Compte rendu
Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et Mme Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales 2
– Présences en réunion.................................12
Jeudi
25 septembre 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 5
session 2024-2025
Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
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La séance est ouverte à dix heures.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Mesdames, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Il nous semblait essentiel de recevoir des membres de l’INSEE, principal pourvoyeur de statistiques démographiques. Vous pourrez nous aider à poser des constats à partir d’hypothèses fiables et de projections à court, moyen et long terme.
Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’INSEE. Merci de nous avoir conviées pour éclairer les travaux de votre mission d’information. Je vais d’abord présenter les statistiques et les études que produit l’INSEE pour mesurer et analyser la natalité et la fécondité. Sylvie Le Minez exposera ensuite nos principaux constats – il s’agira d’une sélection, car nous ne pourrons pas couvrir l’ensemble des questions traitées par l’INSEE. Nous compléterons ensuite en répondant à vos questions.
L’INSEE reçoit en continu les bulletins d’état civil établis par les mairies, notamment les bulletins de naissance. Ces derniers permettent de compter les naissances, chaque jour et dans chaque commune, mais aussi de connaître certaines caractéristiques de l’enfant, de la mère ayant accouché et du père – ou de la mère n’ayant pas accouché pour les enfants ayant deux mères. Il s’agit de caractéristiques telles que l’âge, la nationalité, la situation professionnelle ou le fait que les parents sont mariés ou non. L’INSEE s’assure de l’exhaustivité et de la qualité des données, afin de produire des statistiques portant sur les naissances vivantes survenues en France.
Par ailleurs, l’INSEE réalise le recensement de la population, en partenariat avec les communes. Le recensement permet d’établir la population en France, notamment par sexe et selon l’âge, pour chaque échelon géographique. On peut alors calculer des taux de fécondité par âge en rapportant les naissances à la population de chaque âge. Le recensement nous permet aussi de répartir les naissances par rang – premier enfant, deuxième, etc. Cette information figure déjà dans les bulletins de naissance, mais n’est pas d’une qualité suffisante.
L’INSEE a également construit une base de données, un échantillon démographique permanent qui lui sert à aller plus loin dans les analyses. C’est un panel démographique qui rassemble, pour un échantillon de personnes correspondant à 4 % de la population, des informations issues de l’état civil, des recensements de la population et de sources fiscales et sociales. Cela permet, par exemple, de comparer la fécondité de différents groupes de femmes selon leur niveau de vie ou leurs diplômes, toutes informations qui ne figurent pas dans les bulletins d’état civil.
Notre source pour étudier les trajectoires familiales est ce que nous appelons l’enquête familles. Elle complète le recensement de la population grâce à un questionnement plus détaillé sur les trajectoires familiales, les unions, les séparations ou encore les remises en couple, ainsi que l’ensemble des relations entre les personnes d’une même famille, qu’elles habitent ou non au même endroit. L’INSEE vient de réaliser, début 2025, une nouvelle édition de cette enquête. Les résultats seront disponibles l’an prochain.
À l’aide de ces différentes sources, l’INSEE produit des diagnostics réguliers : un suivi du nombre de naissances, publié chaque mois au niveau national, régional et départemental ; un bilan démographique de la France – nombre d’habitants, évolution de la population et principaux indicateurs démographiques – publié au mois de janvier de chaque année ; et un bilan spécifique des naissances, annuel lui aussi, comportant des données détaillées, par exemple suivant les caractéristiques des parents. L’INSEE produit et met à disposition toutes ces données sur le site internet INSEE.fr. Elles peuvent donc être utilisées par toutes et tous, y compris des acteurs tels que l’Institut national d’études démographiques (INED), que vous avez déjà auditionné, pour des analyses et des recherches.
À partir des mêmes sources, l’INSEE produit des études thématiques. Au cours des dernières années, nous avons par exemple réalisé des publications sur l’âge moyen à la maternité, qui continue d’augmenter, sur les jours où l’on naît le plus et le moins souvent, sur les maternités tardives – après 40 ans –, sur la descendance finale, sur la fécondité des immigrés ou encore sur les écarts de fécondité selon le niveau de vie.
