Compte rendu

Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France

 

– Audition, ouverte à la presse, de M. Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan 2

– Présences en réunion.................................10


Jeudi
25 septembre 2025

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 6

session 2024-2025

 

Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
 


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La séance est ouverte à onze heures vingt.

 

Mme la présidente Constance de Pélichy. Comme l’INSEE et l’INED, le commissariat général du plan est né au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Vous pourrez donc nous dire comment les plans successifs du XXe siècle ont pris en compte les données et projections démographiques qui étaient à sa disposition et quels enseignements nous pouvons en tirer. Nous vous interrogerons également sur les travaux actuels du haut-commissariat à la stratégie et au plan, qui s’appuient notamment sur des études consacrées aux conséquences économiques et sociales de la dénatalité.

M. Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan. Je suis heureux de tenter, devant vous, d’éclairer un débat de société important.

Il est vrai que la question démographique est au cœur des travaux du commissariat au plan depuis sa création, en 1946, non seulement en tant que thème d’étude spécifique mais aussi en tant que donnée centrale des plans quinquennaux puisque le premier d’entre eux a été lancé au début du baby-boom, lequel allait se traduire, quelques années plus tard, par une forte augmentation de la population active.

Dès l’après-guerre, la commission de la consommation et de la modernisation sociale du commissariat général du plan soulignait que « tout plan de production ou d’équipement ne peut être établi qu’en fonction d’une population donnée ». De fait, l’enjeu démographique était déjà au cœur des préoccupations, comme en témoigne le chapitre consacré au développement démographique du premier plan de modernisation et d’équipement, dans lequel on peut lire : « Pays de population vieillissante, la France voit, depuis 1942, sa natalité progressivement remonter jusqu’à dépasser, en 1945, pour la première fois après un demi-siècle, le niveau correspondant au remplacement complet des générations. Si ce redressement se poursuit, la population active, réduite par la guerre, devra entretenir à la fois plus de vieillards et plus d’enfants. Pendant au moins une vingtaine d’années, notre pays aura à supporter non seulement les conséquences de son déclin démographique antérieur, qui a maintenu la population française sensiblement en dessous du niveau optimum, c’est-à-dire de celui qui aurait permis de donner à chacun le maximum de bien-être, mais aussi les charges accrues qu’implique le renversement de cette tendance, en particulier la nécessité de former une jeunesse plus nombreuse pour la mettre en mesure d’avoir, plus tard, un rendement plus élevé. »

À compter des années 2000, le haut-commissariat au plan a intégré progressivement dans ses travaux, qui étaient alors plutôt prospectifs, le tournant du vieillissement. En 2021, il donnait l’alerte dans un rapport au titre explicite : « Démographie : la clé pour préserver notre modèle social », qui montrait la baisse tendancielle des naissances et le vieillissement rapide de la population, en soulignant qu’ils menaçaient directement l’équilibre de notre modèle de solidarité.

Fort de cette tradition et d’une alerte nouvelle sur l’inversion démographique que connaît la France comme de nombreux pays européens, j’ai souhaité placer l’enjeu démographique au cœur de notre nouveau programme annuel de travail. Une étude sera ainsi consacrée aux conséquences de l’évolution démographique sur nos comptes publics, nos services publics et notre économie. Dans cet esprit, j’ai souhaité confier à Maxime Sbaihi, économiste spécialiste des questions de démographie, la rédaction d’une note pédagogique de cadrage sur ce qu’il nomme « la marée descendante de la dénatalité ». Les chiffres qu’il cite ne sont pas nouveaux, mais ils permettent d’insister sur ce que j’appellerai un double choc français.

Le premier choc est lié au fait que la France s’est crue, jusque très récemment, épargnée par la tendance au décrochage démographique ou à la dénatalité que connaissent beaucoup de pays européens. Or elle va hélas rejoindre, vraisemblablement dès cette année, le club des vingt pays de l’Union européenne qui enregistrent davantage de décès que de naissances. Même si le taux d’enfants par femme demeure supérieur à ce qu’il est en Italie et en Allemagne, par exemple, notre solde naturel est négatif.

