si ces contenus sont toujours présents dans deux semaines, lors de notre rencontre avec TikTok, nous ne manquerons pas de les interroger sur l’absence de réponse aux signalements. N’hésitez pas à nous informer de la situation juste avant l’audition de TikTok.

Au nom de mes collègues, je vous remercie pour votre engagement, même si cela peut parfois sembler décourageant. Heureusement que ce type de contenu positif existe pour tenter de contrebalancer la masse de désinformation. Nous espérons que les algorithmes évolueront pour mettre en valeur ces contenus positifs ainsi que pour modérer et retirer les contenus problématiques. C’est dans cette direction que nous essayons d’orienter nos efforts.

Je vous remercie pour votre participation à cette audition.

 

 

La séance s’achève à quinze heures dix.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Arthur Delaporte, Mme Laure Miller, Mme Constance de Pélichy, Mme Isabelle Rauch