Enfin, tous les cinq ans, l’INSEE réalise des projections de population. Il s’agit de déterminer quelle serait la population au cours des années et décennies à venir en fonction d’hypothèses, de scénarios qui se fondent sur les tendances récemment observées, après consultation d’experts quant à la manière de les prolonger. Ces hypothèses portent sur la fécondité, la mortalité et le solde migratoire – le rapport entre les entrées et les sorties du territoire –, qui sont les trois composantes de l’évolution de la population.
Les dernières projections ont été réalisées en 2021, les prochaines étant pour l’an prochain. Elles comportent un scénario dit central, qui nous paraissait à l’époque le plus probable et correspondait à la prolongation des tendances observées, ainsi que de nombreuses variantes, des scénarios alternatifs avec des hypothèses de fécondité, de mortalité ou de solde migratoire différentes pour mesurer leur impact sur l’évolution future de la population.
Mme Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales de l’INSEE. Le premier constat que nous tirons de tout cela est bien connu : les naissances diminuent depuis 2010. À partir du début des années 2000 et pendant une dizaine d’années, les naissances ont dépassé les 800 000 chaque année. Elles sont passées sous le seuil des 700 000 en 2023 et la baisse se poursuit en 2024 et 2025. Cette baisse s’explique par le fait que la fécondité des femmes en âge d’avoir des enfants diminue ; le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants est, en revanche, stable depuis le milieu des années 2010.
Une première façon d’analyser la baisse de la fécondité repose sur ce qu’on appelle l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF). Cet indicateur synthétique mesure chaque année ce que serait le nombre d’enfants que les femmes auraient en moyenne si elles avaient tout au long de leur vie les taux de fécondité par âge observés l’année en question. Les courbes sont parlantes : l’indicateur conjoncturel de fécondité, qui était autour de 2 enfants par femme dans les années 2000, est passé à 1,62 en 2024. C’est un niveau faible, inférieur à celui de 1993, pendant la récession économique, qui était le plus bas observé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On voit aussi qu’à partir du milieu des années 1970, autrement dit à la fin du baby-boom, l’ICF a fluctué entre 1,7 et 2 enfants par femme.
Cet indicateur est assez difficile à interpréter parce qu’il reflète pour partie des effets de calendrier des naissances – le fait que les femmes aient des enfants de plus en plus tardivement. Une baisse de l’indicateur conjoncturel de fécondité peut donc correspondre à un effet de calendrier. En revanche, une baisse prolongée depuis des années conduit à s’interroger.
Un autre indicateur, le taux de fécondité selon l’âge des femmes, montre que la fécondité des femmes dans la trentaine diminue ces dernières années. La fécondité des femmes âgées de 30 à 34 ans a augmenté jusqu’au début des années 2010, puis a connu un plateau avant de baisser. La fécondité des femmes âgées de 35 à 39 ans a été en augmentation un peu plus longtemps, ce qui correspond au fait que les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard, mais elle a également traversé un plateau dans la deuxième partie des années 2010, avant de baisser un peu. Le taux de fécondité ne continue à augmenter que pour une tranche d’âge, celle des 40-50 ans, mais leur fécondité est bien sûr bien plus faible que celle des trentenaires.
Le dernier indicateur relatif à la fécondité est ce qu’on appelle la descendance finale, à savoir le nombre d’enfants que les femmes auront au terme de leur vie féconde, souvent mesuré à 50 ans. Puisqu’il faut attendre que les femmes aient atteint cet âge pour connaître leur descendance finale, on ne dispose pas de cet indicateur pour les générations les plus récentes. Mais si l’on commence la courbe pour les femmes nées en 1990, on voit que le nombre d’enfants qu’elles ont déjà eus à l’âge de 35 ans est en net décrochage par rapport à celui des générations précédentes. On peut dès lors se dire qu’il sera difficile de rattraper l’écart de descendance avec les autres générations, même si l’on sait que des retards de descendance finale peuvent se résorber. Ainsi, pour les générations nées en 1970, 1975, 1980 et 1985, on constate un retard de descendance finale à la trentaine par rapport aux générations antérieures, mais comme ces femmes ont eu leurs enfants de plus en plus tard, y compris entre 35 et 40 ans, elles ont fini par rattraper les générations précédentes pour arriver à environ deux enfants par femme.