Le second choc – le plus important pour ce qui concerne la décision publique – est constitué par l’ensemble des conséquences de l’inversion démographique, qui affectera très profondément non seulement notre modèle de protection sociale mais aussi l’ensemble de nos politiques publiques.

Dans le domaine de l’éducation, par exemple, 6 000 écoles maternelles et primaires ont fermé entre 2010 et 2014, sous l’effet de cette évolution. Or cette marée descendante va bien entendu se diffuser dans l’ensemble du système de formation. La baisse de 15 % des effectifs des écoles maternelles et primaires entre 2015 et 2028 aura des répercussions sur les effectifs des collèges et des lycées puis de l’enseignement supérieur, de sorte qu’en 2035 la population active commencera à décroître. Cette prévision soulève diverses questions. Faut-il en « profiter » pour augmenter le taux d’encadrement des élèves ou pour réaliser des économies ? Comment moduler la réponse à cette question en fonction des spécificités des territoires ? De fait, la fermeture d’un établissement scolaire n’a pas les mêmes conséquences à Paris – Mme Sandrine Rousseau le sait comme moi – qu’en zone rurale.

Je pourrais citer également l’exemple de la défense. Nous avons montré dans une note récente que, malgré une hausse sensible de leurs crédits budgétaires, nos armées ont des difficultés à atteindre leurs objectifs de recrutement parce que les effectifs des classes d’âge sont moins nombreux qu’il y a quelques années. Ainsi, tous les secteurs seront en tension d’ici au début de la prochaine décennie. L’ensemble de nos politiques publiques devront donc s’adapter au décrochage démographique.

Face à ce phénomène, il convient de différencier réponses de court et de long terme. Car si nous ne pouvons pas tirer de conclusions très claires de l’analyse de ses causes, nous disposons en revanche d’éléments factuels concernant ses conséquences et le type de politique publique concernée.

Pour nombre de partis politiques, la solution consiste à tenter d’inverser la tendance grâce à des mesures portant sur les modes de garde, la fécondité et la fertilité, l’organisation familiale, le système éducatif, etc. Ces politiques d’encouragement de la natalité sont sans doute utiles et nécessaires – le Président de la République et le Gouvernement ont d’ailleurs annoncé des dispositions en ce sens –, mais nous savons qu’elles n’ont pas d’effets mécaniques. Quand bien même elles seraient rapidement efficaces, elles ne produiraient leurs effets sur la population active qu’au milieu de la décennie 2040, dans le meilleur des cas. D’ici là, l’impact de la marée descendante sur l’éducation, le marché du travail et la population active est certain. J’insiste sur ce point, car cela signifie que les deux types de solution – inversion de la courbe de la natalité et prise en compte du décrochage démographique – sont complémentaires et non contradictoires.

Pour conclure, je plaide, sans vouloir revenir au dirigisme d’antan, pour que le haut-commissariat à la stratégie et au plan puisse présenter au Premier ministre quelque chose qui s’apparente à un plan quinquennal, lequel analyserait les effets sur nos politiques publiques des grandes tendances démographiques, technologiques et climatiques afin d’éclairer les différentes options politiques. C’est dans cet esprit que nous entamerons le 8 octobre un exercice de prospective qui durera neuf mois et s’intitulera « France 2035-France 2050 ».

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Alors que nos concitoyens s’interrogent parfois sur l’utilité d’institutions comme le haut-commissariat au plan, je tiens à saluer l’importance des éclairages apportés par ses travaux, notamment sur la démographie.

Face aux effets de la marée descendante de la dénatalité sur l’ensemble des politiques publiques, trois types de solution sont possibles.

On peut d’abord s’adapter. Il est ainsi proposé, dans la note de Maxime Sbaihi, de travailler plus, d’automatiser davantage et d’accueillir mieux. Pouvez-vous expliciter le champ de ces réponses possibles ?