Face aux incertitudes, il est toujours intéressant de faire des projections démographiques. Christel Colin vous en ayant expliqué rapidement les principes, je passe aux résultats.
Dans le scénario dit central, l’indicateur conjoncturel de fécondité le plus probable à l’époque – en 2021 –, selon tous les experts consultés, était de 1,8 enfant par femme. Deux autres hypothèses de fécondité ont été retenues à titre de comparaison, basse et très basse, à 1,6 et 1,5 enfant par femme. Deux autres variantes ont aussi été introduites : un solde migratoire plus élevé et une espérance de vie plus basse.
Le premier résultat est, dans tous les scénarios, une baisse de la population pour 2070 : la question est de savoir à quel rythme et de quelle ampleur. Dans le scénario central, la population serait en hausse d’environ 600 000 personnes en 2050 par rapport à 2025, mais en baisse d’environ 500 000 personnes en 2070. Dans le scénario de fécondité basse, soit 1,6 enfant par femme au lieu de 1,8, le solde naturel – soit la différence entre les naissances et les décès – serait négatif plus rapidement. La population serait en diminution dès 2050, de 1,3 million de personnes, et de bien plus en 2070. Dans le scénario à 1,5 enfant par femme, la population diminuerait évidemment encore davantage, toutes choses égales par ailleurs.
Nous avons appelé « scénario 1 plus plausible » la variante marquée par un indicateur de fécondité bas, de 1,6 enfant par femme, une espérance de vie identique à celle du scénario central et un solde migratoire plus élevé, de 120 000 par an au lieu de 70 000. Ce chiffre de 120 000 correspond à la moyenne des soldes migratoires observés depuis le début des années 1990 – le niveau ayant été plus élevé ces dernières années. Dans ce scénario, le solde migratoire compenserait la diminution du solde naturel due à une fécondité basse à l’horizon 2050 : la population croîtrait de 800 000 personnes au lieu de baisser de 1,3 million. En 2070 en revanche, la population diminuerait tout de même.
J’en viens à l’évolution du solde naturel. Dans tous les scénarios qu’on peut faire – c’est vraiment inscrit dans l’histoire de la population française –, les décès vont augmenter. De 645 000 à l’heure actuelle, ils pourraient aller jusqu’à 800 000 en 2050, avec l’avancée en âge des générations très nombreuses du baby-boom. C’est simplement l’ampleur des décès chaque année qui varie en fonction des hypothèses retenues en matière d’espérance de vie, selon qu’elle continue à croître ou ralentit.
Par ailleurs, les naissances sont désormais inférieures à 700 000 par an. Si la fécondité reste durablement aux niveaux actuels, elles vont continuer à diminuer et le solde naturel deviendra négatif, à différentes dates selon les scénarios. Le fait est que la baisse de la fécondité a été plus rapide que ce que pensaient tous les experts consultés. Si l’on regarde la variante basée sur un taux de fécondité à 1,5 enfant par femme, le solde naturel deviendra négatif dès 2026 selon les hypothèses de l’époque et devait être de – 166 000 personnes en 2040. Pour que la population ne diminue pas, il faut donc un solde migratoire du même ordre. Je n’irai pas plus loin dans le détail des différentes projections ; elles ont pour intérêt de quantifier les évolutions.
Une autre réalité inéluctable est, dans tous les scénarios, le vieillissement de la population. La part des personnes de moins de 20 ans diminue au fil des années : de 23 % de la population aujourd’hui, leur part passerait à 19 ou même 17 % selon les scénarios à l’horizon 2070. Les personnes de 65 ans et plus, elles, encore dans les générations du baby-boom et peut-être avec de nouveaux gains d’espérance de vie, partent du même niveau aujourd’hui, à 22 % de la population, mais verraient leur part augmenter jusqu’autour de 30 %. Enfin les personnes du grand âge, au-delà de 80 ans, passeraient de 6 % de la population aujourd’hui à plus de 10 % à l’horizon 2070.
Pour conclure avec quelques comparaisons européennes, la France était en 2023 au deuxième rang des pays européens les plus féconds – elle a été supplantée par la Bulgarie – alors qu’elle était en tête depuis dix ans. Même si la fécondité diminue en France, c’est plus tardivement et plus lentement que ce que de nombreux pays européens ont connu après la crise de 2008, et elle garde malgré tout un indicateur conjoncturel de fécondité assez élevé. Le vieillissement de la population, lui, est un élément vraiment très partagé en Europe. En France, la part des 65 ans et plus est complètement dans la moyenne européenne, qui est de 21 %.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Je salue votre esprit de synthèse face à cette masse de données, qui méritent un examen approfondi.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Pourriez-vous détailler les critères sociaux susceptibles d’entrer en jeu, comme le type de famille, le milieu social ou les origines ?
Mme Christel Colin. Nous avons déjà évoqué le rôle de l’âge, il n’est pas nécessaire d’y revenir. Il existe aussi des disparités selon les territoires et les niveaux de vie.
En 2024, l’indicateur conjoncturel de fécondité en métropole allait de 1,19 enfant par femme en Corse à 1,7 en Île-de-France. Dans l’Île-de-France même, on constate des différences assez fortes, avec la fécondité la plus basse à Paris et la plus haute en Seine-Saint-Denis. Sur la carte du pays, la fécondité est plus élevée dans un grand quart nord-ouest et au sud-est, hors zones frontalières. Elle est plus faible dans la diagonale qui va du sud-ouest au nord-est. Nous vous transmettrons bien entendu des cartes.
Il y a des spécificités dans les territoires d’outre-mer. C’est à Mayotte et en Guyane que la fécondité est la plus élevée, avec plus de trois enfants par femme. Elle est également supérieure à la moyenne de la France métropolitaine à La Réunion et en Guadeloupe, mais elle lui est inférieure en Martinique. On a observé une forte baisse des naissances dans tous les territoires d’outre-mer en 2024.
Nous avons également travaillé sur l’influence du niveau de vie sur la fécondité, qui se traduit par une courbe en U : ce sont les personnes les plus modestes ou les plus aisées qui ont le plus d’enfants, les femmes vivant dans des ménages aux revenus intermédiaires ayant plus souvent zéro ou un enfant. On constate aussi que plus les femmes sont qualifiées ou ont un niveau de vie élevé, plus elles ont leurs enfants tardivement.
Mme Sylvie Le Minez. Sur ce dernier point, nous avons également constaté que la fécondité baissait quel que soit le niveau de vie.
Nous avons des éléments sur la fécondité des femmes immigrées ou nées à l’étranger. L’indicateur conjoncturel de fécondité étant difficile à calculer dans leur cas, nous privilégions l’indicateur de descendance finale.
L’enquête « Trajectoires et origines 2 », menée par l’INSEE et l’INED, porte sur les générations nées entre 1960 et le milieu des années 1970 – dont la vie féconde est terminée. On y apprend que la descendance finale des femmes immigrées, nées de nationalité étrangère à l’étranger, a été supérieure d’environ 0,5 enfant par femme à celle des femmes qui ne sont ni immigrées ni descendantes d’immigrés – les chiffres respectifs sont de 2,35 et de 1,86 enfant par femme. La descendance finale des femmes descendantes d’immigrés – qui ont une mère, un père ou leurs deux parents immigrés – est en fait très proche de celles qui n’ont pas d’ascendance migratoire.
Autre résultat intéressant : la descendance finale diminue au fil des générations, qu’on soit immigré ou non. Les femmes immigrées des générations nées dans les années 1950 avaient 2,9 enfants en moyenne, contre 2 pour les non-immigrées. Celles des générations nées dans la première moitié des années 1970 ont eu environ 2,3 enfants et les non-immigrées 1,7. On voit donc que l’écart se réduit également.