On peut ensuite changer de modèle ou, en tout cas, renforcer l’immigration de travail. Lors de leur audition, les représentants de l’INSEE ont indiqué que, pour compenser un solde naturel négatif, il faudrait accueillir au moins 120 000 immigrés chaque année. Cela vous paraît-il soutenable, possible ?

On peut enfin inverser la tendance et revenir à des politiques familiales. Ce type de solution n’est pas du tout exploré dans la note. Est-ce parce que son auteur considère que ces politiques n’ont plus aucune utilité ?

Par ailleurs, on a le sentiment que, si tout le monde s’accorde sur le constat de la marée descendante de la dénatalité, ce phénomène n’est pas ou est très peu pris en compte dans les choix politiques. Dans le système éducatif, par exemple, on continue – je le dis sans esprit de polémique – de gérer à la petite semaine la question de la démographie scolaire et ses conséquences sur les fermetures de classes.

M. Clément Beaune. Cette question est, en effet, très insuffisamment prise en compte. En matière de politique publique, tout commence par une prise de conscience collective ou, pour le dire en termes gramsciens, par la bataille des idées. Or le fait est que nous ne sommes pas encore collectivement conscients – et, en tant qu’ancien parlementaire et ancien ministre, je m’inclus dans ce collectif – que la France a rejoint la norme européenne, que ce choc démographique aura très certainement un impact durable et que des politiques d’adaptation sont, quoi qu’il arrive, nécessaires. J’ajoute que cet impact ne se limite pas au financement de notre modèle social : il s’étend à l’ensemble de nos politiques publiques, jusqu’à la transition écologique, du fait des tensions sur le marché de l’emploi.

Je précise – pour être honnête et non pour prendre mes distances avec une note que je juge très éclairante – que le haut-commissariat produit deux types de travaux : d’une part, ceux que nous menons en interne et que nous assumons en y intégrant des recommandations ; d’autre part, ceux de contributeurs extérieurs qui y expriment leur opinion. C’est le cas de la note de Maxime Sbaihi, dont la vocation était de faire la pédagogie des grands chiffres de la marée descendante de la dénatalité. Du reste, elle comporte peu de propositions, et celles-ci sont évoquées comme des pistes de réflexion – je pense à l’immigration et à la question de la quantité de travail. Il n’y avait donc pas lieu d’évoquer la politique, que j’estime centrale, de réponse à la dénatalité.

Mais parce qu’une chute démographique durable n’est pas soutenable, notre action doit reposer sur deux piliers. Premièrement, nous devons nous efforcer de limiter l’évolution en cours, voire de l’inverser, en sachant que le résultat d’une telle politique n’est jamais certain ni immédiat. On le voit dans un pays comme la Hongrie, qui, malgré des politiques très natalistes menées depuis plusieurs années, ne parvient pas à remédier au décrochage démographique. Deuxièmement, il faut, quoi qu’il en soit, s’adapter aux effets de la dénatalité qui, eux, sont certains.

S’agissant de la population active, deux éléments permettent de prendre en compte la réalité démographique des quinze prochaines années – à tout le moins.

Si l’on veut qu’un plus petit nombre d’actifs soient en mesure de continuer à financer le modèle social, il faut se poser la question de l’augmentation de la quantité de travail, qu’il s’agisse du temps de travail – hebdomadaire, mensuel ou annuel – ou du nombre d’années que chacun consacre au travail dans sa vie. La population en âge de travailler, les 15-64 ans, a atteint son pic en 2011. Le recul observé depuis a été compensé, d’une part, par un report de l’âge de sortie moyen du marché du travail à la faveur des réformes successives des retraites, d’autre part, par la politique de soutien à l’apprentissage afin d’avancer l’âge d’entrée sur le marché du travail. Dès lors que ce phénomène démographique va se poursuivre au moins dans les quinze à vingt prochaines années, je pense, à titre personnel, qu’il faudra entreprendre, comme le font tous les pays européens, de nouvelles réformes des retraites.