Il y a aussi bien sûr des différences de fécondité selon les pays d’origine.
Enfin l’écart entre les femmes immigrées et non immigrées est important pour les niveaux de diplôme les plus modestes, mais il est très faible quand elles sont diplômées du supérieur.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Quel est l’âge moyen des mères et des pères à la naissance du premier et du deuxième enfant ?
Quelle est l’évolution des écarts d’âge entre conjoints et leur effet sur la fécondité ?
Existe-t-il des données sur la fécondité des couples recomposés ou des familles monoparentales – et donc sur les effets de l’évolution des modèles familiaux ?
Disposez-vous de données sur le report volontaire de maternité ou de paternité ?
Plus généralement, pouvez-vous mesurer l’influence des différents dispositifs des politiques familiales – notamment des changements de politique fiscale – sur la natalité ?
Avez-vous des données sur la fécondité des familles mixtes, où les couples ont des origines différentes ?
Vos projections prennent-elles en compte les évolutions de la politique familiale ?
Mme Christel Colin. L’âge conjoncturel moyen des parents à la naissance des enfants, tous rangs de naissance confondus, est en 2024 de 31,1 ans pour les femmes et de 34 ans pour les hommes. Nous disposons de données sur cet âge conjoncturel moyen des parents depuis 1998 et il augmente régulièrement, pour les femmes comme pour les hommes.
Il est difficile de faire des études par rang de naissance car cette information n’est pas suffisamment précise dans les bulletins de naissance transmis par l’état civil. Nous réalisons donc des estimations fondées sur le recensement de la population, en répartissant les naissances par rang en fonction de la composition des foyers. Cette méthode fonctionne assez bien pour évaluer l’âge moyen des mères à la naissance des enfants, mais pas tellement pour les pères car elle repose sur le lieu où habitent les enfants, qui vivent beaucoup plus souvent avec la mère en cas de séparation.
Pour ne parler que des mères donc, on voit qu’en 2023 les femmes ont leur premier enfant en moyenne à 29,1 ans, soit grosso modo cinq ans plus tard qu’il y a cinquante ans. Ce report de l’âge à la première maternité décale de façon quasi mécanique celui des maternités suivantes, l’écart entre les maternités évoluant peu. Nous vous transmettrons une publication récente de l’INSEE qui détaille toutes ces tendances.
Nous n’avons pas de réponse à certaines de vos questions. Nous n’avons pas réalisé d’études sur les reports volontaires de maternité. Nous disposons de données un peu anciennes sur les écarts d’âge entre conjoints, mais pas d’étude qui permette d’établir des liens avec le fait d’avoir des enfants.
Nous ne menons pas non plus vraiment de travaux quantitatifs pour mesurer l’effet des politiques familiales ou fiscales sur la maternité. On peut parfois voir des corrélations temporelles, mais il est assez difficile d’isoler précisément les effets de changements de politiques car les facteurs qui influent sur les décisions de fécondité sont très nombreux.
Enfin, les projections ne prennent pas en compte explicitement les politiques familiales et fiscales. Comme elles reposent sur la prolongation des tendances passées, elles incorporent de fait les effets des mesures prises en matière de politique familiale, de conciliation de la vie familiale et professionnelle ou de garde d’enfants. En revanche nous n’introduisons pas de « choc » en la matière dans nos projections.
Mme Sylvie Le Minez. S’agissant des familles « mixtes », tout dépend de ce qu’on entend par là. Nous disposons de quelques éléments sur la descendance finale des familles où l’un des deux parents est un immigré : elle est un peu plus faible que lorsque les deux parents sont des immigrés, à 1,83 enfant par femme au lieu de 1,95.
Les données collectées pour l’enquête « Trajectoires et origines 2 » vont jusqu’en 2020. Elles ont déjà donné lieu à énormément de travaux et d’autres suivront. Elles se prêtent par exemple à des analyses selon les pays de naissance.
Nous n’avons pas de données permettant de calculer l’indicateur de fécondité ou la descendance finale des familles recomposées ou monoparentales. De toute façon, on ne vit pas dans une famille monoparentale toute sa vie ; de même, pour les couples recomposés, il peut arriver un moment où les enfants de l’union précédente partent et où il ne reste que ceux du nouveau couple. En revanche, nous pouvons réaliser la photographie d’un moment donné. Cela donne lieu à des études sur le nombre moyen d’enfants selon le type de famille, d’où il ressort par exemple que ce nombre est plus élevé dans les familles recomposées que dans les autres.
Nous disposons aussi de travaux très intéressants sur la fécondité tardive, après 40 ans. Une partie des naissances qui interviennent alors sont des premières naissances, dans le cadre de reconfigurations d’unions, mais une part résulte aussi de l’arrivée d’un troisième enfant : il existe donc une grande variété de situations.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Vos chiffres sur la descendance finale des femmes immigrées montrent effectivement un tassement progressif, mais aussi un léger rebond pour la génération 1970-1974, ce qui creuse encore l’écart avec les femmes non immigrées. Cette tendance s’accentue-t-elle pour la génération 1975-1980 ? Comment les choses évoluent-elles à long terme ?
Avez-vous également calculé l’évolution de la descendance finale par génération en fonction du pays de naissance ?
Mme Sylvie Le Minez. L’écart de descendance finale entre les femmes immigrées et non immigrées est en effet plus important pour la génération 1970-1974 que pour la génération 1965-1969. Cela s’explique par le fait que la fécondité des femmes non immigrées a diminué nettement entre ces deux générations.
Nous faisons face à plusieurs difficultés. Premièrement, nous n’avons pas d’éléments sur les générations qui suivent. Ceux que nous avons mentionnés précédemment concernaient seulement le sexe et l’âge. Deuxièmement, nous savons qu’un indicateur conjoncturel de fécondité n’est pas très adapté pour suivre la fécondité des femmes immigrées dans la mesure où, souvent, elles attendent d’être arrivées en France pour avoir leur enfant – il est difficile de migrer avec des bébés ou en étant enceinte. Il faut donc manipuler les données avec précaution, car elles peuvent faire apparaître les femmes immigrées de 25 ans qui ont des enfants, mais pas celles qui arrivent à 26 ans et qui à 25 ans n’avaient pas encore d’enfant.
Malgré tout, nous avons conduit des travaux pour essayer de s’approcher d’un indicateur conjoncturel de fécondité – nous vous fournirons les résultats dans les réponses écrites que nous vous transmettrons. Selon ces travaux, l’indicateur conjoncturel de fécondité des femmes immigrées a tendance à stagner ces dernières années alors qu’il diminue chez les non immigrées, ce qui est de nature à creuser l’écart de descendance finale pour les générations suivantes. Toutefois, ces données dépendent de nombreux facteurs, tels que le niveau de diplôme de la personne qui arrive ou encore son pays d’origine, même si le taux de fécondité régresse dans tous les pays – en Asie particulièrement, mais aussi en Afrique. On peut donc s’attendre à des niveaux de fécondité moindres pour les plus jeunes générations.
S’agissant des projections en matière de solde migratoire, nous sommes très démunis. Même si nous connaissons le nombre d’entrées dans le territoire grâce aux données du recensement de la population, nous ne connaissons pas le nombre de sorties – nous les déduisons de l’évolution de la population, du solde naturel, etc. Cela reste donc une méthode très dérivée. De plus, il est très difficile de prévoir l’évolution des flux et des pays de provenance. De ce point de vue, les projections manquent de finesse, même si elles résultent d’un consensus de tous les experts consultés par l’INSEE, et nous ne sommes pas capables de faire des distinctions selon les origines des personnes.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Avant de poser ma question, je précise que l’immigration est à mes yeux une question de droits humains et non d’utilité pour la France. Cela étant dit, vous avez expliqué que, dans le scénario avec un solde migratoire plus élevé, il n’y avait plus de problème de natalité. Pouvez-vous détailler les soldes migratoires sur lesquels vous vous êtes basés ?