Deuxième élément : l’immigration de travail. On sait à quel point la question migratoire est politique et sensible, mais elle se pose forcément. La population active de chacun des pays de l’Union européenne, sauf celle de la Lettonie, augmente grâce au solde migratoire. Certes, le taux de chômage de la population immigrée est supérieur au taux de chômage moyen de la population, mais il n’en est pas moins vrai que l’immigration représente un apport quantitatif.

En attendant un redressement de la natalité, hypothétique et en tout cas pas immédiat, comment affrontons-nous le sujet ? Laissons-nous la population active décliner ou estimons-nous que cette évolution n’est pas soutenable pour financer notre modèle social ?

Si l’on penche, comme c’est mon cas, pour la seconde hypothèse, il faut agir sur les deux variables que j’ai décrites, auxquelles on peut ajouter le rapport entre le capital et le travail, c’est-à-dire les gains de productivité permis par la technologie et l’automatisation.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Les stéréotypes de genre, sur lesquels le haut-commissariat a publié une enquête en mai, jouent-ils un rôle dans la baisse de la fécondité en favorisant la persistance de la double charge qui pèse sur les mères ? Peuvent-ils expliquer que l’on renonce à un deuxième ou à un troisième enfant ?

M. Clément Beaune. L’étude sur l’évolution des stéréotypes de genre, la première auprès des 11-17 ans, était alarmante. Les stéréotypes, qu’il s’agisse des rôles familiaux ou professionnels, se forment très tôt et sont plus marqués chez les garçons : en gros, la mère est là pour consoler, tandis que le père rapporte le revenu du ménage. Le rapport montre que les stéréotypes de genre reprennent de la vigueur chez les 18-24 ans, alors que toutes les études menées depuis les années 2000 faisaient part de leur régression, enquête après enquête, toutes catégories d’âge confondues. La France fait néanmoins partie des pays européens où les représentations sont les plus égalitaires, juste derrière la Suède et l’Islande. L’étude n’a pas établi de lien entre le recul de la natalité et les stéréotypes. Je n’ai pas connaissance de travaux récents déterminant ce type de causalité.

Contrairement à une idée reçue, une étude récente de Julien Damon récuse le lien entre la baisse du nombre d’enfants par femme et le décalage de l’âge auquel elles ont leur premier enfant. L’augmentation de l’âge moyen à la première naissance a largement précédé le décrochage démographique.

Nous avons observé des conséquences très claires sur la vie économique et professionnelle des femmes, qui sont bien plus nombreuses que les hommes à prendre des congés parentaux. Malgré le renforcement de dispositifs ces dix dernières années, l’augmentation de la part des hommes est faible. L’exemple des pays du nord de l’Europe prouve que l’obligation de partager le congé parental a un effet sur la capacité des femmes à revenir dans le monde de l’emploi ainsi que sur la réduction des stéréotypes.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). S’agissant des stéréotypes de genre, on observe certes un regain dans une partie de la population, notamment chez les jeunes, mais ils disparaissent aussi complètement dans une autre partie de la population. Cette polarisation est à l’image de la société.

Par ailleurs, comment pouvons-nous ne pas tenir compte dans ce débat du fait que la population mondiale aura augmenté de 50 % en 2080 ? Se focaliser sur la dénatalité empêche de percevoir la question dans sa globalité. Vous disiez que l’on connaît la population active de 2035 : c’est oublier le solde migratoire. Or cette donnée essentielle doit être au centre de notre réflexion.

Il faut aussi intégrer la dimension genrée de l’éducation des enfants. Cela pose la question du travail gratuit fourni par les femmes, qui les empêche d’accéder au marché du travail rémunéré. Pour élaborer une politique nataliste – qui n’a d’intérêt, je le rappelle, que si nous fermons nos frontières –, quelle stratégie allez-vous développer en faveur d’une véritable égalité dans la parentalité ?