Mme Sylvie Le Minez. Le scénario central du dernier exercice de projection démographique de l’INSEE était basé sur un solde migratoire moyen, de 70 000 par an. Nous avions retenu cette hypothèse dans la lignée de l’exercice précédent, sans avoir les moyens de savoir comment le solde migratoire évoluerait, d’autant qu’il a beaucoup varié au cours des dernières années. Ainsi, le solde était de 87 000 en 2020, mais il avait été nettement plus faible dans les années précédentes. Bref, projeter sur plus de cinquante ans la valeur du solde migratoire chaque année relève du défi ! C’est pourquoi nous avons étudié parallèlement à ce scénario central une hypothèse haute avec un solde migratoire de 120 000 par an.
Comme je le disais tout à l’heure, les soldes migratoires observés entre 2014 et 2021, dernier point connu, donnent une moyenne de 120 000 par an – un peu moins au début de la période, un peu plus à la fin. Nous verrons ce que les experts diront pour les projections de 2026. Pour le reste, du point de vue strictement démographique, il est indéniable qu’un solde migratoire plus élevé – sachant que les migrants sont très majoritairement des actifs, donc en âge de procréer – compense pour partie la baisse du solde naturel.
Mme Marie Lebec (EPR). Dans votre courbe des naissances, on constate plusieurs rebonds au milieu de la baisse générale, après 1973 ou après 1993 notamment. Savez-vous ce qui explique ces reprises ?
Vous avez indiqué que l’INSEE réalise des études thématiques. Parmi les déterminants de la baisse de la natalité, on évoque souvent des questions très matérielles telles que le logement ou la rémunération. Avez-vous mené une étude sur le rapport à la parentalité, qui peut aussi être un facteur explicatif ? Ce point revient régulièrement dans les échanges que j’ai localement sur le sujet.
Mme Sylvie Le Minez. Il est vrai que la courbe des naissances fluctue, avec par exemple la baisse autour de 1973, liée au premier choc pétrolier et à la fin du baby-boom, ou des périodes de rebond. Ces fluctuations sont toutefois difficiles à expliquer dans le détail car les facteurs sont nombreux. Par exemple, la fécondité peut être en baisse sans que cela se voie dans le nombre des naissances si la période correspond à des générations plus nombreuses, comme celles du baby-boom. Depuis le milieu des années 2010, le nombre des femmes en âge d’avoir des enfants est relativement constant mais la fécondité diminue, ce qui explique la baisse marquée du nombre de naissances. On peut encore parler du « boom » du passage à l’an 2000 pour décrire ces années durant lesquelles la fécondité a atteint deux enfants par femme.
Il est donc difficile de savoir ce qu’il en est exactement, même s’il est très probable par exemple que la baisse de 1993 soit liée aux incertitudes économiques. Dans les chiffres plus récents, au moment de la crise sanitaire, on voit que le taux de fécondité a plongé de manière impressionnante neuf mois après le début du confinement, ce qui s’explique sans doute par le climat anxiogène et les incertitudes de l’époque. Les gens ont dû reprendre espoir ensuite puisqu’il y a eu un rebond sur la deuxième partie de l’année 2021, alors que les naissances étaient à la baisse depuis 2010. On constate aussi des différences en fonction de l’âge : il y a eu une légère reprise chez les femmes les plus âgées, sans doute parce qu’elles ne pouvaient différer plus longtemps leur projet d’enfant, alors que la fécondité a continué de diminuer chez les plus jeunes. Bref on peut avoir des éléments d’explication, mais pas de réponse globale.
Mme Christel Colin. Nous avons également observé que le taux de fécondité en France avait bien mieux résisté à la crise économique de 2008 que ce n’a été le cas dans les autres pays européens. Nous avons essayé de trouver des corrélations avec des indicateurs tels que le moral des ménages ou le taux de chômage, sans toutefois obtenir des résultats très probants ni identifier un déterminant clair – nous pourrons vous transmettre ces travaux.
Enfin, nous n’avons pas mené de travaux de nature qualitative concernant le rapport à la parentalité. Les récents travaux de l’INED permettront peut-être d’éclairer ces questions.