Mme Élisabeth de Maistre (DR). Vous avez rappelé que François Bayrou plaidait déjà en 2021 pour un pacte national pour la démographie afin de sauver le modèle français : « La France a sans doute plus besoin encore que ses voisins d’une démographie dynamique car son modèle social repose, pour beaucoup, sur la solidarité entre les générations. » Il ajoutait que « la politique familiale doit être un soutien à la natalité » et mentionnait l’impact direct des décisions prises en matière de politique familiale, dont on pouvait affirmer que « l’orientation générale n’a pas été celle d’un soutien à la natalité ».

La baisse de la natalité aura des conséquences très importantes sur notre modèle social. Que faire pour tenter d’inverser la tendance ? Faut-il augmenter les allocations familiales, allonger le congé parental et mieux le rémunérer, créer de nouvelles places en crèche ? Quel est votre plan quinquennal ?

La branche famille est la seule branche bénéficiaire de la sécurité sociale. Les fermetures d’établissements scolaires ainsi que la baisse du nombre de places en crèche et en centres de loisirs liées à la diminution du nombre d’enfants vont offrir des marges budgétaires. Ont-elles été quantifiées ? Une baisse du budget de l’éducation nationale en corrélation avec la baisse du nombre de naissances est-elle envisagée ? Par ailleurs, le vieillissement de la population va avoir de lourdes conséquences budgétaires. Existe-t-il une étude sur le lien entre ces deux mouvements démographiques ? Pour éviter le vieillissement de notre population, ne faudrait-il pas soutenir une politique nataliste, à un moindre coût que celui du vieillissement ?

M. Clément Beaune. Mme Sandrine Rousseau a évoqué les perspectives de croissance de la population mondiale : s’il est vrai que la démographie détermine tout, les prévisions sont incertaines. Mais même à supposer qu’une politique française ou européenne permette dans le futur d’inverser la courbe de natalité, la population active diminuera de manière certaine à l’horizon 2035-2040 ce qui hypothèque le financement de notre modèle social. Nous devons anticiper ce problème et y répondre quoi qu'il arrive par ailleurs. La note de Maxime Sbaihi mentionne que, dans le passé, des inversions de tendance démographiques plus importantes ou plus rapides que prévu ont pu être constatées, dans un sens ou dans l’autre. En France, le solde naturel commencera à baisser en 2025 alors que, selon les prévisions de l'INSEE de 2021, basées sur les données disponibles à l’époque, cette décroissance était attendue en 2035. Dans les faits, la France a connu un décrochage démographique plus rapide qu’anticipé.

Dans les années 1960, 1970 et même 1990, l'idée prévalait que la population mondiale augmentait de manière excessive par rapport aux ressources disponibles. Aujourd’hui la croissance indéfinie et insoutenable de la population n’est plus vérifiée dans un certain nombre de zones géographiques. Concrètement, l'Europe est en déclin démographique : vingt pays sur vingt-sept, dont la France, connaissent un solde naturel négatif ; seule l'immigration y permet encore une croissance démographique. Compte tenu du vieillissement observé, de grandes puissances telles que la Chine et, avec elle, l'ensemble de l'Asie du Sud-Est, notamment le Japon et la Corée du Sud, vont connaître un déclin démographique. Sur le continent américain, au nord la population ne continue de croître que par l’immigration et la natalité qui lui est associée, tandis qu’au sud elle devrait commencer à baisser dès 2050. Les deux pôles mondiaux de croissance démographique subsistants sont l'Afrique et l'Inde. Ainsi, selon les dernières prévisions – dont j’ai souligné la fragilité – la population mondiale devrait atteindre un pic en 2080, avec 10,3 milliards d'habitants, avant de diminuer. On anticipe 10,2 milliards d'habitants en 2100, soit 700 millions de moins que les prévisions précédentes.

Qu’elle soit une réalité française et européenne ou un phénomène mondial, la dénatalité soulève la question de la viabilité de notre modèle dans les décennies à venir. La dénatalité n’est pas une « mauvaise passe » ou une exception française : en réalité, le dynamisme démographique qui constituait une spécificité s'est atténué et la France a rejoint la moyenne de décroissance européenne.

Comme l’a affirmé Mme Rousseau, la question migratoire est l’un des deux ou trois éléments centraux dont il nous faut discuter pour les vingt prochaines années. Si l’on entend dire que la France est le seul pays à en débattre, en réalité nous sommes les seuls à ne pas le faire. Le débat existe en Italie où les stratégies d’immigration de travail sont assumées. J’observe au passage que le « modèle » italien parfois vanté est plutôt un contre-modèle : la démographie italienne continue à décrocher et elle est moins bonne que la nôtre. En tout état de cause, affirmer qu’il est indispensable d’ouvrir un débat rationnel et documenté sur l’immigration n'est pas faire preuve d’esprit partisan, c'est une réalité factuelle. À chaque force politique de proposer ses réponses !

Vous avez abordé le thème de l'égalité dans la parentalité : il est difficile de faire le lien entre natalité et lutte contre les stéréotypes de genre ou lutte pour l'égalité au sein des familles et des couples. Il ressort des travaux récents mentionnés dans notre rapport que les modes de garde et d'accueil de la petite enfance sont à la fois bons pour l'égalité femmeshommes et favorables à la natalité, selon une ampleur et un rythme incertains. Même s'il n’y a pas eu d'étude récente sur le congé parental, nous savons qu’un congé trop long peut freiner les naissances après la première et que le déséquilibre de la répartition du congé entre mère et père fait naître un risque de désengagement ou d'exclusion des femmes du marché du travail. À mon sens, le calibrage de ce congé et des règles obligatoires de partage seraient bienvenus car ils sont essentiels pour la natalité mais surtout pour l'insertion durable des femmes sur le marché du travail.

Mme Élisabeth de Maistre, qui a cité des propos de François Bayrou soulignant l'importance de la démographie dans notre modèle social, a évoqué la branche famille ainsi que le désir d'enfant. Il existe un écart entre le nombre réel d'enfants par femme et le désir d'enfants exprimé dans les enquêtes. Tout s'est décalé vers le bas mais cet écart est resté à peu près identique dans le temps. Cela est source d’espoir : des politiques de soutien renforcé à la famille sont susceptibles d’augmenter le nombre d'enfants par famille ou par femme, même si rien n’est automatique ou immédiat en la matière. Nous disposons de leviers d’action pour tenter d’inverser la courbe.

Cela fait écho aux questions posées, avec deux approches un peu différentes, par Mmes les députées : est-il grave de se trouver en situation de baisse démographique ou de dénatalité ? Si l’on peut estimer, ce qui n’est pas mon cas, que la dénatalité est une bonne chose sur le plan climatique, il n’en demeure pas moins qu’elle percute totalement notre modèle social et productif. Pour prendre un exemple, tout notre système de dotations aux collectivités est fondé sur des villes en croissance dans lesquelles il faut développer les services publics et encourager l'investissement public. Si, désormais, il y a moins de crèches et plus d’Ehpad, il faut repenser complètement notre système de dotations publiques. Si, par refus de compenser la baisse de la population active par une augmentation du temps de travail tout au long de la vie, le ratio entre actifs et inactifs se dégrade durablement, il faudra réduire notre protection sociale. Je ne le souhaite pas, raison pour laquelle je pense que les politiques d'augmentation de la durée du travail sont nécessaires et pertinentes. Opter pour la décroissance, c’est accepter un moindre niveau de protection sociale.