Mme Anne Bergantz (Dem). Il existe de fortes disparités géographiques – vous avez évoqué les indicateurs très bas de Paris ou de la Corse par exemple. Avez-vous croisé ces données par département avec des critères tels que l’âge, l’origine ou d’autres paramètres sociaux, et ceux-ci sont-ils de nature à expliquer les disparités ? Autrement dit, retrouve-t-on, dans les départements dans lesquels l’ICF est comparable, un même type de population ? À Paris par exemple, le prix du logement est particulièrement élevé : prenez-vous ce critère en compte ?
Mme Christel Colin. Nous avons étudié quelques-unes des dimensions que vous évoquez, non pas forcément par département mais selon qu’il s’agit d’une agglomération – nous parlons de « pôle » – ou de sa couronne. Les indicateurs conjoncturels de fécondité sont plus faibles dans les centres urbains qu’en périphérie et il est possible de corréler ce résultat à la question du logement : lorsque les familles s’agrandissent, elles quittent généralement le centre pour s’installer plus loin – cela est bien documenté.
Il a aussi été démontré que, dans certains départements, la proportion de femmes nées à l’étranger explique une partie des écarts avec la moyenne. L’exemple le plus emblématique est celui de la Seine-Saint-Denis, dont l’ICF particulièrement élevé s’explique en partie par la contribution de ces femmes. Nous avons quantifié cet impact, également visible ailleurs en Île-de-France et dans certains départements ultramarins. Dans les autres départements, la proportion des mères nées à l’étranger n’est pas suffisante pour expliquer les écarts.
Dernier point, les différences entre régions ont tendance à se réduire par rapport à la situation d’il y a dix ou quinze ans.
Mme Anne Bergantz (Dem). Des ICF comparables peuvent-ils révéler des caractéristiques communes entre départements ? Entre le Bas-Rhin et à la Corse par exemple ?
Mme Christel Colin. Nous n’avons pas mené nos recherches en ce sens ni cherché à analyser pourquoi certains départements ont un ICF comparable. Il y a sans doute des facteurs multiples. Nous savons, par exemple, que le taux de fécondité est plus faible dans les départements frontaliers qu’un peu plus loin – tout en étant supérieur à celui de l’autre côté de la frontière – sans pouvoir l’expliquer par leurs caractéristiques.
Mme la présidente Constance de Pélichy. Merci beaucoup pour ces données très intéressantes, même si elles sont parfois un peu frustrantes puisque nous touchons aux limites de l’exercice statistique. Nous aimerions mettre davantage en corrélation et expliquer certains comportements et phénomènes qui relèvent sans doute plus de la psychologie.
J’imagine aussi que la politique très stricte de la France en matière de traitement des données personnelles limite notre capacité à corréler les fichiers. Vous avez évoqué des limites s’agissant du panel démographique. En croisant les fichiers fiscaux et les données d’état civil, il devrait être possible d’extrapoler des données statistiques mais vous n’en avez pas le droit, n’est-ce pas ?
Mme Christel Colin. Si. À des fins statistiques, nous avons la possibilité d’exploiter des données à caractère personnel et de faire des appariements en croisant les fichiers. L’échantillon démographique permanent tire parti de cette possibilité puisqu’il rassemble, pour un groupe de personnes, des informations issues de l’état civil, du recensement de la population, des données fiscales, etc. C’est ce qui nous permet d’identifier des écarts de fécondité selon le niveau de diplôme par exemple – donnée récupérée grâce au recensement –, ou selon le niveau de vie – d’après les sources fiscales.
En revanche, les données statistiques issues de ce type de sources restent très quantitatives et nous ne disposons d’aucun élément qui relève du comportement. Pour obtenir des informations plus qualitatives, il faudrait aller interroger directement la population, mais les échantillons seraient plus limités.
Mme la présidente Constance de Pélichy. D’où l’intérêt de la complémentarité entre vos travaux et ceux de l’INED.
Je vous remercie de nous avoir éclairés sur les données démographiques du pays.
La séance s’achève à onze heures cinq.
Présents. – Mme Anne Bergantz, Mme Marie Lebec, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Joséphine Missoffe, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Sandrine Rousseau