Nous n’avons pas directement travaillé sur le sujet des excédents budgétaires de la branche famille, aussi n’aborderai-je pas la question des réallocations au sein de la protection sociale. Pour s’adapter à la réalité démographique et dégager des marges de manœuvre, faut-il faire le choix que vous avez évoqué – je ne dis pas que vous le soutenez – de baisser le budget de l'éducation nationale ? Si cela n’est pas souhaitable selon moi, il est évident qu’une diminution de 15 % des effectifs dans les classes doit susciter la réflexion. Quelles réorganisations opérer ? Faut-il automatiquement diminuer le nombre d'enseignants et d'encadrants ? Doit-on établir des distinctions entre territoires urbains et ruraux ? Faut-il augmenter le taux d’encadrement dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP) mais pas ailleurs ?

Alors même que ces choix lourds concernant tant l’éducation que le modèle social ou l’aménagement du territoire doivent être faits maintenant, ils sont peu évoqués dans nos débats parlementaires et publics. S’il n’appartient pas au haut-commissariat à la stratégie et au plan de se prononcer sur ce que doit être le budget de l’éducation nationale, nous éclairerons les alternatives existantes à travers nos rapports et notre programme annuel de travail en étudiant l’impact de la dénatalité sur les comptes publics et les grands services publics – notamment l’éducation et la santé. Pour reprendre cet exemple, quand il y a 15 % d'effectifs en moins dans les classes, doit-on diminuer le nombre d’écoles et d’enseignants à due concurrence – cela n’est pas le choix de Mme Rousseau –, augmenter les taux d'encadrement, faire un mix des deux ou encore différencier le redéploiement des moyens par territoire ? Il existe une gamme d’options ; nous chiffrerons leurs coûts.

La politique démographique ne peut se borner à s’interroger sur les moyens d’inverser la courbe de la natalité, elle consiste aussi à se demander comment vivre avec la dénatalité qui va nous accompagner pour deux décennies au moins.

Mme la présidente Constance de Pélichy. La question du désir d’enfants vient d’être soulevée et a été évoquée lors de précédentes auditions. Vous avez souligné le fait, établi par les travaux de l’INED, que l'écart entre le désir d'enfant et le taux de fécondité n'évolue pas, c'est-à-dire que le nombre d'enfants désirés dans la famille idéale imaginée par les Français décroît parallèlement au nombre d'enfants nés. La relation entre le désir d'enfant et les politiques publiques n’est pas parfaitement claire. Envisagez-vous de travailler sur cette question, sociologique et psychologique dans le cadre de vos travaux sur la dénatalité ?

M. Clément Beaune. Notre programme annuel de travail, publié après concertation des commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat, n’intègre pas ce sujet. Le Conseil d'analyse économique (CAE), associé au haut-commissariat à la stratégie et au plan et rattaché, comme lui, au Premier ministre, travaille sur cette question difficile à appréhender de manière quantifiée ou quantifiable parce qu’elle touche à un souhait.

Le désir d’enfant n'est pas réductible à une politique publique, une allocation ou une organisation des modes de garde, même s'il peut y avoir des liens ou des facilitations. Il faut avoir une forme d'humilité ou de modestie : les tendances de fond de la natalité sont liées à la confiance ou au manque de confiance dans l'avenir d'un pays ou d'un continent, à la perception des tensions géopolitiques et des difficultés climatiques. Ce sont ces éléments qui façonnent la projection dans l’avenir, laquelle détermine le désir d'enfant et la réalité de la composition familiale. Après-guerre, si les conditions matérielles étaient difficiles – le rationnement a duré jusqu’en 1948 – le retour à une forme d'espoir a produit le baby-boom. En France et en Europe, le décrochage ou l’hiver démographique actuels sont sans doute liés à des tendances de fond du rapport à l'avenir sur lesquelles les politiques publiques ont peu de prises. N’y voyez pas de fatalisme pour autant ! Il faut chercher à agir. Étudions les données et adaptons nos politiques publiques – qui peuvent aider, accompagner ou nuancer certaines évolutions – tout en restant conscients qu’elles s'inscrivent dans un contexte plus large.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je vous remercie pour cette conclusion de nos travaux de la matinée.

La séance s’achève à douze heures quinze.

Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Anne Bergantz, Mme Marie Lebec, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Joséphine Missoffe, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Sandrine Rousseau